Les Appels dans l’Histoire (du Moyen Âge à la Révolution) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

« Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique […] à se mettre en rapport avec moi. »

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel du 18 juin 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

APPEL.« Action d’inviter quelqu’un, un groupe à une action : Un appel à la révolte. Synonyme, exhortation. »
C’est l’une des définitions du Larousse.

Au fil de l’Histoire, l’Appel (avec ou sans majuscule) pousse clairement à l’action (ou à la réaction).

Les noms célèbres qui mêlent le Verbe à l’Action et vice versa se retrouvent logiquement sur le podium : Napoléon, Hugo, de Gaulle… Mais aussi Henri IV en meneur d’hommes, Clemenceau en Père la Victoire, le peuple (anonyme) manifestant à chaque époque.

La Révolution, période reine de cette volonté d’action, se révèle la plus riche en appels sous toutes les formes : discours, proclamation, texte de loi, article de presse, chanson populaire (le Ça ira), chant patriotiques (la Marseillaise), slogan, devise, manifeste, serment, mot d’ordre… Signés Mirabeau, La Fayette, Danton, Marat, Robespierre, Saint-Just… et quelques femmes : « Enfants de la patrie, vous vengerez ma mort ! » mot de la fin d’Olympe de Gouges.

De nouvelles formes d’appels au peuple (électeur) apparaissent, du Consulat à nos jours : plébiscites et référendums. Mais nombre d’appels sont depuis toujours destinés à une partie du peuple : chrétiens (au Moyen Âge), soldats, paysans, ouvriers, « Prolétaires de tous les pays » … et jusqu’aux ennemis de la France.

Des appels oubliés sont à redécouvrir : le plus historique et surtout le seul en plus de mille ans de monarchie de droit divin, Louis XIV en fin de règne s’adresse directement au peuple, parvenant à retourner l’opinion et le fil de la guerre.
Le plus singulier est resté célèbre avec son auteur très populaire : l’abbé Pierre.

I. Du Moyen Âge à la Révolution.

MOYEN ÂGE.

« Ils deviendront des soldats, ceux qui, jusqu’à ce jour, furent des brigands ; ils combattront légitimement contre les barbares, ceux qui se battaient contre leurs frères et leurs cousins ; et ils mériteront la récompense éternelle, ceux qui se louaient comme mercenaires pour un peu d’argent. »167

URBAIN II (vers 1042-1099), Concile de Clermont, 1095. Les Croisades (1934), Frantz Funck-Bretano

Ce pape, par ailleurs grand orateur, commence à prêcher la première croisade et en appelle aux chrétiens. Il s’agit d’abord de la « délivrance des Lieux saints » – notamment Jérusalem et le tombeau du Christ – occupés par les musulmans. Le pape encourage cette entreprise militaire, en promettant aux croisés le paradis (indulgence plénière).

Guibert de Nogent, dans son Histoire des croisades, dit l’effervescence qui suivit : « Dès qu’on eut terminé le concile de Clermont, il s’éleva une grande rumeur dans toutes les provinces de France et aussitôt que la renommée portait à quelqu’un la nouvelle des ordres publiés par le pontife, il allait solliciter ses parents et ses voisins de s’engager dans la voie de Dieu. »

Suivront huit croisades principales entre 1095 et 1270, engageant plusieurs centaines de milliers de chrétiens, dont les plus grands noms de chevaliers et de rois. Louis IX, futur Saint-Louis, est mort à sa seconde croisade, en l’occurrence la huitième, 25 août 1870).

« Qui m’aime me suive ! »279

Philippe VI de VALOIS (1294-1350), avant la bataille du mont Cassel, 23 août 1328. Les Proverbes : histoire anecdotique et morale des proverbes et dictons français (1860), Joséphine Amory de Langerack

Première source de cette expression fameuse : les Grandes Chroniques de France de l’abbaye de Saint-Denis. C’est le « roman des roys », entrepris à la demande de Louis IX, précieux manuscrit enrichi d’enluminures, compilation de documents, qui nous conte l’histoire de la monarchie, des origines jusqu’à la fin du XVe siècle.

Devenu régent à la mort de Charles IV, Philippe de Valois, neveu de Philippe le Bel, s’est fait couronner roi le 29 mai 1328, la veuve de Charles IV ayant mis au monde une fille posthume, écartée du trône par la loi salique.

Le roi veut aider Louis Ier de Nevers, comte de Flandre qui fait appel à lui pour mater la révolte des Flamands sur ses terres. Il prend conseil auprès des barons qui l’ont élu le 29 mai dernier, mais qui protestent, trouvant la saison trop avancée dans l’été pour partir en campagne. Mieux vaut attendre. Le connétable de France, Gautier de Châtillon, n’est pas de cet avis et le dit bien haut : « Qui a bon cœur trouve toujours bon temps pour la bataille. » À ces mots, le roi embrasse son connétable (chef des armées) et lance cet appel : « Qui m’aime me suive ! » Tous les barons le suivent.

L’autorité de ce premier Valois encore contesté s’en trouve désormais renforcée.

« Entrez hardiment parmi les Anglais ! Les Anglais ne se défendront pas et seront vaincus et il faudra avoir de bons éperons pour leur courir après ! »342

JEANNE d’ARC (1412-1431), Harangue aux capitaines, Patay, 18 juin 1429. 500 citations de culture générale (2005), Gilbert Guislain, Pascal Le Pautremat, Jean-Marie Le Tallec

Bergère ou princesse, animée en tout cas de sa foi en Dieu, c’est l’héroïne la plus représentative de notre Moyen Âge. Elle surgit « miraculeusement » pour aider le petit « roi de Bourges » à venir à bout des Anglais qui occupent un tiers de la France dont Paris, en vertu du malencontreux traité de Troyes (1420), dans cette guerre de Cent Ans qui s’éternise.

La chevauchée fantastique de Jeanne et de ses compagnons remonte la Loire pour entrer par le fleuve dans Orléans assiégée par l’ennemi, le 29 avril. Orléans est libérée après une semaine de combat. Nouvelle victoire à Patay : revanche de la cavalerie française sur les fameux archers anglais.

GUERRES DE RELIGION

« La messe ou la mort. »530

CHARLES IX (1550-1574), à Condé, le 24 août 1572. Jour de la Saint-Barthélemy, devenu un mot d’ordre catholique contre les protestants. Précis de l’histoire de France jusqu’à la Révolution française (1833), Jules Michelet

« La messe ou la mort » va devenir un mot d’ordre, la formule d’un exorcisme collectif dans Paris où chaque Parisien se croit dépositaire de la justice divine, devant chaque huguenot fatalement coupable d’hérésie et traître au roi.

Origine du mot : Henri Ier de Bourbon-Condé (fils de Louis, assassiné à Jarnac) a fait alliance avec son cousin Henri de Navarre, devenant l’un des chefs protestants les plus actifs. Il est mené devant le roi qui jure « par la mort Dieu » : il n’hésitera pas à faire tomber sa tête, s’il ne se convertit pas. « Je te donne trois jours pour changer d’avis […] Trois jours, après quoi il faudra choisir : la messe ou la mort. »

Henri Ier va abjurer, comme le futur Henri IV, et pour la même raison. La vie vaut bien une messe. Mais ce genre de conversion sous la contrainte vaut peu et ne dure pas.

« J’appelle avec moi tous ceux qui auront ce saint désir de paix. Je vous conjure tous, je vous appelle comme Français. Je vous somme que vous ayez pitié de cet État. »571

HENRI III DE NAVARRE (1553-1610), 4 mars 1589. Pensées choisies des rois de France (1920), recueillies et annotées par Gabriel Boissy

Modèle du genre Appel, dans la logique de la situation quasi désespérée des guerres de Religion et du caractère royal, spontané, chaleureux, proche du peuple.

Le futur Henri IV, nouvel allié du roi Henri III, en appelle comme lui à l’union des Français contre la Ligue des ultra-catholiques. Au milieu de la tourmente religieuse et politique, il se montre déjà tel qu’il sera, soucieux du bien-être des paysans, cette partie essentielle du peuple qu’il désigne comme « le grenier du royaume, le champ fertile de cet État, de qui le travail nourrit les princes, la sueur les abreuve ». Longue et superbe adjuration… qui ne sera pas entendue. Seule la force peut dénouer une telle situation.

L’armée d’Henri de Navarre rejoint celle du roi. La priorité est de s’emparer de Paris, livré aux fanatiques. Partout, des prêcheurs appellent au régicide. Henri III assassiné, le nouvel Henri IV prend le trône, mais le pouvoir lui échappe encore, vu la force de l’opposition (catholique) face à ce roi (protestant).

« Nous voulons un Roi pour avoir la paix. »621

Pierre PITHOU (1539-1596), Harangue de M. d’Aubray. La Satire Ménippée (1594)

Après plus de quatre-vingts années de guerres civiles et étrangères, la France exprime sa lassitude et son rejet des fanatiques, catholiques ou protestants. Ce pamphlet politique, ouvrage collectif, revu et corrigé par le jurisconsulte Pierre Pithou, est destiné à soutenir Henri IV à la veille de la convocation des États généraux de 1593. Il circule sous le manteau, avant d’être édité et de rencontrer un vrai succès populaire – dû à son talent littéraire et surtout à la situation politique devenue tragique.

Les excès de la Ligue (ultra-catholique), surtout à Paris, effraient le monde parlementaire et la haute bourgeoisie. Cependant que la voix du bon sens, la voix du parti des Politiques et la voix du peuple s’expriment dans ce passage qui désigne nommément le roi désiré : « Nous reconnaissons pour notre vrai Roi légitime, naturel, et souverain seigneur, Henri de Bourbon, ci-devant Roi de Navarre. C’est lui seul […] qui peut nous relever de notre chute, qui peut remettre la Couronne en sa première splendeur et nous donner la paix. »

« Nous voulons un Roi qui donnera ordre à tout, et retiendra tous ces tyranneaux en crainte et en devoir ; qui châtiera les violents, punira les réfractaires, exterminera les voleurs et pillards, retranchera les ailes aux ambitieux, fera rendre gorge à ces éponges et larrons des deniers publics, fera contenir un chacun aux limites de sa charge, et conservera tout le monde en repos et tranquillité. Enfin, nous voulons un Roi pour avoir la paix. »

« Ralliez-vous à mon panache blanc, vous le trouverez au chemin de la victoire et de l’honneur. »616

HENRI IV (1553-1610), appel à ses compagnons, avant la bataille d’Ivry, 14 mars 1590. Histoire universelle (posthume), Agrippa d’Aubigné

Le « panache blanc » entrera dans la légende et la commune de l’Eure (près de Chartres) prendra le nom d’Ivry-la-Bataille. Les soldats semblent hésiter : les troupes de la Ligue, commandées par le duc de Mayenne, sont trois fois supérieures en hommes et en armes.

Le roi va trouver comme à son habitude les gestes et les mots qu’il faut. Il plante un panache de plumes blanches sur son casque et harangue ses troupes : « Mes compagnons, Dieu est pour nous, voici ses ennemis et les nôtres ! Voici votre roi ! Gardez bien vos rangs. Et si vous perdez enseignes, cornettes ou guidons, ce panache blanc que vous voyez en mon armet vous en servira, tant que j’aurai goutte de sang. Suivez-le. Si vous le voyez reculer, je vous permets de fuir… » Et le roi charge en tête de ses hommes.

Son fils Louis XIII aura bien besoin de son « principal ministre » Richelieu pour régner, mais Louis XIV son petit-fils sera le roi guerrier par excellence, pour assurer son pouvoir et la place de la France en Europe.

SIÈCLE DE LOUIS XIV et SIÈCLE DES LUMIÈRES

« Je veux que mes peuples sachent qu’ils jouiraient de la paix, s’il eut dépendu seulement de ma volonté de leur procurer un bien qu’ils désirent avec raison, mais qu’il faut acquérir par de nouveaux efforts. Signé : Louis. »1

LOUIS XIV (1710-1774), Derniers mots de « l’Appel du 12 juin » 1709. Agnès Walch, Le Règne de Louis XIV (2000)

Longue lettre commençant par ces mots : « Messieurs, l’espérance d’une paix prochaine était si généralement répandue dans mon Royaume, que je crois devoir à la fidélité que mes peuples m’ont témoignée pendant le cours de mon règne, la consolation de les informer des raisons qui empêchent encore qu’ils ne jouissent du repos que j’avais dessein de leur procurer… »

Le roi se pose en père de son peuple. Il en appelle pour la première fois et directement à ses sujets, persuadé qu’ils s’opposeraient eux-mêmes à une paix assortie de conditions contraires à la justice et à l’honneur du nom français. Résolu dans son choix, il dicte l’Appel, ordonnant qu’il soit placardé et lu dans les 39 000 paroisses du pays.

La lecture de l’Appel dans les églises et sur les places eut un effet considérable. Les chroniques disent l’engouement de la population et l’adhésion immédiate. Une foule de volontaires rejoignit les rangs de l’armée. Louis XIV venait de jouer l’un des plus grands coups politiques de la monarchie. Pour la première fois en plus de mille ans, le « Ministre de Dieu sur Terre » allait consulter ses peuples sur l’avenir du royaume, s’adressant directement et personnellement à ses sujets. Un mois plus tard, il prenait acte sur le plan militaire.

« S’il faut faire la guerre, j’aime mieux la faire à mes ennemis qu’à mes enfants. »937

LOUIS XIV (1638-1715), Manifeste au peuple, juillet 1710. Histoire de France depuis l’avènement de Charles VIII (1896), Frédéric Mane

Les alliés, Hollande en tête, exigeaient que Philippe V renonce au trône d’Espagne et, en cas de refus, que Louis XIV le fasse détrôner par ses armées. Le roi de France avait rendu public l’outrage.

Le sursaut national permit un redressement franco-espagnol. Encore quelques années d’une succession de défaites et de victoires (signées Villars). Tous les pays sont épuisés, le pacifisme gagne du terrain en Angleterre, et l’issue de cette guerre ne peut être que diplomatique.

Les traités d’Utrecht (1713) et de Radstadt (1714) créent un nouvel équilibre européen. La France retrouve approximativement ses limites de la paix de Nimègue (1679) et sauve ainsi ses frontières stratégiques. Philippe V garde son royaume, mais renonce aux Pays-Bas et à ses possessions italiennes, ainsi qu’à ses droits à la succession au trône de France. L’Angleterre gagne Gibraltar et Minorque (sur l’Espagne), Terre-Neuve, l’Acadie et la Baie d’Hudson (sur la France), et de gros avantages commerciaux. Elle accède véritablement au rang de grande puissance en Europe.

« Écrasons l’infâme. »1020

VOLTAIRE (1694-1778). Dictionnaire de français Larousse, au mot « infâme »

Formule souvent reprise, notamment dans ses lettres à d’Alembert et aux autres encyclopédistes.

L’infâme, c’est l’intolérance (religieuse) sous toutes ses formes, la superstition, le fanatisme, ce contre quoi il se battra toute sa vie. Flaubert écrira (Correspondance) : « J’aime le grand Voltaire autant que je déteste le grand Rousseau […] Son « Écrasons l’infâme » me fait l’effet d’un cri de croisade. Toute son intelligence était une machine de guerre. »

RÉVOLUTION

Liberté, Égalité, Fraternité.1266

Antoine François MOMORO (1756-1794), slogan révolutionnaire

Libraire imprimeur à Paris, « premier imprimeur de la liberté », il se prétend inventeur de cette devise. En tout cas, c’est lui qui obtient de Pache, maire de Paris, qu’elle figure sur les façades des édifices publics.

Au fil de la Révolution, la liberté, revendication venue du siècle des Lumières, et l’égalité – celle des droits plus que des conditions – vont inspirer les révolutionnaires, pour le meilleur et parfois pour le pire. La fraternité restera la parente pauvre de cette trinité de concept jusqu’au socialisme du XIXe siècle. Le triple principe ne sera inscrit dans une constitution française qu’en 1848.

La revendication de l’une ou l’autre de ces valeurs nourriront l’appel à bien des luttes politiques, sociales, militaires… Le cours de l’Histoire s’accélère sous ce quinquennat révolutionnaire.

« Les grands ne sont grands que parce que nous sommes à genoux : levons-nous ! »1274

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793) et Élisée (de) LOUSTALOT (1762-1790), devise en tête du journal de Louis-Marie Prudhomme, Les Révolutions de Paris. Publié de juillet 1789 à février 1794

Loustalot, avocat et activiste révolutionnaire, est le principal rédacteur du journal jusqu’à sa mort précoce à 28 ans (par maladie), et Vergniaud, devenu très vite célèbre par son éloquence girondine, a repris cette phrase dans un discours de 1792. Ce mot est donc attribué à l’un ou l’autre des deux hommes.

Le journal des Révolutions de Paris est un quotidien, né le 12 juillet 1789, qui séduit autant par son extrémisme que par la subtilité de ses analyses politiques. La liberté de la presse est l’un des principes affirmés dans la Déclaration des droits de 1789. La floraison des journaux marque un spectaculaire éveil de la conscience populaire : 42 titres paraissent entre mai et juillet 1789, plus de 250 à la fin de l’année. Certaines feuilles ont une diffusion confidentielle, mais d’autres arrivent à 200 000 exemplaires.

« Tous les membres de cette Assemblée prêteront serment de ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides. »1319

Jean-Baptiste-Pierre BEVIÈRE (1723-1807), Jean-Joseph MOUNIER (1758-1806) et l’abbé SIEYÈS (1748-1836), Serment du Jeu de Paume, 20 juin 1789

Texte écrit sur proposition de Mounier, rédigé par Bevière, aidé de Sieyès, lu par Jean-Sylvain Bailly, président de l’Assemblée nationale, premier à prêter ce serment solennel, tenu dans la tourmente des événements à venir.

La salle du Jeu de paume sert de refuge aux députés, refoulés sur ordre du roi menaçant de casser les délibérations du tiers devenu Assemblée nationale, et qui a en conséquence fait fermer la salle des Menus-Plaisirs.

Ce serment, dépourvu de valeur juridique, a une portée symbolique considérable : il bafoue publiquement la volonté du roi qui doit réagir à l’affront. Ce qu’il va faire, trois jours plus tard. Il décide de faire évacuer la salle du Jeu de paume, pour disperser les députés. Réponse immédiate au grand maître des cérémonies, envoyé par le roi pour faire évacuer la salle du Jeu de paume, suite au Serment du 20 juin : « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes. »

« La Nation française renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes et elle n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. »1364

Déclaration de paix au monde, votée par la Constituante, 22 mai 1790. Histoire de France, 1750-1995 : Monarchies et Républiques (1996), René Souriac, Patrick Cabanel

Cette « déclaration de paix au monde » en forme de décret appartient à la catégorie des vœux pieux. La Révolution, par la force des choses plus que la volonté des hommes, se révélera expansionniste, prosélyte, conquérante : engagée dans un conflit ininterrompu de 1792 à 1802, l’Empire continuant dans la même logique, de 1803 à 1815.

« Ah ! ça ira, ça ira, ça ira
Le peuple en ce jour sans cesse répète,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira […]
Pierre et Margot chantent à la guinguette :
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira.
Réjouissons-nous le bon temps viendra. »1371

LADRÉ (XVIIIe siècle), paroles, et BÉCOURT (XVIIIe siècle), musique, Le Carillon national, chanson. Chansons nationales et populaires de France (1846), Théophile Marion Dumersan

14 juillet 1790. Fête de la Fédération : « C’est une conjuration pour l’unité de la France. Ces fédérations de province regardent toutes vers le centre, toutes invoquent l’Assemblée nationale, se rattachent à elle, c’est-à-dire à l’unité. Toutes remercient Paris de son appel fraternel. » Jules Michelet, Histoire de la Révolution française (1847-1853). Comme beaucoup d’autres, l’historien de la Révolution voit en cette journée (un an après la prise de la Bastille) le point culminant de l’époque, son génie même. Tous les espoirs sont permis.

Le soir, la foule danse sur l’emplacement de la Bastille. Et le peuple chante la plus gaie des carmagnoles, pour fêter l’unité nationale en forme d’appel.

Le chant est plus connu sous le nom de son refrain : « Ah ! ça ira ». Ladré, chanteur des rues, en a écrit les paroles sur Le Carillon national, musique de contredanse signée Bécourt, violoniste de l’orchestre au théâtre des Beaujolais. La reine Marie-Antoinette la jouait volontiers sur son clavecin.

Le texte, innocent à l’origine, reprend l’expression de Benjamin Franklin, premier ambassadeur des Etats-Unis en France (1778-1785), résolument optimiste et répétant au plus fort de la guerre d’Indépendance en Amérique, à qui lui demande des nouvelles : « Ça ira, ça ira. » Le mot est connu, le personnage populaire et dans l’enthousiasme des préparatifs de la fête, le peuple chante : « Ça ira, ça ira.

« Il n’y aura point de paix pour vous, si vous n’avez exterminé, jusqu’au dernier rejeton, les implacables ennemis de la patrie. »1380

MARAT (1743-1793), L’Ami du peuple, décembre 1790. Histoire politique et littéraire de la presse en France (1860), Eugène Hatin

Déjà populaire auprès du petit peuple parisien, mais détesté de toute la classe politique, Marat joue au « prophète de malheur » dans le journal quotidien qu’il publie et qui est pour l’heure sa seule tribune : « Il y a une année que cinq ou six cents têtes abattues vous auraient rendus libres et heureux. Aujourd’hui, il en faudrait abattre dix mille. Sous quelques mois peut-être en abattrez-vous cent mille, et vous ferez à merveille : car il n’y aura point de paix pour vous, si vous n’avez exterminé, jusqu’au dernier rejeton, les implacables ennemis de la patrie. »

Véritable appel au meurtre, alors que la guillotine n’est pas encore entrée en scène et que la Terreur est une notion inconnue ! Mais dès le début de l’année 1791, le refrain de la Révolution française change de ton.

« Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Les aristocrates à la lanterne,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Les aristocrates on les pendra. »1381

Ah ! ça ira, couplet anonyme, sur une musique de BÉCOURT (XVIIIe siècle), chanson

Le plus célèbre « refrain de la Révolution française », né bon enfant, se durcit et se radicalise, quand une main anonyme ajoute ce couplet vengeur. Toujours sur le même air de contredanse populaire du Carillon national. Comme le journal de Marat, c’est aussi un appel au meurtre.

« Que la nation reprenne son heureux caractère. »1400

LOUIS XVI (1754-1793), à la Constituante, 30 septembre 1791. Histoire politique de la Révolution française (1913), François-Alphonse Aulard

Tel est le vœu royal, et sans doute sincère, en cette dernière séance de l’Assemblée. Le roi, présent, est acclamé. Mais qui peut vraiment croire à cet appel à la paix, dans une France plus que jamais révolutionnaire et divisée ?

« Armons-nous, nous en avons le droit par la nature et même par la loi. Montrons aux hommes que nous ne leur sommes inférieures ni en vertus ni en courage […] Il est temps que les femmes sortent de leur honteuse nullité. »1408

Théroigne de MÉRICOURT (1762-1817), Discours prononcé à la Société fraternelle des Minimes, 25 mars 1792

Discours imprimé par ordre de la Société Fraternelle de patriotes, de l’un & l’autre sexe, de tout âge & de tout état, séante aux Jacobins, rue Saint-Honoré (1792).

Belge, courtisane et cantatrice, surnommée la Belle Liégeoise, cette féministe entre en révolution comme on entre en religion. Chose fort mal vue de la part d’une femme. Elle devient alors la « Furie de la Gironde ».

La voyant fouettée, ridiculisée, son frère la fait enfermer dans un asile pour qu’elle échappe à la mort. Elle y rencontrera la folie.

« Allons, enfants de la patrie… »1410

ROUGET de l’ISLE (1760-1836), Chant de guerre pour l’armée du Rhin (1792)

Premier vers de ce qui deviendra l’hymne national français sous le nom de La Marseillaise, paroles et musique de Claude Joseph Rouget de l’Isle, chant composé dans la nuit du 25 avril 1792 à la requête du maire Dietrich, à Strasbourg, joué pour la première fois par la musique de la garde nationale de cette ville, le 29 avril.

C’est à l’évidence un appel national à l’action qui va désormais retentir sur tous les théâtres de l’histoire politique, militaire, sportive et autre.

« Désarmez les citoyens tièdes et suspects, mettez à prix la tête des émigrés conspirateurs […] Prenez en otage les femmes, les enfants des traîtres à la patrie. »1411

Jacques ROUX (1752-1794), 17 mai 1792. Jacques Roux et le Manifeste des Enragés (1948), Maurice Dommanget

Discours prononcé à Notre-Dame, imprimé, vendu au profit des pauvres. Le chef des Enragés conclut : « Rappelez-vous surtout que l’Angleterre ne se sauva qu’en rougissant les échafauds du sang des rois traîtres et parjures. » L’escalade de la pensée terroriste est claire. C’est le langage de la terreur, avant la Terreur.

Au club des Cordeliers (celui des extrémistes), on appelle Jacques Roux le Petit Marat. C’est aussi le Curé rouge et le Prêtre des sans-culottes – vicaire, il fut un des premiers « jureurs » à la Constitution civile du clergé. Prêtre bien noté par sa hiérarchie à la veille de 1789, idolâtré de ses fidèles pour sa générosité, il est en quelque sorte révélé à la politique par la prise de la Bastille et converti à la Révolution. Il prononce alors son premier « prêche civique ».

Précurseur du socialisme, applaudi par les paroissiens et les gardes nationaux, mais aussitôt suspect à l’Église, il est bientôt révoqué, frappé d’interdit par l’évêque.

« Aux armes, citoyens !
Formez vos bataillons !
Marchez, marchez,
Qu’un sang impur
Abreuve nos sillons ! »1417

ROUGET de l’ISLE (1760-1836), Le Chant de guerre pour l’armée du Rhin, refrain (1792)

« Trouvé à Strasbourg […] il ne lui fallut pas deux mois pour pénétrer toute la France. Il alla frapper au fond du Midi, comme par un violent écho, et Marseille répondit au Rhin. Sublime destinée de ce chant ! » écrit Michelet, lyrique et romantique dans son Histoire de la Révolution française.

Mystérieusement arrivé à Marseille, le chant plaît au bataillon des Marseillais, qui l’adopte comme hymne de ralliement et le chante le 29 juin 1792, en plantant dans la ville un arbre de la Liberté. Son histoire ne fait que commencer.

« Le tocsin qui sonne n’est point un signal d’alarme, c’est la charge contre les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, Messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée. »1428

DANTON (1759-1794), Législative, 2 septembre 1792. Discours de Danton, édition critique (1910), André Fribourg

« De l’audace… » La fin du discours est célébrissime et propre à galvaniser le peuple et ses élus : « Danton fut l’action dont Mirabeau avait été la parole » écrit Hugo (Quatre-vingt-treize).

Ce 2 septembre, la patrie est plus que jamais en danger. La Fayette, accusé de trahison, est passé à l’ennemi. Dumouriez, qui a démissionné de son poste de ministre, l’a remplacé à la tête de l’armée du Nord, mais le général ne parvient pas à établir la jonction avec Kellermann à Metz. Et Verdun vient de capituler, après seulement deux jours de siège : les Prussiens sont accueillis avec des fleurs par la population royaliste. C’est dire l’émotion chez les révolutionnaires à Paris !

La rumeur court d’un complot des prisonniers, prêts à massacrer les patriotes à l’arrivée des Austro-Prussiens, qui serait imminente. On arrête 600 suspects, qui rejoignent 2 000 détenus en prison.

« Il faut purger les prisons et ne pas laisser de traîtres derrière nous en partant pour les frontières. »1429

Mot d’ordre de la presse révolutionnaire. Histoire des Girondins (1847), Alphonse de Lamartine

Nouvel appel au meurtre, mot d’ordre repris par L’Ami du peuple de Marat et Le Père Duchesne d’Hébert, dans les premiers jours de septembre 1792. Marat ne se contente plus d’écrire, il entre le 2 septembre dans le Comité de surveillance créé par la Commune. Ce « fanatique énergumène » (selon le Montagnard Levasseur) sera l’un des responsables des massacres de septembre.

« Que la pique du peuple brise le sceptre des rois ! »1447

DANTON (1759-1794), Convention, 4 octobre 1792. Les Grands orateurs de la Révolution (1914), François-Alphonse Aulard

La pique a beaucoup servi sous la Révolution, et pas seulement de façon métaphorique. Le peuple y a planté des têtes coupées, dès la prise de la Bastille. Quant à Danton l’avocat révolutionnaire, agitateur dans l’âme, il ne recule devant aucune violence, ni physique, ni verbale, déchainant autant de haine que d’enthousiasme.

Face aux ennemis du dehors, aux rois étrangers menaçant les frontières, Danton dit dans ce même discours qui vaut appel national : « Jetons-leur en défi une tête de roi. » La Convention va donc décider de mettre Louis XVI en jugement, après une longue discussion qui oppose les Girondins aux Montagnards. Danton s’est rangé du côté de la Montagne, qui l’emportera.

« Allons, avec la cocarde,
Aux tyrans, foutre malheur ;
Puis, allons à l’accolade,
Foutons-nous là de bon cœur… »1454

Jacques HÉBERT (1757-1794), Le Réveil du Père Duchesne, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

C’est un couplet bien dans le ton du Père Duchesne, l’un des journaux les plus populaires de l’époque, distribué aux armées pour éveiller ou maintenir la conscience politique des soldats.

« Si j’avance, suivez-moi ; si je meurs, vengez-moi ; si je recule, tuez-moi. »1487

Henri de la ROCHEJAQUELEIN (1772-1794), aux milliers de paysans qui le proclament leur chef, 13 avril 1793. Le Dernier des Chouans : Louis Stanislas Sortant (2007), Bernard Coquet, préface de Jean Tulard

Comte, membre de la garde de Louis XVI, il reçut le baptême du feu en défendant le palais des Tuileries, le 10 août 1792. Ayant perdu son roi (emprisonné), il regagne ses terres de Vendée.

C’est l’un des chefs de l’insurrection vendéenne qui commence le 10 mars 1793. L’origine en est moins politique que religieuse. Le peuple, très catholique, est choqué par la politique révolutionnaire et hostile aux « patriotes » qui veulent imposer la Constitution civile du clergé, la loi du serment des prêtres. Les nobles, dans cette région sans jacqueries paysannes, n’ont guère émigré.

La mort du roi, exécuté le 21 janvier, les décide à prendre les armes et à encadrer militairement leurs paysans et les métayers, révoltés par le décret sur la levée de 300 000 hommes rendu par la Convention le 24 février. Les prêtres réfractaires se joindront à cette contre-révolution armée. Les Anglais vont apporter une aide en argent, puis en hommes, à cette guerre civile qui va combattre une Révolution devenue trop conquérante.

« Soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être. »1490

DANTON (1759-1794), Discours, Convention, 9 mars 1793. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1901), Assemblée nationale

Parole de Montagnard, et l’orateur ne défend pas ici un principe. Il demande à l’Assemblée de concrétiser son projet de Tribunal révolutionnaire : « Organisons un tribunal, non pas bien, cela est impossible, mais le moins mal qu’il se pourra, afin que le glaive de la loi pèse sur la tête de ses ennemis. » Selon Danton, cela devrait éviter les massacres populaires. La suite de l’histoire va démontrer le contraire.

« Hommes de la Gironde, levez-vous ! […] Si vous développez une grande énergie, vous forcerez à la paix des hommes qui provoquent la guerre civile. »1501

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793), appel au secours du 4 mai 1793. Histoire de Bordeaux (1839), Pierre Bernadau

Marat est revenu plus fort qu’avant à l’Assemblée. Dans cette atmosphère sanglante, Vergniaud pressent le pire et demande soutien à son département, écrivant au club des Amis de la Constitution de Bordeaux et usant de l’anaphore (répétition) dans ce célèbre appel : « Paris, le 4 mai 1793, sous le couteau. Frères et Amis, vous avez été instruits de l’horrible persécution exercée contre nous et vous nous avez abandonnés ! Hommes de la Gironde, levez-vous ! La Convention n’a été faible que parce qu’elle a été abandonnée, soutenez-la contre tous les furieux qui la menacent […] Hommes de la Gironde, il n’y a pas un moment à perdre ! Si vous développez une grande énergie, vous forcerez à la paix des hommes qui provoquent à la guerre civile… »

Ses Frères et Amis de Bordeaux vont envoyer des pétitionnaires à Paris, pour faire comprendre à l’Assemblée que la région ne supportera pas longtemps que ses députés soient persécutés, que si la Convention ne condamne pas les démagogues, elle lèvera une armée pour la combattre. Ces menaces vagues ne servent à rien : le temps de voir arriver ces secours, les députés Girondins seront déjà à la merci des émeutiers parisiens.

« C’est quand toutes les lois sont violées, c’est quand le despotisme est à son comble, c’est quand on foule aux pieds la bonne foi et la pudeur que le peuple doit s’insurger. Ce moment est arrivé. »1504

ROBESPIERRE (1758-1794), au club des Jacobins, 26 mai 1793. Histoire de la Révolution française (1823-1827), Adolphe Thiers, Félix Bodin

Robespierre, malade, n’a pas eu assez de voix pour s’exprimer ce jour à la tribune de la Convention. Il rassemble ses forces pour se rendre aux Jacobins et s’expliquer en famille, sous les applaudissements de ses amis. Il n’espère plus pouvoir continuer la lutte sur le plan parlementaire, d’où cet appel au combat : le peuple doit se soulever.

Ce même jour, il écrit en précisant la menace : « Les dangers intérieurs viennent des bourgeois. Il faut que le peuple s’allie à la Convention et que la Convention se serve du peuple. Il faut que l’insurrection s’étende de proche en proche […] Que les sans-culottes soient payés et restent dans les villes. Il faut leur procurer des armes, les colérer, les éclairer. »

Le lendemain 27 mai, le peuple, représenté par les délégations des Sections, commence à envahir la Convention. La puissante voix de Danton s’élève contre la tyrannie, le despotisme de la Montagne. Il est devenu « le plus modéré des Montagnards » (selon François Furet).

« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »1514

Constitution du 24 juin 1793, article 35

C’est la Constitution de l’an I, jamais appliquée du fait de la Terreur bientôt décrétée qui instaure un régime révolutionnaire. Constitution mémorable à divers titres, approuvée par référendum au suffrage universel, très démocratique et décentralisatrice, proclamant de nouveaux droits économiques et sociaux (dont l’instruction), consacrant la souveraineté populaire, le recours au référendum… et le droit à l’insurrection, considéré comme un devoir.

Cet article est inapplicable : « Le droit à l’insurrection, incontestable en théorie, est en fait dépourvu d’efficacité. La loi constitutionnelle d’un pays ne peut le reconnaître sans jeter dans ce pays un ferment d’anarchie. » (Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel).

« Si je ne réussis pas dans mon entreprise, Français, je vous ai montré le chemin : vous connaissez vos ennemis. Levez-vous, marchez et frappez. »1519

Charlotte CORDAY (1768-1793), Adresse aux Français, amis des lois et de la paix. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Cette jeune normande de 25 ans, montée à Paris pour tuer Marat, écrit le 12 juillet 1793 un long texte dans le style de l’époque – descendante de Corneille, elle a aussi beaucoup lu Plutarque, Tacite, et Rousseau : « Les factions éclatent de toutes parts : la Montagne triomphe par le crime et par l’oppression ; quelques monstres abreuvés de notre sang conduisent ces détestables complots… »

On trouvera le texte sur elle le lendemain, lors de son arrestation près de la baignoire où elle vient de poignarder Marat – un eczéma sur tout le corps l’oblige à passer des heures dans l’eau pour moins souffrir, et il a reçu la visiteuse, censée lui apporter une liste de traîtres à la patrie.

Six mois plus tôt, l’exécution du roi l’a épouvantée, comme tant de Français. Elle va en quelque sorte venger le roi, venger la France : en assassinant l’assassin, elle fait acte de justice. Le retentissement de ce « fait divers politique » est considérable, au fil de cette Révolution en marche, d’appels en appels suivis d’actions et de réactions.

« Mettre à la gueule du canon tous les accapareurs, les financiers, les avocats, les calotins, et tous les bougres qui n’ont vécu jusqu’à présent que pour le malheur public. »1523

Jacques HÉBERT (1757-1794), Le Père Duchesne, fin juillet 1793. Anthologie de la subversion carabinée (2008), Noël Godin

Hébert a pris le relais de Marat (assassiné), en plus extrême. Dans son journal, il élargit ainsi la notion de suspect, multiplie les appels aux meurtres et adopte le programme des Enragés. Le Père Duchesne, seul grand journal populaire après la disparition de Marat et de L’Ami du peuple, aura jusqu’à 200 000 lecteurs. C’est dire l’influence de tels propos.

Le 17 septembre, la loi des Suspects permet d’arrêter « tous ceux qui doivent être considérés comme défavorables au régime nouveau ». La Terreur sera alors légalisée.

« Détruisez la Vendée ; Valenciennes et Condé ne seront plus au pouvoir de l’Autrichien. Détruisez la Vendée ; l’Anglais ne s’occupera plus de Dunkerque. Détruisez la Vendée ; le Rhin sera délivré des Prussiens… »1524

Bertrand BARÈRE de VIEUZAC (1755-1841), Discours, Convention, 1er août 1793. Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux

Les troupes républicaines ont été battues en juillet. Le programme d’extermination contre ce « chancre qui dévore le cœur de la République » sera mis en œuvre à la fin de l’année. Mais le génocide semble inscrit dans le décret voté le 1er août, après ce discours incendiaire qui use de l’anaphore chère aux révolutionnaires (répétition efficace, en bonne rhétorique). Il faut des « mesures qui tendent à exterminer cette race rebelle, à faire disparaître leurs repaires, à incendier leurs forêts, à couper leurs récoltes. L’humanité ne se plaindra pas ; c’est faire son bien que d’extirper le mal ; c’est être bienfaisant pour la patrie que de punir les rebelles. L’autorité nationale portera l’effroi dans les repaires de brigands et dans les demeures des royalistes. »

L’armée de l’Ouest reprendra Cholet, Angers, Le Mans : les Bleus (les patriotes) massacreront les Blancs (les royalistes). L’armée vendéenne est anéantie à Savenay (23 décembre 1793), les colonnes infernales font la « terre brûlée » et exécutent 160 000 civils, au début de 1794. Chouans, Bretons et Normands, soulevés pour les mêmes raisons, subiront le même sort.

« C’est ici la guerre ouverte des riches contre les pauvres ; ils veulent nous écraser ; eh bien ! il faut les prévenir et les écraser nous-mêmes ; nous avons la force en main. »1530

Pierre-Gaspard CHAUMETTE (1763-1794), 4 septembre 1793 à la Commune de Paris (Hôtel de Ville). Journal de la Montagne n° 96 du mercredi 4 septembre 1793

Extrémiste hébertiste, il revendique par ailleurs la pauvreté qu’il a vécue. La crise des subsistances aussi bien que la reddition de Toulon aux Anglais provoquent l’émeute : deux journées révolutionnaires. Les historiens débattent sur les causes. En fait, les sans-culottes veulent une répression plus expéditive des « méchants » : comploteurs, affameurs, traîtres à la patrie, contre-révolutionnaires et autres suspects.

Le 4 septembre, 2000 manœuvres et ouvriers du bâtiment vont à la Commune réclamer du pain. La séance du Conseil général est mouvementée. Chaumette monte sur une table et lance sa déclaration de guerre aux riches. Hébert invite le peuple à se rendre en masse le lendemain à la Convention : « Qu’il l’entoure comme il a fait au 10 août, au 2 septembre, et au 31 mai et qu’il n’abandonne pas ce poste, jusqu’à ce que la représentation nationale ait adopté les moyens qui sont propres pour nous sauver. Que l’armée révolutionnaire parte à l’instant même où le décret aura été rendu, mais surtout, que la guillotine suive chaque rayon, chaque colonne de cette armée ! »

Les appels succèdent aux appels et finissent par se ressembler.

« Guerre aux tyrans ! Guerre aux aristocrates ! Guerre aux accapareurs ! »1531

Mots d’ordre des sections populaires des sans-culottes, 5 septembre 1793. Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux

Un long cortège d’émeutiers encadré par les Hébertistes et les Enragés s’ébranle de l’Hôtel de Ville à la Convention. Les sans-culottes n’ont pas besoin, comme au 2 juin, de violence pour faire plier l’Assemblée qui cédera à la plupart de leurs revendications économiques - mais pas à la destitution des nobles.

« La Terreur est à l’ordre du jour. »1532

Convention, Décret du 5 septembre 1793. Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire en l’An II, 1793-1794 (1973), Albert Soboul

La pression populaire est impressionnante. Une députation du club des Jacobins soutient les sans-culottes à l’Assemblée. Pour éviter d’être débordée, la Convention cède en se plaçant sur le plan du droit…

Une Première Terreur (six semaines) avait succédé au 10 août 1792. Cette fois, elle va prendre une autre ampleur, et mériter bientôt le nom de Grande Terreur.

« Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort. »1552

Olympe de GOUGES (1755-1793), guillotinée le 3 novembre 1793. Son mot de la fin. Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris, avec le Journal de ses actes (1880), Henri Alexandre Wallon

Féministe coupable d’avoir écrit en 1791 une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, d’avoir défendu le roi, puis courageusement attaqué Robespierre en « brissotine » (synonyme de girondine), elle a été arrêtée en juillet 1793.

Femme de lettres, femme libre jusqu’à la provocation, elle est comparable à George Sand au siècle suivant, mais ce genre de provocation est encore plus mal vu, en 1793 ! La reconnaissance espérée par la condamnée sera tardive.

« Dix mille hommes sont nu-pieds dans l’armée. Il faut que vous déchaussiez tous les aristocrates de Strasbourg dans le jour et que demain à dix heures du matin, les dix mille paires de souliers soient en marche pour le quartier général. »1559

Proclamation signée Louis Antoine SAINT-JUST (1767-1794) et Philippe François Joseph LEBAS (1764-1794), 15 novembre 1793. La Montagne (1834), Jean-Barthélemy Hauréau

Ces deux conventionnels s’expriment ici en tant que « représentants du peuple, envoyés extraordinairement à l’armée du Rhin, à la municipalité de Strasbourg ». Bel exemple de la façon expéditive dont la République règle les problèmes d’intendance aux armées.

« Osez ! Ce mot renferme toute la politique de votre révolution. »1271

SAINT-JUST (1767-1794), Rapport sur les suspects incarcérés, 26 février 1794. Collection des mémoires relatifs à la Révolution française (1828), Saint-Albin Berville, François Barrière

Encore un théoricien de la Révolution passé à l’action, encore un représentant du courant « pur et dur » de cette époque, il se fait remarquer par la violence de ses mots et de ses idées, partageant jusqu’à la fin prochaine le sort de son ami Robespierre.

« Si vous donnez des terres à tous les malheureux, si vous les ôtez à tous les scélérats, je reconnais que vous aurez fait une révolution. »1282

SAINT-JUST (1767-1794). Rapport du 18 ventôse, an II (8 mars 1794). Saint-Just ou les vicissitudes de la vertu (1989), Albert Ladret

La Révolution française n’ira jamais jusque-là. C’est surtout une révolution bourgeoise, pour l’égalité des droits et non des conditions. Mais cette utopie, héritée de Rousseau, sera bientôt reprise par Babeuf et les siens, et théorisée dans le Manifeste des Égaux en 1796.

« Soyez attaquants, sans cesse attaquants. »1590

Comité du 8 prairial an II (27 mai 1794), Aux « soldats de l’an II ». Formule attribuée à Lazare CARNOT (1753-1823). La Révolution française (1984), Albert Soboul

Parfois daté de février 1794, c’est le genre de mot « passe-partout », toujours en situation dans un pays en guerre.

La levée en masse a mis 750 000 hommes sous les drapeaux pour sauver la patrie en danger. Malgré d’énormes problèmes d’approvisionnement et de discipline, l’attaque ordonnée réussit, les armées de la République repoussent l’ennemi. En mai 1794, le département du Nord est reconquis.

Et la Belgique, le mois suivant.

« Il faut raccourcir les géants
Et rendre les petits plus grands,
Tout à la même hauteur
Voilà le vrai bonheur. »1597

Portrait du sans-culotte, chanson anonyme. Les Sans-culottes parisiens en l’an II (1968), Albert Soboul

C’est l’homme nouveau, vu par la sans-culotterie. C’est le règne de l’égalité prise au pied de la lettre ! C’est aussi la négation du grand homme, du héros en tant qu’individu, au bénéfice du héros collectif, le peuple, incarné par le sans-culotte. Et c’est toujours l’histoire de France, contée par les chansons.

« La justice est à l’ordre du jour. »1608

Cri de ralliement des vainqueurs, au lendemain du 9 Thermidor (1794). Histoire populaire de la Révolution française de 1789 à 1830 (1840), Étienne Cabet

Ce mot d’ordre répond à l’ancien slogan : « La Terreur est à l’ordre du jour » (décret du 5 septembre 1793). Après la période girondine, puis montagnarde, voici la Convention thermidorienne.

« Du pain ! »
« La Constitution de l’an I ! »
« La liberté des patriotes ! »1618

Cris des manifestants forçant les portes de la Convention, 1er avril 1795. Dictionnaire Petit Robert, au mot « Germinal an III (journées des 12 et 13) »

Première insurrection populaire contre la Convention : journées des 12 et 13 germinal an III (1er et 2 avril 1795).

Le pays traverse une double crise, économique et politique. Le peuple a faim, après l’hiver rigoureux, l’inflation, la crise des subsistances. Et il veut l’application de la loi suprême, cette Constitution de l’an I (trop) démocratique et suspendue sitôt qu’approuvée.

Comme aux précédentes journées révolutionnaires, les émeutiers encerclent et attaquent l’Assemblée. Les manifestants sont dispersés par les bataillons de la garde nationale. Dans la nuit du 12 au 13 germinal, la Convention décrète l’état de siège pour rétablir l’ordre dans les quartiers populaires où l’agitation continue, le 13.

Seconde insurrection populaire : journées des 1er, 2 et 3 prairial an III (20 au 22 mai 1795). Nouveaux appels qui sont autant de mots d’ordre criés par le peuple envahissant la Convention : « Du pain et la Constitution de 1793 ! »

Les mêmes causes produisent les mêmes effets, la disette s’aggrave à Paris, la Constitution de 1793 est toujours suspendue, les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau se soulèvent, les insurgés envahissent la Convention et massacrent le député Féraud. Encore une tête au bout d’une pique !

On évitera de peu le bain de sang à Paris, mais il s’ensuit une réaction très violente contre les terroristes révolutionnaires. La « Terreur blanche » sévit surtout dans le sud-est de la France : les bandes royalistes pourchassent et massacrent Jacobins, républicains, prêtres constitutionnels, protestants, généralement avec la complicité des autorités cherchant à anéantir le terrorisme révolutionnaire.

« Rhabillez-vous peuple français
Ne donnez plus dans les excès
De nos faux patriotes
Ne croyez plus
Qu’aller tout nus
Soit une preuve de vertu
Remettez vos culottes. »1621

Jean-Étienne DESPRÉAUX (1748-1820), Remettez vos culottes ou Conseils aux sans-culottes, chanson de l’automne 1795. Les Femmes des Tuileries : la jeunesse de l’impératrice Joséphine (1883), Imbert de Saint-Amand

Enfin, l’appel au calme qui sera entendu par une France épuisée.

La Convention thermidorienne a triomphé de deux graves insurrections populaires et des soulèvements royalistes : elle a frappé à gauche, frappé à droite. C’est la fin du mouvement révolutionnaire et le retour à une république bourgeoise, libérale et modérée. La Constitution de l’an III est votée, elle rétablit le suffrage censitaire et donne ses bases au nouveau régime de la France : le Directoire.

« Peuple ! Réveille-toi à l’Espérance. »1643

Gracchus BABEUF (1760-1797), Le Tribun du Peuple, 30 novembre 1795

Ce révolutionnaire passe une partie de la Terreur en prison et fonde son journal au lendemain du 9 thermidor an II (27 juillet 1794). Il y expose ses théories communistes, privilégiant la notion de lutte des classes et visant à une société des Égaux. Il se prépare maintenant à passer à l’action sous le Directoire à venir – ce sera la « conspiration des Égaux ».

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