Citations référentielles : le miroir de l’Histoire (Directoire, Consulat et Empire de Napoléon) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Les citations « référentielles » (inspirées du système des coordonnées en physique) renvoient à un personnage, un événement, une théorie ou une opinion, voire une autre citation en effet miroir. Bref, à tout ce qui fait date et sens dans notre histoire où le récit national côtoie parfois le roman.

Elles se présentent sous diverses formes : slogans, appels, discours, chansons, épitaphes, textes de loi, presse (titres ou extraits d’articles), poèmes, chroniques, mémoires, lettres, pamphlets et autres sources. À la limite, toutes les bonnes citations ont vocation à devenir référentielles, si elles trouvent écho au-delà de leur époque pour devenir patrimoniales.

Elles démontrent que l’Histoire de France a vocation pour servir de référence - jamais assez, jamais trop - étant notre lien, notre identité, en même temps que l’indispensable recul pour juger de l’actualité politique.

Elles doivent être contextualisées, commentées – ça tombe bien, telle est la règle de notre Histoire en citations dont elles sont toutes tirées.

La chronologie s’impose au fil de cet édito en 10 épisodes (et 23 époques) qui renvoient aux Chroniques, de la Gaule à nos jours.

DIRECTOIRE

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« Un jeune homme de vingt-six ans se trouve avoir effacé en une année les Alexandre, les César, les Annibal, les Frédéric. Et, comme pour consoler l’humanité de ces succès sanglants, il joint aux lauriers de Mars l’olivier de la civilisation. »1647

STENDHAL (1783-1842), Vie de Napoléon (posthume)

S’il est un Nom référentiel dans l’Histoire et bien au-delà de la France, c’est lui – personnage historique le plus consulté sur Google après le Christ, en 2022. 

Engagé dans l’armée de Bonaparte (âgé de 26 ans en 1795), le futur romancier découvre l’Italie avec un émerveillement dont son œuvre sera plus tard le reflet. Stendhal écrit cet essai à Milan en 1817-1818 pour répondre à Mme de Staël : dans ses Considérations sur la Révolution française, elle attaquait l’homme à qui Stendhal voue une passion. Cela n’exclut pas la critique.

« Ce Corse terroriste nommé Bonaparte, le bras droit de Barras […] qui n’a pas trente ans et nulle expérience de la guerre […] petit bamboche à cheveux éparpillés, bâtard de Mandrin. »1648

Jacques François MALLET du PAN (1749-1800). Dictionnaire critique de la Révolution française (1992), François Furet, Mona Ozouf

Suisse d’expression française et hostile à la Révolution, il est devenu le porte-parole des émigrés et l’agent secret de la cour auprès des gouvernements antirévolutionnaires. Un article sur la conduite de Bonaparte en Italie (lors de sa campagne de 1797) irrite profondément le « Corse terroriste » : l’écrivain journaliste doit s’exiler. Bonaparte, pas plus que Napoléon, ne supporte l’opposition. Ses opposants littéraires auront souvent du talent, voire du génie.

« Vous n’avez ni souliers, ni habits, ni chemises, presque pas de pain, et nos magasins sont vides ; ceux de l’ennemi regorgent de tout. C’est à vous de les conquérir. Vous le voulez, vous le pouvez, partons ! »1656

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à ses soldats, Toulon, 29 mars 1796. L’Europe et la Révolution française, Cinquième partie, Bonaparte et le Directoire (1903), Albert Sorel

Nommé général en chef de l’armée d’Italie par le Directoire, il tient ce langage le jour de son arrivée devant Toulon. C’est le début de la (première) campagne d’Italie : Carnot, l’« Organisateur de la victoire » sous la Révolution, devenu l’un des cinq Directeurs au pouvoir, a envoyé le général Bonaparte pour retenir en Italie une partie de l’armée autrichienne – simple opération de diversion, ce qui explique l’intendance déplorable. Et c’est le commencement d’une irrésistible ascension.

Ce général en chef de 26 ans a déjà l’art de galvaniser ses troupes – vagabonds en guenilles dont il va faire des soldats victorieux face à des armées supérieures en nombre – avec les mots dictés par les circonstances : « Votre patience à supporter toutes les privations, votre bravoure à affronter tous les dangers excitent l’admiration de la France ; elle a les yeux tournés sur vos misères… »

« Peuples de l’Italie, l’armée française vient rompre vos chaînes ; le peuple français est l’ami de tous les peuples […] et nous n’en voulons qu’aux tyrans qui vous asservissent. »1658

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à l’armée d’Italie, Proclamation de Cherasco, 26 avril 1796 (7 floréal an IV). L’Europe et la Révolution française, Cinquième partie, Bonaparte et le Directoire (1903), Albert Sorel

Derniers mots du général à ses soldats de l’armée d’Italie. Mais la fin du message est destinée aux Italiens.

C’est le langage des révolutionnaires appelant les peuples voisins à l’indépendance et à la liberté. C’est aussi celui du nouveau héros qui se donne pour mission d’être le bienfaiteur de l’humanité, avec ces 38 000 hommes mal vêtus, mal nourris, soudain métamorphosés. L’offensive rapide a réussi : le roi de Sardaigne doit signer avec Bonaparte l’armistice de Cherasco, le 28 avril 1796. Bonaparte, à cette occasion, prouve ses talents de négociateur.

« Chacun de ses pas désormais est marqué par une parole, par un de ces mots historiques qu’on retient parce qu’il est éclairé de gloire. »1659

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), Causeries du lundi, volume I (1857), 17 décembre 1849

Sainte-Beuve juge ici en critique littéraire, même s’il replace le discours en situation historique : « Henri IV avait eu des traits d’esprit, des saillies heureuses que répétaient Grillon et les gentilshommes ; mais, ici, il fallait une éloquence à la hauteur nouvelle des grandes opérations, à la mesure de ces armées sorties du peuple, la harangue brève, grave, familière, monumentale. Du premier jour, au nombre de ses moyens de grande guerre, Napoléon trouva celui-là. »

Relisant ses proclamations, exilé à Sainte-Hélène à la fin de sa vie, l’empereur a murmuré devant Las Cases prenant note : « Et ils ont osé dire que je ne savais pas écrire ! »

« Je me regardai pour la première fois non plus comme un simple général, mais comme un homme appelé à influer sur le sort des peuples. Je me vis dans l’histoire. »1662

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), au soir de Lodi, 10 mai 1796. Le Manuscrit de Sainte-Hélène, publié pour la première fois avec des notes de Napoléon (1821), Jacob Frédéric Lullin de Châteauvieux

Première victoire décisive sur les Autrichiens : « C’est le succès qui fait les grands hommes ! » dira plus tard Napoléon. À Lodi, le tacticien prend les dimensions d’un stratège : le Petit Caporal corse, ce « bâtard de Mandrin », brocardé, utilisé par les politiques (Barras en tête), a soudain conscience de son destin.

La métamorphose a frappé ses biographes, sans doute aussi les contemporains. Six mois plus tard, la victoire de Bonaparte au pont d’Arcole est le titre et le sujet du plus célèbre tableau d’Antoine-Jean Gros, élève de David, jeune peintre inspiré par son modèle qui affiche l’image du héros, à la fois classique et romantique, étonnamment contemporain.

« Comme Carthage, l’Angleterre sera détruite. »1291

Les Directeurs, 18 janvier 1798. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Par ces mots, la France décrète le blocus de la Grande-Bretagne. Interdiction est faite aux neutres de transporter des marchandises britanniques. Le mois suivant, le Directoire soumet à Bonaparte un projet d’invasion de l’Angleterre, par la Manche. Il y renonce, préférant attaquer l’ennemi anglais par la mer, en Méditerranée.

Jean Hérold-Paqui, la voix de l’Allemagne sur les ondes de Radio-Paris pendant l’occupation allemande de 1940-1944, reprendra ce slogan.

« Soldats, songez que du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent. »1671

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Proclamation supposée, avant la bataille des Pyramides du 21 juillet 1798. Les Français en Égypte (1855), Just-Jean-Étienne Roy

Débarquement à Alexandrie, le 1er juillet : la ville tombe aux mains des Français le 2 et le 23, ils entrent dans la capitale, Le Caire. Cette expédition est un rêve oriental qui se réalise. Le corps expéditionnaire a échappé par miracle à la flotte britannique commandée par Nelson. Pour en finir au plus vite, Bonaparte prend le chemin le plus court, entre Alexandrie et Le Caire : le désert, trois semaines de chaleur qui pouvaient être fatales aux soldats non préparés. Et près des pyramides de Gizeh, la bataille contre les mamelouks est réglée en deux heures !

La suite de l’expédition sera moins brillante. La flotte est détruite par le vice-amiral Nelson le 1er août, l’Égypte n’est plus qu’un piège dont Bonaparte va se sortir tant bien que mal, transformant cette défaite en victoire, pressé de regagner Paris où son avenir est en jeu et laissant son armée qui se rendra finalement aux Anglais.

« Voilà votre homme, il fera votre coup d’État bien mieux que moi. »1675

Général MOREAU (1763-1813), à l’abbé Sieyès, quand il apprend le retour de Bonaparte, 17 octobre 1799. Sieyès, la clé de la Révolution française (1988), Jean-Denis Bredin

Moreau l’a vu à l’œuvre dans l’armée d’Italie et le recommande à Sieyès, l’un des cinq Directeurs. L’abbé est toujours en quête de son « sabre » (ou son épée) pour remettre de l’ordre dans le pays, renforcer l’exécutif, lutter contre la gauche jacobine et surtout la droite royaliste, avec Louis XVIII qui pourrait revenir et rétablir la monarchie. Le régime du Directoire, faible, corrompu, incompétent, est définitivement déconsidéré.

« Messieurs, nous avons un maître, ce jeune homme fait tout, peut tout et veut tout. »1681

Abbé SIEYÈS (1748-1836), tirant la leçon du coup d’État du 18 Brumaire, après la réunion du 11 novembre 1799. Le Réalisme (1857), Champfleury

Sieyès est ébloui par Bonaparte qui exerce un irrésistible ascendant sur autrui. Cette fois, il l’a vu dominer tous les sujets : armée, administration, finances, droit, politique. Doué d’une intelligence à la fois synthétique et analytique, l’homme possède aussi une excellente mémoire et une force de travail stupéfiante.

L’abbé qui a parfaitement manœuvré jusque-là va perdre pratiquement tout pouvoir. Non sans regret, il a compris qu’il faut s’effacer. L’empereur ne sera pas totalement ingrat, lui donnant comme lot de consolation un poste de sénateur et le titre de comte. Exilé sous la Restauration comme régicide, il reviendra sous la Monarchie de Juillet et mourra en 1836, bien après l’empereur déchu.

« Une fois encore s’allait justifier le mot de Saint-Évremond : « le Français est surtout jaloux de la liberté de se choisir son maître ». »1682

Louis MADELIN (1871-1956), Histoire du Consulat et de l’Empire, Le Consulat, 18 brumaire an VIII (1937-1954)

Un siècle plus tard, il tire la leçon du coup d’État du 18 Brumaire et de ses suites. L’historien cite le moraliste du siècle de Louis XIV, préfigurateur de la philosophie des Lumières, type même de l’« honnête homme » ironique et sceptique. Madelin, spécialiste de la Révolution et de l’Empire, va d’abord approuver le choix du nouveau maître de la France tel qu’il se révèle, sous le prochain régime du Consulat.

CONSULAT

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« Nous avons fini le roman de la Révolution : il faut en commencer l’histoire… »1683

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), au Conseil d’État, le lendemain du coup d’État du 18 Brumaire (9 novembre 1799). L’Europe et la Révolution française (1885), Albert Sorel

« … et voir ce qu’il y a de réel et de possible dans l’application de ces principes, et non ce qu’il y a de spéculatif et d’hypothétique. Suivre aujourd’hui une autre marche, ce serait philosopher et non gouverner. » Autrement dit, au travail ! Bonaparte va mettre à profit quelques mois de trêve, pour beaucoup et bien travailler avec ses conseillers d’État. Ses collaborateurs assurent qu’il travaille dix-huit heures par jour et Le Publiciste (futur Journal des Débats) confirme : « Jamais chef d’État n’a plus travaillé par lui-même. »

Définir son programme, c’est se situer face à l’événement majeur qu’il a vécu. Les historiens en discutent à l’infini : le Bonaparte du Consulat (avant le Napoléon de l’Empire) est-il le continuateur ou le liquidateur de la Révolution, voire, pour les plus extrêmes, son sauveur ou son fossoyeur ?

« De Clovis jusqu’au Comité de salut public, je me sens solidaire de tout. »1686

Napoléon BONAPARTE (1769-1821). JO de la République française, n° 57 (1988), Maurice Schumann au Sénat, 9 décembre 1988

C’est l’un des principes politiques du nouveau dirigeant de la France, né de la Révolution et qui a vu ses excès, sans pour autant participer à la Terreur et au Comité de salut public comme certains de ses collaborateurs ou ministres - à commencer par Carnot, Barras, et surtout Fouché, incontournable ministre de sa police.

« Ces cinq ans de Consulat – l’une des plus belles pages de la plus belle des histoires, l’histoire de France. »1684

Louis MADELIN (1871-1956), Histoire du Consulat et de l’Empire. L’Avènement de l’Empire (1937-1954)

L’empereur Napoléon a suscité des haines profondes et même ses admirateurs ont des raisons de le critiquer. Mais le Bonaparte du Consulat rallie quasiment tous les suffrages, chez les contemporains comme chez les historiens. Cela dit, l’un est né de l’autre, avec une logique qui peut prendre le nom de fatalité ou de destinée.

« Qu’y a-t-il dans la Constitution ?
— Il y a Bonaparte. »1696

Le mot circule dans Paris en 1800. Histoire socialiste, 1789-1900, volume VI, Consulat et Empire, Paul Brousse et Henri Turot, sous la direction de Jean Jaurès (1908)

C’est clair, Bonaparte a l’essentiel du pouvoir : « La décision du Premier Consul suffit. » Les deux autres consuls, Cambacérès et Lebrun, n’ont qu’une voix consultative. Irresponsable devant les assemblées, il nomme ministres et fonctionnaires, a l’initiative des lois.

Le législatif est émietté en trois assemblées qui se neutralisent (Sénat, Tribunat, Corps législatif) et le suffrage universel escamoté. C’est un « sur-mesure institutionnel » pour le nouveau César – notons que le mot de Consulat vient du droit romain, comme les sénatus-consultes, textes promulgués par le Sénat, autres souvenirs de la République romaine. Napoléon sait la force des symboles dont il usera toujours en grand politique – le Sacre de 1804 étant à tous les sens du mot le couronnement et l’un des plus beaux jours de sa vie.

« J’envie votre heureux sort ; vous allez, avec des braves, faire de belles choses. Je troquerais volontiers ma pourpre consulaire pour une épaulette de chef de brigade sous vos ordres. » 1699

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), au général Moreau, commandant en chef de l’armée du Rhin, 16 mars 1800. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Le Premier Consul, très actif à Paris et préparant d’indispensables réformes, avoue au général qu’il s’ennuie quand il ne fait pas la guerre – qui a repris en Italie, face aux Autrichiens. C’est la suite de la deuxième coalition, alliance des puissances européennes (dont l’Angleterre) contre la France. Deux mois plus tard, trop heureux, il part « à grands pas au secours de l’armée d’Italie pour lui donner un coup de main ».

« Sans trop de respect pour notre espèce, [Bonaparte] ordonna de nous transformer sur-le-champ en bêtes de somme et de trait, ce qui fut effectué comme par enchantement. »1701

Capitaine GERVAIS (1779-1858), évoquant le passage du col du Grand-Saint-Bernard, 18-20 mai 1800. Souvenirs d’un soldat de l’Empire (posthume, 1939)

Engagé volontaire en 1793, il fera toutes les campagnes de l’Empire. Récit pris sur le vif de vingt années de guerres en Europe, signé d’un héros qui ne se prend jamais pour tel, ne demande rien et refuse parfois un avancement.

Le général Bonaparte, à la tête d’une armée de réserve de 50 000 soldats, renouvelle l’exploit d’Hannibal, franchissant les Alpes au col du Saint-Bernard encore sous la neige, avec des pièces d’artillerie traînées à bras d’homme dans des troncs creux. Scène immortalisée, et surtout sublimée, par David : Le Premier Consul franchissant les Alpes au col du Grand-Saint-Bernard, tableau peint en 1800.

David, conseillé par Bonaparte, dépasse la simple représentation de l’événement pour en faire le prototype de la propagande napoléonienne. Le Premier Consul a souhaité être peint « calme sur un cheval fougueux » et l’artiste cabre l’animal, pour donner un dynamisme à sa composition, renforcé par le geste grandiloquent de Bonaparte drapé dans un ample manteau de couleur vive. Le général victorieux, au visage idéalisé, regarde le spectateur et lui montre la direction à suivre, censée être cette troisième voie politique qu’il cherche à imposer entre les royalistes et les républicains.

Dans la réalité, Bonaparte a franchi le col à dos de mule, revêtu d’une redingote grise. C’est quand même un exploit qui contredit les prédictions des habitants du lieu. Ce passage réussi va permettre de prendre à revers les troupes autrichiennes, dans cette deuxième campagne d’Italie.

« Pourquoi ne m’est-il pas permis de pleurer ? »1707

Napoléon BONAPARTE (1769-1821) à la mort de Desaix, Marengo, 14 juin 1800. Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux

C’était un valeureux compagnon de route pour Bonaparte qui a pu apprécier l’homme et le militaire, dans la campagne d’Égypte. Certains historiens dénonceront son mépris de la vie humaine, mais il ne ménage pas la sienne : « Qu’est-ce qu’un homme après tout ? » dit-il.

Après Marengo, les Autrichiens demandent un armistice. L’Italie, pour la seconde fois, est conquise par les Français. À Milan, capitale de la République cisalpine, on illumine. Paris accueille la nouvelle de cette victoire dans un délire d’enthousiasme. Il n’en fallait pas moins, pas plus, pour assurer la position de Bonaparte, Premier Consul.

« C’était un fou, votre Rousseau ; c’est lui qui nous a menés où nous sommes. »1712

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à Stanislas Girardin, lors d’une visite à Ermenonville, dans la chambre où mourut le philosophe, 28 août 1800. Œuvres du comte P. L. Roederer (1854)

Il n’y a pas une phrase du Contrat social « tolérable » pour Bonaparte Premier Consul, et moins encore Napoléon Empereur. Mais aucun philosophe des Lumières ne peut être pris pour maître à penser ou à gouverner par un homme aussi autoritaire. Il l’a d’ailleurs écrit dans ses Maximes et pensées : « On ne fait rien d’un philosophe. »

Les deux grands « despotes éclairés » du siècle des Lumières, Frédéric II, le roi de Prusse, et Catherine II de Russie, ont eu des relations suivies avec Voltaire et Diderot, mais ils étaient moins « fous » que Rousseau dans leur idéalisme libertaire et leur théorie sociale – et dans le premier cas, les deux hommes se sont brouillés.

« L’espace qui sépare la Grande-Bretagne du continent n’est point infranchissable. »1718

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Lettre à Talleyrand, ministre des Relations extérieures, 19 avril 1801. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

« Il est bon que l’Angleterre sache que l’opinion du Premier Consul est que l’espace… »

Cela sonne comme une menace. En février 1798, le Directoire soumit à Bonaparte un projet d’invasion de l’Angleterre. Sur le sage conseil de Talleyrand, l’ambitieux a renoncé, préférant combattre l’ennemi en Méditerranée, d’où la campagne d’Égypte. Mais l’idée revient, obsédante.

« Nous sommes trente millions d’hommes réunis par les Lumières, la propriété et le commerce. »1726

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Conseil d’État, 4 mai 1802. Mémoires sur le Consulat (1827), comte Antoine-Claire Thibaudeau

Voilà une définition de la nation qu’aurait pu signer Necker, Sieyès ou Benjamin Constant. Grâce à la paix extérieure et intérieure momentanément retrouvée, agriculture, industrie et commerce se développent, la France se réforme (administration, monnaie, fiscalité, éducation).

« Le peuple français nomme et le Sénat proclame Napoléon Bonaparte Premier Consul à vie. »1727

Le Sénat, proclamation des résultats du plébiscite, 2 août 1802

C’est bien le peuple tout entier qui donne ce pouvoir à Bonaparte : sur plus de 3,5 millions de votants, guère plus de 8 000 non. À Paris : 60. En Vendée, 6 ! Le consensus national est évident et justifié.

« Ce siècle avait deux ans. Rome remplaçait Sparte.
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du Premier Consul déjà par maint endroit
Le front de l’empereur brisait le masque étroit. »1728

Victor HUGO (1802-1885), Les Feuilles d’automne (1831)

1802. C’est aussi l’année de naissance du poète qui dominera le siècle. Son père fut général et comte d’Empire. Chantre de la légende napoléonienne, Hugo jouera à ce titre – et à bien d’autres – un vrai rôle politique.

« Voici le second pas fait vers la royauté. Je crains que cet homme ne soit comme les dieux d’Homère, qu’au troisième acte il n’atteigne l’Olympe. »1729

Mme de STAËL (1766-1817), jugeant l’irrésistible ascension du Premier Consul. Bonaparte (1977), André Castelot

Opposante résolue, elle ironise quand le 15 août (anniversaire de Bonaparte né sous le signe astral du lion) devient jour de fête nationale. Le prénom Napoléon s’inscrit déjà sur des pièces de monnaie. Le sénatus-consulte du 4 août 1802 (Constitution de l’an X) augmente encore les pouvoirs du Premier Consul à vie au détriment du législatif.

Un agent espion du comte de Provence (futur Louis XVIII) constate : « Bonaparte continue à régner avec une plénitude de pouvoirs que ne déployèrent jamais nos rois. »

« L’arrivée de cette femme, comme celle d’un oiseau de mauvais augure, a toujours été le signal de quelque trouble. Mon intention n’est pas qu’elle reste en France. »1738

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), au Grand Juge Régnier (ministre de la Justice). Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Il vient d’apprendre le retour de Mme de Staël près de Beaumont-sur-Oise, le 3 octobre 1803. Il lui donne cinq jours pour partir, sinon, il la fera reconduire à la frontière par la gendarmerie. C’est la femme qu’il abomine le plus au monde, pour son intelligence, son courage, son talent, tout cela mis au service de son opposition au pouvoir !

« C’est un fossé qui sera franchi lorsqu’on aura l’audace de le tenter. »1739

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à Cambacérès, Boulogne, 16 novembre 1803. L’Europe et la Révolution française (1907), Albert Sorel

Ce fossé, c’est la Manche qui sépare la France des côtes d’Angleterre, visibles des hauteurs d’Ambleteuse (département du Pas-de-Calais). Cest une idée récurrente, voire une obsession.

« L’air est plein de poignards. »1741

Joseph FOUCHÉ (1759-1820), mi-janvier 1804. Fouché (1903), Louis Madelin

Bien que n’étant plus au ministère de la Police (supprimé entre 1802 et 1804), il apprend la présence de Pichegru à Paris, général traître, déporté par le Directoire, évadé du bagne. Cadoudal est complice, chef chouan charismatique, déjà impliqué dans l’attentat de la rue Saint-Nicaise, fin 1800, que Bonaparte a essayé de se rallier. Le général Moreau s’est plus ou moins joint au complot, s’estimant mal payé des services rendus au pouvoir, mais refusant de servir les royalistes. Ces hommes ont le projet d’enlever le Premier Consul.

Bonaparte informé, la capitale est mise aussitôt en état de siège.

« Les Bourbons croient qu’on peut verser mon sang comme celui des plus vils animaux. Mon sang cependant vaut bien le leur. Je vais leur rendre la terreur qu’ils veulent m’inspirer […] Je ferai impitoyablement fusiller le premier de ces princes qui me tombera sous la main. »1743

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), 9 mars 1804. Histoire du Consulat et de l’Empire (1847), Adolphe Thiers

Cadoudal vient d’être arrêté au terme d’une course-poursuite meurtrière au Quartier latin. Il a parlé sans le nommer d’un prince français complice : de l’avis de tous, c’est le duc d’Enghien, émigré près de la frontière en Allemagne.

Le lendemain, le Premier Consul, en proie à une fureur extrême, donne l’ordre de l’enlever, ce qui sera fait dans la nuit du 15 au 16 mars par une troupe d’un millier de gendarmes, au mépris du droit des gens (droit international).

« C’est pire qu’un crime, c’est une faute. »1747

Antoine Claude Joseph BOULAY de la MEURTHE (1761-1840), apprenant l’exécution du duc d’Enghien, le 21 mars 1804. Mot parfois attribué, mais à tort, à FOUCHÉ (1759-1820) ou à TALLEYRAND (1754-1838). Les Citations françaises (1931), Othon Guerlac

Conseiller d’État pourtant fidèle à Bonaparte du début (coup d’État de brumaire) à la fin (Cent-Jours compris), il a ce jugement sévère. Cette citation référentielle bien connue est parfois attribuée à Fouché (par Chateaubriand) ou à Talleyrand (par J.-P. Sartre). Mais les deux hommes ont eux-mêmes poussé Bonaparte au crime et il n’est pas dans leur caractère de s’en repentir.

Cette exécution sommaire indigne l’Europe et toutes les têtes couronnées se ligueront contre l’empereur – là est « la faute ». Le drame émeut la France : détails sordides de l’exécution de nuit, dans les fossés de Vincennes, douleur de la princesse Charlotte de Rohan-Rochefort qui portera toute sa vie le deuil de cet amour. Mais les royalistes se rallieront majoritairement à Napoléon – et en cela, il a politiquement bien joué.

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »1750

Code civil (21 mars 1804), article 1382

Aux dires de nombreux juristes, cette définition concise et générale de la responsabilité civile est le plus lumineux passage du Code Napoléon.
Il est promulgué le jour même de la mort du duc d’Enghien, enlevé et exécuté au mépris de toutes les lois. Impossible de ne pas rapprocher ces deux aspects antinomiques du personnage de Napoléon Bonaparte et de son règne.

« Ma vraie gloire, ce n’est pas d’avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code civil. »1751

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Histoire générale du IVe siècle à nos jours, volume IX (1897), Ernest Lavisse, Alfred Rambaud

En exil, l’empereur déchu imagine-t-il l’avenir de ce monument juridique, voulu par lui et mené à terme grâce à la stabilité politique revenue en fin de Consulat ?

EMPIRE

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« République française, Napoléon Empereur. »1793

En-tête sur les actes officiels, à dater du 18 mai 1804. L’Europe et la Révolution française (1907), Albert Sorel

Étrange inscription, oxymore institutionnel. Rouget de l’Isle, officier et auteur de La Marseillaise, ose prédire et écrire à l’empereur : « Bonaparte, vous vous perdez, et ce qu’il y a de pire, vous perdez la France avec vous ! » Mais l’on entend surtout et partout les cris de « Vive l’empereur ! »

« La diplomatie est la police en grand costume. »1759

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Maximes et pensées

L’aphorisme convient parfaitement à son ministre des Relations extérieures (jusqu’en 1807), M. de Talleyrand, l’un des principaux personnages sous l’Empire et notre plus grand diplomate français de l’histoire.

« L’art de la police est de ne pas voir ce qu’il est inutile qu’elle voie. »1760

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Premier Consul, Au citoyen Fouché, 24 mai 1800. Dictionnaire des citations françaises, Le Robert

Il s’adresse au ministre de la Police, Joseph Fouché, autre éminence grise et pilier du régime qui fait souvent couple avec Talleyrand, tout aussi talentueux et détestable.

« Si vous ôtez la foi au peuple, vous n’avez que des voleurs de grand chemin. »1761

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Pensées politiques et sociales de Napoléon (1969)

Cette idée qui lui est chère expliquait déjà la politique religieuse sous le Consulat : « Comment avoir de l’ordre dans un État sans une religion ? » dit le Premier Consul à Roederer (juillet 1800). « Il n’y a pas de bonne morale sans religion […] une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole » (juin 1800, aux curés de Milan). « Nulle société ne peut exister sans morale. Il n’y a pas de bonne morale sans religion. Il n’y a donc que la religion qui donne à l’État un appui ferme et durable » (Maximes et pensées).

Mais au siècle des Lumières, Voltaire ne pensait pas autrement, encore plus méfiant face à la « populace ».

« L’armée, c’est la nation. »1762

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Premier Consul, au Conseil d’État, 4 mai 1802. Dictionnaire des citations françaises, Le Robert

Citation clairement référentielle à divers titres. Bonaparte est d’abord un militaire avant de se révéler homme d’État. Il entre à l’école militaire de Brienne à 9 ans (comme boursier), il a 19 ans quand la Révolution commence et le grade de lieutenant d’artillerie (son arme préférée). Dès que la France entre en guerre en 1792, il se révèle à la fois stratège et chef surdoué, promu chef de brigade à 24 ans,« à cause du zèle et de l’intelligence dont il a fait preuve » au siège de Toulon (1793), reprenant la ville qui s’était livrée aux Anglais. Fait caporal à Lodi (1796), il garde ce surnom de Petit Caporal parmi les soldats. Ses campagnes d’Italie et d’Égypte apportent la gloire au jeune général sous le Directoire. Le Premier Consul combat avec passion, à la tête de ses hommes. L’Empire sera placé sous le signe des guerres qui s’enchaînent inéluctablement, des plus éclatantes victoires aux plus dramatiques défaites, entre légende dorée et légende noire de Napoléon toujours combattant. Intrépide, il s’affiche au premier rang, passe les ponts dans les bataillons de pointe. Le cheval mourut sous lui à plusieurs reprises, il reçut des balles dans la botte ou le pied : « Un homme comme moi se soucie peu de la vie. » La force de l’armée, c’est Napoléon.

« Chaque année, la France faisait présent à cet homme de trois cent mille jeunes gens ; c’était l’impôt payé à César. »1764

Alfred de MUSSET (1810-1857), La Confession d’un enfant du siècle (1836)

« … Et s’il n’avait ce troupeau derrière lui, il ne pouvait suivre sa fortune. C’était l’escorte qu’il lui fallait, pour qu’il pût traverser le monde, et s’en aller tomber dans une petite vallée d’une île déserte, sous un saule pleureur. » L’histoire finit mal, pour la France exsangue et pour l’empereur exilé.

Mais « l’enfant du siècle » orphelin de Napoléon évoque aussitôt après l’Empire glorieux : « Jamais il n’y eut tant de joie, tant de vie, tant de fanfares guerrières dans tous les cœurs. Jamais il n’y eut de soleils si purs que ceux qui séchèrent tout ce sang. On disait que Dieu les faisait pour cet homme, et on les appelait ses soleils d’Austerlitz. »

« L’ogre corse sous qui nous sommes,
Cherchant toujours nouveaux exploits,
Mange par an deux cent mille hommes
Et va partout chiant des rois. »1765

Pamphlet anonyme contre Napoléon. Encyclopædia Universalis, article « Premier Empire »

De nombreux pamphlets contribuent à diffuser la légende noire de l’Ogre de Corse, contre la légende dorée de la propagande impériale.

Les historiens estimeront à un million les morts de la Grande Armée, « cette légendaire machine de guerre » commandée par Napoléon en personne. Quant aux rois imposés par l’empereur, ils sont nombreux, pris dans sa famille ou parmi ses généraux : rois de Naples, d’Espagne, de Suède, de Hollande, de Westphalie. Royautés parfois éphémères, souvent mal acceptées des populations libérées ou conquises.

« Les hommes de génie sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur siècle. »1766

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Discours de Lyon, 1791

Ce sont les premiers mots que l’histoire a retenus du futur empereur. Bonaparte, 22 ans, lieutenant d’artillerie, participe au concours ouvert par l’Académie de Lyon. Le thème : l’éducation à donner aux hommes pour les mettre sur le chemin du bonheur – d’où l’autre nom du « Discours sur le bonheur ».

Bonaparte condamne la monarchie absolue et trouve bien des vertus au philosophe des Lumières qu’il traitera ensuite de « fou » dangereux pour la société : « Ô Rousseau, pourquoi faut-il que tu n’aies vécu que soixante ans ! Pour l’intérêt de la vertu, tu eusses dû être immortel. » C’est le style de l’époque. Mais le talent d’expression et l’ambition évidente donnent cette phrase prémonitoire que n’aurait pas désavouée Hugo ou Chateaubriand : « Les hommes de génie sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur siècle. »

Du chef de brigade à l’empereur déchu, l’aventure va durer vingt-deux ans. C’est assez pour en faire « le plus grand héros de tous les temps » pour l’Encyclopædia Britannica, toujours comparé aux plus grands : « Qu’est-ce donc que cette chose dont parle Alexandre lorsqu’il évoque sa destinée, César sa chance, Napoléon son étoile ? Qu’est-ce donc sinon la confiance qu’ils avaient tous les trois dans leur rôle historique ? » (Charles de Gaulle, Mémoires).

« On ne conduit le peuple qu’en lui montrant un avenir : un chef est un marchand d’espérances. »1768

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Maximes et pensées

Précisant cette pensée, il dira aussi : « L’imagination gouverne le monde » (Mémorial). Et en 1800 : « Je ne suis qu’un magistrat de la République qui n’agit que sur les imaginations de la nation ; lorsque ce moyen me manquera, je ne serai plus rien ; un autre me succédera. » Et encore : « On ne peut gouverner l’homme que par l’imagination ; sans l’imagination, c’est une brute ! Ce n’est pas pour cinq sous par jour ou pour une chétive distinction que l’on se fait tuer ; c’est en parlant à l’âme que l’on électrise l’homme. »

C’est un message qui a dû plaire au général de Gaulle. D’autres chefs d’État devraient s’en inspirer, quelle que soit leur couleur politique.

« Un conquérant, c’est un joueur déterminé qui prend un million d’hommes pour jetons et le monde entier pour tapis. »1769

Comte de SÉGUR (1753-1830), Histoire de Napoléon et de la Grande Armée (1824)

Joueur, Napoléon le fut tant de fois sur les champs de bataille, et le million de morts est le chiffre qui revient toujours – considérable pour l’époque.

Il joue aussi en politique et d’abord dans la décision du coup d’État de brumaire (novembre 1799) où il joue véritablement son destin à quitte ou double : « Dans une grande affaire, on est toujours forcé de donner quelque chose au hasard » dit-il à Sieyès, inquiet de l’issue. La même année, il ajoute à ses Maximes et pensées : « La vraie politique n’est autre chose que le calcul des combinaisons des chances » et « La politique, c’est jouer aux hommes », cité par Chateaubriand qui connaît la fin de l’histoire et ajoute aussitôt : « Il a tout perdu à ce jeu abominable, et c’est la France qui a payé sa perte » (Mémoires d’outre-tombe).

« Eh bien ! duchesse, aimez-vous toujours autant les hommes ?
— Oui Sire, quand ils sont polis. »1778

Duchesse de FLEURY (1769-1820), répondant librement à NAPOLÉON Ier (1769-1821), vers 1806. Revue politique et littéraire : revue bleue, volume I (1875)

La duchesse reste dans l’histoire sous le nom d’Aimée de Coigny qui inspira le poème de La Jeune Captive à André Chénier près de l’échafaud. Elle écrira bientôt ses Mémoires, comme tant de gens lettrés à l’époque.

Quant à l’empereur, sa goujaterie est proverbiale. Dans les salons, il ne se gêne pas pour apostropher une dame en ces termes : « Cette robe est sale, vous n’en changez donc jamais ? » ou encore « Quelle déception ! On m’avait assuré que vous étiez jolie ». Étant empereur, personne n’ose lui répliquer, hormis la duchesse de Fleury, revenue d’émigration avec une réputation de galanterie. Le seul être féminin qui trouve grâce à ses yeux est sa mère, Marie Letizia Ramolino.

« Joseph, si notre père nous voyait ! »1798

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à son frère le jour du sacre, 2 décembre 1804. Encyclopédie Larousse, article « La jeunesse de Napoléon Bonaparte »

Très pâle, l’empereur se tourne vers son frère aîné, présent à ses côtés, pour murmurer ces mots. Leur père, Carlo Maria Buonaparte qui a francisé son nom en Charles-Marie Bonaparte a tout fait pour que ses quatre fils puissent suivre de bonnes études (si possible dans l’armée), aux frais du roi, étant lui-même peu fortuné et dépensier. Il est mort en 1785, d’un cancer à l’estomac – comme son fils, quelques années plus tard.

Leur mère est bien vivante, mais absente : c’est elle qui l’a décidé, au grand dam de son empereur de fils. Elle ne veut pas jouer son rôle dans cette cérémonie et surtout pas lui baiser la main comme le veut l’étiquette. On dit aussi qu’elle est fâchée de la brouille entre Napoléon et son frère Lucien.

Elle sera quand même sur le tableau de David, Le Sacre qui immortalise l’événement, lui-même étant sacré premier peintre de l’empereur en 1805 : une fresque (haute de 6,21 mètres, large de 9,79 mètres) à la démesure de l’événement. Toute la famille Bonaparte est réunie. Napoléon sera comblé par cette œuvre, propre à servir sa légende et à confirmer sa dynastie. À la première exposition publique du Sacre, au Salon de 1808, l’empereur n’a qu’un mot : « Je vous salue, David. »

« Je n’ai pas succédé à Louis XVI, mais à Charlemagne. »1799

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Pie VII, le jour du sacre en la cathédrale Notre-Dame de Paris, 2 décembre 1804. Napoléon a dit (1996), Lucian Regenbogen, préface de Jean Tulard

À peine couronné empereur des Français par le pape, il dévoile sa véritable ambition, le titre d’empereur d’Occident à la tête du Grand Empire. Le 7 septembre, résidant à Aix-la-Chapelle, il s’est recueilli devant le tombeau de Charlemagne, il a ordonné une procession solennelle avec tous les symboles impériaux (couronne, épée, main de justice, globe, éperons d’or). Et le sacre se tient à Paris, non pas à Reims comme de tradition pour les rois de France.

« Il ne rêvait certainement pas d’un empire unitaire, mais d’une confédération d’États : il parlera, un jour, des États-Unis d’Europe » (Louis Madelin, Histoire du Consulat et de l’Empire : vers l’empire d’Occident).

« Soldats, je suis content de vous. »1809

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Proclamation d’Austerlitz, 2 décembre 1805. Histoire de l’empereur Napoléon (1834), Abel Hugo

Abel Hugo est le frère aîné de Victor et leur père, général d’Empire, a participé à toutes les guerres de Napoléon. Cela explique en partie l’inspiration et la nostalgie impériales dans la famille.

Au soir de la victoire, le général sait toujours trouver les mots pour ses troupes et le plus simple est le plus vrai.

« Il vous suffira de dire : j’étais à la bataille d’Austerlitz, pour qu’on vous réponde : voilà un brave ! »1810

NAPOLÉON Ier (1769-1821), fin de la Proclamation d’Austerlitz, 2 décembre 1805. Faits mémorables de l’histoire de France (1844), Louis Michelant

Cette « bataille des Trois Empereurs » opposa les 65 000 hommes de Napoléon aux 90 000 hommes d’Alexandre Ier (Russie) et de François II (Saint Empire romain germanique). Le dieu de la guerre et de la fortune est avec Napoléon : le brouillard matinal cache ses mouvements à l’ennemi, le soleil d’Austerlitz brille enfin sur une suite de manœuvres tactiques hardies et réussies – un classique, enseigné dans les écoles de guerre. Le bronze des 180 canons ennemis sera fondu pour édifier la colonne Vendôme (inspirée de la colonne de Trajan, à Rome).

La victoire d’Austerlitz met fin à la troisième coalition – l’Angleterre est invaincue, mais reste seule. Le traité de Presbourg est signé le 26 décembre par François II qui abdique la couronne du Saint Empire et reconnaît la Confédération du Rhin. C’est la suite de ses humiliations (commencées sous la Révolution) et ce n’est pas fini. Mais le tsar ne signe pas. Après d’autres défaites, il sortira vainqueur du duel avec Napoléon dans la campagne de Russie.

« La liberté de la pensée est la première conquête du siècle. L’Empereur veut qu’elle soit conservée. »1811

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Le Moniteur, 22 janvier 1806

Perlé référentielle, mais contre-vérité absolue. Précisons que sa source est un journal très officiel… et il n’en reste pratiquement plus d’autres. Après les 1 500 périodiques nés au début de la Révolution, plus de 70 paraissaient encore à Paris sous le Directoire. Il en reste 4 en 1811. En 1810, un seul journal par département – reproduisant les pages politiques du Moniteur, sous contrôle du préfet.

La liberté de pensée est réduite comme celle de la presse. Même les tragédies classiques, répertoire préféré de l’empereur, sont épurées : les habitués du Théâtre-Français, brochure en main, s’amusent à traquer les nouvelles coupes imposées par la censure impériale à Racine et Corneille. Les contemporains sont dociles. Sauf exception.

Chateaubriand est hostile au régime (depuis l’exécution du duc d’Enghien). Dans son discours de réception à l’Académie française, il veut faire l’éloge de la liberté. Napoléon le lui interdit. Mme de Staël est plus gravement persécutée – c’est une femme de tête, trop intelligente à son goût.

« J’écris au ministre de la Police d’en finir avec cette folle de Mme de Staël, et de ne pas souffrir qu’elle sorte de Genève, à moins qu’elle ne veuille aller à l’étranger faire des libelles. »1822

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Regnault de Saint-Jean-d’Angély, procureur général de la Haute Cour, 20 avril 1807. Les Opposants à Napoléon : l’élimination des royalistes et des républicains, 1800-1815 (2003), Gérard Minart

Napoléon est de plus en plus irrité par cette femme qui le hait d’autant plus qu’elle voulut se faire aimer de lui, jadis : les deux plus grands génies du siècle, lui l’homme et elle la femme, n’étaient-ils pas faits pour cela, pensait-elle ! Ce n’était certainement pas le genre de maîtresse qu’il recherchait.

« Dieu a établi Napoléon, notre souverain, l’a rendu son image sur la terre […] Honorer et servir notre Empereur est donc honorer et servir Dieu. »1814

Abbé Paul d’ASTROS (1772-1851), Catéchisme à l’usage de toutes les Églises de l’Empire français, 4 août 1806

Le rédacteur, neveu de Portalis ministre des Cultes, s’inspire de Bossuet, mais il insiste plus lourdement sur l’obéissance due au prince qui gouverne. Napoléon a mis la religion à son service. Certains courtisans exagèrent quand même. Le vice-amiral Decrès, ministre de la Marine, s’attirera une cinglante riposte : « Je vous dispense de me comparer à Dieu. Je veux croire que vous n’avez pas réfléchi à ce que vous m’écriviez. »

Un autre passage du catéchisme impérial précise : « On doit à l’Empereur l’amour, les impôts, le service militaire, sous peine de damnation éternelle. » Autrement dit, les opposants iront en enfer.

« Commediante ! Tragediante ! »
« Comédien ! Tragédien ! »1781

PIE VII (1742-1823). Servitude et grandeur militaires (1835), Alfred de Vigny

Ces deux mots n’ont peut-être pas été prononcés tels qu’ils sont passés à la postérité, mais ils reflètent ce que ce pape de caractère pensait de l’empereur à juste titre.

Don de la simulation et sens théâtral sont deux qualités reconnues au grand premier rôle que fut Napoléon sur la scène de l’histoire. Son sens de la mise en scène, il en joue en artiste : « Rien n’interrompt aussi bien une scène tragique qu’inviter l’autre à s’asseoir ; lorsqu’il est assis, le tragique devient comique. » Il a d’ailleurs pris des cours avec le plus célèbre sociétaire de la Comédie-Française, son ami Talma. Il sait donner une dimension épique aux défaites comme aux victoires, revues et corrigées par les peintres voués à sa propagande. Le sommet de l’art reste le sacre dont Pie VII est témoin et acteur condamné au second rôle : Napoléon tint à se couronner lui-même et le pape n’a béni que la couronne !

« C’est la dernière fois que j’entre en discussion avec cette prêtraille romaine. »1829

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre à Eugène de Beauharnais, 22 juillet 1807. « L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814) », Revue des deux mondes, tome LXXII (1867)

La « prêtraille », c’est le pape. Et l’empereur sous-estime l’adversaire. Pie VII refuse d’annuler le mariage (américain) de Jérôme Bonaparte, le cadet de ses quatre frères, mineur à l’époque. Il refuse aussi de se joindre au blocus contre l’Angleterre, au nom de sa neutralité de pasteur universel.

Napoléon menace et charge Eugène son beau-fils (qu’il a fait vice-roi d’Italie) de passer le message : « Si l’on veut continuer à troubler les affaires de mes États, je ne reconnaîtrai le pape que comme évêque de Rome […] Je ne craindrai pas de réunir les Églises gallicane (française), italienne, allemande, polonaise, dans un concile pour faire mes affaires sans pape. » Ce qui se fera en 1811.

Après le Concordat - compromis religieux qui satisfait les deux partis - et le sacre qui comble l’orgueil de l’empereur, les relations des deux hommes vont tourner au drame. Napoléon annexe les États de l’Église, le pape va l’excommunier, l’empereur le fait enlever et le maintient prisonnier. C’est le sujet de L’Otage, drame de Paul Claudel.

« Vous êtes un voleur, un lâche, un homme sans foi. Vous ne croyez pas à Dieu ; vous avez toute votre vie manqué à tous vos devoirs, vous avez trompé, trahi tout le monde […] Tenez, Monsieur, vous n’êtes que de la merde dans un bas de soie. »1834

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Talleyrand, Conseil des ministres restreint convoqué au château des Tuileries, 28 janvier 1809. Mémoires et Correspondance du prince de Talleyrand (posthume, 1891)

D’Espagne où il tente d’affermir le trône de son frère Joseph, Napoléon a appris que Talleyrand complote avec Fouché pour préparer sa succession – sans nouvelles de lui, on l’imagine victime de la guérilla qui fait rage.

Il rentre aussitôt, épargne momentanément Fouché son ministre de la Police, mais injurie le prince de Bénévent, Talleyrand, impassible - et sort en claquant la porte.

« Quel dommage, Messieurs, qu’un si grand homme soit si mal élevé ! »1835

TALLEYRAND (1754-1838). Talleyrand, ou le Sphinx incompris (1970), Jean Orieux

La citation est parfaitement en situation le 28 janvier 1809, après l’injure lancée devant témoins par l’empereur furieux. Talleyrand se venge de l’affront public avec une certaine classe diplomatique. Il semble qu’il ait redit ce mot à divers ambassadeurs, toujours à propos de Napoléon.

« Que voulez-vous, mon cher, la religion se perd ! »1837

TALLEYRAND (1754-1838), à Fouché, en 1809. Le Crapouillot (1955)

Le ministre de la Police s’étonnait qu’il ne se trouve pas en France un moine fanatique, du genre de Jacques Clément qui assassina Henri III, pour débarrasser la France du Corse. Dès juin 1810, Fouché rejoindra Talleyrand dans la disgrâce. Les deux compères se retrouveront au pouvoir à la Restauration : « le vice appuyé sur le bras du crime » notera Chateaubriand, impitoyable témoin de leur retour.

« Il avait l’air de se promener au milieu de sa gloire. »1839

CAMBACÉRÈS (1753-1824), archichancelier de l’Empire et duc de Parme, parlant de Napoléon en 1809. Histoire du Consulat et de l’Empire (1847), Adolphe Thiers

La cinquième coalition qui réunit l’Angleterre et l’Autriche en 1809 s’est vite soldée par la victoire de Napoléon sur l’Autriche : défaite par la Grande Armée à Wagram (5 et 6 juillet), elle signe la paix de Vienne (14 octobre), perd 300 000 km2 et 3 500 000 habitants.

« Il est le Souverain de l’Europe. »1840

METTERNICH (1773-1859), 1809. Mémoires, documents et écrits divers laissés par le prince de Metternich, chancelier de cour et d’État, volume II (1880)

Parole de connaisseur. Ambassadeur d’Autriche en France depuis 1806, le prince de Metternich est nommé chancelier et ministre des Affaires étrangères en octobre 1809, signant à ce titre l’humiliant traité (ou paix) de Vienne. Il choisit alors de s’allier à Napoléon – pour mieux l’abattre le moment venu. Et c’est lui qui va négocier son mariage avec Marie-Louise d’Autriche.

Cette domination culminera en 1811 : le Grand Empire comporte 130 départements qui réuniront 45 millions de « Français », plus 40 millions d’habitants des États vassaux (Italie, Espagne, Naples, duché de Varsovie, Confédération du Rhin, Confédération helvétique).

« Je me donne des ancêtres. »1844

NAPOLÉON Ier (1769-1821), château de Compiègne, 27 mars 1810. Metternich (1965), Henry Vallotton

Il s’est résolu à sacrifier le seul amour de sa vie, divorçant de l’impératrice Joséphine incapable de lui donner le fils espéré, l’indispensable héritier pour son empire.

« Ivre d’impatience, ivre de félicité », il apprend la valse (viennoise) et attend sa future femme, Marie-Louise : archiduchesse d’Autriche, descendante de l’empereur Charles Quint et petite-nièce de Marie-Antoinette. Napoléon, de petite noblesse corse (d’origine génoise), évoque volontiers « ma malheureuse tante Marie-Antoinette » et « mon pauvre oncle Louis XVI ». Cette union flatte son orgueil.

Il s’est décidé en février, dans une hâte qui a fort embarrassé l’ambassadeur d’Autriche à Paris (Schwarzenberg, successeur de Metternich à ce poste) : même pas le temps de prévenir l’empereur d’Autriche, avant que Napoléon annonce sa décision aux Français ! Mais personne ne peut rien refuser à Napoléon, même pas sa fille.

« L’Autriche fit au Minotaure le sacrifice d’une belle génisse. »1845

Prince de LIGNE (1735-1814). L’Europe et la Révolution française (1904), Albert Sorel

De Ligne commente le mariage impérial en authentique et vieux prince autrichien, avec des références mythologiques familières au monde de son temps. Mais qui pense à l’humiliation du père de la mariée, François Ier d’Autriche, empereur romain germanique ?

Le mariage de Marie-Louise et de Napoléon a lieu le 1er avril 1810.

« C’est un ventre que j’épouse. »1846

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Le Fils de l’empereur (1962), André Castelot

Napoléon confirme la référence à la « belle génisse » sacrifiée par l’Autriche, et assume le rôle du Minotaure prédateur, sans y mettre les formes. Il manifeste tant de hâte qu’on parle d’un enlèvement plus que d’un mariage. La cérémonie religieuse a lieu le 2 avril 1810. Marie-Louise a 18 ans, il vit une lune de miel de trois semaines qui le comble et sa seconde femme lui donnera un fils, le 20 mars 1811 : le roi de Rome.

« Il faut que je fasse de tous les peuples de l’Europe un même peuple et de Paris la capitale du monde. »1849

NAPOLÉON Ier (1769-1821), fin 1810, à son ministre Fouché. Histoire du Consulat et de l’Empire (1974), Louis Madelin

C’est le rêve européen plus tenaillant que jamais. « Ma destinée n’est pas accomplie ; je veux achever ce qui n’est qu’ébauché ; il me faut un code européen, une Cour de cassation européenne, une même monnaie, les mêmes poids et mesures, les mêmes lois… »

Les historiens s’interrogent encore aujourd’hui : impérialiste à l’état pur et avide de conquêtes, patriote français voulant agrandir son pays ou unificateur de l’Europe en avance sur l’histoire ?

Napoléon s’identifie toujours à Charlemagne, mais le temps n’est plus à ce genre d’empire, les peuples sont devenus des nations, la Révolution de 1789 leur a parlé de Liberté. Il invoque un autre modèle historique : « Les Romains donnaient leurs lois à leurs alliés ; pourquoi la France ne ferait-elle pas adopter les siennes ? » Le Code Napoléon s’applique à tout l’Empire, depuis 1807. Et nombre de pays l’adopteront de leur plein gré.

Mais quand il parle ainsi à Fouché, c’est pour défendre son idée d’envahir la Russie. Fouché est contre cette campagne qui sera catastrophique. Il voit plus clair que l’empereur qui ne lui pardonnera pas cette lucidité.

« Je l’envie. La gloire l’attend, alors que j’ai dû courir après elle […] Pour saisir le monde, il n’aura qu’à tendre les bras. »1855

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Duroc, 20 mars 1811. L’Aiglon, Napoléon II (1959), André Castelot

Le père est bouleversé devant le berceau de son fils, d’autant plus que cette naissance comble l’empereur. La dynastie semble installée à jamais. Il avoue son émotion à l’un de ses plus anciens compagnons de route et de gloire, connu au siège de Toulon en 1793.

« Napoléon est comme un torrent. Moscou sera l’éponge qui l’absorbera. »1862

Feld-maréchal KOUTOUZOV (1745-1813), exposant son coup de poker militaire à son état-major, début septembre 1812. La Guerre patriotique de 1812 (2008), Émile Grenier Robillard

Parole prophétique du général en chef russe, alors que l’armée napoléonienne est en marche vers Moscou. Été 1812, la guerre a donc repris : c’est la sixième coalition qui dressera bientôt l’Europe contre Napoléon.

Alexandre Ier est ulcéré par l’annexion du duché d’Oldenbourg, fief appartenant à son cousin et devenu au sein de la Confédération du Rhin un des 130 départements français, sous le nom de Bouches-du-Weser. La Russie souffre par ailleurs du Blocus continental et renoue avec l’Angleterre. De son côté, Napoléon est tenté : cette nouvelle conquête manque à son Empire ! Il comprendra – mais trop tard – cette erreur fatale.

Koutousov expose son plan : plutôt que d’affronter ce qui reste de la Grande Armée, il ordonne la retraite de Moscou, sans combat. Ses officiers sont totalement déconcertés. Certains pleurent, arrachent leurs décorations, d’autres parlent de trahison, mais le maréchal sera obéi. Et il écrit au tsar, pour le rassurer. La perte de Moscou est réparable et doit sauver la Patrie.

« Moscou sera notre perte. »1863

Joachim MURAT (1767-1815), à Napoléon, 18 août 1812. La Catastrophe de Russie (1949), Louis Madelin

Ces mots seront répétés par l’entourage de l’empereur qui s’est lancé dans l’aventure sans connaître le terrain, passant le fleuve Niémen le 22 juin.

Murat, roi de Naples, appelé pour la campagne de Russie, découvre la guerre d’usure. L’ennemi se dérobe sans fin, la Grande Armée s’enfonce en terre étrangère, amputée du tiers de ses effectifs sans avoir livré bataille : 150 000 hommes disparus, morts, épuisés par la canicule, blessés, plus encore déserteurs. Mais pour l’empereur, c’est une question d’honneur. On ira à Moscou – qui n’est même pas la capitale.

« Voilà le commencement de la fin. »1869

TALLEYRAND (1754-1838), à l’annonce du désastre de la retraite de Russie, décembre 1812. Monsieur de Talleyrand (1870), Charles-Augustin Sainte-Beuve

Il l’a prédit avant tout le monde, sans savoir l’ampleur de la débâcle.

Les soldats sont victimes du « Général Hiver » comme prévu par le tsar Alexandre et le maréchal Koutousov. Le froid rend fous les chevaux, et colle l’acier des armes aux doigts des soldats. Le passage de la Bérézina (25 au 29 novembre) est un épisode devenu légendaire : par –20 °C le jour, –30 °C la nuit, ce qui reste de la Grande Armée réussit à franchir la rivière, grâce aux pontonniers du général Eblé et aux troupes qui couvrent le passage (Ney et Victor). 8 000 traînards n’ont pas le temps de passer, ils seront tués par les Cosaques.

« J’ai vu vos troupes, il n’y a que des enfants. Vous avez fait périr une génération. Que ferez-vous quand ceux-ci auront disparu ? »1874

METTERNICH (1773-1859), à Napoléon qui le reçoit comme médiateur à Dresde, 26 juin 1813. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Napoléon cherche une impossible trêve. La Prusse pactise déjà avec la Russie et déclare la guerre à la France, le 17 mars 1813. L’Autriche propose sa médiation : c’est l’occasion pour Metternich, chancelier (chef du gouvernement) et ministre des Affaires étrangères, de jouer un rôle diplomatique de premier plan.

Napoléon fait le compte des soldats dont il peut disposer et tente de montrer sa force au cours de cette entrevue. En fait, il devra faire appel aux anciennes classes et recruter des « Marie-Louise », jeunes conscrits des classes 1814 et 1815, sans formation militaire. Metternich n’est pas dupe de la démonstration. Napoléon, furieux, lui reproche les ambiguïtés de sa politique. Ce qui va jeter l’Autriche dans le camp ennemi.

« C’en est fini de Bonaparte. »1875

METTERNICH (1773-1859), Lettre à son ami Hudelist (conseiller d’État), après son entrevue avec Napoléon, 26 juin 1813. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Le chancelier d’Autriche vient de terminer son dialogue avec Napoléon en abandonnant son ton diplomatique : « Vous êtes perdu, Sire ! Je m’en doutais en venant ici, maintenant je le sais ! »

Il en est sûr, malgré la victoire de Napoléon sur les Prussiens (Lützen) et sur les Russes (Bautzen). L’armistice signé à Pleiswitz le 4 juin n’est qu’un cessez-le-feu qui permet aux coalisés de resserrer les rangs et à l’Autriche de François Ier d’entrer dans la sixième coalition. La guerre reprend. Après la campagne de Russie et avant la campagne de France, c’est la campagne d’Allemagne. Napoléon repart, laissant la régence à Marie-Louise.

« Ce n’est pas possible, m’écrivez-vous ; cela n’est pas français. »1876

NAPOLÉON Ier (1769-1821), au général Lemarois, commandant de Magdebourg, 9 juillet 1813. Dictionnaire des expressions nées de l’histoire (1992), Gilles Henry

Le général avait écrit à l’empereur pour lui dire que, face aux coalisés supérieurs en nombre, il ne peut pas tenir plus longtemps la place (ville prise par les Français en 1806, sur la rive gauche de l’Elbe en Westphalie).

Durant cette campagne d’Allemagne, plus que jamais, Napoléon paie de sa personne et fait preuve d’un génie militaire que Metternich lui-même salue. L’histoire en témoigne aussi : l’empereur obtint vraiment l’impossible de ses hommes et de leurs chefs.

La postérité a retenu la formule plus lapidaire : « Impossible n’est pas français. » Et le général ne capitulera que le 20 mai 1814 – après l’abdication de Napoléon.

« Rendez-moi ma jambe et je vous rendrai Vincennes. »1885

Général DAUMESNIL (1776-1832), aux Alliés assiégeant Vincennes, début avril 1814. Daumesnil : « Rendez-moi ma jambe et je vous rendrai Vincennes » (1970), Henri de Clairval

Volontaire sous la Révolution française, général et baron d’Empire multipliant les actions d’éclat, surnommé Jambe de bois, il a perdu une jambe à Wagram (1809).

Gouverneur du fort de Vincennes depuis 1812, il résiste au siège des troupes coalisées, alors que la capitale est aux mains des Alliés. Sa garnison se compose d’un millier de gardes nationaux et de 300 invalides, qu’il appelle « mon Jeu de quilles ». Un stock de munitions considérable fait du donjon une poudrière en puissance. La nuit du 30 au 31 mars, Jambe de bois et son Jeu de quilles ont raflé à Montmartre armes, munitions, chevaux, canons, pour les ramener à l’abri dans Vincennes. Les Alliés lui proposent une forte somme pour sa reddition. D’où la réplique.
Il négociera la capitulation avec Louis XVIII, après l’exil de Napoléon.

En 1830, quinquagénaire vaillant, toujours gouverneur de Vincennes et toujours résistant, il répond aux menaces des assaillants : « Je me fais sauter avec le château et nous nous rencontrerons en l’air. »

« Les puissances ayant déclaré que l’Empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l’Empereur Napoléon, fidèle à ses serments, déclare qu’il renonce, pour lui et pour ses enfants, aux trônes de France et d’Italie, et qu’il n’est aucun sacrifice, même celui de la vie, qu’il ne soit prêt à faire dans l’intérêt de la France. »1891

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Abdication du 6 avril 1814, écrite de sa main sur le célèbre guéridon d’acajou de Fontainebleau. Le Fils de l’empereur (1962), André Castelot

Par le traité de Fontainebleau du 11 avril, il garde son titre d’empereur avec la souveraineté (dérisoire) de l’île d’Elbe, 223 km2, la plus grande des petites îles italiennes de l’archipel toscan.

Reste encore à faire ses adieux à la Vieille Garde, avant de s’embarquer pour un (premier) exil. Histoire à suivre et début de la légende napoléonienne au prochain édito.

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