Maurras, coupable et condamné - trop ou trop peu, selon les témoins et les historiens. Il est surtout responsable - en tant qu’intellectuel influent - de la haine et l’antisémitisme qui empoisonnent la France depuis des décennies. L’Histoire en citations témoigne.
À feuilleter pour tout savoir.
« S’ils s’obstinent, ces cannibales, à faire de nous des héros, il faut que nos premières balles soient pour Mandel, Blum et Reynaud. »2697
« À bas la guerre », l’Action Française, numéro saisi le 27 septembre 1938
La Vie politique sous la IIIe République : 1870-1940 (1984), Jean-Marie Mayeur.
Le numéro paraît en pleine crise de Munich. Les termes disent la violence de l’opposition d’extrême droite : antisémitisme et appel (nominatif !) au meurtre, ce qui a déjà tué Jaurès, la veille de la guerre de 1914. Dans l’Action française du 9 avril 1935, Maurras visait déjà Léon Blum : « C’est un monstre de la République démocratique. Détritus humain à traiter comme tel… C’est un homme à fusiller, mais dans le dos. » Il y a des mots qui tuent.
Maurras est condamné à huit mois de prison. Pourvoi rejeté. Il va rester 250 jours à la Santé, ayant toute licence d’écrire et de communiquer avec l’extérieur. Les maurrassiens s’indignent d’une condamnation jugée politique, rappelant qu’un an plus tôt, le Populaire avait écrit que si la guerre était déclarée, « les mobilisés abattront MM. Béraud et Maurras comme des chiens. » La haine répond à la haine. Naturellement, on peut trouver pire…
« Je veux pas faire la guerre pour Hitler, moi je le dis, mais je veux pas la faire contre lui, pour les Juifs… On a beau me salader à bloc, c’est bien les Juifs et eux seulement, qui nous poussent aux mitrailleuses… Il aime pas les Juifs Hitler, moi non plus… »2688
Louis-Ferdinand CÉLINE (1894-1961), Bagatelles pour un massacre (1937)
(Céline met une majuscule aux Juifs, dans la logique de la doctrine nazie, faisant référence au peuple, et plus encore à la race).
En 2018, Gallimard renonce (ou suspend) la réédition des pamphlets antisémites de l’auteur, par ailleurs génial romancier de Voyage au bout de la nuit (1932) et Mort à crédit (1936).
Ce n’est pas le seul antisémite de ces années-là, mais c’est l’un de ceux qui s’expriment avec le plus de violence, et un génie littéraire non contestable. Ce pamphlet où la haine l’égare achève de faire l’unanimité contre lui. Il s’est déjà créé des ennemis chez les bien-pensants, avec son Voyage au bout de la nuit (1932) qui attaque le militarisme, le colonialisme, l’injustice sociale. Ses impressions de retour d’URSS publiées dans Mea Culpa (1936) lui ont ensuite aliéné tous les sympathisants communistes.
« Il est un autre droit que nous revendiquons, c’est d’indiquer ceux qui trahissent. »2794
Robert BRASILLACH (1909-1945), rédacteur en chef de Je suis partout
Talent littéraire précoce, il écrit dans l’Action française, avant de passer à la collaboration avec l’ennemi. Dérive antipatriotique rejetée par Maurras : « Je ne reverrai jamais les gens qui admettent de faire des tractations avec les Allemands. » À la Libération, De Gaulle refusera la grâce du condamné à mort : « Dans les lettres, comme en tout, le talent est un titre de responsabilité. » Brasillach sera fusillé le 6 février 1945.
Parcours comparable de Lucien Rebatet. Les Décombres (1942), « best-seller de l’Occupation… abominable chef d’œuvre », en fait le pire brulot antisémite. Ex-collaborateur à l’Action Française, Rebatet a rebaptisé le mouvement « Inaction française », qualifiant Maurras de « faux fasciste ». Il juge le régime de Vichy anti-germaniste et Radio Vichy pro-gaulliste ! Cet anarchiste d’extrême-droite, critique d’art et de cinéma, est entré en politique en 1932, par réaction au communisme. Son antisémitisme hyperactif s’affichera dans Je suis partout. Condamné à mort (1946), peine commuée en travaux forcés à perpétuité, il sera finalement gracié.
« Spirituellement, nous sommes des Sémites. »2689
PIE XI (1857-1939), 6 septembre 1938. Juste avant sa mort, le pape projetait une encyclique contre l’antisémitisme
Pie XII, attaché au principe de neutralité politique du Vatican, se montrera mesuré à l’extrême.
« C’est la revanche de Dreyfus. »2825
Charles MAURRAS (1868-1952), 27 janvier 1945
Du 24 au 27 janvier, il comparaît à Lyon devant la cour de justice, mise en place par la République pour juger les faits de collaboration. Condamné à la détention perpétuelle pour « intelligence avec une puissance ennemie… et entreprise de démoralisation. » À l’énoncé du verdict, il se lève et lance la fameuse réplique : « C’est la revanche de Dreyfus. »
Fidèle jusqu’au bout à ses idées et à ses haines : des Juifs, des « métèques » et des francs-maçons, de la démocratie et de la république, de l’Allemagne romantique et barbare, de l’Angleterre ennemie héréditaire, « félonne et protestante ».
« La haine est un devoir national. »2820
Florimond BONTE (1890-1977), titre d’un article dans L’Humanité, 11 janvier 1945
La violence de gauche répond à la violence de droite. C’est de bonne guerre ou pas, mais c’est aussi une leçon de l’Histoire, à méditer.
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