« J’aime passionnément le mystère, parce que j’ai toujours l’espoir de le débrouiller. »
Charles BAUDELAIRE (1821-1867). Le Spleen de Paris (recueil posthume de poèmes en prose, 1869)
Les mystères ont défrayé la chronique en leur temps, nourris par la rumeur - bien avant la presse, les réseaux sociaux et toutes les « autoroutes de la désinformation » !
Petits et grands mystères alternent, souvent associés à des Affaires majuscules - des Templiers à l’Affaire Dreyfus. Tant de fois commentées, souvent fascinantes, elles sont un vivant reflet de leur époque, mais aussi de « l’âme humaine » qui ne varie guère.
Certains mystères sont aujourd’hui résolus – l’épidémie de peste noire, le Collier de la Reine, l’Affaire du Rainbow warrior. D’autres demeurent – l’assassinat d’Henri IV, l’énigme du Masque de fer et l’Affaire des poisons au siècle de Louis XIV, l’affaire du petit Grégory de nos jours.
Quelques personnages restent à jamais (et volontairement) mystérieux - du roi Philippe le Bel à François Mitterrand, en passant par le marquis de Sade… et de Gaulle : « La grandeur a besoin de mystère. On admire mal ce qu’on connaît bien. » Quant à Molière, objet des pires fake-news de son temps, sa vie comporte toujours certains mystères.
De nos jours, les « affaires » se multiplient, le journalisme d’investigation devient un genre prospère et les procès font la une des médias. Faut-il y voir un progrès dans la justice, la « transparence » et la démocratie, ou une dérive sociétale dangereuse ?
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Malraux mythomane ? Ce n’est même plus un mystère, mais cela reste une étonnante affaire.
« Les grandes manœuvres sanglantes du monde étaient commencées. »2684
André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)
L’écrivain aventurier s’est engagé aux côtés des républicains qui combattent au cri de « Viva la muerte », dans cette guerre civile qui va durer trois ans et servir de banc d’essai aux armées fascistes et nazies. Contrairement à tous ses confrères qui ont cru à la paix du monde, Malraux, des Conquérants (1928) à L’Espoir (1937) en passant par La Condition humaine (prix Goncourt 1933), se fait l’écho fidèle et prémonitoire de ce temps d’apocalypse. Lui-même devient un héros révolutionnaire à l’image des héros de ses livres, avec un très grand talent, dans l’aventure comme dans la littérature.
C’est la VO - version officielle de la belle histoire de Malraux, telle que nous la relatons dans notre Histoire en citations éditée en 1990. Mais en 2001, sa biographie signée Olivier Todd propose une version bien différente. On peut dire qu’elle s’impose, à la relecture d’André Malraux. En quelques citations, tout devient clair
« La mystification est éminemment créatrice. »
André MALRAUX (1901-1976), La Voie royale(1930)
Un personnage parle du faux en bibliophilie, qu’il pratiqua lui-même.
Il est surtout connu pour le trafic d’objets d’art. À 22 ans, marié à Clara, ayant besoin d’argent, déjà très amateur d’art, Malraux obtient une mission archéologique du ministère des Colonies en septembre 1923, prétendant suivre des cours à l’École des langues orientales. Parti de Marseille pour Hanoï, il s’établit près du complexe archéologique d’Angkor, le 13 octobre 1923. Mi-décembre, après repérage, Malraux et ses compagnons découpent à la scie près d’une tonne de statuettes et de bas-reliefs arrachés au temple de Banteay Srei, le plus extraordinaire des quelque 400 temples de la zone. Ils emballent le butin et l’emportent, pour vendre à un collectionneur.
Le conservateur du Musée du Cambodge donne l’alerte : arrêtés à leur arrivée à Phnom-Penh le 23 décembre 1923, assignés à résidence à l’hôtel Manolis, ils ne peuvent plus payer la note au bout de quatre mois. Le 21 juillet 1924, Malraux est condamné à trois ans de prison ferme.
Clara, censée n’avoir fait que suivre son mari, n’est pas inculpée. Elle repart pour Paris et mobilise les intellectuels de l’époque qui signent une pétition réclamant un statut privilégié pour « ceux qui contribuent à augmenter le patrimoine intellectuel de notre pays. » Étonnante formule ! En appel le 28 octobre 1924, la peine de Malraux est réduite à un an et huit mois de prison avec sursis, sans interdiction de séjour.
« Tout aventurier est né d’un mythomane. »
André MALRAUX (1901-1976), La Voie royale (1930)
L’auteur parle ici en son propre nom. Autodidacte et tenté par l’aventure, rappelons que le jeune aventurier était d’abord parti avec son épouse Clara Malraux en Indochine – où il sera emprisonné en 1923-1924 pour vol et recel d’antiquités sacrées khmères.
De retour en France, il transpose cette aventure dans son deuxième roman, La Voie royale (1930). Un jeune archéologue breton et un vieux Danois qui a plus d’expérience vont voler des bas-reliefs et veulent retrouver l’aventurier Grabot qui a disparu. Mais abandonnés par leur guide, les deux aventuriers doivent survivre dans un environnement hostile (marais, embûches, insectes géants…). Le défi n’est pas seulement la survie dans la jungle dangereuse. C’est aussi une réflexion métaphysique concernant l’homme et sa destinée… Spiritualité déjà intense, chez l’auteur.
Malraux devient célèbre avec La Condition humaine (1933), roman d’aventures et d’engagement qui s’inspire des soubresauts révolutionnaires de la Chine et obtient le prix Goncourt. Son tout premier roman, Les Conquérants (1928) mettait aussi en scène des héros révolutionnaires en Chine, luttant contre la présence européenne.
Militant antifasciste, il relate ensuite le début de la guerre d’Espagne - du putsch militaire franquiste en juillet 1936 à la bataille de Guadalajara en mars 1937, où les républicains ont été victorieux. Il en tire son quatrième roman, L’Espoir (décembre 1937), dont il tournera une adaptation filmée en 1938.
Comme on le voit, Malraux s’est passionnément voulu et rêvé aventurier en son temps, archétype du héros parfait, prêt à entrer au Panthéon et à rester dans l’Histoire avec de Gaulle – rencontre du destin, dans sa vie « à suivre ».
« Je fabule, mais le monde commence à ressembler à mes fables. »
André MALRAUX (1901-1976)
Le mot lui est attribué pendant la Seconde Guerre mondiale où il s’est posé en résistant de la première heure, alors que la réalité est tout autre. Mais…
« Ce n’était ni vrai ni faux, c’était vécu. »
André MALRAUX (1901-1976), La Condition humaine (1933)
Telle serait la clé du personnage Malraux, selon son biographe Olivier Todd (1929-2024).
Diplômé d’études supérieures d’anglais (Sorbonne), licencié et master of Arts en philosophie (Cambridge), professeur au Lycée International de SHAPE (St Germain en Laye), assistant à l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud, il fut aussi grand reporter à France-Observateur, rédacteur en chef adjoint au Nouvel Observateur de 1970 à 1977, éditorialiste puis rédacteur en chef, adjoint au directeur de L’Express de 1977 à 1981. Et biographe d’un Malraux qu’il admire, qu’il a beaucoup lu et bien connu, en vertu de quoi il retouche l’image légendaire.
« Pour moi, André Malraux a eu deux très beaux romans : « L’Espoir », et sa propre vie. »
Olivier TODD (1929-2024) France-Culture, 4 octobre 2014
« On peut même parler de résistance mensongère. La mythomanie existe. Malraux de son vivant disait volontiers : ‘ On raconte que je fabule. Mais il se trouve que mes fables viennent petit à petit à coïncider avec la réalité.’ La résistance de Malraux est le cœur de sa mythomanie. »
Malraux a refusé pendant des années de participer à la résistance en disant : « Vous n’avez pas d’armes et vous n’avez pas de chars. » Il est arrivé en soi-disant résistance en décembre 1942 à Saint-Chamant (en Auvergne).
« Il s’y est installé et a vécu une vie tout à fait normale. Le courrier arrivait à son nom, les cartes d’alimentation étaient à son nom. Il se comportait comme un citoyen français de Vichy. Il était très occupé à écrire les 2 600 pages de son ouvrage sur Lawrence d’Arabie. À chacun son occupation. Sartre n’était pas dans un char pour prendre la place de la Concorde ; Malraux n’était pas à Saint-Chamant pour faire de la résistance…
Il allait sans arrêt à Paris, il y voyait beaucoup de gens… il a même été une fois se réfugier chez Drieu [La Rochelle]. Comment la Gestapo aurait-elle pu aller le chercher chez Drieu ? Rentré à Saint-Chamant, il parle des contacts qu’il a eus avec la Résistance. Aucun n’est avéré. Le dernier membre du Conseil National de la Résistance que j’ai rencontré, c’était Bourdais. Quand je lui ai demandé s’il était exact que Malraux avait été chargé par le CNR de représenter la Résistance là-bas, Bourdais m’a répondu : ‘Absolument pas, on ne l’a jamais vu.’ »
Il existe deux Malraux qui sont de vrais héros de la Résistance, ses deux frères qui s’engagent début 1944 : Claude arrêté le 8 mars et Roland le 22 mars. Claude meurt sous la torture le 18 avril 1944. Roland, déporté au camp de concentration de Neuengamme en Allemagne, mourra le 3 mai 1945 dans le bombardement du bateau de croisière réquisitionné par la SS pour évacuer les prisonniers des camps du nord de l’Allemagne, face à l’avancée rapide des troupes britanniques.
André Malraux écrit le 5 février 1945 à son ami d’enfance Louis Chevasson : « Je suis dans l’illégalité complète depuis mars 1944. » Malraux entre vraiment, du moins verbalement, en résistance, selon lui-même, fin mars 1944, peu de temps avant la libération, mais surtout juste après avoir appris la mort d’un de ses frères, la déportation de l’autre. C’est un phénomène psychanalytique bien connu qui fait naître le remords chez les survivants. Malraux n’a-t-il pas essayé de se rattraper en devenant grand résistant ? Malheureusement il n’a pas réussi.
« C’est une chose que de vouloir se battre, mais encore faut-il être accepté par la Résistance. Or Malraux n’a jamais été accepté par la Résistance, qu’il s’agisse de l’Armée Secrète, plutôt à droite, ou des FTP, plutôt à gauche. »
Olivier TODD (1929-2024), Malraux : épidémiologie d’une légende, Séance du lundi 3 novembre 2003, Académie des Sciences morales et politiques
« Ça n’a pas empêché Malraux de se montrer très courageux, car il se promenait partout, en Dordogne, en Corrèze, dans le Lot en proclamant qu’il était le chef. Il inspectait, mais en fait il n’a jamais commandé qui que ce soit. Dans ses Antimémoires, il narre ses expéditions de parachutage, sa réception d’aviateur et aussi les trains qui ont explosé. Mais il n’y a pas eu de trains qui ont explosé. Au Musée de la Libération, il y a plusieurs documents où Malraux fait état de blessures qu’il n’a jamais eues. »
« De Gaulle n’était sans doute pas dupe, mais la raison d’État voulait en 1950 que Malraux soit un héros parfait. Il avait fait la brigade Alsace-Lorraine, il était Compagnon de la Libération et on lui a donné la Résistance en plus. »
Olivier TODD (1929-2024), Malraux : épidémiologie d’une légende, Séance du lundi 3 novembre 2003, Académie des Sciences morales et politiques
« Qui sont les responsables de la diffusion de la légende Malraux ? En premier lieu, Malraux lui-même, par ce qu’il a dit et surtout par ce qu’il a écrit, non seulement dans ses romans, mais également dans les papiers administratifs. Il n’y a aucun doute qu’il a trafiqué ses papiers.
Est également responsable de la légende Malraux le général Jacquot, qui a mis Malraux en piste pour la brigade Alsace-Lorraine. Les deux hommes se sont défendus l’un l’autre et se sont donné des certificats de résistance l’un à l’autre. Les Anglais également ont aidé Malraux en lui conférant le Distinguished Service Order. Dans la citation anglaise, Malraux devient l’homme qui a organisé toute la résistance dans le sud-ouest !
Georges Pompidou fait également partie des responsables. Il a avalé toutes les couleuvres que Malraux servait, à commencer par son diplôme des langues orientales, qu’il n’a jamais eu. Il y a aussi le général De Gaulle qui a établi une liste de tous les chefs de région en France et fait la part belle à Malraux…
Des journalistes aussi, tel mon confrère Jean Lacouture, ont renforcé la légende en ne vérifiant pas leurs sources. D’autres, tel André Brincourt, ont encensé Malraux et caché certaines choses, par exemple que Malraux était un très grand dépressif et un alcoolique.
Malraux a bénéficié de la complicité d’une partie de la presse et de la critique. Les journalistes ne se croient pas habilités à émettre des jugements littéraires et parallèlement les critiques littéraires ne veulent pas juger de l’histoire. Cela a contribué à l’émergence d’une double légende : la légende journalistique et la légende littéraire. »
« Une des raisons profondes, je crois, qui a motivé son attitude, c’est ce qu’il écrit au début de ses Antimémoires : ‘Il n’y a pas de grandes personnes.’ Malraux lui-même n’est pas une grande personne. Il est resté toute sa vie un perpétuel adolescent confondant allègrement réalité et fiction. »
Olivier TODD (1929-2024), Malraux : épidémiologie d’une légende, Séance du lundi 3 novembre 2003, Académie des Sciences morales et politiques.
« Les Antimémoires sont pleines de bonne littérature qui n’est pas nécessairement de la bonne histoire… Même sa fille a toujours pensé qu’il s’agissait d’embellissements, comme aurait dit Chateaubriand. »
Oliver Todd recense une foule de détails inexacts, d’exagérations, de pures inventions… « Il y a aussi son arrivée à la prison Saint-Michel, qui est un formidable morceau d’anthologie. Proclamant qu’il est le colonel Berger, il refuse d’être soigné, après que les Allemands l’ont mis au lit, avec une bouteille de Bordeaux et des draps blancs, ce qui n’était pas le sort réservé à la plupart des résistants… »
« Un autre document est particulièrement intéressant, il s’agit du dernier roman de Malraux, un fragment qui s’appelle Non. [A. Malraux, Non. Fragments d’un roman sur la résistance (inédit)] Dans ce roman, Malraux se remet en scène, mais très mal parce qu’il n’a absolument jamais connu la résistance. Malraux, héros du roman, arrive à Paris et on apprend que Max, c’est-à-dire Jean Moulin, vient de disparaître. Qui va prendre automatiquement la succession de Jean Moulin ? Bien sûr le colonel Berger !
« Malraux était mythomane, il n’y a pas de doute là-dessus. Mais ça ne me gêne pas outre mesure. Chateaubriand aussi était mythomane, il a inventé dans les « Mémoires d’outre-tombe » des choses - et des choses considérables - qui n’ont pas eu lieu. »
François de SAINT-CHERON (né en 1958), auteur de plusieurs livres sur André Malraux
Affaire Salengro, 1936 : mystère éclairci sous le Front populaire, même si l’extrême-droite s’y réfère encore !
« Ils porteront la responsabilité de ma mort car je ne suis ni un déserteur ni un traître. »7
Roger SALENGRO (1890-1936), lettre à l’intention de Léon Blum
Touché profondément en son honneur et affaibli par la mort de son épouse Léonie l’année précédente, il se suicide au gaz dans la nuit du 17 au 18 novembre 1936. Avant de mourir, il donne une explication de son geste dans la lettre destinée à son ami Léon Blum.
Le lendemain 19 novembre, Le Populaire, journal de Blum, titre : « Ils l’ont tué. Roger Salengro est mort. » Trois jours plus tard, Blum prononce un discours poignant lors des obsèques de son ami : « Il n’y a pas d’antidote contre le poison de la calomnie. » C’est aussi « l’assassinat moral » défini par Napoléon.
Né à Lille en 1890, Roger Salengro fit tout son cursus scolaire et universitaire dans sa ville natale. Il s’engage en politique, militant pour la SFIO, Section française de l’internationale ouvrière, ancêtre du Parti socialiste français.
Engagé pendant la Première Guerre mondiale, il sort de sa tranchée pour tenter de récupérer le corps d’un ami tué au combat. Il est capturé par les Allemands, cependant que les troupes françaises pensent qu’il a été abattu. Les autorités le soupçonnent d’avoir déserté, mais l’ancien prisonnier de guerre amaigri, jugé, a été acquitté.
« Il n’y a pas de milieu : la conduite de M. Salengro, le 7 octobre [1915], est celle d’un héros ou celle d’un déserteur. Or nous devons constater que M. Salengro n’a fait l’objet, de la part de ses chefs, d’aucune proposition de récompense, mais d’une plainte qui devait le conduire en conseil de guerre. » (Applaudissements à droite.)
Me Henri BECQUART (1891-1954), Roger Salengro Chambre des députés, séance du 13 novembre 1936, assemblee-nationale.fr
Après trois années de captivité, Roger Salengro avait repris ses activités militantes. Député socialiste et maire de Lille, ministre de l’Intérieur du gouvernement Blum de Front populaire, Salengro avait refusé de faire évacuer par la force les usines occupées pendant les grandes grèves de mai-juin 1936 en région parisienne. C’était l’homme à abattre pour l’extrême droite. Il sera abattu par une campagne de presse.
L’Affaire Salengro commence dans l’été 1936 : Gringoire (hebdomadaire nationaliste) relance une accusation de désertion remontant à 1915. Une commission militaire, présidée par le général Gamelin, réexamine les dossiers des Conseils de guerre : Salengro avait demandé l’autorisation de quitter la tranchée pour ramener le corps d’un camarade, il n’était pas revenu et avait été jugé déserteur par contumace… alors qu’il était prisonnier de guerre en Allemagne. À son second procès, il est acquitté.
Après la dissolution des ligues d’extrême droite, Salengro est pris pour cible par les médias fascisants qui mènent une violente campagne d’allégations contre le ministre, affirmant pour le décrédibiliser qu’il a déserté pendant la guerre
« On ne va pas chercher les ministres sur les bancs des conseils de guerre. »2686
Henri de KÉRILLIS (1889-1958), L’Écho de Paris, 19 novembre 1936. Le Quatrième pouvoir, la presse française de 1830 à 1960 (1969), Jean André Faucher, Noël Jacquemart
Épilogue de l’affaire Salengro, vue par un député républicain national (extrême droite).
Son suicide va bouleverser la France. Un mois plus tard, le pouvoir législatif aggrave les peines pour diffamation.
Au-delà de ses péripéties partisanes, locales puis nationales, ce que l’on appelle l’ « affaire Salengro » ne se limite pas aux articles diffamatoires de Gringoire et d’une presse hostile au gouvernement de Léon Blum. Elle pose crûment la question, toujours d’actualité, de la liberté d’expression. Jusqu’où peut-on aller dans l’invective ?
Les faits sont clairs, la cause est entendue… mais en 2024, le Rassemblement national faisait encore référence à Salengro considéré comme un traitre. L’erreur a parfois la vie dure.
SECONDE GUERRE MONDIALE
Marx Dormoy, cible de l’antisémitisme, incarcéré sous le régime de Vichy, victime d’une bombe sous son lit en 1941, médaillé de la Résistance en 1947.
« Marx Dormoy fut le maire exemplaire d’une ville industrielle [Montluçon], pratiquant une politique sociale et sanitaire d’avant-garde. Il eut également un destin national, d’abord sous-secrétaire d’État à la présidence du conseil du ministère Blum, puis ministre de l’Intérieur… Avec lui, le Front Populaire et les accords de Matignon de 1936, la lutte contre la Cagoule, le refus des pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940, font partie de notre histoire nationale. »70
André TOURET (1929-2018), Marx Dormoy (1998)
La guerre et l’entre-deux-guerres, autant d’époques propices à créer ce qu’on appelle un « destin national », quand la fin est tragique. « Homme de conviction, de courage et d’une rare clairvoyance, il s’opposa aux régimes totalitaires et comme Léon Blum avec qui il se lia d’une solide amitié, il ne désespéra pas de la victoire des Alliés. Mais au bout du chemin, un crime abominable, aujourd’hui en partie élucidé, fit de lui un martyr. »
« Bande de salauds. Et d’abord un Juif vaut bien un Breton ! »
Marx DORMOY (1888-1941), 5 avril 1938, Chambre des débutés. Laurent Joly (né en 1976), « Antisémites et antisémitisme à la Chambre des députés sous la IIIe République », Revue d’histoire moderne et contemporaine (2007)
Ministre de l’Intérieur du Front populaire depuis 1936, il intensifia la lutte contre Jacques Doriot et la Cagoule, d’où un pilonnage en règle de la part de cette presse d’extrême droite visant à le criminaliser et le diaboliser. Caricaturistes et journalistes trouvèrent matière à exprimer leur anticommunisme, leur antisémitisme, leur antirépublicanisme contre Léon Blum et son ministre. Ils s’efforcèrent de le « fictionnaliser », l’associant à des figures telles que Fantômas ou le docteur Caligari pour le fragiliser. Durant cinq ans, Marx Dormoy endura les pires calomnies, les menaces des Doriotistes et des Cagoulards.
Lors d’une séance particulièrement houleuse qui dégénère en bagarre, les cris « À bas les Juifs ! » se font entendre. Dormoy rétorque en ces termes à un député breton antisémite : « Bande de salauds. Et d’abord un Juif vaut bien un Breton ! »
« C’est sous le triple signe du Travail, de la Famille et de la Patrie que nous devons aller vers l’ordre nouveau. »2763
Pierre LAVAL (1883-1945), « Réunion d’information » des députés, 8 juillet 1940. Soixante jours qui ébranlèrent l’Occident (1956), Jacques Benoist-Méchin
Après un long parcours politique, Laval est entré dans le gouvernement Pétain installé à Vichy depuis le 3 juillet. Il a provisoirement le portefeuille de la Justice et manœuvre pour que Pétain obtienne les pleins pouvoirs.
Après une lutte acharnée contre la capitulation, Marx Dormoy s’est rendu à Vichy le 4 juillet 1940 et participe à l’ensemble des conférences préliminaires à la réunion de l’Assemblée nationale. Il propose une résolution de soutien à la République, rejetée par Laval.
Le 10 juillet, l’Assemblée nationale (Sénat et Chambre des députés) tient une séance exceptionnelle dans le casino de Vichy. Elle vote la loi constitutionnelle qui permet d’attribuer les pleins pouvoir au Maréchal Pétain et fera de Vichy la capitale de l’État Français jusqu’en août 1944. Trop républicain, le slogan trinitaire hérité de la Révolution de 1789 – Liberté, Égalité, Fraternité – est remplacé par « Travail, Famille, Patrie ». Tout l’esprit de révolution nationale du régime de Vichy est dans ces mots et la nouvelle loi constitutionnelle en prend acte : « Cette Constitution doit garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. »
Avec Marx Dormoy, 80 parlementaires – 23 sénateurs et 57 députés - refusèrent cette révision constitutionnelle, voyant en elle la fin de la République.
Le 20 septembre, en raison de son action dans la lutte contre le fascisme et de son opposition au nouveau régime, Dormoy est suspendu de ses fonctions de maire de Montluçon (depuis 15 ans). Prenant acte de cette décision, il réunit une dernière fois son conseil municipal.
« Je quitterai cet hôtel de ville quand la notification officielle m’en sera faite, la tête haute et la conscience tranquille, avec la certitude d’avoir accompli, en toutes occasions, mon devoir. En ce moment, je ne veux penser qu’à la France meurtrie, envahie. J’ai foi en la délivrance de mon pays. J’y aspire de toute ma raison, de toute mon âme, de tout mon cœur : c’est là ma seule pensée. »
Marx DORMOY (1888-1941), 20 septembre 1940, à son conseil municipal. Site du Sénat. Marx-dormoy-1888-1941
Cinq jours après, le 25 septembre, arrêté à son domicile, il est incarcéré à Pellevoisin (Indre) dans un hôtel transformé en prison, puis transféré à Vals-les-Bains (Ardèche) le 31 décembre. Soumis au secret et à l’isolement, il écrit pour demander sa mise en liberté ou à défaut le bénéfice du régime politique de détention applicable à toute personne détenue en raison de ses opinions.
Le 20 mars 1941, placé en résidence surveillée à Montélimar, il prend pension à l’hôtel « Le relais de l’empereur » où il bénéficie d’une liberté toute relative. Il est assassiné dans la nuit du 25 juillet au 26 juillet 1941: une bombe à retardement placée sous son lit par trois anciens cagoulards (extrême droite), avec la complicité d’une comédienne qui sert d›« appât ».
Les coupables sont arrêtés et emprisonnés, mais qui sont les commanditaires ? Des cagoulards voulant se venger du démantèlement de leur organisation, Jacques Doriot animé d’une haine tenace contre Dormoy, ou les Allemands pour faire pression sur le maréchal Pétain ? Les prévenus, jamais jugés, sont libérés de prison le 23 janvier 1943 par des militaires allemands.
Pour empêcher toute manifestation de soutien, le gouvernement de Vichy imposa une inhumation discrète de Marx Dormoy et censura l’annonce de son assassinat dans la presse.
Des funérailles solennelles seront organisées en son honneur à Montluçon, le 9 décembre 1945. Marx Dormoy sera cité à l’ordre de la Nation en 1946 et médaillé de la Résistance française avec rosette en 1947.
Affaire Darlan : amiral assassiné en 1942 par Bonnier de la Chapelle - fusillé à 20 ans et réhabilité comme résistant en 1945. Comme pour Dormoy, on ignore le(s) commanditaire(s) de l’assassinat.
« Ils ont leur conception du patriotisme. Moi j’ai la mienne et je ne suis pas sûr d’avoir raison. »2793
Pierre LAVAL (1883-1945). Les Grands Dossiers de l’histoire contemporaine (1962), Robert Aron
Le chef du gouvernement de Vichy répond en ces termes à qui stigmatise comme une trahison le ralliement aux Alliés de l’amiral Darlan avec les Forces françaises d’Afrique du Nord, après le débarquement du 8 novembre 1942. C’est une histoire complexe qui se joue en deux mois.
Darlan cumulait quatre portefeuilles (Marine, Affaires étrangères, Intérieur et Information) dans le gouvernement Pétain dont il est le dauphin assuré. Mais Laval l’a remplacé à la tête du gouvernement vichyste.
Il se trouve fortuitement à Alger en novembre 1942, lors du débarquement allié en Afrique du Nord et se rallie avec réticences et hésitations aux Alliés ; Giraud qui aurait dû y être en tant que responsable militaire choisi par les Américains n’y est pas ; les Américains qui n’ont pas informé de Gaulle du débarquement profitent de la présence de Darlan, trop heureux d’en profiter lui aussi pour prendre la place qui aurait dû revenir à de Gaulle ou à Giraud !
24 décembre. Coup de théâtre : l’assassinat de Darlan touché par deux balles de pistolet tirées par un étudiant de 20 ans, Fernand Bonnier de La Chapelle, dans l’antichambre de son bureau du Haut-commissariat de France en Afrique du Nord. Pris sur le fait, il déclare avoir agi seul. Arrêté, jugé de manière expéditive par le tribunal militaire d’Alger et condamné à mort le 25 décembre, le coupable est fusillé à l’aube du 26 décembre.
Pas de mystère sur l’assassinat lui-même. Mais pourquoi Darlan fut-il assassiné ? Beaucoup de gens se méfiaient de lui et non sans raison…
« Darlan se comporte comme le successeur de Pétain ; si les choses continuent à aller mal pour nous, il changera de camp à nouveau. »
EISENHOWER (1890-1969), Lettre du 8 décembre 1942 au général Marshall à Washington. « Les Britanniques premiers intéressés », Le Monde.fr, 29 décembre 1986. Anthony Verrier.
Malgré le soutien personnel du président américain Roosevelt à Darlan (datant du début de 1941et confirmé en octobre 1942), ses représentants à Alger n’étaient pas unanimes. L’émissaire personnel de Roosevelt, Robert Murphy, militait logiquement en sa faveur. Mais Eisenhower, Major General nommé en juin 1942 commandant en chef des forces américaines en Europe, doutait de cet homme visiblement indécis. Et pour cause…
Déjeunant le jour même de sa mort avec l’amiral britannique Andrew Cunningham, Darlan parla de quatre complots contre lui ! Cependant que circulent quatre théories : les « agents de l’Axe » (histoire répandue sur instruction d’Eisenhower par le service de presse anglo-américain à Alger) ; l’Intelligence Service, selon les radios de Berlin et de Rome (information jamais démentie, ni par la BBC ni par les autorités britanniques à Alger) ; un complot gaulliste ; un complot monarchiste.
« Je savais que les Anglais m’auraient. »
Amiral François DARLAN (1881-1942), ses derniers mots. « Les Britanniques premiers intéressés », Le Monde.fr, 29 décembre 1986. Anthony Verrier
De fait, son assassin Bonnier de La Chapelle fut recruté dans le corps franc d’Afrique par le SOE britannique (Special Operations Executive), entraîné au sabotage et aux techniques annexes par ses officiers et armé par une « source » britannique. Churchill aurait manipulé les exécutants, sans qu’ils en aient conscience. C’est une piste parmi d’autres.
Le général Giraud qui succède à Darlan soupçonne un complot et redoute d’en être la prochaine victime.
Le 9 janvier 1943, il désigne un nouveau juge d’instruction, le commandant Albert-Jean Voituriez, appelé du Maroc, qui commence le jour-même son enquête en interrogeant le commissaire André Achiary, chef de la brigade de surveillance du territoire à Alger.
« J’accuse deux personnes d’être les instigateurs directs du meurtre de l’amiral Darlan. Ces deux personnes sont : l’abbé Cordier, demeurant à Alger, 2 rue La Fayette, et Henri d’Astier de La Vigerie demeurant au même endroit, secrétaire adjoint aux Affaires politiques au Haut-Commissariat en Afrique française. Ces deux personnes ont fait assassiner l’amiral Darlan pour le compte et au profit du Comte de Paris. »
André ACHIARY(1909-1983 ), chef de la brigade de surveillance du territoire à Alger, Geoffroy d’Astier de La Vigerie, L’Exécution de Darlan, La Fin d’une énigme (2022)
Dans les heures précédant son exécution, Fernand Bonnier de la Chapelle avait fait des révélations aux deux officiers de la garde mobile chargés de sa surveillance. Consignées dans un rapport, les déclarations de Bonnier mettent en évidence ses liens personnels avec Henri d’Astier et son fils Jean-Bernard, et évoquent la mission de François d’Astier à Alger.
« J’ai tué l’amiral Darlan parce que c’est un traître, il vendait la France à l’Allemagne à son profit […]. J’ai appris qu’une personne [François d’Astier] venant de la part du général de Gaulle avait demandé à être reçue par l’Amiral. […] L’Amiral a refusé de recevoir l’envoyé du général de Gaulle, marquant sa volonté de garder pour lui le pouvoir. Certaines personnalités ont parlé devant moi de cette démarche infructueuse et ont dit : ‘Il faut que Darlan disparaisse.’ »
Fernand BONNIER DE LA CHAPELLE (1922-1942). Geoffroy d’Astier de La Vigerie, L’Exécution de Darlan, La Fin d’une énigme (2022)
En quelques jours, le commandant Albert-Jean Voituriez a donc mis au jour un complot monarchiste imaginé par le comte de Paris, persuadé que de Gaulle (catholique et homme de droite) rétablirait la monarchie en France – une des versions fournies par les historiens pour expliquer cet acte.
Quatre fidèles ont organisé l’attentat : Henri d’Astier de La Vigerie et l’abbé Cordier font neuf mois de prison et sont libérés le 13 septembre 1943. Le général Giraud demande au juge de ne pas inquiéter Alfred Pose et Marc Jacquet qui soutiennent financièrement son gouvernement…
Quant à l’exécutant… Fernand Bonnier de la Chapelle aurait tiré à la courte paille avec trois de ses camarades étudiants (Othon Gross, Robert Tournier et Philippe Ragueneau) pour désigner celui qui « aurait le privilège d’exécuter le traître Darlan ». Fusillé à 20 ans, il sera réhabilité comme résistant français le 21 décembre 1945 par un arrêt de la Chambre des révisions de la cour d’appel d’Alger jugeant qu’il avait agi « dans l’intérêt de la libération de la France. »
Aujourd’hui encore, le mystère demeure : qui a réellement commandité le meurtre ? Les gaullistes, les monarchistes ou quelque service secret manipulateur des uns et des autres ? L’assassin est connu, exécuté en moins de quarante-huit heures. Mais cette exécution ressemble beaucoup à un second assassinat.
Le cas Brasillach fit beaucoup parler : assurément coupable de dénonciations et responsable de morts, mais lui-même victime des règlements de comptes à la Libération.
« En finira-t-on avec les relents de pourriture parfumée qu’exhale encore la vieille putain agonisante, la garce vérolée, fleurant le patchouli et la perte blanche, la République toujours debout sur son trottoir. Elle est toujours là, la mal blanchie, elle est toujours là, la craquelée, la lézardée, sur le pas de sa porte, entourée de ses michés et de ses petits jeunots, aussi acharnés que les vieux. Elle les a tant servis, elle leur a tant rapporté de billets dans ses jarretelles ; comment auraient-ils le cœur de l’abandonner, malgré les blennorragies et les chancres ? Ils en sont pourris jusqu’à l’os. »2781
Robert Brasillach (1909-1945), Je suis partout, 7 février 1942
Écrivain de talent et d’autant plus responsable (selon de Gaulle), il s’est engagé politiquement avec l’Action française (le mouvement et le journal) dans l’entre-deux-guerres, mais c’est comme rédacteur en chef de Je suis partout qu’il va se faire remarquer.
Il prône un « fascisme à la française ». Sa haine du Front populaire et de la République va de pair avec celle des juifs, notamment ceux au pouvoir, comme Léon Blum et Georges Mandel (né Rothschild), ex-ministre et député dont il demande régulièrement la mise à mort… et qui finira assassiné par la Milice française, en juillet 1944.
« Il est un autre droit que nous revendiquons, c’est d’indiquer ceux qui trahissent. »2749
Robert BRASILLACH (1909-1945). Cité dans La Force de l’âge (1960), Simone de Beauvoir
La délation est la forme la plus infâme, parce que la plus lâche de la collaboration. À côté des trafiquants trop contents de faire des affaires sur le marché noir, d’autres ont des raisons politiques. Faiblesse devant le vainqueur admiré, calcul pour être du « bon » côté au jour de la victoire escomptée, mais aussi et plus rarement, conviction idéologique mêlant souvent anticommunisme, antisémitisme, anglophobie. Brasillach est de ce camp.
Venu de L’Action française, on le retrouve dans l’équipe d’un journal de sinistre mémoire, Je suis partout. La chasse aux résistants, de plus en plus nombreux et organisés, se radicalise, en janvier 1943 avec la Milice, police supplétive de volontaires chargés de les traquer. Cependant que le Service du travail obligatoire (STO) institué en février va augmenter considérablement le nombre de « ceux qui trahissent » (dénoncés frénétiquement par Brasillach) pour ne pas aller travailler en Allemagne. La résistance est alors une activité clandestine à haut risque.
« Dans les lettres, comme en tout, le talent est un titre de responsabilité. »2821
Charles de GAULLE (1890-1970), refusant la grâce de Robert Brasillach. Mémoires de Guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959), Charles de Gaulle
Sur 2 071 recours présentés, de Gaulle en acceptera 1 303.
Condamné à mort pour intelligence avec les Allemands, Brasillach est fusillé le 6 février 1945. Ses convictions hitlériennes ne font aucun doute et son journal (Je suis partout) en témoigne abondamment. Le procès fut bâclé, de des confrères ont tenté de le sauver. Mais le PC voulait la tête de l’homme responsable de la mort de nombreux camarades et de Gaulle ne lui pardonnait pas celle de Georges Mandel, résistant exécuté par la Milice, après les appels au meurtre signés, entre autres, par Brasillach.
« Et ceux que l’on mène au poteau
Dans le petit matin glacé,
Au front la pâleur des cachots,
Au cœur le dernier chant d’Orphée,
Tu leur tends la main sans un mot,
O mon frère au col dégrafé. »2822Robert BRASILLACH (1909-1945), Poèmes de Fresnes, Chant pour André Chénier
Référence à Chénier, poète exécuté sous la Révolution, à la fin de la Terreur, presque au même âge. Brasillach avait 35 ans.
Jean Luchaire (journaliste, directeur des Nouveaux Temps) et Jean Hérold-Paquis (de Radio-Paris) subiront le même sort, parmi quelque 3 000 condamnés.
« L’histoire est écrite par les vainqueurs. »2826
Robert BRASILLACH (1909-1945), Les Frères ennemis (dialogue écrit à Fresnes fin 1944, posthume)
… Écrite par les vivants plus que par les vainqueurs. Et Brasillach ne sera pas fusillé pour cause de défaite, mais de trahison. L’histoire de la Seconde Guerre mondiale, cette page d’histoire de France encore si sensible et même brûlante, fut d’ailleurs réécrite tant de fois que les vaincus ont eu, légitimement, le droit de témoigner aux côtés des vainqueurs.
CINQUIÈME RÉPUBLIQUE
L’affaire de l’Observatoire : le « vrai faux » enlèvement de Mitterrand, leader de l’opposition au régime gaulliste en 1959.
« Je ne dirais rien qui puisse ajouter au désordre des esprits. Mais il est logique de penser que le climat de passion politique créé par des groupements extrémistes explique cette affaire. »66
François MITTERRAND (1916-1996), L’INA éclaire l’actu. 1959, François Mitterrand et le mystérieux « attentat » de l’Observatoire, 15 octobre 2019.ina.fr
« Je suis, comme mes amis politiques, un patriote. Je ne lutte que pour le meilleur service de la France, il est triste que des campagnes d’excitation aient pu dresser à ce point les Français contre les Français… Je pense qu’il appartient désormais aux services qualifiés de faire l’enquête qui convient. »
L’affaire en question, c’est l’attentat survenu dans la nuit du 15 au 16 octobre 1959, quartier du Luxembourg à Paris. Mitterrand rentrait seul chez lui après avoir dîné avec un ami à la brasserie Lipp. Aux abords du jardin de l’Observatoire, vers minuit trente, sa voiture est criblée de sept balles. Il parvient à sortir et à prendre la fuite à travers les jardins. Depuis le début du mois, selon ses dires, il était harcelé au téléphone (comme sa femme) par des coups de téléphone menaçants.
Robert Pesquet, un ancien député gaulliste puis poujadiste, proche des milieux d’extrême droite, l’avait mis en garde plusieurs fois et donné des précisions sur le lieu de l’attentat le jour même, avec des conseils pour fuir selon la topographie du lieu…
Ancien ministre, ténor de la gauche socialiste sous la Quatrième République, tombé en disgrâce avec le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958, il se retrouve aussitôt la Une des journaux, jouissant avec cette affaire d’un vrai regain de popularité. L’indignation gagne le monde politique et Pierre Mendès France lui écrit pour soutenir son ancien ministre de l’Intérieur, du temps où il était chef du gouvernement.
« Sachez bien que, dans ces circonstances où tant de haine de nouveau se déchaîne contre vous, tous vos amis vous entourent affectueusement et éprouvent le désir de vous aider s’ils le peuvent. »
Pierre MENDÈS FRANCE (1907-1982), Cité par Michel Winock, François Mitterrand (2015)
Mitterrand s’empresse d’abord de remercier Robert Pesquet qui lui a sans doute sauvé la vie…
Mais une semaine après l’événement, le 21 octobre, Robert Pesquet déclare que l’attentat est en fait un coup monté, perpétré par ses soins, en collaboration avec Mitterrand lui-même ! Pour preuve, une lettre qu’il s’est adressée à lui-même avant l’attentat, le cachet de la poste faisant foi, et détaillant les étapes de la préparation de l’attentat et la réaction de François Mitterrand. La description des événements coïncide avec le déroulement exact de la soirée du 15 au 16 octobre.
L’opinion se retourne aussitôt contre la prétendue victime.
« Les adversaires de droite sont hilares… les journalistes tombent des nues, se sentent ridiculisés pour avoir été menés en bateau et avoir du même coup trompé leurs lecteurs. »
Michel WINOCK (né en 1937), François Mitterrand (2015)
Mais Mendès continue de soutenir Mitterrand, de même que François Mauriac dont l’avis fait autorité, dans son nouveau Bloc-notes de l’Express… Mitterrand passe presque aussitôt à la contre-offensive, en bon avocat et fin débatteur.
« De deux choses l’une : ou j’étais abattu, et je ne pouvais plus parler ; ou j’en réchappais, ce qui était le cas, et je tombais dans cette machination. »
François MITTERRAND (1916-1996), cité dans Le Monde, 24 octobre 1959
François Mitterrand se défend. Il soutient que l’attentat n’a pas été un complot ourdi par lui-même, et qu’il est tombé dans une machination qui ne pouvait, une fois lancée, que se conclure par sa défaite. Certains témoignages disent son désespoir, à l’idée que sa carrière politique est terminée. Mais le combat continue…
29 octobre 1959, L’Express publie la défense de François Mitterrand sur trois pages, avec le titre : « Ce que j’ai à dire ». Il accuse plusieurs personnalités d’extrême droite (Jean-Louis Tixier-Vignancour, Jean Dides, Jean-Baptiste Biaggi, Pascal Arrighi, Jean-Marie Le Pen) d’avoir « sorti les poignards de la guerre civile ». Il reconnaît « être tombé dans un guet-apens »…
« Je suis, comme mes amis politiques, un patriote. Je ne lutte que pour le meilleur service de la France, il est triste que des campagnes d’excitation aient pu dresser à ce point les Français contre les Français. C’est cette déclaration que j’ai faite, qu’y puis-je ajouter ? Je pense qu’il appartient désormais aux services qualifiés de faire l’enquête qui convient. »
François MITTERRAND (1916-1996), L’INA éclaire l’actu. 1959, François Mitterrand et le mystérieux « attentat » de l’Observatoire, 15 octobre 2019.ina.fr
Le gouvernement dirigé par Michel Debré porte un coup qu’il veut fatal à son principal adversaire : le ministère public demande le 27 octobre au Sénat que l’immunité parlementaire du sénateur Mitterrand soit levée pour outrage à magistrat. Le parquet décide également d’engager des poursuites pour détention d’armes contre Robert Pesquet et son comparse, Abel Dahuron, auteur des coups de feu.
L’affaire est finalement judiciarisée. 11 août 1966, le juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu dans le dossier ouvert contre X pour tentative d’homicide volontaire. Il renvoie Pesquet et ses deux complices en correctionnelle pour détention d’armes. Mitterrand, partie civile dans le dossier, fait aussitôt appel : accepter cette ordonnance de non-lieu serait en effet reconnaître qu’il s’agit d’un faux attentat…
« Mon vrai-faux attentat contre Mitterrand : la vérité sur l’affaire de l’Observatoire. »
Robert PESQUET (1917-2010), titre de son livre publié en 1995
Il n’éclaircit pas vraiment cette affaire qui reste l’un des mystères sous la Cinquième République. Il fait état d’une manipulation gaulliste pour l’idée de l’attentat dont il ne serait pas le cerveau. C’est à la demande de Michel Debré qu’il aurait approché Mitterrand, pour discréditer celui qui venait d’abandonner l’idée de l’Algérie française…
Il est impossible de savoir la vérité. L’arrivée de Mitterrand à la présidence en 1981 va voir la multiplication du nombre d’affaires qui accréditent la réputation du personnage : Sphinx, Florentin, Machiavel et autres Prince de l’équivoque ou de l’esquive, ces surnoms reviennent sans fin sous la plume des observateurs.
Affaire Ben Barka et mystère de sa disparition en 1965 : double affaire d’État entre le Maroc et la France, toujours pas élucidée au nom de la raison d’État.
« Il ne s’agit pas pour nous, quand nous pensons à l’héritage colonial, de faire cesser seulement l’exploitation née de la période du protectorat, mais aussi l’exploitation qui a pu exister de l’homme marocain par l’homme marocain. »11
Mehdi BEN BARKA (1920 -1965), Problèmes d’édification du Maroc et du Maghreb. Quatre entretiens avec Mehdi Ben Barka, recueillis par Jean Raymond, édités par Plon (1959)
Ben Barka - il faudrait écrire : né en 1920 à Rabat au Maroc - disparu le 29 octobre 1965 à Fontenay-le-Vicomte en France. Vraisemblablement assassiné, son corps n’a pas été retrouvé. Dans l’histoire contemporaine, jamais la raison d’État ne s’est imposée avec plus de force. À cela du moins, il y a de « bonnes » raisons.
Cet homme politique marocain fut l’un des principaux opposants socialistes au roi Hassan II. Chef de file du mouvement tiers-mondiste et panafricaniste, Ben Barka anticipait le « Printemps arabe » né en décembre 2010.
Il dresse un constat très clair de la situation marocaine. Après l’Indépendance (1956), le Maroc se trouvait devant un fait accompli : le poids de deux héritages : « Le premier qu’on pourrait appeler l’héritage colonial, le second (souvent marqué par le premier et beaucoup plus important) l’héritage d’une situation de stagnation et d’isolement qui a fait que le Maroc doit rattraper un retard de quelque trois siècles. Ce retard apparaît sur le plan économique, sur le plan technique, sur le plan institutionnel. »
Ce retard est dû à l’obligation de préserver l’indépendance du Maroc. Pour ce faire, comme l’Inde et la Chine, « les murailles que nous avions dressées contre l’invasion pendant ces siècles depuis la période saâdienne [de 1554 à 1636] ont été des murailles qui ont empêché également la science de pénétrer chez nous. »
Mais cet idéologue prolifique est aussi un leader et un organisateur toujours actif.
« La démocratie n’est pas une enseigne qu’on exhibe pour les touristes, c’est une réalité qui doit ouvrir concrètement à chacun des possibilités de progrès. »
Mehdi BEN BARKA (1920 -1965), La Démocratie dans la pensée et l’action de Ben Barka, Journée à la mémoire de Mehdi Ben Barka. Paris - 24 février 1996
Démocratie omniprésente dans la pensée et l’action de M.B.B., elle transcende tous les axes de réflexion abordés et pratiqués durant sa courte vie : lutte anticoloniale et libération, développement et progrès, unité maghrébine et arabe, solidarité des peuples et internationalisme, idéologie et socialisme, parti et organisations populaires…
Dans l’affaire d’État attachée à son nom, les faits sont simples. Ben Barka s’étant opposé aux choix autoritaires du roi Hassan II, il avait échappé par miracle à une tentative d’assassinat, avant d’être à deux reprises condamné à mort par contumace. Il refusait catégoriquement de se rendre au
Maroc sans la publication par le roi d’un décret d’amnistie. Un piège lui a donc été tendu pour le faire venir en France, en lui faisant croire que sa sécurité était garantie.
29 octobre 1965, il arrive à Paris pour préparer un film sur la décolonisation, intitulé Basta, destiné à la Conférence des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, la Tricontinentale prévue à La Havane en janvier 1966. À 12h30, il est interpellé par deux policiers français devant la brasserie Lipp, boulevard Saint-Germain. Il n’est jamais réapparu.
Le président de Gaulle devait recevoir Mehdi Ben Barka durant son séjour Apprenant cette arrestation illégale commise par la police française, le général est furieux. Furieux que le SDECE, service secret français, ait été informé depuis plusieurs mois du projet du roi du Maroc de se saisir de Mehdi Ben Barka sur le sol français. Furieux de ce qu’une fois celui-ci enlevé, le 29 octobre, un agent du SDECE en ait immédiatement prévenu le ministre de l’Intérieur marocain, le général Oufkir chargé d’organiser son interception ou son assassinat. Furieux que celui-ci soit arrivé à Orly le 30 octobre, avec le directeur de la sûreté marocaine, le colonel Dlimi, et qu’ils aient pu repartir l’un et l’autre d’Orly, comme leur équipe de tueurs, une fois leur mission accomplie. Une mission dont le chef du SDECE, le général Jacquier, mais aussi le ministre de l’Intérieur Roger Frey et le préfet de police de Paris Maurice Papon, étaient informés sans en informer le chef de l’État. Cela fait désordre…
Ayant eu connaissance de ces faits, le général lance en janvier 1966 un mandat d’arrêt contre le général Oufkir. Il s’explique le mois suivant en conférence de presse, arguant non sans humour de son « inexpérience » dans cette affaire. Il faut quand même avouer que le général va « botter en touche »…
« Ce qu’il faut considérer d’abord dans cette affaire c’est que le ministre de l’Intérieur du gouvernement marocain, gouvernement qui fut plusieurs fois aux prises avec de graves crises politiques, a, comme tout l’indique, fait disparaître sur notre sol un des principaux chefs de l’opposition. Cette affaire marocaine en est donc une entre Paris et Rabat, parce la disparition de Ben Barka a eu lieu chez nous, parce qu’elle a été perpétrée avec la complicité obtenue d’agents ou de membres de services officiels français et la participation de truands recrutés ici, enfin parce qu’en dépit des démarches du gouvernement de Paris, des commissions rogatoires et mandats adressés par notre juge d’instruction, rien n’a été fait par le gouvernement marocain pour aider la justice française à établir la vérité, pour la révéler en tant qu’elle le concerne. »
Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence de presse, 21 février 1966, elysee.fr
« … Au total, il y a eu, en territoire français intervention directe d’un membre du gouvernement marocain et le fait est que ce gouvernement n’a, jusqu’à présent, rien fait pour justifier, ni réparer, l’atteinte qui a été ainsi portée à notre souveraineté. Il est donc inévitable, quelque regret qu’on en ait, que les rapports franco-marocains en subissent les conséquences. » Dont acte. Mais…
« Du côté français… ce qui s’est passé n’a rien eu que de vulgaire et de subalterne. Il s’est agi d’une opération consistant à amener Ben Barka au contact d’Oufkir et de ses assistants en un lieu propice au règlement de leurs comptes… Mais rien, absolument rien, n’indique que le contre-espionnage et la police, en tant que tels et dans leur ensemble, aient connu l’opération, a fortiori qu’ils l’aient couverte. Bien au contraire, quand ils l’eurent apprise, la police mit ceux des participants qui étaient à sa portée en état d’arrestation ou de garde à vue et la justice fut saisie. Depuis lors, celle-ci fait son œuvre sans être aucunement entravée… » En fait, rien n’est moins sûr, mais le général ne peut pas tout dire.
« Cependant, au sujet de cette affaire qui, au point de vue de nos rapports avec le Maroc ne laisse pas, je le répète, d’avoir un caractère de gravité, mais qui, en ce qui concerne les culpabilités françaises, n’est, je le répète aussi, que vulgaire et subalterne, on a vu se déchaîner des frénétiques offensives tendant à ameuter l’opinion contre les pouvoirs publics… »
Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence de presse, 21 février 1966, elysee.fr
Et cela n’est évidemment pas supportable. D’où la mise au point très gaullienne…
« ‘L’honneur du navire’, c’est l’État qui en répond et qui le défend. Et il le fait. Il le fait en marquant dans le domaine de ses relations diplomatiques le manquement commis à l’égard de sa souveraineté ; il le fait en facilitant tant qu’il peut l’action de la justice pour la recherche et le châtiment des coupables et il le fait en apportant à ses propres services les modifications utiles à un meilleur fonctionnement. Cela, l’État le fait et continuera de le faire. Que les bons citoyens se rassurent ! » Dont acte…
Ajoutons qu’Hassan II ayant refusé de désavouer Oufkir, de Gaulle a rappelé l’ambassadeur de France au Maroc, en subordonnant la normalisation des relations diplomatiques à la démission et au jugement du ministre de l’Intérieur marocain. Oufkir sera condamné par contumace à Paris le 5 juin 1967. Et la crise diplomatique a duré aussi longtemps que le général de Gaulle est resté au pouvoir – encore deux ans.
Un premier procès a permis d’établir que l’enlèvement avait été planifié par les services secrets marocains avec la complicité de policiers et de truands français. Les dix juges d’instruction successifs de la plus longue enquête jamais menée en France n’ont pas réussi à lever la chape de plomb qui entoure cette affaire d’État. Depuis cinquante-cinq ans, en France comme au Maroc, la raison d’État est parvenue à empêcher que la vérité soit dite sur l’enlèvement et l’assassinat de Mehdi Ben Barka.
Au nom du reste de sa famille, son fils aîné a entrepris de rendre justice à son père et d’éclaircir cette sombre affaire, tant qu’il est encore temps. Et il accuse…
« Il y a eu crime d’États [au pluriel], il y a eu complot pour aboutir à l’enlèvement et à la disparition de mon père. Et puis ce complot s’est poursuivi par les États qui étaient impliqués dans la disparition de mon père pour empêcher la justice de faire son travail. Et cette raison d’État, elle se conjugue au Maroc, en France, aux États-Unis, en Israël où il n’y a pas de réelle volonté politique pour lever les obstacles face à l’action de la justice. »
Bachir BEN BARKA (né en 1950), Le Monde, entretien avec le fils de Mehdi Ben Barka, le 24 déc. 2021
Il avait 15 ans à la mort de son père. Il en a fait le combat de sa vie, prenant le relais pour résoudre ce mystère. En 1975, il a déposé une nouvelle plainte pour assassinat et complicité d’assassinat afin d’éviter la prescription du dossier.
« Nous pensons qu’il est possible d’arriver à la vérité. Des témoins, très actifs dans la préparation du crime, sont encore vivants. Ils connaissent une part de vérité. Il y a aussi des documents écrits de l’administration et ces documents, en grande partie, sont encore couverts par le secret-défense. »
Instructions, révélations, enquêtes, témoignages, procès, interminable feuilleton relaté par la presse qui ne se lasse pas de l’affaire Ben Barka. Son fils continue le combat et résume la situation, fin 2024.
« Il y a cinquante-neuf ans, le 29 octobre 1965, mon père, Mehdi Ben Barka, était enlevé à Paris et ‘disparaissait’. Les circonstances de sa mort ne sont toujours pas élucidées, sa sépulture est toujours inconnue à sa famille et ses amis. Les responsabilités marocaines et françaises dans ce crime sont indéniables et ont d’ores et déjà été établies par la justice. Seulement, malgré une instruction toujours ouverte devant le Tribunal judiciaire de Paris, les obstacles au nom de la raison d’État empêchent les magistrats instructeurs saisis d’apporter les réponses à notre légitime quête de vérité. »
Bachir BEN BARKA (né en 1950), Lettre ouverte adressée aux deux chefs d’État, Mohammed VI et Emmanuel Macron. Affaire d’État. Pour que « justice se fasse ». Libération, 28 octobre 2024.
Profitant de la visite d’État du président Emmanuel Macron au roi du Maroc Mohamed VI (28 au 30 octobre 2024), le fils de Mehdi Ben Barka sollicite les deux chefs d’État sur la disparition de son père.
Dans une lettre publiée par « Orient XXI », Bachir Ben Barka leur demande de prendre les décisions nécessaires. Il suffirait de lever le secret-défense en France et d’exécuter les Commissions rogatoires internationales au Maroc. Mais la raison d’État continue de s’y opposer. Pourquoi ? Comment ? Jusqu’à quand ? Mystère, mystères de l’Affaire Ben Barka depuis 60 ans.
Rappelons que sous la Troisième République, l’Affaire Dreyfus a été résolue en six années de combat.
Le plus court mystère de l’Histoire… De Gaulle a disparu : c’est la « fuite » à Baden, une affaire d’État qui dure six heures, en mai 1968.
« La grandeur a besoin de mystère. On admire mal ce qu’on connaît bien. »101
Charles de GAULLE (1890-1970). Paris-Match – 9 décembre 1967
Notre plus grand personnage historique contemporain (n°2 sur le podium de l’Histoire en citations, après Napoléon et avant Victor Hugo) est aussi un « communicant » remarquable : ses Appels à la radio de Londres ont lancé la Résistance française, ses trois tomes de Mémoires ont les honneurs de la Pléiade, ses conférences de presse au début de la Cinquième République furent des shows apparemment improvisés, mais parfaitement mis en scène. La part du jeu n’exclut pas la sincérité, la grandeur se nourrit du mystère.
La disparition du général, l’espace-temps de quelques heures en Mai 68, a marqué les esprits. Il s’en est plus ou moins expliqué, après. Voici quelques éléments de réponse, même si une part de mystère existe encore dans cette étonnante affaire.
« Depuis quelque chose comme trente ans que j’ai affaire à l’histoire, il m’est arrivé quelquefois de me demander si je ne devais pas la quitter. »3072
Charles de GAULLE (1890-1970). De Gaulle, 1958-1969 (1972), André Passeron
Folle journée du 29 mai 1968 : le général a disparu. Conseil des ministres de 10 heures décommandé à la dernière minute. De Gaulle a quitté l’Élysée, mais il n’est pas à Colombey : « Oui ! le 29 mai, j’ai eu la tentation de me retirer. Et puis, en même temps, j’ai pensé que, si je partais, la subversion menaçante allait déferler et emporter la République. Alors, une fois de plus, je me suis résolu. » (Entretien télévisé avec Michel Droit, 7 juin).
« Une « dépression » ? une « pause » à Baden ? une « manœuvre » difficile à comprendre ? un « chef-d’œuvre tactique » ? Qui, témoin, chroniqueur, analyste, partisan ou adversaire, peut dire le dernier mot sur cet étrange détour vers la Forêt-Noire ? »3073
Jean LACOUTURE (né en 1921), De Gaulle, volume III. Le souverain (1986)
L’un de ses biographes attitrés s’interroge, comme il se doit.
On l’a su plus tard, le président est allé voir le général Massu en Allemagne. Oui, mais pourquoi ? Dans sa biographie sur de Gaulle, Jean Lacouture confronte les interprétations qui opposent deux écoles : celle du désarroi et celle de la tactique, du burn out ou de la ruse, pour conclure… que le mystère demeure.
Reste quand même quelques faits qui ont valeur d’histoire, dans cette folle période de Mai 68.
29 mai. La France est en pleine crise économique et sociale. Les manifestations des jours précédents ont été très violentes. Le discours prononcé par le président le 24 mai n’a pas calmé les esprits. Le président annonçait un référendum sur la participation. Le message ne passe pas : affirmer des principes vagues pour demander, au bout de dix ans, qu’on continue à lui faire confiance, c’était selon ses propres termes plus tard : « mettre à côté de la plaque ». Une nouvelle violence allait se déchaîner dans la nuit.
Les négociations tripartites lancées par Georges Pompidou avec les syndicats et le patronat, dès le 25, sont mal accueillies par la base ouvrière. Le pouvoir politique vacille. Alors que le PC rassemble dans la rue des dizaines de milliers de manifestants en faveur d’un « gouvernement populaire », Pierre Mendès-France apparaît de plus en plus comme un recours, tandis que François Mitterrand, le 28, se déclare « prêt à se porter candidat à l’Élysée. »
Le chef de l’État se retrouve isolé et impuissant face à un pays devenu incontrôlable à ses yeux. En milieu de journée, il disparaît sans prévenir son Premier ministre de sa destination. Pendant six heures, on ne le reverra plus, avant qu’il ne réapparaisse en fin de journée à Colombey-les-Deux-Églises.
Entre temps, le général de Gaulle s’est bien rendu en secret à Baden-Baden, quartier général des Forces Françaises en Allemagne. Sur place, il s’est longuement entretenu avec le général Massu, commandant des Forces Françaises.
« Il m’a dit : « tout est foutu ! Les communistes ont provoqué une paralysie totale du pays, je ne commande plus rien […] donc je me retire. Comme je me sens menacé en France, je viens chez vous chercher quoi faire. » »
Général Jacques MASSU (1908-2002), Les Dossiers de l’écran, 2eme chaine de l’ORTF, juin 1983
Massu lève le voile sur ce pan d’histoire méconnu dont il fut un témoin privilégié. Il revient en détails sur sa rencontre à Baden-Baden avec un général De Gaulle aux abois. Après avoir expliqué que le film diffusé avant le débat ne correspondait pas aux faits historiques, il relate comment il tenta de pousser le général à se ressaisir.
Leur entrevue se déroule dans le bureau de sa résidence. Le général, affalé dans le fauteuil des invités face à un Massu perplexe, adossé à son bureau, lui explique qu’il a fait venir son fils et sa famille, car il craignait pour leur vie à Paris. Il lui confie également son désespoir face à la situation catastrophique de la France qu’il se sent incapable de reprendre en main : « Au début, il soliloque et je suis évidemment très étonné de voir le général, tel qu’il m’apparait à ce moment-là. Il me demande tout de suite s’il pourrait aller à Strasbourg. » Ils évoquent la situation dans cette ville et le général déclare souhaiter rester en Allemagne.
Massu, contre cette idée, temporise. Il va tenter de convaincre le général de rentrer en France.
« Je vais assez loin […] allant jusqu’à lui dire qu’un homme comme lui ne peut pas laisser tomber le pays… qu’il se déshonorerait. »
Général Jacques MASSU (1908-2002), Les Dossiers de l’écran, 2eme chaine de l’ORTF, juin 1983
Au bout de quelques heures, le général reprend ses esprits et l’écoute plus attentivement. La conversation continue et alors que Massu désespère et s’apprête à appeler l’ambassadeur de France en Allemagne pour organiser l’exil du président, le général se lève et lui demande d’appeler sa femme. Puis, il s’entretient avec d’autres membres de l’équipe. Il s’est ressaisi et est repartit le soir même. Le général Massu avoue ne jamais avoir compris pourquoi de Gaulle était venu le voir, lui.
« Il ne voyait l’extérieur que par le biais de la télévision. En allant à Baden-Baden, il voulait échapper à la manifestation qui se préparait ce jour-là. Il voulait surtout marquer l’opinion publique. L’idée de quitter Paris faisait en effet partie de ses hypothèses »
Pierre LEFRANC (1922-2012), ancien résistant et proche collaborateur du général de Gaulle, Les Dossiers de l’écran, 2eme chaine de l’ORTF, juin 1983
Il souligne l’isolement du Président à l’Élysée pendant les événements de mai. Puis vient le témoignage de Bernard Tricot, secrétaire général de l’Élysée en 1968. Il revient sur l’ambiance à l’Élysée à cette époque. Il décrit aussi la tristesse et la fatigue du président au cours des événements : «
C’était un homme humilié de voir la situation dans laquelle était réduit son gouvernement et humilié pour la France, de voir comment ce pays gâchait ses chances… »
Ces témoignages attestent que le fondateur de la Cinquième République était bel et bien épuisé et prêt à abandonner le pays. Un burn out politique inédit !
Finalement, Charles de Gaulle va rentrer, sans doute ragaillardi par son entrevue et les conseils prodigués par le général Massu. Il réapparaît pour prendre la parole… et la parole va faire miracle
Une semaine après, de Gaulle a retrouvé ses marques, les mots qu’il faut, le ton qui s’impose.
« Je ne me retirerai pas […] Je ne changerai pas le Premier ministre, dont la valeur, la solidité, la capacité méritent l’hommage de tous. Il me proposera les changements qui lui paraîtront utiles dans la composition du gouvernement. Je dissous aujourd’hui l’Assemblée nationale. »3074
Charles de GAULLE (1890-1970), Discours radiodiffusé, jeudi 30 mai 1968, 16 h 30. Année politique (1969)
Le transistor est toujours le « cordon ombilical qui relie la France à sa révolution » (Danielle Heymann). De Gaulle ajoute que « partout et tout de suite, il faut que s’organise l’action civique ».
« Mitterrand, c’est raté ! Les cocos, chez Mao ! Le Rouquin, à Pékin ! Giscard, avec nous ! De Gaulle n’est pas seul ! »3075
Cris scandés par la foule sur les Champs-Élysées, 30 mai 1968. L’Express, « Mai 68, les archives secrètes de la police », 19 mars 1998
Ils sont donc 300 000 ou 400 000 à répondre à l’appel du général, dans une solidarité populaire presque spontanée. En fait, la manifestation était préparée, mais le succès est inespéré : ce ne sont pas seulement les anciens combattants et les bourgeois du XVIe arrondissement qui défilent, on voit aussi beaucoup de jeunes et des gens modestes. En tête du cortège, Malraux, Mauriac, diverses personnalités, et Debré le gaulliste de la première heure peut clamer : « De Gaulle n’est pas seul. »
1968-1969, l’affaire Marković, première « infox » politique de la Ve République : fait divers sordide devenu affaire d’État, visant à déconsidérer Pompidou.
« Infox : une information mensongère, délibérément biaisée ou tronquée, diffusée par un média. »15
Commission d’enrichissement de la langue française, octobre 2018.
La chose existait avant le mot, elle remonte même à l’Ancien Régime. Mais cette affaire reste emblématique de son époque, si proche et si lointaine - la fin du gaullisme.
« Ce n’est, je crois, un mystère pour personne que je serai candidat à une élection à la présidence de la République quand il y en aura une. Mais je ne suis pas du tout pressé. »3084
Georges POMPIDOU (1911-1974), Déclaration à la fin de son séjour à Rome, 17 janvier 1969. Année politique (1970)
Premier ministre du général de Gaulle durant six ans et particulièrement habile pour éviter le pire en Mai 68, Pompidou a bien mérité de la France et acquis une vraie popularité. Il est remplacé par Couve de Murville.
Ce professeur, normalien et agrégé de lettres, a pris goût à la politique et vise plus haut. Il n’y a qu’un poste : la présidence. Il y pense. Quelques jours plus tard, à Genève : « J’ai un passé politique. J’aurai peut-être, si Dieu le veut, un destin national. » Mais depuis octobre 1968, l’affaire Marković empoisonne sa vie publique et privée.
« Un cadavre sur la route de l’Élysée : Les derniers secrets de l’affaire Marković. »
Hervé GATTEGNO (né en 1964), titre de son dernier livre (publié le 25 octobre 2023)
Ce journaliste d’investigation s’est passionné pour ce « fait divers sordide devenu affaire d’État » dont reparle aussi l’historien Arnaud Teyssier (né en 1958), haut fonctionnaire et historien français, s’exprimant sur France Info et d’autres médias. Emballement d’une rumeur, mises en cause personnelles de quelques stars impliquées dans l’affaire (à commencer par Alain Delon) et entreprise de démolition visant Pompidou, à travers ce qu’il a de plus cher au monde, sa femme.
Tout commence le 1er octobre 1968. Un ferrailleur découvre le cadavre d’un homme ligoté dans une décharge publique près d’Élancourt, dans les Yvelines. Le corps de Stefan Markovic est rapidement identifié par la police. Ce Yougoslave a probablement été victime d’un règlement de comptes. Il travaillait comme garde du corps d’Alain Delon. Il a été assassiné. Il se méfiait, il a laissé ce message post mortem.
« Quoi qu’il advienne, et pour tous les ennuis qui pourraient m’être causés, adressez-vous à Alain Delon, à sa femme et à son associé, un Corse, vrai gangster. »
Stefan MARKOVIC (1937-1968), message cité dans Affaire Marković, Wikipédia
3 octobre 1968, deux inspecteurs sonnent à la porte de l’acteur installé à Saint-Tropez pour le tournage de La Piscine (avec Romy Schneider). Ils viennent l’interroger sur le meurtre de son ami…
Alain Delon admet qu’il s’est quitté en mauvais terme avec la victime qu’il a licenciée : « une personnalité envahissante » au comportement « devenu inacceptable ». Il ne voulait « plus avoir de rapport avec lui. On apprend quelques jours plus tard que son épouse, Nathalie Delon, aurait eu une brève liaison avec Markovic, alors que le couple était en instance de divorce.
La police soupçonne bientôt que la victime faisait chanter des personnalités avec des photos prises lors de soirées libertines, parfois grossièrement truquées. L’enquête explore les coulisses du cinéma, puis celles du grand banditisme. Principal suspect, l’associé, le Corse en question dans le message, François Marcantoni, figure du Milieu, authentique gangster (13 ans de prison au total), ami proche de Delon… Marcantoni affirme aux enquêteurs n’avoir jamais parlé à la victime, avant d’admettre dans L’Aurore qu’il le connaissait, l’ayant aidé à obtenir la prolongation de son permis de séjour en France. Aucune charge n’est pourtant retenue contre Delon ni Marcantoni.
Mais un témoin met en cause la femme de Pompidou, la très élégante Claude présente dans ces « parties fines »… Dans les dîners en ville, les salles de rédaction, la rumeur se répand à la vitesse du son… Pompidou aimait la vie mondaine, il avait travaillé chez Rothschild. Il appréciait le monde de l’art, de l’argent, du spectacle. Sa femme aussi. Le couple avait un train de vie très différent du personnel politique de l’époque. Il fréquentait des artistes, le milieu du spectacle, les personnalités du show business, partait en vacances à Saint-Tropez, roulait en Porsche…
Ce n’était pas le genre de la « maison de Gaulle », Couve de Murville, Michel Debré… Un entourage plutôt janséniste et bon bourgeois. Le président est plus ou moins informé par ses ministres et amis (selon l’enquête et divers témoignages), plus ou moins incrédule (idem)… et surtout très contrarié. Il fait passer le message à son ex-Premier ministre.
« Faites attention, vous allez peut-être me succéder, donc il faut peut-être vous éloigner un peu de ce milieu-là… »
Charles de GAULLE (1890-1970), président de la République. De Gaulle. Les infox de l’Histoire : « L’affaire Markovic, Georges Pompidou face à la calomnie ».France Info Podcats.
Rappelons qu’à l’époque, les réseaux sociaux n’existaient pas. La radio et la télévision étaient encore sous tutelle de l’État. C’est donc la presse écrite (majoritairement antigaulliste) qui commence à évoquer la présence d’une femme politique dans l’entourage de Markovi
et d’Alain Delon.
Dès la mi-octobre, les quotidiens évoquent le carnet d’adresses de Marković. Le Figaro décrit la victime : « Repris de justice, Markovic avait cependant réussi à se faire de nombreuses relations dans les milieux de la politique, du spectacle et de la chanson. On évoque « les noms de plusieurs actrices, de chanteuses, celui de la femme d’un ancien membre du gouvernement et ceux d’un député, de deux hauts fonctionnaires et de plusieurs vedettes »… Le Monde parle de « la promesse d’un scandale en raison des relations que la victime avait pu nouer dans les milieux du spectacle, des rencontres qu’elle avait pu faire dans le monde de la politique comme de ses liaisons avec de mauvais garçons »… Quelques jours après, Le Figaro est plus précis, citant les possibles mobiles du crime : « escroquerie, chantage, trafic d’influence ou peut-être règlement de comptes « politique » ».
Pompidou a bien évidemment entendu parler de l’affaire par la presse. Mais il sous-estime encore son importance.
« Je connaissais un peu Delon, mais pas assez pour me passionner pour son sort, loin de là. J’avais bien noté l’allusion à la femme d’un ancien ministre. Je m’étais même posé la question, essayant de savoir à qui cela pouvait s’appliquer, évoquant un ou deux noms… Comme je n’ai aucun goût pour les ragots et pour principe de ne me mêler que de ce qui me regarde, j’oubliai toutes ces histoires dont personne ne me parlait d’ailleurs pour m’occuper de mes propres affaires. »
Georges POMPIDOU (1911-1974), cité par Jacques Chapsal, Pour rétablir une vérité (1982)
Ce même 4 novembre, il interpelle Jean-Luc Javal, l’un de ses anciens collaborateurs présent dans ses bureaux, boulevard de La Tour-Maubourg : « Dites-moi, Javal, vous qui êtes toujours au courant de tout, qui est cet homme politique important dont parle la presse et qui serait mêlé à l’affaire Markovic ? »
Javal a justement été mandaté par Pierre Juillet pour lui faire part des rumeurs au sujet de son épouse ! « Il faut que vous sachiez quelque chose que personne n’ose vous dire… La femme d’un ancien ministre dont tout le monde parle à propos de l’affaire Markovic, c’est votre femme et ce que je puis vous assurer, c’est que dans les dîners en ville, dans les salles de rédaction, il n’est question que de cela. »
Pompidou prend soudain conscience de la situation !
« J’étais indigné. Ainsi Couve [de Murville] n’avait même pas eu le courage de me prévenir ! Ainsi ces hommes, dont plusieurs connaissaient bien mon ménage, avaient plus ou moins cru à la véracité des faits puisqu’ils jugeaient que l’enquête pouvait se poursuivre dans cette voie ! Ainsi le Général lui-même, qui connaissait ma femme depuis si longtemps, n’avait pas tout balayé d’un revers de main ! »
Georges POMPIDOU (1911-1974), cité par Jacques Chapsal, Pour rétablir une vérité (1982)
Le 6 novembre, il fait de vifs reproches aux « barons » du gaullisme avec qui il déjeune : Jacques Chaban-Delmas, Roger Frey, Olivier Guichard, Henri Rey et Jacques Foccart. « C’est une affaire que je ne laisserai pas passer comme cela… Notre honneur est en jeu, c’est ce que nous avons de plus sacré. Je tiens à dire que si c’est nécessaire, c’est moi qui vengerai l’honneur de ma femme. »
Pompidou organise sa riposte. À sa demande, il est reçu le 8 novembre par le général de Gaulle et exprime son indignation. De Gaulle explique qu’il n’a jamais cru à ces rumeurs et qu’il a demandé de le faire prévenir. Après l’entretien, Pompidou résume à Jacques Foccart la réaction de De Gaulle…
« Le Général semblait peiné de tout cela, conscient que son Premier ministre et d’une façon générale un peu tout le monde, n’avaient pas fait tout ce qu’il fallait vis-à-vis de moi. »
Georges POMPIDOU (1911-1974), cité par Jacques Foccart, Le Général en mai - Journal de l’Élysée II (1998)
Et Pompidou prend enfin l’affaire en main ! Il démonte « le mécanisme de l’opération policière et judiciaire. » Il met en évidence les invraisemblances et les contradictions… Il évoque « l’orientation singulière des interrogatoires, menés comme s’il n’y avait pas à rechercher un assassin, mais la preuve du dévergondage des Pompidou ». Il fait part du curieux comportement de Jacques Aubert, secrétaire général pour la police au ministère de l’Intérieur, qui a selon lui colporté des ragots auprès des journalistes. De Gaulle est apparemment impressionné… En quittant Pompidou, il lui conseille de « traiter ces racontars par le mépris. » Facile à dire, mais Pompidou restera marqué à vie par l’épreuve de l’Affaire Marković.
Cette affaire reste aussi pour la police une des enquêtes les plus retentissantes de l’après-guerre : 60 000 cotes judiciaires, un dossier lourd d’une tonne et demie, conservé dans les coffres-forts du tribunal de Versailles.
« Nous ne sommes que trois à connaître la vérité : Delon, moi et Dieu, or ce dernier ne balance jamais. »
François MARCANTONI (1920-2010) « L’ancien truand François Marcantoni est mort », France- Soir, 20 août 2010 (version du 24 octobre 2019 sur Internet Archive)
Pompidou s’était montré plus précis, quelques années après l’épreuve. Laissons-lui le mot de la fin.
« Je m’étais promis de tout savoir. Je sais tout. Les noms sont là. À l’origine, il y a une sordide affaire de chantage et un crime quasi accidentel. Des hommes qui voulaient « écraser l’affaire » ont eu l’idée de la politiser. D’autres, qui voulaient me barrer la route, ont saisi la balle au bond. Et puis, certains, hélas ! ont laissé faire. »
Georges POMPIDOU (1911-1974) à Pierre Viansson-Ponté, « Georges Pompidou et l‹ « affaire » [archive] », Le Monde, 30 septembre 1975
Dans son témoignage, il exprime précisément son ressentiment à l’égard d’un certain nombre de fonctionnaires et d’hommes politiques. Certains d’entre eux virent leur carrière politique définitivement ou provisoirement bloquée pendant sa présidence.
François Renaud, juge emblématique pour sa lutte contre la pègre lyonnaise, abattu de plusieurs balles en 1975… Cas d’école d’une affaire jamais élucidée.
« Mordez la ligne jaune, mordez-la bien, mais ne la dépassez pas. »208
François RENAUD (1923-1975 ), cité par Xavier Niel, Le Figaro, 10 mai 2024
C’est par cette citation métaphorique que l’homme d’affaires Xavier Niel (né en 1967) a rendu hommage au juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke. « C’est le meilleur conseil que j’ai reçu. L’homme qui m’a mis en prison et me l’a donné est mort. Hommage à Renaud Van Ruymbeke » poursuit le fondateur et actionnaire principal d’Iliad, groupe de télécommunications français, maison mère du fournisseur d’accès à Internet Free et de l’opérateur de téléphonie mobile Free Mobile.
Il fait référence à sa condamnation, en 2006, pour recel d’abus de bien sociaux. Un feuilleton judiciaire qu’avait instruit Renaud Van Ruymbeke à l’époque. Autre hommage circonstancié…
« En huit ans de magistrature à Lyon, le juge Renaud a traité 1 500 affaires de droit commun : braquages du gang des Lyonnais, hold-up du gang de Guy Reynaud dit « le Dingue », enlèvement d’Yves Marin-Laflèche (riche hôtelier lyonnais), plusieurs règlements de comptes qui valent à Lyon à l’époque la triste appellation de « Chicago-sur-Rhône. »
Roland PASSEVANT (1928-2002), Les Flammes de l’exclusion : insécurité urbaine, Temps des cerises (1999)
C’est le CV et le bilan de carrière exceptionnel du premier magistrat français assassiné depuis l’Occupation, à 52 ans. Le personnage a inspiré le réalisateur Yves Boisset : Le Juge Fayard dit « le Shériff » (1977), incarné par Patrick Dewaere qui présente une évidente ressemblance avec le « petit juge ».
Lors du tournage, Yves Boisset observe l’acteur qui, selon lui, n’interprète pas le rôle mais l’incarne : « Ce jour-là, j’ai compris qu’il ne jouait pas, mais qu’il vivait la scène et je me suis dit, mon Dieu, il est en danger ! » Il mesure à quel point ses rôles peuvent influencer la vie de Dewaere. Le réalisateur se jure alors de ne lui proposer que des personnages et des histoires positives, mais Dewaere mit fin à ses jours à l’âge de 35 ans, juste avant le début du prochain tournage avec Claude Lelouch, rôle du boxeur Marcel Cerdan dans Édith et Marcel.
« Je n’ai pas voulu remuer la merde. »
Olivier MARCHAL (né en 1958), ex policier, devenu acteur, réalisateur et scénariste
Il tourne lui aussi un film sur « le gang des Lyonnais » : Les Lyonnais (2011) mêle « fiction totale et réalités historiques, avec justesse et prudence » selon Le Progrès, 24 septembre 2011. Paradoxalement, il ne fait aucune référence au juge François Renaud. C’est le droit absolu de l’auteur, fût-il ex-policier. Refus de « remuer la merde » et crainte de s’aventurer en terrain miné ?
Quoiqu’il en soit, l’affaire non résolue reste très sensible pour diverses raisons tenant au personnage, au lieu, aux circonstances et à la « leçon de l’histoire ». C’est ce qu’on appelle un « cas d’école », avec cette particularité notable : Lyon l’emporte ici sur Marseille.
Le cas et la mort du « petit juge », le mystère qui entoure toujours cette affaire ne laissent pas d’attiser la curiosité.
« Engagé dans une guerre sans merci contre la montée d’une criminalité des plus violentes, propre à la région lyonnaise depuis une douzaine d’années, l’intrépide magistrat est tombé dans une sorte d’embuscade tendue par ceux qu’il considérait moins comme des justiciables que comme des ennemis du peuple et de la loi. Si le mobile du crime n’a rien, apparemment, de politique, le scandale de son impunité l’est, au sens profond du terme. »
Jacques DEROGY (1925-1997), Enquête sur un juge assassiné. Vie et mort du magistrat lyonnais François Renaud (1978)
Pionnier en France du journalisme d’investigation, sa conclusion ne donne pas de nom, mais une accusation de principe. Au milieu d’une foule de faits divers qui font la une des médias et tombent bientôt dans l’oubli, l’affaire reste aujourd’hui encore un cas d’école d’autant plus passionnant.
« L’assassinat du juge Renaud n’a jamais été totalement éclairci malgré de nombreuses enquêtes publiées, entre autres dans l’Express sous la plume de Jacques Derogy. La volonté d’étouffer, voire d’enterrer ces affaires a-t-elle effectivement existé ? L’affaire du juge Renaud a été instruite pas six magistrats successifs et 23 ans après les faits, le 17 septembre 1992, elle a été classée sans suite. Depuis les faits ont été prescrits. »
Jean-Luc PINOL (né en 1949), « Lumières sur Rhône-Alpes, l’Affaire du juge Renaud de Lyon », 9 mars 1976, site de l’INA
Il parle en historien spécialiste d’histoire urbaine, professeur à l’ENS (École Normale Supérieure) de Lyon. Et Le Monde, en date du 1er juillet 2015, revient sur l’affaire qui fascine toujours : « Les mystères de l’assassinat du juge Renaud. Quarante après les faits, le fils du magistrat est retourné voir les différents acteurs d’une affaire dans laquelle la République ne sort pas grandie. » Ce sera la seule conclusion de cette histoire.
Le faux suicide de Robert Boulin, 30 octobre 1979 : un mystère toujours en débat.
« Il ne s’agit pas d’un suicide, mais d’un crime, contrairement à la version officielle d’une mort par noyade dans 50 cm d’eau. »18
Benoît COLLOMBAT (né en 1970). 30 octobre 2024, Francebleu.fr
Journaliste à la cellule investigation de Radio France, il a travaillé plus de vingt ans sur cette affaire d’État à rebondissements, compilant les témoignages, regroupant des documents, recoupant les faits.
Pour résumer… Sa conviction est faite sur le prétendu suicide de Robert Boulin. « Ce que j’ai pu documenter, c’est que, à partir du moment où on a voulu le déstabiliser politiquement avec une affaire bidon de terrain, Robert Boulin menace de donner des informations sur le RPR [parti gaulliste fondé trois ans auparavant], sur son financement illégal, sur ses accointances avec la Françafrique, avec l’argent noir qui transite par le Gabon. C’est sa réaction qui va causer sa perte selon moi. »
Rappelons les faits. Le mardi 30 octobre à 8 h 40, le corps est découvert par les gendarmes dans un étang peu profond à Rambouillet (Yvelines) À quelques mètres de la berge, la voiture de Robert Boulin est retrouvée verrouillée, avec un mot d’adieu écrit sur un bristol et déposé sur le pare-brise. Dans la corbeille de son bureau, on retrouvera peu après un papier déchiré, aisément reconstitué avec ces mots : « J’ai l’intention de me noyer dans un lac de la forêt de Rambouillet où j’aimais beaucoup faire du cheval. »
La France apprend avec stupeur son suicide - thèse officielle, sans attendre l’autopsie. Ancien résistant, gaulliste historique, avocat, très populaire député-maire de Libourne (Gironde), plusieurs fois ministre, impliqué dans une affaire d’achat de terrain à Ramatuelle, il s’est noyé après ingestion de barbiturique. Pour preuve, plusieurs lettres expliquent son geste. Mais elles seront bientôt suspectées… Alors que d’autres faits sont incontestables.
« On a retrouvé le corps, à 7 mètres du rivage. Le corps flottait, le visage était aux deux tiers hors de l’eau, pleins d’ecchymoses et d’hématomes très traumatisés. On ne voyait qu’un bras, l’autre on ne le voyait pas […] Son corps était tout recroquevillé et l’un des pompiers a même déclaré je m’en souviens, ”on dirait qu’il sort d’une malle”. »
Priscillia ABEREKO, L’Affaire Boulin : qui a tué l’ancien ministre du Travail de Valéry Giscard d’Estaing ? Public Senat, 15 juin 2018
Arrivé en même temps que les pompiers sur les lieux du drame, le médecin du Samu se rappellera les détails qui contredisent totalement la version du suicide. Pour lui, c’est évident, la noyade n’est pas à l’origine des marques sur son visage. Autre constatation d’un témoin également professionnel, aussi précis et formel…
« Tout de suite, ce qui nous a sauté à l’idée, c’est qu’il était dans l’eau, mais pas dans la position d’un noyé. Il était à quatre pattes, un bras en l’air et un autre vers le bas. […] On avait l’impression qu’il avait été placé mort dans l’eau, parce qu’il n’avait pas la position d’un noyé dans l’eau. À priori, il devait être mort avant. […] Vu sa position dans l’eau, ce n’était pas possible que ce soit un suicide. »
Médecin réanimateur, de garde avec les pompiers le jour de la découverte du corps de Robert Boulin. SudOuest.fr
Il n’a jamais été entendu dans l’enquête initiale, mais la juge d’instruction Aude Montrieux a recueilli plus tard ce nouveau témoignage : « Il était presque à genoux. […] Il était comme assis, c’est-à-dire qu’il était comme dans une position assise mais penchant vers le bas. […] Un noyé aurait été à plat sur l’eau. Il n’avait pas la position d’un noyé, pas du tout. » Autre fait anormal….
« Qu’un premier substitut se déplace lui-même pour intervenir au cours d’une autopsie et pour demander à un médecin de ne pas faire tel ou tel acte, je ne l’avais jamais vu. Il a simplement déclaré, ”Non, pas la tête, la famille s’y oppose” ».
Jean-Pierre COURTEL, ancien inspecteur de police SRPJ de Versailles, L’Affaire Boulin : qui a tué l’ancien ministre du Travail de Valéry Giscard d’Estaing ? Public Senat, 15 juin 2018
Et la première autopsie s’arrête, à la demande du juge, avec la description du visage tuméfié, sans analyser les fractures du crâne. Alors que selon c témoin professionnel, l’examen approfondi du crâne aurait permis de connaître rapidement les raisons de la mort !
Autopsie incomplète, disparition de toutes les pièces à conviction (organes, collecte de sang…), pour la famille Boulin, il ne fait plus aucun doute qu’il s’agit d’un sabotage.
Après des années d’attente, en 1983, la famille Boulin, conseillée par l’avocat bien connu Jacques Vergès, dépose plainte contre X. L’information judiciaire menée pendant neuf ans aboutit à un non-lieu en 1992. Le non-lieu est confirmé en appel.
Cinq ans après le vol de scellés en 2010 et suite à une nouvelle plainte avec constitution de partie civile de sa fille Fabienne Boulin-Burgeat (née en 1951), une nouvelle information judiciaire s’ouvre, cette fois, pour « arrestation, enlèvement et séquestration suivi de mort ou assassinat. » Divers témoignages relancent l’affaire à plusieurs reprises, d’où l’impression d’un mauvais feuilleton policier qui n’en finit pas.
« Si j’avais témoigné à l’époque, j’étais mort (…). Si ces gens avaient été capables de tuer un ministre, imaginez ce qu’ils auraient pu faire avec moi ».
Elio DARMON (né en 1948), Ouest-France, 7 novembre 2024
À présent, son âge (76 ans) et ses soucis de santé l’ont convaincu que le temps de parler était venu, car il se trouvait, désormais, « au crépuscule de [sa] vie » et n’avait plus grand-chose à perdre. Ces derniers jours, Elio Darmon a délivré plusieurs interviews à la presse, confirmant les propos tenus devant le juge. Un affabulateur ? Pas certain : si ses déclarations sont absolument fracassantes, les vérifications effectuées semblent les crédibiliser.
D’autant plus que la version du crime politique est toujours plausible. Et cela depuis le début de l’affaire.
« La rupture avec Giscard a provoqué la naissance d’une haine presque ovarienne, c’est-à-dire viscérale et profonde. Nous avions le sentiment que Giscard nous avait dérobé, volé le pouvoir. »
Bernard PONS (1926-2022). L’Affaire Boulin : qui a tué l’ancien ministre du Travail de Valéry Giscard d’Estaing ? Public Senat, 15 juin 2018
Tiraillé entre sa loyauté envers Valéry Giscard d’Estaing et son appartenance à la famille gaulliste, Robert Boulin va devenir une cible et son destin va basculer.
Accusé et menacé de toutes parts, y compris dans sa propre famille politique, le ministre se sait en danger et déclare à son entourage : « Le grand veut ma peau ».
Jean Lalande, beau-frère de Robert Boulin va l’apprendre aussi par un responsable des services d’écoutes téléphoniques de Gironde : « Il m’a dit le contrat est pour mardi. Il m’a dit d’avertir Robert Boulin qu’il y avait un contrat sur lui. Il m’a donc donné le temps et la date. »
« Il avait l’air d’un homme qui avait envie de se battre. Il était combatif. Il avait de bonnes raisons de penser qu’avec les dossiers qu’il détenait, il arriverait à faire taire ses détracteurs. »
Bernard FONFREDE (né en 1947), témoin dans l’affaire Boulin. France Inter, par Benoît Collombat. 28 janvier 2013
Après la mort du ministre, l’ancien assistant parlementaire du député suppléant de Robert Boulin a reçu l’ordre de faire détruire toutes les archives de Robert Boulin par des hommes du SAC (Service d’action civique), service d’ordre musclé du parti gaulliste, engagé alors dans une dérive sanglante sur d’autres fronts. Dans ces archives transportées depuis Paris par des camionnettes de gendarmerie jusqu’à la ville de Libourne (dont Robert Boulin était le député-maire) se trouvaient de nombreux courriers personnels envoyés par le ministre à des proches, notamment ses amis francs-maçons. Ces courriers, Bernard Fonfrède les a lus avant leur destruction. Il témoigne clairement…
« Monsieur Boulin expliquait qu’il avait des dossiers concernant le financement des partis politiques, principalement le RPR, par des sociétés africaines, comme Elf-Gabon. Il prétendait qu’il avait de quoi faire taire tous ses détracteurs. Il parlait d’Elf-Gabon, principalement, mais il parlait aussi de comptes en Suisse. »
Bernard Fonfrède explique également que dans ses lettres, Robert Boulin se sentait clairement menacé : « Il écrivait par exemple : « Le Grand veut ma peau. » Ou encore : « Ils veulent me descendre. » Ça veut dire quoi ? Me descendre politiquement… ou physiquement », s’interroge ce témoin qui n’a jamais été entendu par la justice. « À l’époque, c’était l’omerta » dit-il. Mais il se dit prêt à en dire davantage devant un juge d’instruction, en cas de réouverture du dossier.
Il a d’autant plus de mérite qu’en 2003, il s’était déjà confié à France Inter, racontant l’opération de destruction des archives, sans dévoiler le contenu des courriers, par précaution. Mais quelques jours après la diffusion de son témoignage, il est approché par deux individus louches qui lui conseillent d’éviter de parler des archives de Boulin. Le soir même, violemment agressé à l’entrée de sa maison, il se retrouve à l’hôpital pour un mois, avec deux jours dans le coma et deux fractures du crâne, échappant de peu à la mort.
« J’ai toujours pensé, ayant bien étudié la question, que Robert Boulin avait été assassiné. La justice a failli. Même 30 ans après, il faut tenter de chercher la vérité. L’Histoire finira pas dire la vérité. Le ou les vrais responsables on les retrouvent dans plusieurs capitales : à Libreville, chez Bongo, à Bangui, en Centrafrique, et peut-être à Paris… »
Jean-François PROBST (1949-2014) Ex-conseiller de Charles Pasqua et de Jacques Chirac
Fin connaisseur des réseaux « françafricains », Jean-François Probst considérait que Robert Boulin a bien été assassiné. Il faisait, lui aussi, le lien avec les « affaires africaines ».
Peut-on, doit-on écrire : Affaire à suivre ? Ou la raison d’État est-elle encore si forte dans notre démocratie française, plus de quarante-cinq ans après ?
Affaire des diamants de Bokassa : le président Giscard d’Estaing plus victime que coupable dans cette histoire lancée par la presse en 1979.
« Il faut laisser les choses basses mourir de leur propre poison. »3193
Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), interrogé sur l’« affaire des diamants », Antenne 2, 27 novembre 1979
10 octobre dernier, Le Canard enchaîné publie que Bokassa, président déchu de la République centrafricaine, fit cadeau de diamants à Giscard d’Estaing, ministre des Finances, en 1973. Valeur, un million de francs, selon une note de Bokassa. « C’est grotesque », selon VGE. Les diamants, oubliés dans un tiroir, ont été estimés entre 4 000 et 7 000 francs. La note est un faux grossier.
Mais Le Monde reprend l’information et dénonce le silence de l’Élysée. La semaine suivante, Le Canard publie une nouvelle note de Bokassa, sur des diamants remis à Giscard devenu président, et la presse internationale se déchaîne sur ce « Watergate parisien ».
VGE ne change pas de ligne de défense, autrement dit, il ne se défend même pas. Le Point publiera une contre-enquête infirmant la plupart des accusations. La DST révélera qu’on a aidé Bokassa dans cette manipulation. Trop tard, le mépris silencieux de l’accusé l’a finalement rendu suspect : « J’imaginais que les Français écarteraient d’eux-mêmes l’hypothèse d’une telle médiocrité », écrira-t-il dans Le Pouvoir et la vie, tome II, L’Affrontement (1991).
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