Au Panthéon ! Les Élu(e)s de la Patrie reconnaissante (1. Révolution) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante.2480

Inscription au fronton du Panthéon

La petite histoire mouvementée du Panthéon.

Le Panthéon (« Temple de tous les dieux » en grec ancien) a son histoire comme tout monument.

À l’origine église Sainte-Geneviève édifiée par Soufflot, le vaste sanctuaire est transformé en Panthéon destiné à recevoir les cendres des grands hommes sous la Révolution : après Mirabeau (vite dépanthéonisé), Voltaire et Rousseau en sont les premiers locataires. L’Empire rend le Panthéon au culte dans sa partie supérieure, mais la crypte accueille toujours les grands serviteurs de l’État, militaires, scientifiques, hommes politiques et autres : une « panthéonite galopante ». Avec la Restauration, l’église reçoit une nouvelle inscription en latin, hommage à sainte Geneviève, Louis XVI et Louis XVIII réunis. Sous la Monarchie de Juillet, le Panthéon redevient Panthéon et l’inscription reparaît, pour disparaître de nouveau à la fin de la Deuxième République, quand le bâtiment redevient église.

Depuis 1885 (à la mort d’Hugo) et jusqu’à nos jours, le Panthéon est définitivement Panthéon, temple accueillant les  grands hommes – dont quelques femmes.

La grande Histoire racontée par le Panthéon.

C’est l’intérêt principal et l’originalité de ce monument. À travers les entrées très sélectives, les nombreuses exclusions de principe dans le passé (femmes, personnages de couleur, étrangers) et les (rares) dépanthéonisations, une véritable mise en abyme de l’Histoire de France se joue de la Révolution à nos jours.

30 novembre 2021, la panthéonisation de Joséphine Baker est le meilleur des prétextes pour ce nouvel édito en quatre épisodes.

Préambule : le 30 novembre 2021, Joséphine Baker entre au Panthéon !

« J’ai deux amours : mon pays et Paris. »

J’ai deux amours, chanson, paroles de Géo Koger et Henri Varna, musique de Vincent Scotto

C’est le refrain fétiche de Joséphine Baker et jusqu’à la fin de sa vie, qu’elle entre en scène, sur un plateau de télévision,  dans un restaurant ou une boîte de nuit, l’orchestre se met aussitôt à jouer les premières mesures : « J’ai deux amours / Mon pays et Paris / Par eux toujours / Mon cœur est ravi / Ma savane est belle / Mais à quoi bon le nier / Ce qui m’ensorcelle / C’est Paris, Paris tout entier. »

Le Panthéon lui ouvre ses portes le 30 novembre 2021. Elle « coche toutes les cases » comme l’on dit : artiste populaire, star mondiale, femme libre, descendante d’esclave noire, bisexuelle assumée, naturalisée française, résistante triplement décorée, protectrice des animaux, mère de douze enfants adoptés et chacun d’ethnie différente… Sa vie est un feuilleton dont l’héroïne est douée de tous les talents, avec un sacré caractère et une énergie hors norme, dont elle a quand même abusé jusqu’à la limite de ses forces.

« Eh oui ! Je danserai, chanterai, jouerai, toute ma vie, je suis née seulement pour cela. Vivre, c’est danser, j’aimerais mourir à bout de souffle, épuisée, à la fin d’une danse ou d’un refrain. »

Joséphine BAKER (1906-1975), Les Mémoires de Joséphine Baker recueillies par Marcel Sauvage (1949)

Elle a tenu parole, ses dernières apparitions sont pathétiques, telle est sa (riche) nature ! Mais ce n’est pas la raison de sa panthéonisation et ses racines sont plus profondes. Elle nous donne la clé de l’énigme qu’est sa vie.

« Un jour j’ai réalisé que j’habitais dans un pays où j’avais peur d’être noire. C’était un pays réservé aux Blancs. Il n’y avait pas de place pour les Noirs. J’étouffais aux États-Unis. Beaucoup d’entre nous sommes partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça… Je me suis sentie libérée à Paris. »

Joséphine BAKER (1906-1975). Alliages culturels : la société française en transformation (2014), Heather Willis Allen, Sébastien Dubreil

Dans le Paris des Années folles, l’esthétique nègre est à la mode et la première exposition d’art nègre va influencer les artistes Fauves et Cubistes. Le peintre Fernand Léger conseille à l’administrateur du Théâtre des Champs-Élysées de monter un spectacle entièrement exécuté par des Noirs : la Revue nègre, vingt-cinq artistes dont douze musiciens parmi lesquels le trompettiste Sidney Bechet, et une danseuse de 19 ans à l’incroyable présence. Paul Colin crée l’affiche de la revue. Joséphine Baker y apparaît dans une robe blanche ajustée, poings sur les hanches, cheveux courts et gominés, entre deux noirs, l’un portant un chapeau incliné sur l’œil et un nœud papillon à carreaux, l’autre arborant un large sourire. Cette œuvre folklorique est l’une des grandes réussites de l’Art déco : les déformations cubistes rendent admirablement le rythme du jazz, nouveau en France à cette époque.

La « Vénus noire » est lancée en 1925 : elle a le diable au corps, vêtue d’une ceinture de plumes blanches, dansant  le charleston avec son partenaire Joe Alex. Scandale et succès immédiat. La salle affiche complet. Forte de sa renommée, Joséphine devient la meneuse des Folies Bergère en 1926 : les plumes laissent place à la ceinture de bananes. Encore plus provoquant. Le tout Paris des Années folles n’a plus que ce nom à la bouche : Joséphine Baker. D’autres artistes afro-américains vont séjourner en Europe : peintres, sculpteurs, poètes, romanciers trouvent à Paris le lieu où prolonger la « renaissance nègre » de Harlem et y apprécient une société libérale qui ignore la ségrégation.

« C’est la France qui m’a fait ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle. La France est douce, il fait bon y vivre pour nous autres gens de couleur, parce qu’il n’y existe pas de préjugés racistes. Ne suis-je pas devenue l’enfant chérie des Parisiens. Ils m’ont tout donné, en particulier leur cœur. Je leur ai donné le mien. Je suis prête, capitaine, à leur donner aujourd’hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez. »

Joséphine BAKER (1906-1975) à Jacques Abtey chef du contre-espionnage militaire à Paris qui la cite dans « Les Français Libres ». La Guerre secrète de Josephine Baker (1948), Jacques Abtey

Septembre 1939. Le capitaine Abtey est chargé de recruter des « Honorables Correspondants » susceptibles de se rendre partout sans éveiller les soupçons afin de recueillir des renseignements sur l’activité des agents allemands. Elle se présente à lui en toute simplicité, lors de leur première rencontre, villa Beau Chêne au Vésinet. Elle expliquera ensuite sa méthode pour faire passer des messages secrets : « C’est très pratique d’être Joséphine Baker. Dès que je suis annoncée dans une ville, les invitations pleuvent à l’hôtel. A Séville, à Madrid, à Barcelone, le scénario est le même. J’affectionne les ambassades et les consulats qui fourmillent de gens intéressants. Je note soigneusement en rentrant… Ces papiers seraient sans doute compromettants si on les trouvait. Mais qui oserait fouiller Joséphine Baker jusqu’à la peau ? Ils sont bien mis à l’abri, attachés par une épingle de nourrice (à son soutien-gorge). D’ailleurs mes passages de douane s’effectuent toujours dans la décontraction… Les douaniers me font de grands sourires et me réclament effectivement des papiers… mais ce sont des autographes ! »

Lors de son passage à Alger en 1943, le général de Gaulle, reconnaissant pour ses actions dans la Résistance, lui offre une petite Croix de Lorraine en or - qu’elle vendra aux enchères pour la somme de 350.000 francs au profit exclusif de la Résistance. Titulaire d’un brevet de pilote, pour masquer son engagement dans le contre-espionnage, elle rejoint les Infirmières Pilotes Secouristes de l’Air (IPSA) et accueille des réfugiés de la Croix Rouge.

À ses funérailles en 1975, c’est la première femme d’origine américaine à recevoir les honneurs militaires. Et le Panthéon ? Idée émise par l’écrivain Régis Debray dans une tribune du Monde, 16 décembre 2013. Son passé de résistante, sur lequel la Vénus noire fut toujours discrète, ainsi que son combat contre le racisme  beaucoup plus médiatisé, méritent de rester dans nos mémoires.

« Quelle importance y a-t-il à ce que je sois noire, blanche, jaune ou rouge ? (…) Dieu, en nous créant, n’a pas fait de différence. Pourquoi l’homme voudrait-il le surpasser en créant des lois auxquelles Dieu même n’a pas songé ? »

Joséphine BAKER (1906-1975), Discours du 28 décembre 1953 – Meeting de la LICA (Ligue internationale contre l’antisémitisme) (LICA) devenue en 1980 LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme)

Dans son château des Milandes (où elle perd tout l’argent gagné en tournées), elle est fière de sa « tribu arc-en-ciel ». Faute de pouvoir être mère, elle a adopté ses douze enfants, chacun d’une ethnie différente (coréen, finnois, français, japonais, ivoirien,  colombien, canadien, algérien, marocain, vénézuélien, juif français…).

Elle retourne aux USA en 1963 et participe à la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté organisée par Martin Luther King - elle prononce un discours, vêtue de son ancien uniforme de l’Armée de l’air française et de ses médailles de résistante. Tout le reste de sa vie, elle mettra sa popularité au service de ses idées inlassablement répétées : « Je combats la discrimination raciale, religieuse et sociale n’importe où je la trouve, car je suis profondément contre et je ne puis rester insensible aux malheurs de celui qui ne peut pas se défendre dans ce domaine. Du reste, je suis navrée d’être obligée de combattre car, à l’époque où nous vivons, de telles situations ne devraient pas exister. Je lutte de toutes mes forces pour faire abolir les lois existantes dans différents pays qui soutiennent la discrimination raciale et religieuse parce que ces lois font croire à ces citoyens qu’ils ont raison d’élever leurs enfants dans cet esprit. »

Bref, une belle personne, à tout point de vue, et bienvenue au Panthéon. Cet événement est pour nous l’occasion de vous présenter l’histoire du Panthéon, depuis les origines, à commencer par la Révolution française.

I. Révolution

Cette période unique en son genre nous étonnera toujours !

La première série de panthéonisations se fait dans un contexte hors norme, mélange de pagaille, panique, paranoïa et patriotisme poussés au paroxysme.

Au final, sur six candidats « nominé » pour bons et loyaux services à la nation, il n’en restera que deux élus… Paradoxe révolutionnaire, ils sont associés à l’Ancien Régime. Voltaire et Rousseau, frères ennemis du siècle des Lumières, se retrouvent contraints à cohabiter pour l’éternité.
Mirabeau et Marat, nouveaux héros de l’époque, portés au Panthéon dans l’enthousiasme, en seront jugés indignes et bientôt sortis.

Saint-Fargeau et Dampierre, deux personnages relativement inconnus et « nominés » dans l’élan, seront finalement perdants. Leur échec reflète le climat révolutionnaire exacerbé par la guerre civile et la guerre étrangère. Au-delà de l’anecdote, leur mésaventure donne le climat de l’époque et vaut d’être contée.

Danton vaut d’être cité : il rêvait de panthéonisation, mais après avoir eu quasiment tous les pouvoirs en 1792-1793, il est discrédité au point d’être mis en accusation et réussit à placer un dernier mot (improvisé ou préparé) dont ce grand orateur fut prodigue :

« Ma demeure sera bientôt dans le néant ; quant à mon nom, vous le trouverez dans le panthéon de l’Histoire. »1582

DANTON (1759-1794), réponse au Tribunal révolutionnaire lui demandant son nom et ses qualités, 2 avril 1794. Procès historiques, Le procès de Danton, Histoire et patrimoine [en ligne], ministère de la Justice.

1. MIRABEAU

« Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes. »1320

MIRABEAU (1749-1791), au marquis de Dreux-Brézé, salle du Jeu de paume, 23 juin 1789. Histoire de la Révolution française (1823-1827), Adolphe Thiers, Félix Bodin

Réponse au grand maître des cérémonies, envoyé par Louis XVI pour faire évacuer la salle du Jeu de paume, suite au Serment du 20 juin.

Le comte de Mirabeau, renié par son ordre et élu par le tiers, se révèle dès les premières séances de l’Assemblée : « Mirabeau attirait tous les regards. Tout le monde pressentait en lui la grande voix de la France » écrira Jules Michelet.  Victor Hugo lui-même est sensible à cette citation d’ailleurs célèbre – surtout replacée dans son contexte.

« ‘Allez dire à votre maître…’ Votre maître ! c ‘est le roi de France devenu étranger. C’est toute une frontière tracée entre le trône et le peuple. C’est la révolution qui laisse échapper son cri. Personne ne l’eut osé avant Mirabeau. Il n’appartient qu’aux grands hommes de prononcer les mots décisifs des grandes époques. »1321

Victor HUGO (1802-1885), Littérature et philosophie mêlées (1834)

L’auteur dramatique responsable de la « bataille d’Hernani » à la Comédie-Française a le sens du mot et ne peut que saluer l’auteur de cette réplique : « Allez dire à votre maître… » L’iconographie de l’époque (gravures et tableaux contemporains) témoigne de la portée symbolique de cette scène – ce qu’on appellerait aujourd’hui son « impact médiatique ». Et la postérité l’a rendue immortelle.

« L’histoire n’a trop souvent raconté les actions que de bêtes féroces parmi lesquelles on distingue de loin en loin des héros. Il nous est permis d’espérer que nous commençons l’histoire des hommes, celle de frères nés pour se rendre mutuellement heureux. »1324

MIRABEAU (1749-1791), Assemblée nationale, 27 juin 1789. Discours et opinions de Mirabeau, précédés d’une notice sur sa vie (1820)

Autre qualité propre à la première star du temps et en cela aussi  remarquable : l’Orateur du peuple fait de la fraternité l’invention majeure de la Révolution – priorité sera plus souvent donnée à la liberté et l’égalité. Il affiche cette conscience de vivre un moment historique, avec un formidable optimisme – le bonheur est à l’ordre du jour.

« Madame, la monarchie est sauvée. »1368

MIRABEAU (1749-1791), à la reine, Château de Saint-Cloud, 3 juillet 1790. Mémoires sur Mirabeau et son époque, sa vie littéraire et privée, sa conduite politique à l’Assemblée Nationale, et ses relations avec les principaux personnages de son temps (posthume, 1824)

Introduit à la cour par son ami le prince d’Arenberg et conscient de l’incompétence du roi Louis XVI, il a enfin réussi à persuader la reine Marie-Antoinette par son éloquence : il veut sauver la monarchie.

Une question se pose, sans réponse des historiens : Mirabeau croit-il vraiment que la monarchie peut être sauvée ? Cet homme si bien informé de tout s’illusionne-t-il encore sur les chances d’un régime condamné… mais qui peut du moins le sauver de ses créanciers ? En tout cas, une certitude : le premier héros (… et héraut) de la Révolution cherchait secrètement à sauver la monarchie !

« Mon ami, j’emporte avec moi les derniers lambeaux de la monarchie. »1384

MIRABEAU (1749-1791), à Talleyrand, fin mars 1791. Son « mot de la fin politique ». Souvenirs sur Mirabeau et sur les deux premières assemblées législatives (1832), Pierre Étienne Louis Dumont

Talleyrand est venu voir le malade, juste avant sa mort (2 avril). Certains députés, connaissant son double jeu et son double langage entre le roi et l’Assemblée, l’accusent de trahison – le fait sera prouvé en novembre 1792, quand l’armoire de fer où le roi cache ses papiers compromettants révélera ses secrets.

Pour l’heure, Mirabeau, l’Orateur du peuple, la Torche de Provence, premier personnage marquant de la Révolution, est logiquement le premier des “grands hommes” à connaître les funérailles nationales et les honneurs du Panthéon, en date du 5 avril 1791. Le peuple a littéralement pris le deuil de son grand homme panthéonisé.

Notons que Rivarol avait déjà rectifié l’image avec cet humour qui le caractérise : « Mirabeau (le comte de). – Ce grand homme a senti de bonne heure que la moindre vertu pouvait l’arrêter sur le chemin de la gloire, et jusqu’à ce jour, il ne s’en est permis aucune. » Dans le même esprit, rappelons cet autre mot : « Mirabeau est capable de tout pour de l’argent, même d’une bonne action » (Petit Dictionnaire des grands hommes de la Révolution, publié en 1790).

« Votre Comité vous propose d’exclure Mirabeau du Panthéon français, afin d’inspirer une terreur salutaire aux ambitieux et aux hommes vils dont la conscience est à prix. »

Choix de rapports, opinions et discours prononcés à la Tribune nationale de 1789 jusqu’à nos jours. Volume 13 (1820)

Le 5 frimaire de l’an II (25 novembre 1793), les conclusions du Comité d’instruction publique tenu devant la Convention sont sans appel. Exit Mirabeau.

Moralité de l’Histoire, fort bien vue par Tocqueville, historien du XIXe siècle : « Il n’est pas de grands hommes sans vertu ; sans respect des droits il n’y a pas de grand peuple. » De la démocratie en Amérique (1835).

La dépouille du tribun autrefois adulé fait l’objet d’un châtiment posthume exemplaire : le 21 septembre 1794, Mirabeau est remplacé par Marat, l’Ami du peuple. Le séjour du député montagnard sera plus court encore :  moins de cinq mois. L’Histoire s’emballe à un rythme fou. Voltaire va bénéficier de cet engouement, sans pâtir par la suite du retournement de l’opinion publique.

2. VOLTAIRE

« Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent. »1023

VOLTAIRE (1694-1778), Zadig ou la destinée (1747)

Ainsi parle Zadig, « celui qui dit la vérité », alias Voltaire.

Quand la Révolution va mettre au Panthéon le grand homme, sur son sarcophage qui traverse Paris le 11 juillet 1791, on lit ces mots : « Il défendit Calas, Sirven, La Barre, Montbailli. » Plus que le philosophe réformateur ou le théoricien spéculateur, la Révolution honore l’« homme aux Calas », l’infatigable combattant pour que justice soit faite.

Dans son Dictionnaire philosophique et en divers essais, Voltaire s’est battu pour une réforme de la justice, il a dénoncé les juges qui achètent leurs charges et n’offrent pas les garanties d’intelligence, de compétence et d’impartialité, se contentant de présomptions et de convictions personnelles. Il réclamait que tout jugement soit accompagné de motifs et que toute peine soit proportionnelle au délit. C’était loin d’être la règle sous l’Ancien Régime et l’histoire marque un incontestable progrès en ce domaine !

« Je sème un grain qui pourra produire un jour une moisson. »1176

VOLTAIRE (1694-1778), Traité sur la tolérance (1763)

Il écrit ce traité pour Calas (déjà mort) et pour que justice soit rendue. Il ajoute : « Attendons tout du temps, de la bonté du roi, de la sagesse de ses ministres, et de l’esprit de raison qui commence à répandre partout sa lumière. »

Deux ans après, multipliant les protestations et faisant jouer ses relations, il obtient la réhabilitation de Calas ! Les mêmes mots se retrouvent alors dans ses Lettres, avec cette conclusion : « Il y a donc de la justice et de l’humanité chez les hommes. » Le Grand Conseil, le 9 mars 1765, à l’unanimité des quarante juges, s’est prononcé en faveur du négociant protestant, victime d’une des plus graves erreurs judiciaires du siècle. Au terme de trois ans de lutte, c’est une victoire personnelle du philosophe et le triomphe de la justice sur des institutions judiciaires souvent incompétentes, d’autant plus partiales dans ce cas que l’accusé n’était pas de religion catholique !

L’auteur va continuer de s’engager dans les grandes affaires de son temps. À 60 ans passés, Voltaire sait abandonner une œuvre en cours pour sauver un innocent, ou du moins sa mémoire. Alors que Rousseau, auteur de l’Émile, traité révolutionnaire sur l’éducation, abandonne à l’Assistance publique les cinq enfants qu’il fit à une servante illettrée.

« Quelle foule pour vous acclamer !
— Hélas, elle serait aussi nombreuse pour assister à mon supplice. »1228

VOLTAIRE (1694-1778), 30 mars 1778. Voltaire (1935), André Maurois

Le patriarche de Ferney, de retour à Paris âgé de 84 ans, est reçu comme un roi, fêté à l’Académie, statufié à la Comédie-Française (avec son buste sur la scène) et ovationné pour sa dernière tragédie, Irène (aujourd’hui injouable). Certes sensible à cette gloire, le vieil homme n’est pas tout à fait dupe.

Mais il ne pouvait prévoir la suite : la Révolution qu’il pressentait mais ne souhaitait pas vraiment va faire de lui son héros, pour ses luttes citoyennes… et jouer ses injouables tragédies.

« Les mortels sont égaux, ce n’est pas la naissance
C’est la seule vertu qui fait la différence. »1029

VOLTAIRE (1694-1778), Mahomet ou Le Fanatisme (1741)

Ces deux vers seront « la citation reine de la Révolution » (Mona Ozouf).

Pour les révolutionnaires, tout n’est pas bon à prendre chez ce courtisan porté à l’hédonisme et fort peu enclin à la démocratie, l’égalité sociale, la révolution du genre « table rase ». Cela dit, on met volontiers Voltaire en slogans, prenant de-ci de-là, dans des tragédies aujourd’hui oubliées, quelques vers bien frappés, sonores comme des médailles : « Je porte dans mon cœur / La liberté gravée et les rois en horreur. » Ou encore : « Si l’homme a des tyrans, il doit les détrôner. » Et dans le même esprit : « À tous les cœurs bien nés, que la patrie est chère. » On ne citerait pas ainsi Montesquieu ou Rousseau, auteurs de systèmes plus cohérents sur le fond et pesants dans leur forme.

La (première) panthéonisation ne tarde pas. Le 30 mai 1790, douze ans après la mort de Voltaire et non sans débats, l’Assemblée nationale décrète que « ses cendres seront transférées de l’église de Romilly à celle de Sainte-Geneviève à Paris », autrement dit le Panthéon. Les révolutionnaires veulent donner le plus grand lustre à la cérémonie. Le peintre officiel Jacques-Louis David est chargé de la mise  en scène, le poète Marie-Joseph Chénier (auteur du Chant du départ et frère d’André, bientôt guillotiné) écrit un hymne et le compositeur officiel François-Joseph Gossec mettra tout cela en musique.

Le transfert est programmé pour le 11 juillet 1791. Dès le 6, le catafalque quitte Romilly escorté par la Garde nationale. Tout au long du parcours, le peuple se presse et acclame la dépouille du philosophe. Le cortège parvient à Paris le 10, accueilli par le maire, Bailly. On s’arrête à la Bastille, sur l’emplacement de la forteresse démantelée où l’impertinent Voltaire fut lui-même enfermé sur lettre de cachet, soixante ans auparavant.

Le lendemain, un cortège solennel emmené par les élèves des Beaux-Arts tenant un buste couronné de Voltaire et  accompagnés d’une foule bigarrée, part en direction de la colline Sainte-Geneviève. On passe sur les actuels Grands Boulevards pour s’arrêter devant l’Académie de musique. On descend jusqu’aux Tuileries, sous le nez de Louis XVI prisonnier après sa fuite à Varennes. On traverse la Seine et on s’arrête à nouveau sous un arc de verdure d’où descendent des roses, devant l’hôtel de Villette, sur l’actuel quai Voltaire – on voit aujourd’hui la plaque rappelant qu’il y vécut et y mourut. La marquise de Villette, hôtesse des lieux, fameuse « belle et bonne » de Voltaire qui la considérait comme sa fille et l’avait sortie du couvent, s’avance très émue avec sa petite fille et ceint le buste d’une « couronne civique » avant de l’enlacer sous les acclamations. On passe ensuite devant l’ancienne Comédie-Française, rue des Fossés Saint-Germain où une autre inscription dit : « À 17 ans, il fit Œdipe. » Devant le théâtre de la Nation, devenu théâtre de l’Odéon, une affiche lui répond : « Il fit Irène à 83 ans. » On arrive enfin au Panthéon, cette église Sainte-Geneviève où l’on ne voit ce jour- là aucun membre du clergé… Voltaire y repose toujours, grand homme qui a bien mérité la reconnaissance de la Patrie. Son épitaphe vaut la peine d’être citée, pour un mot qui peut étonner.

« Il combattit les athées et les fanatiques
Il inspira la tolérance
Il réclama des droits de l’homme contre la servitude et de la féodalité. »

Épitaphe entourée de deux anges sur le tombeau en pierre de Voltaire

C’est l’occasion de rétablir une vérité parfois méconnue. Voltaire était déiste fervent : « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. » Épîtres. Il s’oppose aux encyclopédistes athées (Diderot, d’Holbach). Il croit à « l’éternel géomètre », l’« architecte du monde » : « L’univers m’embarrasse et je ne puis songer / Que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger. » Il trouve par ailleurs une grande utilité à Dieu qui fonde la morale : « Je veux que mon procureur, mon tailleur, mes valets croient en Dieu ; et je m’imagine que j’en serai moins volé. » Mais il s’en prend à la religion qui crée l’intolérance et en France, au catholicisme qui bénéficie de l’appui du pouvoir civil.

Dernière originalité : le cœur de Voltaire (parfaitement authentifié) repose à la Bibliothèque nationale, après un long parcours et un séjour dans son château de Ferney.

3. Louis-Michel LEPELETIER, marquis de SAINT-FARGEAU

« Tout citoyen devra porter le nom de sa famille réduit à sa plus simple portion. ».

Louis-Michel LEPELETIER, marquis de SAINT-FARGEAU (1760-1793). Loi du 21 juin 1790

En vertu de quoi nombre de ses confrères feront disparaître la particule de leur patronyme, à commencer par Maximilien (de) Robespierre, né dans la bourgeoisie provinciale d’Arras, mais qui se veut l’avocat du peuple, et d’Anton désormais devenu Danton, le marquis de Saint-Fargeau s’efforçant de n’être plus que Michel Lepeletier.

Avocat du roi en 1777, député de la noblesse aux États généraux de Paris en 1789, il n’hésite pas longtemps avant de renier ses origines pour devenir avec enthousiasme l’avocat de la cause du peuple à la Constituante. Pas éligible à la Législative qui ne veut que des hommes nouveaux, mais élu à la Convention le 21 septembre 1792, il rejoint les Montagnards, se distinguant par des projets de loi réellement républicains et révolutionnaires, notamment dans le domaine de l’éducation.

« Depuis l’âge de cinq ans jusqu’à douze pour les garçons, et jusqu’à onze pour les filles, tous les enfants sans distinction et sans exception seront élevés en commun, aux dépens de la République ; et tous, sous la sainte loi de l’égalité, recevront mêmes vêtements, même nourriture, même instruction, mêmes soins. »

Louis-Michel LEPELETIER, marquis de SAINT-FARGEAU (1760-1793). « Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau : l’oublié des journées des 20 et 21 janvier 1793 » (2015), Matthieu Bertozzo, Revue générale du droit

Autrement dit, de cinq à douze ans, les enfants devaient appartenir à l’État et non plus aux parents afin de « donner une éducation vraiment et universellement nationale ». Solution radicale.

Cela fait partie de son plan d’éducation dans son discours posthume, prononcé par Robespierre à la Convention le 13 juillet 1793. Il défend par ailleurs un monopole d’État sur l’instruction du premier degré, financé par tous avec la progressivité de l’impôt. Persuadé à juste titre que la collectivité tout entière retirerait profit de l’instruction de la population, il estime fondé en justice d’exiger des « contributions » inégales au nom de l’équité fiscale : « Le pauvre met très peu, le riche met beaucoup ; mais lorsque le dépôt est formé, il se partage ensuite également entre tous ; chacun en retire même avantage, l’éducation de ses enfants. »

Son plan d’éducation sera voté le 13 août 1793 par la Convention, mais pas exécuté. Nombre de ses idées se retrouveront au XIXe siècle dans la politique de Jules Ferry, à commencer par l’éducation gratuite et obligatoire qui enlevait aux familles paysannes les enfants travaillant aux champs – réalité pas toujours comprise à l’époque !

« J’ai voté selon ma conscience. »

Louis-Michel LEPELETIER, marquis de SAINT-FARGEAU (1760-1793), 20 janvier 1793. Opinion de L. M. Lepeletier, sur le jugement de Louis XVI, ci-devant Roi des François, publié par l’Imprimerie nationale

Opposé à la peine de mort en tant qu’avocat de métier et non sans avoir hésité en son âme et conscience, il se ravise (comme son confrère Robespierre) et vote la mort de Louis XVI, le 20 janvier 1793.

Le soir même, soupant dans un restaurant du Palais-Royal, il est apostrophé publiquement par Philippe Nicolas Marie de Pâris, ex « chevalier du poignard » (autrement dit ancien garde du roi) : « C’est toi, scélérat de Lepeletier, qui as voté la mort du roi ? » D’où sa réponse, en conscience.
Pâris lui enfonce alors son épée dans le côté en lançant : « Tiens, voilà pour ta récompense », avant de s’enfuir. Gravement blessé, le député régicide de 33 ans meurt le soir du 20 janvier, quelques heures avant l’exécution du roi. 

La récupération politique de sa mort va servir de répétition générale au culte des « héros révolutionnaires tombés pour l’exemple » dont Marat sera quelques mois plus l’art l’archétype.

« Citoyens, voici votre fille ! Enfant, voici tes pères ! »;

ROBESPIERRE (1758-1794) à la tribune de la Convention, parlant de Suzanne Lepeletier, fin janvier 1793. Une fête en larmes (2005), Jean d’Ormesson

Jean d’Ormesson, notre académicien le plus amateur de citations, ne pouvait rater cette « perle » dont il devait être fier, étant lui-même l’un des descendants de cet authentique aristocrate révolutionnaire !

Le contexte est théâtral : Robespierre a pris l’enfant dans ses bras et présente aux députés la première « Pupille de la nation » : occasion unique pour cet orateur connu par son implacable rhétorique et ses tirades doctrinales d’avoir soudain un « mot d’auteur » en situation et venu du cœur.
Les funérailles eurent lieu Place Vendôme, le 24 janvier 1793. La cérémonie, mise en scène par le peintre David, fut  grandiose. L’artiste officiel peignit la fin tragique sous le titre « Les Derniers moments de Michel Lepeletier ou Lepelletier de Saint-Fargeau sur son lit de mort  ». Le tableau porte aux angles les mots : « Premier martyr de la liberté ». Exposé dans la salle de la Convention nationale où devait le rejoindre plus tard son pendant, La Mort de Marat, c’est le premier tableau achevé de la Révolution, œuvre capitale d’un point de vue iconographique et d’une grande modernité, conçue pour un public à l’échelon national. Que Lepeletier ait été assassiné un 20 janvier, jour de la saint Sébastien, a favorisé son interprétation, entre autres, comme saint Sébastien révolutionnaire - manière de laïciser une imagerie chrétienne séculaire, en s’inspirant de modèles romains chers à l’époque.

Sur proposition du conventionnel Barère, on décréta que le corps reposerait au Panthéon… Mais les événements historiques se bousculent, le décret de la Convention fut rapporté le 8 février 1795 et le corps finalement retiré de l’édifice sous le Directoire, pour être rendu à sa famille et finalement transféré dans la chapelle du château de Saint-Fargeau.

Le marquis fut ainsi la victime collatérale de la Réaction thermidorienne violemment antijacobine qui suivit le coup d’État et la mort de Robespierre.

4. Marquis de DAMPIERRE

« Avez-vous vu ce fou avec ses manières prussiennes ? »,

LOUIS  XVI (1754-1793) à M. de Gontaut-Biron, commandant des gardes françaises. Les Généraux de la Révolution (1792-1804) : Portraits militaires (1892), Joachim Ambert

Né en 1756 dans une famille de militaires, officier dans les gardes françaises, le jeune marquis de Dampierre étudie la tactique prussienne à Berlin et admire le roi Frédéric II. L’admiration tourne à la passion. De retour en France, il parut à une revue du roi avec le chapeau à la prussienne, la longue queue de cheval et la raideur des soldats de Postdam. Louis XVI le remarqua et commenta la chose en ces termes… Il n’en fallait pas plus pour briser une carrière. Toute la cour, les ministres, les généraux les gens en place et les solliciteurs d’emplois s’empressèrent de répéter le mot, pour le plaisir de faire mal.

Richissime, Dampierre se retire sur ses terres mais reprend du service à la Révolution. Il s’illustre à Valmy, devient célèbre à Jemappes. Courageux et souvent téméraire, il commet des erreurs tactiques. Il remplace Dumouriez qui a trahi, il tente de reprendre Valenciennes aux Autrichiens, mais meurt des suites d’une grave blessure (jambe arrachée par un boulet de canon). Il avait 36 ans.

Quelques mois après, il « reçoit les honneurs du Panthéon », autrement dit, il se retrouve dans l’antichambre de la gloire posthume, mais il est suspect à certains députés de la Convention, à commencer par le redoutable Couthon, homme de pouvoir et de grande influence.

« Il n’avait manqué à Dampierre que quelques jours pour trahir son pays. »

Georges COUTHON (1755-1794) à la tribune de l’Assemblée. Biographie nouvelle des contemporains ou Dictionnaire historique et raisonné de tous les  hommes qui, depuis la Révolution française, ont acquis de la célébrité par leurs actions, leurs écrits, leurs erreurs ou leurs crimes, soit en France, soit dans les pays étrangers (1825), Antoine Vincent Arnault

Co-créateur du Tribunal révolutionnaire et membre actif du Comité de salut public avec Robespierre et Saint-Just, Couthon fait régner la Terreur avec un zèle sans pitié : « Le délai pour punir les ennemis de la patrie ne doit être que le temps de les reconnaître ; il s’agit moins de les punir que de les anéantir… Il n’est pas question de donner quelques exemples, mais d’exterminer les implacables satellites de la tyrannie ou de périr avec la République. » Il finira guillotiné avec eux le 10 juillet 1794 (lendemain du coup d’état de Thermidor).

Mais Dampierre n’ira pas au Panthéon. Modeste consolation, depuis 1868, la rue Dampierre porte son nom (dans l’actuel 19e arrondissement de Paris).

5. Jean-Paul MARAT

« Il y a une année que cinq ou six cents têtes abattues vous auraient rendus libres et heureux. Aujourd’hui, il en faudrait abattre dix mille. Sous quelques mois peut-être en abattrez-vous cent mille, et vous ferez à merveille : car il n’y aura point de paix pour vous, si vous n’avez exterminé, jusqu’au dernier rejeton, les implacables ennemis de la patrie. »1380

MARAT (1743-1793), L’Ami du peuple, décembre 1790. Histoire politique et littéraire de la presse en France (1860), Eugène Hatin

Déjà populaire auprès du petit peuple parisien, mais détesté de toute la classe politique, Marat joue au « prophète de malheur » dans le journal quotidien qu’il publie et qui est pour l’heure sa seule tribune. Ici, c’est un véritable appel au meurtre, alors que la guillotine n’est pas encore entrée en scène et que la Terreur est une notion inconnue.

« C’est par la violence que doit s’établir la liberté, et le moment est venu d’organiser momentanément le despotisme de la liberté pour écraser le despotisme des rois. »1495

MARAT (1743-1793), L’Ami du peuple, 13 avril 1793. La Révolution française (1989), Claude Manceron, Anne Manceron

Dans son journal presque quotidien et très populaire, il justifie le Tribunal révolutionnaire qu’il a contribué à rendre plus expéditif, pour s’opposer à la contre-révolution qu’il dénonce au sein même de la Convention nationale : « Levons-nous, oui, levons-nous tous ! Mettons en état d’arrestation tous les ennemis de notre Révolution et toutes les personnes suspectes. Exterminons sans pitié tous les conspirateurs, si nous ne voulons pas être exterminés nous-mêmes. »

Plus encore que la rhétorique et la rigueur d’un Robespierre, ce genre de phrase et le personnage de Marat révoltent les modérés. On parlerait aujourd’hui et sans exagération de « paranoïa ». Hugo écrit, dans son roman Quatre-vingt-treize : « Les siècles finissent par avoir une poche de fiel. Cette poche crève. C’est Marat. »

Trop, c’est trop ! Et l’accusateur se retrouvera bientôt accusé, devant le Tribunal révolutionnaire. Mais sa popularité est telle auprès du peuple qu’il est pratiquement intouchable et porté par la foule, il retrouve sa place à l’Assemblée. C’est Charlotte Corday, jeune normande digne du grand Corneille dont elle descend, qui « monte » à Paris pour poignarder Marat dans sa baignoire – souffrant d’une maladie de peau qui contribuait à sa laideur repoussante, il n’éprouvait de soulagement qu’au contact de l’eau.

« Marat pervertissait la France. J’ai tué un homme pour en sauver cent mille, un scélérat pour sauver des innocents, une bête féroce pour donner le repos à mon pays. J’étais républicaine bien avant la Révolution. »1522

Charlotte CORDAY (1768-1793), à son procès devant le Tribunal révolutionnaire, 17 juillet 1793. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

En un jour, la jeune fille devient une héroïne et reste l’une des figures de la Révolution. Le poète André Chénier la salue par ces mots : « Seule, tu fus un homme », ce qui contribuera à le perdre. Le député de Mayence, Adam Lux, qui la vit dans la charrette l’emmenant à l’échafaud, s’écria : « Plus grande que Brutus », et ce mot lui coûta la vie.

Lamartine la baptise l’Ange de l’assassinat et Michelet retrouve les accents qu’il eut pour Jeanne d’Arc : « Dans le fil d’une vie, elle crut couper celui de nos mauvaises destinées, nettement, simplement, comme elle coupait, fille laborieuse, celui de son fuseau. »

Mais pour les sans-culottes de Paris qui lui vouent un véritable culte, c’est un héros qu’il convient d’honorer.

« Ici repose Marat, l’Ami du Peuple, assassiné par les ennemis du peuple, le 13 juillet 1793. »1520

Épitaphe sur la tombe de Marat. Marat, l’ami du peuple (1865), Alfred Bougeart

Double rappel : son journal s’intitulait L’Ami du peuple et l’homme haï (et redouté) de ses confrères était idolâtré des sans-culottes. Sa gloire posthume fut éclatante, mais brève.

Le 25 juillet 1793, la rue des Cordeliers, où a été assassiné Marat à son domicile, est baptisée rue Marat, en même temps que l’on renomme la rue de l’Observance : place de l’Ami du Peuple. De nombreuses manifestations eurent lieu en son honneur, 58 localités changèrent leur nom en celui de Marat et le 21 septembre 1794, son corps fut transféré au Panthéon.  Bref séjour et gloire éphémère. Après la Terreur, Marat n’était plus un modèle républicain.

Le Moniteur du 16 pluviôse an III (4 février 1795) relate comment, deux jours plus tôt, « des enfants ont promené » un buste de Marat « en l’accablant de reproches [et] l’ont ensuite jeté dans l’égout, en lui criant : ‘Marat, voilà ton Panthéon !’ » Le monument élevé à sa mémoire sur la place du Carrousel est détruit.

Le 8 février 1795, un décret le dépanthéonise en précisant que l’image d’aucun citoyen ne figurera plus dans l’Assemblée ou en un lieu public quelconque que dix ans après sa mort – prudence pour éviter toute précipitation.
Reste heureusement une « valeur sûre » comparable à Voltaire, un Nom resté célèbre pour de bonnes raisons républicaines.

6. Jean-Jacques ROUSSEAU

« L’homme est né libre et partout il est dans les fers. »1039

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Du contrat social, Préambule (1762)

C’est l’œuvre de sa vie, le constat de l’échec des sociétés modernes. Et d’ajouter aussitôt : « Comment ce changement s’est-il fait ? Je l’ignore. Qu’est-ce qui peut le rendre légitime ? Je crois pouvoir résoudre cette question. » 

Le philosophe méditait depuis longtemps de livrer le message de son idéal politique : selon Edgar Quinet, le Contrat social est le « livre de la loi » de la Révolution et Rousseau « est lui-même à cette Révolution ce que le germe est à l’arbre ».

« Tant qu’un peuple est contraint d’obéir et qu’il obéit, il fait bien ; sitôt qu’il peut secouer le joug et qu’il le secoue, il fait encore mieux. »1047

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Du contrat social (1762)

C’est le droit à l’insurrection et même le devoir, quand le contrat social est violé. Il sera reconnu dans l’éphémère Constitution de 1793, texte inappliqué et inapplicable pour des raisons conjoncturelles, mais aussi juridiques. Restent d’autres leçons dont l’Histoire va tirer profit et une raison d’admirer le philosophe qui tranche sur tous ses confrères au siècle des Lumières.

« Personne ne nous a donné une plus juste idée du peuple que Rousseau, parce que personne ne l’a plus aimé. »1033

ROBESPIERRE (1758-1794), Discours aux Jacobins (1792). Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux

Le personnage se situe aux antipodes du courtisan Voltaire, ou de Montesquieu le seigneur. Si La Bruyère a dit « je veux être peuple », Rousseau l’a prouvé. Sa vie sociale, en accord avec sa philosophie, est sa meilleure défense contre qui l’attaque.

Laquais, vagabond, aventurier, précepteur, secrétaire, se déconsidérant par une liaison avec la servante d’auberge Thérèse Levasseur, il refuse pensions et sinécures, se fait copiste de musique pour vivre et seul de tous les écrivains militants de son siècle signe tous ses écrits, ce qui lui vaudra encore plus d’ennuis qu’aux autres. Luttant souvent contre la misère plus que pour la gloire, Rousseau éprouvera toujours une rancœur de roturier contre l’inégalité sociale.

Rousseau est logiquement le philosophe de chevet de Robespierre : il emprunte au Contrat social ce qui sera, selon Jean Jaurès, sa seule idée, celle de la nation souveraine. Voilà pourquoi la Convention vote l’entrée de Rousseau au Panthéon le 14 avril 1794. L’hommage solennel de la nation française a lieu le 11 octobre. Ses cendres sont transférées d’Ermenonville au Panthéon à Paris, où il repose en face de Voltaire, mort moins de deux mois avant lui.

Ironie du sort : les frères ennemis vont se retrouver unis au nom de la Patrie reconnaissante. Et le prochain maître de la France aura la bonne idée de ne PAS dépanthéoniser ces deux grands hommes présumés révolutionnaires.

« C’était un fou, votre Rousseau ; c’est lui qui nous a menés où nous sommes. »1712

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à Stanislas Girardin, lors d’une visite à Ermenonville, dans la chambre où mourut le philosophe, 28 août 1800. Œuvres du comte P. L. Roederer (1854)

Il n’y a sans doute pas une phrase du Contrat social « tolérable » pour Bonaparte Premier Consul, et moins encore Napoléon Empereur. Mais aucun philosophe des Lumières ne peut être pris pour maître à penser ou à gouverner d’un homme aussi autoritaire. Il l’a d’ailleurs écrit dans ses Maximes et pensées : « On ne fait rien d’un philosophe. »

Reste un troisième homme, autre philosophe de l’Ancien Régime tout aussi célèbre que Voltaire et Rousseau : Descartes, révolutionnaire à plus d’un titre avec son Discours de la méthode (1637) affirmant qu’il faut vérifier par le raisonnement toutes les idées ou vérités reçues. C’est cela, l’essentiel de sa méthode. Mais c’est une rupture avec tout ce qui est enseigné dans les universités. Le cartésianisme aura des vertus déstabilisantes et des conséquences scientifiques que l’auteur ne soupçonnait pas !

Suite à l’action de Marie-Joseph Chénier, la Convention émit deux décrets (2 et 4 octobre 1793) ordonnant le transfert du corps au Panthéon. Ces décrets n’ont toujours pas été appliqués. Descartes attend toujours – un bon candidat parmi d’autres Noms à suivre.

Lire la suite : le Panthéon, Empire et Restauration

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