Histoires de famille (de Napoléon au Second Empire) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

« Famille, je vous hais » ou je vous aime…

Pour le meilleur et plus souvent le pire, les histoires de famille (entre pères et mères, enfants et fratrie) sont fatalement historiques dans une France sous régime monarchique ou impérial, jusque dans les années 1870.
Les mariages soumis à la raison d’État font rarement le bonheur et l’enjeu de la succession est constant, car vital pour le pays.
Le sort des enfants se joue dans ce huis-clos paradoxalement public, les parents tenant naturellement leur rôle, avec les frères plus ou moins rivaux et comploteurs, les bâtards au sort ingrat, les mères régentes devenues chef de famille en situation souvent dramatique.

Depuis Clovis (premier roi de France) et sa femme Clotilde, en marge des batailles et des institutions, la chronique nous offre une série de sagas familiales où les plus grands noms se retrouvent : Catherine de Médicis et ses fils - Henri IV deux fois mal marié mais bon père - Louis XIV à la vie privée encore plus compliquée - Louis XVI avec Marie-Antoinette et le dauphin (Louis XVII) - Napoléon, son clan familial, ses deux épouses, son Aiglon et le destin fatal - Louis XVIII gêné par son frère le futur Charles X - Napoléon III gêné par toute sa famille… et son illustre ancêtre !
Restent les métaphores familiales aux raisons nationales, religieuses ou politiques : le roi baptisé le « Père du peule », la France « fille aînée de l’Église », « mon cousin » et parfois « mon frère » désignant les souverains étrangers (amis ou ennemis), cependant que les « enfants de la patrie » sont toujours appelés à se battre au son de la Marseillaise, depuis la Révolution.

Il y a encore des histoires de famille dans l’histoire contemporaine. Sans plus d’enjeu national, elles deviennent anecdotiques, divertissantes et « people », rarement dramatiques, la « première dame » (épouse du président) ne tenant qu’un second rôle. Rien à voir avec la famille royale d’Angleterre ni le « clan Kennedy » aux USA qui passionnent encore les Français, preuve que nous adorons toujours les Histoires de famille.
Nous allons leur consacrer quatre semaines.

3. De Napoléon (Consulat et Empire) au Second Empire

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Consulat et Empire (1799-1814)

« Chez un grand peuple dont les institutions sont fixes, l’éducation nationale doit être en harmonie avec les institutions. »1700

Lucien BONAPARTE (1775-1840), Rapport du 22 mars 1800. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Le frère de Napoléon Bonaparte (Premier consul ayant en fait tous les pouvoirs) est promu ministre de l’Intérieur. Il critique « l’instruction à peu près nulle en France ». Un projet de réforme va être étudié par Chaptal et Fourcroy. L’Empereur confirmera en 1806 : « Il n’y aura pas d’État politique fixe s’il n’y a pas un corps enseignant avec des principes fixes. Tant qu’on n’apprendra pas, dès l’enfance, s’il faut être républicain ou monarchique, catholique ou irréligieux, l’État ne formera point une nation. »

« Je suis prince sanguin, mon cousin, / On en a preuve sûre,
Prince du sang d’Enghien, mon cousin ; / Oh ! la bonne aventure […]
On n’est pas à la fin, mon cousin, / De sang, je vous l’assure,
J’en prétends prendre un bain, mon cousin. »1748

Je suis prince sanguin, chanson. L’Écho des salons de Paris depuis la restauration : ou, recueil d’anecdotes sur l’ex-empereur Buonaparte, sa cour et ses agents (1815), Jacques Thomas Verneur

La métaphore familiale se fait ici caricaturale et cruelle. Postérieure à l’exécution du duc d’Enghien, cette chanson résonne lugubrement, jouant sur le sang dont le criminel se vante d’être doublement imprégné. Allusion y est faite à une lettre adressée par Napoléon aux évêques de France qu’il appelle individuellement « mon cousin » comme il était de tradition pour le roi, et où il leur demande de faire chanter un Te Deum pour son sacre.

« La femme doit obéissance à son mari. »1749

« La femme doit obéissance à son mari. »

Le Code, 2 281 articles réunis en 36 lois, vaut naturellement aux yeux de la postérité pour d’autres raisons.

La condition féminine pâtit de la nouvelle législation, reflet de la position sociale des femmes et d’une évidente misogynie impériale. Trois ans plus tard, le discours de Napoléon est clair : « Nous autres peuples d’Occident, nous avons tout gâté en traitant les femmes trop bien… Elles ne doivent pas être regardées comme les égales des hommes, et ne sont, en réalité, que des machines à faire des enfants… Il vaut mieux qu’elles travaillent de l’aiguille que de la langue. »

« Les femmes sont l’âme de toutes les intrigues, on devrait les reléguer dans leur ménage, les salons du gouvernement devraient leur être fermés. »1779

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Lettre de celui qui n’est encore que jeune général à son frère Joseph, 8 septembre 1795. Dictionnaire des citations françaises, Le Robert

On croirait entendre le cardinal de Richelieu. Sa misogynie bien connue a des conséquences juridiques. La femme vit sous la tutelle du mari qui peut l’envoyer en prison si elle commet un adultère. Un homme dans la même situation sera puni d’une simple amende. Même inégalité de traitement en matière de divorce : pour l’obtenir, la femme doit établir que son époux a établi sa concubine au foyer commun. Par ailleurs, l’instruction est réservée aux hommes dans les lycées et à l’Université.

Il motive cette misogynie avec des attendus laborieux : « La femme est notre propriété, nous ne sommes pas la sienne ; car elle nous donne des enfants, et l’homme ne lui en donne pas. Elle est donc sa propriété comme l’arbre à fruit est celle du jardinier. » Ou des considérations domestiques : « Les hommes sont faits pour le grand jour. Les femmes sont faites pour l’intimité de la famille et pour vivre dans leur intérieur. »

Bien que misogyne, Napoléon aura beaucoup de maîtresses, mais ce n’est pas un bon amant – trop pressé, il n’ôte même pas ses bottes. Il a beaucoup aimé sa première femme – Joséphine, qui l’a beaucoup trompé. Et très peu la seconde, Marie-Louise qui lui a quand même fait un fils, l’Aiglon.

« Joseph, si notre père nous voyait ! »1798

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à son frère le jour du sacre, 2 décembre 1804. Encyclopédie Larousse, article « La jeunesse de Napoléon Bonaparte »

Très pâle, l’empereur se tourne vers son frère aîné, présent à ses côtés, pour murmurer ces mots. En bon corse, il a le sens de la famille et même du clan. Il le prouvera en plaçant ses frères et sœurs (par l’intermédiaire des maris).

Leur père, Carlo Maria Buonaparte qui a francisé son nom en Charles-Marie Bonaparte, a tout fait pour que ses quatre fils puissent suivre de bonnes études (si possible dans l’armée), aux frais du roi, étant peu fortuné et dépensier. Il est mort en 1785, d’un cancer à l’estomac – comme son fils, quelques années plus tard.

Leur mère est bien vivante, mais absente : elle l’a décidé, au grand dam de son empereur de fils. Elle ne veut pas jouer son rôle dans cette cérémonie et surtout pas lui baiser la main, comme le veut l’étiquette. On dit aussi qu’elle est fâchée de la brouille entre Napoléon et son frère Lucien. Elle sera quand même sur le tableau de David, Le Sacre, qui immortalise l’événement, lui-même étant sacré premier peintre de l’empereur en 1805. Toute la famille Bonaparte est réunie. Napoléon sera comblé par cette œuvre, propre à servir sa légende et à confirmer sa dynastie.

« Monsieur mon Frère, appelé au trône de France par la Providence et par les suffrages du Sénat, du peuple et de l’armée, mon premier sentiment est un vœu de paix […] Le monde est assez grand pour que nos deux nations puissent y vivre. »1801

NAPOLÉON Ier (1769-1821), au roi Georges III d’Angleterre, Lettre du 2 janvier 1805. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Le 1er janvier, « Monsieur mon Frère » était l’empereur d’Autriche et le désir de paix avec son peuple pareillement exprimé par lettre, avec des arguments relevant de la raison et de l’humanité. Cependant, la troisième coalition s’organise activement, et secrètement : l’Angleterre sera bientôt alliée à la Russie et à l’Autriche, contre la France.

Rappelons qu’en 1803, le Premier Consul considérait la Manche comme un fossé possible à franchir et envisageait les « circonstances un peu favorisantes » pour se rendre maître de Londres, du Parlement, de la Banque. En 1804, voulant neutraliser l’Angleterre pour avoir la paix, il préparait l’invasion avec le vice-amiral Latouche-Tréville, mort (d’épuisement) avant d’avoir pu tenter la chose… Et le blocus est un projet longuement mûri, avant la réalisation en 1806.

« Il n’y aura pas d’État politique fixe s’il n’y a pas un corps enseignant avec des principes fixes. Tant qu’on n’apprendra pas, dès l’enfance, s’il faut être républicain ou monarchique, catholique ou irréligieux, l’État ne formera point une nation. »1813

NAPOLÉON Ier (1769-1821), 10 mai 1806. Revue politique et littéraire : revue bleue, volume II (1889)

En vertu de quoi « il sera formé sous le nom d’Université impériale un corps chargé exclusivement de l’enseignement et de l’éducation publics dans tout l’Empire. » L’Université de France sera créée en 1807 et organisée par décret du 25 novembre 1811, sous l’autorité du grand maître Louis de Fontanes.

« À tout peuple conquis, il faut une révolte, et je regarderai une révolte à Naples comme un père de famille voit une petite vérole à ses enfants, pourvu qu’elle n’affaiblisse pas trop le malade. »1816

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre à Joseph, roi de Naples, 17 août 1806. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Napoléon use d’une métaphore singulière, pour être mieux compris de son frère aîné. Joseph ne restera que deux ans sur ce trône. Remplacé par Murat, il se retrouvera en Espagne où la population madrilène se révoltera bien davantage.

« Nous autres peuples d’Occident, nous avons tout gâté en traitant les femmes trop bien […] Elles ne doivent pas être regardées comme les égales des hommes, et ne sont, en réalité, que des machines à faire des enfants […] Il vaut mieux qu’elles travaillent de l’aiguille que de la langue. »1823

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby

La création de la maison d’éducation des jeunes filles de la Légion d’honneur d’Écouen, le 15 mai 1807, est une occasion parmi d’autres de manifester sa misogynie, en réaction contre un XVIIIe siècle relativement émancipateur et une idéologie révolutionnaire démocratique. Bref, selon une note de l’empereur : « Élevez-nous des croyantes et non pas des raisonneuses. » Et des futures mères de famille nombreuse !

« Il n’est aucun sacrifice qui ne soit au-dessus de mon courage, lorsqu’il m’est démontré qu’il est utile au bien de la France. »1842

NAPOLÉON Ier (1769-1821) annonçant son divorce au château des Tuileries, devant toute la famille impériale, 15 décembre 1809. Histoire du Consulat et de l’Empire (1847), Adolphe Thiers

Cette décision soudaine lui coûte infiniment, car il est fort épris de Joséphine, veuve Beauharnais. Mais raison d’État oblige : l’empereur, à 40 ans, veut un héritier qu’elle n’a pu lui donner. Les larmes aux yeux, tenant la main de sa femme en pleurs, il lit son discours. « Dieu sait combien une pareille résolution a coûté à mon cœur […] Ma bien-aimée épouse a embelli quinze ans de ma vie ; le souvenir en restera toujours gravé dans mon cœur […] Qu’elle ne doute jamais de mes sentiments, et qu’elle me tienne toujours pour son meilleur et son plus cher ami. »

La sincérité de l’homme ne peut être discutée. La vie du couple fut cependant orageuse : la très jolie Créole a beaucoup trompé le jeune et bouillant Bonaparte, l’empereur collectionna ensuite les maîtresses. La naissance de son premier enfant naturel vient de lui prouver que la stérilité ne vient pas de lui : le « comte Léon », fils de Marie Waleska, l’ « épouse polonaise » de Napoléon, une belle et triste love-story.

« Ne conservant aucun espoir d’avoir des enfants qui puissent satisfaire les besoins de sa politique et l’intérêt de la France, je me plais à lui donner la plus grande preuve d’attachement et de dévouement qui ait été donnée sur la terre. »1843

JOSÉPHINE (1763-1814), répondant à Napoléon, 15 décembre 1809. Histoire du Consulat et de l’Empire (1847), Adolphe Thiers

L’impératrice a écrit ces mots que l’émotion l’empêche de lire. Ils sont dits par le secrétaire d’État de la famille impériale, le comte Regnault de Saint-Jean d’Angély : « La dissolution de mon mariage ne changera rien aux sentiments de mon cœur : l’empereur aura toujours en moi sa meilleure amie. Je sais combien cet acte, commandé par la politique et par de si grands intérêts, a froissé son cœur, mais l’un et l’autre nous sommes glorieux du sacrifice que nous faisons au bien de la patrie. »

Répudiée pour stérilité, après deux enfants d’un premier mariage, elle a aujourd’hui 46 ans. Le lendemain, l’ex-impératrice quitte les Tuileries pour ne plus jamais y revenir. Largement dotée, elle se retire à la Malmaison et continue d’écrire à l’empereur qui fait annuler son mariage civil par sénatus-consulte dès le lendemain, 16 décembre. L’officialité de Paris fera de même pour le mariage religieux en janvier 1810.

« Je me donne des ancêtres. »1844

NAPOLÉON Ier (1769-1821), château de Compiègne, 27 mars 1810. Metternich (1965), Henry Vallotton

« Ivre d’impatience, ivre de félicité », il apprend la valse (viennoise) et attend sa future femme, Marie-Louise : archiduchesse d’Autriche, descendante de l’empereur Charles Quint et petite-nièce de Marie-Antoinette. Napoléon, de petite noblesse corse (d’origine génoise), évoque volontiers « ma malheureuse tante Marie-Antoinette » et « mon pauvre oncle Louis XVI ». Cette union flatte son orgueil.

L’homme toujours pressé s’est décidé en février, dans une hâte qui a fort embarrassé l’ambassadeur d’Autriche à Paris (Schwarzenberg, successeur de Metternich à ce poste) : même pas le temps de prévenir l’empereur d’Autriche avant que Napoléon annonce sa décision aux Français ! Mais personne ne peut rien refuser à Napoléon, même pas sa fille.

« L’Autriche fit au Minotaure le sacrifice d’une belle génisse. »1845

Prince de LIGNE (1735-1814). L’Europe et la Révolution française (1904), Albert Sorel

Il commente le mariage impérial en authentique et vieux prince autrichien, avec des références mythologiques familières au monde de son temps. Mais qui pense à l’humiliation du père de la mariée, François Ier d’Autriche, empereur romain germanique ? Le mariage de Marie-Louise et Napoléon aura lieu le 1er avril 1810.

« C’est un ventre que j’épouse. »1846

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Le Fils de l’empereur (1962), André Castelot

Napoléon confirme la référence à la « belle génisse » sacrifiée par l’Autriche et assume le rôle du Minotaure prédateur, sans y mettre les formes. Il manifeste tant de hâte qu’on parle d’un enlèvement plus que d’un mariage. La cérémonie religieuse a lieu le 2 avril 1810. Marie-Louise, 18 ans, vit une lune de miel de trois semaines parfaites à tous égards et sa seconde femme lui donnera un fils, le 20 mars 1811 : le roi de Rome.

« Mon mariage m’a perdu, l’Autriche était devenue ma famille, j’ai posé le pied sur un abîme recouvert de fleurs. »1847

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

En 1810, François Ier, empereur d’Autriche, lui a donné sa fille pour sceller la paix au lendemain de ses défaites. Trois ans après, conseillé par Metternich, il se joindra aux alliés de l’Europe contre son gendre : sixième et dernière coalition qui amènera la chute de l’Empire.

L’empereur déchu, méditant à Sainte-Hélène, confie à Montholon, compagnon de son dernier exil : « Un fils de Joséphine m’eût rendu heureux et eût assuré le règne de ma dynastie. Les Français l’auraient aimé bien autrement que le roi de Rome. » Il est même possible qu’Eugène de Beauharnais, le fils de Joséphine qu’il a adopté, ait fait l’affaire ! Dans la famille, c’est l’un des plus dévoués à l’empereur, excellent soldat jusque dans la débâcle en Russie, prince d’une extrême élégance qui se révélera bon mari et bon père. « Honneur et fidélité », pour une fois, l’épitaphe sur son tombeau est juste. Mais l’on ne réécrit pas l’histoire.

« Le vingt-deuxième coup fut pour nous un coup de massue, il nous semblait tuer la race des Bourbons. »1853

Baron François-Auguste Fauveau de FRÉNILLY (1768-1848). Marie-Louise : l’impératrice oubliée (1983), Geneviève Chastenet

C’est l’avis d’un ultra. Mais tout Paris explose de joie au vingt-deuxième coup qui annonce la naissance d’un fils : le roi de Rome voit donc le jour, ce 20 mars 1811.

« Bel enfant qui ne fait que naître, / Et pour qui nous formons des vœux,
En croissant, tu deviendras maître / Et régneras sur nos neveux.
Dame, dame, réfléchis bien, / Dame, dame, souviens-toi bien
Qu’alors il ne faudra pas faire / Tout comme a fait, tout comme a fait ton père. »1854

Chanson pour le roi de Rome (1811). Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Parmi toutes les chansons en l’honneur de l’illustre nouveau-né, celle-ci résonne comme un avertissement au père. Comme bien souvent, la chanson donne le pouls d’une opinion publique – c’est rare et précieux, sous l’Empire où la rigueur de la censure étouffe bien des pensées !

« Je l’envie. La gloire l’attend, alors que j’ai dû courir après elle […] Pour saisir le monde, il n’aura qu’à tendre les bras. »1855

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Duroc, 20 mars 1811. L’Aiglon, Napoléon II (1959), André Castelot

Le père est bouleversé devant le berceau de son fils, d’autant plus que cette naissance comble l’empereur. La dynastie semble installée à jamais. Il avoue son émotion à son grand maréchal du palais, l’un de ses plus anciens compagnons de route et de gloire, connu au siège de Toulon en 1793, surnommé l’« ombre de Napoléon » et tombé au champ d’honneur en mai 1813.

« Messieurs, vous voulez me traiter comme si j’étais Louis le Débonnaire. Ne confondez pas le fils avec le père […] Moi, je suis Charlemagne. »1856

NAPOLÉON Ier (1769-1821), aux Pères conciliaires, 17 juin 1811. Le Pape et l’empereur, 1804-1815 (1905), Henri Welschinger

L’empereur aime les références historiques et celle-ci s’impose soudain : scène décrite dans les Mémoires de Talleyrand, avec force détails et dialogues. La colère de l’empereur explose. Le concile qu’il voulait à sa botte s’est ouvert à Paris ce 17 juin. Et voilà que les Pères jurent, un par un, obéissance au pape, lequel refuse aux évêques son investiture pourtant prévue par le concordat signé avec Napoléon.

En dix ans, les relations se sont envenimées entre les deux personnages ! Le pape a refusé de respecter le blocus, l’empereur a annexé les États de l’Église, le pape l’a excommunié, l’empereur l’a mis en prison et Pie VII refuse tout « accommodement » aussi longtemps qu’il ne recouvrera pas sa liberté. Napoléon fait arrêter trois évêques et suspend le concile – qui reprendra début août.

« Ce diable de roi de Rome, on n’y pense jamais ! »1868

Nicolas FROCHOT (1761-1828), préfet de Paris. Mémoires de Madame de Chastenay (1896)

Le général Malet, opposant à Napoléon, arrêté en 1808, organise une conspiration. Interné avec des royalistes dans une maison de santé dont il s’évade dans la nuit du 22 au 23 octobre 1812, il fait courir le bruit de la mort de l’empereur devant Moscou. Paris y a cru un moment. Malet entraîne quelques troupes, libère des généraux républicains, improvise un gouvernement provisoire. C’est un quasi-coup d’État. Le général Hulin, commandant la place de Paris, lui résiste, Malet est arrêté, fusillé le 29 octobre. Et tout rentre dans l’ordre.

Mais personne, pas même le préfet Frochot, n’avait pensé à crier : « L’empereur est mort ! Vive l’empereur ! » On dit que cet oubli atteignit Napoléon plus que la conspiration du général Malet. Et Frochot sera mis à pied pour cette faute.

« L’ogre corse sous qui nous sommes,
Cherchant toujours nouveaux exploits,
Mange par an deux cent mille hommes
Et va partout chiant des rois. »1765

Pamphlet anonyme contre Napoléon. Encyclopædia Universalis, article « Premier Empire »

De nombreux pamphlets contribuent à diffuser la légende noire de l’Ogre de Corse, contre la légende dorée de la propagande impériale. Les rois imposés par l’empereur sont nombreux, pris dans sa famille ou parmi ses généraux (sa seconde famille) : rois de Naples, d’Espagne, de Suède, de Hollande, de Westphalie. Royautés parfois éphémères, souvent mal acceptées des populations libérées ou conquises. Les historiens estimeront à un million les morts de la Grande Armée, « cette légendaire machine de guerre » commandée par Napoléon en personne.

« J’ai vu vos troupes, il n’y a que des enfants. Vous avez fait périr une génération. Que ferez-vous quand ceux-ci auront disparu ? »1874

METTERNICH (1773-1859), à Napoléon qui le reçoit comme médiateur à Dresde, 26 juin 1813. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Napoléon cherche une impossible trêve. La Prusse pactise déjà avec la Russie et déclare la guerre à la France, le 17 mars 1813. L’Autriche propose sa médiation : c’est l’occasion pour Metternich, chancelier (chef du gouvernement) et ministre des Affaires étrangères, de jouer un rôle diplomatique de premier plan.

Napoléon fait le compte des soldats dont il peut disposer et tente de montrer sa force au cours de cette entrevue. En fait, il devra faire appel aux anciennes classes et recruter des « Marie-Louise », jeunes conscrits des classes 1814 et 1815, sans formation militaire. Metternich n’est pas dupe de la démonstration. Napoléon, furieux, lui reproche les ambiguïtés de sa politique. Ce qui va jeter l’Autriche dans le camp ennemi. De fait, son mariage autrichien n’aura servi à rien.

Restauration (et Cent-jours en 1815) : 1814-1830.

« Ma vie politique est terminée. Je proclame mon fils, sous le nom de Napoléon II, empereur des Français. »1951

NAPOLÉON Ier (1769-1821), 22 juin 1815. Dictionnaire des sciences politiques et sociales (1855), Auguste Ott

Après le come-back des Cent Jours et le désastre de Waterloo (18 juin 1815), l’empereur abdique une seconde fois, cette fois en faveur de son fils. Napoléon II est reconnu empereur le 23 juin par les Chambres des Cent-Jours. Non sans tumulte ! Et avec un argument juridique étonnant : dans le cas contraire, l’abdication serait nulle et Napoléon pourrait repartir en guerre avec 50 000 hommes… Les Alliés veulent surtout se débarrasser de lui, définitivement. Le vaincu se rend aux Anglais et c’est la déportation dans l’île de Sainte-Hélène, à 1 900 km, en plein océan Atlantique.

« J’espère qu’on le traitera avec bonté et douceur, et je vous prie, très cher papa, d’y contribuer. »1959

MARIE-LOUISE (1791-1847), Lettre à son père l’empereur d’Autriche, 15 août 1815. Revue historique, 28e année, (1903)

Metternich vient de l’informer par lettre, le 13 août : « Madame, Napoléon est en route pour Sainte-Hélène. » La femme de l’empereur déchu ajoute : « C’est la seule prière que je puisse oser pour lui et la dernière fois que je m’intéresse à son sort, car je lui dois de la reconnaissance pour la tranquille indifférence dans laquelle il m’a laissée vivre, au lieu de me rendre malheureuse. » Paroles de fille et d’épouse soumises.

« Je préférerais qu’on égorgeât mon fils ou qu’il fût noyé dans la Seine plutôt que de le voir jamais élevé à Vienne comme prince autrichien. »1960

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Les Errants de la gloire (1933), princesse Lucien Murat (comtesse Marie de Rohan-Chabot)

Il ignore encore, en cette fin d’année 1815, que l’Aiglon sera précisément élevé à Vienne par son grand-père maternel, comme un prince autrichien, sous le nom de duc de Reichstadt – c’est l’« assassinat moral » tant redouté par le père. L’enfant est d’ailleurs aimé dans sa famille autrichienne, mais malheureux et surtout malade du mal du siècle romantique (la phtisie). Comme son père, il va devenir un personnage de légende.

« L’Angleterre prit l’aigle et l’Autriche l’aiglon. »1961

Victor HUGO (1802-1885), Les Chants du crépuscule (1835)

Les destins tragiques inspirent les poètes, et entre tous, les grands romantiques du XIXe siècle.

Edmond Rostand, considéré comme le dernier de nos auteurs romantiques, est un peu le second père de l’Aiglon et fit beaucoup pour sa gloire, dans la pièce qui porte son nom. Le rôle-titre est créé en travesti par la star de la scène sous la Troisième République, Sarah Bernhardt (1900). À plus de 50 ans, elle triomphe en incarnant ce jeune prince mort à 21 ans.

« Quand j’étais tout-puissant, [les rois] briguèrent ma protection et l’honneur de mon alliance, ils léchèrent la poussière dessous mes pieds ; maintenant, dans mon vieil âge, ils m’oppriment et m’enlèvent ma femme et mon fils. »1962

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Mémorial de Sainte-Hélène (1823), Las Cases

« Il avait le monde sous ses pieds et il n’en a tiré qu’une prison pour lui, un exil pour sa famille, la perte de toutes ses conquêtes et d’une portion du vieux sol français » écrira de son côté Chateaubriand, dans ses Mémoires d’outre-tombe.

Mais Napoléon entre vivant dans l’histoire et la légende. Il s’en charge le premier, confiant ses souvenirs et ses pensées à Emmanuel de Las Cases, auteur du Mémorial – plusieurs fois réédité vu son succès, chaque édition étant revue et augmentée. La suite de l’Histoire semble fade, aux générations à venir. La politique fait heureusement moins de morts que la guerre.

« Rendez-nous notre père de Gand,
Rendez-nous notre père ! »1952

Notre père de Gand, chanson. Chansonnier royal ou passe-temps des bons Français (1815), Dentu éd

Voici revenue la métaphore du roi « père du peuple ». Cette chanson royaliste rappelle de ses vœux Louis XVIII. Chassé par le retour de Napoléon, il a voulu repartir pour l’Angleterre. Fin mars 1815, il fallut l’autorité d’un Talleyrand et du Congrès de Vienne pour le convaincre de s’arrêter à Gand, en Belgique. « Notre père de Gand » sera souvent surnommé « notre paire de gants » et tourné en dérision par les autres partis. L’humiliation des Cent-Jours pèse lourd, sur ce roi déjà malmené.

« Vous vous plaignez d’un roi sans jambes, vous verrez ce que c’est qu’un roi sans tête. »1908

LOUIS XVIII (1755-1824), qui ne connaît que trop bien son frère, le comte d’Artois. Encyclopédie des mots historiques, Historama (1970)

Rendu quasi infirme par la goutte à la fin de sa vie, le roi parle du futur Charles X. À 57 ans, son frère a l’allure d’un jeune homme et monte royalement à cheval. Malgré cette séduction naturelle, il se fera détester. Déjà impopulaire sous l’Ancien Régime, il se faisait remarquer par sa conduite légère et ses folles dépenses, à l’image de sa belle-sœur Marie-Antoinette. De retour en France après vingt-cinq ans d’exil, il va accumuler les erreurs politiques, sous cette Restauration malgré tout fragile.

Il passe son temps entre la chasse, sa passion, et la religion – il deviendra dévot, faisant le vœu de chasteté perpétuelle en 1804, à la mort d’une maîtresse, Louise d’Esparbès, le grand amour de sa vie. Feignant de se désintéresser des affaires du royaume, il est en réalité le chef (occulte) du parti royaliste (ultra). On retrouve la nuisance historique des frères de roi.

« Toujours je l’ai vu chef de parti, jamais l’héritier présomptif du royaume de France. »1909

Duc de RICHELIEU (1766-1822)., Le Duc de Richelieu (1898), Armand-Emmanuel du Plessis Richelieu (duc de)

Royaliste, émigré sous la Révolution, de retour en 1814, il est deux fois président du Conseil (chef du gouvernement). C’est la seconde fois (1820-1821) qu’il déplore l’opposition du comte d’Artois, empêchant le roi de régner et lui-même de gouverner.

« Aux époques ordinaires, roi convenable ; à une époque extraordinaire, homme de perdition. »1910

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

Déçu par la politique, l’auteur des Mémoires avouera : « J’ai vu de près les rois, et mes illusions politiques se sont évanouies. » Cela explique en partie sa vocation d’éternel opposant.

Chateaubriand juge Charles X, lors de son accession au trône à la mort de Louis XVIII : « Incapable de suivre jusqu’au bout une bonne ou une mauvaise résolution ; pétri avec les préjugés de son siècle et de son rang. » Mais à côté de cela : « doux, quoique sujet à la colère, bon et tendre avec ses familiers, aimable, léger, sans fiel, ayant tout du chevalier, la dévotion, la noblesse, l’élégante courtoisie, mais entremêlé de faiblesse… » Bref, pas né pour être roi, en 1824. On ne peut s’empêcher de penser à la situation de son frère aîné, Louis XVI, accédant au trône en 1774, si mal armé, si faible, dans une situation prérévolutionnaire.

« Hommes noirs, d’où sortez-vous ? / Nous sortons de dessous terre,
Moitié renards, moitié loups. / Notre règle est un mystère.
Nous sommes fils de Loyola, / Vous savez pourquoi l’on nous exila.
Nous rentrons ; songez à vous taire ! / Et que vos enfants suivent nos leçons.
C’est nous qui fessons, et qui refessons, / Les jolis petits, les jolis garçons. »1967

BÉRANGER (1780-1857), Les Révérends Pères, chanson. Histoire de la littérature française : de la révolution à la belle époque (1981), Paul Guth

Le plus célèbre chansonnier contemporain vise les jésuites, de retour avec la monarchie. Pie VII a rétabli leur ordre, le 7 août 1814. La Charte, en forme de compromis constitutionnel, reconnaît la liberté du culte, mais fait du catholicisme la religion d’État et les pères jésuites pensent avoir le quasi-monopole de l’éducation.

Les deux derniers vers aux accents plaisamment polissons dénoncent en fait la pédophilie pratiquée dans certains collèges catholiques. Ce crime contre les enfants sera très longtemps toléré dans beaucoup de milieux. Le XXIe siècle a enfin compris l’ampleur du mal.

« J’ai voulu tuer la race ! »1976

Louis Pierre LOUVEL (1783-1820), après l’assassinat du duc de Berry, 13 février 1820. Souvenirs inédits du petit-fils du duc de Berry (1971), Charles Faucigny-Lucinge (prince de)

Ouvrier cordonnier, républicain tenant les Bourbons pour responsables de l’invasion de la France et du traité de Paris de 1815 (qui solde les Cent-Jours), il vient de poignarder, à l’entrée de l’Opéra (rue de la Loi, aujourd’hui square Louvois), le duc de Berry, fils du comte d’Artois (futur Charles X) et chef des ultras, seul membre de la famille royale pouvant donner un héritier à la dynastie. En mourant, le duc révèle d’ailleurs que sa femme est enceinte – ce sera « l’enfant du miracle ».

La droite se déchaîne. On lit dans La Gazette de France du lendemain : « Monsieur Decazes, c’est vous qui avez tué le duc de Berry. Pleurez des larmes de sang. Obtenez que le Ciel vous pardonne, la patrie ne vous pardonnera pas ! »

« Il est né, l’enfant du miracle
Héritier du sang d’un martyr,
Il est né d’un tardif oracle,
Il est né d’un dernier soupir. »1980

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), Méditations poétiques (1820)

Le poète gentilhomme, qui fut un temps dans les gardes du corps de Louis XVIII et joue les attachés d’ambassade en Italie, salue avec lyrisme la naissance du duc de Bordeaux, le 29 septembre 1820. Fils posthume du duc de Berry (assassiné en février) et de la duchesse de Berry Marie-Caroline, il prendra le nom de comte de Chambord et deviendra « Henri V » pour les royalistes légitimistes. Mais la Révolution de 1830 éliminera la branche des Bourbons au profit des Orléans.

Le peuple, exclu au niveau parlementaire d’une vie politique dont il se désintéresse, se passionne pour l’événement. Les Parisiens vont boire 200 000 bouteilles de bordeaux en l’honneur de celui qui devrait être leur futur roi et ils chantent : « C’est un garçon ! / J’ai, dans mon allégresse / Compté deux fois douze coups de canon / Dans tout Paris on s’agite, on s’empresse / C’est un garçon ! » La France reste royaliste, même si Louis XVIII, le « Roi-fauteuil », n’a jamais réussi à devenir « le Désiré », comme il le souhaitait.

« J’ai du moins la paix du ménage. »1987

LOUIS XVIII (1755-1824). Histoire des deux Restaurations jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe (1856), Achille de Vaulabelle

La fratrie royale devenait trop conflictuelle et le duc de Richelieu, président du Conseil des ministres, a démissionné le 13 décembre 1821. Le roi se veut philosophe, étant surtout trop souffrant pour se battre encore et toujours. Le comte d’Artois est content de voir partir ce constitutionnel trop modéré et laisse son frère en paix – pas longtemps.

« Non seulement Jésus-Christ était fils de Dieu, mais encore il était d’excellente famille du côté de sa mère. »2000

Mgr Hyacinthe-Louis de QUÉLEN (1778-1839), 125e archevêque de Paris (de 1821 à sa mort). Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement (1998), Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière

L’amour de la religion et le respect de la Famille poussés à l’extrême nous valent cette « perle » de bêtisier historique. Très en cour auprès de Louis XVIII, puis de Charles X, élu à l’Académie française contre Casimir Delavigne en 1824, l’archevêque de Paris attribua cet honneur à la religion et non à ses titres académiques, dans son discours de réception. Membre de la Chambre des Pairs, incarnation de l’Ancien Régime, il lâcha en plein sermon cette formule propre à scandaliser libéraux et républicains. Moins bien vu sous la Monarchie de Juillet qui le considère comme (trop) légitimiste, il demeure archevêque, Dieu merci !

« C’est la leçon d’un père qui laisse toujours percer sa sollicitude à travers sa sévérité ou pour mieux dire sa prévoyance. »2007

Le Moniteur, 24 juin 1827. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

C’est en ces termes métaphoriques que ce journal officiel parle du rétablissement de la censure par ordonnance.

« Je ne veux pas monter en charrette comme mon frère ! »2012

CHARLES X (1757-1836), hanté par le souvenir de Louis XVI guillotiné en 1793. La Cour de Charles X (1892), Imbert de Saint-Amand

L’exemple de son frère aîné, devenu un roi martyr, le confortait dans sa politique ultraroyaliste. N’est-ce pas sa faiblesse et ses concessions qui l’ont perdu ? Et Charles X assimile les Girondins de la Révolution aux libéraux de plus en plus agressifs, sous la Restauration. Sa peur devient obsessionnelle.

« Enfin, vous régnez ! Mon fils vous devra sa couronne. »2021

Duchesse de BERRY (1798-1870), à Charles X, 26 juillet 1830. Mémoires de la comtesse de Boigne (posthume, 1909)

Mère de l’« enfant du miracle » (fils posthume du duc de Berry assassiné en 1820), elle lit dans Le Moniteur le texte des quatre ordonnances – qualifiées de scélérates par l’opposition majoritaire. Cette bombe ultra va déclencher le lendemain la révolution des Trois Glorieuses (journées des 27, 28, 29 juillet) et la fin du règne des Bourbons !

Monarchie de Juillet (1830-1848)

« Madame […] votre fils est mon roi ! »2075

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), à la duchesse de Berry (mère d’Henri V). Mémoires d’outre-tombe (posthume)

La duchesse a débarqué secrètement en France, le 30 avril 1832. Pour Chateaubriand, Louis-Philippe le roi des Français n’est qu’un usurpateur (branche d’Orléans opposée aux Bourbons légitimistes). L’auteur sera poursuivi en cour d’assises pour son Mémoire sur la captivité de la duchesse de Berry et acquitté en 1833. Quant à la duchesse, elle tente en vain de soulever la Provence, puis la Vendée. Arrêtée le 6 novembre à Nantes, internée au fort de Blaye sous la surveillance du futur maréchal Bugeaud, elle accouche en prison d’une fille, fruit d’un mariage secret : scandale ! La branche légitimiste en est discréditée.

« Fichtre ! fit Gavroche. Voilà qu’on me tue mes morts. »2076

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

Mot d’un populaire gamin de Paris mort à 12 ans et ainsi mis en situation : « Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d’une borne, une balle frappa le cadavre. » Hugo immortalise dans ce roman la première grande insurrection républicaine sous la Monarchie de Juillet, les 5 et 6 juin 1832. Une manifestation aux funérailles du général Lamarque (député de l’opposition) se termine en émeute, quand la garde nationale massacre les insurgés, retranchés rue du Cloître-Saint-Merri : barricades et pavés font à nouveau l’histoire, et la une des journaux de l’époque.

« Ma tombe et mon berceau seront bien rapprochés l’un de l’autre ! Ma naissance et ma mort, voilà donc toute mon histoire. »2078

Duc de REICHSTADT (1811-1832), mourant à 21 ans de tuberculose, 22 juillet 1832. Les Errants de la gloire (1933), princesse Lucien Murat (comtesse Marie de Rohan-Chabot)

L’Aiglon (héros de théâtre pour Rostand), fils de l’Aigle (Napoléon), ex-roi de Rome, promu Napoléon II (quelques jours, après les deux abdications en 1814 et 1815) n’aura pas le destin rêvé pour lui par son père, ni même aucun rôle politique. Son grand-père maternel, François Ier d’Autriche, y veille, occultant le souvenir de l’empereur et le faisant duc de Reichstadt (petite ville de Bohême), tout en aimant tendrement l’adolescent fragile.

Louis-Napoléon Bonaparte se considère désormais comme le chef du parti bonapartiste, en tant que neveu de Napoléon Ier – mais l’infidélité notoire de sa mère, Hortense de Beauharnais, femme de Louis Bonaparte, roi de Hollande, poussa son père à nier sa paternité et à rompre avec Hortense, la très jolie belle-fille de Napoléon. Ce doute sur son identité lui pourrira la vie, mais le nom de Napoléon lui donnera quand même un destin national.

« Tous deux sont morts. Seigneur, votre droite est terrible. »2079

Victor HUGO (1802-1885), Poème d’août 1832 (Napoléon II, Les Chants du crépuscule)

Rappelons que le père de l’Aiglon, Napoléon, est mort à 51 ans, le 5 mai 1821 après cinq ans de captivité à Sainte-Hélène. La légende napoléonienne doit beaucoup au génie d’Hugo et à la comparaison inévitable avec le prochain maître de la France, Napoléon III « le Petit ».

« Grâce encore une fois ! Grâce au nom de la tombe,
Grâce au nom du berceau. »2099

Victor HUGO (1802-1885), « Au roi Louis-Philippe, après l’arrêt de mort prononcé le 12 juillet 1839. » Les Rayons et les ombres (1840)

Hugo sera toute sa vie l’un des plus fervents adversaires de la peine de mort, quelles que soient les circonstances politiques ou autres.

Le 12 mai, un coup d’État est organisé (d’ailleurs fort mal) par la société secrète des Saisons. Son but : faire tomber la Monarchie de Juillet pour instaurer une république sociale. L’idéologie néojacobine renvoie à Robespierre, Buonarroti et Babeuf, extrême gauche de la Révolution. Barbès, Blanqui et Bernard sont les trois meneurs. Entraînant des centaines de partisans, ils partent à l’assaut de la préfecture de police et de l’Hôtel de Ville. La garde nationale et l’armée écrasent l’insurrection, le 13 mai : plus de 100 morts, dont 28 militaires, autant de blessés (dont Barbès). La plupart des conjurés sont arrêtés, Blanqui est en fuite. Au terme du procès, Barbès est condamné à mort, le 12 juillet. Hugo intervient le jour même et Paris manifeste le lendemain en sa faveur.

Le 14 juillet, la peine est commuée en travaux forcés à perpétuité grâce à ces interventions… et à un heureux événement : la duchesse d’Orléans, femme du fils aîné et très aimé du roi, vient de lui donner un petit-fils.

« Véritable Saturne du travail, l’industrie dévore ses enfants et ne vit que de leur mort. »2251

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), L’Extinction du paupérisme (1844)

On retrouve la métaphore révolutionnaire de Saturne dévorant ses enfants, qui renvoie elle-même à la mythologie.

L’utopie de ces trente pages écrites par le prisonnier au fort de Ham et le désir d’un futur souverain de se poser en « homme social » n’excluent pas une certaine sincérité. Fait unique pour l’époque de la part d’un prétendant au pouvoir, il tient à visiter les régions industrielles anglaises. Il a 25 ans et le spectacle de la misère le frappe.

« Par la voix du canon d’alarme, / La France appelle ses enfants.
« Allons, dit le soldat, Aux armes ! / C’est ma mère, je la défends. »
Mourir pour la patrie, / C’est le sort le plus beau, / Le plus digne d’envie. »2128

Auguste MAQUET (1813-1888), paroles, et Alphonse VARNEY (1811-1879), musique, Chant des Girondins (1847), entonné le 22 février 1848 au matin, place de la Concorde. Chansons nationales et populaires de France (1850), Théophile Marion Dumersan

La double métaphore patriotique des enfants de la patrie et de France, mère patrie, est toujours prête à revivre.

Ce chœur est tiré du Chevalier de Maison-Rouge, version théâtrale du roman historico-héroïco-révolutionnaire signé Dumas et Maquet. Grand succès populaire, le soir de la première représentation. Ce morceau va devenir « La Marseillaise de la Révolution de 1848 ». Il est chanté pour la première fois au matin du 22 février, par les Parisiens venus en masse à la Concorde, ignorant l’interdiction du dernier banquet et du défilé, tous deux décommandés. La foule commence à crier : « À bas Guizot ! » et à conspuer les gardes municipaux. La fièvre monte, malgré cet hiver froid et pluvieux. Les pavés, les barricades, les manifestations s’improvisent ici et là, avec les habitants des faubourgs et des banlieues venus pour la bagarre, jusqu’à la nuit tombante.

« J’abdique cette couronne, que la voix nationale m’avait appelé à porter, en faveur de mon petit-fils le comte de Paris. Puisse-t-il réussir dans la grande tâche qui lui échoit aujourd’hui. »2132

LOUIS-PHILIPPE (1773-1850), 24 février 1848. Histoire de la Révolution de 1848 (1866), Louis Antoine Garnier-Pagès

Le roi refuse le plan de Thiers : s’enfuir à Saint-Cloud et reconquérir Paris à la tête de l’armée. Il est horrifié à l’idée de faire couler le sang, comme Louis XVI en son temps. Et il est vieux, fatigué, découragé depuis la mort de son fils préféré en 1842.

Émile de Girardin, directeur de La Presse, vient sans être invité lui souffler la solution, le mot tabou, que son entourage n’ose prononcer : abdication. Il s’y résout et il écrit l’acte, alors que la foule menace de forcer les grilles des Tuileries – si elle passe, c’est le massacre, comme au 10 août 1792. Elle passera, le roi parti, mais ce ne sera qu’un pillage, sans autres victimes que les objets d’art dignes d’un musée.

Le roi abdique donc, en faveur du fils aîné de ce fils aîné, au nom du droit d’aînesse demeuré sacré à ses yeux. Décision dérisoire : le petit comte de Paris a 10 ans. Sa mère, la duchesse d’Orléans, devient régente, mais cette femme faible et impopulaire sera molestée par la foule.

Les émeutiers ont envahi la Chambre et nomment un gouvernement provisoire. La République est proclamée. Les fils cadets de Louis-Philippe, le duc d’Aumale et le prince de Joinville qui commandent l’armée en Algérie et pouvaient encore sauver la dynastie, se soumettront. Le dernier roi de France vient donc d’abdiquer.

« Fils de Saint Louis, montez en fiacre. »2134

Mot célèbre et anonyme. Dictionnaire des citations françaises et étrangères, Larousse

Devant le château des Tuileries, le roi s’apprête à monter en voiture. Un homme du peuple lui aurait ouvert la porte et lancé ce mot par dérision. Paraphrase du « Fils de Saint Louis, montez au ciel », derniers mots de l’abbé Edgeworth de Firmont, confesseur de Louis XVI, au roi montant sur l’échafaud en 1793.

Autre version (Revue des annales) : « Fils d’Égalité, montez en fiacre », par référence à son père, Louis Philippe d’Orléans, qui prit le nom de Philippe Égalité en 1792, devenant député à la Convention, vota la mort du roi Louis XVI (son cousin), et finit lui-même guillotiné en 1793.
Louis-Philippe ne part que pour l’exil, en Angleterre où il mourra deux ans plus tard. Un règne de dix-huit ans s’achève, celui d’un roi bourgeois dans une France bourgeoise, « Roi des barricades » entre deux révolutions, l’une de trois jours qui l’a fait roi-citoyen d’une monarchie constitutionnelle et l’autre beaucoup plus chaotique et sanglante, pour accoucher d’une république qui aboutira au Second Empire de Napoléon III. La France aura vraiment testé tous les régimes, déclinés en différentes versions.

Deuxième République (1848-1852)

« Tremblez tyrans portant culotte ! / Femmes, notre jour est venu ;
Point de pitié, mettons en vote / Tous les torts du sexe barbu !
Notre patience est à bout, / Debout, Vénusiennes, debout […]
Refrain Liberté sur nos fronts verse tes chauds rayons,
Tremblez, tremblez, maris jaloux, / Respect aux cotillons ! »2162

Louise de CHAUMONT (XIXe siècle), La Marseillaise des femmes (ou Marseillaise des cotillons), chanson de 1848. L’Illustration, volume XI (1848), J. Dubouchet

La famille traditionnelle est remise en question avec un humour féministe et révolutionnaire très kitsch. Les « Vénusiennes » chantent et défilent, jupes retroussées, corsage en bataille, jeunes ouvrières vivant parfois en communauté à la mode saint-simonienne. La Marseillaise, parmi tous les chants de l’histoire de France, est le plus constamment repris, parodié, récupéré, exploité en d’innombrables versions. C’est la rançon de la gloire.

« Leurs dragées vomissent la mitraille,
Quand notre cause est la fraternité,
Adieu, mon fils, vis et meurs en canaille,
Car la canaille a fait la liberté. »2172

J.-B. SIMÉON (XIXe siècle), La Canaille (1848), chanson. Manuel d’histoire littéraire de la France, 1789-1848 (1973), Jean-Charles Payen, Jean-Claude Abramovici

Le « héros de février » chanté par J.-B. Siméon, le peuple, cette « sainte canaille », se rappelle les grandes journées de 1789 et 1830. Et la métaphore familiale du fils, enfant de la patrie, se rappelle au souvenir du peuple français.

La métaphore peut aussi se faire comique face au futur Napoléon III qui sera cruellement chansonné.

« Bonjour, aimable République,
Je m’appelle Napoléon […]
Pour votre époux, me voulez-vous ? […]
Je vous mettrai tout sens dessus dessous,
Avec moi vous aurez l’Empire,
République, marions-nous ! »2180

Le Prétendu de la République (1848), chanson anonyme. La Nouvelle critique : revue du marxisme militant, nos 138 à 141 (1962). 

Le peuple se moque déjà de lui, avec un humour prophétique. Les professionnels de la politique et la presse vont sous-estimer l’homme – et le pouvoir du nom.

« Laissez le neveu de l’empereur s’approcher du soleil de notre République ; je suis sûr qu’il disparaîtra dans ses rayons. »2181

Louis BLANC (1811-1882). Histoire parlementaire de l’Assemblée nationale, volume II (1848), F. Wouters, A.J.C. Gendeblen

Louis Blanc fait ici allusion à une déclaration du candidat empruntant au lyrisme hugolien : « L’oncle de Louis-Napoléon, que disait-il ? Il disait : « La république est comme le soleil. » »

Cette citation référentielle prouve qu’un bon historien peut faire gravement erreur sur son temps ! C’est la République qui va bientôt disparaître devant l’Empire restauré. Il est vrai que les premiers témoins n’ont pas cru dans le destin du nouvel homme qui paraît particulièrement falot.

« La tribune est fatale aux médiocrités et aux impuissants. Nous ne voulons pas être trop cruels envers un homme condamné à cet accablant contraste, en sa propre personne, d’une telle insuffisance et d’un tel nom. »2182

Le National, 10 octobre 1848. Louis Napoléon le Grand (1990), Philippe Séguin

Le Nom ne va plus cesser d’accompagner Louis-Napoléon Bonaparte, à la fois handicap et atout majeur dans le jeu politique de cet héritier ambitieux !

La veille, Louis-Napoléon Bonaparte est interpellé par les députés sur ses intentions. Un témoin raconte qu’« il avait le regard mal assuré, comme un écolier qui n’est pas certain d’avoir bien récité sa leçon ». Lors de sa première présentation au palais Bourbon, le 26 septembre, le nouveau député de l’Yonne a déjà fait mauvaise impression, montant à la tribune pour lire un papier chiffonné, parlant de ses « compatriotes » avec un fort accent étranger (il a vécu exilé aux États-Unis). Verdict de Ledru-Rollin : « Quel imbécile, il est coulé ! » Et Lamartine l’appelle « un chapeau sans tête ».

« Si je réussissais, je serais obligé d’épouser la République et je suis trop honnête garçon pour épouser une si mauvaise fille ! »2186

Adolphe THIERS (1797-1877), refusant de se porter candidat à la présidence. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919, volume VI (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

Thiers a de l’humour et une vue claire de la situation. C’était pourtant le souhait du parti de l’Ordre qui regroupe des monarchistes (légitimistes et orléanistes), des républicains conservateurs, voire modérés, unis par leur opposition au socialisme.

Même refus de Bugeaud, le maréchal qui a un nom, un prestige. Lamartine s’étant déconsidéré aux yeux de ses anciens partisans, le parti de l’Ordre se rabat sur le troisième homme : Louis-Napoléon Bonaparte. Et Thiers de conclure : « Sans affirmer que la nomination de M. Louis Bonaparte soit le bien, elle paraît à nous tous, hommes modérés, un moindre mal. »

« La Révolution et la République sont indivisibles. L’une est la mère, l’autre est la fille. L’une est le mouvement humain qui se manifeste, l’autre est le mouvement humain qui se fixe. La République, c’est la Révolution fondée […] On ne sépare pas l’aube du soleil. »2214

Victor HUGO (1802-1885), Assemblée législative, Discours du 17 juillet 1851. Actes et Paroles. Avant l’exil (1875)

Métaphore historienne et patriotique, discours historique et violent, prononcé devant une assemblée houleuse. Hugo est contre la révision de la Constitution qui est débattue. Le 19 juillet, elle ne réunit que 446 voix contre 270. Il fallait la majorité des trois quarts (543 voix). L’article 45 interdisant la rééligibilité est donc maintenu. Cette fois, les députés n’ont pas été dupes, la manœuvre a échoué.

Louis-Napoléon Bonaparte n’a plus le choix. Il prépare son coup d’État, avec soin, avec ses hommes bien placés dans l’armée, la police. Il prépare aussi l’opinion, entretient la peur, dénonce l’imminence du complot : Le Spectre rouge de 1852, brochure signée Romieu, en dit assez par son titre.

Second Empire (1852-1870).

« Les Bonaparte, c’est tout de même un clan qui se remplit les poches, se distribue les couronnes, et qui, en 1851, s’attable pour le deuxième service. »2144

François MAURIAC (1885-1970), Bloc-notes, IV (1965-1967) dans le journal L’Express

Hugo n’aurait pas mieux dit contre le deuxième, mais son culte pour le premier l’a rendu encore plus cruel. Les contemporains de Louis-Napoléon Bonaparte sont sévères pour ce nouvel empereur, les historiens aussi, qui ont quand même révisé leur jugement, à commencer par un homme politique très coté, gaulliste social, Philippe Seguin, auteur d’une biographie qui fait date, Louis Napoléon le Grand (1990), rendant justice à l’homme et au Second Empire.

« Ce n’est pas la peine d’avoir risqué le coup d’État avec nous tous pour épouser une lorette. »2254

Duc de PERSIGNY (1808-1872), à Napoléon III, décembre 1852. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Parole du seul honnête homme dans l’équipe d’aventuriers qui prépara le 2 décembre 1851 et se retrouve ministre de l’Intérieur. La « lorette » est quand même une jeune fille de vraie noblesse espagnole (par son père, trois fois Grand d’Espagne), fort belle, moins sotte qu’on ne le dira. Mais sa mère irlandaise, quelque peu aventurière, promenait sa fille en Europe dans l’espoir d’un bon mariage. Et l’empereur en est fou !

« On peut tomber amoureux de mademoiselle de Montijo, mais on ne l’épouse pas. »2255

Princesse MATHILDE (1820-1904). Napoléon III ou l’empire des sens (2010), Michel de Decker

Mathilde-Létizia Wilhelmine Bonaparte, dite « la princesse Mathilde », fille de Jérôme Bonaparte (roi de Westphalie et frère de Napoléon Ier), cousine germaine de Napoléon III, auquel elle fut fiancée vers 1835, se montre elle aussi bien méprisante. Épouse d’un richissime parvenu russe, dont elle s’est séparée en 1845 avec une pension de 200 000 roubles, elle vit avec un sculpteur, tient fort élégamment la maison de son cousin Président.

Elle va perdre son rôle à la cour quand Eugénie entrera dans la vie de Napoléon III. Il a répondu : « Je l’aime, c’est elle que je veux. » Il l’épousera le 29 janvier 1853. La princesse Mathilde se repliera sur le 10 rue de Courcelles, salon littéraire où elle joue les mécènes pour les artistes les plus brillants de l’Empire. Tandis que l’impératrice, épouse bientôt déçue, mère passionnée, catholique dans l’âme et conservatrice convaincue, se mêlera de politique.

« L’Empereur, vous n’avez rien de lui !
— Tu te trompes, mon cher, j’ai sa famille. »2269

NAPOLÉON III (1808-1873) à son cousin germain Jérôme-Napoléon Bonaparte (1856). Histoire de la France, volume II (1958), André Maurois

Jérôme-Napoléon, dit Prince Napoléon, fils de Jérôme Bonaparte (frère de Napoléon Ier) et frère de la princesse Mathilde, mettait ainsi en doute l’ascendance paternelle de l’empereur. Rappelons que sa mère, Hortense de Beauharnais (fille de l’impératrice Joséphine), avait eu avant sa naissance en 1808 bien des amants : un écuyer, son premier chambellan qui était comte, un marquis, un amiral hollandais… Les historiens ignoreront toujours si Napoléon III est bien le fils de son père Louis Bonaparte, roi de Hollande. Une seule chose est sûre : le doute qui devait empoisonner l’empereur.

Sa famille n’était pas davantage un cadeau, surtout ce cousin germain, chef de la branche cadette, parfois appelé Napoléon V et surnommé Plon-Plon (diminutif affectueux de sa mère, devenu ridicule avec l’âge), qui affiche ses convictions anticléricales et jacobines. L’empereur se méfie de ce « César déclassé », impulsif et velléitaire, en état de fronde perpétuelle.

« Les choses ne vont pas tout droit dans mon gouvernement. Comment en serait-il autrement ? L’impératrice est légitimiste, Morny est orléaniste, je suis républicain. Il n’y a qu’un bonapartiste, c’est Persigny, et il est fou. »2278

NAPOLÉON III (1808-1873). Le Duc de Morny : « empereur » des Français sous Napoléon III (1951), Robert Christophe

La boutade lui a été prêtée, il avait de l’humour. De fait, l’empereur est assez mal entouré. Les bonapartistes ont chacun leurs idées. Morny, son demi-frère, l’a aidé comme ministre de l’Intérieur à préparer le coup d’État, pour démissionner peu après, à cause du décret confisquant les biens de la famille d’Orléans (le « premier vol de l’Aigle » en 1852) ; il préside à présent le Corps Législatif.

L’impératrice, conservatrice et catholique, se mêle de politique, pensant surtout à préserver les intérêts de son fils adoré (né en 1856). L’empereur qui se dit républicain a un bonapartisme complexe sinon contradictoire, héréditaire et plébiscitaire, s’appuyant sur la bourgeoisie d’affaires et regardant aussi du côté du peuple, voulant la liberté mais la surveillant avec autorité ! Persigny est le compagnon de toujours et de tous les coups ratés, puis réussis, mais il a le bonapartisme si prosélyte qu’il faudra bientôt le mettre à la retraite, quand sonnera l’heure d’un certain libéralisme. Et l’empereur oublie le prince Napoléon, au bonapartisme jacobin et anticlérical, qui manœuvre à gauche et a des prétentions dynastiques.

« Mon enfant, tu es sacré par ce plébiscite. L’Empire libéral, ce n’est pas moi, c’est toi ! »2304

NAPOLÉON III (1808-1873), à son fils, le prince impérial Eugène Louis Napoléon, âgé de 14 ans, 8 mai 1870. La Société du Second Empire, tome IV (1911-1924), Comte Maurice Fleury, Louis Sonolet

L’empereur rayonne et en oublie son mal, après le plébiscite triomphal du 8 mai : 7 350 000 oui (et 1 538 000 non) pour approuver le sénatus-consulte du 20 avril 1870. L’Empire devient une monarchie parlementaire : ministres responsables devant les Chambres qui ont aussi l’initiative des lois. Mais il est trop tard. La Prusse s’apprête à déclarer la guerre.

« Monsieur mon frère, n’ayant pu mourir au milieu de mes troupes, il ne me reste qu’à remettre mon épée entre les mains de Votre Majesté. Je suis, de Votre Majesté, le bon frère, Napoléon. »2318

NAPOLÉON III (1808-1873), Lettre à Guillaume Ier, Sedan, 1er septembre 1870. La Débâcle (1893), Émile Zola

On croirait entendre Napoléon le Grand, à l’heure de la seconde abdication : « Je viens, comme Thémistocle, m’asseoir au foyer du peuple britannique. Je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de Votre Altesse Royale, comme celles du plus constant, du plus généreux de mes ennemis. »

L’empereur vient d’écrire ces mots. Lettre immédiatement portée au vainqueur qui répond : « Monsieur mon frère, en regrettant les circonstances dans lesquelles nous nous rencontrons, j’accepte l’épée de Votre Majesté, et je la prie de vouloir bien nommer un de vos officiers muni de vos pleins pouvoirs, pour traiter de la capitulation de l’armée qui s’est si bravement battue sous vos ordres. De mon côté, j’ai désigné le maréchal de Moltke, à cet effet. Je suis, de Votre Majesté, le bon frère. » Signé, Guillaume Ier.

La capitulation est signée au château de Bellevue, dans la nuit du 1er septembre 1870. Conditions terribles : toute l’armée de Sedan sera internée en Allemagne, y compris l’empereur, désormais prisonnier. La capitulation est publiée le 2, rendue effective le 3.

« Attendu que la patrie est en danger, que nous constituons le pouvoir régulier issu du suffrage universel, nous déclarons que Louis Napoléon Bonaparte et sa dynastie ont à jamais cessé de régner sur la France ! »2333

Léon GAMBETTA (1838-1882), à la tribune de l’Assemblée, 4 septembre 1870. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919, volume VII (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

Jeune député républicain, avocat déjà remarqué, cerné par une foule de manifestants qui ont envahi le palais Bourbon, ayant appris le désastre militaire de Sedan et la capitulation de l’empereur prisonnier, il doit d’abord les calmer et mettre un minimum de forme juridique à cette proclamation, pour éviter une révolution insurrectionnelle comme en 1848.

Ce même jour, la République est sommairement proclamée, avec un gouvernement de la Défense nationale hâtivement constitué pour faire la « guerre à outrance ». Gambetta, ministre de l’Intérieur, sera le membre le plus bouillant et brouillon de ce gouvernement provisoire.

« Bon voyage, vieux Badinguet,
Porte aux Prussiens ta vieille Badinguette !
Bon voyage, vieux Badinguet,
Ton p’tit bâtard ne régnera jamais. »2334

Les Actes de Badinguet (1870), chanson. La Commune en chantant (1970), Georges Coulonges

Ces couplets vengeurs s’adressent à l’empereur déchu dont la popularité s’est écroulée en quelques jours – Badinguet est le nom du maçon dont Louis-Napoléon Bonaparte emprunta les vêtements pour s’enfuir du fort de Ham, en 1846. Quant à sa femme l’impératrice, elle ne fut jamais aimée du peuple.

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