Nos présidents se suivent et ne se ressemblent pas. Avec Chirac, grand fauve de la politique, personnage extraverti, ambitieux et roublard, la forme de la com prime sur le fond des messages. Communicant populaire à l’humour franc et franchouillard, orateur né, il dépend des conseillers dont il s’entoure et sa cote a souffert des « affaires ».
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« J’apprécie plus le pain, le pâté, le saucisson, que les limitations de vitesse. »3180
Nouveau maire de Paris, il sait se rendre sympathique, avec un contact populaire inné (ou bien acquis) et un appétit légendaire. Il pense déjà à la plus haute des fonctions et s’y prépare… La mairie est un bon poste, il va pourtant rester trop longtemps en pays conquis. Élu et réélu, il sera rattrapé par « les affaires » – faute d’avoir respecté la loi : « Les feux rouges, je les ai grillés toute ma vie, tu crois peut-être qu’on en arrive là en auto-stop ? » Avant la présidentielle tant désirée, il répond à Libé (de gauche) : « Bien sûr que je suis de gauche ! Je mange de la choucroute et je bois de la bière ». Il ose aussi le politiquement incorrect : « Buvons à nos femmes, à nos chevaux, et à ceux qui les montent. »
« Le contact humain est le véhicule essentiel de la démocratie. »3323
Jacques CHIRAC (1932-2019), Conférence de presse à Rio de Janeiro, 29 juin 1999
De Gaulle avait ses bains de foule. Ses successeurs seront plus ou moins contraints d’aller au contact du peuple qui les a élus. Seul Chirac y prend plaisir, lors des voyages présidentiels en province ou en Afrique. Au Salon de l’agriculture, ce Corrézien de Paris partage le boire et le manger à tous les stands et sait comme personne « caresser le cul des vaches ».
« Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. »3273
Jacques CHIRAC (1932-2019), Le Monde, 22 février 1988, formule empruntée à Henri Queuille (IIIe et IVe Républiques)
Ce cynisme déclaré permit à certains hommes politiques de dire à peu près n’importe quoi. Mais la mémoire des blogs et blogueurs confine à l’éternité, l’Homo politicus du XXIe siècle doit se méfier.
« L’Europe, ça m’en touche une, sans faire bouger l’autre. »3298
Jacques CHIRAC (1932-2019), Dans la peau de Jacques Chirac (2006), Karl Zéro et Michel Royer
Humour chiraquien, expression familière qui témoigne ici d’un engagement européen tardif. Né gaulliste, sceptique face au fédéralisme, il défendra la PAC (politique agricole commune) profitable à la France comme ministre de l’Agriculture. Son appel à soutenir le traité de Maastricht (1992) marque le ralliement d’une majorité de la droite au projet européen.
« Dans une campagne, il faut aller chercher les électeurs avec les dents. »3307
Jacques CHIRAC (1932-2019). Le Dauphin et le régent (1994), Catherine Nay
Métaphore carnassière, sinon cannibale, qui sera reprise par Sarkozy. Chirac le battant annonce sa candidature à la présidentielle, fin 1994. Il voit venir la trahison, devance Balladur soutenu par Sarkozy… et part en campagne. Il va cibler les jeunes, avec un programme basé sur l’égalité des chances, la justice, la fraternité.
« Une fracture sociale se creuse. »3313
Jacques CHIRAC (1932-2019), Discours fondateur de sa campagne présidentielle, 17 février 1995
Henri Guaino, gaulliste social, lui a soufflé l’idée, empruntée à Marcel Gauchet, historien et philosophe de la lutte des classes. Encore faut-il mettre l’idée en situation, trouver les mots et le ton. Chirac y parvient, déjouant tous les pronostics. Ce discours-programme crée un véritable espoir, chez les jeunes et dans les classes populaires. Le Président élu creusera le sillon de la fameuse formule : « Aucune civilisation n’a duré, quand elle acceptait la fracture sociale des exclus. »
« Un chef, c’est fait pour cheffer. »3317
Jacques CHIRAC (1932-2019), Le Figaro Magazine, 20 juin 1992
L’autorité est une vertu première, il le fera savoir, et de quelle manière ! Le mot le plus dur vise le ministre le plus populaire du gouvernement Raffarin, Nicolas Sarkozy, qu’il a été obligé d’accepter au poste le plus important – ministre d’État, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, en mars 2004. « Je décide et il exécute. »
« Que voulez-vous, je suis Français, et j’adore aller expliquer aux autres ce que je suis infoutu de faire chez moi. »3320
Jacques CHIRAC (1932-2019), Dans la peau de Jacques Chirac (2006), Karl Zéro et Michel Royer
Ce côté donneur de leçon remonte aux Lumières et à la Révolution. Peu d’hommes publics confessent ce travers parfois ridicule, notant d’ailleurs : « En matière de politique internationale, on ne retient mes propos que si je dis une connerie. »
« Si vous saviez le plaisir que j’ai pu éprouver à passer pour un blaireau, surtout au milieu de corniauds. »3321
Jacques CHIRAC (1932-2019), Dans la peau de Jacques Chirac (2006), Karl Zéro et Michel Royer
Aucun président n’a tenu ce genre de propos : « Moi, vous savez, je n’aime que deux choses : la trompette de cavalerie et les romans policiers. » Mais Chirac est plus cultivé qu’il ne veut paraître, à l’inverse de tous ceux qui pratiquent la méthode inverse. On apprend sa passion pour le sumo japonais et les arts premiers : spécialiste des civilisations dites primitives, maire de Paris, il voulait leur consacrer un musée. Le Musée du quai Branly ouvre finalement, en 2006.
« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre. L’humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au nord comme au sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l’humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. »3377
Jacques CHIRAC (1932-2019), Sommet mondial de Johannesburg, Afrique du Sud, 2 septembre 2002
Discours bien écrit par Jean-Paul Deléage, physicien, géopoliticien, maître de conférences universitaire, militant et historien de l’écologie. Le président fait passer le dernier message qui lui tient réellement à cœur (raison d’être de sa Fondation). Forme et fond : il faut les deux, une leçon de l’Histoire à méditer pour les présidents à venir.
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