L’Histoire en chantant (Deuxième République et Second Empire) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

Chaque époque donne le ton, d’où l’extrême diversité de ce résumé chantant qui alterne à l’infini comique et tragique, populaire et poétique, avec une dose de fantaisie propre à l’esprit français.

Quelques constantes en font l’originalité.

  • Le peuple est le premier acteur de cette histoire, qu’il s’exprime dans le répertoire des traditionnelles chansons populaires ou dans le registre patriotique des chants de guerre. Mais ballades et chansons de geste furent aussi à la mode, en leur temps.

  • Beaucoup de titres sont anonymes, à commencer par les quelque 6 500 mazarinades chantées sous la Fronde contre Mazarin qui bat tous les records d’impopularité. De manière plus générale, « en France et sous nos rois, la chanson fut longtemps la seule opposition possible ; on définissait le gouvernement d’alors comme une monarchie absolue tempérée par des chansons. » (Eugène Scribe). Cet anonymat perdure bien après la Révolution, aussi longtemps qu’il y aura censure, au XIXe siècle et au-delà. Dernier cas, le Déserteur pendant la guerre d’Indochine (1954), mais le texte est signé (Boris Vian et Serge Reggiani).

  • La chanson sous toutes ses formes reste malgré tout un espace de liberté d’expression et reflète l’opinion publique, bien avant la grande presse créée au XIXe siècle, les sondages nés à la veille de la Seconde Guerre mondiale et les réseaux sociaux, inventions de notre siècle.

  • La Révolution est toujours la « grande époque » de l’Histoire (en chantant, en citations et en général). Deux « tubes » sont nés : la Marseillaise et le Ça ira. Leur petite histoire vous réserve des surprises… Surprise aussi de trouver Il pleut, il pleut bergère, entre quelques dizaines de titres de circonstance à découvrir.

  • La Commune de Paris, autre paroxysme héroïque, nous offre l’Internationale au destin historique mondial… et le Temps des cerises au sens resté mystérieux.

  • Les guerres sont toujours très chantées à divers titres et sur divers tons. Signalons un doublon « bon enfant » avec la Madelon, deux versions, 1914 et 1918, confondues par Clemenceau lui-même,  chargé de décorer l’auteur de la seconde…

L’apparition des chansons et des chanteurs engagés donne un tout autre ton à la Quatrième et la Cinquième Républiques. C’est l’âge d’or de la chanson française et l’embarras du choix grandit avec quelques « standards » incontournables des protest songs venus d’Amérique.

Là encore, quelques surprises. À côté des Ferré, Ferrat, Brel, Brassens et autres artistes engagés à divers propos (peine de mort, racisme, homophobie, émigration, écologie, anarchie, féminisme…), on découvre Johnny Halliday avec un titre tout à son honneur et à celui de son auteur (Philippe Labro).

Plus d’une centaine de vidéos YouTube servent d’illustration sonore à cette Histoire en chantant.

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Deuxième République

Le peuple chante la nouvelle Révolution et la République bientôt menacée

« Par la voix du canon d’alarme,
La France appelle ses enfants.
« Allons, dit le soldat, Aux armes !
C’est ma mère, je la défends. »
Mourir pour la patrie,
C’est le sort le plus beau,
Le plus digne d’envie. »2128

Auguste MAQUET (1813-1888), paroles, et Alphonse VARNEY (1811-1879), musique, Chant des Girondins (1847), entonné le 22 février 1848 au matin, place de la Concorde. Chansons nationales et populaires de France (1850), Théophile Marion Dumersan

Écoutez le Chant des Girondins sur Youtube.

Ce chœur est tiré du Chevalier de Maison-Rouge, version théâtrale du roman historico-héroïco-révolutionnaire signé Dumas et Maquet. Grand succès populaire, le soir de la première représentation.

Ce morceau va devenir « La Marseillaise de la Révolution de 1848 ». Il est chanté pour la première fois au matin du 22 février par les Parisiens venus en masse à la Concorde, ignorant l’interdiction du dernier banquet républicain précédant les élections et du défilé, tous deux décommandés.

La foule commence à crier : « À bas Guizot ! » et à conspuer les gardes municipaux. La fièvre monte, malgré cet hiver froid et pluvieux. Les pavés, les barricades, les manifestations s’improvisent ici et là, avec les habitants des faubourgs et des banlieues venus pour la bagarre, jusqu’à la nuit tombante.

« La liberté, cette vierge féconde
Vous voudriez l’étrangler au berceau
Et que son nom fût effacé du monde. »2130

Pierre DUPONT (1821-1870), La Chanson du banquet. Chants et poésies (1862), Pierre Dupont

Pierre Dupont, ex-apprenti canut, l’un des premiers chansonniers de la classe ouvrière, s’insurge contre la répression des journées de février 1848.

Devant l’émeute qui continue, le roi Louis-Philippe demande : « Quel vent a soufflé sur Paris ? » Mais la tempête qui se déchaîne va gagner les pays voisins.

« Toute l’Europe est sous les armes,
C’est le dernier râle des rois :
Soldats, ne soyons point gendarmes,
Soutenons le peuple et ses droits […]
Refrain
Aux armes, courons aux frontières,
Les peuples sont pour nous des frères ! »2143

Pierre DUPONT (1821-1870), Chant des soldats. Muse populaire : chants et poésies (1858), Pierre Dupont

La révolution française de 1848 – après celle de 1830 – entraîne une flambée de mouvements révolutionnaires un peu partout en Europe : Allemagne, Autriche, Italie, Hongrie, Pologne.

C’est le « printemps des peuples » et la France qui retrouve sa mission libératrice chante : « Que la République française / Entraîne encore ses bataillons / Au refrain de La Marseillaise / À travers de rouges sillons / Que la victoire de son aile / Touche nos fronts et, cette fois / La République universelle / Aura balayé tous les rois / Aux armes, courons aux frontières… »

Mais l’été qui suit ce printemps sera celui de toutes les répressions.

« Tout Français est électeur,
Quel bonheur ! moi, tailleur,
Toi, doreur, lui, paveur,
Nous v’là z’au rang d’homme […]
Faut savoir c’qu’on nomme.
Sachons bien, sachons bien
Élire un homme de bien,
Craignons bien, craignons bien
D’prendre un propre à rien. »2157

Eugène POTTIER (1816-1888), Le Vote universel (1848), chanson. Chansons nationales et populaires de France (1866), Théophile Marion Dumersan, Noël Ségur

On reconnaît déjà la « fibre politique » de l’auteur rendu plus tard mondialement célèbre par L’Internationale.

Le peuple chante le rétablissement du suffrage universel (masculin), le 5 mars 1848. C’est la fin des abus du régime censitaire, mais aussi le début d’une course aux suffrages qui va défavoriser la gauche. Le principe, définitivement acquis, n’en reste pas moins très populaire. Sur les 9 millions d’électeurs, il y aura 86 % de votants.

« Tremblez tyrans portant culotte !
Femmes, notre jour est venu ;
Point de pitié, mettons en vote
Tous les torts du sexe barbu !
Notre patience est à bout,
Debout, Vénusiennes, debout […]
Refrain
Liberté sur nos fronts verse tes chauds rayons,
Tremblez, tremblez, maris jaloux,
Respect aux cotillons ! »2162

Louise de CHAUMONT (XIXe siècle), La Marseillaise des femmes (ou Marseillaise des cotillons), chanson de 1848. L’Illustration, volume XI (1848), J. Dubouchet

Écoutez La Marseillaise des femmes sur Youtube.

Les « Vénusiennes » chantent et défilent, jupes retroussées, corsage en bataille, jeunes ouvrières vivant parfois en communauté à la mode saint-simonienne. Manifestation spectaculaire mais éphémère d’un féminisme qui tranche sur le sexisme du XIXe siècle (y compris chez notre principal socialiste français, Joseph Proudhon).

Notons aussi que La Marseillaise, parmi tous les chants de l’histoire de France, est le plus constamment repris, parodié, récupéré, exploité en d’innombrables versions. C’est la rançon du succès, disons même de la gloire. « Au clair de la lune » connaît le même sort, dans un genre plus modeste.

« Au clair de la lune,
Brave citoyen,
Thiers cherche fortune,
Tu le connais bien.
Il est sans-culotte,
Il en fait l’aveu.
Refrain
Donne-lui ton vote
Pour l’amour de Dieu. »2167

La Candidature du citoyen Thiers en 1848, chanson nouvelle en 9 couplets, signée « Le Révélateur impartial ». Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

La campagne électorale bat son plein et la chanson (anonyme) dénonce ce politicien certes républicain, mais assurément arriviste : le voilà élu aux élections complémentaires de juin 1848 qui accentuent le conservatisme de l’Assemblée.

Autre élection plus surprenante : celle de Louis-Napoléon Bonaparte qui ne se présentait pas ! Sans même revenir en France, sur la seule force de la légende napoléonienne ravivée par Hugo, il est élu dans 4 départements (Charente, Corse, Seine et Yonne), mais pense qu’il est encore urgent d’attendre son heure, craignant le vote d’une loi d’exil s’il rentre en France. Il démissionne donc, en attendant la suite de l’Histoire qu’il va marquer de son nom.

« Ce sont des amis éprouvés,
Crions tous : Vive les pavés ! »2169

Eugène PHILIPPE (XIXe siècle), Chanson en l’honneur des pavés (1848). Manuel d’histoire littéraire de la France : 1789-1848 (1973), Jean Charles Payen, Jean Claude Abramovici

Juin 1848. C’est encore et toujours « Paris qui n’est Paris qu’arrachant ses pavés » (Aragon). Cette Chanson en l’honneur des pavés fait écho au mot d’ordre des manifestants : « Du travail et du pain ».

Rappelons la situation : la Révolution de février 1848 a reconnu le droit au travail, un évident progrès en l’absence de toute loi sociale. Dès le 26 février, on crée les Ateliers nationaux : chantiers de terrassement ouverts aux chômeurs, à Paris et dans plusieurs grandes villes de province. Salaire, deux francs par jour. 40 000 volontaires vont se précipiter, mais on ne sait à quoi les employer. Bourgeois et rentiers s’exaspèrent de devoir financer ces « râteliers nationaux » où l’on pave, dépave et repave les rues pour rien. Trois mois après, les ateliers sont fermés.

110 000 travailleurs se retrouvent jetés sur le pavé de Paris. Les barricades commencent à l’est de la capitale, dans les quartiers populaires.

La répression va être terrible. Le général Cavaignac a pour mission de stopper cette guerre sociale. Des gardes nationaux de province se joignent à la troupe et aux gardes mobiles. Ses hommes prennent position dans les quartiers calmes et il laisse la révolte s’étendre, pour mieux la réprimer le lendemain, 25 juin, piégeant quelque 40 000 ouvriers au cœur de la capitale. « La République a de la chance, elle peut tirer sur le peuple ! » Parole de Louis-Philippe, exilé en Angleterre.

« Leurs dragées vomissent la mitraille,
Quand notre cause est la fraternité,
Adieu, mon fils, vis et meurs en canaille,
Car la canaille a fait la liberté. »2172

J.-B. SIMÉON (XIXe siècle), La Canaille (1848), chanson. Manuel d’histoire littéraire de la France, 1789-1848 (1973), Jean-Charles Payen, Jean-Claude Abramovici

Le « héros de février » chanté par J.-B. Siméon, le peuple, cette « sainte canaille », se rappelle les grandes journées de 1789 et 1830.

« Le bonnet de coton ne se montra pas moins hideux que le bonnet rouge » écrira Flaubert dans l’Éducation sentimentale (1869), rejetant dos à dos le bourgeois et le peuple avec le recul du temps. Sa consœur et amie George Sand est inconditionnellement du côté des émeutiers : « J’ai honte aujourd’hui d’être Française, moi qui naguère en étais si heureuse… Je ne crois plus à l’existence d’une république qui commence par tuer ses prolétaires. » (Lettre à Charlotte Marliani, juillet 1848). La « bonne dame de Nohant » n’aura pas la même inconditionnalité pour la Commune de Paris en 1871.

Les représailles ont suivi les combats. Bilan humain des journées de juin : plus de 4 000 morts chez les insurgés, 1 600 parmi les forces de l’ordre (armée et garde nationale). Et 3 000 prisonniers ou déportés en Algérie.

Bilan politique : la rupture est consommée entre la gauche populaire, prolétaire et socialiste (à Paris surtout, mais très minoritaire dans le pays) et la droite conservatrice à laquelle vont peu à peu se joindre les républicains modérés, pour former le parti de l’Ordre. Ce qui annonce et explique l’irrésistible ascension de Louis-Napoléon Bonaparte.

« Ô République au front d’airain !
Ta justice doit être lasse :
Au nom du peuple souverain,
Pour la première fois, fais grâce ! »2175

Pierre DUPONT (1821-1870), Les Journées de Juin (1848), chanson. Histoire de la Littérature Française depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours (1897), Frédéric Godefroy

Cette chanson, en fait une prière pour la conciliation devenue impossible, est signée de ce chansonnier politique, d’inspiration républicaine et socialiste, très populaire dans les clubs où il se produit. Jusqu’au coup d’État de 1851, qui le condamne à une semi-retraite, avant sa reconversion dans la chanson rustique.

« Bonjour, aimable République,
Je m’appelle Napoléon […]
Pour votre époux, me voulez-vous ? […]
Je vous mettrai tout sens dessus dessous,
Avec moi vous aurez l’Empire,
République, marions-nous ! »2180

Le Prétendu de la République (1848), chanson anonyme. La Nouvelle critique : revue du marxisme militant, nos138 à 141 (1962)

Le peuple se moque déjà de lui, avec un humour prophétique. Les professionnels de la politique et la presse vont sous-estimer les talents de l’homme – ou le pouvoir du nom.

« Je suis Corse d’origine,
Je suis Anglais pour le ton,
Suisse d’éducation
Et Cosaque pour la mine […]
J’ai la redingote grise,
Et j’ai le petit chapeau ;
Ce costume est assez beau,
On admire cette mise.
Seul le génie est absent
Pour faire un bon président. »2188

Complainte de Louis-Napoléon pour compléter sa profession de foi (1848), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Il dut souffrir de toutes ces chansons qui le brocardèrent, déjà en « Ratapoil », bientôt en « Badinguet » et autres surnoms. Selon Hugo : « Peu lui importe d’être méprisé, il se contente de la figure du respect » (Napoléon le Petit).

Bien que chansonné et ridiculisé, sous-estimé, malmené, le candidat à la présidence de la République a toutes ses chances : porté par la légende napoléonienne qui enchante le peuple et l’a déjà fait député, il rassure les bourgeois qui ont vu de près le « péril rouge », lors des dernières émeutes.

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Second Empire

Chanter pour s’opposer, toujours avec humour

« La République à votre vote expire
Devant Machin, votre unanime élu.
Soyez heureux : vous possédez l’Empire,
Soyez-en fiers, car vous l’avez voulu.
De ce succès dont votre âme s’enivre
Peut-être un jour vous vous mordrez les doigts :
Votre empereur, dit-on, aime bien vivre !
Et vous paierez la carte, bons bourgeois ! »2233

Charles GILLE (1820-1856), La Carte à payer, chanson. La République clandestine (1840-1856) : les chansons de Charles Gille (posthume, 2002)

La presse d’opposition n’existe pratiquement plus, depuis le coup d’État du 2 décembre 1851, mais la chanson reste un moyen d’expression et l’humour se fait cinglant. Charles Gille, poète et ouvrier déjà persécuté, écrase de son mépris cette bourgeoisie qui, de nouveau, a trahi la République.

« Sous le céleste Empire
De Napoléon Trois,
Le bourgeois
Pousse jusqu’au délire
Le respect de l’honneur,
Il a peur.
Refrain
Il ne s’oppose à rien,
Tout est très bien, tout est fort bien
Pour ce bon citoyen. »2235

Paul AVENEL (1823-1902), Le Bon Bourgeois, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Cette chanson reflète parfaitement l’état d’esprit du pays, au début du Second Empire. La peur de la République et surtout des républicains (les rouges) fauteurs de trouble met le bourgeois dans le camp de l’Empire. De même pour l’Église. Le régime se gagnera également la reconnaissance du monde paysan pour une meilleure raison : le progrès matériel pénètre la France rurale.

On va retrouver Avenel, journaliste et auteur dramatique, poète, romancier, mais il reste surtout connu pour Les Chansons politiques (1870).

« Du berceau jusqu’au cimetière
Longue est ma chaîne de labeurs !
Mais le travail fait l’âme fière
L’oisiveté les lâches cœurs […]
C’est le travail qui rend féconde
La vieille terre aux riches flancs […]
Au travail appartient le monde,
Aux travailleurs, à leurs enfants. »2238

G. BRUNO (1833-1923), paroles et musique, La Chanson du pauvre (1869). Histoire de la France : les temps nouveaux, de 1852 à nos jours (1971), Georges Duby

Augustine Tuilerie, alias G. Bruno, fille et femme d’universitaires en renom, exalte la morale qu’une société bourgeoise veut imposer aux travailleurs. Son livre le plus connu, le Tour de la France par deux enfants, fait un énorme succès de librairie.

La Chanson du pauvre est extraite de son premier « roman pédagogique », dont le titre est tout un programme : Francinet. Livre de lecture courante. Principes élémentaires de morale et d’instruction civique, d’économie politique, de droit usuel, d’agriculture, d’hygiène et de sciences usuelles. C’est la chanson que fredonne un enfant qui travaille, encore et toujours, c’est « dans le silence de la nuit, une voix [qui s’élève], une petite voix d’enfant, triste, plaintive… »

Cette idéologie dominante et bien-pensante peut expliquer la haine du bourgeois et l’explosion de la Commune en 1871.

« Osman, préfet de Bajazet,
Fut pris d’un étrange délire :
Il démolissait pour construire,
Et pour démolir, construisait.
Est-ce démence ? Je le nie.
On n’est pas fou pour être musulman ;
Tel fut Osman,
Père de l’osmanomanie. »2258

Gustave NADAUD (1820-1893), L’Osmanomanie, chanson. Chansons de Gustave Nadaud (1870)

Texte en forme de conte, signé d’un poète chansonnier qui fait la satire du Second Empire, parfois interdite par le régime. Remarquons que toutes ces formes de contestation échappent à l’anonymat, preuve que les auteurs courent quand même moins de risques que jadis !

Nommé préfet de la Seine le 1er juillet 1853, le baron Haussmann voit grand et beau pour le Paris impérial. Il faut en finir avec le Paris de Balzac aux rues pittoresques, mais sales et mal éclairées, créer une capitale aussi moderne que Londres qui a séduit l’empereur, creuser des égouts, approvisionner en eau les Parisiens, aménager des espaces verts, loger une immigration rurale massive, percer de larges avenues pour faciliter l’action de la police et de l’artillerie contre d’éventuelles barricades. Ce dernier argument est parfois oublié ou discuté.

Reste le résultat : « Ce qu’auraient tenté sans profit / Les rats, les castors, les termites / Le feu, le fer et les jésuites / Il le voulut faire et le fit. / Puis quand son œuvre fut finie / Il s’endormit comme un bon musulman / Tel fut Osman / Père de l’Osmanomanie. »

On accuse le baron de sacrifier des joyaux anciens, d’avoir un goût immodéré pour la ligne droite et bientôt de jongler avec les opérations de crédit. L’« osmanomanie » va rimer avec mégalomanie. N’oublions pas que le Paris haussmannien sera bientôt considéré comme un immense progrès et une incontestable réussite. La plupart des  grands chantiers à venir seront également discutés et finalement acceptés.

« Cette fois, sur mer et sur terre,
Les Cosaques, nous les tenons !
La France est avec l’Angleterre,
Le Droit est avec nos canons. »2261

Pierre DUPONT (1821-1870), La Nouvelle Alliance, chanson. Muse populaire : chants et poésies (1875), Pierre Dupont

Le propos plaît aux républicains : il est dirigé contre le tsar qui opprime la Pologne. Il plaît aussi aux catholiques : la France va protéger les Lieux saints. En fait, Napoléon III saute sur l’occasion de défaire la coalition européenne défensive née à son arrivée au pouvoir, choisissant l’alliance avec l’Angleterre – un pays où il a vécu en exil, qu’il connaît et admire.

Pacte conclu le 12 mars 1854. Guerre déclarée à la Russie le 27 mai et débarquement en Crimée – le tsar orthodoxe Nicolas Ier voulant établir son protectorat sur les chrétiens de Turquie.

« Encore une fois notre drapeau français
Vient de remporter la victoire,
Je sommes vainqueurs et ce nouveau succès
Fait que je nageons dans la gloire.
Fallait entendr’ notre brutal,
Aux Mexicains, jouer un p’tit air de bal.
Refrain
J’avons Puebla, mais foi d’Pico
Dans peu, nous aurons Mexico. »2286

Alexis DALÈS (1813-1893), paroles, et Charles COLMANCE (1805-1870), musique, J’aurons Mexico (1863), chanson. Des chansons populaires chez les anciens et chez les Français (1867), Charles Nisard

On chante encore et toujours, mais l’aventure mexicaine sera le premier grave échec de Napoléon III en politique extérieure.

L’empereur, avec les libéraux, croit au début à cette expédition du Mexique et au rôle jouable par la France dans le Nouveau Monde. La gauche fait des réserves, mais rêve aussi. Les pays alliés du début nous lâchent, les États-Unis se fâchent, Napoléon III retire ses troupes et abandonne Maximilien d’Autriche, marié à la princesse Charlotte, fille du roi des Belges : il  finira fusillé en 1867, elle en deviendra folle.

« Plus de six mille morts, trois cent trente-six millions de dépenses. Rien n’a davantage contribué à l’impopularité du Second Empire », écrira l’historien Georges Pradalié (Le Second Empire).

« Quand Julien fait des boulettes,
C’est un grand pâtissier,
Quand Haussmann double nos dettes,
C’est un bien grand financier ! […]
Refrain
Ce préfet – Est parfait
Il fait bien tout ce qu’il fait. »2299

Paul AVENEL (1823-1902), Les Comptes fantastiques d’Haussmann, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Si la chanson est d’Avenel, le mot qui fait titre est de Jules Ferry (avocat et député républicain d’avenir sous la Troisième). Il va faire mal au préfet visé, déjà malmené par le Corps législatif et l’opinion publique.

Les « Comptes fantastiques d’Haussmann » font naturellement allusion aux Contes fantastiques d’Hoffmann, classique de la littérature romantique allemande, déjà porté au théâtre par Carré et Barbier (avant d’être mis en musique par Jacques Offenbach, en 1881).

Les grands travaux d’« Osman » se révèlent ruineux, l’« osmanomanie » rime plus que jamais avec mégalomanie, les combinaisons de crédit sont douteuses. Le préfet Haussmann sera limogé en 1869, mais le Paris impérial de ses rêves et de ses plans est presque achevé et restera le nôtre, jusque sous la Quatrième République.

« J’ai dans ma main le ministère
Et dans ma manche le Sénat,
Je fais la paix, je fais la guerre,
Enfin c’est moi qui suis l’État !
Mon peuple est un mouton docile
Dont je sais tondre la toison.
Refrain
Majesté, répondit Émile,
Majesté, vous avez raison ! »2303

Paul AVENEL (1823-1902), Le Plébiscite (1870), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

La chanson brocarde Émile Ollivier, hier républicain, aujourd’hui ministre, et croyant œuvrer pour un empire plus libéral. La suite est fort cruelle pour l’empereur : « Les effluves républicaines / Font à la France un sang nouveau / Et le mien, vieilli dans mes veines / Ne monte plus à mon cerveau / Mais malgré mon état sénile / Je reste au Louvre en garnison / Majesté, répondit Émile / Majesté, vous avez raison ! »

Napoléon III est à ranger dans la longue liste de « ces malades qui nous gouvernent ». Après l’« abcès » de François Ier (sans doute la vérole), la tuberculose de tous les fils de Catherine de Médicis, la fistule de Louis XIV, et avant la maladie de Waldenström de Pompidou, c’est la très douloureuse maladie de la pierre (calculs de la vessie) qui ôte toute énergie à l’homme, au pire moment de son histoire.

« Prussiens ! vous fuirez, battant la retraite,
Devant nos drapeaux
Et nos Chassepots,
Oui, notre aigle altier qui n’a qu’une tête
S’ra victorieux,
Et pourtant le vôtre en a deux !
Refrain
Zim la la, zim la la, les beaux militaires,
Zim la la, zim la la, que ces Prussiens-là ! »2312

Ces beaux Prussiens (1870), chanson.  La Commune en chantant (1970), Georges Coulonges

Les chansons font partie de la propagande patriotique, au même titre que la presse. Le chassepot français (du nom de son inventeur) est en effet le fusil à aiguille le plus efficace à l’époque, mais c’est notre seule supériorité.

450 000 Prussiens très armés et très entraînés vont aussitôt infliger les premières défaites aux 350 000 Français pleins d’ardeur.

Les Allemands envahissent l’Alsace et la Lorraine. L’armée de Mac-Mahon est défaite en Alsace – battue à Wissembourg (4 août 1870), Reichshoffen et Froeschwiller (6 août) – et l’armée de Bazaine en Lorraine – à Forbach (6 août).

« V’là le Sire de Fish-ton-Kan,
Qui s’en va-t-en guerre,
En deux temps et trois mouv’ments
Sens devant derrière […]
Badinguet, fich ton camp. »2319

Paul BURANI (1845-1901), paroles, et Antonin LOUIS (1845-1915) musique, Le Sire de Fich-ton-kan (1870), chanson

La capitulation de Sedan est accueillie par les applaudissements de la gauche, le 3 septembre à la Chambre : l’opposition sait que le régime ne survivra pas à la défaite de l’armée impériale.

De fait, l’opinion se retourne aussitôt : plébiscité en mai, l’empereur qui tombe est insulté. La rue chante… et Ernest Renan tirera la morale de l’Histoire : « Le prétendu dieu des armées est toujours pour la nation qui a la meilleure artillerie, les meilleurs généraux. » Dialogues et fragments philosophiques (1876).

Cette guerre de 1870 va ébranler bien des certitudes et des enthousiasmes chez les hommes qui en seront témoins. Et le drame continue, après la chute de l’Empire.

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