Citations référentielles : le miroir de l’Histoire (Restauration, Monarchie de Juillet, Deuxième République) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Les citations « référentielles » (inspirées du système des coordonnées en physique) renvoient à un personnage, un événement, une théorie ou une opinion, voire une autre citation en effet miroir. Bref, à tout ce qui fait date et sens dans notre histoire où le récit national côtoie parfois le roman.

Elles se présentent sous diverses formes : slogans, appels, discours, chansons, épitaphes, textes de loi, presse (titres ou extraits d’articles), poèmes, chroniques, mémoires, lettres, pamphlets et autres sources. À la limite, toutes les bonnes citations ont vocation à devenir référentielles, si elles trouvent écho au-delà de leur époque pour devenir patrimoniales.

Elles démontrent que l’Histoire de France a vocation pour servir de référence - jamais assez, jamais trop - étant notre lien, notre identité, en même temps que l’indispensable recul pour juger de l’actualité politique.

Elles doivent être contextualisées, commentées – ça tombe bien, telle est la règle de notre Histoire en citations dont elles sont toutes tirées.

La chronologie s’impose au fil de cet édito en 10 épisodes (et 23 époques) qui renvoient aux Chroniques, de la Gaule à nos jours.

RESTAURATION (et CENT JOURS)

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

« Retomber de Bonaparte et de l’Empire dans ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant. »1892

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

Cette référence au personnage et à la période va marquer tous les esprits pendant une génération – et bien au-delà. C’est aussi la parole d’un génie de notre littérature. En politique, Chateaubriand a surtout une vocation d’éternel opposant : « L’opposition était dans son génie naturel aussi bien que dans sa passion du moment » dira son contemporain Guizot, homme politique et historien.

Notons que cette Restauration souvent mal aimée, moquée ou mal comprise, porte en germe toutes les révolutions sociales du siècle à venir – sans parler de l’incroyable aventure des Cent Jours de Napoléon.

« L’Ancien Régime moins les abus. »1893

LOUIS XVIII (1755-1824), formule plusieurs fois énoncée au temps de son exil. Dictionnaire critique de la Révolution française (1992), François Furet, Mona Ozouf

Tel sera son programme de roi restauré. Plus intelligent que son frère (futur Charles X), il a compris le vœu de la France profonde et pensante. Ce courant d’opinion est représenté par les « constitutionnels », globalement satisfaits de la Charte (constitution) octroyée le 4 juin 1814. Sur l’échiquier politique, ces centristes seront pris entre deux feux, deux extrêmes : les ultras – plus royalistes que le roi – qui veulent le retour à l’Ancien Régime et les indépendants ou libéraux, groupe formé de sensibilités différentes, mais qui rejettent tous le drapeau blanc, la prééminence du clergé et de la noblesse.

La Restauration se joue dans ce tripartisme dont hériteront tous les régimes politiques de la France jusqu’à nos jours. Elle va par ailleurs souffrir de la comparaison avec l’épopée napoléonienne qui entre dans la légende.

« Il monta péniblement ce trône que son prédécesseur avait eu l’air d’escalader. »1904

Charles François Marie, comte de RÉMUSAT (1797-1875). Mémoires de ma vie (posthume, 1967), Charles de Rémusat

Jeune collaborateur au Globe, journal d’opposition libérale, le comte de Rémusat est le fils du chambellan de Napoléon, rallié aux Bourbons à la Restauration.

Il constate l’évidence, en 1814 : à près de 60 ans, Louis XVIII est podagre (goutteux), autrement dit rhumatisant au dernier degré. Il est en outre affligé d’un accent dû non pas à une émigration prolongée, mais à une phonétique demeurée très Ancien Régime, qui ôte toute noblesse à sa royale affirmation : « C’est moué qui suis le roué. » Les chansonniers ne vont pas rater « le roué ». Le roi sera méchamment brocardé, à cette époque où la presse et la caricature deviennent deux médias populaires.

« Vous vous plaignez d’un roi sans jambes, vous verrez ce que c’est qu’un roi sans tête. »1908

LOUIS XVIII (1755-1824), qui ne connaît que trop bien son frère, le comte d’Artois. Encyclopédie des mots historiques, Historama (1970)

Rendu quasi infirme par la goutte, mais gardant son humour, le roi parle de son frère, le futur Charles X. À 57 ans, il a l’allure d’un jeune homme et monte royalement à cheval. Malgré cette séduction naturelle, il se fera détester.

« J’ai mes vieilles idées, je veux mourir avec elles. »1911

CHARLES X (1757-1836), sentence souvent répétée, qui résume le personnage. Charles X (2001), André Castelot

Cette phrase annonce à la fois son règne et sa fin. Mais au début de la Restauration, il n’est encore que Monsieur, comte d’Artois, frère du roi, sitôt présent et bientôt gênant pour Louis XVIII. Pour l’heure, le problème est ailleurs, avec le plus incroyable come-back de l’histoire. 

« Français ! […] j’arrive parmi vous reprendre mes droits qui sont les vôtres. »1924

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Golfe Juan, Proclamation du 1er mars 1815. France militaire : histoire des armées françaises de terre et de mer de 1792 à 1833 (1838), Abel Hugo

À peine débarqué, il parle au pays et trouve toujours les mots qui font mouche : « Dans mon exil, j’ai entendu vos plaintes et vos vœux : vous réclamiez ce gouvernement de votre choix qui est seul légitime. » Et encore…

« Ils n’ont rien oublié, ni rien appris. »1926

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Golfe-Juan, Proclamation du 1er mars 1815. Histoire parlementaire de la Révolution française ou Journal des Assemblées nationales (1834-1838), P.J.B. Buchez, P.C. Roux

« Depuis le peu de mois que les Bourbons règnent, ils vous ont convaincu qu’ils n’ont rien oublié, ni rien appris. » Napoléon reprend la formule de Dumouriez parlant des courtisans qui entourent Louis XVIII, le mot étant également attribué à Talleyrand. Quoi qu’il en soit, il résume parfaitement la mentalité des Bourbons et surtout de leurs partisans, les ultras plus royalistes que le roi.

« La grande mesure décrétée contre Bonaparte fut un ordre de « courir sus » : Louis XVIII, sans jambes, « courir sus » le conquérant qui enjambait la terre. »1928

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

Quand il écrit ses Mémoires, l’auteur qui s’est rallié à la Restauration est passé dans l’opposition, ce qui est sa vraie nature. Quant à la France, elle est profondément divisée face à l’événement.

« Enfin, v’la qu’je r’voyons à Paris / Ce fils de la victoire !
L’aigle remplace la fleur de lys, / C’est c’qui faut pour sa gloire.
De l’île d’Elbe en quittant le pays, / Crac ! Il se met en route.
En vingt jours, il arrive à Paris. / C’t’homm’-là n’a pas la goutte. »1929

Ot’-toi d’là que j’m’y mette, chanson de 1815. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Voilà l’un des couplets du chant des partisans, de plus en plus nombreux : la magie impériale agit encore. Cependant qu’à Paris comme à Vienne, la réaction s’organise. Dès que la nouvelle touche la capitale, le 5 mars 1815, le frère du roi prend la route de Lyon. Le Journal des Débats stigmatise le traître, les anciens compagnons de l’empereur s’apprêtent à le combattre, avant de se rallier à lui pour la plupart.

« Il faut tuer Buonaparte comme un chien enragé. »1934

TALLEYRAND (1754-1838), Congrès de Vienne, 12 mars 1815. Le Roi de Rome (1932), Octave Aubry

Napoléon a bouleversé le bon ordre du Congrès et mis le ministre français dans une situation délicate, si habile que soit notre diplomate à 60 ans.

« [Napoléon déclaré] hors des relations civiles et sociales et livré à la vindicte publique comme ennemi et perturbateur du monde. »1935

Les souverains alliés, Congrès de Vienne, 13 mars 1815. Le Moniteur universel (1815)

Les souverains présents au Congrès de Vienne - François Ier l’empereur d’Autriche (beau-père de Napoléon), le tsar Alexandre de Russie, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III - sont unanimes à mettre Napoléon hors-la-loi.

« Cet homme est revenu de l’île d’Elbe plus fou qu’il n’était parti. Son affaire est réglée, il n’en a pas pour quatre mois. »1931

Joseph FOUCHÉ (1759-1820), lucide quant à l’avenir, mars 1815. 1815 (1893), Henry Houssaye

Il va redevenir ministre de la Police sous les Cent-Jours et de nouveau sous la seconde Restauration. Napoléon connaît les défauts et les qualités de l’homme. Fouché prendra son portefeuille le 21 mars 1815, confiant à Gaillard (lieutenant général de police) : « Avant trois mois, je serai plus puissant que lui et s’il ne m’a pas fait fusiller, il sera à mes genoux […] Mon premier devoir est de contrarier tous les projets de l’empereur. »

Fouché a tort de trahir, mais raison de penser ainsi. Le retour de Napoléon déclenche une nouvelle guerre européenne et le second traité de Paris (signé au Congrès de Vienne) sera beaucoup moins clément. La France n’a aucune chance de gagner, même avec ce fabuleux meneur d’hommes et manieur de foules qui veut forcer le destin. C’est l’aventure de trop, c’est aussi la légende et l’un des épisodes les plus étonnants de l’Histoire.

« Soldats du 5e, je suis votre empereur. Reconnaissez-moi. S’il est parmi vous un soldat qui veuille tuer son empereur, me voilà ! »1932

NAPOLÉON Ier (1769-1821) ouvrant sa redingote grise et montrant sa poitrine nue aux soldats venus l’arrêter, 7 mars 1815. 1815 (1893), Henry Houssaye

La scène se passe à Laffrey, près de Grenoble. L’officier fidèle au roi a crié « Feu ! » à ses hommes, Napoléon a eu ce geste, ce mot. Aucun ne tire, le cri de « Vive l’empereur ! » répond à sa voix, tous les soldats jettent les cocardes blanches et remettent les cocardes tricolores remisées dans leur sac, il y a un an. Tous se rallient à l’empereur, dans la « prairie de la Rencontre » : Stendhal raconte la scène, Steuben (artiste allemand) la peint et l’immortalise.

Le vol de l’Aigle continue, sur la route Napoléon qui mène de Golfe-Juan à Grenoble (aujourd’hui RN 85). Le 10 mars, l’entrée à Lyon est triomphale. Napoléon continue en calèche, de mieux en mieux équipé, escorté. Il écrit des lettres à Marie-Louise et promulgue une série de décrets. Il a prévu d’être à Paris le 20 mars.

« Je ramènerai l’usurpateur dans une cage de fer. »1933

Maréchal NEY (1769-1815), au roi Louis XVIII. Vie du maréchal Ney (1816), Raymond Balthazar Maizeau

Surnommé le Brave des braves sous l’Empire, Ney a poussé Napoléon à abdiquer il y a moins d’un an et s’est rallié à Louis XVIII qui le fit pair de France. Le roi le charge à présent d’arrêter le vol de l’Aigle. Ney en fait le serment. Mais il va céder à son tour au charisme de l’empereur et se rallier à lui avec ses troupes, le 13 mars. Il paiera de sa vie cette traitrise à la fin de l’année.

« Ce diable d’homme m’a gâté la France. »1937

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Napoléon (1969), Georges Lefèbvre

À peine installé au château des Tuileries, le 20 mars 1815, il enrage contre Louis XVIII, car il se trouve littéralement assailli de libelles demandant des garanties constitutionnelles, comme le roi a été forcé d’en accorder.

« Un général anglais leur cria : Braves Français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde ! […] Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre. »1944

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

Le « mot de Cambronne » est passé à la postérité : anecdote rapportée par Hugo dans son roman, Sacha Guitry lui dédia une aimable pièce de boulevard titrée Le Mot de Cambronne.

On ne prête qu’aux riches : Pierre Jacques Étienne, vicomte de Cambronne, fit un beau parcours militaire. Engagé parmi les volontaires de 1792, il participe aux campagnes de la Révolution et de l’Empire. Nommé major général de la garde impériale, il suit Napoléon à l’île d’Elbe, revient avec lui en 1815, est fait comte et pair de France sous les Cent-Jours et s’illustre à Waterloo, dans ce « dernier carré » de la Vieille Garde qui va résister jusqu’au bout. Il niera toujours l’avoir dit, mais il reste célèbre pour ça.

« Tout à coup, une porte s’ouvre : entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, Monsieur de Talleyrand soutenu par Monsieur Fouché. »1953

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

Arrivant à Saint-Denis pour y retrouver Louis XVIII rentré en France, il aperçoit Talleyrand et Fouché venus se rallier au roi. Il décrit l’effet que lui causa cette entrée des deux hommes allant se présenter, ce 7 juillet 1815, à Louis XVIII qui leur rendra leurs portefeuilles – Affaires étrangères et Police. « La vision infernale passe lentement devant moi, pénètre dans le cabinet du roi et disparaît. Fouché venait jurer foi et hommage à son seigneur ; le féal régicide, à genoux, mit les mains qui firent tomber la tête de Louis XVI entre les mains du frère du roi martyr ; l’évêque apostat fut caution du serment. »

Le plus grand auteur de sa génération est lui-même ministre – de l’Intérieur, sous les Cent-Jours. L’année suivante, rayé de la liste des ministres d’État, il perd sa pension. Parce que, dit-il, « je m’élevais contre l’établissement d’un ministre de la Police générale dans un pays constitutionnel ». Le poste va rester, mais Fouché le perd en 1816, pour devenir un proscrit, exilé en tant que régicide. Quant à Talleyrand, honni des ultras comme des libéraux, il n’a pratiquement plus aucun rôle politique sous la seconde Restauration.

« Je préférerais qu’on égorgeât mon fils ou qu’il fût noyé dans la Seine plutôt que de le voir jamais élevé à Vienne comme prince autrichien. »1960

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Les Errants de la gloire (1933), princesse Lucien Murat (comtesse Marie de Rohan-Chabot)

Le vaincu ignore encore, en cette fin d’année 1815, que l’Aiglon sera précisément élevé à Vienne par son grand-père maternel, comme un prince autrichien, sous le nom de duc de Reichstadt – c’est l’« assassinat moral » tant redouté par le père pour son fils.

« L’Angleterre prit l’aigle et l’Autriche l’aiglon. »1961

Victor HUGO (1802-1885), Les Chants du crépuscule (1835)

Les destins tragiques inspirent les poètes, et entre tous, les grands romantiques du XIXe siècle.

Edmond Rostand, considéré comme le dernier de nos auteurs romantiques, est « le second père » de l’Aiglon et fit beaucoup pour sa gloire, dans la pièce qui porte son nom. Le rôle-titre sera créé en travesti par la star de la scène, Sarah Bernhardt (1900). À plus de 50 ans, elle triomphe en incarnant ce jeune prince mort à 21 ans.

« Cette Chambre, que dans les premiers temps le roi qualifia d’introuvable, se montra folle, exagérée, ignorante, passionnée, réactionnaire, dominée par des intérêts de caste. »1963

Comtesse de BOIGNE (1781-1866), Mémoires (posthume)

Les élections des 14 et 21 août 1815 font à Louis XVIII ce cadeau empoisonné d’une assemblée plus royaliste que le roi. Avec 350 députés ultras sur 402, cette fameuse Chambre n’est pas si « introuvable », puisqu’elle sera « retrouvée » lors de prochaines élections.

La raison en est simple : l’étroitesse du pays légal par rapport au pays réel. Le régime censitaire donne le droit de vote aux hommes de plus de 30 ans, payant au moins 300 francs d’impôts directs. Soit 110 000 électeurs sur 9 millions d’adultes en 1817, avec 80 % de propriétaires fonciers. Pour être député, il faut avoir au moins 40 ans et payer 1 000 francs d’impôts directs : 15 000 Français seulement sont éligibles.

Cette Chambre royaliste et ne représentant que ses intérêts s’oppose aux ministres modérés, les empêche de gouverne et provoque la seconde Terreur blanche de notre histoire. La haine des royalistes contre les hommes de la Révolution et de l’Empire est encore exaspérée après les Cent-Jours. « Ils finiraient par m’épurer moi-même ! » dit Louis XVIII avec son humour royal. Mais le tsar de Russie menace de laisser ses troupes d’occupation en France, si le roi ne renvoie pas de tels députés ! D’où la dissolution du 5 septembre 1816.

« Le but du ministère est de royaliser la nation et de nationaliser la monarchie. »1968

Élie DECAZES (1780-1860), à la Chambre des députés, 15 décembre 1817. Le Conservateur (1819), Le Normant fils éd

Vaste programme (ou « langue de bois » et pratique du « en même temps » ?)

Le jeune ministre de l’Intérieur ne doute de rien et surtout pas de l’appui du roi – en cela, il a raison. Après dissolution de la Chambre introuvable par le roi, les nouvelles élections du 5 septembre 1816 ont fait une place au groupe des constitutionnels modérés, représentés notamment par

Decazes. Les esprits se calment. Mais les ultras minoritaires restent farouchement déterminés. Cette déclaration déclenche leur fureur de « vrais » royalistes : comme si la France n’était pas royaliste ! Quant à « nationaliser » la monarchie, le mot leur fait horreur, évoquant les pires heures révolutionnaires dont beaucoup ont souffert.

« Je suis du parti que l’on guillotine, et vous êtes du parti que l’on pend. »1969

Mot d’une grande dame noble et légitimiste à Decazes, ministre et conseiller de Louis XVIII, janvier 1818. Histoire du gouvernement parlementaire en France, 1814-1848, volume III (1859), Prosper Duvergier de Hauranne

Les sources évoquent une « prétendue conversation », mais cette revendication de l’inégalité de classes jusque devant la mort reflète l’état d’esprit des ultras qui vivent mal l’expérience libérale voulue par le roi et dont le duc Decazes, royaliste modéré, est l’instrument.

« La liberté de la presse, c’est l’expansion et l’impulsion de la vapeur dans l’ordre intellectuel, force terrible mais vivifiante, qui porte et répand en un clin d’œil les faits et les idées sur toute la face de la terre. »1972

François GUIZOT (1787-1874), Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps (1858-1867)

Guizot entre sur la scène politique sous la Restauration, tout en faisant œuvre d’historien (de la France et de l’Angleterre). Il a des responsabilités dans le ministère Decazes et la même étiquette de modéré que le comte de Serre, très représentatif avec son ami Royer-Collard d’une classe de bourgeois instruits et riches, juristes, universitaires, hauts fonctionnaires. Il ajoute : « J’ai toujours souhaité la presse libre ; je la crois à tout prendre plus utile que nuisible à la moralité publique. » Cette liberté d’expression et d’opinion profite surtout aux adversaires des ultras de droite qui vont pratiquer la politique du pire.

« Le règne du roi est fini, celui de son successeur commence. »1979

Duc de BROGLIE (1785-1870), après la chute du ministère Decazes, fin février 1820. Le Comte de Serre : la politique modérée sous la Restauration (1879), Charles de Mazade

C’est un constitutionnel modéré qui s’exprime. Il a compris que c’en est fini de la période libérale voulue par Louis XVIII : les ultras vont avoir le pouvoir avec à leur tête le futur Charles X.

Le duc de Richelieu, rappelé à la présidence du Conseil par le roi, prend trois ultras dans son cabinet et tente une réaction modérée face à l’opposition libérale : suspension des lois de Serre sur la liberté de la presse, loi électorale du double vote encore plus élitiste.

Grand seigneur honnête, excellent administrateur, Richelieu n’a pas l’art de manœuvrer une assemblée et sa politique est jugée trop modérée par les ultras. Vainqueurs aux élections de décembre 1820, ils auront définitivement gain de cause, quand le comte de Villèle va devenir chef du gouvernement, en décembre 1821.

« Il y a quelqu’un qui a plus d’esprit que Voltaire, c’est tout le monde. »1985

TALLEYRAND (1754-1838), défendant la liberté de la presse contre la censure, 24 juin 1821. Le Roi Voltaire (1860), Arsène Houssaye

Étonnante référence, mais vue (toujours) prémonitoire pour l’irrésistible ascension de la liberté d’expression ! On retrouve le vieux diplomate ayant perdu presque tout pouvoir politique après 1815, membre de la Chambre des pairs, dans le camp de l’opposition libérale au régime qui l’est de moins en moins.

La liberté est bien malade et la presse aussi, avec les ultras au pouvoir : les lois de Serre ont été suspendues dès mars 1820, l’autorisation préalable sera rétablie en 1822, le jugement des délits de presse rendu au juge correctionnel (plus sévère que le jury populaire). Beaucoup de journaux vont disparaître.

« Que voulez-vous ? Il a conspiré contre Louis XVI, il a conspiré contre moi, il conspirera contre lui-même. »1986

LOUIS XVIII (1755-1824), parlant de son frère au duc de Richelieu, 12 décembre 1821. Histoire de la Restauration, 1814-1830 (1882), Ernest Daudet

L’humour royal est une vertu rare et Louis XVIII est un exemple à citer. Richelieu, chef du gouvernement, est menacé par les ultras. Il rappelle au comte d’Artois sa promesse d’aider Louis XVIII qui soutient cette politique gouvernementale. Le comte refuse et Richelieu fait part de sa déconvenue à Louis XVIII qui lui fait cette réplique. Les avis sont unanimes, contre le roi à venir…

« Aux époques ordinaires, roi convenable ; à une époque extraordinaire, homme de perdition. »1910

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

Chateaubriand juge Charles X lors de son accession au trône à la mort de Louis XVIII : « Incapable de suivre jusqu’au bout une bonne ou une mauvaise résolution ; pétri avec les préjugés de son siècle et de son rang. » Mais à côté de cela : « doux, quoique sujet à la colère, bon et tendre avec ses familiers, aimable, léger, sans fiel, ayant tout du chevalier, la dévotion, la noblesse, l’élégante courtoisie, mais entremêlé de faiblesse… » Bref, pas né pour être roi en 1824. On ne peut s’empêcher de penser à la situation de son frère aîné, Louis XVI, accédant au trône en 1774, si mal armé, si faible, dans une situation prérévolutionnaire.

Déçu par la politique, l’auteur des Mémoires avouera : « J’ai vu de près les rois, et mes illusions politiques se sont évanouies. »

« Je suis venu ici pour recevoir des hommages, non des leçons ! »2005

CHARLES X (1757-1836), passant en revue la garde nationale, 25 avril 1827. Mémoires d’outre-tombe (posthume), François René de Chateaubriand

Certes ovationné, le roi perçoit aussi quelques huées : « Vive la Charte ! À bas les ministres ! À bas les Jésuites ! » D’où sa réplique royale et indignée. Villèle a été vivement hué de son côté. Il ne supporte plus toutes ces attaques et propose au Conseil des ministres de licencier les gardes nationaux.

Charles X suit son ministre et par ordonnance, la garde est dissoute : mesure très mal accueillie à Paris et l’impopularité du roi grandit dans le pays. Étudiants et petits-bourgeois manifestent dans les rues, les obsèques des chefs de l’opposition libérale étant de bonnes occasions. Ce rituel d’opposition né sous la Restauration sera repris par les républicains contre la Monarchie de Juillet, puis contre le Second Empire.

« Vous êtes un méchant, un infidèle, un traître ! »2006

HUSSEIN DEY d’Alger (vers 1765-1838), 30 avril 1827. La Restauration et la Monarchie de Juillet (1929), Jean Lucas-Dubreton

Joignant le geste à la parole, il frappe trois fois de son chasse-mouches Pierre Deval, le consul de France dont le gouvernement refuse de payer des fournitures de blés datant du Consulat et de l’Empire. Le Dey refuse de présenter des excuses. Ce fait divers va déboucher sur la guerre : l’incident venant aggraver des relations déjà tendues avec l’Algérie sert de prétexte à l’intervention de la France. Deux siècles plus tard, « le passé ne passe pas » et la « question algérienne » est encore d’actualité.

« C’est la leçon d’un père qui laisse toujours percer sa sollicitude à travers sa sévérité ou pour mieux dire sa prévoyance. »2007

Le Moniteur, 24 juin 1827. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Ce journal toujours très officiel parle avec condescendance du rétablissement de la censure par ordonnance !

« Vous étiez devenu trop impopulaire !
— Monseigneur, Dieu veuille que ce soit moi ! »2010

Comte de VILLÈLE (1773-1854), au Dauphin, le duc d’ANGOULÊME (1775-1844), 3 janvier 1828. Histoire de France depuis 1789 jusqu’à nos jours (1878), Henri Martin

Villèle, depuis deux mois, a vainement tenté de former un gouvernement qui concilie ses idées et les opinions de la nouvelle Chambre. Il démissionne donc, devient pair de France et cède la place à un libéral modéré, Martignac.

« Un roi qu’on menace n’a de choix qu’entre le trône et l’échafaud !
— Sire, Votre Majesté oublie la chaise de poste ! »2013

TALLEYRAND (1754-1838), à CHARLES X (1757-1836). Souvenirs intimes sur M. de Talleyrand (1870), Amédée Pichot

Façon de rassurer le roi avec humour, lui rappelant au passage qu’il fut le premier émigré célèbre de la Révolution, au lendemain de la prise de la Bastille.

« La dernière raison des rois, le boulet. La dernière raison des peuples, le pavé. »2028

Victor HUGO (1802-1885), Littérature et philosophie mêlées (1834)

L’histoire de France est ponctuée de « journées des Barricades » – murailles vite improvisées, faites de pavés, de galets, de poutres, construites par le peuple pour barrer la route aux troupes organisées, chargées du maintien de l’ordre. La première Journée remonte à la Sainte Ligue (catholique) qui tenait Paris en 1588. En 1649, c’est la Fronde où l’on a beaucoup joué avec les pavés. La Révolution de 1830 dépave les rues de Paris, durant ses Trois Glorieuses (journées). Après l’insurrection républicaine de 1832, les pavés reprendront du service avec la Révolution de 1848. Vient ensuite la Commune de Paris en 1871, la plus sanglante guerre des pavés – Hugo sera encore témoin. Au XXe siècle, Paris vivra deux séries de journées où les rues se hérissent de barricades et de pavés qui font également projectiles : Libération en 1940, mai 1968. Entre les deux, c’est la « semaine des Barricades », en janvier 1960 à Alger. Le pavé servira de moins en moins, les rues étant recouvertes de macadam.

« Mettez en note que le 29 juillet 1830, à midi cinq minutes, la branche aînée des Bourbons a cessé de régner sur la France ! »2029

TALLEYRAND (1754-1838). L’Esprit de M. de Talleyrand : anecdotes et bons mots (1909), Louis Thomas

Travaillant à ses Mémoires, il entend les troupes de Marmont qui refluent sous ses fenêtres, rue de Rivoli – le Louvre est pris par les insurgés, les soldats se débandent. Le vieux pair de France, qui a vécu tous les tournants de l’histoire depuis la Révolution et survécu à tant d’épreuves, s’interrompt et dicte cette note à son secrétaire.

Ce même jour, les députés font cause commune avec le peuple : « Troisième Glorieuse » de cette brève Révolution.

MONARCHIE DE JUILLET

« Sa situation est incomparable, il est du sang des Bourbons et il en est couvert. »2057

Mme de RÉMUSAT (1780-1821). La Nouvelle Revue des deux mondes (1958)

Fils de Louis-Philippe Joseph, duc d’Orléans, dit Philippe Égalité, député à la Convention qui vota la mort du roi son cousin, puis fut arrêté par les Montagnards et guillotiné en 1793, Louis-Philippe fut comme son père partisan, très jeune, des idées révolutionnaires : membre du club des Jacobins à 17 ans, engagé dans la garde nationale, soldat des armées de la République à Valmy et Jemmapes. Haï par les royalistes après le vote régicide de son père, proscrit par les révolutionnaires, il vit une situation inconfortable en exil, avant de pouvoir se réconcilier avec Louis XVIII et rentrer en France. À partir de là, il « chemine » lentement et sûrement vers le trône convoité.

« Gros, gras et bête, / En quatre mots c’est son portrait :
Toisez-le des pieds à la tête, / Aux yeux de tous, il apparaît / Gros, gras et bête.
En pelle s’élargit sa main, / En poire s’allonge sa tête,
En tonneau croit son abdomen, / Gros, gras et bête. »2058

Agénor ALTAROCHE (1811-1884), Gros, gras et bête, chanson. Les Républicaines : chansons populaires des révolutions de 1789, 1792 et 1830 (1848), Pagnerre

Poète et député, journaliste engagé de cette nouvelle presse républicaine, au lendemain de la révolution de 1830. On chansonne vite le roi sexagénaire dont le physique est déjà une caricature en soi – à l’époque où la caricature est reine. La main « en pelle » fait allusion à la rapacité du personnage : rentré en possession, grâce à Louis XVIII, de l’immense fortune de la branche d’Orléans, plus riche que les Bourbons, principal bénéficiaire de la loi sur le milliard des émigrés (1825), il gère son patrimoine en bon père de nombreuse famille – huit enfants pour qui il quémandera encore des dotations.

« C’était vraiment bien la peine de nous faire tuer. »2061

Honoré DAUMIER (1808-1879), lithographie publiée dans La Caricature (1835)

Au centre du dessin, trois morts sortent d’une tombe pour dire ces mots. À droite, une croix porte l’inscription « Morts pour la liberté ». À gauche, une colonne affiche la date des « 27-28-29 juillet 1830 » (évoquant le Génie de la Bastille, monument dédié aux victimes de cette révolution). Au lointain, on devine une charge furieuse contre des manifestants.

La Révolution de 1830 sera l’une des guerres civiles les plus brèves et les moins sanglantes : 1 800 morts chez les insurgés, environ 200 dans la troupe. Mais la république a bel et bien été escamotée sous le nez des républicains, les cocus de l’histoire qui se rappellent la leçon et ne rateront pas leur prochaine révolution, en 1848.

« Nous cherchons à nous tenir dans un juste milieu également éloigné des excès du pouvoir populaire et des abus du pouvoir royal. »2065

LOUIS-PHILIPPE (1773-1850), Discours du trône, 31 janvier 1831. Le Moniteur officiel, 31 janvier 1831

Ce discours ou du moins cette phrase vaut référence, citée en français dans nombre d’histoires et de dictionnaires.

Le « Roi des barricades » doit gouverner au plus près et le régime (libéral) reste fragile jusqu’en 1835 : menacé sur sa gauche par les républicains frustrés de leur république après une révolution pour rien et sur sa droite par les légitimistes, frappés de stupeur devant la chute si rapide de la branche Bourbon et l’escamotage du pouvoir par la branche Orléans. Dans ces conditions, le juste milieu s’impose. Il deviendra le Tiers Parti.

« Profession ? — Émeutier ! »2073

Victor CONSIDÉRANT (1808-1893), 4 janvier 1832. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Réponse aux policiers qui l’ont arrêté, au milieu d’extrémistes tentant de mettre le feu aux tours de Notre-Dame. Émeutier, certes, mais aussi polytechnicien et adepte de Charles Fourier (socialiste utopique, militant et visionnaire avec Le Phalanstère et Le Nouveau monde industriel et sociétaire), il deviendra économiste et théoricien du socialisme, puis député en 1848, avant d’être exilé à la Réunion… et d’y créer une colonie agricole socialiste.

1832 est l’année de tous les dangers pour le pouvoir : conspirations et insurrections montées d’un côté par les royalistes légitimistes qui défendent la duchesse de Berry et les droits au trône de son fils « Henri V », de l’autre par les révolutionnaires les plus ardents auxquels sont mêlés des bonapartistes.  Le renchérissement du blé et donc du pain, le chômage et la baisse des salaires, enfin l’épidémie de choléra dans les quartiers les plus pauvres de Paris, rendent la situation sociale explosive dans la capitale.

« Ils ont voulu voir de plus près la misère du peuple. »2074

Journaux d’opposition, début avril 1832. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Ils sont nombreux et virulents pour critiquer le duc d’Orléans, fils aîné de Louis-Philippe, et Casimir Périer, président du Conseil, allant visiter dans les hôpitaux les victimes du choléra, aux premiers jours d’avril 1832. Les quartiers populaires, surpeuplés, sont les plus touchés. Cette inégalité devant la mort accroît encore le malaise social. L’opposition accuse même le gouvernement d’être responsable du choléra qui, prétend-on, épargne les riches et les bourgeois. Rumeur ou fake-news comme il en a toujours existé dans l’Histoire.

Casimir Périer meurt le 16 mai, un parmi les quelque 20 000 victimes de l’épidémie à Paris.

« Fichtre ! fit Gavroche. Voilà qu’on me tue mes morts. »2076

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

Mot d’un populaire gamin de Paris, ainsi mis en situation : « Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d’une borne, une balle frappa le cadavre. »

Hugo immortalise dans ce roman la première grande insurrection républicaine sous la Monarchie de Juillet, 5 et 6 juin 1832. Une manifestation aux funérailles du général Lamarque (député de l’opposition) se termine en émeute, quand la garde nationale massacre les insurgés, retranchés rue du Cloître-Saint-Merri : barricades et pavés font à nouveau l’histoire et la une des journaux de l’époque.

« Ma tombe et mon berceau seront bien rapprochés l’un de l’autre ! Ma naissance et ma mort, voilà donc toute mon histoire. »2078

Duc de REICHSTADT (1811-1832), mourant à 21 ans de tuberculose, 22 juillet 1832. Les Errants de la gloire, princesse Lucien Murat (comtesse Marie de Rohan-Chabot)

L’Aiglon (héros de théâtre pour Rostand), fils de l’Aigle (Napoléon), ex-roi de Rome, promu Napoléon II (quelques jours, après les deux abdications en 1814 et 1815) n’aura pas le destin rêvé par son père, ni même aucun rôle politique. Son grand-père maternel, François Ier d’Autriche, y veille, occultant le souvenir de l’empereur et le faisant duc de Reichstadt (petite ville de Bohême), tout en aimant tendrement l’adolescent fragile. Louis-Napoléon Bonaparte se considère désormais comme le chef du parti bonapartiste, en tant que neveu de Napoléon Ier.

« Tous deux sont morts. Seigneur, votre droite est terrible. »2079

Victor HUGO (1802-1885), Poème d’août 1832 (Napoléon II, Les Chants du crépuscule)

Rappelons que Napoléon, le père de l’Aiglon, est mort à 51 ans, le 5 mai 1821, après cinq ans de captivité à Sainte-Hélène. La légende napoléonienne doit beaucoup au génie d’Hugo et à la comparaison inévitable avec le prochain maître de la France, Napoléon III le Petit (titre du pamphlet signé Hugo).

« Le cri du pauvre monte jusqu’à Dieu, mais il n’arrive pas à l’oreille de l’homme. »2048

Félicité Robert de LAMENNAIS (1782-1854), Paroles d’un croyant (1834)

Créateur du catholicisme social, soucieux d’appliquer un idéal de justice et de charité conforme à l’enseignement de l’Évangile, Lamennais profite de la nouvelle liberté de la presse en 1830 et lance le journal L’Avenir avec ses amis Lacordaire et Montalembert. En exergue : « Dieu et la liberté ». Il est condamné par l’Encyclique Mirari vos (1832). Pour le pape, souverainetés du peuple et de Dieu sont incompatibles.

« C’est la Marseillaise du christianisme et l’auteur est un prêtre en bonnet rouge » dit-on alors. C’est surtout un courant d’opinion très représentatif de cette fermentation des idées, face à la misère du peuple qui s’aggrave et contraste avec l’enrichissement de la bourgeoisie.

« La grande passion de ces temps-ci, c’est […] la passion de l’avenir, c’est la passion du perfectionnement social […] Eh bien : l’instrument de cette passion actuelle du monde moral, c’est la presse, c’est l’outil de la civilisation. »2088

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), Chambre des députés, 21 août 1835. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1898), Assemblée nationale

Le poète entre en politique : battu en 1831, élu député en 1833. Il refuse de se lier à un parti et prétend siéger « au plafond ». Il va se révéler l’un des meilleurs orateurs politiques, en un temps où les hommes politiques ont le don d’éloquence. Ce discours en faveur de la liberté de la presse, entre bien d’autres, reste célèbre.

« Le bourgeois de Paris est un roi qui a, chaque matin à son lever, un complaisant, un flatteur qui lui conte vingt histoires. Il n’est point obligé de lui offrir à déjeuner, il le fait taire quand il veut et lui rend la parole à son gré ; cet ami docile lui plaît d’autant plus qu’il est le miroir de son âme et lui dit tous les jours son opinion en termes un peu meilleurs qu’il ne l’eût exprimée lui-même ; ôtez-lui cet ami, il lui semblera que le monde s’arrête ; cet ami, ce miroir, cet oracle, ce parasite peu dispendieux, c’est son journal. »2097

Alfred de VIGNY (1797-1863), Journal d’un poète (1839)

Encore un déçu de la politique et de ses contemporains. Le désenchantement semble inhérent au romantisme. Celui de Vigny est sincère plus que tout autre. Il date de la Restauration - la vie de garnison lassa vite le jeune militaire élevé dans le culte des armes et de l’honneur - et s’aggrave lors de la révolution de 1830 qui amène au pouvoir un bourgeois si peu roi, aux yeux de la vieille aristocratie dont Vigny est le délicat et sensible rejeton.

« La France est une nation qui s’ennuie. »2098

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), Discours à la Chambre, 10 janvier 1839. Dictionnaire de français Larousse, au mot « ennui »

Lamartine, député qui passera du « juste milieu » gouvernemental à la gauche (en 1843), s’adresse ici au roi et trouve une raison au mal de la France : « Vous avez laissé le pays manquer d’action. » L’ennui est le mal du siècle et surtout celui de la génération romantique qui vibre au souvenir exalté de la Révolution et de l’Empire, rejetant cette monarchie bourgeoise, soutenue par une classe moyenne auto-satisfaite et viscéralement conservatrice.

Dans un discours à Mâcon, participant à la campagne (électorale) des banquets, le 18 juillet 1847, Lamartine sera fier de pouvoir dire que cette phrase a fait le tour du monde. Sautant plus d’un siècle, on la retrouve dans Le Monde sous la signature de Viansson-Ponté, deux mois avant les événements de Mai 68.

« Pour chaque indigent qui pâlit de faim, il y a un riche qui pâlit de peur. »2101

Louis BLANC (1811-1882), Organisation du travail (1839)

Cet ouvrage fait connaître le jeune journaliste : il expose un programme de réformes socialistes qu’il ne va plus cesser de défendre jusque sous la Troisième République où il se retrouve député d’extrême gauche.

« La propriété, c’est le vol. »2102

Pierre Joseph PROUDHON (1809-1865), Qu’est-ce que la propriété ? (1840)

Cette formule retentissante schématise la pensée de l’auteur qui en est cependant très fier : « Cette proposition fera le tour du monde et causera plus d’émoi que la cocarde de La Fayette. »

L’homme est attachant : « Je sais ce que c’est que la misère. J’y ai vécu. Tout ce que je sais, je le dois au désespoir. » Fils d’une cuisinière et d’un tonnelier, c’est le seul théoricien révolutionnaire issu d’un milieu populaire au XIXe siècle. Il critique le communisme de Marx (grand bourgeois) dans La Philosophie de la misère (1846).  Marx lui répond dans La Misère de la philosophie (1847), le traitant, insulte suprême, de « petit-bourgeois constamment ballotté entre le Travail et le Capital, entre l’économie politique et le communisme ».

« Si l’on veut abolir la peine de mort, en ce cas que MM. les assassins commencent : qu’ils ne tuent pas, on ne les tuera pas. »2103

Alphonse KARR (1808-1890), Les Guêpes (1840)

Romancier, journaliste, directeur du Figaro (né hebdomadaire satirique), il crée en 1839 la revue mensuelle Les Guêpes dont les pamphlets visent le monde des arts, des lettres et de la politique, jusqu’en 1849. La presse ne souffre finalement pas trop des lois répressives. Quant à la peine de mort, c’est une longue histoire qui commence au Moyen Âge. L’égalité devant la mort est acquise sous la Révolution avec la guillotine, jusqu’à l’abolition en 1981 avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, malgré une opinion publique partagée sur la question.

« Ou la conquête, ou l’abandon. »2104

Thomas Robert BUGEAUD (1784-1849), Chambre des députés, 15 février 1840. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

La politique algérienne de la France est trop hésitante, aux yeux du futur maréchal. Le traité signé en 1837 entre Bugeaud et l’émir Abd el-Kader a été violé. L’émir a proclamé la guerre sainte contre les Français qui occupent l’Algérie depuis 1830 et le militaire met les politiques face à leurs responsabilités.

Bugeaud considère pourtant l’Algérie comme « le plus funeste des présents que la Restauration ait fait à la Révolution de juillet », prônant l’occupation restreinte de quelques bases stratégiques pour empêcher les raids barbaresques. Victor Hugo, le 15 janvier 1840, balaie ses réticences, entraînant la France sur la voie de la colonisation par l’émigration civile massive : « Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c’est à nous d’illuminer le monde. Notre mission s’accomplit. Vous pensez autrement que moi, c’est tout simple. Vous parlez en soldat, en homme d’action. Moi je parle en philosophe et en penseur. » Impossible de juger sans commettre le péché d’anachronisme, trop fréquent en matière historique.

« [La colonisation ne se fait pas] dans des pots de fleurs sur les terrasses d’Alger. »2111

Thomas Robert BUGEAUD (1784-1849). Lettres inédites du Maréchal Bugeaud, duc d’Isly, 1808-1849 (posthume, 1922)

Le militaire au franc-parler déplore le manque de moyens que lui donne la France. Nommé gouverneur de l’Algérie le 29 décembre 1840, il demandera au roi : « Cent mille hommes et cent millions pendant sept ans ! » Mais les députés sont bien loin de la réalité des opérations sur le terrain, en 1842. Le ministère Soult-Guizot a des problèmes plus hexagonaux – politiques, économiques et sociaux – et d’autres colonies sont à l’ordre du jour : occupation de l’archipel des Marquises, protectorat à Tahiti, fondations de comptoirs en Côte d’Ivoire.

Bugeaud avait pour devise « Ense et aratro. » « Par l’épée et par la charrue. » Autrement dit, on sert son pays en temps de guerre par les armes, en temps de paix par les travaux de l’agriculture. C’est le premier des officiers coloniaux à mener de front opérations de sécurité et travaux de colonisation : défrichements, routes, concessions de terre pour attirer de nouveaux colons, etc. Dix ans après la prise d’Alger, Bugeaud fait la conquête de l’Algérie et y gagne son bâton de maréchal, en 1843. Il démissionnera de son poste de gouverneur en 1847.

« Je ne me prosterne pas devant cette mémoire ; je ne suis pas de cette religion napoléonienne, de ce culte de la force que l’on veut substituer dans l’esprit de la nation à la religion sérieuse de la liberté. »2105

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), à l’occasion du retour des cendres de Napoléon, Discours à la Chambre, 26 mai 1840. La France parlementaire (1834-1851) : œuvres oratoires et écrits politiques, Alphonse de Lamartine, Louis Ulbach

Les cendres de Napoléon seront rapportées de Sainte-Hélène par le prince de Joinville (fils de Louis-Philippe) sur la Belle-Poule et transférées aux Invalides le 15 décembre 1840. Thiers, revenu à la tête du gouvernement le 1er mars 1840 et à défaut de programme, flatte la vanité nationale répandue dans le peuple comme dans la bourgeoisie. Lamartine député y est hostile, prophétisant le Second Empire – poète et politicien, il a souvent une étrange prescience de l’avenir.

« Ne me parlez pas des poètes qui parlent de politique ! »2113

LOUIS-PHILIPPE (1773-1850). Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Le roi est d’autant plus irrité par l’opposition de Lamartine qu’il semble, avec l’âge, prendre goût au pouvoir et vouloir non plus seulement régner, mais gouverner.

« Enrichissez-vous. »2114

François GUIZOT (1787-1874), Chambre des députés, 1er mars 1843. Histoire parlementaire de France : recueil complet des discours prononcés dans les Chambres de 1819 à 1848 (1864), François Guizot

Ministre des Affaires étrangères et pratiquement chef du gouvernement, son mot est souvent cité pour condamner ses conceptions politiques et résumer l’esprit égoïstement bourgeois de la Monarchie de Juillet. Exemple type de désinformation par utilisation d’une citation tronquée !

Rappelons le contexte. Guizot répond aux attaques de l’opposition : « Fondez votre gouvernement, affermissez vos institutions, éclairez-vous, enrichissez-vous, améliorez la condition morale et matérielle de notre France. » Il reprend le mot lors d’un banquet, la même année : « Enrichissez-vous par le travail, par l’épargne et la probité, et vous deviendrez électeurs. » (Le droit de vote était conditionné par un seuil d’imposition, le cens.) Le roi approuve les idées de son ministre : « C’est ma bouche », dit-il.

« J’appelle bourgeois quiconque pense bassement. »2053

Gustave FLAUBERT (1821-1880), Correspondance (1842)

Définir la bourgeoisie pour la critiquer est un exercice bien tentant pour les écrivains témoins de leur temps. Cette définition de la nouvelle classe régnante sous la monarchie de ce roi bourgeois est signée d’un fils de grand bourgeois (père médecin-chef de l’Hôtel-Dieu de Rouen), passionné de littérature et particulièrement inspiré par la sottise bourgeoise qui s’affiche, insolente.

« La sincère amitié qui m’unit à la reine de la Grande-Bretagne et la cordiale entente qui existe entre mon gouvernement et le sien me confirment dans cette confiance. »2115

LOUIS-PHILIPPE (1773-1850), Discours du trône, 27 décembre 1843. Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps (1858-1867), François Guizot

Les mots de « cordiale entente » font leur entrée dans l’histoire des relations franco-anglaises. Qui l’eut pensé, il y a quelques siècles ou même quelques décennies ? Mais le Roi des barricades doit se faire accepter des cours européennes, l’Angleterre est la grande puissance mondiale du siècle et l’alliance avec elle est indispensable.

2 septembre 1843, la reine Victoria a visité Paris. Louis-Philippe lui rendra la politesse à Londres en octobre 1844, et replacera la formule : « La France ne demande rien à l’Angleterre. L’Angleterre ne demande rien à la France. Nous ne voulons que l’Entente cordiale. »

« Naturellement, et par une de ces lois providentielles où le droit et le fait se confondent, le droit de suffrage n’appartient pas aux femmes. La Providence a voué les femmes à l’existence domestique. »2124

François GUIZOT (1787-1874), La Démocratie pacifique, 10 janvier 1847. Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement (1998), Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière

Ce mot fera le bonheur des histoires du féminisme et des dictionnaires de la misogynie. Le replacer dans son contexte n’y change rien - à l’inverse du fameux « Enrichissez-vous ! » Il faut seulement le resituer dans son époque et rappeler à quel point le XIXe siècle est dur au sexe faible, avec son Code civil, sa mode du corset qui coupe le souffle aux femmes du monde (d’où les évanouissements pas toujours feints !) et le travail aux champs comme à l’usine, qui épuise les femmes du peuple (et les enfants).

La Deuxième République ne sera pas plus favorable aux femmes et le socialiste Proudhon ne se montre pas plus indulgent que Guizot, ministre de la droite chrétienne, conservatrice et réactionnaire, sous la Monarchie de Juillet.

« Louis-Philippe tend la main droite et montre le poing gauche. »2129

Victor HUGO (1802-1885), Choses vues, 1847-1848 (posthume)

Le roi comprend enfin la gravité de la situation, le 23 février 1848. Le matin, c’est l’assaut d’une barricade, rue Quincampoix : 16 soldats tués. Le sang versé l’atterre, autant que l’effraie la garde nationale sympathisant avec les émeutiers. Louis-Philippe renvoie Guizot, appelle Molé au gouvernement. Paris illumine, la rue semble se calmer. Le roi se rassure : « Les Parisiens ne font jamais de révolution en hiver. » Mais les républicains ne veulent pas laisser passer cette occasion. Malgré la pluie glacée, le soir, un groupe de manifestants va huer Guizot sous ses fenêtres, boulevard des Capucines, devant le ministère des Affaires étrangères. La troupe se croit menacée, un coup de feu part, les forces de l’ordre ripostent : la fusillade des Capucines laisse plus de 50 cadavres sur le pavé, promenés en charrette dans la nuit à la lueur des torches, sur fond de tocsin.

Le roi se résigne à appeler l’homme de la dernière chance à la tête du gouvernement, Thiers qu’il n’aime guère, « Mirabeau-mouche », « singe à portefeuilles ». C’est la main droite tendue. En même temps, il met le maréchal Bugeaud à la tête de l’armée : le pacificateur de l’Algérie va pacifier Paris, pense-t-il. C’est le poing gauche.

« La populace ne peut faire que des émeutes. Pour faire une révolution, il faut le peuple. »2133

Victor HUGO (1802-1885), Tas de pierres (posthume)

Grand témoin des événements, il observe le corps social malade : « Je continue de tâter le pouls à la situation. » Il oppose, comme dans ses œuvres de fiction, le bien et le mal, le peuple glorieux et la populace méprisable.

« Fils de Saint Louis, montez en fiacre. »2134

Mot célèbre et anonyme. Dictionnaire des citations françaises et étrangères, Larousse

Devant le château des Tuileries, le roi s’apprête à monter en voiture. Un homme du peuple lui aurait ouvert la porte et lancé ce mot par dérision. Paraphrase du « Fils de Saint Louis, montez au ciel », derniers mots de l’abbé Edgeworth de Firmont, confesseur de Louis XVI, au roi montant sur l’échafaud en 1793. Louis-Philippe ne part que pour l’exil, en Angleterre où il mourra deux ans plus tard.

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« L’enthousiasme fanatique et double de la République que je fonde et de l’ordre que je sauve. »2145

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), chef du gouvernement provisoire, 24 février 1848. XIXe siècle : les grands auteurs français du programme (1968), André Lagarde et Laurent Michard

Entré en politique avec la révolution de 1830, l’auteur doit continuer d’écrire pour des raisons financières – et c’est une œuvre d’historien qui le mobilise (son Histoire des Girondins). Mais la République va le mobiliser à plein temps et plein cœur, pendant deux ans.

Depuis son discours du 27 janvier 1843, qui le mit à la tête de l’opposition de gauche à la Monarchie de Juillet, Lamartine jouit d’une immense popularité. Il a conduit le peuple à la révolution rendue inévitable par l’aveuglement des conservateurs, et le voilà porté au pouvoir en février 1848, par une sorte d’unanimité dont la fragilité et surtout l’ambiguïté vont éclater dans les semaines qui viennent.

« Le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ! »2146

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), chef du gouvernement provisoire, derniers mots de son discours du 25 février 1848. Les Orateurs politiques de la France, de 1830 à nos jours (1898), Maurice Pellisson

Son lyrisme fait merveille, aux grandes heures du siècle romantique. La veille, 24 février, il a accepté la proclamation de la République comme un fait accompli. Mais ce jour, il refuse l’adoption officielle du drapeau rouge et, seul des onze membres du gouvernement provisoire, il a le courage d’aller vers la foule en armes qui cerne l’Hôtel de Ville. Lui seul aussi est capable d’apaiser les insurgés du jour, et de rallier le lendemain les modérés à la République.

« On se redit, pendant un mois, la phrase de Lamartine sur le drapeau rouge, « qui n’avait fait que le tour du Champ de Mars tandis que le drapeau tricolore », etc. ; et tous se rangèrent sous son ombre, chaque parti ne voyant des trois couleurs que la sienne – et se promettant bien, dès qu’il serait le plus fort, d’arracher les deux autres. »2147

Gustave FLAUBERT (1821-1880), L’Éducation sentimentale (1869)

Le romancier voit juste, aidé par le recul du temps : la confusion et l’enthousiasme des premiers jours masquent toutes les incompatibilités d’opinion.

« Les quatre mois qui suivirent février furent un moment étrange et terrible. La France stupéfaite, déconcertée, en apparence joyeuse et terrifiée en secret, […] en était à ne pas distinguer le faux du vrai, le bien du mal, le juste de l’injuste, le sexe du sexe, le jour de la nuit, entre cette femme qui s’appelait Lamartine et cet homme qui s’appelait George Sand. »2154

Victor HUGO (1802-1885), Choses vues (posthume). L’Écrivain engagé et ses ambivalences : de Chateaubriand à Malraux (2003), Herbert R. Lottman

Le plus grand témoin à la barre de l’histoire de son temps note toutes ses impressions, dans son Journal. Son œuvre est une mine de citations, et les plus belles appartiennent aux grandes époques de trouble qui déchirèrent la France. En prime, l’humour est présent, et l’antithèse hugolienne fort juste.

« Le gouvernement est composé d’hommes excellents pour la plupart, tous un peu incomplets et insuffisants à une tâche qui demanderait le génie de Napoléon et le cœur de Jésus. »2155

George SAND (1804-1876), Lettre au poète ouvrier Charles Poncy, mars 1848. L’Écrivain engagé et ses ambivalences : de Chateaubriand à Malraux (2003), Herbert R. Lottman

Les « hommes excellents », Lamartine en tête, sont des républicains radicaux et surtout modérés, députés de l’opposition sous la Monarchie de Juillet – Ledru-Rollin, Marie, Dupont de l’Eure, Garnier-Pagès, Arago le savant – ou des journalistes de gauche – Marrast, rédacteur du National, Flocon de La Réforme – et quelques socialistes imposés par les forces révolutionnaires – Louis Blanc, Albert, un mécanicien. Pour eux, le plus dur est à venir, mais après une première série de décrets les premiers jours, ce gouvernement a déjà dû se rendre impopulaire en augmentant les impôts de 45 %, d’où le mécontentement des paysans. D’ailleurs, toute la province se méfie à présent des décisions venues de Paris. Les circulaires du radical Ledru-Rollin passent mal à Bordeaux, Besançon, Beauvais, Troyes. Il faut la caution de Lamartine pour rassurer les modérés qu’effraient aussi les premières manifestations de rues dans la capitale – le 17 mars, pour retarder la date des élections, reportées au 23 avril.

« Désormais, le bulletin de vote doit remplacer le fusil. »2156

M. L. BOSREDON (XIXe siècle), légende de L’Urne et le fusil, gravure illustrant le rétablissement du suffrage universel (masculin) par décret du 5 mars 1848. Histoire de la France (1989), André Burguière, Jacques Revel

La France, comme en 1792, est le premier État du monde à s’engager dans cette voie. D’autres pays européens vont l’imiter, mais l’échec des révolutions de 1848 en reportera l’application à plus tard. En attendant, on passe de 250 000 électeurs (suffrage censitaire) à plus de 9 millions.

« Les barricades sont contagieuses, c’est la tentation, la passion héréditaire de la population parisienne. »2168

LEDRU-ROLLIN (1807-1874). Les Révoltes de Paris : 1358-1968 (1998), Claude Dufresne

Avocat de journalistes condamnés après les insurrections républicaines sous la Monarchie de Juillet, député d’extrême gauche, ministre de l’Intérieur dans le gouvernement provisoire de février-mars 1848, il se retrouve dans la nouvelle Commission exécutive (gouvernement très provisoire) de la Deuxième République – déjà ébranlée, faute de pouvoir satisfaire tous les espoirs mis en elle par le peuple !

Le 15 mai, une manifestation dégénère en coup de force et tourne au coup d’État : 50 000 personnes envahissent l’Assemblée. Les meneurs républicains sont arrêtés et emprisonnés. Lamartine tente de rétablir le calme par son éloquence. Mais la France modérée s’effraie. Le pouvoir doit faire face aux nouvelles journées du 23 au 26 juin 1848, suite à la fermeture des Ateliers nationaux le 21 juin : bourgeois et rentiers s’exaspéraient de devoir financer ces « râteliers nationaux », où l’on pave, dépave et repave les rues pour rien. 110 000 travailleurs se retrouvent jetés sur le pavé de Paris. Les barricades commencent à l’est de la capitale, dans les quartiers populaires.

« La République a de la chance, elle peut tirer sur le peuple ! »2171

LOUIS-PHILIPPE (1773-1850), exilé en Angleterre, apprenant que Cavaignac a fait tirer sur les émeutiers, le 25 juin 1848. Louis-Philippe, roi des Français (1990), Georges Bordonove

Le dernier roi de France, comme Louis XVI, eut la hantise de faire couler le sang des Français et refusa le plan de Thiers (en 1871, il débouchera sur le massacre, pendant la Commune de Paris).

Le général Cavaignac a pour mission de stopper cette guerre sociale. Des gardes nationaux de province se joignent à la troupe et aux gardes mobiles. Ses hommes prennent position dans les quartiers calmes et il laisse la révolte s’étendre, pour mieux la réprimer le lendemain, 25 juin, piégeant quelque 40 000 ouvriers au cœur de la capitale.

La lutte est meurtrière. L’archevêque de Paris venu s’interposer sur une barricade du faubourg Saint-Antoine, un crucifix entre les mains, est tué d’une balle perdue. Le général Bréa veut parlementer avec les émeutiers pour leur éviter le pire : il est massacré avec son aide de camp. La fusillade est continue, la résistance désespérée.

« Le bonnet de coton ne se montra pas moins hideux que le bonnet rouge. »2173

Gustave FLAUBERT (1821-1880), L’Éducation sentimentale (1869)

Les représailles ont suivi les combats. Bilan humain des journées de juin : plus de 4 000 morts chez les insurgés, 1 600 parmi les forces de l’ordre (armée et garde nationale). Et 3 000 prisonniers ou déportés en Algérie.

Bilan politique : la rupture est consommée entre la gauche populaire, prolétaire et socialiste (à Paris surtout, mais très minoritaire dans le pays) et la droite conservatrice à laquelle vont peu à peu se joindre les républicains modérés, pour former le parti de l’Ordre. Flaubert rejette ici dos à dos le bourgeois et le peuple.

« J’ai honte aujourd’hui d’être Française, moi qui naguère en étais si heureuse […] Je ne crois plus à l’existence d’une république qui commence par tuer ses prolétaires. »2174

George SAND (1804-1876), Lettre à Charlotte Marliani, juillet 1848. Les Écrivains devant la Révolution de 1848 (1948), Jean Pommier

Elle écrit ces mots à sa confidente et amie, montrant à quel point son cœur est du côté des émeutiers. La « bonne dame de Nohant » n’aura pas la même inconditionnalité pour la Commune de Paris en 1871.

« Toute ma vie sera consacrée à l’affermissement de la République. »2179

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Discours du 21 septembre 1848. Napoléon le Petit (1852), Victor Hugo

Le futur Napoléon III fait un pas de plus dans l’histoire : réélu en septembre dans cinq départements, il choisit l’Yonne, décide de se présenter à la présidence et commence à faire campagne pour les 10 et 11 décembre.

« Laissez le neveu de l’empereur s’approcher du soleil de notre République ; je suis sûr qu’il disparaîtra dans ses rayons. »2181

Louis BLANC (1811-1882). Histoire parlementaire de l’Assemblée nationale, volume II (1848), F. Wouters, A.J.C. Gendeblen

Un bon historien peut faire gravement erreur sur son temps. C’est la République qui va disparaître devant l’Empire restauré. Il est vrai que les premiers témoins n’ont pas cru dans le destin du nouvel homme qui particulièrement falot… Louis Blanc faisait ici allusion à une déclaration du candidat empruntant au lyrisme hugolien : « L’oncle de Louis-Napoléon, que disait-il ? Il disait : « La république est comme le soleil. » »

« La tribune est fatale aux médiocrités et aux impuissants. Nous ne voulons pas être trop cruels envers un homme condamné à cet accablant contraste, en sa propre personne, d’une telle insuffisance et d’un tel nom. »2182

Le National, 10 octobre 1848. Louis Napoléon le Grand (1990), Philippe Séguin

La veille, Louis-Napoléon Bonaparte est interpellé par les députés sur ses intentions. Un témoin raconte qu’« il avait le regard mal assuré, comme un écolier qui n’est pas certain d’avoir bien récité sa leçon ». Lors de sa première présentation au palais Bourbon, 26 septembre, le nouveau député de l’Yonne fit déjà mauvaise impression, montant à la tribune pour lire un papier chiffonné, parlant de ses « compatriotes » avec un fort accent étranger. Verdict de Ledru-Rollin : « Quel imbécile, il est coulé ! » Et Lamartine l’appelle « un chapeau sans tête ».

« Je suis Corse d’origine, / Je suis Anglais pour le ton,
Suisse d’éducation / Et Cosaque pour la mine […]
J’ai la redingote grise, / Et j’ai le petit chapeau ;
Ce costume est assez beau, / On admire cette mise.
Seul le génie est absent / Pour faire un bon président. »2188

Complainte de Louis-Napoléon pour compléter sa profession de foi (1848), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Il dut souffrir de toutes ces chansons qui le brocardèrent, déjà en « Ratapoil », bientôt en « Badinguet » et autres surnoms. Selon Hugo : « Peu lui importe d’être méprisé, il se contente de la figure du respect » (Napoléon le Petit). Bien que chansonné et ridiculisé, sous-estimé, malmené, le candidat à la présidence de la République a toutes ses chances : porté par la légende napoléonienne qui enchante le peuple et l’a déjà fait député, il rassure les bourgeois qui ont vu de près le « péril rouge », lors des dernières émeutes.

« Le citoyen Bonaparte élu président de la République. »2189

Armand MARRAST (1801-1852), président de l’Assemblée constituante, Déclaration du 20 décembre 1848. Napoléon III (1969), Georges Roux

Résultats du scrutin des 10 et 11 décembre, proclamés lors d’une séance solennelle à l’Assemblée. Triomphe pour le « citoyen Bonaparte » élu au suffrage universel par 75 % des votants (5,5 millions de voix). Déroute de Lamartine qui n’était candidat que de lui-même (17 914 voix). Les voix républicaines se sont dispersées entre Cavaignac (1,4 million de modérés), Ledru-Rollin (370 000 démocrates) et Raspail (moins de 37 000 socialistes révolutionnaires), trois candidats relativement ignorés hors Paris et la minorité éclairée.

« Plus ça change, plus c’est la même chose. »2193

Alphonse KARR (1808-1890), titre de deux recueils d’articles, Les Guêpes, janvier 1849

Le journaliste multiplie les pamphlets dans sa revue de satire politique, sans savoir à quel point l’avenir va lui donner raison. « L’histoire, comme une idiote, mécaniquement se répète », écrira Paul Morand (Fermé la nuit). En vertu de quoi la République, bientôt volée aux républicains, débouchera donc sur l’Empire.

« Née de l’émeute, comme la Monarchie de Juillet, la deuxième République se mettait tout de suite de l’autre côté de la barricade. »2194

Jacques BAINVILLE (1879-1936), Histoire de France

La tendance s’affirme avec la nouvelle assemblée. La Législative, élue au suffrage universel le 13 mai 1849, montre l’opinion partagée entre deux grands courants. Le parti de l’Ordre, conservateur, a 53 % des voix et quelque 500 élus (légitimistes, orléanistes, républicains modérés et bonapartistes). Les démocrates-socialistes, avec à leur tête Ledru-Rollin, ont 35 % des voix et quelque 180 élus. Un troisième groupe, dit des républicains de la veille, obtient 70 députés avec 12 % des voix. Malgré leur majorité, les conservateurs s’inquiètent du succès des démocrates dans certaines villes (dont Paris), quelques régions industrielles (autour de Lyon, Saint-Étienne) et même rurales (au nord du Massif central).

« Il est temps que les bons se rassurent et que les méchants tremblent. »2199

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), président de la République, juin 1849. Mémoires du duc de Persigny (1896)

Suite à la manifestation du 13 juin qui a dégénéré en émeute, le président précise : « Ce système d’agitation entretient dans le pays le malaise et la défiance qui engendrent la misère ; il faut qu’il cesse. » Ce langage ne peut que plaire à un peuple éprouvé par les événements et cette dernière insurrection n’a pas trouvé un réel appui populaire. Le gouvernement, avec la majorité à la Chambre, en profite pour liquider l’opposition démocratique : dix journaux suspendus, état de siège décrété à Paris et à Lyon, clubs fermés, députés d’opposition déchus.

« On craint une folie impériale. Le peuple la verrait tranquillement. »2200

Élise THIERS (1818-1880), née Dosne. Napoléon III (1969), Georges Roux

L’épouse de Thiers témoigne, ayant vu Louis-Napoléon Bonaparte passer en revue les troupes le 4 novembre 1849. Le président est populaire dans l’armée : il multiplie les grandes revues, augmente la solde des sous-officiers. Le « prince Louis-Napoléon » mène une politique personnelle, se fait acclamer en province, crée son parti et ses journaux. Les craintes de Mme Thiers sont justifiées, la carrière de son mari marquera un temps d’arrêt sous le Second Empire.

« Surtout n’ayez pas peur du peuple, il est plus conservateur que vous. »2142

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Du système électoral. Questions de mon temps : 1836 à 1856 (1865), Émile de Girardin

Paroles du principal gagnant de cette République numéro deux, élu président, puis plébiscité empereur. Cité et approuvé par le grand patron de presse, Girardin. C’est fort bien vu dans la France de l’époque et l’heure venue, il saura se présenter comme le champion du suffrage universel. Rétabli le 5 mars 1848, c’est la grande conquête de la Révolution de 1848, mais la France est-elle prête ? Sans préparation, sans transition, le nouveau régime substitue aux intérêts de la classe dirigeante les sentiments et les passions du peuple.

« Les Bonaparte, c’est tout de même un clan qui se remplit les poches, se distribue les couronnes, et qui, en 1851, s’attable pour le deuxième service. »2144

François MAURIAC (1885-1970), Bloc-notes, IV (1965-1967) dans le journal L’Express

Hugo n’aurait pas mieux dit, contre le second, mais son culte pour le premier l’a rendu encore plus cruel. Les autres contemporains de Louis-Napoléon Bonaparte sont sévères pour ce nouvel empereur.

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