Chronique de la colonisation française en 25 repères (1. Le premier empire colonial français) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

« La colonisation est un crime contre l’humanité »

Emmanuel MACRON, candidat à la présidence, 15 février 2017 (à la télévision algérienne)

C’est une affirmation trop globale pour être juste. Mais la colonisation a engendré des crimes contre l’humanité, le pire d’entre tous étant l’esclavage.

« En Algérie, il y a eu la torture, mais aussi l’émergence d’un État, de richesses, de classes moyennes, c’est la réalité de la colonisation. Il y a eu des éléments de civilisation et des éléments de barbarie. »

Emmanuel MACRON, 23 novembre 2016 (Le Point)

Cela semble plus juste et « en même temps », c’est dans la logique macronienne. Nous conclurons cet édito avec lui et dans cet esprit de « réconciliation des mémoires ».

Pour comprendre ce thème conflictuel toujours à la une de l’actu, référons-nous à l’Histoire.

En terme factuel, c’est simple : la colonisation se résume en deux étapes.

Le premier empire colonial français naît au XVIe siècle en Acadie (Canada), s’étend à quelques îles des Antilles (Guadeloupe et Martinique), puis en Inde et en Afrique, couvre plus de 8 millions de km² au XVIIIe siècle et disparaît en 1815.

Notre second empire colonial commence avec la prise d’Alger en 1830 (fin de la Restauration), s’étend peu à peu sur tous les continents et couvre plus de 13 millions de km² à son apogée dans l’entre-deux-guerres, pour diminuer avec la décolonisation de l’Afrique occidentale et de l’Asie, jusqu’aux accords d’Évian (1962) actant la fin de « l’Algérie française ». Reste aujourd’hui 1% de ces territoires ultramarins, sous divers régimes.

En terme géopolitique, une évidence s’impose : toutes les grandes puissances européennes se sont dotées d’un empire colonial aux XVIe et XVIIe siècles : Espagne, France, Grande-Bretagne, Portugal et Pays-Bas. L’empire colonial anglais restera le plus étendu, avec 33 millions de km² et 450 millions d’habitants (un quart de la population mondiale). Jusqu’à la fin du XIXe siècle, ce fut une occasion de conflits avec la France.

Au XXe siècle, les troupes coloniales (Tirailleurs sénégalais et autres indigènes) joueront un rôle important dans les deux guerres mondiales, les colonies en Afrique servant aussi de lieux stratégiques (opérations militaires et débarquements) durant la dernière guerre.

Empruntées à cet édito en trois parties et 25 repères, voici déjà quelques remarques.

L’Algérie occupe une place importante de 1830 à 1962 : de la conquête à l’occupation et l’annexion des trois départements français (Oran, Alger, Constantine) en 1848, jusqu’à la guerre d’Algérie et l’indépendance.

Deux faits majeurs sont des réussites aux conséquences historiques. La colonisation de la Gaule par les Romains est suivie de la «  pax romana  » durant trois siècles et de la civilisation gallo-romaine. La décolonisation des « Treize Colonies » de l’Empire britannique en Amérique du Nord suit la guerre d’Indépendance soutenue par la France des Lumières, d’où la création des États-Unis d’Amérique (1776).

Le Grand Empire de Napoléon qui totalise à son apogée 130 départements et multiplie les annexions en Europe sous diverses formes est théoriquement à distinguer de la colonisation - mais les populations concernées ont-elles fait la différence ?

Par ailleurs, la colonisation a toujours choqué certains « intellectuels » : Montaigne à la fin du XVIe siècle, les philosophes des Lumières, les opposants à la politique de « Ferry-Tonkin » sous la Troisième République.

L’opinion publique a évolué, mais dans les années 1930, la France est plus fière que jamais d’un empire colonial à son apogée. Aujourd’hui, nos 12 « territoires ultramarins » représentent moins de 1% de sa surface (120 000 km²)… et plus personne ne se dit colonialiste : en cela du moins, la civilisation est en progrès.

Réalité historique incontournable, la colonisation fait toujours débat et déchaîne les passions, quand elle ne devient pas un sujet tabou. Le « politiquement correct » de la repentance entraîne des contre-vérités qui sont surtout des anachronismes trop rarement dénoncés : « Pourquoi cette Europe, qui a conquis les cinq parties du monde, a-t-elle honte de les avoir colonisées ? Nous nous reprochons d’avoir bâti Casablanca, alors que les Romains étaient tout fiers d’avoir détruit Carthage. » Emmanuel Berl, Le Virage (1972).

Première partie : le premier empire colonial français

1. Premier exemple historique d’une colonisation heureuse : la Gaule conquise en deux temps par les Romains qui apportent trois siècles de «  pax romana » et toute la civilisation gallo-romaine.

« Des tyrannies, des guerres, voilà ce qu’on trouvait dans les Gaules jusqu’à ce qu’elles fussent rangées sous nos lois. »7

Petilius CEREALIS (Ier siècle). Histoires (nombreuses éditions et traductions), Tacite, historien romain du Ier siècle

Ce général romain évoque l’état du territoire, avant l’intervention romaine en deux étapes : conquête du sud-est de la Gaule et création de la Province romaine (Provincia) avec Narbonne pour capitale (124-118 av. J.-C.) ; conquête par César de la Gaule restée indépendante (58-51 av. J.-C.). Jules Michelet confirme, dans son Histoire de France : « Ce chaos bourbeux et belliqueux de la Gaule était une superbe matière pour un tel génie [César]. »

« César s’était présenté comme un protecteur. Sa conquête avait commencé par ce que nous appellerions une intervention armée. »8

Jacques BAINVILLE (1879-1936), Histoire de France (1924)

Fait capital de notre histoire. En 58 av. J.-C., la tribu des Helvètes décide d’émigrer vers la Saône pour fuir la pression des Germains. Les Éduens établis entre Loire et Saône se sentent menacés par cette migration et appellent au secours César, nommé l’année précédente proconsul de la Gaule cisalpine (Italie du Nord) et de la Province romaine. Cerealis rappellera ce fait historique aux Gaulois : « Si nos chefs et empereurs sont entrés dans votre pays, c’est à la requête de vos ancêtres. »

César, fort de six légions, oblige les Helvètes à retourner chez eux (vers l’actuelle Suisse) et refoule les Germains au-delà du Rhin. Voulant éclipser la gloire militaire de son rival Pompée, il en profite pour conquérir en huit campagnes annuelles toute la Gaule, y compris Belgique et Suisse, avec une incursion en [Grande-]Bretagne.

« Depuis que Rome existe, tous les sages politiques ont pensé qu’elle n’avait point d’ennemis plus redoutables que les Gaulois. »18

CICÉRON (106-43 av. J.-C.), Discours sur les provinces consulaires, Œuvres complètes de Cicéron

Cette remarque du plus célèbre orateur romain rappelle la prise de Rome par les Gaulois de Brennus, trois siècles plus tôt, et justifie ou, tout au moins, fait comprendre le désir des Romains de soumettre un peuple aussi turbulent !

Il s’agit à présent de dompter la Gaule demeurée indépendante, dite aussi celtique (ou chevelue, en raison de ses vastes forêts). À l’inverse de la Province (romaine) exploitée comme une colonie et où régnaient paix et prospérité, la Celtique restait le théâtre de luttes permanentes entre tribus. Nul État constitué, pas de capitale ni d’administration centrale, pas même de vie urbaine – les villes n’étaient que des places fortes où les paysans se réfugiaient en cas d’invasion. Le dernier acte des « guerres celtiques » sera joué par César.

« Jamais depuis qu’elle a été domptée par le divin Jules [César], la fidélité de la Gaule n’a été ébranlée ; jamais, même dans les circonstances les plus critiques, son attachement ne s’est démenti. »27

CLAUDE Ier (10 av. J.-C.-54), Discours devant le Sénat, 48. La Gaule indépendante et la Gaule romaine (1900), Gustave Bloch

Le mouvement créé par César ne s’arrêta pas après sa mort. Cent ans plus tard, l’empereur Claude, né à Lyon, rappelle dans ce discours à quel point la Gaule est demeurée dans la « paix romaine » après sa pacification.

« La Paix, cette Cité qui assure les mêmes droits aux vaincus et aux vainqueurs, aimez-la, honorez-la. Puissent les leçons de la bonne comme de la mauvaise fortune vous enseigner de ne pas préférer la résistance qui perd à l’obéissance qui sauve ! »28

Petilius CEREALIS (Ier siècle), 70. Histoires (nombreuses éditions et traductions), Tacite, historien romain du Ier siècle

La Gaule est une colonie de l’Empire romain, depuis Auguste (Ier siècle av. J.-C.)

Parent de l’empereur Vespasien et chargé de pacifier la Bretagne, ce général romain s’adresse aux représentants de tribus gauloises. Il leur vante la fameuse pax romana, et ajoute : « Vous partagez l’Empire avec nous. C’est souvent vous qui commandez nos légions, vous qui administrez nos provinces. Entre vous et nous, aucune distance, aucune barrière. » Les Gaulois peuvent en effet prétendre à toutes les charges et tous les honneurs romains : procurateur, officier, légat. Cependant que s’épanouit la civilisation gallo-romaine.

« Ces théâtres, ces cirques, ces aqueducs, ces voies que nous admirons encore sont le durable symbole de la civilisation fondée par les Romains, la justification de leur conquête de la Gaule. »29

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)

La Gaule romanisée s’est couverte de superbes monuments qui ont aussi leur utilité. Les thermes, aqueducs et égouts apportent le raffinement de l’eau courante. Le réseau routier rend le commerce florissant, la production de blé augmente, la culture de la vigne se développe - le vin remplace la bière, jusqu’alors boisson nationale des Gaulois. L’essor économique général enrichit le Trésor public : politique d’urbanisme et politique sociale en bénéficient.

Après une phase de combats et de pacification, la colonisation des Romains amena cette pax romana qui va assurer trois siècles de bonheur à la Gaule et donner la civilisation gallo-romaine.

2. La première vague de colonisation commence au XVIe siècle et se poursuite sous Henri IV et Louis XIII : la Nouvelle-France créée outre-Atlantique, c’est l’Acadie, futur Canada.

« Nous fîmes faire une croix de trente pieds […] en la présence de plusieurs sauvages sur la pointe de l’entrée du port et nous mîmes au milieu un écusson relevé avec trois fleurs de lys ; et dessus était écrit : Vive le Roi de France. »466

Jacques CARTIER (1491-1557), Journal en date du 24 juillet 1534. « Maudits français » ou l’épopée canadienne : 1534-1763 (2003), Antoine Decré

Première des trois expéditions du navigateur malouin chargé de « découvrir certaines îles et pays où l’on dit qu’il doit se trouver grande quantité d’or et autres riches choses ».

François Ier n’entend pas laisser le Nouveau Monde aux Espagnols et aux Portugais. Il encourage les marins français à « naviguer sur la mer commune » et à conquérir de nouvelles terres. Cartier, parvenu à l’embouchure du Saint-Laurent, croit avoir trouvé le passage vers la Chine par le Nord ! Ce n’est que le Canada dont la conquête commence et qu’on appellera Nouvelle-France.

« Faux comme diamant du Canada. »474

Proverbe né dans les années 1540. Champlain : la naissance de l’Amérique française (2004), Raymonde Litalien, Denis Vaugeois

L’expression traduit la déception de la France et de Jacques Cartier le découvreur du Canada, à la vue de ce qu’il rapporte de sa troisième expédition (1541) en Amérique du Nord : ni or ni diamants, mais de la pyrite et du mica.

Le beau nom de Cap-Diamant restera, désignant l’extrémité est de la colline de Québec où se situe la Haute-Ville. Le proverbe peu flatteur est encore en usage, même si l’origine en est souvent oubliée.

Après une première tentative de colonisation française en 1542 (Roberval), la véritable installation en Nouvelle-France se fera sous Henri IV (avec Samuel Champlain, fondateur du Québec, en 1608). Dans cette conquête outre-Atlantique, la France va se heurter à un nouveau rival : l’Angleterre, prête à devenir l’autre grande puissance en Europe.

« J’ai peur que nous n’ayons les yeux plus grands que le ventre et plus de curiosité que nous n’avons de capacité. Nous embrassons tout, mais nous n’étreignons que le vent. »549

Michel de MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580, première édition)

Avant le mot, c’est l’idée de l’anticolonialisme. Pour des raisons surtout humanitaires, Montaigne s’en prend aux conquistadores de la Renaissance. Les Français veulent concurrencer les Espagnols et les Portugais depuis le beau XVIe siècle et la bourgeoisie enrichie s’est lancée dans de lointaines expéditions maritimes, patronnées par la royauté. En 1555, Villegaignon a installé des colons protestants dans la baie de Rio de Janeiro. La Floride est également colonisée en 1562 par René de Laudonnière et ses compagnons huguenots, mais en 1566, leurs établissements sont détruits et les Français massacrés par les Espagnols. La colonisation du Canada est préparée tout au long du siècle par les expéditions de Cartier, Roberval, de Mons, de la Roche, Chauvin.

« La plus belle mine que je sache, c’est du blé et du vin, avec la nourriture du bétail. »659

Marc LESCARBOT (vers 1580-vers 1630), Histoire de la Nouvelle-France (1609)

Avocat parisien, écrivain et grand voyageur, il s’est rendu en Acadie en 1606, devenant l’un des premiers colons dans cette partie du Canada à l’est du Québec. On n’a trouvé ni or ni argent comme dans les colonies espagnoles d’Amérique, d’où la déception de Jacques Cartier et des premiers explorateurs : « Faux comme diamants du Canada ».

Mais au début du XVIIe siècle, la véritable colonisation commence, alors que Sully lance cette idée neuve et fort juste, à savoir que « labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée et les vrais mines et trésors du Pérou » autrement dit les vraies richesses du pays. Cela vaut dans tous les pays et naturellement dans les colonies.

3. Colbert, promoteur du mercantilisme pour des raisons commerciales autant que politiques (grandeur et prestige de la France), encourage le peuplement des îles d’Amérique et du Canada par des colons et par des esclaves, d’où le Code noir de sinistre mémoire.

« Il n’y a rien de plus nécessaire dans un État que le commerce […] Le commerce est une guerre d’argent. »835

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), Mémoire sur le commerce (1664)

Infatigable homme-orchestre du gouvernement, il dresse un vaste programme qui résume la politique industrielle, commerciale, fiscale, maritime de la France : « Il faut rétablir ou créer toutes les industries, même de luxe ; établir le système protecteur dans les douanes ; organiser les producteurs et les commerçants en corporations ; alléger les entraves fiscales nuisibles à la population ; restituer à la France le transport maritime de ses produits ; développer les colonies et les attacher commercialement à la France […] ; développer la marine militaire pour protéger la marine marchande. » Dans une France restée agricole à 90 %, Colbert fait porter ses efforts sur l’industrie et le commerce. Sa plus grande réussite est le relèvement et le développement de la marine française. Ce mercantilisme – doctrine exaltant la mentalité et l’activité marchandes – poursuit un but moins économique que politique : plus que le bien-être des Français, Colbert veut la puissance de l’État.

Mais sa politique coloniale intègre le Code noir dont il est le premier auteur. Sa statue devant l’Assemblée nationale fut barbouillée de rouge en juin 2020, une inscription sur le socle stigmatisant la « Négrophobie d’État ». Ce déboulonnage en puissance a un seul mérite : dénoncer l’esclavage indigne de nos civilisations, à l’inverse du colonialisme pratiqué par toutes les grandes puissances en leur temps.

« L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule ; s’il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule ; et, la troisième fois, il sera puni de mort. »

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), Code noir, article 38. (promulgué en 1685)

De nombreux articles du premier Code noir ont légitimé les châtiments corporels à l’égard des esclaves et leur l’extrême violence autorisée par le texte. Il sera abrogé en 1848, lors de l’abolition de l’esclavage par la France, entériné par le décret Schœlcher du 27 avril.

4. Au siècle des Lumières, la colonisation pose pour la première fois un vrai problème géopolitique, humain et philosophique.

« Les colonies fondées par les diverses puissances de l’Europe ont toutes été établies pour l’utilité de la métropole. »971

Duc de CHOISEUL (1719-1785), secrétaire d’État en 1767. Choiseul et la France d’outre-mer après le traité de Paris : étude sur la politique coloniale au XVIIIe siècle (1892), Eugène Daubigny

Cette phrase est souvent citée (mais rarement sourcée), pour illustrer (et souvent stigmatiser) le colonialisme français sous l’Ancien Régime.

Choiseul est pratiquement chef de gouvernement en 1767 – secrétaire d’État aux Affaires étrangères et ministre de la Guerre et de la Marine. Il exprime la position officielle de la France, mais également l’opinion dominante en Europe depuis deux siècles : tout grand pays se doit d’avoir un empire colonial.

L’Encyclopédie présente la même conception : « Les colonies n’étant établies que pour l’utilité de la métropole […] doivent être sous sa dépendance et par conséquent sous sa protection. » (tome VIII, article colonie) Méconnaître cette réalité est source d’anachronisme. Pourtant, dès cette époque, une opinion contraire existe, minoritaire.

« Les colonies sont comme des fruits qui tiennent à l’arbre jusqu’à ce qu’ils en aient reçu une nourriture suffisante, alors ils s’en détachent. »972

TURGOT (1727-1781), en 1748. Discours politiques (2007), Abraham Sighoko Fossi

Les physiocrates et les libéraux sont plus anticolonialistes que Choiseul, avec un argument qui vaudra également au XIXe siècle : l’intérêt des colonies pour la métropole est rien moins qu’évident.

Ministre en 1774, Turgot appartient à cette nouvelle génération d’hommes politiques ayant une vraie vocation économique et pas seulement juridique. La France en aura bien besoin.

« Si un Taïtien [Tahitien] débarquait un jour sur vos côtes et s’il gravait sur une de vos pierres ou sur l’écorce d’un de vos arbres : ce pays appartient aux habitants de Taïti [Tahiti], qu’en penserais-tu ? »973

DIDEROT (1713-1784). Encyclopædia Universalis, article « Denis Diderot »

Certains philosophes, comme Diderot, vont plus loin dans l’anticolonialisme que Turgot et mettent en cause le principe même de la colonisation, en particulier le droit de l’occupant. D’autres, tel l’abbé Raynal, affichent carrément leur anticolonialisme, ou tel Montesquieu, réagissent contre le principe même de l’esclavage.

« L’esclavage n’est pas seulement un état humiliant pour celui qui le subit, mais pour l’humanité qui en est dégradée. »974

Chevalier de JAUCOURT (1704-1779). L’Encyclopédie, article « Esclavage »

L’esclavage est flétri au nom du droit naturel et de la dignité humaine. Diderot dénonce par ailleurs un esclavage plus subtil et donc pervers : « Avoir des esclaves n’est rien, mais ce qui est intolérable, c’est d’avoir des esclaves en les appelant citoyens. »

Impossible de ne pas penser aujourd’hui aux quelque 40 millions d’esclaves modernes en Asie et en Afrique, main d’œuvre sous-payée, condamnée au travail forcé, exploitée par des patrons qui commercent avec les pays riches et vendent à bas prix des produits divers : effet pervers du mondialisme et de l’ultralibéralisme.

5. Politique coloniale finalement perdante au XVIIIe siècle : après la guerre de Sept Ans (1756-1763), la France abandonne l’Inde et le Canada, l’Angleterre restant la première puissance maritime et coloniale du monde.

« Votre Altesse Royale sera en état de relever le royaume de la triste situation à laquelle il est réduit et de le rendre plus puissant qu’il n’a encore été, de rétablir l’ordre des finances, de remettre, entretenir et augmenter l’agriculture, les manufactures et le commerce, d’augmenter le nombre des peuples […] d’augmenter les revenus du Roi en soulageant les peuples et de diminuer la dette de l’État sans faire tort aux créanciers. »1078

John LAW (1671-1729), Première Lettre au duc d’Orléans. Recherches historiques sur le système de Law (1854), Émile Levasseur

Le Régent se laisse convaincre : c’est la chance d’une France dramatiquement appauvrie. Dès mai 1716, le banquier écossais fonde sa Banque générale (privée), société par actions autorisée à émettre des billets ayant cours public, promue Banque royale le 4 décembre 1718. En 1719, le succès du Système est foudroyant.

Le principe est simple : on remplace les pièces d’or et d’argent par du papier-monnaie à la circulation plus rapide. Des crédits sont ouverts, garantis par les bénéfices des entreprises de Law qui vont s’étendre à toute l’économie : coloniales, commerciales, fiscales, financières. Ses sociétés filles et petites-filles de la Banque royale drainent les capitaux en promettant des plus-values de 40 % sur les dividendes. Il n’y a théoriquement aucun risque : l’exploitation des colonies françaises rapportera autant d’argent que nécessaire pour rembourser les déposants. La Louisiane est un pays de cocagne, les Indes orientales font rêver.

L’édifice fragile du Système s’effondre en 1720, au terme d’un emballement affolé : chute des dividendes, perte de confiance des porteurs, spéculation à la baisse de banquiers rivaux (les frères Pâris), trop forte émission de billets que la banque ne peut rembourser à vue, panique boursière. Les compagnies créées dans les colonies n’ont pas eu le temps de rapporter les richesses espérées. C’est la banqueroute et la mémoire en restera longtemps, accentuant le retard de notre système financier par rapport à l’Angleterre.

« Ce n’est plus le temps des conquêtes. La France […] a de quoi se contenter de sa grandeur et de son arrondissement. Il est temps enfin de commencer de gouverner après s’être tant occupé d’acquérir de quoi gouverner. »1121

Marquis d’ARGENSON (1694-1757). Les Idées politiques en France au XVIIIe siècle (1920), Henri Eugène Sée

Secrétaire d’État aux Affaires étrangères de 1744 à 1747, il témoigne du changement avec les siècles passés, quand les ministres avaient comme principal souci d’ajouter des provinces au domaine royal.

Mais il poursuit la politique anti-autrichienne : la guerre de Succession d’Autriche épuise tous les adversaires, notamment la France qui se bat sur trop de fronts, sur terre en Europe, sur mer et dans les colonies, contre les Anglais dont la marine est plus forte.

« Point de victoires, point de conquêtes, beaucoup de marchandises et quelques augmentations de dividende. »1131

Étienne de SILHOUETTE (1709-1767), commissaire du roi près de la Compagnie des Indes, 13 septembre 1752. Dupont De Nemours et la question de la Compagnie des Indes (1968), Édouard Mossion

Autrement dit : « Le commerce, rien que le commerce ». Mais malgré le but purement commercial de la Compagnie, Dupleix, administrateur colonial à son service depuis 1720, directeur général des comptoirs français en Inde en 1742, ne s’en tient pas à cette règle et mène une politique territoriale et conquérante, favorisée par l’état de décomposition politique de l’Inde à cette époque.

Il se heurte fatalement à l’Angleterre. Après une période de succès (prise de Madras), à bout de ressources, il sera rappelé (en 1754) et désavoué.

« Les braves insulaires
Qui font, qui font sur mer
Les corsaires
Ailleurs ne tiennent guère.
Le Port-Mahon est pris, il est pris, il est pris
Ils en sont tout surpris,
Ces forbans d’Angleterre
Ces fou, fou, ces foudres de guerre. »1142

Charles COLLÉ (1709-1783), La Prise de Port-Mahon (1756), chanson

Parolier d’œuvres politiques et d’autres plutôt lestes, l’auteur donne ici sa meilleure chanson patriotique - et gagne une pension de 600 livres.

Après une « guerre froide » née de la rivalité coloniale entre la France et l’Angleterre, cette dernière ouvre les hostilités en 1755, se saisissant de 300 navires de commerce français. Prélude à la guerre de Sept Ans (1756-1763), conflit européen majeur qui va bouleverser pour un siècle l’équilibre des forces au bénéfice de l’Angleterre et de la Prusse, la France perdant son premier empire colonial.

Pour l’heure, le pays célèbre en chanson la prise de Port-Mahon par l’armée du très populaire duc de Richelieu. En même temps, la flotte française commandée par l’amiral de La Galissonnière, seul grand marin du règne, bat la puissante flotte britannique en Méditerranée, à Minorque.

« Vous savez que ces deux nations sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada, et qu’elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada ne vaut. »1155

VOLTAIRE (1694-1778), Candide (1759)

Dans ce conte ironique, comme dans sa Correspondance, Voltaire traite bien légèrement le problème du Canada ! C’est l’un des enjeux de la rivalité entre les deux puissances coloniales du siècle. La nation anglaise qui veut le Canada tout entier, sans les états d’âme qui agitent la France, aura finalement ces « arpents de neige » et toutes les richesses de la Nouvelle-France, au traité de paix de Paris (1763).

La guerre de Sept Ans sera qualifiée par certains historiens (et par Winston Churchill) de première guerre mondiale de l’histoire : l’Europe, avec presque tous les pays belligérants, n’est plus le seul théâtre des opérations. Il y a aussi les colonies dans l’Amérique du Nord et l’Inde.

« Cette paix n’est ni heureuse, ni bonne, mais il fallait la faire. Nous avons conservé encore un bel empire. »1171

Marquise de POMPADOUR (1721-1764), au cardinal de Bernis. Le Bien-Aimé (1996), Ménie Grégoire

Le traité de Paris (10 février 1763) met fin à la guerre de Sept Ans. Louis XV considère lui aussi cette paix comme un moindre mal : « Si nous avions continué la guerre, nous en aurions fait encore une pire l’année prochaine. »

L’Angleterre est la grande gagnante. La France sauve son territoire, mais perd son empire colonial (Inde et Canada), gardant seulement la Martinique, la Guadeloupe et cinq comptoirs (maritimes) dans les Indes (Pondichéry, Kârikâl, Mahé, Yanaon et Chandernagor).

Choiseul songe déjà à la revanche contre l’Angleterre : réorganisation de la marine et de l’armée, pacte de famille avec l’Espagne et alliance resserrée avec l’Autriche.

6. États-Unis d’Amérique, premier pays né d’une décolonisation réussie : résultat de la guerre d’Indépendance contre l’Angleterre (1775-1783), soutenue par la France des Lumières avec La Fayette en « Héros des Deux mondes ».

« Le nombre infini de maladies qui nous tue est assez grand ; et notre vie est assez courte pour qu’on puisse se passer du fléau de la guerre. »1216

VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Mme du Deffand, 27 février 1775, Correspondance (posthume)

L’octogénaire écrit fidèlement à son amie, presque aussi âgée que lui et quasi aveugle, femme de salon qui a reçu chez elle tous les artistes en renom.

Voltaire, de santé fragile durant toute sa longue vie, eut la chance de naître en un siècle de paix relative. Mais les exemples de guerre ne manquent pas en Europe et la France prépare sa revanche contre l’Angleterre, après la désastreuse guerre de Sept Ans. C’est outre-Atlantique qu’elle va se jouer.

Les Français vont participer à la guerre d’Indépendance des États-Unis d’Amérique – ce ne sont encore que les Treize colonies. Turgot s’y oppose, au motif que la France n’a pas les moyens d’une guerre lointaine et maritime, forcément coûteuse. Mais Vergennes négocie secrètement, Beaumarchais trafique activement et les Insurgents reçoivent de l’argent et des armes, dès 1775.

« Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes : que tous les hommes naissent égaux ; que leur créateur les a dotés de certains droits inaliénables, parmi lesquels la Vie, la Liberté et la recherche du Bonheur. »1223

Déclaration d’Indépendance des États-Unis d’Amérique, rédigée par Thomas Jefferson (1743-1826) et adoptée par le Congrès, 4 juillet 1776 (Independence Day), rejetant l’autorité du roi d’Angleterre.

Le texte s’inspire de la philosophie des Lumières et notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 s’en inspirera à son tour. En fait, tous ces principes sont dans l’air du temps et la contagion politique s’inscrit dans une heureuse logique. Elle passe aussi par la théorie des droits naturels du philosophe anglais John Locke, qui précède d’un demi-siècle notre Rousseau et son Contrat social.

L’opinion publique en France est de plus en plus favorable aux Insurgents (ou Patriots), et les chansonniers accusent Vergennes (ministre des Affaires étrangères) de ne pas oser intervenir. Il va pourtant céder à Beaumarchais (grand auteur et bon trafiquant) et fournir des armes.

« Les relations républicaines me charmaient. »1224

LA FAYETTE (1757-1834), profession de foi adolescente. Mémoires, correspondance et manuscrits du général Lafayette (posthume, 1837)

Issu d’une grande et riche famille dont la noblesse remonte au XIe siècle, orphelin à 13 ans, il se veut militaire, ambitieux, mais pas courtisan. D’où ce mot amusant, quand il fait exprès de déplaire, pour quitter une bonne place à la cour et s’engager dans l’aventure américaine, avec les premiers volontaires français.

Benjamin Franklin, venu en mars 1777 défendre la cause des Insurgents, a convaincu : la simplicité de mise et le franc-parler de cet ambassadeur septuagénaire, envoyé du Nouveau Monde, contrastent avec les airs de la cour et séduisent d’emblée les Parisiens. Voltaire et Turgot l’admirent également.

La Fayette, 19 ans, contre l’avis de sa famille et du roi, s’embarque à ses frais sur une frégate et débarque en Amérique (juin 1777) pour se joindre aux troupes de Virginie. Nommé « major général », le jeune marquis paie de sa personne au combat. Plus que jamais charmé par les « relations républicaines », il s’enthousiasme pour l’égalité des droits et le civisme des citoyens, avec l’intuition de vivre un événement qui dépasse les frontières de ce pays.

« C’est au bras de la noblesse de France que la démocratie américaine a fait son entrée dans le monde. »1225

Paul CLAUDEL (1868-1955), ambassadeur de France aux États-Unis, prenant la parole devant la société des Cincinnati. La France et l’indépendance américaine (1975), duc de Castries

Claudel, l’un des grands dramaturges français du XXe siècle, fut aussi diplomate pendant plus de quarante ans, consul, ambassadeur, ministre plénipotentiaire, en poste partout dans le monde, y compris à Washington.

La Fayette, de retour en France en 1779 et triomphalement accueilli, soutient Benjamin Franklin et pousse le gouvernement à s’engager ouvertement dans la guerre d’Indépendance. Devançant un premier corps expéditionnaire de 6 000 hommes, il repart et se distingue à nouveau en Virginie, contre les Anglais. 3 000 Français trouvent la mort dans ce combat d’outre-Atlantique qui s’achèvera par la défaite anglaise, en 1783. Le fougueux marquis gagne son titre de « Héros des deux mondes ». C’est la plus brillante période de sa longue vie.

Les États-Unis se rappelleront cette dette historique, s’engageant en avril 1917 dans la guerre mondiale au cri de : « La France est la frontière de la liberté. » Le jour anniversaire de l’Indépendance, 4 juillet 1917, sur la tombe parisienne du marquis, la référence est encore plus précise : « La Fayette, nous voici ! »

« Pour tout homme, le premier pays est sa patrie et le second c’est la France. »1232

Thomas JEFFERSON (1743-1826). Le Peuple (1846), Jules Michelet

Jefferson deviendra en 1801 le troisième président des États-Unis, après Georges Washington et John Adams. Auparavant, il a été ambassadeur des États-Unis à Paris (de 1785 à 1789). Francophile et francophone, philosophe imprégné des Lumières, humaniste, c’est aussi un savant. Il exprime ici l’opinion générale : la France est très populaire outre-Atlantique depuis 1777 et l’arrivée des volontaires, La Fayette en tête.

En 1780, Vergennes (qui a longtemps hésité) va déclarer la guerre à l’Angleterre, entraîner l’Espagne à sa suite et envoyer un corps expéditionnaire, commandé par Rochambeau. La France arme également une flotte de guerre qui remporte quelques victoires mémorables. Enfin, c’est à Versailles qu’est signé le traité de paix ratifiant l’indépendance des États-Unis (1783).

Notre pays avait deux raisons de participer à cette guerre : prendre la revanche tant attendue contre l’Angleterre et répondre à l’attente des colons anglais d’Amérique, dont l’idéologie s’inspire de Montesquieu et Rousseau. Mais comme prévu par Turgot qui s’y opposait comme ministre des Finances, les dépenses militaires creuseront un déficit abyssal, estimé à un milliard de livres tournois – trois à quatre fois le budget de l’État en 1783.

7. La Révolution fait passer les droits de l’homme avant les intérêts économiques : abolition de l’esclavage (1794), d’où le ralliement de Toussaint Louverture, esclave noir en révolte devenu gouverneur de Saint-Domingue, colonie prospère.

« Périssent les colonies plutôt qu’un principe. »1385

Pierre Samuel dupont de NEMOURS (1739-1817), Constituante, 13 mai 1791. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1888), Assemblée nationale

Réponse (résumée) aux défenseurs des colons pour qui l’application aux colonies de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen signifiait la fin du système colonial.

Le Moniteur, journal officiel de l’époque, reproduit le texte exact et intégral : « On nous menace du ressentiment de ces nobles d’outre-mer […] Ils se consoleront comme se sont consolés les nobles français qui avaient un peu de sens. Si toutefois cette scission devait avoir lieu, s’il fallait sacrifier l’intérêt ou la justice, il vaudrait mieux sacrifier les colonies qu’un principe. » La phrase est aussi attribuée à Barnave par Lamartine dans son Histoire des Girondins. Et selon d’autres sources, à Robespierre, sous une forme plus concise : « Périssent les colonies ! »

Le décret sur le statut des Nègres sera bien timoré : seuls les mulâtres nés de père et de mère libres auront des droits politiques. C’est une minorité et les troubles vont continuer. L’esclavage sera aboli par la Convention, trois ans plus tard.

« Nous travaillons pour les générations futures, lançons la liberté dans les colonies ! »1568

DANTON (1759-1794), Convention, 4 février 1794. Mémoires de Levasseur de la Sarthe (1830), René Levasseur, Roche

Danton va faire l’unanimité – fait rarissime, dans cette Assemblée nationale à l’image de la France, divisée, bouleversée. Grand orateur, il a l’habileté d’associer la liberté des esclaves avec la volonté de ruiner l’Angleterre. Il salue aussi l’entrée de deux nouveaux députés de couleur (venus de Saint-Domingue) et place l’abolition sous le signe philosophique du « flambeau de la raison » et du « compas des principes ».

Les précédents décrets pour la liberté et l’égalité des Nègres avaient déçu leurs espoirs et la situation devenait dramatique dans les colonies : Toussaint Louverture s’est rendu maître de Saint-Domingue, les esclaves noirs massacrent les colons blancs, incendient récoltes et plantations. Il va se rallier à la Révolution. Mais la suite de l’histoire est dramatique. L’esclavage, rétabli en 1802, sera définitivement aboli après la Révolution de février 1848, sous la Deuxième République.

« Le saviez-vous, Républicains,
Quel sort était le sort du Nègre ?
Qu’à son rang, parmi les humains,
Un sage décret réintègre ;
Il était esclave en naissant,
Puni de mort pour un seul geste
On vendait jusqu’à son enfant. »1598

Pierre-Antoine-Augustin de PIIS (1755-1832), La Liberté des Nègres (1794), chanson

L’auteur est le fils naturel d’un officier de Saint-Domingue, territoire faisant partie de ce que l’on nommait alors les « îles d’Amérique », englobant également la Guadeloupe et la Martinique.

Le « citoyen Piis » est poète de circonstance, comme il y en a tant à l’époque. L’esclavage a été aboli le 4 février 1794. En juin, Victor Hugues, envoyé de la Convention, va porter en Guadeloupe la nouvelle de l’abolition de l’esclavage aux Noirs. Les planteurs, hostiles au décret, s’allient aux Anglais qui occupent Pointe-à-Pitre et Basse-Terre, mais sont battus par Hugues, soutenu par les Noirs.

Piis a tout de suite mis sa plume au service de cette cause : dès le 8 février, il fit représenter La Liberté de nos colonies, « vaudeville républicain » au théâtre des Variétés-Amusantes. C’est dans cette pièce que l’on retrouve les couplets de La Liberté des Nègres. Chanson résolument engagée, la seule que le citoyen Piis laisse à la postérité. Mais il a beaucoup écrit, ayant du succès sous l’Ancien Régime et jusqu’à la Restauration, en passant par la Révolution et l’Empire. Son opportunisme, supérieur à son talent, lui vaut l’honneur du Dictionnaire des girouettes (1815).

« Je suis de la couleur de ceux qu’on persécute. »1395

TOUSSAINT LOUVERTURE (1743-1803). Toussaint Louverture (1850), Alphonse de Lamartine

Ainsi parle le héros de ce poème dramatique en cinq actes et en vers.

La nuit du 22 au 23 août 1791, François Toussaint prit la tête de la révolte des Noirs à Saint-Domingue, colonie des Antilles (île d’Haïti). Restés esclaves après le timide décret du 13 mai, ils veulent les mêmes droits que les citoyens blancs. À l’opposé, les colons s’effraient du droit de vote donné aux mulâtres. L’insurrection aboutit à des massacres entre Blancs et Noirs, tandis que sucreries et plantations de café sont dévastées.

Les planteurs vont demander secours à l’Espagne et l’Angleterre, mais Toussaint se rallie à la Révolution en 1794, quand le gouvernement français abolit l’esclavage. Son courage lui vaudra le surnom de Louverture, celui qui ouvre et enfonce les brèches dans les troupes adverses ! Il devient gouverneur de la colonie prospère, les anciens esclaves travaillant comme salariés dans les plantations. Il proclamera l’autonomie de l’île en 1801. Bonaparte enverra 25 000 hommes contre Toussaint qui mourra (de froid) en captif, dans le Jura. L’indépendance d’Haïti, premier État noir indépendant en 1804, est la victoire posthume de ce grand leader noir. Le 23 août est devenu « Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition ».

8. Napoléon a rétabli l’esclavage sous le Consulat, le Grand Empire multiplie les conquêtes et les annexions de territoire, mais après les Cent Jours, tout est perdu pour la France au congrès de Vienne – hormis quelques comptoirs d’outremer.

« Comment a-t-on pu donner la liberté à des Africains, à des hommes qui n’avaient aucune civilisation, qui ne savaient seulement pas ce que c’était que colonie, ce que c’était que la France ? ».

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), réponse à Truguet, hostile aux colons des îles et à l’esclavage. Le Consulat et l’Empire (1834), A.C. Thibaudeau

Le Premier Consul revient sans état d’âme sur cet héritage de la Révolution, en vertu de quoi il rétablit l’esclavage par décret du 20 mai 1802.

« Les vraies colonies d’un peuple commerçant, ce sont les peuples indépendants de toutes les parties du monde. »1740

Jean-Baptiste SAY (1767-1832), Traité d’économie politique ou simple exposition de la manière dont se forment, se distribuent et se consomment les richesses (1803)

Économiste et journaliste, il prêche un anticolonialisme intelligent et précurseur. L’indépendance rend les peuples plus industrieux et plus riches, d’où davantage d’occasions et de facilités pour les échanges, alors que les colonies sont une charge présente et deviendront bientôt une honte.

Le libéralisme économique de Say rime avec optimisme, à l’inverse de ses célèbres confrères anglais, Malthus et Ricardo. Mais il contrarie Napoléon Bonaparte qui songe au Blocus continental pour ruiner l’Angleterre. Il lui demande de réécrire certains passages et de mettre en exergue l’économie de guerre fondée sur le protectionnisme. L’auteur refuse, ne peut rééditer son Traité, est interdit de journalisme. Il devient entrepreneur et fait fortune dans le coton. L’économiste retrouve sa liberté d’expression après l’Empire, devient célèbre et inaugure la chaire d’économie politique, au Collège de France.

« Je n’ai pas succédé à Louis XVI, mais à Charlemagne. »1799

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Pie VII, le jour du sacre en la cathédrale Notre-Dame de Paris, 2 décembre 1804

À peine couronné empereur des Français par le pape, il dévoile sa véritable ambition, le titre d’empereur d’Occident à la tête du Grand Empire. Notons que le sacre se tient à Paris et non à Reims, comme de tradition pour les rois de France.

« Cet homme est insatiable, son ambition ne connaît pas de bornes ; il est un fléau pour le monde ; il veut la guerre, il l’aura, et le plus tôt sera le mieux ! »1803

ALEXANDRE Ier, fin mai 1805. Histoire du Consulat et de l’Empire (1974), Louis Madelin

Le tsar de Russie apprend que la République de Gênes sollicite sa réunion à l’Empire. Napoléon, déjà médiateur de la Confédération suisse, vient de se faire couronner roi d’Italie - devenue un royaume, quand la France devient un Empire. Craignant l’hégémonie française en Europe, le tsar rejoint l’Angleterre dans la troisième coalition.

« Un roi doit se défendre et mourir dans ses États. Un roi émigré et vagabond est un sot personnage. »1815

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre à Joseph, roi de Naples, 9 août 1806. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

L’empereur a chassé les Bourbons du royaume de Naples pour y mettre son frère aîné. Mais il n’approuve pas toujours la politique des nouveaux souverains qu’il essaime un peu partout en Europe, et ceux-ci ont souvent des difficultés avec leurs peuples. Ainsi Joseph, qui entreprend des réformes inspirées du Consulat et se montre bien faible, oubliant que « la force et une justice sévères sont la bonté des rois ».

« Je veux conquérir la mer par la puissance de la terre. »1820

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Décret de Berlin, 21 novembre 1806. Histoire économique et sociale de la France (1976), Fernand Braudel, Ernest Labrousse

Pour résoudre le « problème anglais », autrement dit neutraliser l’ennemi qui règne sur les mers, la guerre navale est impossible après la défaite de Trafalgar, et le débarquement semble irréalisable. Napoléon reprend alors une autre idée longuement méditée, rédigeant lui-même le décret. C’est le Blocus continental : « Tout commerce et toute correspondance avec les îles Britanniques sont interdits. » Y compris aux pays neutres.

Le blocus aurait pu être un danger pour l’économie anglaise qui exporte environ un tiers de sa production. Mais il ne sera jamais totalement respecté, malgré la politique d’annexion systématique pratiquée par Napoléon. L’Angleterre est sauvée par la contrebande. Napoléon envahira les pays récalcitrants : l’Espagne et la Russie. Par ailleurs, le sentiment national des pays occupés va ressurgir, du fait des privations imposées aux peuples.

« Les Romains donnaient leurs lois à leurs alliés. Pourquoi la France ne ferait-elle pas adopter les siennes ? »1830

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Le Code Napoléon va être appliqué dans tout l’Empire, à dater du 13 novembre 1807. Monument juridique toujours en vigueur en France, bien que largement modifié, le Code a inspiré les législations de nombreux États d’Europe : Belgique, Luxembourg, Allemagne, Pays-Bas, Italie, Espagne, Pologne ; et au-delà, Amérique du Sud, Moyen-Orient, jusqu’au Japon.

« Romains, vous êtes appelés au triomphe sans avoir partagé le danger ! […] Romains, vous n’êtes pas conquis, mais réunis ! »1838

Les hérauts à la population, 10 juin 1809. La Revue des deux mondes (1960)

Le « département du Tibre, chef-lieu Rome » est rattaché à l’Empire français depuis un décret impérial du 15 mai, qui prend effet ce 10 juin : c’est l’annexion des États de l’Église. C’en est trop. Pie VII signe dans la nuit l’excommunication de Napoléon : bulle Quum memoranda. Napoléon riposte par la force : il fait enlever le pape, le 6 juillet ! L’empereur devient, pour toute l’Europe, l’homme à abattre. D’où la cinquième coalition.

« Il avait l’air de se promener au milieu de sa gloire. »1839

CAMBACÉRÈS (1753-1824), archichancelier de l’Empire et duc de Parme, parlant de Napoléon en 1809. Histoire du Consulat et de l’Empire (1847), Adolphe Thiers

La cinquième coalition, qui réunit l’Angleterre et l’Autriche en 1809, s’est vite soldée par la victoire de Napoléon sur l’Autriche. Défaite par la Grande Armée à Wagram (5 et 6 juillet), elle signe la paix de Vienne (14 octobre), perd 300 000 km2 et 3 500 000 habitants.

« Il est le Souverain de l’Europe. »1840

METTERNICH (1773-1859), 1809. Mémoires, documents et écrits divers laissés par le prince de Metternich, chancelier de cour et d’État, volume II (1880)

Ambassadeur d’Autriche en France depuis 1806, le prince de Metternich est nommé chancelier et ministre des Affaires étrangères en octobre 1809, signant à ce titre l’humiliant traité (ou paix) de Vienne. Il choisit alors de s’allier à Napoléon – pour mieux l’abattre le moment venu. C’est lui qui va négocier son mariage avec Marie-Louise d’Autriche.

Cette domination culminera en 1811 : le Grand Empire comporte 130 départements qui réuniront 45 millions de « Français », plus 40 millions d’habitants des États vassaux (Italie, Espagne, Naples, duché de Varsovie, Confédération du Rhin, Confédération helvétique).

« Pourvu que cela dure. »1848

Madame MÈRE, alias Marie Letizia (ou Laetitia) Ramolino (1750-1836). Mercure de France, volume CXXXI (1919), publié par Alfred Louis Edmond Vallettee

La mère de Napoléon eut treize enfants. Mariée à 14 ans et morte à 97, cette forte femme vit modestement à l’écart de la cour. Qu’on imagine ce qu’elle pensait, devant l’incroyable ascension du plus célèbre de ses fils qui ne manque pas une occasion de distribuer des titres et des terres à toute sa grande famille, frères, sœurs et conjoints. Non sans problèmes de jalousies, mesquineries, fâcheries, que Napoléon règle en chef de clan.

Il semblait que l’Europe dut lui appartenir tout entière ! Mais la précarité d’un tel Empire n’est que trop évidente.

« Il faut que je fasse de tous les peuples de l’Europe un même peuple et de Paris la capitale du monde. »1849

NAPOLÉON Ier (1769-1821), fin 1810, à son ministre Fouché. Histoire du Consulat et de l’Empire (1974), Louis Madelin

Rêve européen plus tenaillant que jamais. « Ma destinée n’est pas accomplie ; je veux achever ce qui n’est qu’ébauché ; il me faut un code européen, une Cour de cassation européenne, une même monnaie, les mêmes poids et mesures, les mêmes lois… »

Les historiens s’interrogent encore aujourd’hui : impérialiste à l’état pur et avide de conquêtes, patriote français voulant agrandir son pays, ou unificateur de l’Europe en avance sur l’histoire ? Napoléon s’identifie toujours à Charlemagne, mais le temps n’est plus à ce genre d’empire, les peuples sont devenus des nations, la Révolution de 1789 leur a parlé de Liberté.

« [Napoléon déclaré] hors des relations civiles et sociales et livré à la vindicte publique comme ennemi et perturbateur du monde. »1935

Les souverains alliés, Congrès de Vienne, 13 mars 1815. Le Moniteur universel (1815)

Les souverains présents au Congrès de Vienne - François Ier l’empereur d’Autriche (beau-père de Napoléon), le tsar Alexandre de Russie, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III - sont unanimes à mettre Napoléon hors-la-loi. Après Waterloo, le second traité de Paris est beaucoup moins favorable que le premier. Il ramène la France à ses frontières de 1790. Elle perd donc les conquêtes des armées révolutionnaires de 1790-1792. C’en est fini du Grand Empire.

Découvrez la suite de notre Chronique de la colonisation française

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