La Guerre, histoire en citations d’une tragédie séculaire et quotidienne (Siècle de Louis XIV et Siècle des Lumières) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

« La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. »

Carl von CLAUSEWITZ (1780-1831), général prussien, stratège et théoricien, De la Guerre (1832)

« Il y a des guerres justes. Il n’y a pas d’armée juste. »

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

Les hommes se font la guerre depuis la préhistoire et les guerres antiques sont aussi historiques que légendaires.

L’histoire de la France à venir commence avec la guerre des Gaules et l’occupation du territoire par les Romains. Après les guerres féodales du Moyen Âge et la guerre de Cent Ans, la Renaissance lance les guerres de conquête en Italie, suivies des guerres (civiles) de Religion : le XVIe siècle totalise 85 années de guerre ! La Fronde est une vraie guerre civile de cinq ans. La monarchie absolue de Louis XIV multiplie les guerres de conquête. Le siècle des Lumières est le moins guerrier, mais la Révolution déclare la guerre à toutes les monarchies européennes et Napoléon enchaîne, multipliant les guerres de conquête jusqu’en Russie. Au XIXe, la guerre franco-prussienne met fin au Second Empire. La IIIe République sort victorieuse de la Première guerre mondiale, définit les lois de la guerre… et s’écroule sous la Seconde, finalement gagnée par de Gaulle et les Alliés. La IVe République gère l’après-guerre, survit à la guerre d’Indochine, mais tombe avec la guerre d’Algérie. La Ve République du général de Gaulle donne l’indépendance à l’Algérie, met fin à la guerre civile et dote la France de l’arme atomique. La Guerre froide et les tensions géopolitiques entre blocs cessent après la chute du mur de Berlin, l’Union européenne reçoit le prix Nobel de la paix… Mais la guerre redevient sujet d’actualité !

24 février 2022 : guerre d’Ukraine, conflit post-soviétique avec la Russie de Poutine.
7 octobre 2023, guerre Israël-Gaza après l’attaque du Hamas, dans le cadre du conflit israélo-palestinien. C’est aussi le retour des guerres à l’ancienne : après la guerre moderne des combats à distance, « guerre propre » avec SCUDS et ripostes ciblées (guerre du Golfe en 1990-1991), on retrouve le siège destiné à affamer les populations à Gaza, les tranchées occupées par l’envahisseur en Ukraine, les combats au corps à corps et l’infanterie, essentielle à la progression des forces sur le terrain.

SIÈCLE DE LOUIS XIV (1643-1715)

« Nos guerres civiles, sous Charles VI, avaient été cruelles, celles de la Ligue furent abominables, celle de la Fronde fut ridicule. »747

VOLTAIRE (1694-1778), Lettres philosophiques (1734)

Les attendus de ce jugement datés du siècle suivant sont très circonstanciés : « Pour la dernière guerre de Paris, elle ne mérite que des sifflets ; le cardinal de Retz, avec beaucoup d’esprit et de courage mal employés, rebelle sans aucun sujet, factieux sans dessein, chef de parti sans armée, cabalait pour cabaler et semblait faire la guerre civile pour son plaisir. Le Parlement ne savait ni ce qu’il voulait, ni ce qu’il ne voulait pas ; il levait des troupes par arrêt, il les cassait ; il menaçait, il demandait pardon ; il mettait à prix la tête du cardinal Mazarin et ensuite venait le complimenter en cérémonie. »

« Ils font comme leurs enfants, ils jouent « à la fronde ». »745

Louis MADELIN (1871-1956), La Fronde

L’historien cite le mot à la mode : « Lorsqu’en 1649 on verra la population de Paris tenir en échec le gouvernement royal et le mettre en fuite sans d’ailleurs penser à le mettre bas, on dira : Ils font comme leurs enfants, ils jouent « à la fronde ». » Et le mot est adopté. Le « jeu » sera quand même assez sérieux pour faire fuir hors de Paris, à plusieurs reprises, non seulement le gouvernement mais aussi la famille royale, la Fronde parlementaire étant relayée par celle des princes, à partir de 1650, et les émeutes populaires éclatant un peu partout en province.

« Le voyez-vous comme il vole, ou à la victoire, ou à la mort ? »766

BOSSUET (1627-1704), Oraison funèbre de Louis de Bourbon, Prince de Condé (1686)

Quand il devra rendre hommage au Grand Condé, Bossuet évoquera la bataille de Rocroi du 19 mai 1643.

Chargé à 21 ans du commandement des armées du Nord, le quatrième prince de Condé remporte cette éclatante victoire qui anéantit l’armée espagnole des Pays-Bas et empêche l’invasion menaçante par les Ardennes : « L’armée commença l’action de grâce ; toute la France suivit ; on y élevait jusqu’au ciel le duc d’Enghien : c’en serait assez pour illustrer une autre vie que la sienne, mais pour lui, c’est le premier pas de sa course. »

C’est l’un des épisodes de la guerre de Trente Ans qui déchire l’Allemagne depuis 1618 et dans laquelle la France intervint directement huit ans plus tôt, jour pour jour, contre l’Espagne et les puissants Habsbourg tentés de reconstituer l’Empire de Charles Quint. L’autre héros de cette guerre est Turenne et les deux hommes vont souvent se croiser, amis ou ennemis, selon le camp choisi.

« Il est plus difficile de bien faire l’amour que de bien faire la guerre. »767

Ninon de LENCLOS (1616-1706), Lettres (édition posthume)

Cette belle dame aux mœurs légères, qui vécut très âgée en un siècle très guerrier, parle en connaissance de cause.

Surnommée Notre Dame des Amours, séductrice aux « mille amants », épicurienne et lettrée, tenant salon chaque jour et visitée de cinq à neuf par tout Paris, elle devient friande de jeunes gentilshommes et de prélats, sur le tard : « Je n’ai jamais eu que l’âge du cœur. »
Cette femme libre aura naturellement nombre d’amants célèbres et combattants. À qui songe-t-elle en écrivant ces mots ? Au marquis et maréchal d’Estrées, à Coligny, au duc de La Rochefoucauld ou au duc d’Enghien, devenu pour l’histoire le Grand Condé ?

« Quand un général prétend n’avoir jamais fait de fautes, il me persuade qu’il n’a jamais fait la guerre longtemps. »768

TURENNE (1611-1675). Le Sottisier (posthume, 1880), Voltaire

Et Henry de Montherlant écrit dans ses Carnets : « Turenne, dans ses lettres, lorsqu’il s’agit d’une victoire, dit : « Nous l’avons remportée », et lorsqu’il s’agit d’une défaite : « J’ai été battu » ».

Henri de La Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne, maréchal de France, sera de toutes les guerres sous Louis XIV avant de trouver la mort en héros à la bataille de Sasbach (en Allemagne). Pendant la guerre de Trente Ans, à trois mois d’intervalle, il venge sa défaite de Marienthal (mai 1645) par la victoire de Nördlingen (août) remportée avec l’aide de Condé. Les deux hommes vont se retrouver adversaires sous la Fronde, l’un passant à l’ennemi alors que l’autre reste du côté des troupes royales, avant d’inverser les rôles !

« La guerre d’Allemagne n’est point guerre de religion, mais seulement guerre pour réprimer la grande ambition de la maison d’Autriche. »777

MAZARIN (1602-1661). Mazarin (1972), Paul Guth

Parallèlement à la Fronde qui commence, s’achève cette guerre contre la maison de Habsbourg, entreprise par Richelieu il y a treize ans et continuée par son successeur dans le même esprit. Le but est atteint, l’empereur est contraint de signer les deux traités de Westphalie, le 24 octobre 1648.

« J’ai assez de la guerre des pots de chambre. »791

Louis II de Bourbon-Condé, dit le Grand CONDÉ (1621-1686), été 1651. Histoire de France au dix-septième siècle, Richelieu et la Fronde (1858), Jules Michelet

« L’intrigue de Paris, l’ennui du Parlement, ses duels ridicules avec le petit prêtre (de Retz), tout cela l’avait rendu malade. Il était réellement un sauvage officier de la guerre de Trente Ans, et il se fut déprincisé pour s’en aller […], avec une bonne bande de voleurs aguerris, batailler en Allemagne. »

Condé, qui s’est battu pour la régente et le petit roi, a changé de camp par haine de Mazarin. Ce qui lui valut un an de prison. Libéré, il a pris la tête de la Fronde des princes au printemps 1651, mais il est las des manières courtisanes – il faut « tenir le pot de chambre » aux gens influents.

Il va alors mener sa propre Fronde. L’anarchie dépasse l’imaginable !

Le bouillant vainqueur de Rocroi, entre autres titres gouverneur de Guyenne, prend les armes en septembre 1651, s’agite comme un furieux pour soulever sa province, lève des troupes dans le Midi, s’appuie sur Bordeaux dominé par le mouvement populaire de l’Ormée (inspiré par la révolution anglaise) et conclut une alliance avec Philippe IV d’Espagne – autrement dit, il trahit la France.

Turenne, l’autre grand militaire, s’est mis du côté des frondeurs et trouve appui auprès des Espagnols contre les troupes royales. Mais Mazarin réussit à le rallier, Turenne devient l’épée de la monarchie. Royalistes et « condéens » (partisans de Condé) vont s’affronter dans la guerre civile de l’année 1652.

« C’est une étrange et longue guerre que celle où la violence essaie d’opprimer la vérité. Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité et ne servent qu’à la relever davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la violence, et ne font que l’irriter encore plus. »798

Blaise PASCAL (1623-1662), Les Provinciales (1656-1657)

Autre forme de guerre politico-religieuse ! Elle fera aussi beaucoup de victimes.

L’œuvre est mise à l’Index et Pascal qui ne cesse d’écrire doit sans cesse changer de nom et de domicile pour échapper aux poursuites. En dix-huit « Lettres écrites par Louis de Montalte à un Provincial de ses amis et aux R.R. Pères Jésuites », il attaque les jésuites sur leur interprétation de la grâce, prend le parti des jansénistes et défend son ami le Grand Arnauld.

Mazarin fait disperser les « solitaires » de Port-Royal et le Grand Arnauld est censuré par la Sorbonne. Pensionnaires et novices seront expulsées en février 1661. La « secte janséniste » continuera d’être persécutée sous le règne personnel de Louis XIV.

« Monseigneur, avez-vous jamais vu livrer une bataille ?
— Non, prince.
— Eh bien, vous allez en voir perdre une. »800

Louis II de Bourbon-Condé, dit le Grand CONDÉ (1621-1686) au jeune Henri, duc de Gloucester, avant la bataille des Dunes, 14 juin 1658. Histoire de la République d’Angleterre et de Cromwell (1854), François Guizot

Condé se bat aux côtés des Espagnols avec Don Juan d’Autriche et le jeune Gloucester, fils de Charles Ier, avide à 18 ans de venger son père contre les soldats de Cromwell qui a pris le pouvoir. Face à lui, Turenne se bat avec les Anglais, nouveaux alliés des Français contre les Espagnols (traité de Paris, mars 1657).

Condé a voulu éviter cette bataille perdue d’avance : ses troupes sont fatiguées, divisées, mal équipées, mal armées. Il voit aussi « le frivole aveuglement de l’orgueil espagnol ». Turenne, bien informé par ses éclaireurs, sera le plus fort, ou le plus malin sur ce terrain : il perd 400 à 500 hommes et Condé dix fois plus (prisonniers compris).

Cette victoire décisive de la France met fin aux prolongations franco-espagnoles de la guerre de Trente Ans. On peut commencer à négocier le traité de paix, et le mariage espagnol.

« Ultima ratio regum. »
« Dernier argument des rois. »817

LOUIS XIV (1638-1715), devise gravée sur ses canons

Concise et précise, la devise est une bonne citation historique. Celle-ci donne une clé de la politique extérieure du règne et du personnage. La guerre est l’une des passions du roi, la victoire étant ce qui peut le mieux servir sa gloire. D’où trente-trois années de guerre sur un règne personnel de cinquante-quatre ans ! Mais ses contemporains sont du même avis : un roi guerrier fait son métier de roi.

Louis XIV va poursuivre trois buts qu’on nommerait aujourd’hui géopolitiques : prééminence de la France dans le monde, frontière stratégique assurée au nord-est, visées sur la prochaine succession d’Espagne.

Il se donnera les moyens de sa politique : grands diplomates (Lionne, Pomponne, de Torcy, le neveu de Colbert), réorganisation militaire conduite par Louvois, effectifs considérables pour une armée de métier (passant de 72 000 hommes en 1667 à 400 000 en 1703), marine de guerre développée par Colbert (La Royale a 18 vaisseaux en 1661, 276 en 1683), places fortes créées ou renforcées par Vauban.

« Au défaut des actions éclatantes de la guerre, rien ne marque davantage la grandeur et l’esprit des princes que les bâtiments. »818

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), Lettres, instructions et mémoires de Colbert (posthume, 1863)

Surintendant des Bâtiments, Arts et Manufactures (en 1664), Colbert exprime naturellement la pensée de Louis XIV.

Les seuls bâtiments royaux coûtent en moyenne 4 % du budget de l’État : on construit un peu partout, à Fontainebleau, Vincennes, Chambord, Saint-Germain, Marly… et surtout Versailles où les travaux commencent dès 1661, pour durer plus d’un demi-siècle. Une réunion de grands talents (la même équipe qui n’a que trop bien réussi Vaux-le-Vicomte, résidence du surintendant Fouquet perdu par tant de magnificence) fait naître la plus grande réussite artistique des temps modernes : Versailles servira de modèle à l’Europe pendant un siècle, imposant la supériorité de l’art français.

Autre force du règne, la politique économique.

« Il n’y a rien de plus nécessaire dans un État que le commerce […] Le commerce est une guerre d’argent. »835

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), Mémoire sur le commerce (1664)

Infatigable homme-orchestre du gouvernement, il dresse un vaste programme qui résume la politique industrielle, commerciale, fiscale, maritime de la France : « Il faut rétablir ou créer toutes les industries, même de luxe ; établir le système protecteur dans les douanes ; organiser les producteurs et les commerçants en corporations ; alléger les entraves fiscales nuisibles à la population ; restituer à la France le transport maritime de ses produits ; développer les colonies et les attacher commercialement à la France […] ; développer la marine militaire pour protéger la marine marchande. »

Dans une France restée agricole à 90 %, Colbert fait porter ses efforts sur l’industrie et le commerce. Sa plus grande réussite est le relèvement et le développement de la marine française. Ce mercantilisme – doctrine exaltant la mentalité et l’activité marchandes – poursuit un but moins économique que politique : plus que le bien-être des Français, Colbert veut la puissance de l’État.

« Toutes les guerres sont civiles, car c’est toujours l’homme contre l’homme qui répand son propre sang, qui déchire ses propres entrailles. »841

FÉNELON (1651-1715), Les Aventures de Télémaque (1699)

C’est l’écho d’un courant pacifiste nouveau qui annonce les philosophes du siècle suivant : « La guerre épuise un État et le met toujours en danger de périr, lors même qu’on remporte les plus grandes victoires […] On dépeuple son pays, on laisse les terres presque incultes, on trouble le commerce, mais, ce qui est bien pis, on affaiblit les meilleures lois et on laisse corrompre les mœurs. »

« C’était une paix sans joie parce qu’on demeurait au roi de France. »871

Témoignage d’un Lillois, à propos du traité d’Aix-la-Chapelle (mai 1668). Racines de la Belgique : histoire du sentiment national en Belgique des origines à 1830 (2000), Jean Stengers

À l’occasion de la procession organisée par les autorités françaises pour fêter le traité d’Aix-la-Chapelle du 2 mai. C’est dire la réticence à l’assimilation : le Nord qui passe à la France a appartenu au roi d’Espagne qui avait prêté serment au début de son règne de respecter les coutumes locales et intervenait peu dans l’administration des villes.

En fait, l’intégration des provinces progressivement conquises en un demi-siècle (Flandre wallonne, Alsace, Artois, Roussillon, Franche-Comté) se fera avec prudence, lenteur et tact, grâce à la bonne qualité de l’administration et de la justice, comme à la sagesse de grands intendants (tels Colbert de Croissy – frère du ministre – La Grange, Chauvelin). Le prestige d’un roi que l’Europe entière imite ou envie aidera aussi.

« Point de quartier pour cette canaille. »877

Duc de LONGUEVILLE (1649-1672), passage du Rhin, 12 juin 1672. Éphémérides universelles, ou tableau religieux, politique, littéraire, scientifique et anecdotique (1834), mises en ordre et publiées par Édouard Monnais

En état d’ivresse, le duc français tue un officier hollandais au centre de sa troupe, demandant la vie à genoux. Il est tué par une décharge en retour.

Le fait est rapporté par Voltaire qui conclut : « Tel fut ce passage du Rhin, action éclatante et unique, célébrée alors comme un des grands événements qui dussent occuper la mémoire des hommes. »

C’est le début de la guerre de Hollande qui va durer six ans. Louis XIV n’a pas pardonné aux Provinces-Unies d’avoir déclenché contre lui la Triple Alliance, en 1668. Mais la vraie raison est économique : l’essor de l’industrie et des exportations françaises passe par l’élimination de la concurrence hollandaise et de sa marine marchande qui a un quasi-monopole du commerce maritime. La diplomatie française réussit à faire éclater la Triple Alliance et les Provinces-Unies se retrouvent isolées. La guerre commence en avril 1672 par une série de victoires françaises.

« Le lendemain au point du jour,
On vit paraître Luxembourg,
Avec toute sa cavalerie
Qui marchait par escadrons,
Et sa noble infanterie
Qui marchait par bataillons. »878

Complainte de Guillaume d’Orange, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

François Henry de Montmorency-Boutteville, duc de Luxembourg, a suivi Condé depuis la Fronde. Il est encore avec lui et Turenne en juin 1672. Ils envahissent la Hollande et s’avancent jusqu’au cœur du pays : « Grand Dieu ! Quelle boucherie ! / Qui se fit parmi nos gens / La terre en était couverte / L’on n’y voyait que du sang. »

Des villes capitulent, font des offres de paix. Mais le roi, mal conseillé par Louvois, secrétaire d’État à la Guerre qui flatte son désir de gloire, répond par un ultimatum et provoque un sursaut de patriotisme aux Pays-Bas. Les Hollandais rompent les digues, une révolution éclate à la Haye.

Le stathoudérat (haut commandement) est confié au jeune chef du parti populaire, Guillaume d’Orange le plus grand ennemi des Français. Il parvient à coaliser les Provinces-Unies, l’Espagne, l’Autriche, le Danemark, le duché de Lorraine, quelques princes allemands. L’Angleterre rejoindra bientôt ce camp. Redoutable coalition contre la France.

« Il ne faut pas qu’il y ait un homme de guerre en repos en France, tant qu’il y aura un Allemand en deçà du Rhin en Alsace. »882

TURENNE (1611-1675), à un officier, avant la bataille de Turckheim, 5 janvier 1675. Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France depuis l’avènement de Henri IV jusqu’à la paix de Paris conclue en 1763 (1828), Petitot et Monmerque

Après la guerre de Dévolution, voici la guerre de Hollande : la France a pour principal allié l’Angleterre, face à la Quadruple Alliance (Provinces-Unies, Saint Empire romain germanique, Espagne et Brandebourg).

Une campagne antifrançaise s’est déchaînée en Allemagne – certains historiens ont daté de cette guerre l’antagonisme franco-allemand et la phrase de Turenne, l’un des plus illustres maréchaux de France, sera souvent citée, entre 1871 et 1914.

Un effort extraordinaire est accompli par le pays, orchestré par Colbert sur le plan économique et fiscal, cependant que Louvois réorganise l’armée : modernisation de l’armement, discipline (interdiction du pillage), promotion au courage (et pas seulement au titre hérité).

Après quelques défaites, Louis XIV reprend la Franche-Comté, Condé triomphe de Guillaume d’Orange dans les Pays-Bas et Turenne fait une superbe campagne d’Alsace, rejetant l’ennemi hors du royaume après la victoire de Turckheim (dans les Vosges). Bataille exemplaire par sa préparation (qui dure un mois), sa connaissance du terrain et du climat… et le petit nombre de morts (300 ennemis). Louvois, ministre de la Guerre, n’a pas tant d’égards.

« Je vous prie de ne point vous lasser d’être méchant et de pousser les choses à cet égard avec toute la vigueur imaginable. »897

LOUVOIS (1639-1691), secrétaire d’État de la guerre (équivalent de ministre de la Défense). Histoire de Louvois (1879), Camille Rousset

Ainsi écrit-il à l’un de ses subordonnés. Il veut épuiser l’adversaire économiquement, mais aussi détruire le plus possible en bombardant les villes. Partout, il montre la même brutalité : 10 000 bombes incendiaires vont détruire la moitié de la ville de Gênes (19 mai 1684), en même temps que les dragonnades se déchaînent contre les protestants. Même responsabilité plus tard dans la dévastation du Palatinat (1688).

La trêve de Ratisbonne met fin à la guerre (15 août 1684) : elle prévoit vingt ans de paix. Trêve illusoire : Louis XIV est un vainqueur devenu décidément trop puissant pour l’Europe.

« Les troupes furent envoyées dans toutes les villes où il y avait le plus de protestants ; et comme les dragons, assez mal disciplinés dans ce temps-là, furent ceux qui commirent le plus d’excès, on appela cette exécution la « dragonnade ». »898

VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)

Ces exactions durèrent cinq ans. Dès 1680, l’intendant Marillac mena en Poitou une première opération restée tristement célèbre : on fit loger des dragons chez les protestants, en leur permettant toutes sortes de sévices. Les « missionnaires bottés » obtinrent ainsi 30 000 conversions en quelques mois.

Fort de ce bilan, Louvois fit étendre la mesure à toute la France. On présenta ainsi au roi de longues, d’extraordinaires listes de convertis. Ignorait-il les violences qui se cachaient derrière ? Crut-il alors que la révocation de l’édit de Nantes en 1685 ne serait plus qu’une simple formalité ?
L’influence personnelle de la très catholique Mme de Maintenon joue naturellement.

« Faire la guerre sans combattre,
Piller la veuve et l’orphelin,
Sent plus le fils de Mazarin
Que le fils d’Henri IV. »908

Faire la guerre sans combattre (1688), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Cette chanson est précisément datée. Louis XIV, à l’instigation de Louvois, fait occuper avec une brutalité restée légendaire le Palatinat (rive droite du Rhin) : sous prétexte d’assurer les droits d’héritage de Madame (sa belle-sœur), la princesse Palatine, et de confirmer les « réunions » (annexions) opérées par la France.

Le sac du Palatinat est d’une sauvagerie qui fait honte aux officiers qui l’exécutèrent : « Si le roi avait été témoin de ce spectacle, il aurait lui-même éteint les flammes. Les nations, qui jusque-là n’avaient blâmé que son ambition en l’admirant, crièrent alors contre sa dureté et blâmèrent même sa politique » (Voltaire).

La guerre est devenue inévitable, avec la somme des haines suscitées par Louis XIV pour diverses raisons : politiques, religieuses, commerciales, coloniales. La ligue d’Augsbourg réunit tous les mécontents : Empire, Espagne, Savoie, Suède, Provinces-Unies, puis l’Angleterre – une révolution détrône Jacques II (un Stuart), catholique et francophile, amenant au pouvoir sa fille Marie et son gendre, Guillaume d’Orange (stathouder aux Provinces-Unies), roi d’Angleterre sous le nom de Guillaume III.

« Les Français se battent pour le butin, tandis que les Allemands ne veulent que la gloire.
— Oui Monsieur le Comte, nous nous battons chacun afin de conquérir ce qui nous manque. »912

DUGUAY-TROUIN (1673-1736), Mémoires (posthume, 1740)

Dans son autobiographie, le célèbre corsaire malouin s’attribue cette réplique lancée au comte d’Innsbruck pendant la guerre de la ligue d’Augsbourg.

Fils de marins, capitaine corsaire à 18 ans, il sera anobli par Louis XIV après de retentissantes victoires contre les trois puissances maritimes, l’Angleterre, l’Espagne, les Pays-Bas. À son actif, 16 navires de guerre capturés, plus de 300 navires marchands. Et une seule défaite, suivie d’une évasion rocambolesque de la prison de Plymouth.

Le mot sera prêté plus tard à Surcouf, autre marin de Saint-Malo, lui aussi entré dans la légende comme corsaire au service de la France, sous la Révolution et l’Empire. La réplique (un peu modifiée) vise un Anglais, ancien adversaire retrouvé lors d’un dîner, alors que la paix a été signée.

« Toute ville assiégée par Vauban, ville prise,
Toute ville défendue par Vauban, ville imprenable. »913

Proverbe du vivant de Vauban. Histoire générale du IVe siècle à nos jours (1901), Ernest Lavisse, Alfred Rambaud

Futur maréchal de France, commissaire général des fortifications en 1678, il entoure le royaume de villes fortifiées (la « ceinture de fer ») et d’ouvrages isolés (avec des lignes rasantes, moins vulnérables à l’artillerie). Lille devient avec lui « la reine des citadelles », parmi plus de 30 construites et 300 renforcées. Il crée aussi des ports militaires et commerciaux. Son but, faire de la France un « pré carré » inviolable : c’est la défense du territoire.

Cet ingénieur de génie s’intéresse également aux techniques d’attaque de plus en plus perfectionnées, mais il préfère le mortier au canon, plus mobile et moins vulnérable. Pour limiter le nombre de morts, il veut faire des sièges les plus courts possible et en remporte de nombreux, pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg (dite aussi guerre de Neuf Ans) : Mons avec Louis XIV (1691), Namur (1692), Steinkerque avec le maréchal duc de Luxembourg (1692).

Entre l’attaque et la défense, une anecdote : la seule ville que Vauban n’a pu prendre… a été fortifiée par Vauban. C’est peut-être une légende.

« Quelque drapeau, quelque canon
Nous attirent des Te Deum
Qu’on couchera dans notre histoire.
Mais entre nous je vous le dis :
On mêle à ces chants de victoire
Un peu trop de De Profundis. »914

Sur la bataille de Steinkerque où il y eut beaucoup de monde tué (1692), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

La guerre est souvent glorieuse, mais le peuple commence à être las de ces victoires acquises au prix de trop de vies humaines – comme Steinkerque où Luxembourg et Vauban battent Guillaume d’Orange. Luxembourg sera surnommé « le Tapissier de Notre-Dame », tant sont nombreux les drapeaux qu’il a pris à l’ennemi et qu’on y expose.

« Personne n’était plus convaincu que moi qu’il fallait la paix, qu’on ne savait plus et qu’on ne pouvait plus faire la guerre, qui ne se soutenait que par des miracles. Le dedans et le dehors de l’État avaient un besoin indispensable de repos. »916

Claude le PELLETIER (1630-1711), 1697. Face aux Colbert, les Le Tellier, Vauban, Turgot, et l’avènement du libéralisme (1987), Luc Tellier

Témoignage du contrôleur général des Finances qui succède à Colbert, devenant surintendant de 1691 à 1697.

La conjoncture économique est déplorable en France depuis 1693 : de mauvaises récoltes ont entraîné une crise faisant quadrupler le prix du pain qui, en année normale, absorbait 60 % des dépenses dans une famille du peuple ! La famine sévit, mais aussi la mévente pour les boutiquiers et artisans, le chômage dans les villes, la chute des revenus de la terre. Dans ces conditions, la guerre devient littéralement insupportable et pratiquement impossible : la France négocie et signe la paix de Ryswick.

« Il faut être toujours prêt à faire la guerre, pour n’être jamais réduit au malheur de la faire. »921

FÉNELON (1651-1715), Les Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse (1699)

Ce traité d’éducation paraît quand Fénelon a fini son rôle de précepteur auprès de Louis de France, duc de Bourgogne et fils du Grand Dauphin.

Mme de Maintenon l’a recommandé au roi, quand il était son conseiller spirituel. Il s’applique à insuffler au petit-fils de Louis XIV, enfant de 7 ans, toutes les vertus d’un prince et d’un chrétien. Mission accomplie, Fénelon est nommé archevêque de Cambrai.

Mais la disgrâce est proche. Il déplaît au tout-puissant Bossuet sur une question théologique brûlante – le quiétisme. Ensuite, et contre sa volonté, des copies du Télémaque circulent, avant une publication d’abord anonyme. La critique du règne autoritaire et belliciste frappe l’opinion. Ces vues politiques hardies vont déplaire au roi et achever de discréditer Fénelon à ses yeux.

Exilé dans son diocèse, l’archevêque de Cambrai prêche et pratique si généreusement la charité qu’il se ruinera pour les pauvres.

À la mort du duc de Bourgogne (1712), Louis XIV fait brûler tous ses écrits trouvés dans les papiers du prince. Mais le Télémaque sera l’un des livres les plus lus par les jeunes, jusqu’au XXe siècle. De nombreuses citations de Fénelon annoncent le siècle des Lumières.

« Sire, je vais combattre les ennemis de Votre Majesté, et je vous laisse au milieu des miens. »926

Maréchal de VILLARS (1653-1734) en 1702. Le Siècle de Louis XIV (1751), Voltaire

Il s’adresse au roi et devant toute la cour, prenant congé pour aller commander l’armée. Turenne et Condé sont morts. Le maréchal de Luxembourg aussi. Vauban va être injustement disgracié (pour son projet fiscal de dîme royale). Villars est leur égal.

Récemment anobli, âgé de 50 ans, il entre dans la carrière militaire à l’âge où d’autres prennent leur retraite : il sera le meilleur général de la guerre de Succession d’Espagne.

Première grande victoire, Friedlingen, en 1702 : ses soldats l’appellent « Maréchal » et le roi confirme le titre, mais lui refusera la fonction tant souhaitée (et abolie) de connétable. Dès 1703, les Français perdent l’avantage dans une guerre où la coalition se renforce contre eux. Et la révolte des Camisards va mobiliser Villars sur un autre front.

« Ah ! que votre âme est abusée
Dans le choix de tous les guerriers.
Faut-il qu’une vieille édentée
Fasse flétrir tous vos lauriers ? »929

Contre Maintenon, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

L’influence de cette femme de tête sur le roi vieillissant fait jaser.

Le peuple épuisé, ruiné, lassé d’une gloire dont il voit les faiblesses, prend cette femme pour bouc émissaire. Cependant que la guerre de Succession d’Espagne tourne au drame, avec des troupes moins combatives, sous des chefs militaires aussi médiocres que La Feuillade, Marcin, Villeroy (ou Villeroi).

« Ne blâmons pas Villeroy,
Il fut choisi par le Roy ;
Mais blâmons tous ce grand prince
Qui sut faire un choix si mince. »930

Sur le maréchal de Villeroy, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

L’opinion évolue : si tout va mal, le responsable en est le roi. Cette accusation directe est signe de temps nouveaux.

François de Neufville, duc de Villeroi (ou Villeroy), maréchal de France, fils du gouverneur de Louis XIV, resta toujours son ami. Il remplace le prestigieux maréchal de Luxembourg à la tête des armées et ne cesse d’accumuler les défaites. Ainsi le 23 mai 1706 à Ramillies, triste épisode de la guerre de Succession d’Espagne, marquée par une débandade de l’armée franco-bavaroise en quatre heures, d’où 20 000 morts et la perte de la Belgique !

La chanson passe en revue les autres personnages jugés indignes du règne, divers ministres, le boiteux du Maine (fils légitimé de Mme de Montespan), la Maintenon reine. La France vit plus que jamais en « monarchie absolue tempérée par des chansons ».

« Jamais malheur n’a été accompagné de plus de gloire. »935

Maréchal de VILLARS (1653-1734), Lettre à Louis XIV au soir de Malplaquet, 11 septembre 1709. Mémoires militaires relatifs à la succession d’Espagne sous Louis XIV (1855), Jean-Jacques Germain Pelet

C’est la plus sanglante bataille du siècle de Louis XIV : 30 000 morts et blessés. Villars (avec Boufflers) affronte le duc de Marlborough et le prince Eugène de Savoie, dans la trouée de Malplaquet (près de Mons, en Belgique).

Villars est blessé, mais les troupes royales, inférieures en nombre, ont infligé de lourdes pertes aux Impériaux – la chanson populaire met Marlborough parmi les morts, il est seulement blessé.

« Dieu a donc oublié tout ce que j’ai fait pour lui ? »936

LOUIS XIV (1638-1715), apprenant l’hécatombe à la bataille de Malplaquet, septembre 1709. Œuvres choisies de Chamfort (1826)

Malplaquet n’est qu’une semi-défaite. Les Français peuvent se replier en bon ordre et les deux camps revendiquent la victoire. « Encore une défaite comme ça, Sire, et nous avons gagné la guerre », assure Villars.

L’essentiel, c’est que l’invasion par le nord de la France est stoppée. Deux siècles après, le maréchal Foch comparera cette bataille à la première victoire de la Marne.

Mais l’année suivante, en 1710, d’autres villes tombent (Béthune, Douai). La France est à bout de force, Paris même est menacé. Le roi demande à nouveau la paix. Mais ses voisins sont trop heureux de l’humilier.

« S’il faut faire la guerre, j’aime mieux la faire à mes ennemis qu’à mes enfants. »937

LOUIS XIV (1638-1715), Manifeste au peuple, juillet 1710. Histoire de France depuis l’avènement de Charles VIII (1896), Frédéric Mane

Les alliés, Hollande en tête, exigent cette fois que Philippe V renonce au trône d’Espagne et, en cas de refus, que Louis XIV le fasse détrôner par ses armées. Le roi de France rend public l’outrage. Cet appel au peuple doit rester dans les annales de l’Histoire.

Un sursaut national permet un redressement franco-espagnol. Encore quelques années d’une succession de défaites et de victoires (signées Villars). Tous les pays sont épuisés, le pacifisme gagne du terrain en Angleterre et l’issue de cette guerre ne peut être que diplomatique.

Les traités d’Utrecht (1713) et de Radstadt (1714) créent un nouvel équilibre européen. La France retrouve approximativement ses limites de la paix de Nimègue (1679) et sauve ses frontières stratégiques. Philippe V d’Espagne garde son royaume, mais renonce aux Pays-Bas et à ses possessions italiennes, ainsi qu’à ses droits à la succession au trône de France. L’Angleterre gagne Gibraltar et Minorque (sur l’Espagne), Terre-Neuve, l’Acadie et la Baie d’Hudson (sur la France) et de gros avantages commerciaux. Elle accède véritablement au rang de grande puissance en Europe.

« La plus éclatante victoire coûte trop cher, quand il faut la payer du sang de ses sujets. »941

LOUIS XIV (1638-1715), Lettre à l’intention du Dauphin, août 1715. Louis XIV (1923), Louis Bertrand

Écrite peu de jours avant sa mort, confiée au maréchal de Villeroi son ami de toujours, pour être remise à Louis XV à ses 17 ans. Cet arrière-petit-fils n’a que cinq ans, seul héritier survivant après l’hécatombe familiale, autre malédiction de cette fin de règne.

« Mon enfant, vous allez être un grand roi. Ne m’imitez pas dans le goût que j’ai eu pour les bâtiments ni dans celui que j’ai eu pour la guerre. Tâchez de soulager vos peuples, ce que je suis malheureux pour n’avoir pu faire. »943

LOUIS XIV (1638-1715), au futur Louis XV, 26 août 1715. Mémoires (posthume), Saint-Simon

Le roi reçoit le petit Dauphin dans sa chambre. Il lui donne une ultime leçon.

Le marquis de Dangeau, mémorialiste, nous a laissé un Journal de la cour de Louis XIV qui retrace avec minutie les derniers jours. Roi Très Chrétien, Louis XIV fait preuve d’autant de dignité que d’humilité. La guerre, entreprise et soutenue par souci de grandeur mais aussi par vanité, cause de la ruine des peuples, semble être son grand remords.

Siècle des Lumières

« Il faut bien quelquefois se battre contre ses voisins, mais il ne faut pas brûler ses compatriotes pour des arguments. »1030

VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Gallitzin, 19 juin 1773

La grande ennemie de la civilisation est la guerre, « boucherie héroïque » qui détruit le vainqueur comme le vaincu, mais il y a pire encore, c’est l’intolérance, la pire erreur politique aux yeux de Voltaire. Sous sa forme religieuse, elle fait encore trop de victimes en France, au siècle dit des Lumières.

« La guerre est un fruit de la dépravation des hommes ; c’est une maladie convulsive et violente du corps politique. »1063

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, article « Paix »

Siècle des Lumières, siècle de paix ou presque, mais né du siècle de Louis XIV où l’idéal de grandeur fut indissociable d’une politique guerrière et qui laisse la France épuisée de guerres.

Diderot dresse un réquisitoire enflammé contre ce fléau : « L’histoire ne nous fournit que des exemples de paix violées, de guerres injustes et cruelles, de champs dévastés, de villes réduites en cendres. L’épuisement seul semble forcer les princes à la paix ; ils s’aperçoivent toujours trop tard que le sang du citoyen s’est mêlé à celui de l’ennemi ; ce carnage inutile n’a servi qu’à cimenter l’édifice chimérique de la gloire du conquérant et de ses guerriers turbulents ; le bonheur de ses peuples est la première victime qui est immolée à son caprice ou aux vues intéressées de ses courtisans. »

« Messieurs les Anglais, tirez les premiers. »1122

Comte d’ANTERROCHES (1710-1785), à Lord Charles Hay, Fontenoy, 11 mai 1745. Précis du siècle de Louis XV (1763), Voltaire

Ce mot célèbre, cité aussi dans une Histoire de l’armée d’Adrien Pascal (1847), résume le bref dialogue rapporté par Voltaire.

Suite de la guerre de Succession d’Autriche, lors d’un siège mené par les Français près de Tournai. Le commandant de la compagnie de tête des gardes anglaises a lancé : « Messieurs des gardes françaises, tirez. » Le commandant des gardes françaises lui répondit : « Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers. Tirez vous-mêmes. »

Cette réplique, plus tactique qu’il n’y paraît, est moins l’illustration d’une guerre en dentelle que l’expression d’un impératif militaire : quand une armée a tiré, le temps qu’elle recharge ses armes, l’ennemi peut attaquer avec profit. C’est pourquoi le maréchal de Saxe dénonçait les « abus de tirerie ».

« Voyez tout le sang que coûte un triomphe. Le sang de nos ennemis est toujours le sang des hommes. La vraie gloire est de l’épargner. »1123

LOUIS XV (1710-1774), à son fils le Dauphin, au soir de la victoire de Fontenoy, 11 mai 1745. Les Pensées des rois de France (1949), Gabriel Boissy

Le roi parcourt le champ de bataille, jonché de 11 000 morts et blessés. Il a pris la tête de l’armée pour redonner confiance aux troupes et apporter plus de coordination aux opérations mal menées. Il s’est surtout adjoint les services de Maurice de Saxe, bâtard du roi de Pologne, stratège exceptionnel, fait maréchal de France l’année d’avant. Ce sera le seul grand militaire du règne.

Les Anglo-Hollandais sont écrasés. Mais à quel prix ? Le roi parle ici comme son arrière-grand-père Louis XIV à la fin de sa vie, et comme pensent tous les philosophes de ce siècle éclairé : « Jamais les triomphes les plus éclatants ne peuvent dédommager une nation de la perte d’une multitude de ses membres que la guerre sacrifie », écrira bientôt Diderot dans L’Encyclopédie.

De toute manière, la France en guerre hors de son territoire connaît plus de défaites que de victoires.

« Les braves insulaires
Qui font, qui font sur mer
Les corsaires
Ailleurs ne tiennent guère.
Le Port-Mahon est pris, il est pris, il est pris
Ils en sont tout surpris,
Ces forbans d’Angleterre
Ces fou, fou, ces foudres de guerre. »1142

Charles COLLÉ (1709-1783), La Prise de Port-Mahon (1756), chanson

Parolier d’œuvres politiques ou plutôt lestes, Collé donne ici sa meilleure chanson patriotique - et gagne une pension de 600 livres.

Après une « guerre froide » née de la rivalité coloniale entre la France et l’Angleterre, cette dernière ouvre les hostilités en 1755, se saisissant de 300 navires de commerce français. Prélude à la guerre de Sept Ans (1756-1763), conflit européen majeur qui va bouleverser pour un siècle l’équilibre des forces au bénéfice de l’Angleterre et de la Prusse, la France perdant son premier empire colonial.

Pour l’heure, le pays célèbre en chanson la prise de Port-Mahon par l’armée du très populaire duc de Richelieu, en même temps que la flotte française, commandée par l’amiral de La Galissonnière, le grand marin du règne, bat la puissante flotte britannique en Méditerranée, à Minorque.

« C’est le ton de la nation ; si les Français perdent une bataille, une épigramme les console ; si un nouvel impôt les charge, un vaudeville les dédommage. »1149

Carlo GOLDONI (1707-1793), Mémoires (1787)

Cet Italien de Paris connaît bien notre pays et notre littérature. Surnommé le « Molière italien », il veut réformer la comédie italienne dans son pays, ôtant les masques aux personnages et supprimant l’improvisation pour écrire ses pièces de bout en bout, d’où son premier chef-d’œuvre, La Locandiera. Il est violemment attaqué par Carlo Gozzi, comte querelleur et batailleur qui défend la tradition de la commedia dell’arte à coups de libelles et de cabales.

Fatigué de cette « guerre des deux Carlo », le paisible Goldoni, invité par Louis XV, s’installe définitivement à Paris en 1762. Il écrit en français pour la Comédie-Italienne (rivale de la Comédie-Française), devient professeur d’italien à la cour. Il sera également pensionné sous Louis XVI. Il rédige ses Mémoires à la fin de sa vie, pauvre, malade, presque aveugle, mais exprimant toujours sa gratitude pour la France – même si la Révolution supprime sa pension à l’octogénaire.

« Vous savez que ces deux nations sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada, et qu’elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada ne vaut. »1155

VOLTAIRE (1694-1778), Candide (1759)

Dans ce conte ironique comme dans sa Correspondance, Voltaire traite bien légèrement le problème du Canada. C’est l’un des enjeux de la rivalité entre les deux puissances coloniales du siècle. La nation anglaise qui veut le Canada tout entier, sans les états d’âme qui agitent la France, aura finalement ces « arpents de neige » et toutes les richesses de la Nouvelle-France, au traité de paix de Paris (1763).

La guerre de Sept Ans sera qualifiée par certains historiens (et par Winston Churchill) de première guerre mondiale de l’histoire : l’Europe, avec presque tous les pays belligérants, n’est plus le seul théâtre des opérations. Il y a aussi l’Amérique du Nord et l’Inde.

« L’état-major est immense, mais je ne le vois jamais que dormir, jouer et manger ; s’ils montent à cheval, c’est pour éviter les coups et être plus prêts à faire retraite. »1170

MOPINOT (1717-après 1762), Lettre du 4 août 1762. Correspondance amoureuse et militaire d’un officier pendant la guerre de Sept Ans (1905), publiée par Jean Lemoine

Après Voltaire le philosophe, Choiseul le ministre, Duclos l’historien, voici la parole d’un soldat, Antoine-Rigobert Mopinot de La Chapotte : témoignage sans appel sur l’état de la noblesse, à la fin de l’Ancien Régime.

Les chefs ne sont plus respectés, ni respectables. Les quartiers généraux sont encombrés de vivandières et de domestiques, de carrosses chargés d’argenterie, de linge, de costumes. Les officiers vivent dans le luxe et la mollesse. L’historien François Bluche résume la situation : « C’est Capoue (la France) contre Sparte (la Prusse). »

« Cette paix n’est ni heureuse, ni bonne, mais il fallait la faire. Nous avons conservé encore un bel empire. »1171

Marquise de POMPADOUR (1721-1764), au cardinal de Bernis. Le Bien-Aimé (1996), Ménie Grégoire

Le traité de Paris (10 février 1763) met fin à la guerre de Sept Ans. Le roi considère lui aussi cette paix comme un moindre mal : « Si nous avions continué la guerre, nous en aurions fait encore une pire l’année prochaine. »

La France sauve son territoire, mais perd son empire colonial (sauf la Martinique, la Guadeloupe et cinq comptoirs dans les Indes). Choiseul songe déjà à la revanche contre l’Angleterre : réorganisation de la marine et de l’armée, pacte de famille avec l’Espagne et alliance resserrée avec l’Autriche.

« Le nombre infini de maladies qui nous tue est assez grand ; et notre vie est assez courte pour qu’on puisse se passer du fléau de la guerre. »1216

VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Mme du Deffand, 27 février 1775, Correspondance (posthume)

L’octogénaire écrit fidèlement à son amie, presque aussi âgée que lui et quasi aveugle, femme de salon qui a reçu chez elle tous les artistes en renom, brillante et séduisante à l’image de son temps, et pratiquant l’art du portrait avec une talentueuse férocité.

Voltaire, de santé fragile durant toute sa longue vie, eut la chance de naître en un siècle de paix relative. Mais les exemples de guerre ne manquent pas en Europe et la France prépare sa revanche contre l’Angleterre, après la désastreuse guerre de Sept Ans. C’est outre-Atlantique qu’elle va se jouer.

Les Français vont participer à la guerre d’Indépendance des États-Unis d’Amérique – ce ne sont encore que les Treize colonies. Turgot s’y oppose, au motif que la France n’a pas les moyens d’une guerre lointaine et maritime, forcément coûteuse. Mais Vergennes négocie secrètement, Beaumarchais trafique activement et les Insurgents reçoivent de l’argent et des armes, dès 1775. À 19 ans, le marquis de La Fayette vole au secours des colons américains, dans leur guerre d’Indépendance contre l’Angleterre notre ennemie.

« C’est au bras de la noblesse de France que la démocratie américaine a fait son entrée dans le monde. »1225

Paul CLAUDEL (1868-1955), ambassadeur de France aux États-Unis, prenant la parole devant la société des Cincinnati. La France et l’indépendance américaine (1975), duc de Castries

La Fayette, de retour en France en 1779, triomphalement accueilli, soutient Benjamin Franklin et pousse le gouvernement à s’engager ouvertement dans la guerre d’Indépendance. Devançant un premier corps expéditionnaire de 6 000 hommes, il repart et se distingue à nouveau en Virginie, contre les Anglais. 3 000 Français trouvent la mort dans ce combat d’outre-Atlantique qui s’achèvera par la défaite anglaise, en 1783. Le fougueux marquis gagne son titre de « Héros des deux mondes ». C’est la plus brillante période de sa longue vie.

Les États-Unis se rappelleront cette dette historique, s’engageant en avril 1917 dans la guerre mondiale au cri de : « La France est la frontière de la liberté. » Le jour anniversaire de l’Indépendance, 4 juillet 1917, sur la tombe parisienne du marquis, la référence est encore plus précise : « La Fayette, nous voici ! »

Vous avez aimé ces citations commentées ?

Vous allez adorer notre Histoire en citations, de la Gaule à nos jours, en numérique ou en papier.

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

Partager cet article

L'Histoire en citations - Gaule et Moyen Âge

L'Histoire en citations - Renaissance et guerres de Religion, Naissance de la monarchie absolue

L'Histoire en citations - Siècle de Louis XIV

L'Histoire en citations - Siècle des Lumières

L'Histoire en citations - Révolution

L'Histoire en citations - Directoire, Consulat et Empire

L'Histoire en citations - Restauration, Monarchie de Juillet, Deuxième République

L'Histoire en citations - Second Empire et Troisième République

L'Histoire en citations - Seconde Guerre mondiale et Quatrième République

L'Histoire en citations - Cinquième République

L'Histoire en citations - Dictionnaire