Le Monde est la source d’une trentaine de citations, dans nos Chroniques (Quatrième et Cinquième Républiques). Rien d’étonnant, vu la légitimité de ce journal créé en 1944 (prenant la suite du Temps, autre référence). Deux grandes signatures du Monde sont par ailleurs auteurs de cinq citations.
« Le cadavre bafouille. »2918
(1902-1989) citant (1862-1923)
Le Suicide de la Quatrième République (1958), Hubert Beuve-Méry.
Le fondateur du Monde recourt lui aussi à une citation (frappante), pour décrire l’état de déliquescence de la France qui vit à l’heure algérienne. Le pouvoir, donc le régime, se trouve dans une situation sans issue : aucune majorité stable possible, ni à gauche, ni au centre, ni à droite, face au drame national. Même si on la nomme « lutte contre la rébellion », cette guerre divise les Français et les consciences. À Paris, on parle de « bons offices » anglo-américains en vue de la paix. Face à la menace de guerre civile, le président Coty s’est « tourné vers le plus illustre des Français ».
Toutes les citations ci-dessous sont commentées dans nos Chroniques en 10 volumes, qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.
« Le général de Gaulle apparaît comme le moindre mal, la moins mauvaise chance. »2926
Hubert BEUVE-MÉRY (alias SIRIUS) (1902-1989), « L’amère vérité », Le Monde, 29 mai 1958
Il a soutenu la Constitution de la Quatrième République en 1946. Mais les institutions se révèlent impuissantes, face à la crise algérienne. Il approuve alors le retour au pouvoir du général (et sera également favorable à la nouvelle Constitution de la Cinquième). Pierre Brisson lui fait écho, dans Le Figaro du 30 mai 1958 : « Chacun sait maintenant où situer le dernier recours de nos libertés. »
Les deux directeurs de conscience de la « presse bourgeoise » prennent la plume dans leur journal pour les grandes occasions. Depuis quelques jours, ils ne cessent pas, se montrant de plus en plus pour (ou de moins en moins contre) de Gaulle.
« Le président de la République est atteint d’une hypertrophie maladive du moi ; ses intuitions politiques, souvent justes à l’origine, apparaissent vite dénaturées par une large surestimation du rôle et des possibilités de la France. »2975
Hubert BEUVE-MÉRY (alias SIRIUS) (1902-1989), Le Monde, 1er août 1967. Onze ans de règne : 1958-1969 (1974)
D’abord partisan du général de Gaulle, il est passé dans l’opposition en 1962, à propos de sa réforme (capitale) adoptée par référendum : l’élection du président du président au suffrage universel direct. En 1965, il a voté contre le président sortant et ne cesse plus de critiquer sa politique, fond et forme. Mais le directeur n’impose jamais sa position personnelle au journal.
Cette critique sur l’égo du général revient chez tous ses adversaires, y compris à l’étranger où sa forte personnalité sert en même temps le prestige de la France. Le 10 août 1967, il semble répondre à l’article de Beuve-Méry, dans une allocution télévisée : « Il va de soi que notre action d’ensemble est réprouvée par ce qu’il faut bien appeler l’école du renoncement national. Étrange passion de l’abaissement ! »
« Quand la France s’ennuie. »3039
Pierre VIANSSON-PONTÉ (1920-1979), titre de son article, Le Monde, 15 mars 1968
Autre grande signature du Monde qui fait usage d’une citation : Lamartine en 1839, député qui passera à l’opposition sous la Monarchie de Juillet : « La France est une nation qui s’ennuie. » (citation 2098, Chronique n°7)
La France est calme. Les conflits sociaux sont isolés. Seul, le monde étudiant s’agite un peu partout dans le monde, en ce printemps 1968, de Tokyo à Mexico et de Berlin à Berkeley.
Cet article devient célèbre. On y voit l’annonce de Mai 68… qui commence en mars, à la Fac de Nanterre, université créée en 1964 et qui se voulait modèle. Mais le campus ouvert aux émigrés des alentours tourne au bidonville et une réforme s’impose, qui déclenche le « mouvement du 22 mars » des étudiants révolutionnaires.
« Voici qu’à l’avant-veille de la Pentecôte, un bruit devenu vite tapage, puis clameur, retentit d’un bout à l’autre du pays : l’essence est revenue. La révolution est finie ; les grèves vont cesser ; le temps est doux ; la mer, la campagne, la montagne nous appellent pour le long week-end […] C’est la démobilisation générale. »3077
Pierre VIANSSON-PONTÉ (1920-1979), Histoire de la République gaullienne, II (1971)
Suite et fin de Mai 68. Le travail reprend progressivement, après les fêtes de la Pentecôte. Le gouvernement Pompidou est remanié pour écarter momentanément les ministres trop exposés dans les événements (Éducation nationale, Jeunesse, Information, Intérieur, Affaires sociales). Et on prépare les élections.
Tous les commentaires de ces citations se trouvent dans la série des 10 Chroniques :
Les Chroniques, en 10 volumes, racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.
L’Histoire apparaît comme un scénario de film à grand spectacle, alternant avec une pièce de théâtre intime, toujours entre comédie et tragédie.
Elle s’incarne à travers toutes sortes de personnages. Les noms célèbres côtoient des inconnus, et le peuple, anonyme, occupe constamment la scène, prenant le premier rôle, de Révolution en Commune.
Toute époque tragique abonde en mots épiques et mots de la fin, mais l’esprit à la française résiste, même aux pires moments de la Terreur, des massacres ou des guerres.
Au fil des citations, l’action avance et rebondit, cependant que toutes les opinions et les passions s’expriment. Au final, il s’en dégage une réalité, voire une vérité historique, humaine et multiforme.
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