Ces étrangers qui firent l’Histoire de France (II) | L’Histoire en citations
Citation du jour

 

« Nul doute que notre patrie ne doive beaucoup à l’influence étrangère. Toutes les races du monde ont contribué pour doter cette Pandore. […] Races sur races, peuples sur peuples. »

Jules MICHELET (1798-1874 ), Histoire de France, tome I (1835)

Le phénomène de l’immigration n’est pas traité en tant que tel. Il mérite pourtant d’être repensé à l’aune de ces noms plus ou moins célèbres.

  • Diversité d’apports en toute époque, avec une majorité de reines (mères et régentes) sous l’Ancien Régime, d’auteurs et d’artistes (créateurs ou interprètes) à l’époque contemporaine.
  • Parité numérique entre les femmes et les hommes, fait historique exceptionnel.
  • Origine latine (italienne, espagnole, roumaine), slave (polonais) et de proximité (belge, suisse), plus rarement anglo-saxonne et orientale.
  • Des noms peuvent surprendre : Mazarin, Lully, Rousseau, la comtesse de Ségur, Le Corbusier, Yves Montand, Pierre Cardin… et tant d’autres à (re)découvrir.

II. Renaissance et guerres de religion, règnes d’Henri IV et de Louis XIII : reines en vedette.

Léonard de Vinci, Louise de Savoie, Anne de Bretagne, Marie Tudor, Éléonore de Habsbourg, Catherine de Médicis, Marie Stuart, Marie de Médicis, Anne d’Autriche, Mazarin.

 

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Léonard de Vinci (1452-1519), prestigieux invité de François Ier : ce maître de la Renaissance italienne viendra finir sa vie en France, accompagné de sa Joconde.

« Avant moi [François Ier], tout était grossier, pauvre, ignorant, gaulois. »387

FÉNELON (1651-1715), Dialogues des morts (1692-1696)

Fénelon (théologien et pédagogue de la fin du XVIIe siècle) met en scène et oppose Louis XII à son cousin (et successeur) François Ier. Baptisé par Brantôme « Père et vrai restaurateur des arts et des lettres », le Roi Chevalier incarne idéalement la Renaissance, avec ses trente-deux années de règne au cœur du beau XVIe qui succède au long Moyen Âge. Ce ne sont plus seulement les couvents et les universités qui diffusent la culture ; les cours donnent l’exemple, pratiquant le mécénat, lançant les modes et cultivant le raffinement.

Paris reste capitale de la France, mais les Valois au pouvoir fuient ses violences révolutionnaires et vont en Val de Loire construire leurs châteaux : Amboise, Blois, Chambord, Chenonceau. Là se situe la vie culturelle, galante et bien souvent politique de la France.

« François Ier, découragé des guerres lointaines, veuf de son rêve d’Italie, se fait une Italie française » (Michelet). Favorable à l’esprit nouveau et bien que peu instruit (il ne sait pas le latin connu par la bonne société), il protège les savants et les écrivains, secondé par sa sœur Marguerite d’Angoulême (future reine au royaume de Navarre), l’une des femmes les plus cultivées du siècle. Il invite des artistes italiens renommés, Cellini, le Rosso, le Primatice. Mais en 1516, le premier et le plus prestigieux de ses hôtes est Léonard de Vinci. Constatant le manque d’intérêt d’un quelconque puissant italien, il choisit de s’installer dans le pays qui le réclame depuis longtemps. Il arrive donc dans la seconde moitié de l’année à Amboise, âgé de 64 ans. La présence en France d’un hôte si prestigieux est source d’orgueil pour le jeune souverain qui le nomme « premier peintre, premier ingénieur et premier architecte du roi. » Il apporte avec lui la Joconde et quelques autre toiles.

« Le peintre doit tendre à l’universalité. »

Léonard de VINCI (1452-1519), Carnets (multiples rééditions)

S’il est un mot pour définir le personnage, c’est ce désir d’universalité qui caractérise l’esprit de la Renaissance née comme lui en Italie, mais porté par l’artiste à un point extrême qui fascine ses contemporains et le monde à venir. Le XIXe siècle en la personne de ses nouveaux historiens rendra hommage à Léonard de Vinci.

« Il ne peut sans doute pas y avoir dans le monde un exemple d’un génie si universel, si capable de s’épanouir, si empli de nostalgie envers l’infini, si naturellement raffiné, si autant en avance sur son propre siècle et les siècles suivants. »

Hippolyte TAINE (1828-1893) cité par Hugh Ross Williamson, Voyage en Italie : Naples et Rome (1866)

« Il y eut une fois Quelqu’un qui pouvait regarder le même spectacle ou le même objet, tantôt comme l’eût regardé un peintre, et tantôt en naturaliste ; tantôt comme un physicien, et d’autres fois, comme un poète : et aucun de ces regards n’était superficiel. »

Paul VALERY (1871-1945) , préface à la réédition des Carnets de Léonard de Vinci (1942)

Cet hommage du philosophe français le plus respecté de son temps au génie universel de la Renaissance italienne est confirmé par deux biographe et historiens de l’art, en un raccourci saisissant ou avec des exemples bien choisis.

« Dieu mis à part, Léonard de Vinci est sans doute l’artiste sur lequel on a le plus écrit… Il a inspiré les fantasmes les plus légitimes et les déductions les plus saugrenues. »

Daniel ARASSE (1944-2003), Léonard de Vinci : le rythme du monde (1997)

La perception qu’a le grand public de l’œuvre artistique, scientifique et technique du maître semble parfois si éloignée de la réalité historique que pour certains observateurs, le mythe a pris le pas sur l’Histoire. Mais l’Artiste reste intouchable.

« Léonard de Vinci est le seul artiste dont on puisse dire avec une parfaite exactitude : tout ce qu’il a touché s’est transformé en objet d’une éternelle beauté. Qu’il s’agisse de la section transversale d’un crâne, de la structure d’une mauvaise herbe ou d’une étude des muscles, il l’a, avec son sens de la ligne, de la lumière et de l’ombre, à jamais transformé en valeurs qui communiquent la vie ; et tout cela sans le vouloir, car la plupart de ces esquisses magiques ont été jetées pour illustrer une réflexion purement scientifique, qui seule absorbait son esprit à ce moment-là. »1

Bernard BERENSON (1865-1959), Les Peintres italiens de la Renaissance (The Italian Painters of the Renaissance, édité à Londres, 1896)

Et d’ajouter que « si grand qu’il fût comme peintre, il n’en était pas moins réputé comme sculpteur et architecte, musicien et improvisateur, et toutes les occupations artistiques, quelles qu’elles soient, n’étaient dans sa carrière que des moments arrachés à la poursuite des connaissances théoriques et pratiques. Il semblerait qu’il n’y ait guère eu de domaine de la science moderne qu’il n’ait soit prévu en vision, soit clairement anticipé, ni ne fut-ce qu’un domaine de spéculation fructueuse dans laquelle il n’était pas un libre ; et comme s’il n’y avait guère de forme d’énergie humaine qu’il ne manifestât. »

Au-delà de ces lettres de noblesse et entre mil e tre, trois chiffres (datés d’août 2024) font foi de cette universalité.  Sa fiche Wikipédia est traduite en 236 langues. Il bat notre Napoléon national, personnage mondialement célèbre : 207 langues. Seul Jésus-Christ fait mieux : 267 langues.
L’universalité de son génie tient aussi dans l’énumération des quelque 40 métiers exercés en tant qu’artiste et scientifique ! Certains relevant de ces deux compétences principales, ils sont classés ici par ordre alphabétique : acousticien, anatomiste (dissection des animaux), architecte, astronome, botaniste, caricaturiste, cartographe, chercheur (scientifique et empirique), chimiste, compositeur de musique, créateur d’automates, décorateur, « designer », dessinateur (artistique, en bâtiment, industriel), écrivain, géologue, graveur, hygiéniste, ingénieur civil (hydraulique, hydrodynamique), ingénieur militaire (machines volantes, avion, hélicoptère, parachute, sous-marin), ingénieur en optique, inventeur, machiniste de théâtre, mathématicien, mécanicien (science de la mécanique, constructeur de machines, automates, véhicules automobiles, bicyclette), musicien, organisateur de fêtes et de spectacles, peintre, philosophe, physicien, physiologiste, scénographe, sculpteur, urbaniste, zoologiste.

Cette accumulation se résume en un mot : polymathe, artiste et scientifique tout terrain, « ayant une connaissance approfondie d’un grand nombre de sujets différents, en particulier dans le domaine des sciences, de la philosophie et des arts. » Ajoutons que Léonard de Vinci fut aussi diplomate, en relation avec les princes de son temps.

Signes particuliers : il achevait rarement un travail entrepris, d’où sa quête perpétuelle de (bons et riches) mécènes en Italie. Il est également graphomane, accumulant des milliers de notes, croquis, dessins, fables, devinettes, ébauches et réflexions diverses sur quelque 7 200 pages volantes plus tard réunies dans ses fameux Carnets toujours cités, mine de renseignements inépuisables et parfois contradictoires. Il était gaucher, d’où la difficulté à déchiffrer ses graffitis (plus facile avec leur reflet dans un miroir). Son homosexualité est avérée, même s’il la dissimule par goût du secret (et crainte des représailles).

Ajoutons un fait essentiel qui le rend sympathique à tous les végétariens :

« J’ai très tôt renoncé à la viande et un jour viendra où les hommes tels que moi proscriront le meurtre des animaux comme ils proscrivent aujourd’hui le meurtre de leurs semblables. »

Léonard de VINCI (1452-1519), Carnets (multiples rééditions)

Reste la plus célèbre et mystérieuse de ses œuvres qui l’accompagne pour son dernier voyage en France, star au musée du Louvre et inestimable tableau : la Joconde.

« La simplicité est la sophistication suprême. »

Léonard de VINCI (1452-1519), Les Carnets (rédigés tout au long de sa vie)

Cette maxime s’applique parfaitement à sa Joconde, tableau de petit format (77 x 53 cm), portrait mi-corps sur fond de vague paysage (en « perspective atmosphérique », passant du brun verdâtre au vert bleuté pour finir en ciel). Quand il répond à l’invitation de François Ier, il ne peut se séparer de cette œuvre achetée 4 000 florins d’or, soit 15 kg, et qu’il retouchera jusqu’à la fin de sa vie. Il mourra subitement à 67 ans (vraisemblablement d’un nouvel AVC) au manoir du Cloux – aujourd’hui Château du Clos Lucé, à Amboise. Dominique Ingres (1780-1867) l’a représenté mourant dans les bras du roi : « François Ier reçoit les derniers soupirs de Léonard de Vinci » (1818). L’image est belle, le symbole aussi, mais la réalité douteuse, selon divers historiens. Reste que les deux hommes ont été en relation étroite pendant trois ans.

Ce fils naturel d’une paysanne et d’un notaire, Léonard né à Vinci en Toscane, incarne le Génie tel qu’on le conçoit à la Renaissance, universel et inspiré, mais en même temps laborieux. Léonard multipliait les esquisses préparatoires et les retouches à l’infini, d’où sa réputation de ne jamais achever ses œuvres : « Les détails font la perfection, et la perfection n’est pas un détail. »

Son ambition artistique est aussi une explication : « Faites que votre tableau soit toujours une ouverture au monde. » Mission accomplie, vu la destinée de la Joconde et sa réputation universelle. « Ce qui fait la noblesse d’une chose, c’est son éternité. » Là encore, sa Joconde est l’œuvre exemplaire !

Avec ces trois citations, l’artiste explique le mystère et la célébrité de cette jeune femme, Florentine nommée Lisa del Giocondo, épouse d’un riche commerçant de soie qui passe commande du tableau. Mais la réalité est trop simple pour être vérité ! Également nommée Mona (ou Monna) Lisa, cette femme pourrait avoir d’autres identités (ressemblance avec deux Dames connues), ou représenter la mère adorée de Léonard (obsédé par le visage de la morte)… et même être un homme - le modèle cher à l’artiste homosexuel, un androgyne prêtant également ses traits à son Saint Jean Baptiste !

« La Joconde ! Sphinx de beauté qui sourit si mystérieusement dans le cadre de Léonard de Vinci et semble  proposer à l’admiration des siècles une énigme qu’ils n’ont pas encore résolue, un attrait invincible ramène toujours vers toi ! »

Théophile GAUTIER (1811-1872 ), « Salon Carré », Guide de l’amateur au Musée du Louvre (1882)

Le XIXe romantique fut fascinés par les yeux et le sourire de la Joconde – au point d’en perdre parfois la raison. Romancier, auteur de contes fantastiques et critique d’art, Théophile Gautier est sous le charme : « Quelle fixité inquiétante et quel sardonisme surhumain dans ces prunelles sombres, dans ces lèvres onduleuses comme l’arc de l’Amour après qu’il a décoché le trait ! Ne dirait-on pas que la Joconde est l’Isis d’une religion cryptique qui, se croyant seule, entr’ouvre les plis de son voile, dût l’imprudent qui la surprendrait devenir fou et mourir ! Jamais l’idéal féminin n’a revêtu de formes plus inéluctablement séduisantes. »

La fascination opère souvent, mais d’autres avis existent et les caricatures de la Dame n’ont jamais cessé.

« La Joconde sourit parce que tous ceux qui lui ont dessiné des moustaches sont morts. »

André MALRAUX (1901-1976), La Tête d’obsidienne (1974)

Ce passionné d’art fut souvent plus lyrique au point d’en devenir hermétique, mais l’humour s’impose parfois, face au mystère existentiel du tableau demeuré le plus célèbre au monde.

« La Joconde a une tête de femme de ménage, je ne comprends pas pourquoi on fait tant de chichis pour cette bonne femme. »

Albert COHEN (1895-1981), Cahiers d’Albert Cohen n°27, Jérôme Cabot

L’auteur de Belle du seigneur (roman d’amour passion entre Solal et Ariane) reste visiblement insensible au charme de Mona Lisa, qui demeure naturellement inexplicable.

Les critiques et historiens d’art ont quand même trouvé une raison au phénomène Joconde : le « sfumato » (enfumé, en italien), une technique picturale de la Renaissance qui donne au sujet des contours imprécis au moyen de glacis d’une texture lisse et transparente. En terme moins scientifique, le flou artistique pourrait expliquer le mystère qui se dégage du tableau.

Reste l’Artiste toujours amoureux de son art préféré (la peinture), de la vie et de la nature, qui s’exprime en quelques mots simples (« Méditation sur la jeunesse, la vieillesse », extrait de ses Carnets) :

« Alors que je croyais apprendre à vivre, j’apprenais à mourir. »
« Comme une journée bien remplie nous donne un bon sommeil, une vie bien vécue nous mène à une mort paisible. »
« Savoir écouter, c’est posséder, outre le sien, le cerveau des autres. »
« Le fer se rouille, faute de s’en servir, l’eau stagnante perd de sa pureté et se glace par le froid. De même, l’inaction sape la vigueur de l’esprit. »
« Tant que dure ta jeunesse, acquiers des choses qui ensuite te consoleront du dommage de ta vieillesse. »
« L’œil, appelé fenêtre de l’âme, est la principale voie par où notre intellect peut apprécier pleinement et magnifiquement l’œuvre infinie de la nature. »
« Le peintre lutte et rivalise avec la nature. »
« Celui qui n’aime pas la vie ne la mérite pas. »
« Plaise au Seigneur, lumière de toutes choses, de m’éclairer, pour que je traite dignement de la lumière. »
« La peinture semble chose miraculeuse, elle rend palpable l’impalpable, elle présente en relief l’objet plan et produit un effet d’éloignement pour les choses rapprochées. »

Louise de Savoie (1476-1531), mère de François Ier son « César adoré », deux fois régente et forte tête politique.

« Libris et liberis » « Pour des livres et pour des enfants »2

LOUISE DE SAVOIE (1476-1531), sa devise

Fille du duc Philippe II de Savoie et de Marguerite de Bourbon, mariée à Charles d’Angoulême, cousin de Louis XII, ses deux enfants marqueront l’Histoire : Marguerite (future reine de Navarre et poétesse) et François Ier.

Veuve à dix-neuf ans, elle se consacre à leur éducation, aidée par son confesseur, le cardinal Cristoforo Numai de Forlì. Elle fut elle-même à bonne école avec sa tante Anne de Beaujeu. Les livres de Christine de Pisan font aussi partie de sa fameuse bibliothèque. Suivant sa devise, elle fait œuvre de mécène, passant commande de nombreux manuscrits destinés à l’éducation. Son unique objectif, préparer son fils, son « César bien-aimé » au métier de roi, Louis XII n’ayant pas de descendant mâle.

Lorsque François Ier hérite du trône de France en janvier 1515, Louise a trente-huit ans. Désormais titrée duchesse d’Angoulême, duchesse d’Anjou et comtesse du Maine, « encore belle de teint, très vive et enjouée » (selon Antonio de Beatis, chanoine et écrivain), elle ne vit que pour voir son fils auréolé de gloire, prête à l’assister dans tout ce qu’il entreprendra, qu’elle soit d’accord avec lui ou non. Mais son influence est considérable et elle exercera personnellement le pouvoir, deux fois régente, quand son fils part en guerre, obsédé par le rêve italien.

« Et vous promets, Madame, que si bien accompagnés et si galants qu’ils soient, deux cents hommes d’armes que nous étions en défîmes bien quatre mille Suisses et les repoussâmes rudement, si gentils galants qu’ils soient, leur faisant jeter leurs piques et crier France. »439

FRANÇOIS Ier (1494-1547), Lettre à sa mère Louise de Savoie, au soir du 13 septembre 1515 à Marignan. Fin de la vieille France : François Ier, portraits et récits du seizième siècle (1885), C. Coignet

Son « César triomphant » lui conte par le menu la première partie de la bataille de Marignan. Les Suisses sont les alliés du duc de Milan : redoutables combattants, ils barrent l’accès de l’Italie en tenant les divers cols. Ces milices paysannes sont redoutées pour leurs charges en masses compactes, au son lugubre des trompes de berger. Cette victoire fait date dans l’histoire de France : 1515, Marignan.

« Tout est perdu, fors l’honneur. »453

FRANÇOIS Ier (1494-1547), Lettre à Louise de Savoie après la bataille de Pavie, 25 février 1525. Histoire de François Ier et de la Renaissance (1878), Eugène de la Gournerie

Dix ans après la plus belle victoire du règne, voici la pire des défaites, suivie de la captivité du roi. Forte de de son expérience et des leçons d’Anne de Beaujeu, la régente organise la continuité du royaume, gouverne selon ses intérêts politiques et familiaux, menant une contre-offensive contre l’empereur Charles Quint. Elle s’illustre par ses succès diplomatiques, secondée par le chancelier Duprat. Les alliances avec l’Angleterre de Henri VIII et l’empire ottoman de Soliman le Magnifique permettent finalement la libération du roi, le 19 février 1526 - contre la détention de ses fils François et Henri laissés en otage. Elle négocie ensuite au nom de son fils avec Marie de Luxembourg et Marguerite d’Autriche (tante de Charles Quint) : la « paix des Dames », signée à Cambrai le 5 août 1529, permet la libération de ses deux petits-enfants (contre deux millions d’écus d’or).

Comme sa fille Marguerite d’Angoulême, elle protège les premiers Réformateurs dont Jacques Lefèvre d’Étaples et les membres du cénacle de Meaux : le protestantisme se répand rapidement dans leur entourage.

Nourrie par la lecture de Christine de Pisan qui affirme la possibilité d’un pouvoir féminin fondé sur la sagesse et la prudence, elle impose sur la scène politique l’image d’une princesse humble, sage et pieuse, dévouée et liée au royaume par une véritable « caritas » (charité chrétienne).

Au final, cette reine mère et régente se révèle l’un des grands hommes d’État que la France ait connus, plus souple que Blanche de Castille et plus intelligente que Catherine de Médicis (attachée à l’esprit de clan dans la tradition italienne). N’en déplaise à Brantôme, bien mieux qu’Anne de Beaujeu, Louise de Savoie mérite le nom de roi.

« Car si jamais j’écrivis ou parlais  
Et au profit du commun entendente,
Constante, forte, souffrant adversité
À cette heure-ci, me sens tout incité
La préférer sur toutes autres femmes.
Las, la Princesse eut cœur chevalereux
Oncques la France ne fut mieux gouvernée. »

Jehan DU PRÉ, « homme d’armes » et humaniste de la Renaissance, Palais des nobles dames (1534)

Pour défendre « la querelle des honnestes femmes », il composa cette œuvre adressée à Marguerite de Navarre. Ce livret féministe avant l’heure s’inscrit dans la tradition de ces recueils de femmes illustres ou vertueuses et l’humaniste loue Louise de Savoie, trois ans après sa mort - le 22 septembre 1531, alors qu’elle se rendait dans son château de Romorantin (Val de Loire) avec sa fille Marguerite, pour fuir la peste qui sévissait à Fontainebleau.

François ordonna pour sa mère des obsèques dignes du « roi ». Le poète Clément Marot la dépeint comme une sainte qui a réformé la cour de France et lui a enfin donné de bonnes mœurs, au point que « son trépas laisse le pays et la nature sans vie, les nymphes et les dieux accourent et gémissent. » Cette unanimité historique impose quelques retouches. Autre temps, autres mœurs, autre jugement…

« Louise de Savoie ne donna à son fils ni principes ni exemples moraux : pour lui, la royauté souveraine ; pour elle-même, le rang, l’influence, et la richesse de reine mère, et pour tous deux la grandeur servant à la satisfaction de leurs passions, c’étaient là toute la préoccupation et tout le travail de sa vie maternelle. »

François GUIZOT (1787-1874), L’Histoire de France : depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789, racontée à mes petits-enfants (1872-1876)

L’historien protestant du XIXe siècle, conservateur libéral et doctrinaire, contredit l’humaniste de la Renaissance et la plupart des témoins, mais c’est de bonne guerre. Aucun homme politique ne fait l’unanimité, surtout si c’est une femme !

Anne de Bretagne (1477-1514), deux fois reine de France et forte de son duché de Bretagne, femme de caractère morte à 36 ans et devenue légende.

« Malo mori quam fœdari » (en latin) « Kentoc’h mervel eget bezañ saotret » (en breton)
« Plutôt mourir que se déshonorer » ou « Je préfère la mort à la souillure »420

ANNE de BRETAGNE (1477-1514), sa devise. Et elle prend pour symbole la blanche hermine

Fille de François II, dernier duc de Bretagne, elle lui succède le 9 septembre 1488 à la tête du duché de Bretagne. Elle a 13 ans et c’est le début d’une vie publique (et privée) mouvementée pour une femme de caractère qui deviendra (deux fois) reine de France – mariée à Louis XII, puis Charles VIII.

N’ayant pas de frère, elle est déclarée à 9 ans héritière du duché par les États de Rennes et reconnue duchesse à 11 ans. Elle est mariée par procuration au roi des Romains, Maximilien, d’où la reprise des hostilités entre la Bretagne et la France. Nantes est livrée aux Français et Rennes assiégée en 1491.

« Vit-on jamais en pays allemand Empereur tolérer une telle honte ! »422

Parole d’un chroniqueur autrichien. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Histoire de femmes toujours associée à des questions de successions – l’enjeu étant l’intégrité et l’unité du royaume de France ! En novembre 1491, le roi de France Charles VIII renvoie sa fille Marguerite à l’empereur Maximilien Ier - sa fiancée depuis 1482, âgée de 2 ans, dès lors élevée à la cour de France. Et il lui prend sa femme Anne de Bretagne - épousée par procuration en 1490. Devant la pression des Français, elle consent à 14 ans au mariage avec Charles VIII, obtenant en échange le maintien des privilèges de la Bretagne. Mariage discret et sans l’accord du pape, union personnelle entre Couronnes. Le contrat de mariage précise qu’il est fait « pour assurer la paix entre le duché de Bretagne et le royaume de France ». Anne de Bretagne est désormais reine de France, couronnée le 8 février 1492 en la basilique de Saint-Denis.

Elle s’engage également à épouser l’héritier de son mari en cas de veuvage sans postérité. Ainsi son duché, la Bretagne, restera-t-il à la France. Elle passe beaucoup de temps en grossesses (huit filles). Elle devient reine de Naples et de Jérusalem lors de la conquête de Naples par Charles VIII. C’est aussi la première reine de France très attachée au mécénat, recherchée par les artistes et auteurs de son époque.

« Anne par la grâce de Dieu, reine des Français et duchesse des Bretons. »

ANNE de BRETAGNE (1476-1514), gravure à son effigie sur les pièces d’or

À la mort de son mari Charles VIII (1498), Anne fait frapper 10 000 monnaies d’or à son effigie : elle s’y fait représenter en majesté sur un grand trône (cathèdre). Elle porte un manteau royal arborant les fleurs de lys du royaume de France, avec les hermines du duché de Bretagne. En tant que reine de France, elle porte la couronne. Dans sa main droite une épée en tant que chef des armées, dans la gauche un sceptre montrant son autorité de souveraine.

Elle regagne son duché de Bretagne et le principe du mariage avec Louis XII est acquis, à condition qu’il obtienne l’annulation de son précédent mariage (imposé par Louis XI avec sa fille Jeanne la Boiteuse). Ce troisième mariage est conclu dans des conditions bien différentes du précédent : l’enfant vaincue est désormais une jeune reine douairière, duchesse souveraine de l’État Breton dont l’époux est un ancien allié, ami et prétendant.

Anne se donne toute à son duché. Elle commence son « tour de Bretagne » ou « le Tro Breizh » (en breton), visitant des lieux qu’elle n’avait pu fréquenter enfant. Officiellement, il s’agit d’un pèlerinage aux sanctuaires bretons. En réalité, c’est un voyage politique et un acte d’indépendance qui vise à affirmer sa souveraineté. De juin à septembre 1505, ses vassaux la reçoivent fastueusement. Elle en profite pour s’assurer de la bonne collecte des impôts et se faire connaître du peuple à l’occasion de festivités, pèlerinages et entrées triomphales dans les villes du duché.

« Les États généraux supplient très humblement le roi que […] il lui plût d’accorder le mariage de sa fille avec Monseigneur d’Angoulême, Monsieur François […] qui est tout François. »431

États généraux de Tours, 14 mai 1506. Histoire générale de la Champagne et de la Brie (1897), Maurice Poinsignon

Les États contestent avec raison le mariage projeté entre Claude de France (fille de Louis XII et d’Anne de Bretagne) et le petit-fils de Maximilien d’Autriche (futur Charles Quint). C’est le résultat du traité de Blois (1504), en échange de quoi Maximilien s’allie avec Louis XII pour servir ses ambitions italiennes (sur le Milanais). C’est aussi la conséquence de la haine entre deux femmes : la reine Anne qui n’a nulle envie de donner sa fille et sa Bretagne à François (futur François Ier), fils de son ennemie personnelle Louise de Savoie. La France de la Renaissance risque gros avec ces querelles de famille et cette conception patrimoniale encore très féodale du royaume.

« Le roi, notre souverain seigneur justement baptisé « le Père du peuple » […] donne satisfaction à votre requête, il veut que le mariage se fasse de Madame Claude, sa fille, et de Monseigneur de Valois [d’Angoulême]. »432

Cardinal d’AMBOISE (1460-1510), États généraux, 16 mai 1506. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Claude de France n’épousera pas le futur Charles Quint – ce qui aurait changé la suite de l’histoire de France. Le mariage de Mg de Valois, futur François Ier (héritier du trône, Louis XII étant sans fils) avec Claude de France assurera le maintien de la Bretagne dans la suzeraineté française.

Pour l’heure, on n’en est qu’aux fiançailles (ratifiées par les États généraux) des deux cousins, un (gros) garçon de 12 ans avec une petite fille de 7 ans. C’est quand même la victoire de Louis XII qui veut « n’allier ses souris qu’aux rats de son grenier » contrairement à sa femme toujours opposée à cette union.

« La reine est morte ! la reine est morte ! la reine est morte ! »

Cri du héraut d’armes de Bretagne Pierre Choque, prononcé pour la première fois le 9 janvier 1514.  Didier Le Fur, Anne de Bretagne (2000)

Usée par les maternités et les fausses couches, atteinte de la gravelle (maladie rénale), la reine meurt à 36 ans au château de Blois, après avoir dicté par testament la partition de son corps (cœur, entrailles et ossements) avec des sépultures multiples, privilège de la dynastie capétienne. Anne de Bretagne est inhumée dans la nécropole royale de la basilique de Saint-Denis : ses funérailles d’une ampleur exceptionnelle durent quarante jours et vont inspirer toutes les funérailles royales jusqu’au XVIIIe siècle.

« Anne fut une femme d’un temps qui ne se souciait guère des femmes et dut être la fois femme dans sa vie privée et homme de pouvoir dans ses apanages. Elle dut en même temps donner des héritiers à la couronne de France et ses faire obéir sur ses terres convoitées par de grands seigneurs. »

Claire LHOËR (née en 1969), Anne de Bretagne, duchesse et reine de France (2020)

Cette nouvelle biographie venant après les travaux de Didier Le Fur remet l’Histoire au cœur de la légende et replace le personnage dans son temps, à la charnière du Moyen Age et de la Renaissance.

Anne de Bretagne n’est plus la victime silencieuse de la diplomatie française qui lui impose ses mariages avec Charles VIII et Louis XII. Il faut aussi rectifier le cliché régionaliste de la noble paysanne fière de sa terre et sa culture, « Dame Anne, la duchesse aux sabots » portant costume et coiffe bretonne, image vulgarisée à la fin du XIXe pour animer les « banquets celtiques » de Paris et toujours vivante dans le cœur des régionalistes bretons.

Au final, une grande reine de France aimant le pouvoir, ses privilèges et ses atours, entêtée, voire cynique et calculatrice, capable de tenir tête à ses adversaires, une résistante qui évita aux Bretons des conflits interminables tout en leur assurant la prospérité, contribuant (post mortem et paradoxalement) au rattachement de la Bretagne à la France. Bref, une femme politique avant l’heure, à rapprocher d’Aliénor d’Aquitaine (plus scandaleuse) et Catherine de Médicis (plus sulfureuse).

Marie Tudor (1516-1558), reine de France mariée à Louis XII, puis première reine d’Angleterre dite Marie la Sanglante, demi-sœur d’Élisabeth.

Marie Tudor a 18 ans quand elle épouse Louis XII de France, âgé de 52 ans. Ce mariage redonne un peu de vigueur au roi veuf d’Anne de Bretagne. Il veut un fils pour empêcher que la couronne ne passe à son cousin, le futur François Ier. La reine souhaite également un fils pour garder son titre et ne pas être renvoyée en Angleterre après la mort de son époux, mais les jours du roi semblent comptés. Il meurt le 1er janvier 1515 de consomption, trois mois après le mariage. On internera Marie 40 jours à l’hôtel de Cluny afin de s’assurer qu’elle ne porte pas d’enfant.

Louise de Savoie fait surveiller la « reine blanche » (couleur du deuil à l’époque), car toute grossesse pourrait écarter son fils François du trône. Début mars 1515, Marie est surprise avec Charles Brandon, duc de Suffolk, favori du roi Henri VIII. La jeune reine et Brandon, de 12 ans son aîné, sont tous deux renvoyés le lendemain en Angleterre.

« C’était une jalouse reine, vraie fille d’Henri VIII, dont l’alcôve, comme celle de son père, s’ouvrait de plain-pied sur l’échafaud. »9

Victor HUGO (1802-1885), Marie Tudor (1833)

Drame historique situé à Londres en 1553, mettant en scène Marie Tudor, première reine d’Angleterre, amoureuse de Fabiano Fabiani, séduisant aventurier, favori de la reine honni de la cour et du peuple.

Passée à la postérité sous le nom de Bloody Mary ou Marie la Sanglante, Marie Tudor fait figure de reine mal-aimée. De son règne bref (1553-1558), on retient l’intolérance religieuse et la rudesse de cette souveraine catholique, les bûchers de Londres (quelque 300 protestants brûlés vifs pour leur foi), l’alliance avec l’Espagne pour ramener par la force le pays dans le giron catholique… et la prise de Calais par les Français en 1558.

Cette légende noire est née sous le règne de sa jeune sœur Élisabeth Ière et de l’historiographie protestante officielle en Angleterre. Le reste du monde a suivi, par haine de l’Angleterre et par une forme d’indulgence qui pardonne tout aux hérétiques et aux schismatiques et rien aux fidèles de l’Église catholique.

« Si l’on ouvrait mon cœur, on y trouverait gravé le nom de Calais. »488

MARIE TUDOR (1516-1558), son mot de la fin. Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789, tome IX (1844), Henri Martin

Ainsi s’exprime la reine d’Angleterre, mourante dit-on du chagrin que lui a causé la perte de cette ville, seule place restée anglaise en France, à la fin de la guerre de Cent Ans. Sauvée du massacre par les bourgeois de Calais, la ville fut quelque peu oubliée par les rois de France, davantage intéressés par la riche et fascinante Italie.

C’est d’ailleurs parce que la France commence la onzième – et dernière – guerre d’Italie en attaquant le royaume de Naples, que le roi d’Espagne Philippe II (fils de Charles Quint et mari de la reine d’Angleterre) attaque en Picardie, par les Pays-Bas. Henri II, redoutant plus que tout une invasion espagnole, rappelle François de Guise dit le Balafré en route vers l’Italie, et le nomme lieutenant général du royaume. Il reprend Calais aux Anglais le 13 janvier 1558, après un siège très bref de six jours et malgré les renforts envoyés par Marie Tudor.

La perte de cette ville rendra encore plus impopulaire dans son pays Marie la Sanglante. Elle meurt au terme d’une longue agonie, le cœur brisé d’avoir perdu Calais, mais dit-on aussi Philippe qui s’est éloigné d’elle pour retourner en Espagne après un an de mariage. Bref, un destin tragique, un règne court et malheureux qui contraste avec celui d’Élisabeth Ière.

Éléonore de Habsbourg (1498-1558), sœur de Charles Quint, mariage forcé avec François Ier.

« Le traité qu’il lui faut ce jour signer au profit de l’Empereur, il l’a fait et le fait pour éviter les maux et inconvénients qui pourraient advenir à la chrétienté et à son royaume, et c’est par force et contrainte, détention et longueur de prison, que tout ce qui est convenu sera et demeurera nul et de nul effet. »459

FRANÇOIS Ier (1494-1547), à ses conseillers, avant de signer le traité de Madrid du 14 janvier 1526. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Prisonnier de Charles Quint après sa défaite à Pavie et pour retrouver sa liberté, le roi de France renonce – sur le papier – à toute prétention sur l’Italie, la Flandre et l’Artois. Il s’engage à céder la Bourgogne à Charles Quint et à épouser sa sœur, Éléonore de Habsbourg (sa femme Claude étant morte en 1524). Il laisse en otage ses deux fils, François et Henri (futur Henri II), le 17 avril 1526. Le voilà libre.

Il épouse Éléonore, mais ne respecte pas les autres clauses du traité : il garde la Bourgogne, forme la Ligue de Cognac avec le pape, Venise, quelques villes italiennes, l’Angleterre et quelques princes allemands. La troisième guerre contre Charles Quint commence. Tout cela va peser sur le règne d’Éléonore.

« Unica semper avis » - « le seul oiseau de tous les temps »11

Devise d’Éléonore de Habsbourg – prenant pour emblème le phénix, oiseau qui renaît de ses cendres, symbole de son amour fidèle et de sa double royauté

Et pourtant… Le roi de France respecte sa femme, mais il ne l’aime pas. C’est la sœur de son plus grand ennemi et le mariage est purement politique, sinon forcé – seul moyen de retrouver la liberté. La nouvelle reine se montre discrète et réservée – alors qu’il aime les fortes personnalités, comme sa mère Blanche de Castille et sa sœur Marguerite (future reine Margot).

Seul moyen pour Éléonore de se faire une place à la cour de France, mettre au monde un enfant. Mais le roi, déjà père de deux fils – Henri, futur Henri II, et Charles - ne souhaite pas avoir d’autres enfants. La reine de France se retrouve comme une étrangère auprès des courtisans qui la traitent comme telle. Malgré ce sentiment d’exclusion, elle apprécie son époux. Elle honore de sa présence chacun de ses déplacements et prend son rôle de reine au sérieux. Elle œuvre surtout au quotidien pour réconcilier son mari et son frère – mais en vain.

Quant à François, il ne cache plus sa liaison avec sa favorite Anne de Pisseleu, duchesse d’Étampes. Les témoignages abondent, avec plus ou moins de parti pris.

« Lorsque François et Éléonore logent sous le même toit, ils ne partagent pas leur lit un jour sur quatre ; en plus il lui parle très rarement en public ; et il ne quitte jamais la chambre de madame ou le retient l’amour pour son ancienne maîtresse, Mademoiselle d’Heilly [Anne de Pisseleu]. »

Sir Francis BRYAN (1490-1550), ambassadeur d’Angleterre, rapportant les faits à son maître, Henri VIII. Robert J. Knecht, Éléonore d’Autriche (2019), Presses universitaires de Rennes (2019)

L’ambassadeur est trop heureux de témoigner plus avant : « Il n’y a pas eu de banquet ni de festin où, une fois la table dressée, il ne soit pas venu s’asseoir auprès d’Heilly alors que le cardinal de Lorraine et l’amiral faisaient de même auprès de leurs maîtresses. Il lui est aussi arrivé à plusieurs reprises, à ce que l’on dit, de s’éloigner de la reine et de coucher quatre ou cinq jours de suite chez ses anciennes maîtresses. » Le beau Roi chevalier de la Renaissance est digne de sa réputation. L’historien doit quand même se méfier de tels propos : le but est de plaire au roi d’Angleterre qui se méfie de la nouvelle entente entre le roi de France et l’empereur Charles Quint, symbolisée par ce mariage politique.

La sœur du roi, Marguerite de Navarre, future reine Margot qui s’y connaît en mœurs libertines, s’est elle aussi moquée des relations conjugales du couple royal au cours d’une conversation avec le duc de Norfolk, courtisan du roi d’Angleterre Henri VIII.

« Nul homme est moins satisfait de sa femme que François ne l’est de la sienne. Il n’a pas couché avec elle depuis sept mois. »13

Marguerite de NAVARRE (1492-1549), cité par Robert J. Knecht, Éléonore d’Autriche (2019), Presses universitaires de Rennes

Norfolk voudrait en savoir plus et Marguerite est trop heureuse de répondre : « Parce qu’il ne la trouve plaisante à son appétit et ne saurait dormir avec elle. Loin d’elle, il dort mieux que personne… Elle est très chaude au lit et désire être trop embrassée… Je ne voudrais pour tout l’or de Paris que le roi de Navarre se déclarât aussi peu satisfait dans mon lit que mon frère dans celui de sa femme ! »

Sur son lit de mort, emporté à 52 ans par une septicémie, François aurait prié son fils Henri de veiller sur Éléonore, avouant qu’il ne l’avait pas bien traitée… Le nouveau roi de 28 ans s’empresse d’oublier cette injonction et Henri II élimine toutes les « factions » fidèles à l’ancien roi. Cette « révolution de cour » va détrôner Éléonore. Elle doit quitter la France et va rejoindre son frère, mais on ne lui donne aucune escorte et on fouille ses bagages – humiliation suprême ! Elle n’aura jamais sa place à la basilique de Saint-Denis auprès de François Ier et se retrouve gommée de la mémoire des Français, en dépit de sa belle devise : « Unica semper avis ».

Catherine de Médicis (1519-1589), reine et régente à l’heure tragique des guerres de Religion, mère de trois jeunes rois tuberculeux et femme politique à réhabiliter.

« Divide ut regnes. » « Divise, afin de régner. »498

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), maxime politique

Maxime du Sénat romain, énoncée par Machiavel, adoptée par Louis XI et reprise en 1560 par la nouvelle régente qui n’est pas Florentine pour rien ! Unique héritière de la considérable fortune des Médicis, elle prit le titre de duchesse d’Urbino qui lui valut son premier surnom donné par les Florentins : duchessina (la petite duchesse).

En France, l’Italienne plus ou moins bien accueillie apporte le raffinement extrême d’un pays où la Renaissance a un siècle d’avance. Pour les courtisans toujours jaloux, c’est « la Banquière » ou « la Fille des marchands », riche d’une dot de 100 000 écus d’argent et 28 000 écus de bijoux. Le mariage avec le dauphin (futur Henri II) fut « arrangé » entre François Ier et le pape, mais la dette ne sera jamais payée.

Malgré la « légende noire » qui récrit l’histoire à sa façon, Catherine de Médicis est une femme intelligente et cultivée, devenue reine de France. Après presque trente années d’effacement derrière le roi Henri II, la belle favorite Diane de Poitiers et les conseillers en titre, Catherine de Médicis se retrouvera veuve, suite à la mort accidentelle du roi (blessure à l’œil d’un coup de lance, donné par le comte de Montgomery, capitaine des gardes). Nostradamus avait prédit le drame et gagne sa place d’astronome à la cour, en même temps que Diane de Poitiers est priée de partir. Catherine va gouverner la France pendant près de trente autres années, tragiquement marquées par les guerres de Religion (1562-1598). Ce contexte explique bien des drames, même s’il n’excuse pas tout.

« Je lis les histoires de ce royaume, et j’y trouve que de tous les temps, les putains ont dirigé les affaires des rois ! »479

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589) à Diane de Poitiers. Le Royaume de Catherine de Médicis (1922), Lucien Romier

Fille de Laurent II de Médicis, elle épousa le futur Henri II en 1533 et faillit être répudiée pour cause de stérilité pendant onze ans, avant de lui donner dix enfants. Depuis 1538 et durant les douze années de règne d’Henri II, la reine fut éclipsée par Diane de Poitiers. Elle prend sa revanche, sans accabler sa rivale qui doit restituer le château royal de Chenonceau, la reine lui donnant Chaumont en échange et la laissant profiter de tous ses autres biens.

« Dieu m’a laissée avec trois enfants petits et un royaume tout divisé, n’y ayant aucun à qui je puisse entièrement me fier. »499

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), Lettre à sa fille Élisabeth, janvier 1561. Le Siècle de la Renaissance (1909), Louis Batiffol

La reine n’a plus qu’une ambition : assurer le règne de ses fils dont la santé, minée par la tuberculose, justifiera de sombres prédictions. Elle va manœuvrer entre les partis, intriguer avec les intrigants contre d’autres intrigants : « Divide ut regnes. »

Elle commence par renvoyer les Guise (catholiques ultra). Antoine de Navarre (protestant sans vraie conviction comme son fils, le futur Henri IV) devient lieutenant général du royaume et catholique opportuniste. Michel de L’Hospital, promu chancelier, sera son principal ministre. La première religion de ce grand juriste est la tolérance. Rêve impossible, comme le prouvera le massacre de la Saint-Barthélemy.

« L’argent est le nerf de la guerre. »512

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), Lettre à l’ambassadeur d’Espagne, août 1570. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

La « petite phrase » de Rabelais dans Gargantua (selon qui « les nerfs des batailles sont les pécunes ») va faire fortune dans l’histoire. Au XVIe siècle, tous les souverains d’Europe ont d’énormes besoins d’argent pour leurs guerres qu’il faut sans cesse faire, ou préparer - record historique de 85 années de guerre en ce siècle ! Elles coûtent de plus en plus cher, avec le développement des armes à feu, l’entretien d’armées permanentes, des effectifs croissants – le temps n’est plus des « grandes batailles » du Moyen Âge qui se livraient entre quelques milliers d’hommes (Crécy, Azincourt).

Mais l’on n’atteint pas encore les 400 000 soldats de Louis XIV. Il faut que la France soit très riche et pleine de ressources pour s’être si longtemps battue, et retrouver en dix ans une prospérité certaine, au début du XVIIe siècle.

« Il valait mieux que cela tombât sur eux que sur nous. »529

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), Lettre à l’ambassadeur de Toscane à propos du massacre de la Saint-Barthélemy. Lettres de Catherine de Médicis (1891), Collection de documents inédits sur l’histoire de France, Imprimerie nationale

La reine mère est sans doute responsable des massacres - Charles IX déclare au Parlement de Paris avoir décidé seul, mais le jeune roi est totalement « sous influence ». Au point de haine où catholiques et protestants sont arrivés, le choc était inévitable et la balance pouvait pencher de l’un ou l’autre côté. On peut penser aussi que cette forte femme fut dépassée par la force des événements ! Effet non prévu, la Saint-Barthélemy renforcera le parti protestant qui s’organise pendant cette quatrième guerre de Religion.

« Vous devez louer Dieu, si prenez cette ville, de vous avoir fait la grâce d’être le restaurateur et conservateur du royaume et qu’à l’âge de vingt et un ans vous avez plus fait qu’homme, pour grand capitaine qu’il ait été, ait jamais fait. »536

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), à son fils Henri duc d’Anjou, lettre du 15 avril 1573. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Le futur Henri III, fils préféré de Catherine et brillant vainqueur de Jarnac et de Moncontour contre les protestants, n’aura pas la même chance devant La Rochelle dont il fait le siège avec les troupes royales, en mars 1573. Six mois ne feront pas céder le grand port tenu par les protestants et la paix de La Rochelle leur donne quelques satisfactions.

« Gardez-vous de livrer bataille et souvenez-vous des conseils de Louis XI : la paix signée est toujours plus avantageuse avant la défaite. »543

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), à son fils Henri III, 1576. Dictionnaire des citations de l’histoire de France (1990), Michèle Ressi

La reine mère est bonne conseillère en ce début d’année, mais la cinquième guerre de Religion commence. La coalition regroupe Condé, Turenne et Henri de Navarre, échappé de la cour où il était retenu depuis la Saint-Barthélemy. Il abjure la religion catholique et reprend la tête des armées huguenotes. François d’Alençon, frère du roi, se joint à eux, prenant la tête du parti des Malcontents avec quelques princes catholiques. Le roi qui a lutté contre les protestants quand il était duc d’Anjou se range aux côtés des Politiques, modérés des deux camps.

« Vous pouvez penser comme je suis malheureuse de tant vivre et de voir tout mourir devant moi, encore que je sache bien qu’il faut se conformer à la volonté de Dieu. »552

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), Lettre à Bellièvre, 10 juin 1584. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Cette mère de dix enfants n’en finit plus de porter leur deuil ! François d’Anjou meurt le 10 juin 1584, âgé de 30 ans. Éternel frustré de la famille, ambitieux et rebelle, très impopulaire, il a comploté à la tête du parti des Malcontents et ce n’est pas une grande perte pour le roi.

Mais Henri III n’ayant pas fait d’enfant à sa femme, à sa mort, la couronne de France doit revenir à Henri de Navarre, chef du parti protestant. La perspective d’un Henri IV protestant, roi de France, affole les Français catholiques et insupporte aux Guise. La Sainte Ligue en sommeil se réveille.

« C’est bien taillé mon fils ; maintenant il faut recoudre. »567

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589) à Henri III, château de Blois, 23 décembre 1588. Dictionnaire des citations françaises et étrangères (1982), Robert Carlier

Le roi courut annoncer à sa mère l’assassinat de son pire ennemi, le duc de Guise. Cette façon d’éliminer ceux qui font obstacle au pouvoir de ses fils est bien dans ses mœurs – et dans celles de l’époque. Mais à 70 ans et à quelques jours de sa mort (5 janvier 1589), la reine mère ne peut se faire beaucoup d’illusions sur l’avenir de son dernier fils. De fait, il sera assassiné le 1er août par Jacques Clément, moine dominicain de 22 ans, ligueur fanatique. Il préparait son geste : le complot est connu, approuvé de nombreux catholiques et béni par le pape Sixte Quint. La scène se rejouera avec Ravaillac et Henri IV. Ces assassinats, comme tous les complots et attentats contre les rois de l’époque, s’inspirent de la théorie du tyrannicide, dont Jean Gerson fut l’un des prophètes : « Nulle victime n’est plus agréable à Dieu qu’un tyran. »

Marie Stuart (1542-1587), reine d’Écosse et de France, catholique et finalement prisonnière d’Élisabeth qui fait exécuter cette possible rivale au trône.

« Marie est la plus charmante enfant que j’aie jamais vue ! »15

HENRI II (1519-1559), rencontrant pour la première fois la petite reine d’Écosse âgée de six ans. « Marie Stuart : l’histoire de la reine trahie par les siens », Ça m’intéresse, 17/11/2019

Fille du roi Jacques V d’Écosse et de Marie de Guise (française et catholique), elle est couronnée à la mort de son père (atteint du choléra) le 14 décembre 1542. Elle a six jours. Sa mère assure la régence, puis son cousin.

En 1548, elle est envoyée en France pour échapper aux invasions anglaises en Écosse, cependant qu’un traité (la fameuse Auld Alliance) place ce pays sous la protection de la France depuis la Guerre de Cent Ans.

Henri II rencontre la petite reine d’Écosse. Il est sous le charme. Elle passe son enfance dans les châteaux royaux, de Blois à Chambord et Fontainebleau. « Reine de grands salons et d’apparence » (Hortense Dufour), la jeune fille s’épanouit à travers l’éducation reçue et excelle en arts, chant, musique et danse. Elle vit un conte de fées (comparé à la cour en Écosse), mais elle n’est pas formée pour gouverner ni affronter les drames à venir.

19 avril 1558, Marie, 15 ans, épouse François de France, fils d’Henri II, dans la cathédrale de Notre-Dame de Paris. Cette même année, la mort d’Édouard VI d’Angleterre lui donne le droit de prétendre à une troisième couronne et Henri II la proclame reine d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande. Mais les Anglais ne veulent pas d’une reine qui gouverne aussi la France et Élisabeth Ire s’empare du trône avec sa force de caractère habituelle.

Henri II meurt accidentellement au cours d’un tournoi et Marie devient reine de France. François II meurt un an après d’un abcès au cerveau. Devenue veuve, elle décide de revenir en Écosse en 1560.

« Adieu, charmant pays de France,
Que je dois tant chérir ;
Berceau de mon heureuse enfance,
Adieu ! Te quitter, c’est mourir. »497

BÉRANGER (1780-1857), Chansons, Adieux de Marie Stuart

Poète et chansonnier le plus populaire du XIXe siècle, il évoque l’infortunée reine devenue l’héroïne d’un drame en vers de Schiller, en 1800. C’est l’un des destins les plus tragiques d’une histoire complexe et chaotique entre trois pays déchirés par les guerres de pouvoir et de religion.

« Sa beauté, son élégance, la finesse de son esprit : tout contribuait à la faire aimer. »

George BUCHANAN (1506-1582), Histoire des affaires d’Écosse (1583)

Encore un homme sous le charme de Marie Ire qui arrive pourtant avec un lourd handicap : elle est catholique, alors que son royaume d’Écosse a adopté le protestantisme comme religion d’État. Voulant imposer à la fois sa religion et son autorité, elle affronte les révoltes presbytériennes et prône la tolérance religieuse. En 1565, elle épouse Henry Stuart, petit-neveu du roi d’Angleterre Henri VIII. Mal accepté par l’entourage de la reine, multipliant maladresses et provocations, il meurt dans une explosion, le scandale éclate. Et les drames vont s’enchaîner.

Marie décide de fuir… en Angleterre ! Sa cousine qu’elle appelle dans ses lettres « Madame ma bonne sœur » dit croire en son innocence. Dès son arrivée, Marie est assignée à résidence. Élisabeth l’accuse de l’assassinat d’Henry Stuart, son deuxième mari. Marie jure qu’elle est victime d’une conspiration. La reine la retient prisonnière pendant dix-huit ans sous la garde de Lord Talbot. En 1586, Marie apprend qu’un noble anglais prépare un plan pour assassiner la reine. Elle prend contact. C’était un espion à la solde d’Élisabeth. Marie est condamnée à mort. Son fils Jacques VI ne tente rien pour la sauver.

« En ma fin est mon commencement. »

Marie STUART (1542-1587), broderie sur l’un de ses habits. Cité par Hortense Dufour, Marie Stuart (2007)

Enfin consciente de son terrible destin et décidée à entrer dans la légende, elle demande une exécution publique. Elle montera sur l’échafaud au château de Fotheringhay, le 8 février 1587. Tête haute, elle interrompt les pleurs de ses courtisanes et déclare pardonner à tout le monde. La mort ne l’effraie pas. Le rapport d’exécution en témoigne : « Depuis son arrivée dans la salle jusqu’au coup de la hache, il n’apparut aucun changement en son visage. » Marie la catholique prie ardemment, baisant son crucifix - le bourreau le lui arrache des mains. Pour trancher la tête, il doit s’y reprendre à trois fois. La foule clame en chœur « God save the queen », la tête de Marie roule à terre. Témoin du spectacle, le docteur Fletcher, doyen protestant de Peterborough s’exclame : « Amen, amen ! Ainsi périssent les ennemis de la reine ! » En 1612, son corps sera transféré à l’abbaye de Westminster.

Son destin tragique fit sa renommée, inspirant écrivains, compositeurs et cinéastes. En Europe, elle fait partie des rares reines régnantes d’un État (l’Écosse) à avoir été en même temps reine d’un autre État (la France), à l’instar de Marie Tudor devenue Marie Ire d’Angleterre et reine consort d’Espagne par son époux Philippe II. Marie Stuart était par ailleurs prétendante au trône d’un troisième État (l’Angleterre) par sa grand-mère Marguerite Tudor, sœur d’Henri VIII. En France, la loi salique (« sexiste » avant l’heure et d’ailleurs mal interprétée à l’origine) a du moins écarté les candidates de cette course au trône.

Marie de Médicis (1575-1642), seconde femme d’Henri IV et mère de Louis XIII, détestée à juste titre.

« Vous faites tout ce que je veux ; c’est le vrai moyen de me gouverner : aussi ne veux-je jamais être gouverné que de vous. »652

HENRI IV (1553-1610), Lettre à Marie de Médicis, 27 janvier 1601. Henri IV écrivain (1855), Eugène Yung

Sitôt épousée, Marie lui fait le fils qui devait lui succéder : le dauphin Louis né à Fontainebleau le 27 septembre 1601. Louis XIII n’héritera pas de la santé du père. Mais la joie du roi et du royaume est grande : on attendait un héritier depuis quarante ans !

Henriette d’Entragues, maîtresse en titre du Vert Galant, se fâche et traite Marie de « grosse banquière » – fine allusion à la dot de la reine, 600 000 écus d’or, la plus grosse dot de l’Histoire. Elle va surtout comploter contre le roi, déjà au lit d’autres femmes. Car la reine lui donne peu de plaisir.

« Je ne trouve ni agréable compagnie, ni réjouissance, ni satisfaction chez ma femme […] faisant une mine si froide et si dédaigneuse lorsqu’arrivant du dehors, je viens pour la baiser, caresser et rire avec elle, que je suis contraint de dépit de la quitter là et de m’en aller chercher quelque récréation ailleurs. »653

HENRI IV (1553-1610), Lettre à Sully. Lettres intimes de Henri IV (1876), Louis Dussieux

Marie de Médicis n’a pas le tempérament de la reine Margot, sa première femme ! Ce mariage florentin fut un sacrifice à la raison d’État – les rois ne se marient pas par amour, pour cela, ils ont les maîtresses. La belle-famille est richissime et très catholique : deux raisons qui auraient dû faire de ce mariage une bonne affaire pour le roi de France. Il n’en fut rien.

Marie de Médicis laisse un mauvais souvenir dans l’Histoire. À l’inverse de Catherine de Médicis dont elle n’est qu’une très lointaine cousine, ce fut une épouse, une reine, une mère, une régente détestable et détestée, perpétuelle intrigante au siècle de tous les complots.

« Vous ne traiteriez pas ainsi vos bâtards !
— Mes bâtards peuvent être à tout moment corrigés par le Dauphin, s’ils sont méchants, mais qui corrigera le Dauphin si je ne le fais moi-même ? »656

HENRI IV (1553-1610), répondant à Marie DE MÉDICIS (1573-1642). Les Rois qui ont fait la France, Henri IV (1981), Georges Bordonove

Les scènes sont fréquentes entre les deux époux. Marie est jalouse des maîtresses du roi fort généreux et galant avec toutes ces dames, alors qu’il a peu d’égard pour la reine. Elle lui reproche ici de frapper avec sa canne le petit Dauphin (futur Louis XIII). Il est vrai que le bon roi n’hésite pas à jouer les pères Fouettard, « sachant bien qu’il n’y a rien au monde qui lui fasse plus de profit ; car étant de son âge, j’ai été fort fouetté ».

« Priez Dieu, Madame, que je vive longtemps, car mon fils vous maltraitera quand je n’y serai plus. »657

HENRI IV (1553-1610) à Marie DE MÉDICIS. Les Rois qui ont fait la France, Henri IV (1981), Georges Bordonove

Sait-il que sa femme n’est pas étrangère à certains complots tramés autour de lui ? Cette phrase est en tout cas prémonitoire des relations entre la mère et le fils : une véritable guerre au terme de laquelle Marie de Médicis perdra son pouvoir, ses amis, sa liberté, pour finir en exil.

« Que vivre au siècle de Marie,
Sans mensonge et sans flatterie,
Sera vivre au siècle doré. »666

François de MALHERBE (1555-1628), Ode à la Reine mère du Roi sur les heureux succès de sa régence (1610)

Poète officiel, il s’empresse de saluer l’âge d’or et ses nouveaux maîtres. En fait, la régence de Marie de Médicis sera catastrophique. Cette femme lymphatique va prendre goût au pouvoir, se mêler de tout et accumuler les erreurs.

Elle renvoie Sully et tous les ministres d’Henri IV, s’entourant de conseillers qui discréditent son gouvernement, à commencer par Concini et sa femme Léonora Galigaï, deux intrigants originaires comme elle de Florence. Elle suit le « parti des dévots » (ultra-catholique) et se montre d’une faiblesse coupable avec les Condé, Guise, Nevers, Bouillon qu’elle comble de dons, espérant acheter leur docilité, alors que leurs ambitions redoublent ! « Le temps des rois est passé, celui des Grands et des Princes est revenu », clament-ils partout.

Le Conseil du roi redevient Conseil féodal et de famille, champ clos où s’affrontent Guise et Condé. La situation est si embrouillée, le Trésor public si vide qu’il faut convoquer les États généraux, le 27 octobre 1614. C’est la dernière fois avant ceux de 1789, prélude à la Révolution.

« Mon Dieu, que vous êtes grandi ! »678

Marie DE MÉDICIS (1573-1642), à Louis XIII, rappelée d’exil, 5 septembre 1619. L’Ancienne France : Henri IV et Louis XIII (1886), Paul Lacroix (dit Sébastien Jacob)

Terme provisoire à la première « guerre de la mère et du fils » : la reine mère reconnaît d’une certaine manière que le roi est bien Roi. Le 22 février, elle s’est échappée de sa prison au château de Blois de manière rocambolesque, pour prendre la tête d’un soulèvement contre son fils. Le traité d’Angoulême, négocié par Richelieu, apaise le conflit. Mais quelques mois plus tard, la mère repart en guerre contre le fils, en ralliant les Grands du royaume.

Le roi n’aime pas sa mère et il a quelques raisons, mais il est assez intelligent pour comprendre que, tenue de force éloignée de la cour, elle ne cessera de comploter contre lui. Cette réconciliation est négociée par le très habile Richelieu qui se rapproche ainsi du pouvoir. Après la mort de Luynes (favori du roi et hostile à tout nouvel ambitieux), la reine mère le fera nommer cardinal et entrer au Conseil du roi en 1624, espérant avoir un allié en la place – avant de se retourner contre lui.

« C’est le plus grand serviteur que jamais la France ait eu. »706

LOUIS XIII (1601-1643), défendant le cardinal contre sa mère Marie de Médicis suite à la journée des Dupes, 11 novembre 1630. Richelieu et le roi Louis XIII (1934), Louis Batiffol

Marie de Médicis a tenté de perdre Richelieu. Elle l’avait introduit auprès du roi, espérant son soutien au parti dévot et à l’Espagne catholique. Mais il s’allie aux protestants allemands pour contrer la puissante maison des Habsbourg qui règne en Autriche et en Espagne. Avec la reine Anne d’Autriche, elle a profité d’une grave maladie du roi (tuberculeux et de santé fragile) pour l’éloigner de son ministre et obtenir sa future disgrâce, en septembre 1630, à Lyon.

Le 10 novembre, en son palais du Luxembourg, elle presse son fils de tenir parole. Trompant la vigilance des huissiers, Richelieu entre par une porte dérobée. Elle l’accable de sa colère. Le roi se retire sans un mot. La cour croit à une arrestation imminente, les courtisans s’empressent autour de la reine mère. « C’est la journée des Dupes » – le mot de Bautru, conseiller d’État et protégé du cardinal, fait le tour de Paris. Le lendemain, le roi est à Versailles. Richelieu, convoqué, se croit perdu et se jette à ses genoux. Louis XIII le relève, le prie de rester, exile Marie de Médicis à Compiègne.

C’est la déroute du parti dévot. Richelieu a gagné.

« Comme les femmes n’ont pas de voix en l’Église, je suis de l’opinion des anciens et modernes qui croient qu’elles n’en doivent point avoir en l’État. »707

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642). Vie de Louis XIII (1936), Louis Vaunois

Triste épilogue pour l’ex-reine déchue qui parcourt l’Europe pour finir dans le ridicule… et le dénuement. Exilée, réfugiée dans une maison prêtée par son ami Rubens à Cologne, la « Grosse banquière » meurt ruinée (mais toujours grosse d’après son dernier portrait). À son crédit pourtant, une politique de mécénat artistique héritée des Médicis – d’où l’amitié de Rubens, peintre fécond et diplomate actif en Europe.

Anne d’Autriche (1601-1666), femme de Louis XIII, mère de Louis XIV et régente sous la Fronde, contestée des Parisiens, mais finalement aimée des Français.

« Mon prix n’est pas dans ma couronne. »16

Devise d’Anne d’Autriche. Dictionnaire Larousse au mot « couronne »

La reine fit son possible pour en être digne au fil des épreuves, après une entrée dans l’Histoire et une première cérémonie de mariage impressionnante.

« Certes c’est à l’Espagne à produire des Reines
Comme c’est à la France à produire des Rois. »669

François de MALHERBE (1555-1628), Sur le mariage du Roi et de la Reine (1615)

Le poète officiel salue le mariage espagnol : Louis XIII épouse à Bordeaux Anne d’Autriche - fille de Philippe III d’Espagne et de l’archiduchesse Marguerite d’Autriche.

« Quelles fiançailles ! Celles du père et de la mère de Louis XIV. Ces fiançailles, ce mariage ont eu sur notre pays et même sur les autres nations une influence si profonde que rien de ce qui s’y rapporte ne saurait être d’un médiocre intérêt. Intérêt historique, intérêt de curiosité pour les amateurs de contraste et de pittoresque. Pendant près de deux mois, la gravité, la réserve, la hauteur castillane sont en contact avec la vanité, l’exubérance, la courtoisie raffinée des Français. En contact et en lutte ; le patriotisme, plus encore que le goût du faste, explique et justifie la pompe et la magnificence déployées par l’ambassade extraordinaire de France et par la cour d’Espagne pendant ces solennités. » Duc de La Force, Essai sur les fiançailles historiques de Louis XIII et d’Anne d’Autriche, mars 1923, cité dans la Revue des Deux Mondes, mai 2017.

Comme tous les mariages royaux, il obéit à la raison d’État : arrangé pour faire alliance avec la très catholique Espagne dans le cadre de la politique antiprotestante chère à la reine mère (Marie de Médicis) et au parti dévot. Mais la nuit de noces, devant témoins suivant la coutume, se passe mal. Les deux adolescents ont à peine 14 ans et la répulsion de Louis pour l’infante Anne entraînera une longue inhibition.

« En 1619, on avait à grand bruit imprimé dans Le Mercure, pour la joie de la France, que le roi commençait enfin à faire l’amour à la reine. »676

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-septième siècle, Henri IV et Richelieu (1857)

Le peuple se passionne pour les secrets d’alcôves royales. « Pendant trois ans, son mari avait oublié qu’elle existât. » Il faudra encore vingt ans pour que naisse un enfant… et Louis XIII n’est peut-être pas le père de Louis XIV.

Le roi ne négligeait pas sa femme pour s’occuper de ses maîtresses, étant par nature, en cela comme en presque tout, bien différent de son père (Henri IV) et de son fils (Louis XIV) : « À Dieu ne plaise que l’adultère entre jamais en ma maison ! » dit-il un jour. Même s’il préfère le commerce de ses favoris à celui des femmes, son homosexualité n’est pas certaine, non plus que son impuissance.

« Je réponds de la vertu de la reine de la ceinture aux pieds. Je n’en dirai pas autant du reste. »695

Princesse de CONTI (1574-1631). Mazarin (1972), Paul Guth

Anne d’Autriche, peu heureuse en ménage, est compromise à son corps défendant par la folle passion du duc de Buckingham, ministre et favori du roi d’Angleterre Charles Ier. Une lettre de la reine à Buckingham confirme : « Si une honnête femme avait pu aimer un autre homme que son mari, vous auriez été le seul qui aurait pu me plaire. »

« Nous avons un Dauphin,
Le bonheur de la France,
Rions, buvons sans fin
À l’heureuse naissance. »725

SAINT-AMANT (1594-1661), La Naissance de Louis XIV (1638), chanson. Des chansons populaires chez les anciens et chez les Français (1867), Charles Nisard

La naissance d’un enfant royal est toujours une occasion de fêtes pour le peuple. Quand c’est un fils attendu depuis plus de vingt ans, l’événement est salué par une explosion de joie, ce 5 septembre 1638 : « Ce n’était rien que jeux, feux et lanternes / On couchait dans les tavernes […] On fit un si grand feu / Qu’on eut en grande peine / À sauver la Samaritaine / Et d’empêcher de brûler la Seine. » Toujours chantant, le peuple prédit : « Lorsque ce Dieu-Donné / Aura pris sa croissance / Il sera couronné / Le plus grand roi de France. / L’Espagne, l’empereur et l’Italie, / Le Croate et le roi d’Hongrie / En mourront de peur et d’envie. »

« Ici rien pour la nature. Dieudonné est le fils de la raison d’État. »726

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome XIV (1877)

L’historien remet l’événement en perspective. La très longue stérilité du mariage de Louis XIII et Anne d’Autriche faisait craindre pour la succession. « L’enfant apparut au moment où la mère se croyait perdue si elle n’était enceinte. Il vint exprès pour la sauver. »

« La régente espagnole ouvre son règne de quinze ans par un chemin de fleurs. Elle est femme et elle a souffert. Les cœurs sont attendris d’avance. Elle est faible. Chacun espère en profiter. »760

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-septième siècle, Richelieu et la Fronde (1858)

La mort de Richelieu en 1642, suivie six mois après par celle de Louis XIII en 1643, change la donne. Nommée régente de France le 18 mai 1643, Anne d’Autriche choisit pour Premier ministre un fin connaisseur des puissances européennes, le cardinal Mazarin.

Ce choix stratégique sera gagnant pour la France en proie à la guerres civile (révolte du Parlement, Fronde). En 1651, quand Louis XIV (13 ans) devient officiellement roi, Anne est une femme respectée et aimée partout dans le royaume. Elle bénéficie de ce qu’on appelle aujourd’hui un état de grâce : « Ce peuple singulier, qui parle tant de loi salique, est tout heureux de tomber en quenouille. Sans qu’on sache pourquoi ni comment, cette étrangère est adorée. » (Michelet) Elle a quand même vécu des moments difficiles et des attaques injustes, voire sexistes !

« Je voudrais bien étrangler
Notre pute de Reine !
Ô gué, notre pute de Reine. »761

Mazarin, ce bougeron, mazarinade. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

L’attaque directe contre la vie privée est une constante à l’époque : la règle de cet art pamphlétaire et chansonnier est de ne rien respecter, les reines pas plus que les rois n’ayant de « vie privée », au sens moderne du mot.

« Je plains le sort de la Reine ; / Son rang la contraint en tout ;
La pauvre femme ose à peine / Remuer quand on la f… »762

Le Frondeur compatissant, mazarinade. Nouveau siècle de Louis XIV, ou poésies-anecdotes du règne et de la cour, F. Buisson

On soupçonne les relations d’Anne d’Autriche avec « Mazarin ce bougeron ». Michelet rapporte dans son Histoire de France : « Mazarin commença dès lors l’éducation de la reine, enfermé toutes les soirées avec elle pour lui apprendre les affaires. La cour, la ville ne jasaient d’autre chose. » On jasa beaucoup, on supposa tout, y compris un mariage secret. Anne d’Autriche nia toujours, assurant même que Mazarin « n’aimait pas les femmes ». Mais elle laissa gouverner le cardinal, mieux qu’elle n’avait jadis laissé régner Louis XIII.

« La reine avait plus d’aigreur que de hauteur, plus de hauteur que de grandeur, plus de manière que de fond, […] plus de dureté que de fierté, plus de mémoire des injures que des bienfaits, plus d’intention de piété que de piété, plus d’opiniâtreté que de fermeté et plus d’incapacité que de tout ce que dessus. »763

Cardinal de RETZ (1613-1679), Mémoires (1671-1675)

Frondeur dans l’âme et dans les faits, l’auteur de ce portrait à charge s’oppose à la régente qui doit affronter la Fronde, cinq ans de guerre civile (1648-1653) visant surtout Mazarin, le plus impopulaire des Premiers ministres.

« Il y a de la révolte à s’imaginer que l’on se puisse révolter ; voilà les contes ridicules de ceux qui la veulent. L’autorité du roi y donnera bon ordre. »770

ANNE D’AUTRICHE (1601-1666). Mémoires du cardinal de Retz (posthume, 1717)

La régente du royaume fait preuve de fermeté plus que de lucidité. Le 13 mai 1648, à l’initiative du Parlement de Paris, un arrêt d’Union est pris par toutes les cours souveraines (Parlements, Grand Conseil, Chambre des comptes, Cour des aides) : leurs représentants vont travailler en commun à la réforme des abus de l’État. Une révolution ne commence pas autrement. Mais le pire sera évité, après cinq années de révoltes successives, du peuple, des princes, des Parlements. À plusieurs reprises, la famille royale doit quitter Paris et Mazarin, menacé de mort, devra même s’exiler en Allemagne, Anne d’Autriche tenant tant bien que mal les rênes du pouvoir. Le jeune Louis XIV restera marqué à vie par ces cinq années de Fronde. Et le peuple sera finalement reconnaissant à la « Reine Régente ».

« Or, sus, bourgeois, ne soyez plus en peine, / Cessez vos pleurs, vos cris,
Le Roi, Monsieur, et la Reine Régente / Reviennent à Paris,
Ha ! qu’ils ont fait une belle bévue ! / Elle est revenue, Dame Anne, elle est revenue. »782

L’Enlèvement du Roi (1649), chanson. Recueil de plusieurs pièces curieuses contre le cardinal de Mazarin (1649)

Rien moins que 28 couplets pour fêter le retour triomphal à Paris du petit Louis XIV (11 ans), mais aussi de son frère Philippe et de leur mère Anne d’Autriche, le 18 août 1649.

5 septembre 1651, Louis XIV atteint la majorité fixée à treize ans. Deux jours plus tard, devant le Parlement, Anne d’Autriche transmet officiellement les pouvoirs régaliens à son fils qui lui répond : « Madame, je vous remercie du soin qu’il vous a plu de prendre de mon éducation et de l’administration de mon royaume. Je vous prie de continuer à me donner vos bons avis, et je désire qu’après moi vous soyez le chef de mon Conseil. » Anne continuera à siéger auprès du roi, jusqu’à la mort de Mazarin en 1661.

En 1666, un cancer du sein emporte la reine-mère après une longue agonie. Louis XIV, bouleversé, s’évanouit à cette nouvelle. Un conseiller tente de le réconforter : « Ce fut une grande Reine ! — Non monsieur, plus qu’une grande Reine, elle fut un grand Roi. » Le peuple la pleura.

« Elle sut mépriser les caprices du sort,
Regarder sans horreur les horreurs de la mort,
Affermir un grand trône et le quitter sans peine ;
Et pour tout dire enfin, vivre et mourir en reine. »

Madeleine de SCUDÉRY (1607-1701), citée dans la Revue des Deux-Mondes, mai 2017

Anne d’Autriche fut au final l’une des reines les plus appréciées de ses contemporains qui admiraient son humilité, sa sagesse et sa force d’esprit.

Cardinal de Mazarin (1602-1661), né Giulio Raimondo Mazzarino ou Mazarini dans le Royaume de Naples, succédant à Richelieu comme principal ministre d’État en 1643.

« En tout cas, pour ma consolation, il me reste de savoir qu’au galant homme tout pays est patrie. »724

MAZARIN (1602-1661), Lettre à de Montagu, septembre 1637, Londres. Mazarin et ses amis (1968), Georges Dethan

Diplomate au service du pape Urbain VIII, il rencontre au cours d’une mission en France Richelieu qui le remarque (1630). Nonce à Paris en 1635-1636, il est de nouveau apprécié de Richelieu qui le fait nommer cardinal - alors qu’il n’a jamais été ordonné prêtre. Devenu son principal collaborateur, il prend la place du père Joseph à sa mort, en 1638. Et celle de Richelieu quand il mourra en 1642, entrant au Conseil du roi, le 5 décembre.

« Savez-vous bien la différence
Qu’il y a entre son Éminence
Et feu Monsieur le Cardinal ?
La réponse en est toute prête :
L’un conduisait son animal,
Et l’autre monte sur sa bête. »765

César BLOT (1610-1655), mazarinade. Mazarin (1972), Paul Guth

Un des 6 500 pamphlets contre Mazarin, exceptionnellement signé.

L’Éminence (Mazarin) succède en mai 1643 au Cardinal (Richelieu). L’« animal » est Louis XIII et la « bête », Anne d’Autriche par ailleurs qualifiée de « pute de reine ». En termes peu galants, cela signifie que la pratique du ministériat est reconduite sous la régence, avec l’ancien collaborateur de Richelieu comme principal ministre : Mazarin déjà impopulaire, déjà menacé.

La Cabale des Importants, faction regroupant les Grands, victimes de la politique de Richelieu et voulant leur revanche, ourdit un complot (27 mai 1643). À sa tête, la duchesse de Chevreuse et le duc de Beaufort, petit-fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, proche du peuple et surnommé le « roi des Halles ». Ils veulent éliminer « le Mazarin », dépouiller la Maison de Condé (comblée de biens et privilèges par Richelieu), signer la paix avec l’Espagne et l’Autriche. Mazarin apprend la conspiration : Beaufort est embastillé, la duchesse et les autres conjurés, exilés. C’est une répétition générale de la Fronde où les mêmes acteurs se retrouveront, cinq ans après.

En attendant, Mazarin gouverne. Mais la guerre avec l’Espagne complique les problèmes politiques.

« L’autorité du Roi, c’est le repos de l’État. »754

MAZARIN (1602-1661). Encyclopædia Universalis, article « Jules Mazarin, l’homme d’État »

Mazarin pense et parle comme Richelieu. Il reflète aussi l’opinion universellement admise à l’époque. Les désordres de la Fronde et ses désastreuses conséquences lui donnent a contrario raison.

Le jeune roi dont Mazarin fait l’éducation politique en l’initiant aux affaires va se révéler l’élève surdoué de ce maître en politique. Mazarin dit encore – autre leçon de l’histoire de France et de la Fronde : « Une souveraineté pleine et entière peut seule faire prévaloir l’intérêt général et juguler les féodalités renaissantes. L’obéissance au roi est gage de la paix publique. » Paradoxe de l’Histoire, il va défendre la raison d’État, venant d’un pays où l’État n’existe pas encore.

« Ce que l’intérêt a uni, l’intérêt peut le désunir. »755

MAZARIN (1602-1661). Encyclopædia Universalis, article « Jules Mazarin, l’homme d’État »

Les opposants – nobles, représentants du clergé, parlementaires, tous les acteurs de la Fronde – se jalousent et leurs intérêts divergent. Mazarin le sait. Il négocie donc sans cesse pour diviser ses adversaires, souvent très habilement, mais parfois louvoyant à l’excès. Michelet appréciera en historien : « Mazarin, le rusé […] cette glissante couleuvre ».

« Est-il heureux ? »756

MAZARIN (1602-1661). Mémoires de madame la duchesse d’Orléans, princesse Palatine (1832), Busoni

Mot bien connu du ministre, rapporté en ces termes par la Palatine, mère du régent : « Le cardinal Mazarin ne pouvait souffrir autour de lui des gens malheureux. Quand on lui proposait quelqu’un pour entrer à son service, sa première question était celle-ci : « Est-il heureux ? » Cela signifie en réalité : « La chance est-elle avec lui ? »

Mazarin saura s’entourer des meilleurs collaborateurs au gouvernement, à tel point que Louis XIV, prenant le pouvoir à sa mort, les garde à son service – notamment Colbert, Le Tellier, Lionne. Seul le surintendant des Finances Fouquet est éliminé et condamné pour avoir été « trop heureux » dans ses affaires personnelles.

« Jamais personne n’eut les manières si douces en public, si rudes dans le domestique. »757

Hortense MANCINI (1646-1699), Mémoires

C’est la plus jolie des cinq « Mazarinettes », nièces de Mazarin qui ont quitté leur Rome natale pour suivre l’oncle allant faire carrière en France. La vie amoureuse et mondaine de la duchesse de Mazarin défraie la chronique, mais toute la famille fait parler. Bien que le cardinal ait assuré la fortune des siens, ils ne lui en auront nulle reconnaissance.

« Grand Cardinal, que la fortune
Qui t’élève en un si haut rang,
Ne te fasse oublier ton sang,
Et que tu es de la commune. »7558

Avertissement des enfarinés. La Vieille Fronde, 1648 (1832), Henri Martin

Le peuple déteste cet Italien de petite extraction qui, au terme d’une irrésistible ascension, possède un si grand pouvoir, en quelque sorte volé à la régente, puis au jeune roi devenu majeur. Mazarin accumulera aussi une immense fortune – à sa mort, une partie reviendra à l’État.

« Qu’ils chantent, pourvu qu’ils paient. »759

MAZARIN (1602-1661). Dictionnaire de français Larousse, au mot « payer »

Un impôt de plus, des relations supposées avec la reine, une impopularité grandissante, tout est occasion de mazarinade (pamphlet), mais Mazarin se moque de ces chansons et de ceux qui les chantent. Il bravera toutes les formes d’opposition, gardant et renforçant son pouvoir jusqu’à sa mort.

« Le Roi sera le maître partout, hors dans cette ville-là. »779

MAZARIN (1602-1661), furieux contre l’attitude de Paris et de son Parlement frondeur, fin 1648. La Fronde (1954), Ernst Heinrich Kossmann

Après la journée des Barricades au printemps, Mazarin a passé l’été et l’automne à ruser, la famille royale est revenue à Paris en novembre 1648, mais le Parlement fait encore la loi, prétend contrôler le gouvernement, et la reine en octobre a dû confirmer la suppression des intendants.

Mazarin décide alors d’assiéger Paris et de le réduire par la famine (et la propagande). Il se réfugie au château de Saint-Germain avec la famille royale et ses fidèles, partant subrepticement dans la nuit du 5 au 6 janvier 1549. Condé, à la tête des troupes royales, dispose de 10 000 hommes pour se rendre maître de Paris : opération répressive mal calculée, mal menée, et plus de quatre années de trouble vont s’enchaîner !

« Point de paix, point de Mazarin ! Il faut aller à Saint-Germain quérir notre bon Roi ; il faut jeter dans la rivière tous les mazarins. »781

Cris du peuple de Paris assiégé, début mars 1649. Mémoires du Cardinal de Retz (posthume, 1717)

Des pourparlers de paix s’engagent entre la cour (à Saint-Germain) et le Parlement de Paris. Mais il y a des opposants irréductibles et une part du peuple se soulève, neutralise les échevins et les magistrats fidèles au roi (les « mazarins »), cependant que les Grands deviennent le « piètre état-major d’une révolution incertaine » (Georges Duby). On retrouve le duc de Beaufort (le roi des Halles refaisant le coup de la Cabale des Importants), l’inévitable de Retz (porté par son ambition politique et bientôt perdu par ses propres subtilités), le prince de Conti – « un zéro qui ne multipliait que parce qu’il était prince du sang » selon de Retz – et la belle duchesse de Longueville (frère et sœur du Grand Condé qui se bat dans le camp du roi). Tout ce beau monde se querelle ou s’aime, intrigue, hésite, fanfaronne, enchaîne les volte-face et s’étonne de tant d’audace.

Les nouvelles des révolutionnaires de Cromwell vont terrifier les plus rebelles : ils ont osé exécuter le roi Charles Ier d’Angleterre ! Le président du Parlement de Paris, Molé, signe alors la paix de Rueil, le 11 mars 1649 : au prix de concessions mutuelles, c’est la fin (provisoire) de la Fronde parlementaire.

« Faut sonner le tocsin, din-din
Pour pendre Mazarin. »793

La Chasse donnée à Mazarin, chanson. Bulletin de la Société de l’histoire de France (1835), Renouard éd

« Prendre » est devenu « pendre » ! Le Parlement de Paris qui l’a banni en janvier 1649 met sa tête à prix en décembre 1651 : 50 000 écus, payables par la vente de sa bibliothèque et ses collections (471 tableaux de maître référencés à sa mort). Mazarin, confondant parfois ses affaires et celles de l’État, possède une immense fortune.

Le cardinal a de nouveau pris la fuite avec la reine, et rejoint le jeune roi à Poitiers. Le Parlement envoie des émissaires dans les provinces, tente de les soulever contre Mazarin, mais nul ne bouge. Turenne, à la tête de l’armée royale, bat Condé qui a recruté de son côté une armée espagnole – trahison manifeste.

Condé se réfugie dans Paris (avril 1652), ses partisans y font régner la terreur. La Grande Mademoiselle (fille du Grand Monsieur, Gaston d’Orléans) se lance dans la Fronde à cœur perdu.

« Ce sont des Mazarins, faites-en ce que vous voudrez ! »794

Louis II de Bourbon-Condé, dit le Grand CONDÉ (1621-1686) à ses soldats, 4 juillet 1652. Mémoires de Valentin Conrart (posthume, 1826)

Parlement et bourgeois de Paris sont réticents, mais les partisans de Condé manœuvrent les milieux populaires, exploitent leur haine contre Mazarin et entretiennent un climat de terreur. Le 2 juillet, Turenne bat de nouveau Condé, mais la Grande Mademoiselle le sauve en faisant tirer le canon de la Bastille sur les troupes royales et sur Turenne ! Une anarchie sanglante s’ensuit : le 4 juillet, Condé laisse massacrer les « Mazarins » (magistrats et bourgeois de Paris), tandis que l’incendie dévaste l’Hôtel de Ville et le palais Mazarin. C’est la « journée des Pailles ». Mazarin fuit à Cologne, d’où il va continuer de diriger la France, par lettres à la reine.

« Tel qui disait : « Faut qu’on l’assomme ! »
Dit à présent : « Qu’il est bon homme ! »
Tel qui disait : « Le Mascarin !
Le Mazarin ! Le Nazarin ! »
Avec un ton de révérence
Dit désormais : « Son Éminence ! » »795

Pamphlet pour Mazarin (1652). Histoire de la Bibliothèque Mazarine depuis sa fondation jusqu’à nos jours (1860), Alfred Franklin

Juste retour des choses. La France est à bout de souffle et Paris se lasse de tant d’excès, après la journée des Pailles et le massacre qui s’ensuit. Les bourgeois deviennent hostiles à Condé qui fuit à son tour aux Pays-Bas espagnols – la Belgique actuelle. Les marchands de Paris et les officiers de la garde bourgeoise rappellent le jeune roi qui rentre – définitivement cette fois, et triomphalement ! Le 21 octobre 1652, Louis XIV s’installe au Louvre.

Mazarin, rappelé par le roi et la reine mère, rentre à son tour. L’opinion s’est complètement retournée.

« Louis XIV le reçut comme un père et le peuple comme un maître. »796

VOLTAIRE (1694-1778) évoquant le retour de Mazarin, 3 février 1653. Le Siècle de Louis XIV (1751)

C’est la fin de la Fronde. Le roi, majeur depuis deux ans, va laisser le cardinal gouverner la France jusqu’à sa mort, en 1661. Il va apprendre son royal métier auprès de son Premier ministre et tuteur. Mais la Fronde lui servira de leçon et explique en partie, a contrario, la monarchie absolue. Reste l’éducation royale menée par Mazarin.

« Si une fois vous prenez en main le gouvernail, vous ferez plus en un jour qu’un plus habile que moi en six mois, car c’est d’un autre poids, ce qu’un roi fait de droit fil, que ce que fait un ministre, quelque autorisé qu’il puisse être. »801

MAZARIN (1602-1661), Lettre à Louis XIV, 29 juin 1659. Les Annales conferencia, volume XIX (1925), Université des Annales

Ainsi le conseille-t-il deux ans avant sa mort, tout en continuant de l’initier à son métier de roi. Le conseil sera bien suivi par l’élève !

En attendant, le cardinal qui a tiré les leçons de la Fronde tient fermement le gouvernail : Parlements réduits au silence, interdiction à la noblesse de s’assembler (édit de 1657). En 1659, des assemblées secrètes de nobles se tiennent en certaines provinces. Le roi va sévir en personne dans le Midi. Il y a toujours, entre eux deux, cette étonnante division du travail.

L’un des principaux acquis du « règne » de Mazarin sera la paix avec l’Espagne au traité des Pyrénées, le 7 novembre 1659, dans l’île des Faisans, sur la Bidassoa qui sert de frontière aux deux pays. Mazarin signe pour Louis XIV.

« Sire, je vous dois tout, mais je m’acquitte envers Votre Majesté en lui donnant Colbert. »805

MAZARIN (1602-1661) à Louis XIV, le 9 mars 1661. C’est son « mot de la fin » politique. Le Plutarque français, vie des hommes et femmes illustres de la France (1837), Édouard Mennechet

Premier ministre d’Anne d’Autriche, gardé par Louis XIV à sa majorité, se donnant tout entier à son métier de « principal ministre », il eut la totalité du pouvoir. Il a parallèlement collectionné les charges et acquis une immense fortune – impossible à estimer, car il est difficile de donner la valeur des tableaux de maître de Vinci, Titien, Raphaël, Caravage, des sculptures, des bijoux et médailles, disséminés dans un grand nombre de palais, et des livres rares de la bibliothèque Mazarine, première bibliothèque ouverte au public dès 1643, bâtie dans l’aile gauche du palais de l’Institut, édifiée à ses frais.

C’est sans doute la plus grande fortune privée de tout l’Ancien Régime. Mazarin fut aussi un grand mécène et au moment de mourir, il pense aux chefs-d’œuvre qu’il ne verra plus : « Il faut quitter tout cela » dit-il. L’essentiel est légué au roi qui refuse élégamment, de sorte que Mazarin peut encore en disposer, selon ses dernières volontés.

Il recommande au roi le financier Jean-Baptiste Colbert qui gérait avec succès sa fortune depuis dix ans. Louis XIV le gardera à son service jusqu’à sa mort, durant plus de vingt ans. Il fera de même avec la plupart des collaborateurs tout dévoués dont l’habile Mazarin a su s’entourer.

« Dieu merci, il est crevé. »806

Hortense MANCINI (1646-1699), Mémoires (posthume)

Cri du cœur de la famille (son frère et une de ses sœurs) à la nouvelle de la mort du cardinal Mazarin, leur oncle. La belle et spirituelle mazarinette ajoute : « À vrai dire, je n’en fus guère plus affligée ; et c’est une chose remarquable qu’un homme de ce mérite, après avoir travaillé toute sa vie pour élever et enrichir sa famille, n’en ait reçu que des marques d’aversion, même après sa mort. »

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