« On ne prête qu’aux riches ! »
Bon mot parfois attribué à Voltaire
● Définition d’origine grecque : un apocryphe (ἀπόκρυφος / apókryphos, « caché ») est un écrit dont l’authenticité n’est pas établie. Pour l’Église, les textes sacrés apocryphes n’étaient pas canoniques. Certains Évangiles sont canoniques et d’autres apocryphes… Mais cela n’influe pas sur leur qualité.
● Nombreux synonymes au mot apocryphe : faux, inauthentique, prétendu, supposé… Mais certaines citations « attribuées à tort » ont été réellement dites ou écrites par un autre auteur. Exemple le plus connu, Sully, ami et conseillé d’Henri IV, est souvent la voix de son maître (et de la raison).
● Nombre de citations apocryphes très connues et répétées de siècle en siècle ont un intérêt historique : elles résument une pensée ou une situation. Exemple : « La couronne vaut bien une messe », « L’État, c’est moi », « L’intendance suivra », « L’important, c’est de participer ».
● L’authenticité des sources est fluctuante, dépendant des recherches bibliographiques. Voltaire écrivit plus de 20 000 lettres, ses 18 volumes de Correspondance éditée n’en comptent « que » 10 372 (incluant les lettres reçues). La citation résumant sa pensée « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que pour que vous ayez le droit de le dire » peut appartenir aux lettres perdues. La prophétie attribuée à Malraux sur la spiritualité du XXIe siècle pourra se retrouver un jour dans son œuvre écrite ou parlée (La Légende du siècle, série de neuf téléfilms, 1972).
● On ne prête qu’aux riches - mot parfois attribué à Voltaire. Comme lui, Henri IV, Clemenceau, de Gaulle ont à leur actif nombre de citations avérées à côté des apocryphes. Ajoutons Galilée, Churchill et Einstein, entre autres étrangers invités dans l’Histoire en citations.
● Cet édito traite une trentaine de cas bien connus de la Gaule à nos jours, certains relevant de plusieurs citations, à commencer par les quatre « mots de la fin » de Louis XVI et le fameux « mot de Cambronne » qui est à lui seul toute une petite histoire amusante dans la grande Histoire (Waterloo).
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« Dieu de Clotilde, si tu me donnes la victoire, je me ferai chrétien. »74
clovis (vers 465-511), invoquant le Dieu de sa femme chrétienne, bataille de Tolbiac, 496. Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours
Aux dires des historiens de cette lointaine période, le mot est sans doute légendaire, mais nombre de mots présumés apocryphes ont une valeur symbolique et méritent d’être cités. À commencer par celui-ci, véritablement « référentiel » et « existentiel » quant à l’avenir de la future France !
Clovis s’apprête à repousser les Alamans (futurs Allemands), tribu germanique qui ne cesse de faire des incursions sur la rive gauche du Rhin. L’affrontement des deux armées tourne au massacre et Clovis redoute la défaite. D’où ce mot lancé au Ciel.
Ce premier roi du Moyen Âge semble avoir avec Dieu les mêmes rapports que le dernier, mille ans plus tard : Louis XI, fort superstitieux et en constant marchandage avec la Vierge ou saint Michel archange.
« Courbe la tête, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré. »77
RÉMI (vers 437-vers 533), à Clovis, baptisé le 25 décembre 496. Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours
Très souvent cité, le mot est peut-être apocryphe – Sicambre étant le nom donné à une ethnie des Francs. Il n’en exprime pas moins l’autorité religieuse sur le pouvoir royal, et ce rapport de force moral de l’évêque sur le roi.
Clovis, comme promis après la victoire de Tolbiac, va donc se faire chrétien et 3 000 de ses hommes vont se convertir avec lui : cérémonie aussi spectaculaire qu’originale et sans doute unique dans les annales. Il est baptisé à Reims, comme tous les rois de France à sa suite. Après qu’il a déposé ses armes et sa cuirasse, Rémi, archevêque de la ville, apôtre des Francs et futur saint, procède à la cérémonie.
La religion va désormais marquer l’histoire de France en maints épisodes, et jusqu’au XXe siècle.
« Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens ! »191
Arnaud AMAURY (1135-1225), avant le sac de Béziers, 22 juillet 1209. Dialogi miraculorum (posthume), Césaire d’Heisterbach, savant et religieux allemand du XIIIe siècle
Digne des plus sanglantes guerres de Religion, l’ordre est attribué à Amaury (ou Amalric), abbé de Cîteaux et légat du pape, chargé de ramener les dévoyés à la foi catholique. C’est sans doute une invention de Césaire d’Heisterbach (vers 1180-avant 1250), moine cistercien de l’Allemagne médiévale, parfois appelé le Moine Cesarius. Chroniqueur contemporain de l’événement, il conta la prise miraculeuse de Béziers par les croisés de Simon de Montfort, dans ses Dialogi miraculorum.
Chef spirituel de la croisade contre les Albigeois, et même s’il n’a pas donné l’ordre, Amaury donne le ton dans une lettre au pape Innocent III : « Sans égard pour le sexe et pour l’âge, vingt mille de ces gens furent passés au fil de l’épée. » Catholiques et cathares confondus, et « Dieu reconnaîtra les siens… »
Cette phrase bien connue est triplement apocryphe. D’abord inventée : plusieurs chroniqueurs, présents dans la région de Béziers au moment du sac, ont raconté les faits sans mentionner la phrase, apparue pour la première fois dans la chronique de l’Allemand Césaire de Heisterbach, rédigée entre 1219 et 1223.
Ensuite, l’auteur est modifié quand on attribue la phrase à Simon de Montfort. Césaire d’Heisterbach la place dans la bouche d’Arnaud Amaury, légat du pape pour la croisade des Albigeois. Simon de Montfort n’étant à ce moment qu’un obscur participant de cette croisade, il paraît étonnant que les croisés lui aient demandé son avis.
Enfin, le propos est modifié : les paroles que Césaire prête à Arnaud Amaury sont : « Massacrez-les, car le Seigneur connaît les siens. »
« La Chanson de Roland […] est le plus ancien monument de notre nationalité […] Ce n’est pas seulement la poésie française qu’on voit naître avec ce poème. C’est la France elle-même. »95
Louis PETIT de julleville (1841-1900), l’un des traducteurs de la Chanson de Roland (apocryphe ou anonyme), vers 1065
L’escarmouche entre les Vascons (Basques) et l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne (742-814) va donner naissance deux siècles et demi plus tard - non pas trois siècles et demi plus tard, comme il est souvent écrit - à la première chanson de geste en (vieux) français, poème épique de quelque 4 000 vers, maintes fois traduits et célèbre bien au-delà de la France.
Passage héroïque, celui où le preux Roland refuse de sonner du cor sur le conseil du sage Olivier, préférant se battre et risquer la mort, plutôt que d’alerter Charlemagne et de trouver le déshonneur. « Olivier dit : « Les païens viennent en force, / Et nos Français, il me semble qu’ils sont bien peu. / Roland, mon compagnon, sonnez donc votre cor : / Charles l’entendra et l’armée reviendra. » / Roland répond : « Ce serait une folie ! / En douce France j’en perdrais ma gloire. / Aussitôt, de Durendal, je frapperai de grands coups ; / Sa lame en saignera jusqu’à la garde d’or. / Les païens félons ont eu tort de venir aux cols : / Je vous le jure, tous sont condamnés à mort. » »
Mais Roland va périr avec son compagnon, en même temps que toute l’arrière-garde des Francs. Charlemagne le vengera en battant les païens (Sarrasins) avec l’aide de Dieu. Le traître Gamelon, beau-frère de Charlemagne et beau-père de Roland, qui a organisé le guet-apens par jalousie, sera jugé, condamné à mort et supplicié.
« Ci falt la geste que Turoldus declinet. »
« Ici finit la geste que décline Turoldus. »La Chanson de Roland (dernier vers). Larousse
C’est la plus ancienne chanson de geste française, en 4 002 décasyllabes assonancés, datée de la fin du XIe siècle (vers 1065). Nul texte de ce genre ni de cette importance en langue vernaculaire (locale) ne lui est antérieur. L’auteur est inconnu, mais on a voulu le voir dans le Turoldus qui signe le dernier vers du poème.
Texte fondateur, La Chanson de Roland est d’abord un poème de la croisade : imprégnée des rêves et préjugés des seigneurs allant lutter en Espagne autour de Saragosse, cette chanson de geste devait renforcer l’enthousiasme pour la guerre sainte, chez un public traumatisé par la menace sarrasine. C’est aussi le miroir des conflits et des tensions de la société féodale – entre justice et droit, service du suzerain et exaltation de soi, défense de la foi et fidélité au contrat vassalique –, en même temps qu’une glorification des relations familiales (entre Charlemagne et son neveu Roland), guerrières (entre Roland et Olivier) ou amoureuses (entre Roland et Aude).
Mais la fiction dépasse l’histoire et la sublime : rude, violente et profonde dans l’expression des sentiments, elle confère aux figures héroïques une réalité poétique et fait de ce chef-d’œuvre l’une des expressions du mouvement créateur qui anime le monde médiéval – à l’égal des cathédrales.
Les bases historiques sont minces. En 778, Charlemagne mène une expédition militaire en Espagne, pour aider un chef musulman révolté contre l’émir de Cordoue… Mais l’empereur doit retourner en France pour mater une révolte des Saxons et son arrière-garde, surprise, se fait massacrer par des Basques au passage des Pyrénées… Informations rapportées par Éginhard dans sa Vie de Charlemagne. Sur ce canevas, La Chanson de Roland va broder généreusement : la lutte terrible relatée ne fut sans doute qu’une escarmouche, les Sarrasins effrayants n’étaient peut-être que des brigands de montagne… et il n’est même pas sûr que Charlemagne ait finalement gagné cette bataille !
La genèse littéraire de l’œuvre est difficile à préciser. Pour les partisans d’une thèse traditionaliste, cette chanson serait le fruit d’une longue évolution, l’unification tardive de sources et de traditions diverses. Les individualistes, au contraire, supposent qu’un texte aussi construit et maîtrisé ne peut être que l’œuvre d’un seul. Qui serait-il ? Le manuscrit conclut : « Ici finit la geste que décline Turoldus. » Mais décliner, est-ce recopier, traduire, déclamer, composer ? Quoi qu’il en soit, la Chanson de Roland n’est pas l’effusion spontanée et collective du génie collectif, non plus que la création ex nihilo d’un auteur qui aurait à lui seul inventé la légende. L’histoire littéraire se révèle aussi complexe (et riche) que l’histoire des faits et des idées.
« Clément, juge inique et cruel bourreau, je t’ajourne à comparaître dans quarante jours devant le tribunal du souverain juge. »259
Jacques de MOLAY (vers 1244-1314), sur le bûcher dans l’îlot aux Juifs, île de la Cité à Paris, 19 mars 1314. Histoire de l’Église de France : composée sur les documents originaux et authentiques, tome VI (1856), abbé Guettée
Dernières paroles attribuées au grand maître des Templiers. Quarante jours plus tard, le 20 avril, Clément V meurt d’étouffement, seul dans sa chambre à Avignon, comme aucun pape avant lui, ni après.
Ce « mot de la fin » est l’un des plus célèbres de l’histoire, pour diverses raisons. Mais il y a un autre mot de la fin… Lequel est apocryphe ?
« Pape Clément ! Chevalier Guillaume ! Roi Philippe ! Avant un an, je vous cite à comparaître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ! »
Maurice DRUON (1918-2009), Les Rois maudits (1955-1977)
Cette version de la malédiction est tirée de la saga des Rois maudits signée Maurice Druon (écrivain, historien, homme politique et Académicien français), écrite avec une équipe de collaborateurs pendant plus de vingt ans et basée sur la légende inventée par le chroniqueur italien Paolo Emilio.
La saga servira de base au feuilleton de télévision de Claude Barma (même titre) qui popularise l’affaire des Templiers au XXe siècle.
Revenons au (second) mot de la fin et faisons les comptes ! Guillaume de Nogaret est mort il y a un an et il peut s’agir d’un autre Guillaume. Mais le pape Clément va mourir dans le délai imparti, comme le roi Philippe le Bel, suite à une chute de cheval à la chasse (blessure infectée, ou accident cérébral).
Plus troublant, le nombre de drames qui frapperont la descendance royale en quinze ans, au point d’ébranler la dynastie capétienne : assassinats, scandales, procès, morts subites, désastres militaires. Quant à la treizième génération… la malédiction tombe sur Louis XVI, guillotiné sous la Révolution. C’est dire l’intérêt de ce mot de la fin, apocryphe ou pas.
« La couronne vaut bien une messe. »623
Duc de sully (1560-1641), en 1593. Les Grandes Figures de l’histoire : Henri IV et l’Église (1875), Pierre Féret
Autre version : « Paris vaut bien une messe. »
Le mot est apocryphe : sans doute jamais dit par Henri IV, malgré ce qui est parfois écrit, mais attribué à Sully, dans le recueil satirique (et anonyme) des Caquets de l’accouchée (1623).
Qu’importe, il résume parfaitement la situation de fait et l’état d’esprit du roi. Sully, quant à lui, restera protestant. La religion d’un ministre des Finances n’a pas la même importance que celle du roi de France ! Henri IV fait donc annoncer sa prochaine conversion-abjuration par l’archevêque de Bourges, le 17 mai 1593. C’est bien joué pour la suite de l’Histoire !
« Je veux qu’il n’y ait si pauvre paysan en mon royaume qu’il n’ait tous les dimanches sa poule au pot. »650
henri iv (1553-1610). Histoire du Roy Henry le Grand (1681), Hardouin de Péréfixe
Cet historien (et homme d’Église) lui attribue le mot. Et la poule au pot fait partie de la légende du roi, au même titre que son panache blanc.
Vœu pieux, et sûrement sincère, de la part d’un souverain resté proche de son peuple. Mais malgré les efforts de l’équipe au pouvoir (Sully et Cie), les petits paysans français, écrasés d’impôts, ruinés par d’interminables guerres, exploités par des usuriers, sont souvent dépossédés de leurs parcelles de terre. Quel que soit le redressement économique du pays, et en dépit de mesures de circonstance prises en cas de misère criante par Sully, leur condition ne s’améliore pas vraiment.
Le temps fait défaut à Henri IV, plus encore que la volonté et les moyens. Il sera assassiné le 14 mai 1610, pour entrer dans la légende : le « bon roi » très contesté et menacé de son vivant reste le plus populaire de notre Histoire.
« Eppur si muove ! »
« Et pourtant elle tourne ! »1GALILÉE (1564-1642 ), à son procès en 1633
Le savant pointe alors du doigt le pape qui le condamne à la prison perpétuelle, pour avoir défendu la théorie selon laquelle la Terre tourne autour du Soleil, et non pas l’inverse ! « L’affaire Galilée », sa conclusion, puis le mot prononcé, dit-on, par cet homme brisé, renvoie au martyr de l’intolérance et à la démonstration de la concorde impossible entre la science et l’Écriture sainte.
Faute de témoignage contemporain, cette phrase à son procès devient une citation apocryphe. La première biographie de Galilée, écrite par son disciple Vincenzo Viviani, ne fait pas mention de ces mots. La légende commence à se répandre avec le succès des Querelles littéraires (1761) du chanoine français Augustin Simon Irailh. La fameuse phrase y est retranscrite, d’après l’anthologie The Italian Library (1757) de Giuseppe Baretti, publiée 124 ans après le procès de Galilée.
En marge du débat sur l’authenticité de la citation, la condamnation du savant explique la prudence du philosophe français contemporain Descartes (1596-1650), dans son Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, plus la dioptrique, les météores et la géométrie, qui sont des essais de cette méthode (1637) : événement majeur dépassant le cadre de la littérature pour devenir fait de société, le titre est à lui seul une citation et tout un programme !
La formule lapidaire « Je pense, donc je suis », bien écrite et restée célèbre plus que le titre de l’œuvre source, va déclencher des polémiques qui finiront par la mise à l’Index des œuvres de Descartes, après sa mort. Philosophe, mathématicien et physicien, l’auteur s’était prudemment réfugié dans la proche, protestante et bourgeoise Hollande, pour poursuivre son œuvre. La condamnation de Galilée par le Saint-Office n’était pas si lointaine, avec sa fameuse formule sur la terre, planète du soleil : « Et pourtant, elle tourne ! »
« L’État, c’est moi. »807
LOUIS XIV (1638-1715). L’État baroque : regards sur la pensée politique de la France du premier XVIIe siècle (1985), H. Méchoulan, E. Le Roy Ladurie, A. Robinet.
Mot réputé apocryphe, souvent cité, qui reflète la réalité, et fut bien prononcé avant même le début du règne personnel, selon l’historien Louis Madelin (La Fronde).
Louis XIV vient d’être sacré roi à Reims (1654), mais Mazarin exerce toujours le pouvoir. À sa demande, le roi signe divers édits financiers, pour renflouer le Trésor et poursuivre la guerre contre l’Espagne. Certains magistrats du Parlement de Paris en discutent la légalité. Or, il faut à tout prix éviter une nouvelle fronde parlementaire.
En costume de chasse et toujours à la demande de son ministre, le jeune roi se rend devant le Parlement réuni en lit de justice : « Chacun sait combien ces assemblées ont excité de troubles dans mon État et combien de dangereux effets elles y ont produits. J’ai appris que vous prétendiez encore les continuer sous prétexte de délibérer sur les édits qui ont été lus et publiés en ma présence. » Le président invoque l’intérêt de l’État dans cette affaire et le roi le fait taire, en affirmant : « L’État, c’est moi » (13 avril 1655). Il a 16 ans. Cela promet… et la suite de l’Histoire le prouvera, avec l’importance de la célèbre « raison d’État » (exposée par Richelieu) qui s’impose de gré ou de force.
« Dieu se sert de tous les moyens. »899
Mme de MAINTENON (1635-1719). Histoire de Madame de Maintenon et des principaux événements du règne de Louis XIV (1849), duc Paul de Noailles
Cet historien français (pair de France et ami de Chateaubriand) dont la famille de Noailles hérita de Mme de Maintenon, donne une version un peu différente du mot souvent cité : « Dieu se sert de toutes voies pour ramener à lui les hérétiques. » Le plus court est souvent le mieux, pour l’avenir référentiel d’une citation.
Ainsi et au nom de la foi, l’épouse morganatique du roi se résigne à la brutalité des dragonnades, et notamment les enfants systématiquement enlevés à leurs parents.
Ironie de l’histoire, Mme de Maintenon – née Françoise d’Aubigné – est petite-fille du protestant Agrippa d’Aubigné qui s’est battu toute sa vie pour sa religion et déplorait que l’édit de Nantes, signé par son ami Henri IV, ne fît pas la part assez belle aux réformés !
Un casuiste (cité par Michelet dans son Histoire de France), à propos des dragonnades, aura un autre mot pour faire passer la chose : « Un petit mal pour un grand bien ». Reste la réalité tragique, dénoncée au siècle suivant par Voltaire, avocat de la tolérance religieuse dans son Siècle de Louis XIV : « La plaie de la révocation de l’édit de Nantes saigne encore en France. »
L’édit de Fontainebleau du 18 octobre 1685 (enregistré le 22) révoque l’édit de Nantes (pris par Henri IV en 1598) : pasteurs bannis, écoles protestantes fermées, temples détruits, enfants des « nouveaux convertis » baptisés. Et interdiction de quitter la France sous peine de galères.
« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »1031
VOLTAIRE (1694-1778), citation réputée apocryphe
Phrase sans doute jamais écrite, peut-être dite. L’œuvre immense et protéiforme de cet auteur philosophe est si riche en bons et beaux mots !
Cet infatigable épistolier est crédité d’un nombre considérable de lettres écrites – plus de 20 000 ! Ses 18 volumes de Correspondance éditée n’en comptent « que » 10 372. Dans les quelques 10 000 perdues, il a pu écrire ce mot à ses nombreux correspondants, il a pu aussi le dire, en homme de dialogue éminemment sociable, à l’image de son siècle.
Quoiqu’il en soi, le mot « authentiquement apocryphe » reflète l’homme, sa pensée, sa vie et même son style. D’où la fortune historique et somme toute méritée de cette citation.
« Toujours coucher, toujours grosse, toujours accoucher. »1106
Marie LECZINSKA (1703-1768), en 1737. Les Rois qui ont fait la France, Louis XV le Bien-Aimé (1982), Georges Bordonove
Le mot, souvent cité, est vraisemblablement apocryphe – femme très réservée, princesse bien éduquée, la reine de France n’a pu dire cela. Mais elle a dû le penser. En dix ans de mariage, elle donne dix enfants au roi (dont sept filles). La dernière grossesse est difficile, sa santé s’en ressent, elle doit se refuser à son époux sans lui dire la raison, il s’en offusque et s’éloigne d’elle.
Les maîtresses et favorites de Louis XV défilent alors les unes après les autres à la Cour de Versailles. Après les quatre sœurs de Mailly, jeunes et jolies favorites, la Pompadour et la du Barry seront les plus belles et célèbres (et haïes du peuple).
Cependant que la reine perd toute séduction, se couvre de fichus, châles et mantelets pour lutter contre sa frilosité. Toujours amoureuse, elle sera malheureuse… et l’une des reines les plus ouvertement trompées.
« S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche. »1217
Mot attribué (sans doute à tort) à MARIE-ANTOINETTE (1755-1793) et incontestablement emprunté à Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778). La Grande Peur de 1789 (1932), Georges Lefebvre
Le mot se trouve dans les Confessions (rédigées de 1765 à 1770, édition posthume). Scène plaisante par son souci du détail autobiographique : le narrateur a envie de boire un petit vin blanc d’Artois, mais il n’a jamais pu boire sans manger, il songe à un morceau de pain, mais n’ose pas en demander au maître de maison, ni aller en acheter lui-même, cela ne se fait pas, quand on est un Monsieur trop bien habillé… « Enfin, je me rappelais le pis-aller d’une grande princesse à qui l’on disait que les paysans n’avaient pas de pain et qui répondit : « Qu’ils mangent de la brioche ! » J’achetai de la brioche » (livre VI des Confessions).
Le mot reflète une réalité sociologique : l’ignorance (ou l’insouciance) des privilégiés face à la misère du peuple. Le temps n’est plus aux famines, mais les disettes sont périodiques en cas de mauvaise récolte, surtout aux périodes de soudure. En mai 1775 à Paris, la hausse du prix du pain, denrée vitale, entraîne une vague d’émeutes. C’est la « guerre des Farines », prémices de la Révolution. C’est aussi une révolte contre la libéralisation du commerce des grains, par édit de Turgot (13 septembre 1774). La concurrence devait faire baisser les prix, en vertu du « Laissez faire, laissez passer » cher aux physiocrates. C’est compter sans la spéculation.
« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. »
Benjamin FRANKLIN (1706-1790), citation doublement apocryphe
Cet Américain est venu en France pour défendre la cause des « Insurgents » en mars 1777 : ambassadeur septuagénaire, envoyé du Nouveau Monde, il a convaincu par la simplicité de sa mise et son franc-parler qui contrastent avec les airs de la cour ! Les Parisiens sont séduits. Voltaire et Turgot l’admirent également et le marquis de La Fayette, républicain de cœur, s’engagera pour aller combattre et s’illustrer par sa bravoure militaire lors de la guerre d’Indépendance américaine (1775-1783), d’où son surnom de « héros des deux mondes » et sa popularité.
Le personnage de Benjamin Franklin est lui aussi très attachant, par sa volonté de venir en aide à la communauté. Fils d’un marchand de suif et de chandelles, il a créé les premiers sapeurs-pompiers volontaires à Philadelphie, la première bibliothèque de prêt des États-Unis, inventé le poêle à bois à combustion contrôlée pour améliorer la qualité de vie de ses concitoyens, le paratonnerre pour écarter le danger représenté jusqu’alors par la foudre…
À 42 ans, il quitte le milieu des affaires pour entrer en politique. Il participe à la rédaction de la Déclaration d’indépendance des États-Unis - il est l’un des signataires. Pendant la guerre d’Indépendance (contre l’Angleterre), il négocie en tant que diplomate le traité d’alliance avec les Français, mais aussi le traité de Paris. Délégué de la Convention de Philadelphie, il participe à l’élaboration de la Constitution des États-Unis.
Son ascension sociale, rapportée à travers les nombreuses éditions de son autobiographie, reste un exemple de réussite par le travail et la discipline. Faisant partie des pères fondateurs des États-Unis, son portrait figure sur les billets de 100 dollars américains.
Quant à sa citation… La phrase exacte est : « Ceux qui peuvent renoncer à la liberté essentielle pour acheter un peu de sécurité temporaire, ne méritent ni la liberté ni la sécurité. »… Et rien ne prouve que Benjamin Franklin en soit l’auteur. Elle apparaît dans une lettre qu’il a seulement contribué à rédiger.
« Bienheureux Déficit, tu es devenu le Trésor de la Nation ! »1260
Camille desmoulins (1760-1794), septembre 1788. Citation qui lui est attribuée, sans source, et sans doute apocryphe
C’est un bon résumé de ce qu’il a écrit de manière explicite : « En France, le déficit aura rétabli la liberté. Tout le monde sera devenu citoyen, parce que tout le monde aura été contribuable. Ô bienheureux déficit ! ô mon cher Calonne ! » (La France libre).
Avocat, confrère et ami de Robespierre dont il partage les idées avancées, il ironise à son tour et se réjouit de prévoir le pire. Il n’a pas tort… et finira guillotiné à 34 ans, en même temps que Danton et les dantonistes, le 13 avril 1794.
« Si l’on avait fait davantage confiance à Monsieur de La Fayette, mes parents seraient encore en vie. »1354
Marie-Thérèse de France, devenue duchesse d’ANGOULÊME (1778-1851). Phrase non « sourcée », peut-être apocryphe
Fille aînée de Louis XVI et de Marie-Antoinette, seule survivante des enfants royaux, libérée en 1795 à 17 ans, « Madame Royale » reconnaîtra le rôle joué par le héros le plus populaire de la Révolution à ses débuts. Il fut très discuté par les contemporains comme par les historiens. En tout cas, impossible de croire que La Fayette a mené double jeu et trahi le roi dans cette histoire.
Mais la reine finira par le prendre en haine (après l’échec de la fuite à Varennes en juin 1791) : « Je sais bien que M. de Lafayette nous protège, mais qui nous protégera de M. de La Fayette ? »
« Pitié, ne me faites pas rire ! »
TALLEYRAND (1754-1838), Fête de la Fédération sur le Champ de Mars, 14 juillet 1790
Mot apocryphe, selon Chateaubriand. Mais bien en situation et conforme au personnage de Talleyrand.
Le jour anniversaire de la prise de la Bastille, toutes les provinces sont représentées à Paris par les délégations des gardes nationales, venues de la France entière : c’est la Fête de la Fédération. Une messe est célébrée par l’évêque d’Autun, Talleyrand qui a répété la scène, car il ne célèbre pas souvent, évêque apostat et bientôt défroqué. Heure solennelle, devant 300 000 personnes, alors qu’il murmure à l’abbé Louis (ou à La Fayette, selon les sources) : « Pitié, ne me faites pas rire ! »
Quoi qu’il en soit de ces coulisses et des intentions réelles du roi, le pays peut encore rêver à une monarchie constitutionnelle. Sitôt qu’il paraît et qu’il parle, il semble que le pacte millénaire entre les Français et le Capétien se renoue. Tous ces provinciaux qui voient Louis XVI pour la première fois oublient ce qu’on a pu dire du « tyran ». Le peuple est le plus sincère de tous les participants à ce grand spectacle, criant spontanément : « Vive le roi, vive la reine, vive le dauphin ! » Mais Talleyrand n’est pas dupe…
« Peuple, je meurs innocent ! »1479
LOUIS XVI (1754-1793), à la foule, place de la Révolution à Paris (aujourd’hui place de la Concorde), 21 janvier 1793. Mémoires d’outre-tombe (posthume), François René de Chateaubriand
« Premier mot de la fin » du roi, assurément le plus bref, lancé comme un cri du cœur à la foule qui se presse.
Le roulement de tambours de la garde nationale interrompt la suite de sa proclamation, entendue seulement par le bourreau Sanson et ses aides. Scène maintes fois reproduite en gravures et tableaux, avec le bourreau qui brandit la tête du roi, face au peuple amassé.
« Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que mon sang ne retombe pas sur la France. »1480
LOUIS XVI (1754-1793), à la foule, place de la Révolution à Paris (aujourd’hui place de la Concorde), 21 janvier 1793. Histoire de France depuis les temps les plus reculés (1867), Antonin Roche
Deuxième mot de la fin et autre source. Au moins l’un des deux est assurément apocryphes, mais en situation, conforme au personnage et indispensable au peuple amassé, spectateur de cet événement majeur de la Révolution devenue irréversible.
L’importance de l’événement est telle que l’imagination populaire et historienne se donne libre cours…
« Je souhaite que mon sang puisse cimenter le bonheur des Français. »
« Dieu veuille que ce sang ne retombe pas sur la France. »LOUIS XVI (1754-1793), à la foule, place de la Révolution à Paris, 21 janvier 1793
Autres mots de la fin attribués au roi, toujours dans le même esprit. Cela relève de la « belle mort » pour alimenter la légende. Sur quatre citations, trois sont assurément posthumes !
Reste un fait avéré. Louis XVI, tout au long de sa vie, eut une obsession louable et rare chez un roi : ne pas faire couler le sang des Français.
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »
Antoine LAVOISIER (1743-1794), grand savant, sur la conservation des masses lors du changement d’état de la matière
La citation originale se trouve dans son Traité élémentaire de chimie (1789) : « On voit que, pour arriver à la solution de ces deux questions, il fallait d’abord bien connaître l’analyse et la nature du corps susceptible de fermenter, et les produits de la fermentation ; car rien ne se crée, ni dans les opérations de l’art, ni dans celles de la nature, et l’on peut poser en principe que, dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant et après l’opération ; que la qualité et la quantité des principes est la même, et qu’il n’y a que des changements, des modifications. »
La citation apocryphe est sans nul doute un bon résumé… du résumé original de cette théorie complexe et (sans jeu de mots) révolutionnaire.
« Soldats, songez que du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent. »1671
Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Proclamation supposée, avant la bataille des Pyramides du 21 juillet 1798. Les Français en Égypte (1855), Just-Jean-Étienne Roy.
Cette fois, la proclamation est un « faux » pour servir la légende, mais un faux authentique. Napoléon (devenu empereur) lit cette formule dans Une histoire de Bonaparte (anonyme, publiée en 1803), elle lui plaît et il la fait sienne.
Le Directoire ayant décrété le blocus de l’Angleterre, la nouvelle campagne d’Égypte est une expédition aventureuse, destinée à combattre l’ennemi en Méditerranée pour lui barrer la route des Indes. C’est aussi une manœuvre pour éloigner le trop populaire Bonaparte, tout en utilisant son génie militaire. Cette fois, le Directoire lui donne les moyens : 36 000 vrais soldats, 2 200 officiers d’élite, une flotte de 300 bâtiments, quelques dizaines de savants, ingénieurs, artistes de renom ou jeunes talents. Au total, 54 000 hommes (et quelques femmes).
La flotte française, partie de Toulon en mai, a pris Malte au passage, le 10 juin. Débarquement à Alexandrie, le 1er juillet : la ville tombe aux mains des Français le 2 et le 23, ils entrent dans la capitale, Le Caire.
Cette expédition est un rêve oriental qui se réalise. Le corps expéditionnaire a échappé par miracle à la flotte britannique commandée par Nelson. Pour en finir au plus vite, Bonaparte prend le chemin le plus court, entre Alexandrie et Le Caire : le désert, trois semaines de chaleur qui auraient pu être fatales aux soldats non préparés. Et près des pyramides de Gizeh, la bataille contre les mamelouks est réglée en deux heures !
La suite de l’expédition sera moins brillante. Surprise au mouillage dans la baie d’Aboukir, la flotte est détruite par le vice-amiral Nelson le 1er août – il perd un œil dans la bataille, mais ça ne l’empêche pas de continuer le combat. Il perdra la vie à Trafalgar (1805), et ce sera aussi une victoire contre Napoléon.
En attendant, l’Égypte n’est plus qu’un piège dont le général Bonaparte va se sortir tant bien que mal, transformant cette défaite en victoire, pressé de regagner Paris où son avenir est en jeu, débarquant à Fréjus le 8 octobre 1799, mais laissant son armée, qui se rendra aux Anglais le 31 août 1801.
« Commediante ! Tragediante ! »
« Comédien ! Tragédien ! »1781PIE VII (1742-1823). Servitude et grandeur militaires (1835), Alfred de Vigny
Ces deux mots n’ont peut-être pas été prononcés tels qu’ils sont passés à la postérité, mais ils reflètent ce que Pie VII, pape de caractère, pensait de l’empereur.
Don de la simulation et sens théâtral sont deux qualités reconnues au grand premier rôle que fut Napoléon, sur la scène de l’histoire. Son don de la mise en scène, il en joue en artiste : « Rien n’interrompt aussi bien une scène tragique qu’inviter l’autre à s’asseoir ; lorsqu’il est assis, le tragique devient comique. » Il a d’ailleurs pris des cours avec le plus célèbre sociétaire de la Comédie-Française, son ami Talma. Il sait donner une dimension épique aux défaites comme aux victoires, revues et corrigées par les peintres voués à sa propagande.
Le sommet de l’art reste le sacre, dont Pie VII est témoin, et acteur, condamné au second rôle : Napoléon tint à se couronner lui-même, et le pape n’a béni que la couronne ! Si l’on pouvait qualifier une peinture d’apocryphe, ce serait ce chef d’œuvre signé David et Napoléon, le pape étant réduit au rang de figurant… avec Madame Mère, absente dans réalité (fâchée contre son fils), mais bien présente par la volonté de l’Empereur et la complicité du peintre.
« Un général anglais leur cria : Braves Français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde ! […] Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre. »1944
Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)
Le « mot de Cambronne » est passé à la postérité : anecdote rapportée par Hugo dans son célèbre roman.
Sacha Guitry lui dédia une aimable pièce titrée Le Mot de Cambronne, comédie en un acte et en vers, et un film tourné en un après-midi (!), le 19 novembre 1936, avec les quatre acteurs ayant créé la pièce sur scène à la Madeleine. Les accessoires venaient du théâtre et y sont retournés le soir même.
Comme Guitry l’expose au début de son film, cette œuvre est dédiée à la mémoire d’Edmond Rostand qui lui souffla le sujet de la pièce à l’origine du film. L’argument est simple. Madame Cambronne (Marguerite Moreno), anglaise prénommée Mary, « c’est historique », aimerait savoir ce qu’est ce fameux « mot de Cambronne » qu’elle n’a jamais entendu. Le général Cambronne (Sacha Guitry) refuse obstinément de répéter le célèbre mot – le mot « mot » revenant 48 fois en vedette dans le dialogue sans être jamais dit ! La préfète (Pauline Carton), vieille femme grossière, est la maîtresse du général. Quant à la jeune et charmante servante (Jacqueline Delubac), troisième épouse de Guitry, actrice dans onze films signés du maître, mais aussi timide à la ville qu’à la scène, elle n’a qu’UN mot à dire : il lui échappera quand elle laisse tomber son plateau : « Merde ! » Et le général avoue que tel était le mot, sans l’avoir prononcé.
On ne prête qu’aux riches : Pierre Jacques Étienne, vicomte de Cambronne (1770-1842), fit un beau parcours militaire. Engagé parmi les volontaires de 1792, il participe aux campagnes de la Révolution et de l’Empire. Nommé major général de la garde impériale, il suit Napoléon à l’île d’Elbe, revient avec lui en 1815, est fait comte et pair de France sous les Cent-Jours et s’illustre à Waterloo, dans ce « dernier carré » de la Vieille Garde, qui va résister jusqu’au bout.
Même événement historique et autre mot du même auteur… qui va quand même tout contester !
« La garde meurt et ne se rend pas. »1945
Général CAMBRONNE (1770-1842), paroles gravées sur le socle en granit de sa statue à Nantes (sa ville natale). La Garde meurt et ne se rend pas : histoire d’un mot historique (1907), Henry Houssaye
Ces mots sont bien gravés au pied de sa statue – et non : « La garde meurt mais ne se rend pas » ainsi qu’il est parfois écrit. Il n’est cependant pas sûr que cette phrase ait été prononcée à Waterloo, Cambronne en personne l’a clairement démenti avec cet argument…
« Je n’ai pas pu dire ‘la Garde meurt et ne se rend pas’, puisque je ne suis pas mort et que je me suis rendu. »
Général CAMBRONNE (1770-1842), cité par Pierre Levot, Biographie bretonne (1900)
Le « Merde » est sans doute plus authentique, dans le feu de l’action, même si le général en refusa également la paternité !!
Pas facile d’écrire l’Histoire en citations – ni l’Histoire en général. Dans ce cas de Cambronne (assurément présent à Waterloo et vaincu), avouons que c’est amusant, quelle que soit la tragédie de l’événement : la plus célèbre défaite historique, mère de toutes les batailles, devenue terme générique pour désigner une défaite cuisante et définitive.
Laissons le mot de la fin à un auteur estimé par les plus grands romanciers de son temps, à commencer par Hugo.
« Garde. – La garde meurt et ne se rend pas ! Huit mots pour remplacer cinq lettres. »1946
Gustave FLAUBERT (1821-1880), Dictionnaire des idées reçues (posthume, 1913)
Mais « L’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c’est Cambronne », dit Victor Hugo. Assurant en même temps que « Waterloo n’est point une bataille : c’est le changement de front de l’univers. » Les Misérables (1862).
Dans ce roman en dix volumes, Hugo brosse une vaste fresque historique, sociale, humaine. Et Waterloo demeure à jamais l’un des moments clés de l’histoire de la France.
« L’agriculture manque de bras. »2203
Alphonse Valentin Vaysse de RAINNEVILLE (1833-1894), Rapport au ministre de l’Agriculture. Le Moniteur universel, 21 juillet 1850
Une petite phrase devenue mot célèbre, un peu corrigée. Le rapport débutait par : « Les bras manquent à l’agriculture dans un grand nombre de localités… » Et l’apocryphe vaut mieux que l’original ! Les deux décrivent une situation historique… La France reste un pays essentiellement rural – à l’inverse de l’Angleterre, notre grande rivale au plan économique.
L’activité industrielle progresse pourtant deux fois plus vite que l’activité agricole, dans la décennie 1835-1845. Cela provoque un exode de la main-d’œuvre des campagnes vers les villes où les salaires sont plus élevés, mais le chômage et la misère beaucoup plus difficiles à supporter que dans les campagnes. C’est dans ce prolétariat victime du capitalisme industriel que le socialisme fait des émules. De son côté, la production agricole ne s’est pas suffisamment mécanisée. Il faut donc encore beaucoup de bras à cette agriculture, pour nourrir l’ensemble de la population.
« Qu’est-ce que cela fait d’être mariée à un grand savant ?
— Je ne sais pas, il faudrait demander à mon mari. »Marie CURIE (1867-1934), réponse à un journaliste. Citation non sourcée, vraisemblablement apocryphe
Le couple de savants est célèbre à juste et double titre : en 1903, ils reçoivent le prix Nobel de physique pour la découverte de « la radioactivité spontanée ». Célèbres et modestes, uniquement passionnés par la recherche, cherchant le calme nécessaire et redoutant les conclusions hâtives tirées ici ou là, des faits constatés, fuyant les honneurs et les décorations, le couple tente d’extraire une quantité suffisante de radium pour en déterminer la masse atomique, tentative réussie en 1902. Pierre et Marie partagent le prix Nobel de physique en 1903 avec le Professeur Becquerel.
Ils ont travaillé dans « une baraque en planches au sol bitumé et au toit vitré protégeant incomplètement contre la pluie, dépourvu de tout aménagement. Elle contenait, pour tout matériel, des tables de sapins usés, un poêle de fonte dont le chauffage était très insuffisant, et le tableau noir dont Pierre aimait tant à se servir. Dans ce laboratoire de fortune, nous avons travaillé presque sans aide pendant deux ans. » Marie Curie, lettre de 1923.
Mais le 19 avril 1906, Pierre Curie meurt accidentellement. Ses obsèques ont lieu dans l’intimité familiale. Marie va continuer le combat, mais la « Veuve radieuse » est accusée pour sa relation amoureuse avec un collaborateur de son mari. Toujours animée du même courage, elle élèvera seule ses deux filles, Ève et Irène. Elle recevra le prix Nobel de chimie, doublé unique dans l’histoire. Irène Joliot-Curie recevra comme ses parents le Nobel de chimie en 1935 avec son époux Frédéric Joliot-Curie pour leurs travaux sur la radioactivité artificielle. Sous-secrétaire d’État à la recherche scientifique, ce sera l’une des trois premières femmes faisant partie d’un gouvernement en 1936, sous le Front Populaire.
« La Fayette, nous voici ! »2602
Colonel Charles E. STANTON (1859-1933), Cimetière de Picpus (Paris), 4 juillet 1917. Également attribué au général Pershing (1860-1948). La Fayette, nous voici ! : l’entrée en guerre des États-Unis, avril 1917 (2007), ministère de la Défense
Quel qu’en soit l’auteur, la phrase a bien été prononcée, le jour de la fête nationale des États-Unis (Independence Day), devant la tombe de La Fayette, le héros des deux mondes, général français volontaire dans la guerre d’Indépendance américaine en 1777.
Et la solidarité franco-américaine va de nouveau jouer, dans la défense de la liberté. Dès le 28 juin, la première division américaine débarque à Saint-Nazaire : 14 500 hommes, qui seront 365 000 en décembre.
Intervention décisive en cette année charnière où tous les pays en guerre sont en crise (morale, politique, sociale, militaire). L’union sacrée n’est plus ce qu’elle fut. En France, outre les mutins, 100 000 grévistes protestent en mai-juin 1917 contre les salaires trop bas et les prix trop élevés. Même phénomène en Angleterre, mais le cabinet de guerre formé par Lloyd George est plus fort que les gouvernements Ribot ou Painlevé en France. L’Italie connaît des émeutes en août, et une forte propagande neutraliste, d’où effondrement moral et défaite militaire. L’Allemagne a aussi ses 125 000 grévistes dans les usines de munitions, et ses mutineries de marins. Quant à la Russie, elle vit sa grande révolution, en octobre 1917 : chute du tsar, et armistice signé par les Soviets en décembre.
« Le gouvernement avait le choix entre la guerre et le déshonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la guerre. »
Winston CHURCHILL (1874-1965), mot apocryphe
Comme nombre de célébrités, Churchill qui a eu beaucoup de « bons mots » (souvent cruels et drôles) n’a quand même pas dit tout ce qu’on lui attribue : ces citations sont devenues des aphorismes, reformulées par un biographe zélé. L’Américain Richard Langworth, ami de la fille benjamine de Churchill, Mary, a répertorié ces fausses citations dans le cadre de travaux menés par le Churchill Centre, basé dans l’Illinois.
Cette pique viserait Neville Chamberlain, Premier ministre, au lendemain de la conférence de Munich (1938). Il s’agirait de la réécriture d’une phrase extraite d’une lettre à Lloyd George. Churchill, qui doit son ascension politique à cet ancien Premier ministre, lui écrit juste avant la conférence : « J’ai l’impression que nous allons devoir choisir pendant les prochaines semaines entre la guerre et le déshonneur, et j’ai assez peu de doute sur l’issue de ce choix. » On ne saurait mieux prédire la tragédie de la Seconde Guerre mondiale à venir.
« La croix la plus lourde que j’ai jamais eue à porter est la croix de Lorraine. »
Winston CHURCHILL (1874-1965), mot apocryphe
Dans le même (état d’)esprit, Churchill aurait dit : « La croix la plus lourde que j’ai jamais eue à porter est la croix de Lorraine. » Cette référence à l’influence du général de Gaulle (à l’initiative de ce symbole de la France libre sous l’Occupation) serait un mot du général Edward Spears, représentant en France de Winston Churchill dont il devait exprimer la pensée.
Mais Churchill, malgré ses relations parfois difficiles avec le Général et dans une situation géopolitique aussi complexe que périlleuse, fut un compagnon loyal et le soutint notamment auprès du président Roosevelt, qui se méfiait du « populisme » de ce nouveau général Boulanger.
« Ne me parlez pas de traditions dans la marine. Il n’y a que le rhum, la sodomie et le fouet. »
Winston CHURCHILL (1874-1965), mot apocryphe
Autre forme d’humour. Premier lord de l’amirauté, Winston Churchill ne tenait probablement pas ces propos, même s’il connaissait les expressions grivoises de la marine et ses mœurs présumées.
« Quand j’entends le mot “culture”, je sors mon revolver. »
« Wenn ich “Kultur” höre… entsichere ich meinen Browning »Hermann GOERING (1893-1946), Phrase longtemps attribuée à ce dirigeant de premier plan du parti nazi et du gouvernement du Troisième Reich
Littéralement : « Quand j’entends le mot “culture”, j’ôte le cran de sûreté de mon Browning. »
Quand on parle de nazisme, cette phrase attribuée à Goering surgit aussitôt, même si d’autres dignitaires du IIIe Reich sont parfois cités. Rien que du « beau monde » dans le genre : le patron de la propagande allemande Joseph Goebbels, le théoricien Alfred Rosenberg, le chef des jeunesses hitlériennes Baldur von Schirach…
Mais si Goering et les autres connaissaient la formule et l’ont peut-être utilisée, ils n’en sont pas les auteurs. La phrase est tirée d’une pièce de théâtre jouée en 1933, Schlageter de Hanns Johst. Devenue plaisanterie récurrente en Allemagne, elle fut ensuite prononcée par Baldur von Schirach, chef des Jeunesses hitlériennes, lors d’un discours en 1938. Et reprise en France, mais de manière volontairement caricaturale.
« Mon empire vivra mille ans ! »2769
Adolf HITLER (1889-1945), dont l’empire vivra douze ans (1933-1945). Les 100 personnages du XXe siècle (1999), Frank Jamet
Citation sourcée, mais source pas très sérieuse, avouons-le… et mot sans doute apocryphe.
Cette prophétie du « Reich de mille ans » va au-delà de la propagande nazie, le Führer étant le nouveau messie pour un peuple humilié à la fin de Grande Guerre de 1914-1918 et avide de revanche.
Première visée, la France, l’ennemie mortelle et vaincue : elle subit la domination allemande des deux-tiers de son territoire, dans la zone occupée, avec une zone libre qui le sera de moins en moins, tandis que les trois départements d’Alsace-Lorraine sont annexés, et les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais réunis à la Belgique – elle-même envahie par les chars d’assaut lors de la Blitzkrieg (guerre éclair) et passée sous administration allemande, le 15 septembre 1940.
D’autres pays font les frais de cet impérialisme qui redessine la carte de l’Europe. En vertu du pacte tripartite signé le 27 septembre 1940, donnant à l’Allemagne, à l’Italie et au Japon le droit à l’« espace vital » dont chacun a besoin et par le jeu des empires coloniaux, c’est le monde que les trois dictateurs, Hitler, Mussolini et Hiro-Hito, veulent se partager. Cette guerre, fatalement, devait devenir mondiale. En un quart de siècle, incluant l’instauration de régimes communistes et leur cortège de persécutions, « soixante-dix millions d’Européens, hommes, femmes et enfants, ont été déracinés, déportés et tués », écrira Albert Camus.
« Il ne faut pas désespérer Billancourt. »2907
Jean-Paul SARTRE (1905-1980), « d’après » Nekrassov, créé au Théâtre Antoine, 1955
Cas très particulier de ce mot apocryphe, plus exactement tour de passe-passe du maître-à-penser de l’époque.
Nekrassov est un malentendu : pièce à message, jugée communiste par les anticommunistes, et anticommuniste par les communistes, c’est un échec théâtral. Le mot est aussi un bel exemple de « récupération », ce que Sartre déteste et nomme « le baiser de la mort ». Mais c’est une manipulation, donc la preuve de l’importance du texte. Il a écrit deux répliques : « Il ne faut pas désespérer les pauvres » et « Désespérons Billancourt ». La contraction des deux donne cette fameuse phrase. Qu’il n’aurait jamais dite, même si le mot lui a été prêté, en mai 1968.
Sartre le pense peut-être, le 4 novembre 1956, quand 2 500 chars soviétiques interviennent en Hongrie pour écraser la tentative de libéralisation du régime. Le 9, dans une interview à L’Express, il dénonce « la faillite complète du socialisme en tant que marchandise importée d’URSS » et se tourne vers d’autres communismes, voulant préserver l’élan révolutionnaire de la classe ouvrière en France. « Il ne faut pas désespérer Billancourt. ».
« Si les abeilles venaient à disparaître, l’espèce humaine n’aurait que quatre années à vivre. »2
Albert EINSTEIN (1879-1955), mot attribué à tort à ce grand savant par les écologistes, comme caution
Une fois encore, on ne prête qu’aux riches !
Ce grand savant, physicien et théoricien helvético-américain d’origine allemande, publie sa théorie de la relativité restreinte en 1905 et dix ans après sa théorie de la gravitation, dite relativité générale. Il contribue au développement de la mécanique quantique et de la cosmologie, et reçoit en 1921 le prix Nobel de physique pour son explication de l’effet photoélectrique. Il est connu du grand public comme l’auteur de l’équation E = mc2, qui établit une équivalence entre la masse et l’énergie d’un système.
Sa renommée dépasse le milieu scientifique. Son nom et sa personne sont, dans la culture populaire, directement associés aux notions d’intelligence, de savoir et de génie.
Modeste et pensant que « Chacun doit être respecté dans sa personne et nul ne doit être idolâtré », il ironisait au sujet de sa célébrité et de ses effets : « Cela pourrait bien provenir du désir irréalisable pour beaucoup, de comprendre quelques idées que j’ai trouvées, dans une lutte sans relâche, avec mes faibles forces. » Comment je vois le monde (1934).
Mais pas trace d’abeille dans sa vie et son œuvre, ni même d’écologie. Et pourtant, soixante-dix ans après sa mort, il pourrait ne pas désavouer cette prophétie sur l’avenir de l’humanité. Il défendait le végétarisme, la façon la plus éthique de consommer de la nourriture. Il soutint qu’il était mal de tuer des animaux pour se nourrir et que les gens devraient respecter les animaux comme ils le feraient pour les membres de leur propre famille. Il devint lui-même végétarien à la fin de sa vie, affirmant que cela l’aidait à rester en bonne santé et actif. Il croyait que le végétarisme pouvait aider à réduire les dommages environnementaux causés par la production de viande, ainsi qu’à améliorer le bien-être des animaux. Ses opinions sur le végétarisme étaient si fortes qu’il a même écrit des lettres aux gens pour les encourager à adopter ce régime alimentaire.
« Les États-Unis sont le seul pays à être passé de la barbarie à la décadence sans connaître la civilisation. »
Albert EINSTEIN (1879-1955), mot apocryphe.
Une seule certitude : le thème de la barbarie nazie l’a personnellement touché en tant que juif (pratiquant).
À l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, il apprend que sa maison de Caputh (dans le Land de Brandebourg) a été pillée par les nazis et décide de ne plus revenir en Allemagne. Après un court séjour sur la côte belge, il s’installe aux États-Unis.
Il préface le Livre noir (1944), recueil de témoignages sur l’extermination des juifs en Russie par les nazis pendant la guerre. Il sera toujours un militant des droits civiques et de la lutte contre le racisme aux États-Unis - sans jamais les accuser de barbarie ni de décadence.
« L’astrologie est une science en soi, illuminatrice. J’ai beaucoup appris grâce à elle et je lui dois beaucoup. Les connaissances géophysiques mettent en relief le pouvoir des étoiles et des planètes sur le destin terrestre. À son tour, en un certain sens, l’astrologie le renforce. C’est pourquoi c’est une espèce d’élixir de vie pour l’humanité. »
Albert EINSTEIN (1879-1955), apocryphe et assurément faux
Phrase créée cinq ans après la mort d’Einstein, dans le Huters astrologischer Kalender (1959). Cette paternité posthume est toujours suspecte de telle ou telle récupération ou telle ou telle cause. L’astrologie, pseudo-science et mode lucrative, a des origines très anciennes.
La pratique de l’astrologie apparaît en Mésopotamie au deuxième millénaire avant J.-C. À Babylone, les étoiles et les planètes étaient utilisées pour interpréter les présages des dieux. Les Babyloniens développèrent douze signes astrologiques, plus tard implantés dans le zodiaque occidental. Les Grecs anciens nommèrent les douze signes stellaires associées à des dates spécifiques en fonction de leur alignement sur l’orbite du Soleil : Bélier, Taureau, Gémeaux, Cancer, Lion, Vierge, Balance, Scorpion, Sagittaire, Capricorne, Verseau et Poissons. Et le mot « zodiaque » vient du grec zōdiakos kyklos, qui signifie « cercle des animaux ».
L’astrologie indienne incorpore les croyances et les pratiques hindoues anciennes. L’astrologie chinoise, tirant ses origines de la philosophie taoïste, assigne des signes d’animaux en fonction de l’année de naissance, influençant les pratiques culturelles et les croyances sociétales.
Au Moyen Âge en France, l’astrologie se répand et influence les décisions quotidiennes. Pratiquée par les docteurs, les astronomes et autres professionnels scientifiques, elle joue aussi un rôle crucial dans l’alchimie, précurseur proto-scientifiques de la chimie.
Au XIVe siècle, les astrologues sont présents dans les cours royales et offrent des horoscopes personnels aux monarques. La Renaissance marqua une résurgence de l’intérêt général pour l’astrologie à un niveau personnel et philosophique. Dans le contexte d’une remise en question des croyances chrétiennes et des sciences naturelles, la pratique privée de l’astrologie se développe. D’où la création de cartes et calendriers astrologiques.
L’astrologie et les horoscopes disparaissent avec le siècle des Lumières et la révolution scientifique. Les horoscopes personnels ne font leur réapparition dans l’histoire moderne qu’au début du XXe siècle, avec l’avènement de la rubrique horoscope des journaux.
La citation attribuée à Einstein apparaît en France dans les années 1980, envahit les sites astrologiques, reprise en exergue par l’astrologue Élizabeth Teissier (astrologue de Mitterrand) dans sa thèse de sociologie : c’est un mauvais argument d’autorité, Einstein ayant personnellement une très mauvaise opinion de l’astrologie.
Il l’a exprimée en 1951 dans une introduction écrite pour l’ouvrage de Carola Baumgardt, Johannes Kepler : Life and Letters (1951). Einstein rappelle que Kepler (1571-1680) accepta l’idée que l’expérience seule pouvait décider de la validité d’une théorie mathématique, si belle soit-elle. Il cite alors l’astrologie comme illustration, dans la pensée képlérienne, d’un reste de manière de penser animiste et téléologiquement orientée, omniprésente dans les recherches dites « scientifiques » de l’époque.
La cause est entendue. Il n’en va pas de même pour une des citations apocryphes les plus rependues – et surtout déformée.
« Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas. »2970
André Malraux (1901-1976), La Légende du siècle (1972)
Taper « spirituel » ou « spiritualité » sur un clavier d’ordinateur et le moteur de recherche affiche des millions de résultats en une fraction de seconde. Dans la masse des informations, la phrase de Malraux est mentionnée, avec nombre d’erreurs et de contresens.
Rétablissons la vérité sur la prophétie de cet homme né avec le siècle dernier (1901), qu’il parcourut à la fois en acteur et témoin de l’Histoire, tour à tour romancier, combattant et résistant, compagnon de route et ministre du général de Gaulle. Malraux tenait au mot « spirituel » – et non pas « catholique », « religieux », voire « mystique », qualificatifs trahissant sa pensée. Tadao Takemoto fait précisément allusion à cette spiritualité dans son essai : André Malraux et la Cascade de Nashi (1989). Si cette phrase ne figure dans aucune de ses œuvres publiées, il l’aurait effectivement prononcée dans la série télévisée La Légende du siècle (Claude Santelli et Françoise Verny).
Une fiche Wikipédia, « ébauche » sur les Antimémoires en juillet 2021, confirme cette interprétation avec cette citation : « Le XXIe siècle sera spiritualiste ou ne sera pas. » Fiche disparue en 2024. Le « religieux » a la cote, c’est toujours un contresens.
Reste à savoir de quelle spiritualité il s’agira. Entre le retour du religieux, la vogue des sectes, l’attrait pour la philosophie, la quête de sens et d’éternité, l’aspiration à un ailleurs ou autrement, toutes les voies, individuelles ou collectives, sont possibles comme antidote au matérialisme sous toutes ses formes.
« L’intendance suivra. »2942
Attribué à Charles de GAULLE (1890-1970), qui niera l’avoir dit
Même apocryphe (et non « sourcée »), cette expression militaire souligne que la politique intérieure devait être, dans la vision du général de Gaulle, au service de la politique extérieure. Malgré tout, l’« intendance » (l’économique) est une condition de la grandeur française. Il lui arrivera d’ailleurs de le reconnaître : « C’est l’économie qui me paraît l’emporter sur tout le reste, parce qu’elle est la condition de tout et en particulier la condition du progrès social » (13 décembre 1965).
« Moi ou le chaos. »3026
Charles de GAULLE (1890-1970), résumé lapidaire de la déclaration du 4 novembre 1965. Histoire de la France au XXe siècle : 1958-1974 (1999), Serge Berstein, Pierre Milza
Le président annonce enfin sa candidature aux présidentielles de décembre 1965, disant qu’en cas d’échec « personne ne peut douter que [la république nouvelle] s’écroulera aussitôt et que la France devra subir, cette fois sans recours possible, une confusion de l’État plus désastreuse encore que celle qu’elle connut autrefois ».
On reprochera au fondateur du régime de croire si peu à sa construction qu’elle tienne à ce point à un homme ! L’Express, contre de Gaulle candidat, titre : « De Gaulle à vie ? »
Sûr de son succès, il ne se donne même pas la peine de courtiser la France, dédaignant son temps de parole à la radio et à la télévision, ne croyant pas les deux grands instituts de sondage (IFOP et SOFRES) qui assurent que rien n’est gagné pour lui. Le suspense est à son comble – on doit à de Gaulle ce fait constitutionnel qui a changé la vie politique en France : l’élection du président au suffrage universel. Il l’emportera naturellement (contre François Mitterrand), mais avec 54,5 % des voix au second tour. Le sauveur est désacralisé, le mythe gaulliste n’éveille plus chez les jeunes l’enthousiasme de leurs aînés
« Des chercheurs qui cherchent, on en trouve ; des chercheurs qui trouvent, on en cherche. »
Charles de GAULLE (1890-1970), apocryphe, oui, mais signifiante ou pas ?
Le Nouvel Obs, en date du 18 octobre 2014, a mené une enquête intéressante sur un sujet trop souvent oublié.
Premier constat : au début, la formule n’est pas attribuée à de Gaulle. Un chercheur prétend l’avoir entendue sur Radio France, un autre y discerne l’invention du « journal satirique officiel » (Le Canard enchaîné ?). La formule se diffuse véritablement à partir des années 80, quand le modèle d’une recherche financée par l’État est contesté au profit d’une vision managériale de la recherche. L’idée d’une bureaucratie scientifique payée à chercher sans ne jamais rien trouver s’impose dans les esprits.
De Gaulle n’est associé à cette formule que dans les années 1990. L’une des premières attestations se trouve dans un roman, mise à la première personne : « Des chercheurs qui cherchent, j’en trouve ; mais des chercheurs qui trouvent, j’en cherche. » Il y a un lieu et une organisation visée : le CNRS. Le site « Slate » se fait l’écho involontaire de ce discours imaginaire : « On se souvient de la mémorable boutade attribuée au général de Gaulle à propos du CNRS en 1965 : “ Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Des chercheurs qui trouvent, on en cherche.” La formule est aussi bien tournée que méchante. »
Reste une évidence : le projet gaullien est aux antipodes de cette saillie ! La Cinquième République une fois installée, le Général s’engage dans une politique de recherche ambitieuse. Le premier septennat est considéré comme un âge d’or de la recherche française. De 1958 à 1960, le budget du CNRS augmente de 75% ; de 1958 à 1962, les effectifs de chercheurs passent de 3 000 à 3 800. Les discours du général confirment cette politique. Le 14 février 1959, il inaugure l’Institut d’optique électronique à Toulouse : « L’État qui a le devoir d’entretenir dans la nation un climat favorable à la recherche et à l’enseignement ; l’État qui, malgré le flot des besoins et le flot des dépenses, a la fonction de doter les laboratoires et de pourvoir l’enseignement ; l’État, enfin, qui doit orienter l’ensemble, tout en laissant à chacun des chercheurs sa direction et son autonomie. C’est à l’État qu’il appartient de déterminer dans le domaine de la recherche, ce qui est le plus utile à l’intérêt public et d’affecter à ces objectifs-là ce dont il dispose en fait de moyens et en fait d’hommes. »
MAIS… une citation apocryphe a souvent un fond de vérité. En 1968, ébranlé par les événements de mai, le Général se méfie désormais de la recherche dans l’enseignement supérieur. Il critique la loi Faure qui renforce l’autonomie des universités et établit que « tout enseignant, tout chercheur bénéficie, après un certain délai, de la sécurité d’un emploi dans l’établissement où il exerce ses fonctions… Autrement dit, il pourra rester chercheur même s’il ne trouve rien et surtout à partir du moment où il ne sera plus d’âge à rien trouver. »
De Gaulle ne fait pas allusion à une vérité générale (des chercheurs qui ne trouvent rien), mais à une dérive possible d’un projet de loi en particulier : que certains chercheurs puissent être payés sans aucune contrepartie. Il s’inquiète d’un déficit d’évaluation… qui n’a plus cours aujourd’hui : à l’ère du financement généralisé par projet et de l’impératif du taux de citation, nous nous situons plutôt dans l’excès inverse !!
Pour conclure sur ce sujet capital pour l’avenir de la France (et aujourd’hui sous-traité), la citation apocryphe de De Gaulle résulte probablement d’une confusion inconsciente. Une boutade mal sourcée se mêle aux réminiscences des débats sur la loi Faure et s’amplifie dans un contexte où la recherche est fortement incitée à se privatiser. Les tensions sociales et idéologiques priment sur l’exactitude des mots.
« Taisez-vous, Elkabbach ! »3185
Georges Marchais (1920-1997), Premier secrétaire du PC, mars 1978
Petite phrase célèbre, des témoins assurent l’avoir entendue, mais aucune source n’en garde la trace, même pas l’INA dans ses archives pléthoriques ! Le journaliste apostrophé avoue lui-même ne pas se la rappeler !
De 1977 à 1981, Jean-Pierre Elkabbach anime différentes émissions, dont « Cartes sur table » avec Alain Duhamel. Marchais est souvent invité. Un bon client, pour qui les journalistes sont les alliés du Capital, voire les complices. Ils veulent l’empêcher de parler – parler signifiant pour lui lire un texte préparé à l’avance, lancé face à la caméra, pour mieux convaincre le public, friand du numéro. Mais le discours répétitif relève un peu trop de la langue de bois. Elkabbach ou Duhamel tentent donc de l’interrompre.
Le 19 mars, on a enregistré : « Écoutez Elkabbach ! … Si vous pensez que ma place n’est pas souhaitable’, puisque la droite elle a gagné, moi j’laiss’ la place à la droite ! … C’est extrêmement désagréab’ de discuter avec vous ! Les syndicats ont raison de dire qu’sur Antenne 2 l’information a du mal à s’exprimer ! »
Et le 23 mars, un Marchais tout aussi remonté : « Vous permettez… Vous ne m’empêcherez pas… Attendez, ne répondez pas à ma place… Maintenant je veux parler… » Finalement, ça pète avec Duhamel : « Non, vous ne m’aurez pas ! » Et il lit son texte.
Pour en revenir au « Taisez-vous, Elkabbach ! », l’interpellé l’attribue finalement à l’humoriste Pierre Douglas, populaire par son imitation de Marchais. En tout cas, cette citation apocryphe reflète parfaitement la réalité.
« L’important c’est de participer. »4
Pierre de COUBERTIN (1863-1937), mot apocryphe
C’est un bon résumé de sa pensée, exprimée d’abord dans un discours.
Le Baron prononce ces mots au terme d’un dîner offert par le gouvernement britannique, le 24 juillet 1908 à Londres, au moment des Jeux Olympiques. Pierre de Coubertin s’y exprime ainsi : « Dimanche dernier, lors de la cérémonie organisée à la Cathédrale Saint-Paul en l’honneur des athlètes, l’évêque de Pennsylvanie [en fait un archevêque], l’a rappelé en termes heureux, « l’important dans ces olympiades, c’est moins d’y gagner que d’y prendre part ».
Spécialiste de Pierre de Coubertin, Jean Durry a publié en mai 2023 un livre consacré au Baron : Coubertin autographe. 1889–1915. « 98% des fois, on vous dit, « L’important, c’est de participer », or cette phrase elle n’est pas du Baron Pierre de Coubertin ! »
La phrase n’est pas de lui, mais il la paraphrase d’une manière magnifique : « Retenons messieurs cette forte parole, l’important dans la vie ce n’est point le triomphe, mais le combat, ce n’est pas d’avoir vaincu, mais de s’être bien battu ». En bref ! « L’important, c’est de participer. »
« Citius, Altius, Fortius. Communiter. »
« Plus vite, plus haut, plus fort. Ensemble. »Mot apocryphe né en 2024, à l’occasion des JO de Paris
La devise Citius, Altius, Fortius (« Plus vite, plus haut, plus fort ») est souvent attribuée au baron de Coubertin smais sa parternité revient à Henri Didon, prêtre dominicain.
En 2024, elle s’enrichit du mot : Communiter (« ensemble ») pour les Jeux Paralympiques, réussite exceptionnelle dans l’ensemble de cette manifestation exceptionnellement réussie, parenthèse enchantée dans une année politiquement navrante et ratée.
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