Musée français des statues en péril (de la Gaule au siècle de Louis XIV) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Le « déboulonnage des statues » a beaucoup fait parler en 2020. Phénomène spectaculaire autant que symbolique, il est mondial et remonte à la nuit des temps.

Mais il s’emballe avec les commémorations et autres cérémonies mémorielles. Le passé ne passe pas et chaque « minorité » le manifeste plus ou moins violemment : les noirs, les juifs, les femmes, les homosexuels, les animalistes… L’homme blanc et chrétien peut aussi être concerné et choqué à divers titres.

Avec la diffusion instantanée des informations et des images, le phénomène touche finalement tous les publics et interpelle fatalement l’historien.

Faut-il réécrire l’Histoire ? Oui et non.

Chaque historien le fait à sa manière, dès qu’il s’exprime. Les politologues, sociologues, philosophes, journalistes et autres intellectuels instrumentalisent volontiers l’histoire, les citoyens s’en mêlent, l’opinion publique s’informe et s’enflamme à l’occasion. L’anachronisme n’a plus de limite. Complotisme, « commémorite » et « décommémoration » font rage. C’est la chienlit, comme dirait de Gaulle. Alors que penser, que dire, que faire ?

Une seule certitude : il ne faut jamais censurer l’histoire !

C’est la règle et la raison d’être de l’Histoire en citations : donner la parole à tous les auteurs et acteurs du récit national. Plus d’un millier de personnages s’expriment, se contredisent, s’affrontent ou s’unissent, commentent ou agissent et font ainsi avancer l’histoire. Le peuple (en chansons, pamphlets et slogans) participe à ce jeu au fil des manifestations, des émeutes, des révolutions.

Cet édito original propose une démonstration par l’absurde – en terme savant, c’est la rhétorique du renversement des valeurs. De la Gaule à nos jours, 50 personnages sont exposés à la critique, de Vercingétorix à l’abbé Pierre, en passant par Napoléon et Hugo, stars de notre Histoire. Chacun est reconnu pour ce qu’il a fait de bien – utile, nouveau, exceptionnel. MAIS chacun est à son tour jugé, condamné, « déboulonné » pour tel ou tel fait historiquement prouvé et condamnable, selon nos critères actuels.

La Révolution sert de référence. Tous ses Noms les plus représentatifs - Mirabeau, Danton, Marat, Robespierre, Saint-Just, La Fayette – furent capables du pire : appeler au meurtre, tuer, trahir. La Révolution elle-même devrait être supprimée de notre Histoire ! Que resterait-il de la France ?

Autre leçon à tirer : en tout être humain existe une part d’ombre, sinon un monstre. Cela semble plus évident pour les artistes : Sade, Beaumarchais, Baudelaire, Hugo, Claudel, Picasso, Malraux entre autres exemples.

Dernière remarque : un grand absent dans la liste des 50 Noms, de Gaulle. Il aurait pu y figurer : en juin 2020, son buste fut vandalisé à Hautmont (Nord) avec l’inscription « Esclavagiste », la presse s’en fit l’écho, le président de la Région s’en émut. Ce n’est même pas un déboulonnage signifiant : juste un fait divers insignifiant.

(Les citations numérotées renvoient à notre Histoire en citations, les autres sont pareillement sourcées et contextualisées)

Musée français des statues en péril, retrouvez nos quatre éditos :

 

GAULE

VERCINGETORIX

Promu héros national et littéralement statufié par la Troisième République en quête de personnages, MAIS c’est quand même le vaincu du général romain à qui il rend les armes, César.

« Prends-les ! Je suis brave, mais tu es plus brave encore, et tu m’as vaincu. »23

VERCINGÉTORIX (vers 72-46 av. J.-C.), jetant ses armes aux pieds de César, fin septembre 52 av. J.-C., à Alésia. Commentaires de la guerre des Gaules, Jules César

Ces mots du vaincu rapportés par le vainqueur servent d’épilogue à la brève épopée du jeune guerrier gaulois, face au plus illustre des généraux romains.

Grand stratège, César parvint à enfermer Vercingétorix et son armée à Alésia (en Bourgogne). L’armée de secours, mal préparée, est mise en pièces par le général et historien romain qui exagère toujours les chiffres : 246 000 morts chez les Gaulois, dont 8 000 cavaliers. Vercingétorix juge la résistance inutile et se rend pour épargner la vie de ses hommes – quelque 50 000, mourant de faim après quarante jours de siège.

La chute d’Alésia marque la fin de la guerre des Gaules et l’achèvement de la conquête romaine. Mais le mythe demeure bien vivant, en France : Vercingétorix, redécouvert par les historiens au XIXe siècle et popularisé jusque dans la bande dessinée, est notre premier héros national. Soulignons le paradoxe : c’est un guerrier vaincu, après une seule victoire à son actif (mai 52, Gergovie, dans l’actuel département du Puy-de-Dôme).

« Sa courte vie de combattant eut cette élégante beauté qui charmait les Anciens et qui était une faveur des Dieux. »24

Camille JULLIAN (1859-1933), Vercingétorix (1902)

Auteur de la première biographie savante de Vercingétorix, il résume ainsi sa carrière de chef de guerre. L’épopée n’a duré que dix mois. Emmené captif à Rome, le vaincu est jeté dans un cachot où il attendra six ans, pour être finalement exhibé comme trophée, lors du triomphe de César, puis décapité en 46 av. J.-C. : « Vae Victis ! »

Notons l’étrange comportement de César face à l’ennemi vaincu – fut-il lui aussi sensible à « cette élégante beauté » ? En tout cas, la bisexualité des deux hommes est un fait avéré, d’ailleurs relativement banal à l’époque.

Moyen Âge

GUILLAUME LE CONQUERANT

Né Guillaume de Normandie, devient roi d’Angleterre, MAIS en invoquant le même argument juridique, l’Angleterre déclenchera la Guerre de Cent Ans.

« Par les splendeurs de Dieu ! Cette terre, voilà que je l’ai saisie dans mes mains. Elle ne nous échappera plus ! »162

GUILLAUME le Conquérant (vers 1027-1087), débarquant en Angleterre, 29 septembre 1066. Histoire de Guillaume le Conquérant (biographie inachevée), Guillaume de Poitiers, historien contemporain

Trébuchant sur le rivage anglais entre Eastbourne et Hastings, tombé sur le sable, il veut ainsi conjurer le mauvais sort, comme il n’a cessé de le faire depuis la mort de son père, Robert le Magnifique.

Devenu duc de Normandie à 8 ans, Guillaume a dû se battre pour survivre et garder cet héritage très convoité. Contraint à la clandestinité, changeant de gîte chaque nuit, à 19 ans, il échappe à un complot - ce qui lui donne une réputation quasi-mythique de battant solitaire et courageux. Il agrandit son vaste duché normand, allié avec Henri Ier qui se retournera bientôt contre ce trop puissant vassal. Il a aussi des relations avec le roi Édouard d’Angleterre, qui vécut exilé en Normandie dans sa jeunesse et s’est ensuite appuyé sur des Normands pour contrer d’autres prétendants au trône. Sans enfant, il a pensé à Guillaume pour lui succéder. Bref, la tentation est trop proche et trop forte, quand Édouard meurt subitement et sans descendance.

Guillaume de Normandie aura besoin de beaucoup de chance et de courage, avant de devenir Guillaume le Conquérant à la victoire d’Hastings (14 octobre 1066) et de continuer l’aventure. La tapisserie de Bayeux conte la fabuleuse épopée : œuvre d’art et instrument de « com politique », elle contribue à la postérité de ce petit-fils de Wiking.

« Nous conquerrons par notre puissance notre héritage de France, et, de ce jour, nous vous défions et vous tenons pour ennemi et adversaire. »281

ÉDOUARD III d’Angleterre (1327-1377), Lettre à Philippe VI de Valois, 19 octobre 1337. Archers et arbalétriers au temps de la guerre de Cent Ans (2006), Joël Meyniel.

Cette « lettre de défi » vaut déclaration de guerre. Le roi d’Angleterre, petit-fils de Philippe le Bel par sa mère Isabelle de France, revendique son héritage. Philippe de Valois, certes élu par les barons français, est malgré tout le premier roi à n’être pas fils de roi, mais neveu du dernier Capétien et dédaigneusement appelé « le roi trouvé » par les Flamands révoltés. Entre la France et l’Angleterre, la « guerre larvée » précède la guerre ouverte : une guerre dynastique de cent ans ! En 1340, Édouard III se proclame « roi de France et d’Angleterre » et sa flotte bat la flotte française à l’Écluse.

Les Anglais débarquent dans le Cotentin. Multipliant les raids victorieux, ils remontent la Somme et arrivent presque aux portes de Paris, à Crécy. Belle revanche sur Guillaume le Conquérant !

URBAIN II

Il prêche éloquemment la première croisade contre les musulmans, MAIS cette guerre sainte en deux siècles et huit croisades relève d’un sanglant djihad.

« Ils deviendront des soldats, ceux qui, jusqu’à ce jour, furent des brigands ; ils combattront légitimement contre les barbares, ceux qui se battaient contre leurs frères et leurs cousins ; et ils mériteront la récompense éternelle, ceux qui se louaient comme mercenaires pour un peu d’argent. »167

URBAIN II (vers 1042-1099), Concile de Clermont, 1095. Les Croisades (1934), Frantz Funck-Brentano

Grand orateur, le pape commence à prêcher la première croisade. Il s’agit de la « délivrance des Lieux saints » (Jérusalem et le tombeau du Christ) occupés par les musulmans, par définition Infidèles. Le pape encourage cette entreprise militaire, promettant aux croisés le paradis (indulgence plénière).

Guibert de Nogent conte l’effervescence qui suivit : « Dès qu’on eut terminé le concile de Clermont, il s’éleva une grande rumeur dans toutes les provinces de France et aussitôt que la renommée portait à quelqu’un la nouvelle des ordres publiés par le pontife, il allait solliciter ses parents et ses voisins de s’engager dans la voie de Dieu. (Histoire des croisades)

« Si vous désirez savoir ce qu’on a fait des ennemis trouvés à Jérusalem, sachez que dans le portique de Salomon et dans le temple, les nôtres chevauchaient dans le sang immonde des Sarrasins et que leurs montures en avaient jusqu’aux genoux. »177

Lettre au pape Urbain II, après la prise de Jérusalem, 15 juillet 1099. Signée par GODEFROY de BOUILLON (1061-1100), RAYMOND de SAINT-GILLES (1042-1105), comte de Toulouse, et ADHÉMAR de MONTEIL (??-1098), légat du pape. Recueil des cours, volume LX (1937), Hague Academy of International Law

La population de Jérusalem fut massacrée par les croisés. Le « temple » (esplanade de l’ancien temple d’Hérode) et les rues de la ville ruisselèrent de sang, selon l’auteur de l’Histoire anonyme de la première croisade. Les chroniqueurs chrétiens donnent le chiffre de 80 000 morts musulmans, sûrement exagéré. Mais le bilan exact et total des huit croisades est impossible à faire.

« La folie des croisades est ce qui a le plus honoré la raison humaine. »170

Léon BLOY (1846-1917), La Femme pauvre (1897)

XIXe siècle. Catholique ardent, visionnaire et mystique, il encense les croisades que, de son côté, Nietzsche qualifie d’« entreprises de haute piraterie ». Toutes les guerres saintes de l’histoire se révèleront particulièrement fanatiques, jusqu’à nos jours où elles prennent souvent la forme d’attentats.

LOUIS IX, alias SAINT-LOUIS

Il incarne la justice et la légende vaut ici vérité historique, MAIS ce bon roi fut plus expéditif en croisade contre les Infidèles et les cathares (Albigeois).

« Maintes fois il lui arriva, en été, d’aller s’asseoir au bois de Vincennes, après avoir entendu la messe ; il s’adossait à un chêne et nous faisait asseoir auprès de lui ; et tous ceux qui avaient un différend venaient lui parler sans qu’aucun huissier, ni personne y mît obstacle. »151

Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis

Très pieux, Jean, sire de Joinville en Champagne, décide de partir avec les chevaliers chrétiens pour la septième croisade en Égypte - Louis IX y participe et l’attache à sa personne, comme confident et conseiller.

La partie anecdotique de sa chronique se révèle la plus riche et cette page reste l’une des plus célèbres. Témoin direct des faits rapportés, l’historien campe un roi vivant et vrai, humain et sublime à la fois. Il sera très utile, après la mort du roi, pour l’enquête qui va suivre à la demande du pape Boniface VIII et aboutira au procès en canonisation.

« Pour l’honneur de Dieu qui nous a donné le plus haut honneur sur terre, nous ferons que l’Église de Dieu, longtemps troublée, soit honorée et conduite à la foi […] que les excommuniés soient réconciliés conformément au droit canon, et que s’ils se montrent rétifs, ils soient au bout d’un an ramenés de force dans l’unité de l’Église. »208

LOUIS IX (1214-1270), Ordonnance promulguée par le diocèse de Nîmes, vers 1230. Le Moyen Âge : de Hugues Capet à Jeanne d’Arc, 987-1460 (1998), Georges Duby

Parole de roi et parole de « juste ». Il faut attendre 1244 et la chute de Montségur, citadelle où se sont réfugiés les Albigeois (cathares), pour en finir avec la résistance religieuse. Les 205 derniers résistants y seront brûlés. Cette croisade intérieure, qui n’apparaît pas moins fanatique que les expéditions en terre lointaine, laisse aujourd’hui encore un souvenir brûlant, dans cette région de France.

XXIe siècle. Saint-Louis est accusé d’islamophobie pour sa participation aux croisades, de racisme et d’antisémitisme en tant que roi très chrétien, l’antijudaïsme participant de sa foi et sa piété toute médiévale. L’anachronisme a beau jeu de multiplier les « fake-news » dans le but de déboulonner la statue – au sens littéral du mot, dans la ville américaine de Saint-Louis (Missouri) en juin 2020. En septembre, Jean-Luc Mélenchon s’en prend à une statue trônant dans l’hémicycle du Sénat du « prétendu Saint-Louis qui a inventé le port d’un signe distinctif pour les juifs et brûlé des Torah. Déboulonnons ! » Deux erreurs factuelles d’un candidat déjà en campagne pour les présidentielles de 2022 et d’ordinaire plus respectueux de l’Histoire qu’il se plaît à citer.

PHILIPPE LE BEL

Dernier grand Capétien du Moyen Âge, MAIS toujours à court d’argent, il se fit faux-monnayeur et calomniateur des Templiers.

« Fervent dans la foi, religieux dans sa vie, bâtissant des basiliques, pratiquant les œuvres de piété, beau de visage et charmant d’aspect, agréable à tous, même à ses ennemis quand ils sont en sa présence, Dieu fait aux malades des miracles évidents par ses mains. »231

Guillaume de NOGARET (vers 1260-1313), à propos de Philippe IV le Bel. Mémoire à propos de l’affaire du pape Boniface, archives de Guillaume de Nogaret

Chancelier de 1302 à 1313, Nogaret trace ce portrait (flatteur) de son maître. Le personnage demeure une énigme pour les historiens. Disons qu’il sut bien cacher son jeu.

En fait, ce roi législateur, s’inspirant des « bons usages du temps de Saint-Louis », a des principes qui ne résistent pas face aux réalités. C’est le lot de la plupart des hommes d’État, surtout s’ils restent longtemps au pouvoir – trente ans, pour Philippe le Bel. Dernier grand Capétien, certes impopulaire de son vivant, il fait faire des progrès décisifs à la royauté : diversification des organes de gouvernement (Parlement, Chambre des comptes, etc.), grandes ordonnances de « réformation » du royaume, raffermissement de l’État contre la féodalité, lutte contre la justice ecclésiastique et indispensable centralisation. La France est pour des siècles le pays le plus riche et le plus peuplé d’Europe.

MAIS l’histoire retiendra au passif de Philippe le Bel les manipulations monétaires et son procès fait aux Templiers.

« Le roi est un faux-monnayeur et ne pense qu’à accroître son royaume sans se soucier comment. »236

Bernard SAISSET (vers 1232-vers 1311), 12 juillet 1301. Philippe le Bel et le Saint-Siège de 1285 à 1304 (1936), Georges Alfred Laurent Digard

L’auteur de cette accusation est évêque de Pamiers et ami du pape Boniface VIII. Pourtant, ce n’est ni médisance ni légende ! Le faux-monnayage royal consiste, lors de la refonte de pièces de monnaie, à diminuer leur poids en métal précieux, tout en conservant leur valeur légale. Certaines années, entre 1295 et 1306, la moitié des recettes royales vient de ce bénéfice sur le monnayage - plus tard, on recourra à la « planche à billets », mesure également impopulaire. Avec l’argent ainsi acquis, le roi finance des guerres lui permettant d’agrandir son royaume – c’est son métier de roi.

« Cette engeance […] comparable aux bêtes privées de raison, que dis-je ? dépassant la brutalité des bêtes elles-mêmes […] commet les crimes les plus abominables […] Elle a abandonné son Créateur […] sacrifié aux démons. »251

PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), parlant des Templiers. Les Templiers (1963), Georges Bordonove

Évidente duplicité royale pour justifier une action injustifiable au plan de la pure équité. 13 octobre 1307 : les Templiers sont arrêtés dans l’enceinte du Temple à Paris et pareillement saisis dans leurs châteaux en province. Ils n’opposent aucune résistance : la Règle des moines soldats leur interdit de lever l’épée contre un chrétien. Une douzaine a pu fuir ; les autres, environ 2 000, seront livrés à l’Inquisition.  Dans une lettre datée de 1304, Philippe le Bel encensait pourtant ce qu’il allait finalement brûler : « Les œuvres de piété et de miséricorde, la libéralité magnifique qu’exerce dans le monde entier et en tout temps le saint ordre du Temple, divinement institué depuis de longues années, son courage […] nous déterminent justement à donner des marques d’une faveur spéciale à l’ordre et aux chevaliers pour lesquels nous avons une sincère prédilection. »

L’« affaire des Templiers » va durer sept ans, jusqu’à l’épilogue bien connu : l’exécution groupée des plus « suspects », parmi eux Jacques de Molay, le grand maître de l’Ordre, et Geoffroy de Charnay, le précepteur,  brûlés vifs dans l’îlot aux Juifs, le 19 mars 1314.

RENAISSANCE et NAISSANCE DE LA MONARCHIE ABSOLUE.

FRANÇOIS Ier

Il demeure l’emblème rayonnant de la Renaissance française, MAIS il est aussi à l’origine de l’aventure coloniale et de l’intolérance religieuse.

« Le roi de France est empereur en son royaume. »396

Antoine DUPRAT (1463-1535). Le Chancelier Antoine Duprat (1935), François Albert-Buisson

Parole d’un prélat et grand légiste de l’époque, avocat, premier président du Parlement de Paris (en 1507), précepteur du futur François Ier qui le fait chancelier en 1515. Cette formule résume l’œuvre de ce roi qui aura assez d’autorité (et de temps) pour remettre à leur place Parlements, Universités, haut clergé, féodaux, grande bourgeoisie financière, provinces et villes, bref, tout ce qui menace son pouvoir !

Baptisé par Brantôme « Père et vrai restaurateur des arts et des lettres », François Ier incarne aussi la Renaissance culturelle, avec ses trente-deux années de règne au cœur du beau XVIe siècle qui succède au long Moyen Âge. Les cours donnent l’exemple, pratiquant le mécénat, lançant les modes et cultivant le raffinement. « François Ier, découragé des guerres lointaines, veuf de son rêve d’Italie, se fait une Italie française » écrit Michelet. Le Roi Chevalier invite Léonard de Vinci et sa Joconde (achetée 4 000 florins d’or, soit 15 kg) et d’autres artistes prestigieux, Cellini, le Rosso, le Primatice. Favorable à l’esprit nouveau, il protège les savants et les écrivains, secondé par sa sœur Marguerite d’Angoulême (future reine au royaume de Navarre), l’une des femmes les plus cultivées du siècle.

« Articles véritables sur les horribles, grands et insupportables abus de la messe papale inventée contre la Sainte Cène. »468

Antoine MARCOURT (vers 1485-1561), titre des affiches apposées dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534. Le Temps des réformes : histoire religieuse et système de civilisation (1984), Pierre Chaunu

On peut lire ces mots sacrilèges aux carrefours de Paris et des principales villes de France, et jusque sur la porte de la chambre royale, à Amboise. L’auteur est pasteur français à Neuchâtel et pamphlétaire réformé : le texte qui suit fustige les pratiques de l’Église. En ce temps où le journal n’existe pas, l’affiche est le premier des mass media et pour l’immense majorité des Français, l’Église est sacrée. D’où l’indignation générale. Même les partisans de la Réforme s’insurgent contre les fous qui ont osé. C’est « l’affaire des Placards ».

François Ier, jusqu’à présent tolérant pour les réformateurs, confesse ouvertement sa foi catholique et laisse faire la répression : bûchers pour hérétiques, liste de 52 suspects, exil vers la Suisse, la Hollande (pays du Premier Refuge). Le schisme devient inévitable : les humanistes doivent choisir entre l’orthodoxie catholique et la nouvelle foi. Les guerres de Religion vont suivre : trente-huit années de luttes fratricides, jusqu’à l’édit de Nantes, signé le 13 avril 1598 par Henri IV.

HENRI IV

Il doit une bonne part de popularité à sa réputation de Vert Galant, MAIS obsédé sexuel, multipliant les bâtards, priapique et violeur,  il veut mobiliser à 56 ans une armée de 300 000 hommes pour une blonde de 15 ans.

« Vive Henri IV
Vive ce roi vaillant !
Ce diable à quatre
A le triple talent
De boire et de se battre
Et d’être un Vert Galant ! »605

Vive Henri IV, chanson anonyme. Chansons populaires du pays de France (1903), Jean-Baptiste Weckerlin

Ce premier couplet est contemporain du roi. Au fil des années, d’autres s’ajoutent, à mesure qu’Henri IV devient l’un des mythes de l’histoire de France. Au XVIIIe siècle, le culte du bon roi Henri atteint son apogée. La Partie de chasse d’Henri IV (1774), pièce de Charles Collé qui reprend la chanson, triomphe après les foudres de la censure – la comparaison se faisant fatalement au désavantage de Louis XV qui n’est plus le Bien-Aimé, en fin de règne.

Le caractère public des amours royales dépasse la médiatisation qu’en ferait la presse people. Pour applaudir ou médire, pour dire la vérité ou répandre la rumeur, chansons et pamphlets (souvent anonymes) sont les premiers médias populaires.

MAIS l’amour des femmes se révèle quand même le point faible du roi qui multiplie les maîtresses et les bâtards - en plus des six enfants légitimes faits à Marie de Médicis en dix ans de mariage et sans nul plaisir. « Priapique et violeur » (selon Henri de Romèges), la progéniture d’Henri IV est à l’image de sa vitalité amoureuse et il légitime souvent ses enfants nés hors mariage – premier roi de France qui ose cela. Quant aux favorites, on avance le nombre de 73 : sur un temps de vie et de règne plus court, il bat largement les deux autres Bourbons réputés grands amoureux, Louis XIV et Louis XV.

À la fin de sa vie, il met en danger la paix du royaume pour littéralement courir après sa dernière maîtresse, la belle et blonde Charlotte Marguerite de Montmorency : elle a 15 ans et lui 56. Elle se moque de ce barbon, mais il la harcèle, à la fureur du mari qu’il lui a choisi, son cousin Henri II de Bourbon-Condé, homosexuel, mais pourtant jaloux.

René DESCARTES

Il expose une philosophe révolutionnaire dans son Discours de la méthode, MAIS sa théorie de l’animal-machine est fausse et fatale à la condition animale.

« Je pense, donc je suis. »722

René DESCARTES (1596-1650), Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, plus la dioptrique, les météores et la géométrie, qui sont des essais de cette méthode (1637)

Philosophe, mathématicien et physicien, il s’est prudemment réfugié dans la proche, protestante et bourgeoise Hollande pour poursuivre son œuvre. La condamnation de Galilée, coupable d’avoir affirmé contre la Bible que la Terre tourne autour du Soleil, et non l’inverse, n’est pas si lointaine (1633).

« Je pense, donc je suis. » La formule lapidaire, restée célèbre, va déclencher, avec quelques autres, des polémiques qui finiront par la mise à l’Index des œuvres de Descartes. Il a d’autres audace : il faut vérifier par le raisonnement toutes les idées ou vérités reçues. C’est l’essentiel de sa méthode, en rupture avec tout ce qui est enseigné dans les universités. Le cartésianisme aura des vertus déstabilisantes et des conséquences scientifiques que l’auteur ne soupçonnait pas !

MAIS la théorie de l’animal-machine, déjà présente dans le Discours de la méthode, ne fait pas honneur à l’auteur !

« Les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m’en étonne pas, car cela même sert à prouver qu’elles agissent naturellement et par ressorts, ainsi qu’une horloge, laquelle montre bien mieux l’heure qu’il est, que notre jugement ne nous l’enseigne. »

Lettre au marquis de Newcastle, 23 novembre 1646

Il développe ici sa trop fameuse théorie de l’animal-machine, toujours aussi méthodique : « Et sans doute que, lorsque les hirondelles viennent au printemps, elles agissent en cela comme des horloges. Tout ce que font les mouches à miel est de même nature, et l’ordre que tiennent les grues en volant et celui qu’observent les singes en se battant, s’il est vrai qu’ils en observent quelqu’un, et enfin l’instinct d’ensevelir leurs morts, n’est pas plus étrange que celui des chiens et des chats, qui grattent la terre pour ensevelir leurs excréments, bien qu’ils ne les ensevelissent presque jamais: ce qui montre qu’ils ne le font que par instinct et sans y penser. »

RICHELIEU

Grand ministre totalement dévoué au service de l’État et du roi, MAIS très impopulaire, impitoyable à tous ses opposants et notoirement misogyne. 

« Qui a la force a souvent la raison, en matière d’État. »685

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642), Testament politique

« …Et celui qui est faible peut difficilement s’exempter d’avoir tort au jugement de la plus grande partie du monde. » Il écrit aussi : « Quand une fois j’ai pris ma résolution, je vais droit à mon but, je renverse tout, je fauche tout, et ensuite je couvre tout de ma robe rouge. »

Pour l’initiateur de la « raison d’État », le pouvoir monarchique vient de Dieu et la puissance du pays n’existe que par ce pouvoir. Il faut donc que le roi Louis XIII puisse se faire obéir à l’intérieur et craindre à l’extérieur. En vertu de quoi le « principal ministre » lutte pour la restauration de l’autorité royale contre les Grands et les protestants, et pour la prépondérance de la France en Europe face aux puissants Habsbourg d’Autriche et d’Espagne.

« En matière d’État, il faut tirer profit de toutes choses, et ce qui peut être utile ne doit jamais être méprisé. » Carl J. Burckhardt, dans son Richelieu (1966), parle très justement du « grand pragmatique guettant chaque occasion ». Point commun avec de Gaulle qui admirait Richelieu et rendit hommage à son action pour la France.

« Ces animaux sont étranges. On croit quelquefois qu’ils ne sont pas capables d’un grand mal, parce qu’ils ne le sont d’aucun bien. »717

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642). Richelieu tel qu’en lui-même (1997), Georges Bordonove

Le cardinal fait ici allusion aux trahisons d’Anne d’Autriche et de la duchesse de Chevreuse. Sa misogynie s’étend à tout le sexe prétendument faible, mais dans ces deux cas précis, il a raison ! La femme de Louis XIII, alliée à Marie de Médicis, chercha à obtenir du roi la disgrâce de son ministre, jusqu’à la fameuse journée des Dupes (10 novembre 1630). Elle est aussi accusée de correspondance secrète avec son frère, Philippe IV d’Espagne, en guerre « couverte » et bientôt « ouverte » avec la France, dans le cadre de la guerre de Trente Ans. Quant à Marie de Rohan-Montbazon, ancienne épouse de Luynes (le premier favori de Louis XIII), puis du duc de Chevreuse, sa vie est un roman où les intrigues politiques se mêlent sans fin aux aventures galantes.

« Qu’on parle mal ou bien du fameux cardinal
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien :
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal,
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien. »737

Pierre CORNEILLE (1606-1684), Poésies diverses (posthume)

L’auteur le plus célèbre de son temps compose ce quatrain à la mort de Richelieu. Il se rappelle la protection dont il a bénéficié. Il était totalement inconnu quand le cardinal mécène fit ouvrir un second théâtre à Paris pour jouer ses premières pièces : le Marais, rival de l’Hôtel de Bourgogne. Mais le grand Corneille ne peut oublier la méchante cabale montée contre lui par le cardinal (et son Académie française), d’où la querelle du Cid qui s’ensuivit, en 1637.

MAZARIN

Ccomparable à Richelieu, ministre au service de l’État et du roi qu’il initie à son métier, MAIS détesté du peuple comme des Grands et battant le record de l’enrichissement personnel sous l’Ancien Régime.

« Qu’ils chantent, pourvu qu’ils paient. »759

MAZARIN (1602-1661). Dictionnaire de français Larousse, au mot « payer »

Un impôt de plus, des relations supposées avec la reine régente Anne d’Autriche, une impopularité grandissante, tout est occasion de mazarinade (pamphlet), mais Mazarin se moque de ces chansons et de ceux qui les chantent. Il bravera toutes les formes d’opposition, notamment sous la Fronde, gardant et renforçant son pouvoir et celui de l’État, jusqu’à sa mort.

« Grand Cardinal, que la fortune
Qui t’élève en un si haut rang,
Ne te fasse oublier ton sang,
Et que tu es de la commune. »758

Avertissement des enfarinés. La Vieille Fronde, 1648 (1832), Henri Martin

Le peuple déteste cet Italien de petite extraction qui, au terme d’une irrésistible ascension, possède un si grand pouvoir, en quelque sorte volé à la régente, puis au jeune roi devenu majeur. Il accumule par ailleurs une immense fortune.

« Sire, je vous dois tout, mais je m’acquitte envers Votre Majesté en lui donnant Colbert. »805

MAZARIN (1602-1661) à Louis XIV, le 9 mars 1661. C’est son « mot de la fin » politique. Le Plutarque français, vie des hommes et femmes illustres de la France (1837), Édouard Mennechet

Premier ministre d’Anne d’Autriche, gardé par Louis XIV à sa majorité, se donnant tout entier à son métier de « principal ministre », il eut la totalité du pouvoir. Il a parallèlement collectionné les charges et acquis une fortune inestimable :  tableaux de maître (signés Vinci, Titien, Raphaël, Caravage), sculptures, bijoux et médailles disséminés dans un grand nombre de palais, livres rares de la Mazarine, première bibliothèque ouverte au public dès 1643, bâtie dans l’aile gauche du palais de l’Institut, édifié à ses frais. C’est sans doute la plus grande fortune privée de tout l’Ancien Régime. Italien né Mazarini, il fut aussi un grand mécène qui, aux portes de la mort, pense aux chefs-d’œuvre qu’il ne verra plus : « Il faut quitter tout cela », dit-il. L’essentiel est légué au roi qui refuse élégamment, de sorte que Mazarin peut encore en disposer.

Enfin, il recommande au roi le financier Jean-Baptiste Colbert qui gérait avec succès sa fortune, depuis dix ans. Louis XIV le gardera à son service durant plus de vingt ans. Il fera de même avec la plupart des collaborateurs tout dévoués dont l’habile Mazarin sut s’entourer.

SIÈCLE DE LOUIS XIV

LOUIS XIV

Il incarne la monarchie absolue sous l’Ancien Régime, MAIS son « va-t-en-guerrisme » devint funeste à la France et la révocation de l’édit de Nantes fut la faute politique du règne.

« Ultima ratio regum. »
« Dernier argument des rois. »817

LOUIS XIV (1638-1715), devise gravée sur ses canons

Concise et précise, la devise vaut citation historique. Celle-ci donne une clé de la politique extérieure du règne et du personnage. La guerre est l’une des passions du roi, la victoire étant ce qui peut le mieux servir sa gloire. D’où les trente-trois années de guerre sur un règne personnel de cinquante-quatre ans. Ses contemporains sont d’ailleurs du même avis : un roi guerrier fait son métier de roi.

Louis XIV poursuit trois buts qu’on nommerait aujourd’hui géopolitiques : prééminence de la France dans le monde, frontière stratégique assurée au nord-est, visées sur la prochaine succession d’Espagne. Il se donne les moyens de sa politique : grands diplomates (Lionne, Pomponne, de Torcy, le neveu de Colbert), réorganisation militaire conduite par Louvois, effectifs considérables pour une armée de métier (72 000 hommes en 1667 et 400 000 en 1703), marine de guerre (La Royale a 18 vaisseaux en 1661, 276 en 1683), places fortes créées ou renforcées par l’ingénieur Vauban.

« Mon enfant, vous allez être un grand roi. Ne m’imitez pas dans le goût que j’ai eu pour les bâtiments ni dans celui que j’ai eu pour la guerre. Tâchez de soulager vos peuples, ce que je suis malheureux pour n’avoir pu faire. »943

LOUIS XIV (1638-1715), au futur Louis XV, 26 août 1715. Mémoires (posthume), Saint-Simon

Le roi mourant, mais toujours conscient dans sa longue agonie, reçoit le petit Dauphin dans sa chambre. Il donne ici une ultime leçon au futur Louis XV. Le marquis de Dangeau nous a laissé un Journal de la cour de Louis XIV qui retrace ses derniers jours. Roi Très Chrétien, Louis XIV fait preuve d’autant de dignité que d’humilité. La guerre, entreprise et soutenue par souci de grandeur mais aussi par vanité, cause de la ruine des peuples, semble être son grand remords. Mais pas un mot sur sa plus grave faute politique, la révocation de l’édit de Nantes dénoncée par Voltaire au siècle suivant.

« Les troupes furent envoyées dans toutes les villes où il y avait le plus de protestants ; et comme les dragons, assez mal disciplinés dans ce temps-là, furent ceux qui commirent le plus d’excès, on appela cette exécution la « dragonnade ». »898

VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)

Ces exactions durèrent cinq ans. Dès 1680, l’intendant Marillac mena en Poitou une première opération restée tristement célèbre : on fit loger des dragons chez les protestants, en leur permettant toutes sortes de sévices. Les « missionnaires bottés » obtinrent 30 000 conversions en quelques mois. Fort de ce bilan, Louvois fit étendre la mesure à toute la France. On présenta ainsi au roi de longues, d’extraordinaires listes de convertis. Ignorait-il les violences qui se cachaient derrière ? Crut-il alors que la révocation de l’édit de Nantes en 1685 ne serait plus qu’une simple formalité ?

L’influence personnelle de Mme de Maintenon joue naturellement : « Dieu se sert de tous les moyens. » Ainsi et au nom de la foi, elle se résigne à la brutalité des dragonnades, avec les enfants systématiquement enlevés à leurs parents. « La plaie de la révocation de l’édit de Nantes saigne encore en France » écrit Voltaire, Lettre du 30 septembre 1767.

Jean-Baptiste COLBERT

Le plus grand ministre du siècle de Louis XIV, MAIS son Code noir définit le statut des esclaves aux Antilles, puis dans le reste des colonies.

« Il n’y a rien de plus nécessaire dans un État que le commerce […] Le commerce est une guerre d’argent. »835

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), Mémoire sur le commerce (1664)

Infatigable homme-orchestre du gouvernement, ce grand commis de l’État accomplit une tâche surhumaine, cumulant peu à peu les postes d’intendant des Finances, contrôleur général, surintendant des Bâtiments, Arts et Manufactures, secrétaire à la Maison du roi et à la Marine.

Il dresse un vaste programme qui résume la politique industrielle, commerciale, fiscale, maritime de la France : « Il faut rétablir ou créer toutes les industries, même de luxe ; établir le système protecteur dans les douanes ; organiser les producteurs et les commerçants en corporations ; alléger les entraves fiscales nuisibles à la population ; restituer à la France le transport maritime de ses produits ; développer les colonies et les attacher commercialement à la France […] ; développer la marine militaire pour protéger la marine marchande. » Dans une France restée agricole à 90 %, Colbert fait porter ses efforts sur l’industrie et le commerce. Ce mercantilisme (doctrine exaltant la mentalité et l’activité marchandes) qui prit le nom de « colbertisme » poursuit un but moins économique que politique : plus que le bien-être des Français, Colbert veut la puissance de l’État. Louis XIV lui doit, autant que la France, une part de cette grandeur dont il est si fier.

MAIS sa politique coloniale intègre le Code noir dont il est le premier auteur. En vertu de quoi sa statue devant l’Assemblée nationale fut barbouillée de rouge en juin 2020, une inscription sur le socle stigmatisant la « Négrophobie d’État ». Ce déboulonnage en puissance a un mérite : dénoncer l’esclavage indigne de nos civilisations, à l’inverse du colonialisme pratiqué par toutes les grandes puissances en leur temps.

« L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule ; s’il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule ; et, la troisième fois, il sera puni de mort. »

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), Code noir, article 38. (promulgué en 1685)

De nombreux articles du premier Code noir ont légitimé les châtiments corporels à l’égard des esclaves et leur l’extrême violence autorisée par le texte. Il sera abrogé en 1848, lors de l’abolition de l’esclavage par la France, entériné par le décret Schœlcher du 27 avril.

MOLIÈRE

Il fut et demeure notre auteur de théâtre le plus populaire, MAIS que d’accusations contre lui, plagiat, mariage incestueux, cabale !

« Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin. »822

MOLIERE (1622-1673), La Critique de l’École des femmes (1663)

Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, auteur, acteur, metteur en scène, chef de troupe, ne peut vivre et s’exprimer à peu près librement qu’avec la protection du roi : contre les dévots, les bourgeois, les parvenus, les pédants. Il reste à ce jour l’auteur dramatique français le plus aimé, le plus joué au monde. Racine, si différent de lui, a la même éthique professionnelle : « La principale règle est de plaire et de toucher. Toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première » (Préface de Bérénice). Comédie oblige, Molière ajoute : « C’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens. »

MAIS que d’accusations pour démolir sa réputation !

1. La « cabale des dévots » joue et gagne contre son premier Tartuffe qui ne sera joué que dans sa troisième version et avec l’appui du roi, mais après cinq ans de censure et de galère. La première version en trois actes de la pièce dont une ébauche fut approuvée par le roi, est jouée le 12 mai 1664. Influencé par l’archevêque de Paris, Louis XIV interdit les représentations publiques, sans suivre le curé Roullé qui demande un bûcher pour y brûler l’auteur ! Panulphe ou l’Imposteur, deuxième version édulcorée, est jouée mais Lamoignon, premier président du Parlement, interdit la pièce, l’archevêque de Paris excommunie les spectateurs, l’auteur et chef de troupe tombe malade – déjà tuberculeux ?

2. Très populaire, Molière est la cible de diverses rumeurs. On l’accuse de plagier les auteurs italiens et espagnols - mais en l’absence de droit d’auteur, on s’inspire librement de tel ou tel. La Fontaine réécrit en mieux les fables d’Ésope et le Don Juan de Tirso de Molina, repris par la commedia dell arte, va devenir un mythe sans fin repris, après Molière. Antoine Baudeau de Somaize (littérateur et polémiste) insiste et précise en 1660 : « Il est certain qu’il est singe en tout ce qu’il fait, et que non seulement il a copié les Précieuses de Monsieur l’abbé de Pure, jouées par les Italiens ; mais encore qu’il a imité par une singerie, dont il est seul capable, le Médecin volant et plusieurs autres pièces des mêmes Italiens, qu’il n’imite pas seulement en ce qu’ils ont joué sur leur théâtre ; mais encore en leurs postures… » De fait, tous les acteurs peuvent s’inspirer de leurs confrères : cette pratique a un nom respecté, la Tradition.

3. D’autres accusations portent sur la vie privée de la vedette naturellement enviée – tradition moins respectable. Cocu et dangereux libertin… mais les coulisses théâtrales n’ont jamais été des couvents modèles !
Plus grave, le crime d’inceste, suite au mariage avec sa propre fille Armande, fruit de sa liaison avec Madeleine Béjart, comédienne de sa troupe depuis les origines. L’accusation est publiquement portée par un célèbre confrère, Montfleury, vedette de l’Hôtel de Bourgogne, troupe rivale. Créateur du naturel en scène, Molière s’est moqué de son jeu emphatique (parodié dans l’Impromptu de Versailles). En fait, la naissance de la future Mlle Molière reste un mystère d’état-civil et le dossier à charge est vide. N’empêche qu’on en parle encore.

4. Au XXe siècle, on accusera Molière de ne pas avoir écrit les pièces qu’il signe, au motif qu’il ne laisse aucun manuscrit – mais à l’époque, après publication, on n’avait pas le culte du brouillon. Cette théorie est lancée en 1919 par le romancier français Pierre Louÿs, visant d’abord Amphitryon, puis relancée par diverses polémiques et reprise plus ou moins sérieusement au cours des années 2000 par des études linguistiques. Des universitaires s’en mêlent et quelques hommes de théâtre connus, dont Jean-Laurent Cochet. Le vieux Corneille (qui collabora pour Psyché avec Molière débordé de travail) serait l’auteur de ses comédies. Aux dernières nouvelles, cette théorie ne tient plus, deux chercheurs du CNRS ayant statistiquement démontré que tous les auteurs usaient plus ou moins des mêmes mots et expressions.
Étrangement, l’auteur dramatique le plus célèbre au monde, Shakespeare, sera accusé de même ! En octobre 2016, 23 universitaires anglais vont prouver que son grand rival, Christopher Marlowe, a coécrit 17 de ses œuvres sur 44.

Jean RACINE

Génie incontesté de la tragédie classique, MAIS victime comme Molière d’une méchante cabale contre Phèdre et sérieusement impliqué dans l’affaire des Poisons, suite à la mort de sa comédienne préférée, la Du Parc.

« Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. »821

Nicolas BOILEAU (1636-1711), L’Art poétique (1674)

Grand codificateur des lettres, surnommé le Législateur du Parnasse, il donne, avec la « règle des trois unités », la définition de la tragédie classique, genre né et mort au XVIIe siècle, porté à la perfection par le jeune Racine supplantant le vieux Corneille.

MAIS au siècle des cabales et du théâtre roi, Racine est victime d’une vraie cabale contre Phèdre, début janvier 1677. Pradon fait jouer en même temps sa Phèdre et Hippolyte. La duchesse de Bouillon loua pour les six premières représentations (décisives) les loges des deux théâtres et laissa vides celles de l’hôtel de Bourgogne, pour faire croire à la chute de la Phèdre racinienne, cependant que toute la cabale remplissait la salle Guénégaud de ses applaudissements.

Le public ne fut pas dupe très longtemps et la postérité jugea sans équivoque, mais Racine, maître incontesté de la scène tragique depuis dix ans, profondément blessé, se retire. Il a une autre raison : le métier d’historiographe du roi est mieux payé, moins fatigant - ce genre d’argument n’aurait pas détourné Molière de sa passion d’écrire et de jouer jusqu’à la limite de ses forces.

Une tout autre affaire risque d’entacher la réputation de Racine, mais il n’est pas le seul dans cette histoire ! Il y a même beaucoup de « beau monde », au point que le fait divers va devenir affaire d’État.

« La duchesse de Bouillon alla demander à la Voisin un peu de poison pour faire mourir un vieux mari qu’elle avait qui la faisait mourir d’ennui. »884

Marquise de SÉVIGNÉ (1626-1696), Lettre, 31 janvier 1680 (posthume)

La géniale épistolière nous met dans la confidence, avec la gourmandise d’une bonne commère. Tout commence quatre ans plus tôt : la marquise de Brinvilliers est accusée d’avoir empoisonné père, frère et autres « gêneurs » de la famille pour hériter. Elle reconnaît ses crimes, mais déclare qu’« il y avait beaucoup de personnes engagées dans ce misérable commerce de poison, et des personnes de condition », sans donner de nom. Elle est jugée, condamnée, décapitée puis brûlée le 17 juillet 1676.

Suite aux aveux de la marquise, La Reynie, lieutenant général de la police, est chargé d’enquêter en 1677. On découvre dans le milieu des diseuses de bonne aventure, devins et autres sorciers, un véritable réseau de fabricants et marchands de drogues. Les plus efficaces (arsenic en tête) sont plaisamment nommées « poudres de succession ». Panique dans la population : on voit l’œuvre des empoisonneuses dans le moindre décès prématuré. On apprend parallèlement la pratique des avortements et des messes noires. Cela concerne tous les milieux, et Paris comme la province.

Le scandale grandit, le nombre des inculpés aussi. En 1679, le roi institue une cour extraordinaire de justice pour juger de ces crimes : Chambre ardente qui siège dans une pièce tendue de draps noirs, éclairée par des flambeaux, surnommée « cour des poisons ». L’intrigant Louvois ne serait pas fâché d’éliminer ainsi certains de ses ennemis. Mais le scandale éclabousse la cour : la duchesse de Bouillon dont parle Mme de Sévigné – la plus jeune des nièces de Mazarin. Et aussi la comtesse de Soissons (autre « mazarinette »), la comtesse de Gramont, la vicomtesse de Polignac, le duc de Vendôme, le maréchal de Luxembourg (jadis alchimiste amateur)… et Racine, soupçonné d’avoir empoisonné par jalousie sa maîtresse, la comédienne Du Parc. Cela va jusqu’à la favorite en titre de Louis XIV. Il suspend les interrogatoires, fait brûler les dossiers. La Chambre ardente aura siégé trois ans. Au final, 36 condamnations à mort prononcées et appliquées.

Lire la suite : le Musée français des statues en péril, Siècle des Lumières et Révolution

Vous avez aimé ces citations commentées ?

Vous allez adorer notre Histoire en citations, de la Gaule à nos jours, en numérique ou en papier.

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

Partager cet article

L'Histoire en citations - Gaule et Moyen Âge

L'Histoire en citations - Renaissance et guerres de Religion, Naissance de la monarchie absolue

L'Histoire en citations - Siècle de Louis XIV

L'Histoire en citations - Siècle des Lumières

L'Histoire en citations - Révolution

L'Histoire en citations - Directoire, Consulat et Empire

L'Histoire en citations - Restauration, Monarchie de Juillet, Deuxième République

L'Histoire en citations - Second Empire et Troisième République

L'Histoire en citations - Seconde Guerre mondiale et Quatrième République

L'Histoire en citations - Cinquième République

L'Histoire en citations - Dictionnaire