Citations référentielles : le miroir de l’Histoire (Naissance de la monarchie absolue et Siècle de Louis XIV) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Les citations « référentielles » (inspirées du système des coordonnées en physique) renvoient à un personnage, un événement, une théorie ou une opinion, voire une autre citation en effet miroir. Bref, à tout ce qui fait date et sens dans notre histoire où le récit national côtoie parfois le roman.

Elles se présentent sous diverses formes : slogans, appels, discours, chansons, épitaphes, textes de loi, presse (titres ou extraits d’articles), poèmes, chroniques, mémoires, lettres, pamphlets et autres sources. À la limite, toutes les bonnes citations ont vocation à devenir référentielles, si elles trouvent écho au-delà de leur époque pour devenir patrimoniales.

Elles démontrent que l’Histoire de France a vocation pour servir de référence - jamais assez, jamais trop - étant notre lien, notre identité, en même temps que l’indispensable recul pour juger de l’actualité politique.

Elles doivent être contextualisées, commentées – ça tombe bien, telle est la règle de notre Histoire en citations dont elles sont toutes tirées.

La chronologie s’impose au fil de cet édito en 10 épisodes (et 23 époques) qui renvoient aux Chroniques, de la Gaule à nos jours.

Pour chaque époque, la citation la plus emblématique se retrouve en exergue.

NAISSANCE DE LA MONARCHIE ABSOLUE : SOUS HENRI IV

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« La couronne vaut bien une messe. »623

Duc de SULLY (1560-1641), en 1593.  Les Grandes Figures de l’histoire : Henri IV et l’Église (1875), Pierre Féret

Citation à la fois référentielle et très symbolique de cette époque où la « fracture religieuse »  continue de peser sur la politique, jusqu’à la signature de l’édit de Nantes (1598). Autre version : « Paris vaut bien une messe. »

Le mot est apocryphe : sans doute jamais dit par Henri IV, malgré ce qui est parfois écrit, mais attribué à Sully dans le recueil satirique des Caquets de l’accouchée (1623). Qu’importe, il résume parfaitement la situation de fait et l’état d’esprit du roi. Sully, quant à lui, restera protestant. La religion d’un ministre des Finances n’a pas la même importance que celle du roi de France !

Henri IV fait donc annoncer sa prochaine conversion-abjuration par l’archevêque de Bourges, le 17 mai 1593. C’est bien joué contre le duc de Mayenne, ligueur catholique qui veut se faire élire roi à la place d’Henri IV. Mayenne se trouve pris à son propre jeu, mais la Ligue ne désarme pas pour autant.

« Je croyais que c’était un roi, mais ce n’est qu’un carabin. »606

Alexandre FARNÈSE, duc de Parme (1545-1592). Histoire de France au seizième siècle, La Ligue et Henri IV (1856), Jules Michelet

Avec ses manières rustiques, son humeur joviale et son goût effréné pour les femmes, le « bon roi Henri IV » et les compagnons d’armes lui faisant escorte choquent les Grands, habitués à une étiquette de cour très stricte depuis Henri III et au raffinement tout italien de mise sous Catherine de Médicis.

Soutien de la Ligue et adversaire politique d’Henri IV, célèbre condottiere, le duc de Parme est l’héritier d’une des grandes maisons princières italiennes. Il affiche son mépris pour l’allure si peu royale du nouveau souverain. Mais Michelet ajoute : « Nous trouvons sévère le mot du prince [duc] de Parme. » – précisons que « carabin » signifie ici porteur de carabine. Aujourd’hui, c’est un terme argotique pour désigner un étudiant en médecine

L’empereur dira plus tard d’Henri IV : « Mon brave capitaine de cavalerie » et l’historien de commenter à nouveau : « Nous trouvons fort dur le mot de Napoléon ».

« Capitaine Bon Vouloir, il n’est pas grand abatteur de bois. »607

tallemant des RÉAUX (1619-1692), Historiettes (posthume)

Autre citation référentielle, plaisamment à charge pour le bon roi Henri. Faut-il revoir la légende et retoucher le portrait du « Vert Galant » ? Grand coureur de jupons, n’est-il pas si bon amant sur le terrain ?

Une chose est sûre : sceptique envers les hommes, il s’est tourné ouvertement et passionnément vers les femmes, cumulant les bâtards et laissant parfois de belles intrigantes se mêler un peu trop de sa politique.

« Ralliez-vous à mon panache blanc, vous le trouverez au chemin de la victoire et de l’honneur. »616

HENRI IV (1553-1610), à ses compagnons, avant la bataille d’Ivry, 14 mars 1590. Histoire universelle (posthume), Agrippa d’Aubigné

Le « panache blanc » entrera dans la légende et la commune de l’Eure (près de Chartres) prendra le nom d’Ivry-la-Bataille.

Les soldats semblent hésiter : les troupes de la Ligue, commandées par le duc de Mayenne, sont trois fois supérieures en hommes et en armes. Le roi va trouver les gestes et les mots qu’il faut – comme Napoléon en son temps. Il plante un panache de plumes blanches sur son casque et harangue ses troupes : « Mes compagnons, Dieu est pour nous, voici ses ennemis et les nôtres ! Voici votre roi ! Gardez bien vos rangs. Et si vous perdez enseignes, cornettes ou guidons, ce panache blanc que vous voyez en mon armet vous en servira, tant que j’aurai goutte de sang. Suivez-le. Si vous le voyez reculer, je vous permets de fuir… » Et le roi charge en tête de ses hommes.

« Vous avez fait, Sire, la plus brave folie qui se fit jamais. Vous avez joué le royaume sur un coup de dés. »617

PHILIPPE DUPLESSIS-MORNAY (1549-1623). Duplessis Mornay ou études historiques et politiques sur la situation de la France de 1549 à 1623 (1970), Joachim Ambert

Fidèle compagnon, principal conseiller et ambassadeur du roi, ainsi lui rend-il hommage après la bataille d’Ivry, brillante victoire sur les troupes de la Ligue (ultra-catholique). Une victoire qui tient du miracle comme il y en a beaucoup dans l’Histoire ! Marignan sous François Ier, Valmy sous la Révolution, Austerlitz sous Napoléon…

Mais les succès militaires effacent mal l’échec des deux sièges de Paris : Henri IV est toujours un roi sans capitale (occupée par les Ligueurs catholiques qui font régner la terreur, alliés à Philippe II d’Espagne avec le concours du duc de Parme). Hésitant avant de sauter le pas (faire le « saut périlleux » comme il dit), il a bien besoin de Sully, ministre de confiance et toujours de bon conseil.

« Tu fais le catholique
Mais c’est pour nous piper
Et comme un hypocrite
Tâche à nous attraper,
Puis, sous bonne mine,
Nous mettre en ruine. »626

Pamphlet ligueur (anonyme). La Satire en France ou la littérature militante au XVIe siècle (1886), Charles Félix Lenient

Ni la conversion ni le sacre ne peuvent rallier les catholiques irréductibles (baptisés parfois « papistes » par les « huguenots ») : les tentatives d’assassinat qui marqueront tout le règne d’Henri IV le prouvent assez, jusqu’à l’attentat final en 1610.

« Sire, vous n’avez encore renoncé Dieu que des lèvres, et il s’est contenté de les percer ; mais quand vous le renoncerez, alors il percera le cœur. »633

Agrippa d’AUBIGNÉ (1552-1630), à Henri IV, au lendemain de l’attentat de Châtel. Étude historique et littéraire sur Agrippa d’Aubigné (1883), Eugène Réaume

Fervent protestant, il regrette qu’Henri IV ait fait l’échange de Paris contre une messe – pour ne pas dire son âme, en échange du trône. L’abjuration l’a indigné, l’édit de Nantes ne le satisfera pas, ne faisant que tolérer sa religion.

Bien que resté fidèle au roi, il se retire dans ses terres de Vendée comme gouverneur, reprenant du service sous Louis XIII, puis contraint de se réfugier à Genève où il meurt à près de 80 ans.

Ironie de l’histoire, sa petite-fille, Françoise d’Aubigné, devenue marquise de Maintenon et l’épouse (morganatique) de Louis XIV, contribuera pour une large part à la révocation de l’édit de Nantes et aux nouvelles persécutions contre les protestants.

« Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée et les vrais mines et trésors du Pérou. »649

Duc de SULLY (1560-1641), Économie royale (1594-1597)

Cette phrase est bien de Sully et se trouve dans le troisième tome de ses Mémoires ainsi nommés, publiés de 1638 à 1662. Au tournant du siècle, Sully peut enfin entreprendre de réorganiser l’agriculture française, établir un programme de routes, ponts et canaux. Henri IV l’a nommé surintendant des Finances : il récompense sa fidélité de toujours, sa sagesse politique, et reconnaît ses talents de gestionnaire et d’administrateur grâce auxquels il fait honnêtement fortune – l’homme est pourtant peu sympathique et le ministre impopulaire, à l’opposé du roi.

Pour la première fois dans son histoire, notre pays a une politique économique cohérente et globale. Deux autres grands ministres, Richelieu, puis Colbert, vont suivre cet exemple.

« Je veux qu’il n’y ait si pauvre paysan en mon royaume qu’il n’ait tous les dimanches sa poule au pot. »650

HENRI IV (1553-1610). Histoire du Roy Henry le Grand (1681), Hardouin de Péréfixe

Cet historien (et homme d’Église) lui attribue le mot et « la poule au pot » fait partie de la légende du roi, au même titre que le « panache blanc » du guerrier combattant à la tête de ses troupes.

Vœu pieux et sûrement sincère de la part d’un souverain resté proche de son peuple plus qu’aucun autre souverain. Mais malgré les efforts de l’équipe au pouvoir, les petits paysans français, écrasés d’impôts, ruinés par d’interminables guerres, exploités par les usuriers, sont souvent dépossédés de leurs parcelles de terre. Quel que soit le redressement économique du pays et en dépit de mesures de circonstance prises en cas de misère criante par Sully, leur condition ne s’améliore pas vraiment. Le temps fait défaut à Henri IV, plus encore que la volonté et les moyens.

« Je me passerais mieux de dix maîtresses comme vous, que d’un serviteur comme lui. »647

HENRI IV (1553-1610), à Gabrielle d’Estrées, 1599. Dictionnaire historique, critique et bibliographique (1822), Louis Maïeul Chaudon

Sa belle maîtresse vient de se plaindre de Sully qu’elle appelle un « valet ». L’injure est flagrante.

Maximilien de Béthune, baron de Rosny, duc de Sully (et bientôt premier au Conseil et pair de France), un de ses plus vieux compagnons de route, est déjà grand voyer de France (contrôlant toutes les voies de communication), superintendant des Fortifications et Bâtiments, grand maître de l’artillerie, chargé de l’agriculture, surintendant des Finances. Il s’acquitte de ses tâches avec autant de loyauté que d’efficacité… Mais Gabrielle d’Estrées est aussi la plus aimée des femmes présentes. Henri IV projetait de l’épouser, après annulation en cour de Rome de son mariage avec Marguerite de Valois. Le destin en décide autrement et le Vert Galant passe à d’autres amours.

« Hâtez-vous de me faire ce fils, de sorte que je puisse vous faire une fille. »651

HENRI IV (1553-1610), Lettre à Henriette d’Entragues, marquise de Verneuil, 1601. Henri IV (1933), Georges Slocombe

À la mort brutale de Gabrielle d’Estrées (1599), il s’est pourtant cru inconsolable : « La racine de mon cœur est morte et ne rejettera [repoussera] plus. » Trois mois après, il tombe fou de la nouvelle favorite et lui écrit une promesse de mariage fort bien libellée, car il va enfin se séparer de Margot, toujours sans enfant.

Ce que roi veut… Henriette accouche de ce fils et, deux ans après, d’une fille. Entre-temps et pour raison d’État, le roi a épousé Marie de Médicis, fille du grand-duc de Toscane, François de Médicis – famille patricienne de Florence et banquier de l’Europe depuis le Quattrocento. (L’expression désigne la Renaissance italienne au XVe siècle, les années 1400, ou millequattrocento.)

« Vous faites tout ce que je veux ; c’est le vrai moyen de me gouverner : aussi ne veux-je jamais être gouverné que de vous. »652

HENRI IV (1553-1610), Lettre à Marie de Médicis, 27 janvier 1601. Henri IV écrivain (1855), Eugène Yung

Propos galant et reflet du temps. La réalité n’est pas si plaisante. Marie de Médicis, sitôt épousée, lui fait quand même le fils qui doit lui succéder : le dauphin Louis naît à Fontainebleau, 27 septembre 1601. Louis XIII n’héritera pas de la santé du père. Mais la joie du roi et du royaume est grande : on attendait un héritier depuis quarante ans !

Henriette d’Entragues, ex maîtresse en titre, se fâche et traite Marie de « grosse banquière » – fine allusion à la dot de la reine, 600 000 écus d’or, la plus grosse dot de toute l’Histoire de France ! La reine va bientôt comploter contre le roi, déjà au lit d’autres femmes. Elle ne lui donne aucun plaisir au lit et les scènes sont fréquentes, entre les deux époux. Marie est jalouse des maîtresses du roi fort généreux et galant avec toutes ces dames, alors qu’il a peu d’égard pour la reine – ses « lettres intimes » à Sully en témoignent avec force détails.

« Priez Dieu, Madame, que je vive longtemps, car mon fils vous maltraitera quand je n’y serai plus. »657

HENRI IV (1553-1610), à Marie de Médicis. Les Rois qui ont fait la France, Henri IV (1981), Georges Bordonove

Sait-il que sa femme n’est pas étrangère à certains complots tramés autour de lui ? Cette phrase est en tout cas prémonitoire des relations entre la mère et le fils : une véritable guerre, au terme de laquelle Marie de Médicis perdra son pouvoir, ses amis, sa liberté, sa dignité, pour finir en exil. Drame familial et néanmoins public, comme il y en a peu dans les familles royales.

« Je mourrai un de ces jours et, quand vous m’aurez perdu, vous connaîtrez lors ce que je valais et la différence qu’il y a de moi aux autres hommes. »661

HENRI IV (1553-1610), à ses compagnons, au matin du 14 mai 1610. Mémoires (posthume, 1822), Maximilien de Béthune Sully

Ce jour-là, de très bonne heure, le roi est assailli de pressentiments. Il se sait menacé, après vingt-cinq tentatives durant son règne ! Il meurt quelques heures après, poignardé par Ravaillac. L’homme a sauté dans le carrosse bloqué par un encombrement, rue de la Ferronnerie, alors que le roi se rendait à l’Arsenal chez Sully, son ministre et ami souffrant. Le blessé a tressailli sous le coup et dit deux fois « Ce n’est rien… » avant d’expirer.

Le régicide sera écartelé, après avoir été torturé : il affirme avoir agi seul. Sully, dans ses Mémoires, n’y croit pas. Le mystère demeure, sur la mort d’Henri IV le Grand. C’est l’une des grandes énigmes de l’histoire de France.

Outre la théorie du tyrannicide qui causa la mort d’Henri III, d’autres motifs existent : la fiscalité qui s’alourdit pour préparer la guerre, le mécontentement croissant du peuple, les nobles jaloux des honneurs qu’ils n’ont pas, une affaire de cœur qui se complique avec une très jeune maîtresse mariée au prince de Condé, une conspiration avec l’ennemi espagnol, née dans l’entourage de la reine et que le roi ne doit pas ignorer.

NAISSANCE DE LA MONARCHIE ABSOLUE : SOUS LOUIS XIII ET RICHELIEU

« C’est le plus grand serviteur que jamais la France ait eu. »706

LOUIS XIII (1601-1643), défendant le cardinal contre sa mère au lendemain de la journée des Dupes, le 11 novembre 1630. Richelieu et le roi Louis XIII (1934), Louis Batiffol

Marie de Médicis a tenté de perdre Richelieu – un des plus grave complots du règne. Elle l’avait introduit auprès du roi, espérant son soutien au parti dévot et à l’Espagne catholique. Mais il s’est allié aux protestants allemands, pour contrer la puissante maison des Habsbourg qui règne en Autriche et en Espagne.

Avec la reine Anne d’Autriche, elle a profité d’une grave maladie du roi (tuberculeux et de santé fragile) pour l’éloigner de son ministre et obtenir sa future disgrâce, en septembre 1630, à Lyon.

Le 10 novembre, en son palais parisien du Luxembourg, elle presse son fils de tenir parole. Richelieu, craignant le pire, trompant la vigilance des huissiers, entre par une porte dérobée. Elle l’accable de sa colère et ses injures. Le roi, bouleversé, se retire sans un mot, sans un regard pour son ministre. La cour croit à une arrestation imminente, les courtisans s’empressent autour de la reine mère. « C’est la journée des Dupes » – le mot de Bautru, conseiller d’État et protégé du cardinal, fait le tour de Paris.

Le lendemain, le roi est à Versailles. Richelieu, convoqué, se croit perdu et se jette à ses genoux. Louis XIII le relève, le prie de rester, exile Marie de Médicis à Compiègne. Marillac est destitué. C’est la déroute du parti dévot. Richelieu a gagné.

« Quelle tragédie plus sombre que sa personne même ! Auprès Macbeth est gai […] Le plus souvent il ravalait le fiel et la fureur, couvrait tout de respect, de décence ecclésiastique. »688

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-septième siècle, Richelieu et la Fronde (1858)

Autre époque, autre ton ! Le personnage de Richelieu sera aussi impopulaire et détesté que le roi Henri IV fut (globalement) aimé. Mais la situation est radicalement différente.

Le cardinal, homme de foi et de devoir, partage (non sans mal) le pouvoir avec le roi Louis XIII dont sa situation dépend, dans un contexte de menaces et de complots inégalé dans l’histoire. C’est aussi un homme d‘État très supérieur au roi qui en est conscient, donc lui aussi dépendant et jaloux.

Étrange couple, uni dans une forme d’association politique unique en son genre : le ministériat. La cohabitation (sous la Cinquième République) sera le second exemple de bizarrerie politique à la française.

Le sens et le goût du secret reviennent souvent dans les lettres signées Richelieu. Dans une tragédie qui lui est attribuée – Mirame – on trouve cet alexandrin : « Savoir dissimuler est le savoir des rois. »

« Ce fou n’a qu’une idée, abattre la maison d’Autriche […] Il déclenchera la guerre générale et les hordes de barbares se jetteront sur le trottoir français. »705

Pamphlet contre Richelieu. Mazarin (1972), Paul Guth

En cette année 1630, que d’opposants à la politique anti-habsbourgeoise de Richelieu ! Le très catholique cardinal de Bérulle est mort, mais il reste le garde des Sceaux Michel de Marillac (farouchement antiprotestant et prônant la paix et l’alliance avec l’Espagne), le frère du roi Gaston d’Orléans qui est de tous les complots, la reine et la reine mère, à présent très hostile au cardinal et âme du parti dévot.

Richelieu, de son côté, paie des publicistes à gages pour mener une propagande anti-espagnole incessante, d’où une guérilla de libelles et de pamphlets. À dater de mai 1631, La Gazette, hebdomadaire de Théophraste Renaudot, organe officieux du gouvernement, a pour but de réduire les « faux bruits qui servent souvent d’allumettes aux mouvements et séditions intestines ». Elle use de son monopole officiel pour diffuser les nouvelles et faire passer les articles transmis par le roi et Richelieu : tirage moyen de 1 200 exemplaires, qui deviendront 12 000 au siècle suivant. Organe officiel du ministre des Affaires étrangères sous le nom de Gazette de France à dater de 1762, cet ancêtre de nos journaux paraîtra jusqu’en 1915.

« N’éveillez pas cette grosse bête. »711

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642). Mazarin (1972), Paul Guth

Il s’agit de Paris (ou de son Parlement, selon une autre source). Le cardinal sait la ville frondeuse par nature, et par accès. Son successeur le cardinal de Mazarin, moins habile ou moins chanceux, subira le réveil de la « grosse bête », dramatique durant la Fronde.

« Ces animaux sont étranges. On croit quelquefois qu’ils ne sont pas capables d’un grand mal, parce qu’ils ne le sont d’aucun bien. »717

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642). Richelieu tel qu’en lui-même (1997), Georges Bordonove

Le cardinal fait ici allusion aux trahisons d’Anne d’Autriche et de la duchesse de Chevreuse.

La femme de Louis XIII, alliée à Marie de Médicis, avait cherché à obtenir du roi la disgrâce de son ministre, jusqu’à la fameuse journée des Dupes (10 novembre 1630). Elle est aussi accusée de correspondance secrète avec son frère Philippe IV d’Espagne, en guerre « couverte » et bientôt « ouverte » avec la France, dans le cadre de la guerre de Trente Ans.

Quant à Marie de Rohan-Montbazon, ancienne épouse de Luynes (le premier favori de Louis XIII), puis du duc de Chevreuse, sa vie est un roman où les intrigues politiques se mêlent sans fin aux aventures galantes. Dumas n’a (presque) rien inventé. L’Histoire a réellement plus d’imagination.

« Elle trahit avec volupté. »718

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642). Vie de Louis XIII (1936), Louis Vaunois

C’est fort joliment résumer le personnage de la duchesse de Chevreuse. Elle pousse d’abord son amant, le comte de Chalais, à comploter contre Richelieu – et le comte le paiera de sa vie. Elle profite d’un exil pour faire conspirer un de ses nouveaux amants, le duc de Lorraine. On la retrouvera bientôt, en folle héroïne de la Fronde.

« Tant plus on témoigne l’aimer et le flatter, tant plus il se hausse et s’emporte. »729

LOUIS XIII (1601-1643). Cinq-Mars ou la passion et la fatalité (1962), Philippe Erlanger

Il parle à Richelieu de son favori, Henri Coiffier de Ruzé d’Effiat, marquis de Cinq-Mars. Cinq-Mars va conspirer contre Richelieu, avec son ami et complice le magistrat de Thou, le duc de Bouillon et l’inévitable frère du roi, Gaston d’Orléans qui a cherché alliance auprès des Espagnols.

L’affaire Cinq-Mars, dernier grand complot du règne, attriste les derniers mois du cardinal, épuisé à la tâche, rongé par un ulcère.

« Les Grands du royaume eurent joie de sa mort, et quasi tout le peuple s’en réjouit. »734

Marquis de MONTGLAT (1610-1675), Mémoires (1635-1654)

On fait des feux de joie à la mort de Richelieu – son successeur, Mazarin, connaîtra le même sort post mortem.

L’autorité du cardinal, son ascendant sur le roi et ses méthodes de gouvernement l’ont rendu fort impopulaire, surtout les dernières années : avec la guerre, le désespoir et la misère du peuple, mais aussi le mécontentement des privilégiés, bourgeois, nobles, conseillers des parlements tardant à réprimer les émeutes de la « populace ». Longue est la liste de ses ennemis. Mais ses admirateurs vont aussi témoigner.

« Grand ministre ! Que n’es-tu né de mon temps ! Je te donnerais la moitié de mon empire pour m’apprendre à gouverner l’autre. »736

PIERRE le Grand (1672-1725). Histoire de l’Empire de Russie sous Pierre le Grand (posthume, 1831), Voltaire

Tsar de Russie à la fin du XVIIe siècle, très européen, grand admirateur de la France, autocrate et autoritaire, Pierre Ier, dit Pierre le Grand, viendra s’incliner devant la tombe du cardinal de Richelieu et lui rendra cet hommage.

Artisan de la grandeur russe, promoteur de réformes centralisatrices, pratiquant un « dirigisme de guerre » et cédant à la tyrannie, il devait se sentir frère en politique de ce grand homme d’État.

« Qu’on parle mal ou bien du fameux cardinal
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien :
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal,
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien. »737

Pierre CORNEILLE (1606-1684), Poésies diverses (posthume)

Auteur le plus célèbre de son temps, après le triomphe de ses trois récentes tragédies (Horace, Cinna, Polyeucte), il compose ce quatrain à l’occasion de la mort du cardinal de Richelieu.

Il se rappelle la protection dont il a bénéficié, alors qu’il était totalement inconnu et que le cardinal mécène fit ouvrir un second théâtre à Paris (Le Marais, rival de l’Hôtel de Bourgogne) pour jouer ses premières pièces. Mais il ne peut oublier la méchante cabale montée contre lui par Richelieu manipulant l’Académie française créée par lui et la querelle du Cid qui s’ensuivit, en 1637.

Le mécénat artistique, devenu véritable politique culturelle plus systématique que sous la Renaissance, va encourager les créateurs dans tous les domaines : lettres, théâtre, musique, peinture, architecture. L’art classique nait à cette époque, contribuant au rayonnement de la France en Europe.

« En dépit de tous, sinon de tout, l’action du cardinal [Richelieu] conjuguée avec celle du roi [Louis XIII] avait été décisive pour l’avenir du pays, en l’engageant dans la voie qui allait faire de lui un état moderne. »742

Charles de GAULLE (1890-1970). Encyclopædia Universalis, article « Richelieu »

Autre hommage qui rejoint l’idée de l’historien Buchez : Richelieu « acheva ce que Louis XI avait commencé […] Il rendit le pouvoir absolu ».

SIECLE DE LOUIS XIV

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

« L’État, c’est moi. »807

LOUIS XIV (1638-1715). L’État baroque : regards sur la pensée politique de la France du premier XVIIe siècle (1985), H. Méchoulan, E. Le Roy Ladurie, A. Robinet

Citation à la fois référentielle et symbolique, mot célèbre et réputé apocryphe, souvent cité, qui reflète la réalité et fut prononcé avant même le début du règne personnel, selon l’historien Louis Madelin (La Fronde). Le contexte rend le mot encore plus frappant.

Louis XIV venait d’être sacré roi à Reims (1654), mais Mazarin exerçait toujours le pouvoir. À sa demande, le roi signe divers édits financiers pour renflouer le Trésor et poursuivre la guerre contre l’Espagne. Certains magistrats du Parlement de Paris en discutent la légalité. Or, il faut à tout prix éviter une nouvelle fronde parlementaire.

Louis XIV, en costume de chasse, se rend devant le Parlement réuni en lit de justice : « Chacun sait combien ces assemblées ont excité de troubles dans mon État et combien de dangereux effets elles y ont produits. J’ai appris que vous prétendiez encore les continuer sous prétexte de délibérer sur les édits qui ont été lus et publiés en ma présence. » Le président invoque l’intérêt de l’État dans cette affaire et le roi le fait taire, en affirmant : « L’État, c’est moi » (13 avril 1655). Il a 16 ans.

« Non seulement il s’est fait de grandes choses sous son règne, mais c’est lui qui les faisait. »816

VOLTAIRE (1694-1778), Le Siècle de Louis XIV (1751)

Pour cette raison, le Grand Siècle est bien le « siècle de Louis XIV ».

Voltaire, en historien très documenté et toujours cité, traite des événements militaires et diplomatiques, insiste sur le développement du commerce et le rayonnement des arts et des lettres, mettant cependant les affaires religieuses au passif du règne de ce « despote éclairé » - surtout la révocation de l’Édit de Nantes.

« Et l’on peut comparer, sans crainte d’être injuste,
Le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste. »743

Charles PERRAULT (1628-1703), Le Siècle de Louis le Grand (1687)

Louis XIV mérite le qualificatif de « Grand ». Il marque son temps de sa forte personnalité, par sa politique de prestige et de rayonnement culturel. Incarnant et dirigeant pendant plus de cinquante ans la France du Grand Siècle, il en fait une puissance européenne dont l’hégémonie dépasse celle de l’Italie sous la Renaissance, l’Espagne d’hier et l’Angleterre à venir.

Mais ce règne personnel ne commence qu’en 1661. À la mort de son père (1643), Louis XIV a cinq ans et pendant dix-huit ans, c’est Mazarin qui gouverne la France, tout en apprenant le métier de roi à son élève en cela surdoué. La Fronde sera la pire épreuve de cette époque.

« Ils font comme leurs enfants, ils jouent « à la fronde ». »745

Louis MADELIN (1871-1956), La Fronde

L’historien cite le mot à la mode : « Lorsqu’en 1649 on verra la population de Paris tenir en échec le gouvernement royal et le mettre en fuite sans d’ailleurs penser à le mettre bas, on dira : Ils font comme leurs enfants, ils jouent « à la fronde ». » Et le mot est adopté.

Le « jeu » est quand même assez sérieux pour faire fuir hors de Paris, à plusieurs reprises, non seulement le gouvernement mais aussi la famille royale. Quelque 6 500 pamphlets (mazarinades) diront l’impopularité du nouveau maître de la France, qui rejaillit sur sa « pute de reine » (Anne d’Autriche). En réalité, ils font face à une série de Frondes portant au paroxysme la rébellion des Grands, des parlementaires et du peuple, contre l’absolutisme royal (1648-1653). Mazarin finira par triompher avec habileté, mais le personnage reste détesté.

« Il se fit de la honte de tout ce que l’autre [Richelieu] s’était fait de l’honneur. Il se moqua de la religion. Il promit tout, parce qu’il ne voulut rien tenir. Il ne fut ni doux ni cruel, parce qu’il ne se ressouvenait ni des bienfaits ni des injures. Il s’aimait trop, ce qui est le naturel des âmes lâches. »752

Cardinal de RETZ (1613-1679), Mémoires (1671-1675)

Paul de Gondi, prélat sans vocation ecclésiastique, mais chef de parti aux grandes ambitions politiques sous la Fronde, est l’un des vaincus de Mazarin. Son témoignage sur cet autre cardinal à la réussite politique exemplaire est évidemment partial, mais ses Mémoires n’en sont pas moins une précieuse évocation de ces temps de trouble. Il écrit aussi : « L’un des plus grands défauts du cardinal Mazarin est qu’il n’a jamais pu croire que personne lui parlât avec une bonne intention. »

« Son esprit, qui lui a rendu de si bons services en sa vie, était assurément de premier ordre, fin, délié, pénétrant, sage, judicieux, grave, modeste, grand et élevé. »753

Louis-Henri de LOMÉNIE de BRIENNE (1635-1698), Mémoires de Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne (posthume, 1720)

Conseiller d’État à 16 ans et secrétaire d’État aux Affaires étrangères à 23, surnommé le Jeune pour le distinguer de son père (Henri-Auguste de Loménie de Brienne), il juge en connaisseur ce ministre détesté souvent à tort. Michelet l’appréciera de son côté en historien : « Mazarin, le rusé […] cette glissante couleuvre ».

« Jamais personne n’eut les manières si douces en public, si rudes dans le domestique. »757

Hortense MANCINI (1646-1699), Mémoires

C’est la voix de la famille. La duchesse de Mazarin est la plus jolie des cinq « Mazarinettes », nièces de Mazarin qui ont quitté leur Rome natale pour suivre l’oncle allant faire carrière en France.

Sa vie amoureuse et mondaine défraie la chronique, mais toute la famille Mazarin fait parler d’elle. Bien que le cardinal ait assuré la fortune des siens, ils ne lui en auront nulle reconnaissance et se réjouiront ouvertement de sa mort.

« Le voyez-vous comme il vole, ou à la victoire, ou à la mort ? »766

BOSSUET (1627-1704), Oraison funèbre de Louis de Bourbon, Prince de Condé (1686)

Quand il devra rendre hommage au Grand Condé, Bossuet évoquera la bataille de Rocroi du 19 mai 1643. Les militaires en renom contribuent largement à la grandeur du siècle – et manqueront totalement au siècle suivant.

Chargé à 21 ans du commandement des armées du Nord, le quatrième prince de Condé remporte cette éclatante victoire qui anéantit l’armée espagnole des Pays-Bas et empêche l’invasion menaçante par les Ardennes : « L’armée commença l’action de grâce ; toute la France suivit ; on y élevait jusqu’au ciel le duc d’Enghien : c’en serait assez pour illustrer une autre vie que la sienne, mais pour lui, c’est le premier pas de sa course. »

C’est l’un des épisodes de la guerre de Trente Ans qui déchire l’Allemagne depuis 1618 et dans laquelle la France intervint directement huit ans plus tôt, jour pour jour, contre l’Espagne et les puissants Habsbourg, tentés de reconstituer l’Empire de Charles Quint. L’autre héros de cette guerre est Turenne : les deux hommes vont souvent se croiser, amis ou ennemis, selon le camp choisi.

« Il est plus difficile de bien faire l’amour que de bien faire la guerre. »767

Ninon de LENCLOS (1616-1706), Lettres (édition posthume)

Cette belle dame aux mœurs légères qui vécut très âgée en un siècle très guerrier parle en connaissance de cause.

Surnommée Notre Dame des Amours, séductrice aux « mille amants », épicurienne et lettrée, tenant salon chaque jour et visitée de cinq à neuf par tout Paris, elle devient friande de jeunes gentilshommes et de prélats, sur le tard : « Je n’ai jamais eu que l’âge du cœur. »

Cette femme libre aura naturellement nombre d’amants célèbres et combattants. À qui songe-t-elle en écrivant ces mots ? Au marquis et maréchal d’Estrées, à Coligny, au duc de La Rochefoucauld ou au duc d’Enghien, devenu pour l’histoire le Grand Condé ?

« Louis XIV le reçut comme un père et le peuple comme un maître. »796

VOLTAIRE (1694-1778) évoquant le retour de Mazarin, 3 février 1653. Le Siècle de Louis XIV (1751), Voltaire

C’est la fin de la Fronde. Le roi, majeur depuis deux ans, va pourtant laisser le cardinal gouverner la France jusqu’à sa mort, en 1661. Il apprendra ainsi son royal métier auprès de son Premier ministre et tuteur. Mais la Fronde lui servira de leçon : plus jamais ça ! Et Mazarin le conforte habilement…

« Si une fois vous prenez en main le gouvernail, vous ferez plus en un jour qu’un plus habile que moi en six mois, car c’est d’un autre poids, ce qu’un roi fait de droit fil, que ce que fait un ministre, quelque autorisé qu’il puisse être. »801

MAZARIN (1602-1661), Lettre à Louis XIV, 29 juin 1659. Les Annales conferencia, volume XIX (1925), Université des Annales

Ainsi le conseille-t-il deux ans avant sa mort, tout en continuant de l’initier à son métier de roi. Le conseil sera bien suivi par l’élève !

En attendant, le cardinal qui a tiré les leçons de la Fronde tient fermement le gouvernail : Parlements réduits au silence, interdiction à la noblesse de s’assembler (édit de 1657). En 1659, des assemblées secrètes de nobles se tiennent en certaines provinces. Le roi va sévir en personne dans le Midi. Il y a toujours, entre eux deux, cette étonnante « division du travail ».

L’un des principaux acquis du « règne » de Mazarin sera la paix avec l’Espagne, au traité des Pyrénées : le 7 novembre 1659, dans l’île des Faisans sur la Bidassoa qui sert de frontière aux deux pays, Mazarin signe pour Louis XIV.

« Dieu merci, il est crevé. »806

Hortense MANCINI (1646-1699), Mémoires (posthume)

C’est le cri du cœur de la famille (son frère et une de ses sœurs) à la nouvelle de la mort du cardinal Mazarin, leur oncle. La belle et spirituelle mazarinette ajoute : « À vrai dire, je n’en fus guère plus affligée ; et c’est une chose remarquable qu’un homme de ce mérite, après avoir travaillé toute sa vie pour élever et enrichir sa famille, n’en ait reçu que des marques d’aversion, même après sa mort. »

« Il y a en lui de l’étoffe de quoi faire quatre rois et un honnête homme. »845

MAZARIN (1602-1661) à propos de Louis XIV. Mémoires du maréchal de Gramont (posthume, 1827)

Ministre tout-puissant, Mazarin initia le jeune roi aux affaires après sa majorité (13 ans), d’où une solide formation politique, plus pratique que livresque. Le maître eut le temps d’apprécier son royal élève – qui aura le plus long règne de l’histoire de France : de 5 à 77 ans.

Après huit années d’apprentissage, âgé de 22 ans, le roi ne perd pas un jour pour appliquer ses leçons. Le « siècle de Louis XIV » commence vraiment avec le règne personnel qui va durer cinquante-quatre ans.

« Nous sommes la tête d’un corps dont les sujets sont les membres. »808

LOUIS XIV (1638-1715), Mémoires pour l’instruction du Dauphin (1662)

Louis XIV, plus qu’aucun roi, incarne le pouvoir et s’identifie à la France. Dès la fin du Moyen Âge, Louis XI proclamait : « Je suis France ! » Cette notion très physique et même sensuelle de la royauté se retrouve chez Henri IV, mais dans un pays divisé par les guerres de Religion, le temps n’était pas encore venu de rendre effective la monarchie absolue.

« En France et sous nos rois, la chanson fut longtemps la seule opposition possible ; on définissait le gouvernement d’alors comme une monarchie absolue tempérée par des chansons. »815

Eugène SCRIBE (1791-1861), Discours de réception à l’Académie française (1834)

On ne dira jamais assez l’importance des chants et chansons, dans l’Histoire de France. Le peuple chante pour encenser, mais aussi pour critiquer – avec quelle violence, parfois ! L’anonymat permet de tout oser.

Bien des écrivains n’osent pas, alors qu’au siècle suivant et malgré la censure, la voix des philosophes s’élèvera pour tempérer l’absolutisme royal et créer une opinion publique digne de ce nom. Mais le peuple continuera de chanter, sous la Révolution et bien au-delà.

« Grand Roi, cesse de vaincre, ou je cesse d’écrire. »820

Nicolas BOILEAU (1636-1711), Épîtres

Boileau est certes courtisan, mais ils le seront tous, les immenses talents du siècle de Louis XIV qui travaillent pour le plaisir du roi et créent en même temps des chefs-d’œuvre. Cette exception culturelle est unique en son genre – Napoléon n’aura pas la même chance que Louis XIV !

Qu’importe donc que Racine ait écrit : « Tous les mots de la langue, toutes les syllabes nous paraissent précieuses, parce que nous les regardons comme autant d’instruments qui doivent servir à la gloire de notre Auguste protecteur », s’il nous a laissé Andromaque, Bérénice, Phèdre… Boileau accédera avec Racine au poste envié et naturellement servile d’historiographe du roi, en 1677.

« Je définis la cour un pays où les gens,
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,
Sont ce qu’il plaît au prince, ou, s’ils ne peuvent l’être
Tâchent au moins de le paraître :
Peuple caméléon, peuple singe du maître. »824

Jean de la FONTAINE (1621-1695), Fables. Les Obsèques de la lionne (1678)

Né bourgeois, auteur à qui sa charge de « maître des Eaux et Forêts » laisse bien des loisirs pour fréquenter les salons, lire les Modernes, leur préférer d’ailleurs les Anciens, écrire enfin.

Fouquet fut son premier mécène et ami, mais à la chute du surintendant destitué par le roi (1661), La Fontaine trouve d’autres riches protecteurs et surtout protectrices, duchesse d’Orléans, Mme de la Sablière, Marie-Anne Mancini, etc.

Courtisan à la cour, il est cependant épris de liberté et fort habile à la gérer, tout en ménageant son confort.

« Si j’étais accusé d’avoir volé les tours de Notre-Dame, je commencerais par m’enfuir. »843

Appréciation sur la justice attribuée à divers hauts magistrats à la fin du XVIIe siècle. Dictionnaire de français Larousse, au mot « vol »

La monarchie absolue va de pair avec l’arbitraire de la justice. Les intendants ne peuvent veiller à tout et partout. Le seigneur demeure puissant sur ses terres, tandis que le noble de robe ou le bourgeois récent acquéreur de la seigneurie n’est pas moins âpre ! Les magistrats sont trop peu nombreux (8 648 juges pour 17 millions d’habitants en 1665), parfois complices des nobles et alliés à eux. L’autorité royale n’intervient qu’en cas d’oppression flagrante. « La justice est une si belle chose qu’on ne saurait trop cher l’acheter », écrit Lesage dans sa comédie Crispin rival de son maître (1707).

« Par la gabelle et les aides, l’inquisition entre dans chaque ménage. »833

Hippolyte TAINE (1828-1893), Les Origines de la France contemporaine, tome I, L’Ancien Régime (1875)

Cet historien précise : « Dans les pays de grande gabelle […], le sel coûte treize sous la livre […] Bien mieux, en vertu de l’ordonnance de 1680, chaque personne au-dessus de 7 ans est tenue d’en acheter sept livres par an. » La levée des impôts est assurée par les « fermiers », traitants ou « partisans » privés qui passent contrat avec l’État : ils lui remettent une somme forfaitaire et prélèvent les taxes et droits sur les contribuables, en faisant leur bénéfice.

Le fermier est un personnage à peu près aussi haï que l’intendant sous l’Ancien Régime, notamment du fait de nombreux abus. La fiscalité comme la justice ont finalement rendu la Révolution nécessaire.

« Avec un almanach et une montre, on pouvait, à trois cents lieues de lui, dire avec justesse ce qu’il faisait. »849

Duc de SAINT-SIMON (1675-1755), Mémoires (posthume)

Contraste frappant, paradoxe apparent, le roi si occupé à régner, gouverner, guerroyer se plaît à réduire tous les Grands à une inactivité dorée, mais forcée. Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, resté dans l’histoire pour ses Mémoires (posthumes), fut un éternel frustré, n’ayant jamais le rôle politique qu’il rêvait de jouer.

« J’ai failli attendre. »848

LOUIS XIV (1638-1715). Dictionnaire de français Larousse, au mot « attendre »

On lui prête ce mot, souvent cité, jamais « sourcé ». La duchesse d’Orléans, dans ses Mémoires, rapporte seulement que le roi ne peut souffrir qu’on le fasse attendre. Ce qui est assez normal pour un homme si occupé, si minuté dans l’emploi de son temps, et roi de surcroît.

« Mon frère, vous allez épouser tous les os des Saints Innocents. »856

LOUIS XIV (1638-1715), à son frère Philippe d’Orléans, fin mars 1661. Mémoires de Mlle de Montpensier

L’humour n’est pas la première qualité royale, mais à l’occasion… Son frère est marié malgré lui à Henriette Anne d’Angleterre, fort maigre à cette époque où la mode est aux femmes bien en chair - elle s’épanouira joliment, l’amour du comte de Guiche aidant, avant d’autres amants, dont le roi lui-même.

Mazarin s’était chargé d’éduquer Philippe d’Orléans de façon à affaiblir sa personnalité, pour éviter que Louis XIV ait avec lui les mêmes ennuis que Louis XIII avec son frère Gaston d’Orléans, l’éternel comploteur. Il l’a fait initier à l’homosexualité par son neveu Filipo Mancini, en flattant ses penchants innés pour les fards et les déguisements. Philippe fera néanmoins plusieurs enfants à ses deux femmes successives (la seconde étant Charlotte-Élisabeth de Bavière, princesse Palatine, mère du futur Régent). Il se révélera aussi l’un des meilleurs chefs militaires de son temps, au point que Louis XIV, jaloux, lui retirera tout commandement !

« Fils de roi ; père de roi ; jamais roi ! »864

Horoscope de Louis de France. Le Siècle de Louis XIV (1751), Voltaire

Le Grand Dauphin (Monseigneur) naît le 1er novembre 1661. Fils aîné de Louis XIV, il sera père de Philippe V roi d’Espagne, mais il meurt de la petite vérole à 50 ans, avant d’avoir pu accéder au trône.

Il n’est pas certain qu’il l’ait ardemment désiré, vu son caractère un peu mou et son éducation un peu rude. Il reporta toute la fierté de son sang royal sur son deuxième fils, le duc d’Anjou (les deux autres moururent jeunes), revendiquant l’héritage de la couronne d’Espagne sur laquelle sa mère Marie-Thérèse d’Autriche (infante espagnole) lui a donné des droits. Sous l’Ancien Régime, les liens familiaux faisaient (et défaisaient) les frontières territoriales, d’où l’importance géopolitique des mariages et des naissances royales.

Quant aux horoscopes… Les astrologues étaient régulièrement consultés en ces époques où superstition, sorcellerie et magie faisaient partie de la vie quotidienne – le Grand Siècle est en cela plus proche de la Renaissance que des Lumières ! Mais la classe politique reste une clientèle fidèle des devins, encore très sollicités. Certain président de la République n’a jamais caché qu’il recourait aux services d’Élizabeth Teissier devenue de ce fait l’astrologue la plus célèbre des « années Mitterrand ».

« Tu trembles, carcasse, mais tu tremblerais bien davantage si tu savais où je vais te mener ! »868

TURENNE (1611-1675) se parlant à lui-même, en 1667. Nouvelles considérations sur les rapports du physique et du moral (1834), Pierre Maine de Biran

Citation référentielle plaisante et ambiguë. Henri de La Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne, s’apprête à reprendre du service, vingt ans après sa brillante guerre de Trente Ans. Autre version du mot de Turenne : il parlerait à son cheval Carcasse, avant sa dernière bataille en 1675. De toute manière, c’est le mot d’un très courageux soldat de Louis XIII et de Louis XIV, promu maréchal de France à 32 ans.

La guerre de Dévolution, dite aussi de Flandre ou des Droits de la Reine, première guerre de conquête de Louis XIV, se prépare depuis le début du règne par un jeu d’alliances. À la mort de Philippe IV d’Espagne (1665), Louis XIV invoquant le traité des Pyrénées (1659) entend faire valoir les droits de sa femme sur les Pays-Bas (espagnols) : fille du roi d’Espagne, elle y a renoncé en épousant le roi de France, mais en échange d’une dot considérable, toujours impayée… Les victoires se succèdent, Louvois et Vauban ont bien préparé l’armée. En trois mois, cette année 1667, Turenne enlève la Flandre (dont Lille) à l’Espagne.

« Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, Madame est morte. »873

BOSSUET (1627-1704), Oraison funèbre d’Henriette Anne d’Angleterre (1670)

Depuis dix ans, Bossuet est le prédicateur de la cour : des sermons par centaines et une éloquence incantatoire dont Malraux, ministre de la Culture, retrouvera les accents et le lyrisme, trois siècles après.

L’éloge funèbre de Madame, femme de Monsieur, est un modèle du genre. Rappelons que le frère du roi, Philippe d’Orléans, fut marié malgré lui à cette princesse anglaise, maigre comme « les os des Saints Innocents » (1661). La cour de France et l’amour de quelques amants (dont le roi) ont métamorphosé Henriette. Aussi belle que spirituelle, elle vit au-dessus des moyens d’une santé fragile : passion pour la chasse et la danse, intrigues, quatre maternités, scènes de jalousie de Monsieur qui voit sa femme dans les bras de son favori, le comte de Guiche… On parla d’un empoisonnement, démenti après autopsie.

Quoiqu’il en soit, la mort subite d’Henriette, à 26 ans, cause un émoi dont Bossuet donne un juste écho : « Le roi, la reine, Monsieur, toute la cour, tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré ; et il me semble que je vois l’accomplissement de cette parole du prophète : « Le roi pleurera, le prince sera désolé, et les mains tomberont au peuple de douleur et d’étonnement. » »

« L’attelage du soleil
N’aura jamais son pareil.
Il est de quatre chevaux
Qui ne sont ni bons ni beaux […]
Précédé de deux cavales […]
Toutes deux fortes des reins
Toutes deux sont poulinières,
L’une est maigre au dernier point,
L’autre crève d’embonpoint. »880

Chanson allégorique sur les ministres et les maîtresses de Louis XIV. Nouvelle collection des mémoires pour servir à l’histoire de France : depuis le XIIIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe (1837), J. Michaud, J. J. F. Poujoulat

Allégorique, mais sans mystère : les quatre chevaux sont les ministres Le Tellier, son fils Louvois, Colbert et Lionne. Les deux cavales sont les maîtresses du roi, la Vallière et Montespan.

La France est toujours cette « monarchie absolue tempérée par des chansons », mais elle est également unie et forte derrière son roi dans cette guerre de Hollande qui commence en 1672 et dure plus que prévu.

« Ultima ratio regum. »
« Dernier argument des rois. »817

LOUIS XIV (1638-1715), devise gravée sur ses canons

Concise et précise, la devise est une citation historique référentielle. Celle-ci donne une clé de la politique extérieure du règne et du personnage. La guerre est l’une des passions du roi, la victoire étant ce qui peut le mieux servir sa gloire. D’où trente-trois années de guerre sur un règne personnel de cinquante-quatre ans.

Ses contemporains sont du même avis : un roi guerrier fait son métier de roi. Prenons garde à l’anachronisme qui pousserait à condamner ce « bellicisme » !

« Il est mort aujourd’hui un homme qui faisait honneur à l’homme. »883

Prince montecucolli (1609-1680), rendant hommage à son ennemi Turenne, Salzbach (ou Sasbach), 27 juillet 1675. L’Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789 (1875), François Guizot

Après Turckheim, la foule accueille Turenne à Paris comme le libérateur du royaume. Comblé d’honneurs et toujours modeste, il souhaite se retirer à l’Oratoire, mais Louis XIV lui donne le commandement de la nouvelle campagne de 1675. À 64 ans, le maréchal de France retrouve son vieil adversaire Montecucolli : généralissime des troupes de l’empereur germanique, âgé de 66 ans et toujours combattant – comparé aux espérances de vie actuelles, on parlerait d’octogénaires.

Deux mois durant, ils déploient leurs armées en grands tacticiens. Turenne semble avoir l’avantage et va passer à l’offensive, quand il est mortellement blessé par un boulet de canon au cours d’une opération de reconnaissance. Il sera enseveli à la basilique de Saint-Denis – et transféré en 1800 aux Invalides, par Bonaparte admiratif.

Pardonné par Louis XIV après sa Fronde, sa traîtrise et sa condamnation à mort, le Grand Condé remplace son plus ancien ami et adversaire, Turenne.

De nouvelles victoires sur terre et sur mer (contre l’escadre hollandaise en Méditerranée) permettent à Louis XIV de traiter en position de force au congrès de Nimègue (1678-1679). L’Espagne, grande perdante, cède à la France la Franche-Comté et quelques places qui consolident la frontière au nord et à l’est. Les Provinces-Unies sont traitées avec une étonnante bienveillance et Louis XIV le Grand, à l’apogée de son règne, apparaît comme l’arbitre de l’Europe quand il s’installe à Versailles, en 1682.

« Si j’avais fait pour Dieu ce que j’ai fait pour cet homme, je serais sauvé dix fois. »891

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), sur son lit de mort, parlant de Louis XIV, début septembre 1683. Mot de la fin. Histoire de la vie et de l’administration de Colbert (1846), Pierre Clément

Ce grand commis de l’État accomplit une tâche surhumaine, cumulant peu à peu les postes d’intendant des Finances, contrôleur général, surintendant des Bâtiments, Arts et Manufactures, secrétaire à la Maison du roi et à la Marine. Il dirigea et réglementa l’économie, réorganisa l’administration, géra les « affaires culturelles », encouragea le commerce défini comme « une guerre d’argent » et enrichit le pays au nom d’un mercantilisme qui fait loi – le colbertisme. Louis XIV lui doit, autant que la France, une part de cette grandeur dont il est si fier.

À la veille de sa mort (6 septembre 1683), le créateur du budget public (au sens moderne du mot) doit pourtant avoir un sentiment d’échec : les dépenses de l’État ne peuvent plus être équilibrées par les recettes, notamment à cause des dépenses militaires, et la cour parle d’une éventuelle disgrâce de Colbert, au profit de son rival, l’intrigant Louvois, ministre de la Guerre qui encourage le roi dans une politique extérieure toujours plus ambitieuse, aventureuse, bientôt ruineuse.

« À force de vouloir paraître grand, vous avez failli ruiner votre propre grandeur. »893

FÉNELON (1651-1715), Les Aventures de Télémaque (1699)

Citation doublement référentielle pour lecteurs très avertis et cultivés… Cette phrase de Mentor à Idoménée, c’est en fait Fénelon s’adressant à Louis XIV dans cette œuvre rédigée en 1695. Ce jugement sévère, malgré l’effet de style et la métaphore mythologique, s’applique bien à cette année 1683, tournant du règne.

Un excès de confiance en soi fait perdre au roi sa prudence et son sens inné de la mesure. Les ambitions territoriales et les continuelles provocations de Louis XIV (encouragé par Louvois) auront bientôt pour conséquence de coaliser au sein de la ligue d’Augsbourg toute l’Europe (sauf la Suisse) contre la France. Déjà les « réunions » ont révolté bien des populations, depuis 1681 : voulant renforcer stratégiquement les frontières du royaume, Louis XIV se sert de l’imprécision juridique des traités pour annexer les « dépendances » des villes conquises. Stupeur, puis fureur des souverains concernés : roi d’Espagne, roi de Suède, empereur d’Allemagne.

« La plaie de la révocation de l’édit de Nantes saigne encore en France. »900

VOLTAIRE (1694-1778), Correspondance (Lettre au comte de Schouvalof, 30 septembre 1767)

Au siècle suivant, c’est le grand avocat de la tolérance religieuse qui s’exprime, en même temps que l’historien du Siècle de Louis XIV.

L’édit de Fontainebleau du 18 octobre 1685 (enregistré le 22) révoque l’édit de Nantes (pris par Henri IV en 1598) : pasteurs bannis, écoles protestantes fermées, temples détruits, enfants des « nouveaux convertis » baptisés. Et interdiction de quitter la France sous peine de galères. Le roi, mal conseillé, sans doute influencé par sa seconde femme Madame de Maintenon, n’a pas prévu les conséquences désastreuses (politiques et humaines) de la Révocation.

« Faire la guerre sans combattre,
Piller la veuve et l’orphelin,
Sent plus le fils de Mazarin
Que le fils d’Henri IV. »908

Faire la guerre sans combattre (1688), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Cette chanson est précisément datée, d’où sa valeur référentielle.

Louis XIV, à l’instigation de Louvois, fait occuper avec une brutalité restée légendaire le Palatinat (rive droite du Rhin) : sous prétexte d’assurer les droits d’héritage de Madame (sa belle-sœur), la princesse Palatine, et de confirmer les « réunions » (annexions) opérées par la France.
Le sac du Palatinat est d’une sauvagerie qui fait honte aux officiers qui l’exécutèrent : « Si le roi avait été témoin de ce spectacle, il aurait lui-même éteint les flammes. Les nations, qui jusque-là n’avaient blâmé que son ambition en l’admirant, crièrent alors contre sa dureté et blâmèrent même sa politique » (Voltaire).

La guerre est devenue inévitable, avec la somme des haines suscitées par Louis XIV pour diverses raisons : politiques, religieuses, commerciales, coloniales. La ligue d’Augsbourg réunit tous les mécontents : Empire, Espagne, Savoie, Suède, Provinces-Unies, puis l’Angleterre – une révolution détrône Jacques II (un Stuart), catholique et francophile, amenant au pouvoir sa fille Marie et son gendre, Guillaume d’Orange (stathouder aux Provinces-Unies), roi d’Angleterre sous le nom de Guillaume III.

« Oh ! l’insolente nation. »915

GUILLAUME III d’orange-NASSAU (1650-1702), bataille de Neerwinden, 29 juillet 1693. Mémoires de Saint-Simon (posthume, 1879)

Exclamation de surprise du roi d’Angleterre, à la fois furieux et admiratif de la résistance opposée par la cavalerie française du maréchal de Luxembourg.

Mais l’épuisement atteint tous les belligérants, au fil de ces batailles qui se succèdent, qu’elles soient victoires ou défaites. Au XVIIe siècle, quelques milliers de morts apparaît comme une tuerie exemplaire. La suite de l’histoire, avec des guerres aux effectifs décuplés, voire centuplés, repoussera les limites de l’horreur en ce domaine.

« Le bout de Monsieur d’Argenson
Se raccourcit avec la lune.
Il deviendra colimaçon,
Le bout de Monsieur d’Argenson ! »918

Le Bout de Monsieur d’Argenson (1698), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Citation référentielle et irrévérencieuse, possible par l’anonymat qui fait fi de la censure pour dire la vérité avec autant d’humour que d’humeur. La France sort ruinée de la guerre de la Ligue d’Augsbourg ou guerre de Neuf Ans (1688-1697) qui opposa la France à une puissante coalition européenne

À Paris, surnommée la Ville Lumière pour son éclairage au XVIIe siècle, le nouveau lieutenant général de police décide de faire des économies : les nuits de pleine lune, on ne mettra dans les lanternes publiques que de petits « bouts de chandelles ». D’où les plaisanteries sur le bout de M. d’Argenson : « Mais il est plus gros et plus long / Quand il voit paraître la brune. » De nos jours, c’est au nom de l’écologie et du réchauffement de la planète que l’éclairage (électrique) doit être réduit la nuit dans les villes.

« Quelle grâce […] de faire par pure vertu ce que tant d’autres femmes font sans mérite et par passion ! »928

Paul GODET des MARAIS (1647-1709), évêque de Chartres et directeur spirituel de la Maison de Saint-Cyr, confesseur de Mme de Maintenon, à sa pénitente. Lettres à Madame de Maintenon (éditées en 1778)

Épouse morganatique du roi, elle se plaint en 1704 de ce qu’il « lui donne le bonsoir » jusqu’à deux fois par nuit : elle a 70 ans et lui 66.

Louis XIV le séducteur n’a plus de maîtresses et la religion l’occupe davantage, avec l’âge et sous l’influence de « sainte Françoise » (le surnom qu’il donne à sa femme, née Françoise d’Aubigné). Il garde quand même un bien grand appétit de vie – malgré l’opération d’une fistule anale (novembre 1686), première d’une série d’interventions qui vont amener une certaine déchéance physique, voire mentale.

Louis XIV continuera cependant de chasser, de manger, d’aimer, de régner jusqu’à l’extrême limite de ses forces.

« Mon neveu, je vous fais Régent du royaume. Vous allez voir un roi dans le tombeau et un autre dans le berceau. Souvenez-vous toujours de la mémoire de l’un et des intérêts de l’autre. »945

LOUIS XIV (1638-1715), à Philippe d’Orléans, Testament, 1715. Histoire de la Régence pendant la minorité de Louis XV, volume I (1922), Henri Leclercq

Le texte sera lu au lendemain de sa mort. Le roi a institué un Conseil de régence dont le Régent en titre est président, la réalité du pouvoir allant au duc du Maine (fils légitimé de Mme de Maintenon). Son neveu, dont il se méfie non sans raison, ne s’en satisfera pas et le roi mourant a peu d’illusion sur l’avenir de ses dernières volontés royales.

« Enfin, Louis le Grand est mort !
La Parque a terminé son sort.
O reguingué, o lon la la,
Elle vient de trancher sa vie,
Toute l’Europe en est ravie. »948

La Mort de Louis XIV (1715), chanson. Une histoire de la chanson française, des troubadours au rap (2004), Jean-Pierre Moulin

Autre écho, autre vérité. Louis XIV aura fort inquiété l’Europe par ses ambitions territoriales et commerciales, ses guerres de conquête et sa politique des « réunions ». Et la rue qui chante à sa mort ne s’embarrasse pas de subtilités rhétoriques.

Louis le Grand, adoré dans sa jeunesse, aimé et admiré au sommet de sa gloire, finit détesté du peuple qui souffre à l’excès de la guerre et de la misère. La seconde moitié du règne jette une ombre tragique sur la première. Un tel contraste est rare, dans l’histoire. On le retrouvera avec Napoléon et une chute encore plus tragique.

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