Histoires de famille (du Moyen Âge à la naissance de la monarchie absolue) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

« Famille, je vous hais » ou je vous aime…

Pour le meilleur et plus souvent le pire, les histoires de famille (entre pères et mères, enfants et fratrie) sont fatalement historiques dans une France sous régime monarchique ou impérial, jusque dans les années 1870.
Les mariages soumis à la raison d’État font rarement le bonheur et l’enjeu de la succession est constant, car vital pour le pays.
Le sort des enfants se joue dans ce huis-clos paradoxalement public, les parents tenant naturellement leur rôle, avec les frères plus ou moins rivaux et comploteurs, les bâtards au sort ingrat, les mères régentes devenues chef de famille en situation souvent dramatique.

Depuis Clovis (premier roi de France) et sa femme Clotilde, en marge des batailles et des institutions, la chronique nous offre une série de sagas familiales où les plus grands noms se retrouvent : Catherine de Médicis et ses fils - Henri IV deux fois mal marié mais bon père - Louis XIV à la vie privée encore plus compliquée - Louis XVI avec Marie-Antoinette et le dauphin (Louis XVII) - Napoléon, son clan familial, ses deux épouses, son Aiglon et le destin fatal - Louis XVIII gêné par son frère le futur Charles X - Napoléon III gêné par toute sa famille… et son illustre ancêtre !
Restent les métaphores familiales aux raisons nationales, religieuses ou politiques : le roi baptisé le « Père du peule », la France « fille aînée de l’Église », « mon cousin » et parfois « mon frère » désignant les souverains étrangers (amis ou ennemis), cependant que les « enfants de la patrie » sont toujours appelés à se battre au son de la Marseillaise, depuis la Révolution.

Il y a encore des histoires de famille dans l’histoire contemporaine. Sans plus d’enjeu national, elles deviennent anecdotiques, divertissantes et « people », rarement dramatiques, la « première dame » (épouse du président) ne tenant qu’un second rôle. Rien à voir avec la famille royale d’Angleterre ni le « clan Kennedy » aux USA qui passionnent encore les Français, preuve que nous adorons toujours les Histoires de famille.
Nous allons leur consacrer quatre semaines.

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Moyen Âge (481-1483)

« Il a été baptisé au nom de votre Christ. Il faudra donc qu’il meure, comme meurt tout ce qui est voué à ce malfaisant personnage. »73

CLOVIS (vers 465-511), à Clotilde. Sainte Clotilde (1905), Godefroy Kurth

En 493, Clovis a épousé Clotilde, nièce de Gondebaud le roi des Burgondes. Chrétienne, elle fait baptiser leur fils né l’année suivante. L’enfant meurt bientôt, ce qui attire à la reine cette remarque de son époux, encore farouchement païen. Mais dans l’histoire, une victoire vaut bien une messe : « Dieu de Clotilde, si tu me donnes la victoire, je me ferai chrétien. » … et après sa bataille victorieuse contre la tribu germanique des Alamans (futurs Allemands) à Tolbiac, Clovis, comme promis, se fera chrétien avec 3 000 de ses hommes convertis avec lui. Il est baptisé à Reims, comme tous les rois de France à sa suite.

« Si on ne les élève pas sur le trône, j’aime mieux les voir morts que tondus. »79

GONDIOQUE (VIe siècle), à Arcadius, 532. Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours

Par ces paroles, la mère condamne ses fils à mort. C’est le terme d’une longue histoire de famille.

À la mort de Clovis en 511, son quatrième fils Clotaire Ier reçoit en partage la Neustrie (nord-ouest de la France depuis Soissons et Amiens jusqu’à l’Atlantique). Clodomir l’aîné hérite des régions couvrant le centre de la France. Il est tué en 524 au cours d’une guerre contre les Bourguignons (Burgondes). Clotaire s’entend avec Childebert Ier, troisième fils de Clovis qui a reçu la région de Paris et l’ouest de la France, pour faire périr les enfants de Clodomir et s’emparer de son royaume. Ils envoient Arcadius portant des ciseaux et une épée nue, donnant à la mère des enfants le choix : les enfermer dans un couvent (donc tondus) ou les mettre à mort sur-le-champ. Le choix de Gondioque est fatal à ses enfants.

Ses frères morts sans héritier, Clotaire Ier se trouve en 558 à la tête du royaume franc réunifié. Mais quand il meurt en 561, le royaume est à nouveau disloqué et partagé entre ses quatre fils.

« Accourez, je vous prie, accourez, voilà ma maîtresse que sa mère étrangle. »82

Cris d’une servante de Rigonthe (vers 593). Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours

Cette servante va sauver sa maîtresse, fille de Chilpéric Ier et de Frédégonde, quand sa propre mère tentait de l’étrangler, ayant rabattu sur son cou le couvercle d’un grand coffre. Mais, poursuit Grégoire de Tours, « après cela éclata entre les deux femmes de violentes inimitiés […], il y avait entre elles querelles et coups ». Bel exemple de la férocité propre à cette Frédégonde : elle fit assassiner, exécuter, supplicier un nombre considérable de personnes, notamment sa belle-sœur Brunehaut qui périt attachée à la queue d’un cheval lancé au galop.

« Chère fille, la mesure par laquelle nous devons Dieu aimer, est aimer le sans mesure. »152

LOUIS IX (1214-1270), Dernière lettre écrite à sa fille, 1270. Histoire de France, tome II (1833), Jules Michelet

Outre le roi guerrier à la tête des croisés et l’administrateur veillant au bon état du royaume, c’est surtout l’image d’une exceptionnelle piété qui reste, maintes fois attestée par Joinville. Lors du procès en canonisation (1297), un témoin résuma le personnage en ces mots : « Il avait exercé à la manière d’un roi le sacerdoce, à la manière d’un prêtre la royauté. »

« Gardez-vous bien de différer encore le moment de nouer le lien conjugal […] Qu’il sorte bientôt de votre chair celui qui doit rendre vaines les espérances des ambitieux et fixer sur une seule tête l’affection changeante de vos sujets ! »179

YVES de Chartres (1040-1116), au roi Louis VI le Gros. Louis VI le Gros : annales de sa vie et de son règne, 1081-1137 (1890), Achille Luchaire

L’évêque de Chartres encourage le roi à quitter sa vie de veuf joyeux : « Ce mariage n’aura pas seulement pour effet d’apaiser les mouvements charnels et les désirs illicites : il forcera encore au silence la haine de vos détracteurs. »

Louis va donc épouser en 1115 Adélaïde de Savoie qui lui donnera six fils et une fille. Durant près de trente années de règne, Louis VI dit le Gros affermit le pouvoir royal : il soumet par les armes des vassaux rebelles et pillards et développe les communes, au détriment des seigneuries laïques et ecclésiastiques. Le crédit moral de la Couronne en est rehaussé et le sentiment national émerge de la féodalité. Une plus grande sécurité des routes et voies d’eau favorise l’essor du commerce. Seule ombre au tableau : la guerre avec l’Angleterre pour la possession de la Normandie. Louis VII le Jeune, son deuxième fils, succédera au roi Louis VI le Gros.

« J’ai de beaux enfants, par la Sainte Mère de Dieu ! Je les mettrai en gage, car je trouverai bien quelqu’un qui me prêtera dessus. »202

BLANCHE DE CASTILLE (1188-1252), au roi Philippe II Auguste, janvier 1217. Chroniques du ménestrel de Reims (contemporain anonyme et souvent cité, éditions posthumes à partir du XIXe siècle)

Blanche, femme du Dauphin (futur Louis VIII) et belle-fille du roi, s’irrite de ce qu’il lui refuse argent ou hommes pour aider le prince Louis à prendre la couronne d’Angleterre. Louis peut y prétendre (par sa femme, petite-fille d’Henri II Plantagenêt), et les grands barons anglais la lui offrent, révoltés contre Jean sans Terre, roi déplorable et malade caractériel.

La situation se complique, après la mort de ce roi et le changement d’attitude de la nation. Louis, héritier du trône de France, risque même de périr en terre étrangère, dans cette aventure mal engagée. Il est battu le 20 mai 1217 devant le château de Lincoln par les troupes royales, commandées par le régent d’Angleterre Guillaume le Maréchal (70 ans), réputé « le meilleur chevalier du monde ».

Le roi de France craint des complications diplomatiques avec l’Angleterre, s’il intervient ! Mais le chantage aux héritiers du trône va porter ses fruits.

« Gardez vos enfants et puisez à votre gré dans mon trésor. »203

PHILIPPE II Auguste (1165-1223), cédant à sa belle-fille, Blanche de Castille. Chroniques du ménestrel de Reims (contemporain anonyme et souvent cité, éditions posthumes à partir du XIXe siècle)

Heureux et pacifique épilogue. Par le traité de Kingston, 1er septembre 1217, Louis (futur Louis VIII), dauphin de France, renonce au trône d’Angleterre et se retire du piège anglais, contre une forte indemnité – 10 000 marcs. La couronne anglaise est aussitôt reprise par Henri III.

Blanche de Castille s’affirme déjà en femme de caractère, mais son attachement au futur Saint Louis passera les bornes de l’amour maternel.

« Après qu’il fut quelque peu affaibli et chu en vieillesse, [Philippe Auguste] n’épargna pas son fils, il l’envoya par deux fois en Albigeois à grand ost pour détruire la bougrerie de la gent du pays. »204

Grandes Chroniques de France

La croisade contre les Albigeois est l’un des épisodes sanglants de l’histoire de France. Le Dauphin est allé mettre en vain le siège devant Toulouse, en 1219. Mais il prend Marmande, la même année. Devenu roi, Louis VIII le Lion ne règne que trois ans (1223-1226). Il poursuit cette croisade intérieure, remportant par ailleurs des succès contre les Anglais d’Henri III.

« Elle ne pouvait souffrir que son fils fût en la compagnie de sa femme, sinon le soir quand il allait coucher avec elle. »210

Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis

Précieux et fidèle chroniqueur du règne de Louis IX, il donne maints exemples de cette fameuse jalousie d’une mère par ailleurs admirable. Blanche de Castille supporte mal Marguerite de Provence, cette épouse qu’elle a pourtant choisie pour son fils adoré : le mariage apporta la Provence à la France, en 1234.

« Hélas ! Vous ne me laisserez donc voir mon seigneur ni morte ni vive ! »211

MARGUERITE de provence (1221-1295), à Blanche de Castille, 1240. Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume), Jean de Joinville

Cri du cœur de la reine, quand sa belle-mère veut arracher Louis de son chevet. Elle venait d’accoucher et « était en grand péril de mort ». La reine donnera douze enfants au roi, dont sept vivront.

La régence de Blanche de Castille s’est achevée à la majorité du jeune roi, qui la laisse gouverner encore pendant huit ans. Elle sera de nouveau régente, quand son fil part à la croisade, en 1248. Marguerite accompagnera son seigneur, sûre de pouvoir ainsi le voir et l’avoir bien à elle – une raison avancée par certains historiens.

« La femme que vous haïssiez le plus est morte et vous en menez un tel deuil !
— Ce n’est pas sur elle que je pleure, sénéchal, mais sur le roi, mon époux, pour le chagrin que lui cause la mort de sa mère. »215

MARGUERITE de provence (1221-1295), répondant à Joinville (vers 1224-1317), sénéchal de Champagne. Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume), Jean de Joinville

Blanche de Castille est morte le 27 novembre 1252, à 64 ans. La reine est donc délivrée de la monstrueuse jalousie de sa belle-mère, mais Louis IX fut très profondément bouleversé, quand il apprit la nouvelle en Terre sainte, et sa femme en est témoin.

« Mon cher fils, je te prie de te faire aimer du peuple de ton royaume ; car en vérité je préférerais qu’un Écossais vînt d’Écosse et gouvernât le peuple du royaume bien et loyalement, plutôt qu’on le vît mal gouverné par toi. »216

LOUIS IX (1214-1270), à son fils aîné Philippe, Fontainebleau, 1254. Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume), Jean de Joinville

Gravement malade et croyant venue l’heure de sa mort, le roi parle au fils qui doit lui succéder (futur Philippe III le Hardi). Il rentre de croisade après six ans d’absence.

Entre ce retour et son second départ (1270), Louis IX va s’occuper activement du royaume : enquêtes sur l’administration des baillis et sénéchaux, institution d’une Cour (préfigurant le Parlement) composée de légistes chargés de rendre la justice, interdiction des guerres privées, tournois et duels judiciaires, cours de la monnaie royale étendu dans tout le pays, confirmation de la fondation de la Sorbonne, construction de la Sainte-Chapelle, création de l’hospice des Quinze-Vingts.

Dans ce long Moyen Âge de mille ans, réputé parfois bien sombre, la France de Louis IX connaît un véritable rayonnement intellectuel et artistique.

« Sire, il nous semble que vous perdez la terre que vous donnez au roi d’Angleterre, car il n’y a pas droit : son père la perdit par jugement.
— Nos femmes sont sœurs et nos enfants sont cousins germains ; c’est pourquoi il convient tout à fait que la paix soit entre nous. D’ailleurs, il y a grand honneur pour moi dans la paix que je fais avec le roi d’Angleterre, car il est désormais mon homme lige. »219

LOUIS IX (1214-1270), répondant à JOINVILLE (vers 1224-1317), en 1259. Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume), Jean de Joinville

Ce dialogue illustre parfaitement la politique extérieure pacifique du roi – une exception pour l’époque. Louis IX a signé en 1259 le traité de Paris avec Henri III d’Angleterre : la France rend Limousin, Périgord, Agenois, Quercy et une part de la Saintonge ; l’Angleterre renonce à Normandie, Touraine, Anjou, Maine, Poitou et son roi se reconnaît vassal de Louis IX pour la Guyenne (Aquitaine).

L’année précédente, Louis IX a signé le traité de Corbeil avec Jacques Ier d’Aragon : la France renonçait à Roussillon et Catalogne, l’Aragon à Languedoc (sauf Montpellier) et Provence. Le roi soulignait par ailleurs que la puissance d’un souverain se mesure autant au nombre et au rang de ses vassaux qu’à l’étendue de ses domaines. Ce règlement pacifique des grands conflits territoriaux confère au roi de France un immense prestige en Europe

« Le fils de Saint Louis, Philippe le Hardi, revenant de cette triste croisade de Tunis, déposa cinq cercueils au caveau de Saint-Denis. Faible et mourant lui-même, il se trouvait héritier de presque toute sa famille. »226

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1837)

Outre son père Louis IX, le nouveau roi a perdu sa femme, un enfant mort-né, son beau-frère et ami le roi de Navarre (Thibaud de Champagne) et la femme de ce dernier. Ce règne si mal commencé ne continue pas mieux : échec de la candidature de Philippe II le Hardi à l’empire (1273), massacres des Français en Sicile (1282), défaite de la France contre l’Aragon (1285).

« Écoute, mon très cher fils… »237

Boniface VIII (vers 1235-1303), Bulle Ausculta fili carissime, 11 février 1302. Histoire de France depuis l’établissement des Francs dans la Gaule, volume II (1838), Mathieu-Richard-Auguste Henrion

Filiation métaphorique et symbolique. Le pape s’adresse au roi « fils aîné de l’Église », titre porté par les rois de France à partir de Charles VIII en référence au baptême de Clovis, notre premier roi baptisé. La France très chrétienne sera ensuite nommée « fille aînée de l’Église ».

En 1302, le pape proclame la souveraineté du Saint-Siège sur les rois, thèse soutenue par son ami l’évêque de Pamiers dont il exige la libération. La bulle est lue par l’ambassadeur pontifical le 11 février devant le roi et son Conseil. Soucieux de se concilier l’opinion publique, Philippe le Bel convoque le 10 avril les prélats, les barons et les députés du royaume – donc les trois ordres. Le chancelier Flotte fait un résumé tendancieux de la bulle à l’instigation du roi qui obtient des États du royaume leur approbation dans sa lutte contre le pape. Les relations entre la « fille aînée de l’Élise » et les papes à venir constitue un long feuilleton, avec quelques épisodes dramatiques.

« Pesez, Louis, pesez ce que c’est que d’être roi de France. »260

PHILIPPE IV le Bel (1268-1314) à son fils aîné Louis, le jour de sa mort, 29 novembre 1314. La Nouvelle Revue des deux mondes (1973)

« Mot de la fin » politique du dernier grand Capétien. Impopulaire de son vivant et mal aimé de certains historiens, il a fait faire des progrès décisifs à la royauté : diversification des organes de gouvernement (Parlement, Chambre des comptes, etc.), grandes ordonnances de « réformation » du royaume, raffermissement de l’État contre la féodalité, lutte contre la justice ecclésiastique et indispensable centralisation. La France est à présent le pays le plus riche et le plus peuplé d’Europe.

Son fils va devenir Louis X le Hutin, dit aussi « le Querelleur ». Suivant l’exemple de rapacité de son père, il dépouille les juifs et les banquiers lombards, et vend des chartes d’affranchissement aux serfs.

« Aventurer ses armes, c’est mettre en aventure la parure de ses enfants et de son lignage. »270

Olivier de la MARCHE (1426-1502), Mémoires

Chroniqueur et poète du temps, il se plaît à rapporter les exploits des chevaliers dans les joutes et tournois. La coutume veut que le tournoyeur ne porte pas sur lui les armes de sa famille, mais des armes de fantaisie, pour ne pas compromettre l’honneur des siens en cas de défaite. Denis de Rougemont voit dans le tournoi « la synthèse à peu près parfaite des instincts érotiques et guerriers et de la règle courtoise idéale » (La Tentation de l’Occident). Ce jeu à la fois spectacle et sport culmine au XVe siècle, quand la chevalerie cesse d’être un ordre militaire, après les défaites de Crécy, Poitiers et Azincourt devant la piétaille des archers anglais.

« Les hommes et les femmes qui restaient se marièrent à l’envi. »290

Jean de VENETTE (vers 1307-vers 1370), La Peste de 1348, chronique

La guerre de Cent-Ans (1337-1453) marque le Moyen Âge, mais d’autres épreuves s’y ajoutent. Grand chroniqueur français du XIVe siècle et supérieur de l’ordre du Carmel à Paris, l’auteur témoin de la peste décrit les aspects de la maladie dont on ignore les causes – on incrimine les juifs, les sorcières, les chats noirs… D’où des massacres en série. Quant aux remèdes, ils font plus de mal que de bien en affaiblissant les corps (saignées, laxatifs). Mais l’épidémie, devenue pandémie, se termine en quelques mois.

La vie reprend ses droits, avec une vigueur nouvelle. Avant la peste, le curé de Givry (en Bourgogne) célébrait une quinzaine de mariages par an. En 1349, il en bénit 86, alors que la peste a tué la moitié de ses ouailles.

« On vit des pères tuer leurs enfants, des enfants tuer leur père ; on vit des malheureux détacher les corps suspendus aux gibets, pour se procurer une exécrable nourriture. Des hameaux disparurent jusqu’au dernier homme. »291

Chronique du temps. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Après la peste de 1348, voici la famine de 1349. Le peuple, déjà appauvri, meurt littéralement de faim sous le règne de Philippe VI de Valois (dit le Catholique). Les églises s’ornent de danses macabres. La Mort symbolique (squelette armé d’une faux) entraîne tous les hommes, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, innocents ou coupables. Au total, la guerre de Cent Ans fera beaucoup moins de victimes que ces deux années terribles ! Peste noire et famine ont vidé le Trésor public. Les impôts ne rentrent plus : situation financière si grave que le roi doit abaisser la teneur en métal précieux des monnaies qu’il fait frapper : recours au faux-monnayage à grande échelle, comme sous Philippe le Bel.

« Père, gardez-vous à droite, père, gardez-vous à gauche. »296

PHILIPPE II de Bourgogne, dit le Hardi (1342-1404), à Jean II le Bon, bataille de Poitiers, 19 septembre 1356. Histoire de France (1868), Victor Duruy

Le dernier fils du roi, à 14 ans, tente de détourner les coups pour sauver son père. Le jeune prince ne régnera pas, mais recevra pour son courage la Bourgogne en apanage… et le surnom de Philippe le Hardi.

Jean le Bon (ou le Brave) aligne 15 000 hommes. Face à lui, 7 000 Anglais et à leur tête, le Prince Noir – prince de Galles, redoutable chef de guerre. Les archers anglais, bien placés, criblent de flèches par le côté nos chevaliers français qui ne sont armés et protégés que de face. La défaite de Crécy, dix ans plus tôt, n’a pas servi de leçon, et les Anglais renouvellent leur tactique gagnante, archers anglais contre chevaliers français.

« Dès le temps où notre fils sera venu à la couronne de France, les deux couronnes de France et d’Angleterre demeurent à toujours ensemble et réunies sur la même personne […] qui sera roi et seigneur souverain de l’un et de l’autre royaume ; mais gardant toutes les lois de chacun, et ne soumettant en aucune manière un des royaumes à l’autre, ni aux lois, droits, coutumes et usages de l’autre. »328

Traité de Troyes entre la France et l’Angleterre, 21 mai 1420. Histoire des Ducs de Bourgogne, de la Maison Valois 1364-1477 (1837), M. de Barante

Philippe le Bon, duc de Bourgogne (successeur de Jean sans Peur) et Isabeau de Bavière, reine de France, ont fait signer cet ahurissant traité au pauvre roi fou, Charles VI. Et les États vont ratifier. Le fils en question est Henri V roi d’Angleterre et non pas le dauphin Charles, qualifié par ses propres parents de « soi-disant dauphin ». Henri V de Lancastre consent à laisser la couronne de France à Charles VI, mais en attendant de lui succéder, il a « la faculté et exercice de gouverner et ordonner la chose publique ». En fait, ce traité livre la France aux Anglais. Henri V d’Angleterre conforte encore son héritage le 2 juin, en épousant la fille de Charles VI, Catherine de France. Unions funestes pour notre pays.

La reine Isabeau de Bavière incarne « la mauvaise mère » dans l’Histoire, même si les historiens l’ont quelque peu réhabilitée : elle est en ballottage avec Marie de Médicis (seconde épouse d’Henri IV et mère de Louis XIII). Anecdotiquement (ou pas ?), outre ses 11 enfants légitimes, on lui attribue aussi Jeanne d’Arc, cette bergère étant selon certains une princesse de sang royal – ce qui expliquerait son incroyable aventure, le fait qu’elle soit sitôt excellente cavalière et puisse approcher sans nul obstacle le dauphin.

« Je vous dis, de la part de Messire, que vous êtes vrai héritier de France et fils du roi. »338

JEANNE d’ARC (1412-1431), 8 mars 1429. Jeanne d’Arc (1870), Frédéric Lock

Les derniers mots qu’elle prononce lors de l’entretien avec le dauphin et dont elle fera état à son confesseur. Jeanne lui a rendu doublement confiance : il est bien le roi légitime de France et le fils également légitime de son père, lui qu’on traite toujours de bâtard. La filiation est capitale, dans une monarchie héréditaire (et non plus sélective).

« Par ma foi, beau-frère et beau-cousin, je vous dois aimer par-dessus tous mes autres princes de ce royaume, et ma belle cousine, votre femme ; car si vous et elle ne fussiez, je fusse demeuré toujours au danger de mes adversaires, et n’ai trouvé meilleur ami que vous. »354

Charles d’ORLÉANS (1391-1465), au duc Philippe de Bourgogne, 1440. Chroniques (posthume, 1826), Enguerrand de Monstrelet

Le prince poète (frère de Charles VI) lui doit d’être libre, après vingt-cinq ans de captivité en Angleterre ! Son « beau-frère et beau-cousin », Philippe III de Bourgogne, dit Philippe le Bon, sera bientôt le prince le plus puissant de toute la chrétienté, à la tête de « l’État bourguignon » qui regroupe beaucoup d’autres terres.

Charles peut enfin payer sa rançon de 220 000 écus – en partie grâce à la dot de sa troisième femme. Veuf deux fois, il épouse à 46 ans la nièce du duc de Bourgogne, Marie de Clèves, 14 ans, qui lui donnera trois enfants. Une belle histoire de famille !

« Ce Dauphin en son Dauphiné, c’est déjà le roi Louis. »362

Pierre CHAMPION (1880-1942), Louis XI (1927)

Né à Bourges en 1423, « petite fleur malingre au jardin de France », le futur Louis XI, pendant dix ans, administre soigneusement le Dauphiné : il y fait son apprentissage de roi, révélant déjà toutes les qualités de l’un des plus grands souverains de notre histoire. Mais quel fils pénible pour son père Charles VII qui a déjà eu beaucoup de problèmes avec sa mauvaise mère, Isabeau de Bavière !

« Il a reçu chez lui un renard qui mangera ses poules. »363

CHARLES VII (1403-1461), apprenant que son fils s’est réfugié chez le duc de Bourgogne, fin août 1456. Histoire de France (1833-1841), tome V (1841), Jules Michelet

Le roi connaît bien la perfidie de son fils… et le fils de Philippe, Charles le Téméraire, l’apprendra bientôt à ses dépens. Signalons que les fils comploteurs sont très rares, ce mauvais rôle étant surtout tenu par les frères de roi.

Philippe III le Bon, duc de Bourgogne, s’est réconcilié avec Charles VII en signant la paix d’Arras (1435). Maître de la Bourgogne, la Franche-Comté, la Flandre, l’Artois et les provinces belges, ce grand féodal est le plus puissant souverain d’Europe. Il est trop heureux d’accueillir somptueusement chez lui, à Louvain, puis à Bruxelles, le futur roi de France venu conspirer contre son père, et lui fait une pension annuelle de 36 000 livres.

« Monseigneur mon cousin, soyez le très bien venu. Il n’est homme au monde que j’eusse désiré voir autant que vous. Et loué soit Dieu de ce que nous sommes ici assemblés à cette bonne intention. »380

LOUIS XI (1423-1483), à Édouard IV d’Angleterre, Picquigny, 29 août 1475. Mémoires (1524), Philippe de Commynes

« Mon cousin » - parenté métaphorique entre souverains, même si les mariages royaux sont souvent endogamiques, voire consanguins. Affaires d’héritage, de diplomatie, voire de géopolitique (avant la lettre).

Louis XI parle en roi décidé à faire la paix avec l’ennemi de cent ans ! Mais les rapports franco-anglais restent tendus, malgré la fin des hostilités. Les populations côtières sont sans cesse sur le qui-vive, les corsaires des deux pays se rendant coup pour coup. Louis XI a soutenu Henri VI de Lancastre contre Édouard IV dans la guerre des Deux-Roses et il veut refaire le coup d’Édouard III qui déclencha la guerre de Cent Ans en revendiquant la couronne de France !

L’Anglais débarque à Calais (seule ville restée anglaise) le 6 juillet 1475, mais son entreprise tourne court, faute d’alliés sur le continent : Charles le Téméraire (son beau-frère) a d’autres soucis, face à tous ses voisins coalisés contre ses ambitions territoriales. La trêve entre Louis XI et Édouard IV est enfin signée à Picquigny (département actuel de la Somme). La France achète à prix d’or le retrait anglais. C’est le dernier acte officiel de la guerre de Cent Ans – le traité de paix ne sera jamais signé.

Renaissance et guerres de Religion (1483-1589).

« C’est la moins folle femme du monde, car de sage il n’y en a guère. »413

LOUIS XI (1423-1483). Les Arts somptuaires : histoire du costume et de l’ameublement, volume II (1858), Charles Louandre

Tel fut le jugement du roi mourant – et misogyne – sur sa fille aînée Anne, 22 ans, à qui il laisse la tutelle du royaume, le 30 août 1483. Charles VIII, fils de Louis XI, est tout juste majeur avec ses 13 ans et sans grande personnalité (il sera surnommé l’Affable).

Le jugement est sévère et le choix est bon. Anne de France, dame de Beaujeu – femme de Pierre de Bourbon, sire de Beaujeu, confident de Louis XI – va en fait gouverner la France (avec son époux) jusqu’en 1492 et mériter son surnom de Madame la Grande : intelligence et force de caractère lui permettent de continuer l’œuvre paternelle et d’affermir le royaume en ces temps difficiles, ainsi résumés par Michelet : « Telle était cette France : jouir ou tuer. »

« Si nous voulons avoir continuellement auprès de nous notre très chère et très aimée sœur la dame de Beaujeu et si nous prenons toute entière confiance en elle, personne ne s’en doit merveiller [étonner], vu que plus proche ne nous pourrait être par lignage ni plus fidèle par amitié. »418

CHARLES VIII l’Affable (1470-1498), Lettre à Louis d’Orléans, 30 janvier 1485. Essai sur le gouvernement de la Dame de Beaujeu : 1483-1491 (1970), Paul Pélicier

Cette réponse à son cousin lui est sans nul doute dictée par Anne et Pierre de Beaujeu. Louis d’Orléans prend alors la tête d’une révolte des nobles contre la régente. La Guerre folle commence, elle va durer trois ans.

« Je ne pensais pas qu’elle fût si laide ! »421

LOUIS d’ORLÉANS (1462-1515). Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Cri du cœur à la vue de sa femme entrant dans son cachot : c’est Jeanne de France, fille de Louis XI que ce dernier l’a contraint d’épouser (en 1476, elle avait 12 ans, il en avait 14). Elle est difforme, apparemment débile, sans doute stérile. Louis XI pensait ainsi éteindre la branche d’Orléans, toujours menaçante pour les Valois. Cela fait partie des nombreux « mariages forcés » de l’histoire. Ils font rarement le bonheur des époux.

Ce 28 juin 1491, Louis d’Orléans est depuis trois ans prisonnier du roi Charles VIII (et des Beaujeu). Devenu roi à la mort de Charles (1498), il épousera sa veuve (Anne de Bretagne) après avoir répudié Jeanne de France - elle se retire à Bourges pour fonder l’ordre de l’Annonciade.

« Les États généraux supplient très humblement le roi que […] il lui plût d’accorder le mariage de sa fille avec Monseigneur d’Angoulême, Monsieur François […] qui est tout François. »431

États généraux de Tours, 14 mai 1506. Histoire générale de la Champagne et de la Brie (1897), Maurice Poinsignon

Les États contestent avec raison le mariage projeté entre Claude de France (fille de Louis XII et d’Anne de Bretagne) et le petit-fils de Maximilien d’Autriche (futur Charles Quint). C’est le résultat du traité de Blois (1504), en échange de quoi Maximilien s’allie avec Louis XII pour servir ses ambitions italiennes (sur le Milanais). C’est aussi la conséquence de la haine opposant deux femmes : la reine Anne n’a nulle envie de donner sa fille et sa Bretagne à François (futur François Ier), fils de son ennemie personnelle Louise de Savoie.

La France risque gros avec ces querelles de famille et cette conception patrimoniale – encore très féodale – du royaume.

« Le roi, notre souverain seigneur justement baptisé « le Père du peuple » […] donne satisfaction à votre requête, il veut que le mariage se fasse de Madame Claude, sa fille, et de Monseigneur de Valois [d’Angoulême]. »432

Cardinal d’AMBOISE (1460-1510), États généraux, 16 mai 1506. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Paternité métaphorique et néanmoins capitale que nous retrouverons tout au long de l’Histoire, y compris sous la Révolution ! Premier ministre de Louis XII, honnête administrateur et sage conseiller qui fit beaucoup pour la popularité du roi, le cardinal prend la parole en son nom. Claude de France n’épousera pas le futur Charles Quint – ce qui aurait changé la suite de l’histoire de France. Et le mariage de François (héritier du trône tant que Louis XII est sans fils) avec Claude de France assurera le maintien de la Bretagne dans la suzeraineté française. C’est dire l’importance de cette union !

Pour l’heure, on n’en est qu’aux fiançailles – ratifiées par les États généraux – des deux cousins, un garçon de 12 ans avec une petite fille de 7 ans… Et Louis XII l’emporte sur sa femme Anne de Bretagne, lui qui veut « n’allier ses souris qu’aux rats de son grenier ». Aimable métaphore animale pour illustrer ces histoires de famille dont dépend toujours le destin de la France.

« Ce gros garçon gâtera tout. »435

LOUIS XII (1462-1515). Louis XII et François Ier ou Mémoires pour servir à une nouvelle histoire de leur règne (1825), Pierre Louis Rœderer

Ainsi parle-il de son cousin et successeur, le futur François Ier à qui il a fiancé sa fille Claude. Notons que même les bons rois avaient une fâcheuse tendance à dénigrer leur successeur – ainsi Louis XI le misogyne contestant l’évidente « sagesse » de sa fille Anne. Ici, l’exubérante et folle jeunesse du « gros garçon » doit effrayer le « Père du peuple ». La mort de la reine Anne (9 janvier 1514) va permettre la célébration de ce mariage qui la contrariait si fort.

Louis XII à peine veuf épousera la très jeune Marie d’Angleterre, sœur d’Henri VIII. Il ne profitera pas longtemps des charmes de cette troisième femme : il meurt le 1er janvier 1515. Le « gros garçon » va sitôt se révéler le très talentueux « Roi chevalier » - mais étonnamment attaché à sa mère. Encore une histoire de famille remarquée par les historiens.

« Et vous promets, Madame, que si bien accompagnés et si galants qu’ils soient, deux cents hommes d’armes que nous étions en défîmes bien quatre mille Suisses et les repoussâmes rudement, si gentils galants qu’ils soient, leur faisant jeter leurs piques et crier France. »439

FRANÇOIS Ier (1494-1547), Lettre à sa mère Louise de Savoie, au soir du 13 septembre 1515. Fin de la vieille France : François Ier, portraits et récits du seizième siècle (1885), C. Coignet

Son « César triomphant » lui conte par le menu la première partie de la bataille de Marignan. Les Suisses sont les alliés du duc de Milan : redoutables combattants, ils barrent l’accès de l’Italie en tenant les divers cols. Ces milices paysannes sont redoutées pour leurs charges en masses compactes, au son lugubre des trompes de berger. À Marignan, dans l’après-midi, ils ont dispersé la cavalerie et vont s’emparer de l’artillerie française quand François Ier, courageux et bien conseillé, prend le risque de charger. Le combat dure jusqu’au soir, l’épuisement est tel que les combattants qui ne sont pas morts tombent littéralement de sommeil sur place.

Le lendemain, appelés en urgence, les alliés vénitiens prennent les Suisses à revers, les obligeant à fuir pour se réfugier à Milan. Victoire totale, mais combat le plus meurtrier depuis l’Antiquité : cette « bataille de géants », selon témoins et chroniqueurs, est un carnage (selon les critères de l’époque) : 14 000 Suisses tués, 2 500 Français et Vénitiens.

« Et tout bien débattu, depuis deux mille ans, n’a point été vue une si fière ni si cruelle bataille […] Au demeurant, Madame, faites bien remercier Dieu par tout le royaume de la victoire qu’il lui a plu nous donner. »441

FRANÇOIS Ier (1494-1547), Lettre à sa mère Louise de Savoie, au soir du 14 septembre 1515. Mémoires contenant le discours de plusieurs choses advenues au royaume de France depuis l’an 1513 jusques au tresspas du Roy François I (1827), Martin Du Bellay (sieur de Langey), René Du Bellay (baron de La Lande)

Infatigable épistolier, le « César triomphant » rend compte à sa mère, par ailleurs régente quand il « s’en va-t-en guerre ». Femme de caractère, belle, intelligente, mais avide et intrigante, elle exerça sur son royal et adoré fils une influence politique souvent heureuse, parfois détestable. Au lendemain de cette victoire française, le traité de Fribourg, dit « de la Paix perpétuelle » (29 novembre 1516), est imposé aux cantons suisses de la Confédération helvétique. Et les Suisses vont devenir les plus sûrs mercenaires du royaume, restant au service des rois de France jusqu’à la Révolution.

« Tout est perdu, fors l’honneur. »453

FRANÇOIS Ier (1494-1547), Lettre à Louise de Savoie après la bataille de Pavie, 25 février 1525. Histoire de François Ier et de la Renaissance (1878), Eugène de la Gournerie

L’histoire a retenu cette citation « incontournable ». L’idée est juste, la forme exacte étant : « Madame, pour vous avertir comment se porte le ressort de mon infortune, de toutes choses ne m’est demeuré que l’honneur et la vie qui est sauve. »

Après chaque grande bataille, le roi écrit à sa mère, présentement régente et toujours fière de son « César triomphant ». Cette fois, c’est une défaite et même le pire désastre militaire du règne. Le roi, assiégeur devenu assiégé, donc piégé, est passé à l’assaut, courageux, mais brouillon et contre l’avis des vétérans qui l’entouraient. Piètre stratège, il a placé son artillerie, l’une des meilleures d’Europe, derrière sa cavalerie, lui ôtant toute efficacité.

Vaincu et prisonnier de Charles Quint, pour se libérer, il renonce – sur le papier – à toute prétention sur l’Italie, la Flandre et l’Artois ; il s’engage aussi à céder la Bourgogne à Charles Quint et à épouser sa sœur, Éléonore de Habsbourg (sa femme Claude étant morte en 1524). Enfin, il laisse en otage ses deux fils, François et Henri (futur Henri II), le 17 avril 1526. Les fils de roi devaient parfois tenir ce rôle ingrat.

« Je lis les histoires de ce royaume, et j’y trouve que de tous les temps, les putains ont dirigé les affaires des rois ! »479

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589) à Diane de Poitiers. Le Royaume de Catherine de Médicis (1922), Lucien Romier

Fille de Laurent II de Médicis, elle épousa le futur Henri II en 1533 et faillit être répudiée pour cause de stérilité pendant onze ans, avant de lui donner 10 enfants. La succession semblait bien assurée. Mais depuis 1538 et durant les douze années de règne d’Henri II, la reine est éclipsée par Diane de Poitiers. Ainsi les maîtresses ou favorites royales s’imposaient-elles à la cour, plus ou moins bien acceptées par les reines. Cette histoire de famille sort pourtant du lot !

Âgée de 48 ans en 1547 et de vingt ans l’aînée du roi, Diane fit son éducation à la cour, quand l’enfant de 11 ans rentra, après quatre années passées comme otage en Espagne (à la place de son père François Ier vaincu à Pavie). Influente et intrigante, elle reste sa favorite jusqu’à la fin, mais certains historiens doutent de la nature exacte de leur liaison.

« Mais comme un Roi chrétien est doux et débonnaire,
Et comme son enfant duquel il a souci,
Vrai père, aime son peuple et sa Noblesse aussi. »489

Pierre de RONSARD (1524-1585), Exhortation au camp du roi Henri II pour bien combattre le jour de la bataille

Ronsard est (depuis octobre 1558) aumônier ordinaire et conseiller du roi dont il est ami d’enfance. Prince des poètes, devenu poète des princes, il sera richement pensionné pour fournir la cour en poésies de circonstances – ce qui nuit quelque peu à son génie poétique. Notons la métaphore symbolique et récurrente qui fait du roi le père du peuple.

« Il n’était fils de bonne mère qui n’en voulût goûter. »493

Blaise de MONLUC (1502-1577), Commentaires (posthume)

Soldat à 16 ans sous les ordres du chevalier Bayard, servant sous quatre rois successifs avec sa fière devise « Deo duce, ferro comite » (« Dieu pour chef, le fer pour compagnon »), fait maréchal de France à 72 ans, couvert de gloire et de blessures, Monluc reste fidèle à la religion catholique et s’indigne en 1559 de voir les seigneurs de France embrasser le calvinisme. Ainsi Louis Ier, prince de Condé (futur chef du parti protestant contre les Guise) et trois neveux du connétable de Montmorency, le plus célèbre étant l’amiral Gaspard de Coligny (première victime de la Saint-Barthélemy).

Pour Monluc, militaire gascon pur et dur, tout protestant est un rebelle, un ennemi du roi : c’est pour cette trahison et non par fanatisme religieux qu’il participera à la répression, durant les guerres de Religion. Il s’en justifie dans ses Commentaires, « bible du soldat » selon Henri IV, document clair et précis sur l’histoire politique et militaire du XVIe siècle.

« Fille pire que sa mère, qui avait gâté son mari et infesté toute la maison de Vendôme. »494

PAUL IV (1476-1559), peu avant sa mort. Antoine de Bourbon et Jeanne d’Albret (1882), baron Alphonse de Ruble

Le pape parle de Jeanne d’Albret, fille de Marguerite de Navarre – sœur de François Ier qui protégea les artistes, les humanistes et les protestants. La nouvelle reine de Navarre entraîne son époux, le très indécis Antoine de Bourbon (duc de Vendôme) et son royaume de Navarre à suivre Calvin le protestant. Elle professe publiquement la nouvelle religion en 1560 et l’impose en 1567. Dans un couple royal, la femme est parfois la plus forte… Entre-temps, Antoine de Bourbon, nommé lieutenant général du royaume, se retrouve combattant avec les Guise, à la tête des armées catholiques.

« Dieu qui avait frappé le père à l’œil a frappé le fils à l’oreille. »496

Jean CALVIN (1509-1564). Charles IX (1986), Emmanuel Bourassin

Le « pape de Genève », chef religieux des réformés (protestants) de France, ne peut que se réjouir de cette malédiction divine de père en fils, faisant ainsi l’oraison funèbre de François II, mort à 16 ans d’une infection à l’oreille, le 5 décembre 1560 – un an et demi après Henri II, mort d’un œil crevé dans un tournoi.

Charles IX lui succède à 10 ans et sa mère Catherine de Médicis se retrouve régente. Protestants et catholiques semblent d’accord pour regretter que le pouvoir politique échappe aux hommes : « Ceux-là ont sagement pourvu à leur État qui ont ordonné que les femmes ne vinssent jamais à régner » selon Théodore de Bèze, le grand théoricien protestant rappelant la loi salique prévalant en France. Pour Fournier, prédicateur catholique de Saint-Séverin : « Ce n’est pas l’état d’une femme de conférer les évêchés et les bénéfices. La mère de Jésus-Christ se voulut-elle mêler de l’élection de saint Mathias ? » (élu pour être le douzième apôtre, à la place de Judas). La religion est aussi misogyne que la loi salique.

« Dieu m’a laissée avec trois enfants petits et un royaume tout divisé, n’y ayant aucun à qui je puisse entièrement me fier. »499

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), Lettre à sa fille Élisabeth, janvier 1561. Le Siècle de la Renaissance (1909), Louis Batiffol

(Élisabeth de France est reine d’Espagne par son mariage avec Philippe II qui l’a fait venir en sa cour, la destinant d’abord à son fils Don Carlos. C’est tout le drame de l’opéra Don Carlo, de Verdi).

Catherine de Médicis est notre première grande femme d’État. Après trente années d’effacement comme femme d’Henri II et quelques mois de ce qu’on appellerait aujourd’hui une grave dépression, la « veuve noire » n’a plus qu’une ambition : assurer le règne de ses fils dont la santé, minée par la tuberculose, justifiera de sombres prédictions.

Elle va manœuvrer entre les partis, intriguer avec les intrigants contre d’autres intrigants avec une habileté florentine et selon la devise de Louis XI : « Divide ut regnes. » Elle commence par renvoyer les Guise. Antoine de Navarre (protestant, mais sans vraie conviction) devient lieutenant général du royaume et catholique opportuniste. Michel de L’Hospital, promu chancelier, sera son principal ministre. La vraie religion de ce grand juriste est la tolérance. Mais le fanatisme aura raison de cette sage politique, après sept longues et terribles années de guerre civile.

« De là vient le discord sous lequel nous vivons,
De là vient que le fils fait la guerre à son père,
La femme à son mari, et le frère à son frère. »503

Pierre de RONSARD (1524-1585), Discours des misères de ce temps, Remontrance au peuple de France (1562)

Prince des poètes, devenu poète des princes, il est à présent protégé par Michel de L’Hospital. Le massacre de Wassy est l’acte I des grandes « misères de ce temps » qui inspirent ses Discours au patriotisme écorché vif et font de ce fervent catholique un auteur engagé.

Le 1er mars 1562, François de Guise et ses gens, revenant de Lorraine, voient des protestants au prêche dans la ville de Wassy – pratique interdite par l’édit de janvier. Ils foncent dans la foule au son des trompettes. Bilan : 74 morts et une centaine de blessés. C’est la « première Saint-Barthélemy » et les massacres de huguenots se suivent et se ressemblent dramatiquement à Sens et à Tours, dans le Maine et l’Anjou. Ainsi commence la première des huit guerres de Religion – trente-six années de guerre civile, presque sans répit, jusqu’à l’édit de Nantes signé par Henri IV (1598).

« Je veux de siècle en siècle au monde publier
D’une plume de fer sur un papier d’acier,
Que ses propres enfants l’ont prise et dévêtue,
Et jusques à la mort vilainement battue. »412

Pierre de RONSARD (1524-1585), Continuation du discours des misères de ce temps (1562)

Parenté symbolique, métaphore d’autant plus puissante en cas de malheur ! Le poète des célèbres Discours se jette dans la mêlée pour parler de la France en peine, en proie aux horreurs de la guerre civile qui ne fait pourtant que commencer. Fidèle à la foi catholique, il s’en prend aux protestants tenus pour responsables des troubles.

Après le beau XVIe siècle de la Renaissance et du rêve italien, la France des guerres de Religion sombre dans le cauchemar de l’anarchie, de la haine et du fanatisme : tous les Grands du royaume seront impliqués, beaucoup mourront en combattant ou assassinés – jusqu’au roi Henri III, en 1589.

« Sire, ce n’est pas tout que d’être Roi de France,
Il faut que la vertu honore votre enfance :
Un Roi sans la vertu porte le sceptre en vain,
Qui ne lui sert sinon d’un fardeau dans la main. »505

Pierre de RONSARD (1524-1585), L’Institution pour l’adolescence du Roi Très Chrétien (1562)

Le poète esquisse un plan d’éducation en alexandrins, puis passe à l’art de gouverner et aux devoirs d’un roi à peine âgé de 12 ans, dans une France déchirée par la guerre civile. Il adopte un ton de généreuse gravité et de sollicitude inquiète, qui tranche sur les vers galants et l’épicurisme de l’Ode à Cassandre (« Mignonne, allons voir si la rose… ») ou plus tard des Sonnets pour Hélène (« Quand vous serez bien vieille, le soir à la chandelle… »). Charles IX, tombé littéralement sous le charme de Ronsard, lui aménagera un appartement à l’intérieur de son palais.
D’autres grands noms des lettres seront préposés à l’éducation des princes ou dauphins et prendront cette tâche fort à cœur, comme Bossuet et Fénelon au XVIIe siècle.

« Si Monsieur le pape fait trop la bête, je prendrai moi-même Margot par la main et la mènerai épouser en plein prêche ! »519

CHARLES IX (1550-1574), 1er août 1572. Cité par Voltaire (Œuvres complètes) et au siècle suivant par Alexandre Dumas (La Reine Margot), entre autres sources

Le roi s’impatiente, le pape tardant à donner sa dispense pour le mariage de sa sœur avec Henri de Navarre, protestant. Il espère, comme son conseiller Coligny, que cette union sera gage de réconciliation après la paix de Saint-Germain qui mit fin à la troisième guerre de Religion. Mais ce mariage forcé va tourner à la tragédie historique.

La très belle et raffinée Marguerite de France (ou de Valois), 19 ans, est éprise du très ambitieux Henri, duc de Guise dit le Balafré, chef de file des catholiques et partisan de la guerre à outrance contre les protestants. La voilà donc forcée, et d’abord par sa mère Catherine de Médicis, d’épouser ce souverain d’un petit royaume, homme rustique et jovial, sentant le gousset (ail) et d’allure peu royale. Le mariage sera annulé en 1599 : pour défaut de consentement de la mariée et consanguinité (entre cousins). Ce mariage maudit va surtout déclencher la quatrième guerre de Religion, avec le massacre de la Saint-Barthélemy d’illustre mémoire.

« La fortune, qui ne laisse jamais une félicité entière aux humains, changea bientôt cet heureux état de triomphe et de noces en un tout contraire, par cette blessure de l’Amiral, qui offensa tellement tous ceux de la religion que cela les mit comme en un désespoir. »521

MARGUERITE de VALOIS (1553-1615), Mémoires

Son mariage devait sceller la réconciliation entre catholiques et protestants. Mais les chefs catholiques ne peuvent admettre qu’un protestant entre dans la famille royale. Et l’amiral de Coligny, artisan de ce mariage, est le premier visé.

« Mon Dieu, ma sœur n’y allez pas ! »522

Claude de FRANCE (1547-1575) à sa sœur Marguerite, 23 août 1572. Mémoires, Marguerite de Valois

La mariée s’apprête à aller rejoindre au lit son mari Henri de Navarre. Mais sa « sœur de Lorraine » (mariée au duc de Lorraine) craint pour sa vie, sachant le sinistre projet, le massacre prévu pour cette nuit. Dans la nuit du 23 au 24 août, le tocsin de Saint-Germain-l’Auxerrois appelle les milices bourgeoises et ameute la populace parisienne.

« En France, il ne peut exister deux rois. Mon frère, il est nécessaire que vous quittiez mon royaume pour chercher une autre couronne ; quant à moi, j’ai déjà l’âge de me gouverner. »537

CHARLES IX (1550-1574), à son frère Henri duc d’Anjou. Catherine de Médicis présente à Charles IX son royaume (1937), Pierre Champion

Querelle de jalousie entre frères, somme toute banale, mais au sommet de l’État, tout prend une dimension historique. Le roi de France n’aime guère ce frère, brillant à la guerre et fils préféré de leur mère. La monarchie étant devenue élective en Pologne, Catherine de Médicis a intrigué pour lui faire avoir cette couronne en mai 1573. Le futur Henri III préférerait rester en France et gouverner de loin sa Pologne, mais Charles IX semble trop heureux de cette raison pour le voir partir.

« Charles IX, près de sa fin, restant longtemps sans sonner mot, dit en se tournant, comme s’il se fût réveillé :
— Appelez-moi mon frère !
La reine mère envoie chercher le duc d’Alençon.
— Non, madame, je veux le roi de Navarre ; c’est celui-là qui est mon frère. »538

CHARLES IX (1550-1574), sur son lit de mort au château de Vincennes, le 30 mai 1574. Mot de la fin. Histoire de France au seizième siècle, La Ligue et Henri IV (1856), Jules Michelet

Charles IX préfère son beau-frère Henri de Navarre – le mari qu’il a voulu pour sa sœur la reine Margot – à son frère de sang, le duc d’Alençon, quatrième fils de Catherine de Médicis, atteint du même mal (tuberculose fréquente en cas de mariages royaux consanguins) qui emporte le jeune roi, deux ans après la Saint-Barthélemy.

« Je veux peindre la France une mère affligée,
Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée. »545

Agrippa d’AUBIGNÉ (1552-1630), Les Tragiques (1616)

Dans l’autre camp (protestant), il fait écho aux Discours de Ronsard, usant de la même métaphore patriotique de la France, mère déchirée entre ses deux enfants de religion opposée. Témoin à huit ans des horreurs de la guerre civile qui commence à déchirer le pays et jurant à son père calviniste de venger les pendus d’Amboise en 1560, il mourra à 78 ans, sous le règne de Louis XIII.  Combattant aussi farouche l’épée ou la plume à la main, il entreprend cette épopée de la foi en 1577 – long poème de sept livres, publié en 1616, quand le fond et la forme en apparaîtront totalement anachroniques. Cri de haine contre les catholiques, hymne à la gloire des protestants, chant d’amour à la France incarnée en femme.

Cette année 1577, la France vit sa sixième guerre de Religion. Parti catholique et parti protestant se sont également renforcés, structurés, au point que nul ne peut vraiment l’emporter. La paix de Bergerac ne sera que provisoire.

« Il y a bien de la besogne / À regarder ce petit roi
Car il a mis en désarroi / Toutes les filles de sa femme
Mais on sait que la bonne dame / S’en venge bien de son côté ! »547

Chanson populaire sur Henri de Navarre et la reine Margot (1579). Mémoires relatifs à l’histoire de France, Journal de Henri III (posthume), Pierre de l’Estoile

Après sept ans de mariage, tout ne va pas pour le mieux dans le couple. Le futur Henri IV reste aussi célèbre par sa galanterie que Margot par sa nymphomanie et sa séduction. « S’il y eut jamais une au monde parfaite en beauté, c’est la reine de Navarre. Toutes celles qui sont, qui seront et jamais ont été, près de la sienne sont laides et ne sont point beautés. » L’abbé et seigneur de Brantôme, devenu mémorialiste, lui rend ainsi hommage.

Histoire de famille compliquée ! La belle a été chassée de la cour de France par son frère Henri III – accusée d’intrigue avec leur frère François, le très ambitieux duc d’Anjou (ex-duc d’Alençon), allié contre la couronne à son mari Henri de Navarre, dans la cinquième guerre de Religion. Marguerite de France, reine de Navarre, tient désormais cour brillante à Nérac. La septième guerre de Religion (1579-1580), menée par Henri de Navarre et le maréchal de Biron, sera dite « guerre des amoureux », par allusion à la frivolité qui règne en cette cour ! Le traité de Nérac, signé le 28 février 1579 par Catherine de Médicis au nom du roi, mais non respecté par les protestants, relance la (huitième) guerre en 1584.

« Vous pouvez penser comme je suis malheureuse de tant vivre et de voir tout mourir devant moi, encore que je sache bien qu’il faut se conformer à la volonté de Dieu. »552

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589), Lettre à Bellièvre, 10 juin 1584. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Mère de dix enfants, elle n’en finit plus de porter leur deuil. François d’Anjou (ex-duc Alençon) meurt le 10 juin 1584, âgé de 30 ans. Éternel frustré de la famille, ambitieux et rebelle, très impopulaire, il a comploté à la tête du parti des Malcontents et ce n’est pas une grande perte pour le roi.

Mais Henri III n’a pas fait d’enfant à sa femme pourtant bien-aimée – malgré des rumeurs d’homosexualité. À sa mort, la couronne de France doit revenir à Henri de Navarre, chef du parti protestant. Nostradamus l’avait prédit : « Il aura tout l’héritage. » La perspective qui se précise d’un Henri IV protestant promu roi de France affole les Français catholiques et insupporte aux Guise. La Sainte Ligue en sommeil se réveille. La huitième (et dernière) guerre de Religion sera particulièrement longue et cruelle.

« C’est bien taillé mon fils ; maintenant il faut recoudre. »567

CATHERINE DE MÉDICIS (1519-1589) à Henri III, château de Blois, 23 décembre 1588. Dictionnaire des citations françaises et étrangères (1982), Robert Carlier

Le roi courut annoncer à sa mère l’assassinat de son pire ennemi, le duc de Guise. Cette façon d’éliminer ceux qui font obstacle au pouvoir de ses fils est bien dans ses mœurs florentines – et dans celles de l’époque. Mais à 70 ans et à quelques jours de sa mort (5 janvier 1589), la reine mère se fait-elle beaucoup d’illusions sur l’avenir de son dernier fils ?

Naissance de la monarchise absolue (1589-1643)

« Je me passerais mieux de dix maîtresses comme vous, que d’un serviteur comme lui. »647

HENRI IV (1553-1610), à Gabrielle d’Estrées, 1599. Dictionnaire historique, critique et bibliographique (1822), Louis Maïeul Chaudon

Sa belle maîtresse vient de se plaindre de Sully qu’elle appelle un « valet ». Maximilien de Béthune, baron de Rosny, duc de Sully (et bientôt premier au Conseil et pair de France), un de ses plus vieux compagnons de route, est déjà grand voyer de France (contrôlant toutes les voies de communication), superintendant des Fortifications et Bâtiments, grand maître de l’artillerie, chargé de l’agriculture, surintendant des Finances. Il s’acquitte de ses tâches avec autant de loyauté que d’efficacité… Mais Gabrielle d’Estrées est la plus aimée des femmes présentes. Henri IV projetait même, après annulation en cour de Rome de son mariage avec Marguerite de Valois, de l’épouser.

« Hâtez-vous de me faire ce fils, de sorte que je puisse vous faire une fille. »651

HENRI IV (1553-1610), Lettre à Henriette d’Entragues, marquise de Verneuil, 1601. Henri IV (1933), Georges Slocombe

À la mort brutale de Gabrielle d’Estrées (1599), il se dit inconsolable : « La racine de mon cœur est morte et ne rejettera [repoussera] plus. » Trois mois après, il tombe fou de la nouvelle favorite et lui écrit une promesse de mariage fort bien libellée, car il va se séparer de Margot, toujours sans enfant.

Ce que roi veut… Henriette accouche de ce fils et deux ans après, d’une fille. Entre-temps, et pour raison d’État, le roi a épousé Marie de Médicis, fille du grand-duc de Toscane, François de Médicis – grande famille patricienne de Florence et banquier de l’Europe depuis le Quattrocento. (Renaissance italienne au XVe siècle, années 1400 ou millequattrocento.)

« Je ne trouve ni agréable compagnie, ni réjouissance, ni satisfaction chez ma femme […] faisant une mine si froide et si dédaigneuse lorsqu’arrivant du dehors, je viens pour la baiser, caresser et rire avec elle, que je suis contraint de dépit de la quitter là et de m’en aller chercher quelque récréation ailleurs. »653

HENRI IV (1553-1610), Lettre à Sully. Lettres intimes de Henri IV (1876), Louis Dussieux

Marie de Médicis n’a certes pas le tempérament de la reine Margot, sa première femme ! Ce mariage florentin fut un sacrifice à la raison d’État – les rois ne se mariaient pas par amour, pour cela, ils avaient les maîtresses. La belle-famille est très riche et très catholique : deux raisons qui auraient dû faire de ce mariage une bonne affaire pour le roi de France. Il n’en est rien.

Quant à la vie privée du roi, elle justifie sa réputation de Vert Galant. La progéniture d’Henri IV est à l’image de sa vigueur amoureuse, exceptionnelle, et il légitime souvent ses enfants nés hors mariage – c’est le premier roi de France qui ose cela ! Quant au nombre de favorites, sur un temps de vie et de règne plus court, il bat largement nos deux autres grands amoureux, Louis XIV et Louis XV. On avance le nombre de 73.

« Monsieur l’Ambassadeur, avez-vous des enfants ? »658

HENRI IV (1553-1610). Dictionnaire encyclopédique d’anecdotes modernes, anciennes, françaises et étrangères (1872), Victor Fournel

Le dialogue est banal, c’est l’image qui frappe, souvent reproduite dans les livres d’histoire et qui perpétue dans la mémoire des écoliers le personnage du bon roi, père de famille : l’ambassadeur d’Espagne ouvre une porte et tombe sur Sa Majesté, marchant à quatre pattes, portant son fils (le Dauphin) sur son dos. « Monsieur l’Ambassadeur, avez-vous des enfants ? — Oui, Sire. — En ce cas, je peux achever le tour de la chambre. »

Le non-formalisme de la cour est typique de ce règne. On imagine mal Henri III dans cette situation, non plus que Louis XIII ou Louis XIV ! La présence des enfants à la cour est tout aussi remarquable. D’habitude, on les cache, ou on les déguise en petits adultes. Outre ses nombreux bâtards, Henri IV eut six enfants en dix ans de mariage avec Marie de Médicis : le Dauphin, futur Louis XIII, trois filles qui épouseront chacune un roi, un petit Nicolas de France mort à 4 ans, et Gaston d’Orléans, le frère redoutablement comploteur du futur roi.

« Vous ne traiteriez pas ainsi vos bâtards !
— Mes bâtards peuvent être à tout moment corrigés par le Dauphin, s’ils sont méchants, mais qui corrigera le Dauphin si je ne le fais moi-même ? »656

HENRI IV (1553-1610), répondant à Marie DE MÉDICIS (1575-1642). Les Rois qui ont fait la France, Henri IV (1981), Georges Bordonove

Scènes de ménage fréquentes entre les deux époux, les murs du palais (des Tuileries) en résonnent. Marie est jalouse des maîtresses du roi, fort généreux et galant avec toutes ces dames, alors qu’il a peu d’égard pour la reine.

Elle lui reproche ici de frapper avec sa canne le petit Dauphin (futur Louis XIII). Le bon roi n’hésite pas à jouer les pères Fouettard, « sachant bien qu’il n’y a rien au monde qui lui fasse plus de profit ; car étant de son âge, j’ai été fort fouetté ». Selon Jean Héroard, médecin du roi, le Dauphin est un enfant gai, à l’esprit vif, sachant prendre parti avec courage et d’une grande piété. Mais il remarque sa timidité devant les filles, ce qui n’est certes pas un héritage paternel.

« Priez Dieu, Madame, que je vive longtemps, car mon fils vous maltraitera quand je n’y serai plus. »657

HENRI IV (1553-1610), à Marie de Médicis. Les Rois qui ont fait la France, Henri IV (1981), Georges Bordonove

Sait-il que sa femme n’est pas étrangère à certains complots tramés autour de lui ? Cette phrase est en tout cas prémonitoire des relations entre la mère et le fils : une véritable guerre, au terme de laquelle Marie de Médicis perdra son pouvoir, ses amis, sa liberté, pour finir en exil.

« Je voudrais n’être point roi et que mon frère le fût plutôt : car j’ai peur qu’on me tue, comme on a fait du roi mon père. »663

LOUIS XIII (1601-1643), le soir du 14 mai 1610. Journal pour le règne de Henri IV et le début du règne de Louis XIII (posthume, 1960), Pierre de L’Estoile

L’enfant qui n’a pas 9 ans restera traumatisé à jamais par ce drame - sa mère est vraisemblablement compromise dans le dernier attentat qui coûte la vie à son père.

« Votre Majesté m’excusera. Les rois ne meurent point en France. »664

Nicolas Brulart de SILLERY (1544-1624), 14 mai 1610. Le Mercure français (1611), Jean Richier

Ainsi parle le chancelier devant le petit Louis XIII, cependant que la reine Marie de Médicis se lamente bien fort sur le corps du roi ramené au Louvre et que les conseillers la prient instamment d’agir « en homme et en roi ».

En juriste, Sillery rappelle un très ancien précepte de la monarchie française : « Le Roi de France ne meurt jamais », de sorte que le trône ne soit jamais vacant, d’où l’expression : « Le Roi est mort. Vive le roi ! »

« En 1619, on avait à grand bruit imprimé dans Le Mercure, pour la joie de la France, que le roi commençait enfin à faire l’amour à la reine. »676

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-septième siècle, Henri IV et Richelieu (1857)

La grande Histoire est faite aussi de ces petites histoires et le peuple se passionne pour les secrets d’alcôves royales dont dépend d’ailleurs l’avenir du pays. Anne d’Autriche « était arrivée à 13 ans. Et, pendant trois ans, son mari avait oublié qu’elle existât. » Il faudra encore vingt ans pour que naisse un enfant de cette union.

Le roi ne négligeait pas sa femme pour s’occuper de ses maîtresses, étant par nature, en cela comme en presque tout, bien différent de son père (Henri IV) et de son fils (Louis XIV) ! Son homosexualité n’est pas certaine, non plus que son impuissance, mais il préfère le commerce de ses favoris à celui des femmes.

« Mon Dieu, que vous êtes grandi ! »678

MARIE DE MÉDICIS (1575-1642), à Louis XIII, rappelée d’exil, 5 septembre 1619. L’Ancienne France : Henri IV et Louis XIII (1886), Paul Lacroix (dit Sébastien Jacob)

Terme provisoire à la première « guerre de la mère et du fils » : la reine mère reconnaît d’une certaine manière que le roi est bien Roi. Dans la nuit du 21 au 22 février 1619, elle s’est échappée de sa prison au château de Blois d’une manière rocambolesque, pour prendre la tête d’un soulèvement contre son fils ! Le traité d’Angoulême négocié par Richelieu apaise le conflit. Quelques mois plus tard, la mère repartira en guerre contre le fils, en ralliant les Grands du royaume…

Le roi n’aime pas sa mère et il a quelques raisons, mais il est assez intelligent pour comprendre que, tenue de force éloignée de la cour, elle ne cessera de comploter contre lui. Cette réconciliation et quelques autres sont négociées par le très habile Richelieu qui se rapproche ainsi du pouvoir.

« À Dieu ne plaise que l’adultère entre jamais en ma maison ! »680

LOUIS XIII (1601-1643), alors qu’on lui montre une jeune femme fort belle. La Revue de Paris, volume XVII (1910), Marc Le Goupils

À ce roi dont le mariage est un échec conjugal, à cet homme très pieux, sans doute peu porté sur les plaisirs de l’amour et plus enclin à s’entourer d’hommes, on ne prête qu’un seul amour véritable : Louise de La Fayette, aussi belle que spirituelle, fille d’honneur de sa femme Anne d’Autriche. On ne sort pas du « cercle de famille ». Le cardinal de Richelieu, qui a provoqué sa rencontre avec le roi en 1635, espère son aide pour influencer Louis XIII. Mais Louise refuse de mêler la politique à l’amour… et le cardinal la force à entrer au couvent de la Visitation, en 1637.

« Ne craignez rien. Je serai votre second contre tout le monde, sans en excepter mon frère. Mon honneur y est engagé. »708

LOUIS XIII (1601-1643), à Richelieu. Histoire de la vie de Louis XIII roi de France et de Navarre (1768), Richard de Bury

Gaston d’Orléans (Monsieur, frère du roi), présent dans tous les complots du règne, a fait irruption dans l’hôtel du cardinal, rue Saint-Honoré, et l’a violemment menacé. Il doit quitter le royaume le 30 janvier 1631. « Le mal que l’on vous fera, je le regarderai comme fait à moi-même et je saurai vous venger », promet le roi à son principal ministre d’État.

« Nous avons un Dauphin, / Le bonheur de la France,
Rions, buvons sans fin / À l’heureuse naissance. »725

Saint-Amant (1594-1661), La Naissance de Louis XIV (1638), chanson. Des chansons populaires chez les anciens et chez les Français (1867), Charles Nisard

La naissance d’un enfant royal est toujours une occasion de fêtes pour le peuple. Quand c’est un fils, attendu depuis plus de vingt ans, l’événement est salué par une explosion de joie, ce 5 septembre 1638 : « Ce n’était rien que jeux, feux et lanternes / On couchait dans les tavernes […] On fit un si grand feu / Qu’on eut en grande peine / À sauver la Samaritaine / Et d’empêcher de brûler la Seine. »

Et toujours chantant, le peuple prédit : « Lorsque ce Dieu-Donné / Aura pris sa croissance / Il sera couronné / Le plus grand roi de France. / L’Espagne, l’empereur et l’Italie, / Le Croate et le roi d’Hongrie / En mourront de peur et d’envie. »

« Ici rien pour la nature. Dieudonné est le fils de la raison d’État. »726

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome XIV (1877)

L’historien remet l’événement en perspective. La très longue stérilité du mariage de Louis XIII et d’Anne d’Autriche faisait craindre pour la succession, dans la monarchie héréditaire. « L’enfant apparut au moment où la mère se croyait perdue si elle n’était enceinte. Il vint exprès pour la sauver. » Le roi étant peu empressé auprès de la reine, les bonnes âmes murmurent les noms d’amants supposés (comme le comte de la Rivière). Un doute planera toujours sur la filiation entre Louis XIII le Juste et ce petit Dieudonné qui deviendra Louis XIV le Grand.

« Comment vous appelez-vous à présent ?
— Louis XIV, mon papa.
— Pas encore, mon fils, pas encore, mais ce sera peut-être pour bientôt. »739

LOUIS XIII (1601-1643), au futur roi qui n’a pas 5 ans, 21 avril 1643. Archives curieuses de l’histoire de France, depuis Louis XI jusqu’à Louis XVIII (1837), Félix Danjou

À peine âgé de 40 ans, le roi n’a plus que deux mois à vivre (tuberculose et maladie de Crohn). Mais sa piété lui enlève toute crainte. Fait assez rare dans l’histoire, son fils, l’heure et le jour venus (en 1715), fera preuve du même courage.

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