Citations référentielles : le miroir de l’Histoire (Second Empire, Troisième République, Première Guerre mondiale, Entre deux-guerres) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Les citations « référentielles » (inspirées du système des coordonnées en physique) renvoient à un personnage, un événement, une théorie ou une opinion, voire une autre citation en effet miroir. Bref, à tout ce qui fait date et sens dans notre histoire où le récit national côtoie parfois le roman.

Elles se présentent sous diverses formes : slogans, appels, discours, chansons, épitaphes, textes de loi, presse (titres ou extraits d’articles), poèmes, chroniques, mémoires, lettres, pamphlets et autres sources. À la limite, toutes les bonnes citations ont vocation à devenir référentielles, si elles trouvent écho au-delà de leur époque pour devenir patrimoniales.

Elles démontrent que l’Histoire de France a vocation pour servir de référence - jamais assez, jamais trop - étant notre lien, notre identité, en même temps que l’indispensable recul pour juger de l’actualité politique.

Elles doivent être contextualisées, commentées – ça tombe bien, telle est la règle de notre Histoire en citations dont elles sont toutes tirées.

La chronologie s’impose au fil de cet édito en 10 épisodes (et 23 époques) qui renvoient aux Chroniques, de la Gaule à nos jours.

SECOND EMPIRE

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

« Aidez-moi tous à asseoir sur cette terre, bouleversée par tant de révolutions, un gouvernement stable qui ait pour base la religion, la propriété, la justice, l’amour des classes souffrantes. »2232

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Sénat, 1er décembre 1852. Œuvres de Napoléon III, discours, proclamations, messages (1856)

Le lendemain, 2 décembre, l’Empire est proclamé. C’est l’anniversaire d’Austerlitz, la plus grande victoire de l’oncle prestigieux, le souvenir vivant de Napoléon Ier. Respectant l’Aiglon, éphémère Napoléon II, le prince Louis-Napoléon prend le nom de Napoléon III.

« Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »2234

Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)

Citation référentielle (devenue proverbe) à replacer impérativement dans son contexte politique !

Le prestigieux proscrit témoigne en exil de son opposition irréductible à l’empereur à présent haï de lui. À la date où son œuvre est diffusée sous le manteau, l’opposition républicaine est réduite à néant : chefs en prison ou en exil, journaux censurés. Ces mots ont d’autant plus de portée, Hugo devenant le chef spirituel des républicains refusant le dictateur : « Si l’on n’est plus que mille, eh ! bien, j’en suis ! Si même / Ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ; / S’il en demeure dix, je serai le dixième ; / Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »

« Monsieur Tout-le-monde est plus riche que Monsieur de Rothschild. »2236

Henri GERMAIN (1824-1905), maxime du créateur du Crédit Lyonnais en 1863. Les Grandes Étapes de l’histoire économique (2002), Yves Carsalade

À côté de la banque suisse protestante et de la banque juive allemande qui, comme les Rothschild, travaillent avec les grosses fortunes, de nouveaux organismes financiers se créent et font appel au grand public.

Le Crédit mobilier des frères Pereire donne l’exemple en 1852 : première grande banque d’affaires moderne qui jusque dans ses déboires financiers servira de leçon. Citons aussi le Crédit foncier (1852) spécialisé dans les prêts à l’agriculture et à la construction immobilière, le Crédit lyonnais (1863), la Société générale (1864). Les épargnants portent leur argent à ces banques de dépôts et leur achètent des actions et obligations négociables en Bourse. Ce mécanisme financier, sur fond de forte croissance économique, permet au petit capitaliste de s’enrichir.

Cette époque de capitalisme triomphant, sans contre-pouvoir, sans syndicat et sans mécanismes correcteurs du marché, enrichit les riches et la classe moyenne, mais n’améliore pas la condition des pauvres.

« L’histoire a pour égout des temps comme les nôtres. »2257

Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)

Paroles d’exil. Il faut être hors de France pour avoir cette liberté d’expression. Il faut être Hugo pour avoir ces mots. Le prestigieux proscrit de Jersey, bientôt de Guernesey, se veut toujours l’« écho sonore » et la conscience de son siècle. Après un pamphlet politique contre Napoléon le Petit (1852), Les Châtiments sont une œuvre poétique ambitieuse. Suite au crime du 2 décembre et à la répression, Dieu inflige le châtiment et l’expiation. Le Poète, seul face à l’océan et parlant au nom du Peuple, est le messager qui annonce l’espoir avec la venue de temps meilleurs.

« Je ne lis jamais les journaux français, ils n’impriment que ce que je veux. »2259

NAPOLÉON III (1808-1873). Le Guide de la presse (1990), Office universitaire de presse

L’empereur ne manque pas d’humour, à l’occasion. Et il parle vrai. Depuis le 23 février 1852, un système de pénalités graduées va de l’avertissement à la suppression, en passant par la suspension. Mais l’autocensure suffit souvent, surtout que la presse d’opposition n’existe plus – des quelque 200 journaux à Paris en 1848, il en reste 11 après le coup d’État du 2 décembre 1851. Romancier, journaliste et polémiste au parcours politique complexe, Barbey d’Aurevilly, surnommé le Connétable des Lettres, dénonce les effets de la censure : « Les journaux sont les chemins de fer du mensonge. »

« J’y suis, j’y reste. »2264

MAC-MAHON (1808-1893), au fort de Malakoff, surplombant la citadelle de Sébastopol, 8 septembre 1855. Le Maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta (1960), Jacques Silvestre de Sacy

Mot devenu proverbe, attribué au général qui a fini par prendre le fort de Malakoff et ne veut pas le rendre, alors même que les Russes annoncent qu’ils vont le faire sauter. Le siège de Sébastopol durait depuis 350 jours, quand Mac-Mahon prit la tête des colonnes d’assaut pour partir à l’attaque, entouré de ses zouaves.

Pour ce mot et ce fait de guerre, Mac-Mahon entre dans l’histoire – il aura d’autres occasions de se manifester, comme président de la République sous le prochain régime.

« Il y a aussi plusieurs sortes de Liberté. Il y a la Liberté pour le Génie, et il y a une liberté très restreinte pour les polissons. »2272

Charles BAUDELAIRE (1821-1867), Notes et Documents pour mon avocat (1857)

Les Fleurs du mal font scandale : immorales, triviales, géniales. Baudelaire paraît devant le tribunal correctionnel. Il écrit pour sa défense : « Il était impossible de faire autrement un livre destiné à représenter l’agitation de l’esprit dans le mal. » Condamné à trois mois de prison pour outrage aux mœurs, il se soumet : dans la seconde édition de 1861, les six poèmes incriminés auront disparu.

La même année 1857, l’immoralité de Madame Bovary mène Flaubert en justice. Mais son avocat obtient l’acquittement. Il plaide qu’une telle lecture est morale : elle doit entraîner l’horreur du vice et l’expiation de l’épouse coupable est si terrible qu’elle pousse à la vertu.

« Quand la liberté rentrera en France, je rentrerai. »2277

Victor HUGO (1802-1885), Déclaration, Hauteville-House, Guernesey, 18 août 1859. Actes et Paroles. Pendant l’exil (1875)

Exilé au lendemain du coup d’État du 2 décembre 1851 après avoir tenté de soulever le peuple de Paris, Hugo, plus opposant et républicain que jamais, refuse de profiter du décret d’amnistie générale pour les condamnés politiques. C’est le début de l’exil volontaire (à Guernesey) dont il saura magnifiquement tirer parti.

« Nos cœurs ont suivi le cours de nos rivières. »2280

Parole des Savoyards, devenu proverbe, printemps 1860. Napoléon III et le Second Empire : le zénith impérial, 1853-1860 (1976), André Castelot

C’est dire que les Savoyards votent leur rattachement à la France par plébiscite d’avril 1860, en vertu du traité de Turin du 24 mars 1860, épilogue de la campagne d’Italie de 1859 : 250 000 oui, contre seulement 230 non !

Ce plébiscite peut être présenté comme l’application du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Les Niçois feront le même choix, le 15 avril 1860. Ces conquêtes pacifiques sont à porter au crédit du Second Empire.

« L’Empire a fait un demi-tour à gauche. »2281

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), constatant le tournant libéral du régime. Histoire de la France : les temps nouveaux, de 1852 à nos jours (1972), Georges Duby

L’empereur cherche à se rallier les notables libéraux et la petite bourgeoisie démocrate, multipliant les concessions aux idées libérales et démocratiques : restauration des libertés, ouverture du Parlement à l’opposition républicaine, décret du 24 novembre 1860 donnant au Corps législatif le droit d’adopter une adresse en réponse au discours du trône et autorisant la publication des débats parlementaires. Satisfaire les classes populaires lui permettrait d’échapper aux castes de droite et de s’appuyer sur les masses : ce serait conforme aux idées sociales de l’empereur (voir l’Extinction du paupérisme), mais il faudrait faire plus qu’un demi-tour à gauche.

« La France, dit l’Almanach impérial, contient trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement. »2294

Henri ROCHEFORT (1831-1913), La Lanterne, 1er juin 1868

Première phrase du premier numéro. Un vent de liberté souffle à nouveau sur l’Empire. 9 mai 1868, c’en est fini du régime de la presse de 1852 : autorisation préalable et système des avertissements supprimés. Les bonapartistes autoritaires sont mécontents, les républicains déplorent les restrictions qui entravent toujours la liberté de la presse. La nouvelle génération aspire à plus de liberté. Le socialisme récupère et politise une agitation ouvrière qui multiplie les grèves dures (première en date, celle des typographes parisiens en mars 1862).

« Ce n’est pas par des discours et des votes de majorité que les grandes questions de notre époque seront résolues, mais par le fer et par le sang. »2306

Otto von BISMARCK (1815-1898), chancelier de la Confédération d’Allemagne du Nord. Bismarck (1961), Henry Valloton

Ces mots posent le Chancelier de fer. « Par le fer et par le sang » est une expression qui lui est chère, comme « la force prime le droit » – traduction de sa Realpolitik. Bismarck a déjà ravi à l’Autriche sa place à la tête de l’ex-Confédération germanique : la défaite autrichienne à Sadowa (1866) fut un « coup de tonnerre » en Europe. Il veut faire l’unité allemande sous l’égide de la Prusse. Pour cela, il doit prouver sa force : écraser la France est le moyen le plus sûr. Il va monter contre elle les États du sud de l’Allemagne, rassemblés dans sa Confédération.

Face au chancelier du Reich, Napoléon III : « L’empereur est une grande incapacité méconnue » disait Bismarck en 1864. C’est à présent un homme prématurément vieilli, physiquement atteint et devenu maladivement indécis.

« Nous sommes prêts et archiprêts, il ne manque pas à notre armée un bouton de guêtre. »2310

Maréchal LEBŒUF (1809-1888), lors du vote de la mobilisation et des crédits de guerre, Corps Législatif, 15 juillet 1870. Revue des deux mondes, volume XXI (1877)

Ministre de la Guerre et major général de l’armée, il répond au doute de Thiers affirmant : « Vous n’êtes pas prêts. » Il insiste : « De Paris à Berlin, ce serait une promenade la canne à la main. » C’est une illusion et Bismarck, bien informé par Moltke son chef d’état-major, connaît les forces ou plutôt les faiblesses de la France. Ses canons de bronze se chargent par la gueule et non par la culasse comme les canons Krupp en acier ; les traditions tactiques de l’armée d’Afrique sont impropres à une guerre européenne et l’expédition du Mexique a désorganisé l’administration militaire ; ses généraux sont vieux et routiniers ; enfin, le Corps législatif n’a jamais voté les crédits nécessaires à l’armée, alors que la Prusse prépare cette guerre depuis quatre ans.

« Nous l’acceptons le cœur léger. »2311

Émile OLLIVIER (1825-1913), Corps législatif, le jour de la déclaration de guerre à la Prusse, 19 juillet 1870. Les Causes politiques du désastre (1915), Léon de Montesquiou

Porté par l’opinion publique, le président du Conseil et garde des Sceaux accepte la responsabilité de la guerre, alors que des intervenants (républicains et pacifistes) évoquaient le sang bientôt versé. Il insiste sur ces mots qui lui seront reprochés jusqu’à sa mort : Émile Ollivier reste à jamais pour l’histoire « l’homme au cœur léger ».

TROISIEME REPUBLIQUE

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

« Citoyens, j’avais dit : le jour où la République rentrera, je rentrerai. Me voici ! »2335

Victor HUGO (1802-1885), de retour à Paris, gare du Nord, 5 septembre 1870. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876)

Après dix-neuf ans d’exil, il rentre, sitôt proclamée la République. Il a pris le train de nuit de Bruxelles pour passer inaperçu. Peine perdue. La foule l’attend. La renommée du poète proscrit a encore grandi. Il doit parler. C’est un orateur né pour le peuple, la tribune, les temps héroïques, la résistance : « Les paroles me manquent pour dire à quel point m’émeut l’inexprimable accueil que me fait le généreux peuple de Paris. […] Deux grandes choses m’appellent. La première, la république. La seconde, le danger. Je viens ici faire mon devoir. Quel est mon devoir ? C’est le vôtre, c’est celui de tous. Défendre Paris, garder Paris. Sauver Paris, c’est plus que sauver la France, c’est sauver le monde. Paris est le centre même de l’humanité. Qui attaque Paris attaque tout le genre humain. »

« Que réclamons-nous de la France ? L’Alsace. »2337

Heinrich von TREITSCHKE (1834-1896), titre de sa brochure (Was fordern wir von Frankreich ?) publiée en août 1870. Le Correspondant, volume CCXXI (1905)

Historien allemand, député nationaliste à partir de 1871 (très populaire par ses théories antisémites), il soutient la politique de Bismarck : pour faire l’unité de l’Allemagne sous l’hégémonie de la Prusse, il faut une guerre victorieuse contre la France. Et l’Alsace chère aux Français, c’est une histoire de mille ans !

« Il me convient d’être avec les peuples qui meurent, je vous plains d’être avec les rois qui tuent. »2339

Victor HUGO (1802-1885), 9 septembre 1870. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876)

Il en appelle aux Allemands pour que cesse cette « guerre civile » entre peuples d’Europe. Mais la guerre continue, l’ennemi approche, Paris est saisi d’une fièvre patriotique. Chaque quartier a son club où l’on parle d’abondance et dans chaque arrondissement se créent des comités de vigilance, sous l’impulsion des militants de la première Internationale, rejoints par des radicaux et des Jacobins. Le mot de « Commune » est acclamé, l’idée lancée dès septembre dans ce Paris révolutionnaire.

« Nous mangeons du cheval, du rat, de l’ours, de l’âne. »2347

Victor HUGO (1802-1885), L’Année terrible (Lettre à une femme, janvier 1871)

Hugo reste volontairement enfermé dans Paris bombardé pendant un mois (10 000 projectiles et 60 morts ou blessés chaque jour) et assiégé pendant cinq mois (au total). Il souffre des souffrances de la ville en cet hiver 1871 – où la consommation d’absinthe est multipliée par cinq ! Il fait don de ses droits d’auteur sur Les Châtiments pour la fabrication de deux canons (le Victor Hugo, le Châtiment) et pour le secours aux victimes de guerre.

Jules Ferry, chargé du ravitaillement de la population (et du maintien de l’ordre) est surnommé Ferry la Famine. Et le gouverneur militaire, le général Trochu, est complètement discrédité avant de démissionner : « Trochu : participe passé du verbe trop choir » dit Hugo.

« La ville de Paris est une personne trop puissante et trop riche pour que sa rançon ne soit pas digne d’elle. »2353

Otto von BISMARCK (1815-1898), le chancelier allemand qui fixe donc la « rançon » à au moins un milliard de francs, le 23 janvier 1871. Bismarck et son temps (1905), Paul Matter

Jules Favre propose 100 millions, ses collègues ont fixé la limite à 500, l’indemnité de guerre sera finalement de 200 millions pour Paris et cinq milliards de francs or pour l’ensemble de la France, au lieu de six, Thiers ayant négocié en bon bourgeois. Le pays s’acquittera de cette dette considérable dès 1873, grâce à l’emprunt et à l’empressement des souscripteurs, les troupes allemandes évacuant alors le territoire. Ce n’est pas la clause la plus humiliante d’un armistice que la capitale va refuser de toutes ses forces combattantes et révolutionnaires.

« Au nom du peuple, la Commune est proclamée ! »2363

Gabriel RANVIER (1828-1879), place de l’Hôtel-de-Ville, Déclaration du 28 mars 1871. Histoire socialiste, 1789-1900, volume XI, La Commune, Louis Dubreuilh, sous la direction de Jean Jaurès (1908)

Ranvier est maire de Belleville, ouvrier peintre décorateur, et disciple de Blanqui, l’éternel insurgé. Les élections municipales du 26 mars n’ont mobilisé que la moitié des Parisiens (230 000 votants), très majoritairement de gauche, beaucoup de gens des beaux quartiers ayant fui la capitale : 18 élus « bourgeois » refuseront de siéger à côté des 72 révolutionnaires, jacobins, proudhoniens, blanquistes, socialistes, internationaux.

Conseil municipal de gauche ? Contre-gouvernement élu, provisoire et rival de celui de Versailles ? Exemple devant servir de modèle à la France ? La Commune se veut tout à la fois, mais ne vivra pas deux mois.

« Faisons la révolution d’abord, on verra ensuite. »2330

Louise MICHEL (1830-1905). L’Épopée de la révolte : le roman vrai d’un siècle d’anarchie (1963), Gilbert Guilleminault, André Mahé

La révolutionnaire anarchiste se retrouve sur les barricades dès les premiers jours du soulèvement : cause perdue d’avance, révolution sans espoir, utopie d’un « Paris libre dans une France libre » ? Rien de moins prémédité que ce mouvement qui échappe à ceux qui tentent de le diriger, au nom d’idéaux contradictoires.

Ex-institutrice, militante républicaine et anarchiste (prête à un attentat contre Thiers), auteur de poèmes et de théâtre, la Vierge rouge est d’abord une idéaliste comme tant de communards et l’héroïne restée la plus populaire : « La révolution sera la floraison de l’humanité comme l’amour est la floraison du cœur » écrit-elle dans La Commune, Histoire et souvenirs (1898).

Face aux Communards (ou Fédérés), les Versaillais se préparent. Le 30 mars, Paris est pour la seconde fois ville assiégée, bombardée, et à présent par des Français.

« C’est une guerre sans trêve ni pitié que je déclare à ces assassins. »2366

Général Gaston de GALLIFFET (1830-1909), 3 avril 1871. Histoire socialiste, 1789-1900, volume XI, La Commune, Louis Dubreuilh, sous la direction de Jean Jaurès (1908)

Galliffet a fait fusiller sans jugement 5 Fédérés prisonniers. Sa férocité lui vaut le surnom de « Marquis aux talons rouges » ou « massacreur de la Commune ». Cependant qu’à Paris, les clubs réclament la Terreur, veulent « faire tomber cent mille têtes », rétablir la loi des Suspects. On joue la mort de la peine de mort en brûlant une guillotine.

« On ne peut pas tuer l’idée à coups de canon ni lui mettre les poucettes [menottes]. »2381

Louise MICHEL (1830-1905), La Commune, Histoire et souvenirs (1898)

Condamnée, déportée en Nouvelle-Calédonie, amnistiée en 1880, elle reviendra en France, pour se battre du côté des « damnés de la terre ».

« Le cadavre est à terre, mais l’idée est debout » dit aussi Hugo. La force des idées est l’une des leçons de l’histoire et la Commune en est l’illustrations, malgré la confusion des courants qui l’animent. Un chant y est né, porteur d’une idée qui fera le tour du monde et en changera bientôt le cours, c’est L’Internationale.

« C’est la lutte finale ; / Groupons-nous et demain
L’Internationale / Sera le genre humain. »2527

Eugène POTTIER (1816-1888), paroles, et Pierre DEGEYTER (1848-1932), musique, L’Internationale (refrain), chanson

Eugène Pottier se cache dans Paris livré aux Versaillais. Membre élu de la Commune et maire du IIIe arrondissement, alors que tout espoir semble perdu, il dit, il écrit en ce mois de juin 1871 sa foi inébranlable en la « lutte finale » : « Du passé faisons table rase […] Le monde va changer de base. » Le texte sera publié, mis en musique par Pierre Degeyter, ouvrier tourneur en 1888. chanté pour la première fois au Congrès de Lille du Parti ouvrier en 1896, avant un destin littéralement international jusqu’à nos jours.

« Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d’une société nouvelle. Ses martyrs seront enclos dans le grand cœur de la classe ouvrière. »2385

Karl MARX (1818-1883), La Guerre civile en France (1871)

Hommage du militant révolutionnaire, même si le théoricien socialiste émit de nombreuses réserves. Le mouvement ouvrier français restera marqué par les conséquences de la Commune : vide dans le rang de ses militants, haine des victimes contre les bourreaux, force du mythe qui s’attache à jamais au nom de la Commune.

« Pensons-y toujours, n’en parlons jamais. »2419

Léon GAMBETTA (1838-1882), Discours de Saint-Quentin, 16 novembre 1871. Pages d’histoire, 1914-1918, Le Retour de l’Alsace-Lorraine à la France (1917), Henri Welschinger

Référence nationale obsessionnelle sous la Troisième République, suite à la perte de l’Alsace-Lorraine. Silence forcé de la France ; silence encore plus forcé de l’Alsace.

Gambetta, comme tous les Français, pense aux deux provinces sœurs devenues étrangères. Maurras traduira à sa façon l’unanimité nationale autour du culte de l’Alsace-Lorraine en parlant de « la Revanche reine de France ». Paul Déroulède, créant la Ligue des patriotes en 1882, incarnera un patriotisme nationaliste et revanchard qui fera beaucoup de bruit et déchaîne pas mal de fureurs, jusqu’à la prochaine guerre. Mais les milieux gouvernementaux font preuve d’une grande réserve, sachant la France trop isolée pour mettre la revanche dans les faits.

« La République, en France, a ceci de particulier que personne n’en veut et que tout le monde y tient. »2388

Comte de GOBINEAU (1816-1882), La Troisième République française et ce qu’elle vaut (1873)

Écrivain et diplomate, il exprime parfaitement la situation : le pays est à l’image de l’Assemblée nationale en majorité monarchiste (400 royalistes, 250 républicains modérés et radicaux, 80 « centristes », 15 bonapartistes). Il n’existe pas de grande nation républicaine dans l’Europe de l’époque et la République fait peur : souvenirs de la Révolution de 1789 qui engendra la Terreur, de la Deuxième République avec ses désordres en 1848. La Commune insurrectionnelle de Paris en 1871 a encore gauchi l’idée qu’on se fait du républicain.

Au fil des années, la France deviendra républicaine et les républicains font de moins en moins peur. Les radicaux vont, à la faveur d’élections de plus en plus à gauche, accéder au pouvoir à partir de 1899 : leur politique sociale sera alors bien timide et la « République des députés » se heurtera aux socialistes, devenus les nouveaux épouvantails pour le bourgeois.

« La politique coloniale est fille de la politique industrielle. »2400

Jules FERRY (1832-1893). Discours et opinions de Jules Ferry (1897), Jules Ferry, Paul Robiquet

Il donnera plus tard une théorie de sa politique coloniale, menée au coup par coup quand il est au pouvoir. L’expansion est nécessaire à un grand pays comme la France, pour satisfaire des besoins à la fois militaires (bases dans le monde entier), commerciaux (marchés et débouchés pour son expansion économique), culturels (prestige national oblige, pour « sa langue, ses mœurs, son drapeau, son armée et son génie »). La Troisième République édifie peu à peu le second empire colonial du monde (après l’Empire britannique), aussi vrai qu’« un mouvement irrésistible emporte les grandes nations européennes à la conquête de terres nouvelles » (Jules Ferry). Pour d’autres raisons et avec des nuances, Hugo et Jaurès pensent et parlent de même à cette époque.

« Ni Dieu ni maître. »2408

Auguste BLANQUI (1805-1881), titre de son journal créé en 1877

Entré en politique il y a juste un demi-siècle (sous la Restauration), arrêté en 1871, condamné à mort et amnistié, cet infatigable socialiste reprend son activité révolutionnaire à 72 ans. Son « Ni Dieu ni maître » deviendra la devise des anarchistes qui troubleront la Troisième République pendant un quart de siècle.

« La politique est l’art du possible. »2441

Léon GAMBETTA (1838-1882). La Politique en citations : de Babylone à Michel Serres (2006), Sylvère Christophe

Formule fameuse, expression du pragmatisme. Qui l’eut crue signée du pur et dur républicain, à la fois idéologue tranchant et démagogue bruyant ? C’est un autre homme qui se révèle en 1874 et parle à ses contemporains : un tempérament foncièrement modéré, doué d’une saine appréciation des réalités. Cette formule de Gambetta fera bientôt qualifier ses partisans d’« opportunistes ».

Une commission de 30 membres désignés par l’Assemblée va enfin accoucher d’un projet de Constitution.

« Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. »2443

Henri WALLON (1812-1904), amendement du 30 janvier 1875

Sans effet oratoire, sans tambour ni trompette d’aucune sorte, la République s’installe en France. « Le 30 janvier 1875, à une seule voix de majorité (353 contre 352), l’amendement Wallon, qui prononçait le nom de République, qui l’inscrivait officiellement dans les lois, était adopté » (Jacques Bainville, Histoire de France).

« À reculons, nous entrons dans la République ! »2444

Léon GAMBETTA (1838-1882), La République française. La Troisième République (1968), Maurice Baumont

Il ironise dans son journal. Mais il l’a voulue, il l’a eue et son opportunisme permet que la Constitution passe, sous forme de trois lois constitutionnelles du 25 mai au 16 juillet 1875. Paradoxe de cette république votée par une assemblée monarchiste, grâce à l’union des centres qui regroupe une partie des républicains (radicaux exclus) et des conservateurs (légitimistes exclus). On va donc pouvoir gouverner entre « honnêtes gens ».

« Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, […] il faudra se soumettre ou se démettre. »2453

Léon GAMBETTA (1838-1882), Discours de Lille, 15 août 1877. Histoire de la France (1947), André Maurois

C’est au président de la République que ce discours s’adresse, après la crise institutionnelle ouverte le 16 mai : renvoi du président du Conseil et dissolution de la Chambre des députés. Mac-Mahon a tenté d’imposer au pays un régime présidentiel et toute l’orientation de la Troisième République se joue alors. La campagne électorale est dure, le peuple étant arbitre de l’opposition entre le législatif et l’exécutif – le Parlement et le président. C’est au final un régime parlementaire qui va s’imposer, avec tous les défauts qui feront la faiblesse du régime : valse des gouvernements, crédibilité entamée dans l’opinion, procès du radicalisme et, de façon plus générale, de la politique (politicienne), sous cette Troisième République ébranlée par les crises et frappée d’impuissance.

« Néron, Dioclétien, Attila, préfigurateur de l’antéchrist ! »2466

Les catholiques insultant Jules Ferry. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Surnommé hier Ferry-la-Famine – sous la Commune – et demain Ferry-Tonkin – pour sa politique coloniale. Cette fois, il est attaqué en tant que ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts : son projet de réforme de l’enseignement public primaire (laïc, gratuit et obligatoire) réduit l’importance de l’enseignement privé. Débats déjà animés, le 15 mars 1879. Le 16 juin, la loi Ferry enflammera la Chambre. Gambetta défend son ami Ferry et tape si fort du poing sur la table qu’il perd son œil de verre. Les députés en viennent aux mains. Et volent manchettes et faux cols ! Il faut encore trois ans avant que passe le train des lois Ferry.

« L’Épargne, cette divinité du jour, prêchée dans toutes les chaires, l’Épargne est une peste. »2467

Auguste BLANQUI (1805-1881), Critique sociale (1881)

Révolutionnaire à la fois théoricien et militant, il se retrouve élu député socialiste le 30 avril 1879, siégeant à l’extrême gauche de la Chambre. Pas pour longtemps. Le revoilà en prison à Clairvaux, à 75 ans. Il aura été prisonnier plus de la moitié de sa vie. Il écrit aussi : « Le capital est du travail volé. » La stabilité du franc jusqu’en 1914 favorise l’épargne et encourage l’esprit rentier du Français. Le régime ne s’est guère préoccupé des questions sociales et de la condition ouvrière, malgré le socialisme montant. Même Gambetta, républicain de gauche, l’a dit en 1871 : « Il n’y a pas de question sociale. »

« Une patrie se compose des morts qui l’ont fondée aussi bien que des vivants qui la continuent. »2479

Ernest RENAN (1823-1892), Réponse au discours de réception de Ferdinand de Lesseps à l’Académie française, 23 avril 1885, Discours et Conférences

Célèbre et scandaleux auteur de la Vie de Jésus, il reçoit le vicomte octogénaire, heureux constructeur et administrateur du canal de Suez (qui lui a ouvert les portes de l’Académie des sciences en 1873). Cette référence patriotique et historique est encore à méditer de nos jours.

Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante.2480

Inscription au fronton du Panthéon

Victor Hugo meurt le 22 mai 1885. Paris lui fait des funérailles nationales avec un cortège qui va de l’Arc de Triomphe au Panthéon, monument voué au souvenir des grands hommes après d’autres vocations religieuses. Il devient définitivement Panthéon juste à temps pour recevoir les cendres du célèbre poète français qui fut aussi un grand homme politique – d’où sa place sur le podium de notre Histoire en citations, après Napoléon et de Gaulle.

« La science n’a pas de patrie. »2494

Louis PASTEUR (1822-1895), Discours pour l’inauguration de l’Institut Pasteur, 14 novembre 1888. La Vie de Pasteur (1907), René Vallery-Radot. (Première biographie du grand savant, écrite par son gendre.)

La Troisième République reste connue pour une succession de crises, affaires, scandales. Mais c’est aussi le temps des grands savants pour la France qui se retrouve en bonne place dans le monde, avec des hommes tels que Louis Pasteur (microbiologie, vaccins), Marcellin Berthelot (chimie de synthèse, thermochimie), Claude Bernard (physiologie, médecine expérimentale). L’Université n’est plus, comme sous le Second Empire, le lieu de conférences mondaines pour grand public. Les étudiants viennent nombreux, les professeurs font des cours magistraux qui honorent l’enseignement supérieur, la recherche réalise des progrès qui vont changer la vie quotidienne des hommes en une ou deux générations.

« Je désire reposer […] en face de cette ligne bleue des Vosges d’où monte jusqu’à mon cœur fidèle la plainte des vaincus. »2508

Jules FERRY (1832-1893), Testament. Jules Ferry (1903), Alfred Rambaud

Il reste pour sa politique scolaire et coloniale. Ses derniers mots prouvent qu’il n’oubliait pas l’Alsace et la Lorraine perdues, alors même qu’il lançait la France à la conquête de la Tunisie et du Tonkin (Indochine, nord du Vietnam). Mal compris, Ferry a pu voir relancée, à la fin de sa vie, une nouvelle colonisation prise en main par des politiques, des militaires, des hommes d’affaires : Indochine, Madagascar, Afrique noire, Maroc.

« Vos mains sont couvertes de sang.
— Comme l’est votre robe rouge ! »2511

Émile HENRY (1872-1894), répondant au président du tribunal, 27 avril 1894. Historia (octobre 1968), « L’Ère anarchiste », Maurice Duplay

Fils de bourgeois, il épouse la cause anarchiste par idéal révolutionnaire et veut frapper partout, parce que la bourgeoisie est partout. Il a 19 ans quand sa bombe portée pour examen au commissariat de police des Bons-Enfants explose : 5 morts, le 8 novembre 1892. Nouvelle bombe au café Terminus de la gare Saint-Lazare : un mort, 20 blessés, le 12 février 1894. À son procès, il proclame que l’anarchie « est née au sein d’une société pourrie qui se disloque. Elle est partout, c’est ce qui la rend indomptable, et elle finira par vous vaincre et vous tuer. » Émile Henry est guillotiné le 21 mai, criant « Courage, camarades ! Vive l’anarchie ! »

« Il n’y a pas d’affaire Dreyfus. »2516

Jules MÉLINE (1838-1925), président du Conseil, au vice-président du Sénat venu lui demander la révision du procès, séance du 4 décembre 1897. Affaire Dreyfus (1898), Edmond de Haime

Mot malheureux, quand éclate au grand jour l’affaire Dreyfus, qui deviendra l’« Affaire » de la Troisième République et la plus grave crise pour le régime. Méline refuse la demande en révision du procès. Les dreyfusards (minoritaires) vont mobiliser l’opinion publique par une campagne de presse remarquablement menée.

« J’accuse. »2517

Émile ZOLA (1840-1902), titre de son article en page un de L’Aurore, 13 janvier 1898

L’Aurore est le journal de Clemenceau et le titre est de lui. L’article en forme de lettre ouverte au président de la République Félix Faure est bien de Zola, romancier le plus populaire après Hugo : il accuse deux ministres de la Guerre, les principaux officiers de l’état-major et les experts en écriture d’avoir « mené dans la presse une campagne abominable pour égarer l’opinion », et le Conseil de guerre qui a condamné Dreyfus, d’« avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète ». Le ministre de la Guerre, général Billot, intente alors au célèbre écrivain un procès en diffamation.

« Un jour la France me remerciera d’avoir aidé à sauver son honneur. »2518

Émile ZOLA (1840-1902), La Vérité en marche, déclaration au jury. L’Aurore, 22 février 1898

Le procès Zola en cour d’assises (7-21 février 1898) fit connaître l’affaire Dreyfus au monde entier. Formidable tribune pour l’intellectuel converti aux doctrines socialistes et aux grandes idées humanitaires ! « Tout semble être contre moi, les deux Chambres, le pouvoir civil, le pouvoir militaire, les journaux à grand tirage, l’opinion publique qu’ils ont empoisonnée. Et je n’ai pour moi que l’idée, un idéal de vérité et de justice. Et je suis bien tranquille, je vaincrai. » En attendant, Zola est condamné à un an de prison et 3 000 francs d’amende.

« Ce sont les oies qui ont sauvé le Capitole. »2544

Georges CLEMENCEAU (1841-1929). La Vie orgueilleuse de Clemenceau (1987), Georges Suarez

À qui lui reproche de ne s’entourer que de personnages falots dans son gouvernement. Le « tombeur de ministères », le radical intransigeant des années 1880 devient à 65 ans président du Conseil et reste à ce poste de 1906 à 1909. Clemenceau arrive avec un vrai programme de réformes sociales.

« Pas ça ou pas vous ! »2547

Jean JAURÈS (1859-1914) à Aristide Briand, Chambre des députés, 10 mai 1907. La Démocratie et le travail (1910), Gabriel Hanotaux

Le gouvernement de Clemenceau, dont Briand fera partie à divers postes ministériels, est confronté à une dramatique agitation sociale dès 1906 : mineurs, ouvriers électriciens à Paris, dockers à Nantes, etc.

Clemenceau doit prendre des mesures énergiques pour rétablir l’ordre. En avril 1907, le gouvernement décide la révocation de fonctionnaires qui se sont élevés contre sa politique. La CGT déclenche la grève que Jaurès, en chef de l’opposition socialiste, défend, invectivant Briand, devenu ministre, mais ancien propagandiste de la grève générale. Jaurès ajoute que son « jeu de duplicité souille et décompose successivement tous les partis », alors que Maurice Barrès le qualifiera de « monstre de souplesse ».

Jaurès prendra souvent à partie Clemenceau, personnage bien différent de Briand ! Étant au pouvoir, cet ancien républicain de choc, radical d’extrême gauche, impitoyable « tombeur de ministères », constate l’évidence : « Je suis de l’autre côté de la barricade. » Et dans la logique de son rôle qu’il définit lui-même : premier flic de France.

« Le tirailleur sénégalais est un merveilleux mercenaire, puisqu’il a la vraie qualité du soldat, celle qui prime tout : l’aptitude à se faire tuer. »2401

L’Écho d’Oran, 25 décembre 1910. Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement (1998), Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière

On peut débattre à l’infini du colonialisme et les historiens ne s’en privent pas. Au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui s’impose après la Seconde Guerre mondiale, on intente un procès aux peuples et aux responsables politiques jadis coupables de ce « crime ». C’est pécher par anachronisme et ignorer les réalités de temps heureusement révolus. Mais la lecture du grand quotidien algérien (rédigé en français) montre plus clairement que de longs discours l’inhumanité du colonialisme et le racisme inhérent. Sous la Première Guerre mondiale, le général Mangin fera l’apologie des troupes africaines avec des arguments également racistes : les Africains, dotés d’un système nerveux moins développé, sont moins sensibles à la douleur. (La Force Noire).

« Il n’est possible à un peuple d’être efficacement pacifique qu’à la condition d’être prêt à la guerre. »2564

Raymond POINCARÉ (1860-1934), message aux Chambres, 20 février 1913. Histoire illustrée de la guerre de 1914 (1915), Gabriel Hanotaux

Ayant donné sa version du « si vis pacem, para bellum » (« Si tu veux la paix, prépare la guerre »), le président ajoute : « Une France diminuée, une France exposée, par sa faute, à des défis, à des humiliations, ne serait plus la France. » Alors que Jaurès le pacifiste déclare « la guerre à la guerre », Poincaré va renforcer l’alliance avec la Russie, mais aussi l’armée française.

« Il ne suffit pas d’être des héros. Nous voulons être des vainqueurs. »2568

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), L’Homme libre, 15 juillet 1914. Clemenceau (1968), Gaston Monnerville

Clemenceau exprime ses idées dans son journal d’opposition créé en 1913 (rebaptisé L’Homme enchaîné pendant la guerre). Hostile à la politique de Poincaré et de ses gouvernements successifs, il aura l’occasion de mettre en pratique ses idées quand le président appellera son adversaire fin 1917 pour mener la France à la victoire.

« Jaurès est tué ! Ils ont tué Jaurès. »2569

Mme POISSON (fin XIXe-début XXe siècle.), Café-restaurant du Croissant, 31 juillet 1914 à 21 h 40. Arrêté du 18 novembre 1999 relatif à la frappe et à la mise en circulation de pièces commémoratives de 500 francs

Jaurès dînait rue Montmartre, près de son journal, L’Humanité. Raoul Villain, étudiant de 24 ans, a tiré au revolver sur le dirigeant socialiste. Exalté par les campagnes nationalistes qui, en pleine crise antiallemande, appelaient au meurtre contre l’homme incarnant le pacifisme, il explique : « J’ai voulu faire justice à cet antipatriote. » Le monde ouvrier reprend le mot : « Ils ont tué Jaurès ! C’est la guerre. » L’Allemagne va déclarer la guerre à la France, le conflit va devenir mondial et le pays, si divisé dans la paix, se retrouvera uni dans l’épreuve.

PREMIERE GUERRE MONDIALE

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

« C’est la plus monumentale ânerie que le monde ait jamais faite. »2570

Maréchal LYAUTEY (1854-1934). Histoire de la Troisième République (1952), Jacques Chastenet

Tel est son avis, au déclenchement du conflit. Résident général au Maroc, chargé de la pacification du pays rendue alors plus difficile encore, il sera ministre de la Guerre quelques mois, dans le cabinet Briand. Par le jeu des alliances, des intérêts et des déclarations de guerre échelonnées sur trois ans, la guerre va devenir européenne, toucher l’Afrique et l’Asie, et, avec la participation des États-Unis d’Amérique en 1917, se transformer en guerre mondiale pour la première fois dans l’histoire. 65 millions de soldats s’affronteront dans ce qu’on appelle la Grande Guerre.

« Je tordrai les Boches avant deux mois. »2586

Généralissime JOFFRE (1852-1931), août 1914. G.Q.G., secteur 1 : trois ans au Grand quartier général (1920), Jean de Pierrefeu

La croyance en une guerre courte prévaut en France, comme en Allemagne – qui a déclaré la guerre, le 3 août. Et tout commence par une guerre de mouvement.

Ces mots, souvent cités, font aussi partie de la propagande. Joffre a élaboré le plan français (plan XVII) : se fiant aux forces morales et aux baïonnettes, il prévoit la défense de l’Est. Mais la bataille des frontières va se dérouler selon le plan allemand (plan Schlieffen) : gros effectifs et artillerie lourde pour la tactique, et pour la stratégie, invasion de la Belgique. Selon le chancelier allemand Bethmann-Hollweg, le traité international garantissant la neutralité de ce pays n’est qu’un « chiffon de papier ». D’où l’attaque de la France par le nord, et le contournement des défenses françaises.

« La méprisable petite armée du général French. »2587

GUILLAUME II (1859-1941), Ordre du jour à Aix-la-Chapelle, 19 août 1914. Pages d’histoire, 1914-1918, La Folie allemande (1914), Paul Verrier

Grâce à son effort militaire, la France a pu aligner presque autant de divisions que l’Allemagne (plus peuplée). Mais nos soldats sont moins entraînés, moins disciplinés, mal équipés (uniformes trop voyants, manque d’artillerie lourde). Après la bataille des Ardennes et de Charleroi – bataille des frontières perdue –, Joffre renonce à l’« offensive à tout prix ». Il fait limoger plus de cent généraux – nommés à des postes dans des villes de l’arrière, comme Limoges – et ordonne le repli stratégique des troupes au nord de Paris, pour éviter l’enveloppement.

« Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre !
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés ! »2588

Charles PÉGUY (1873-1914), Ève (1914)

Sa mort en 1914 donne un sens authentique à cette référence littéraire. Ce sont les deux derniers alexandrins d’un poème qui en compte quelque 8 000. Le poète appelle de tous ses vœux et de tous ses vers la « génération de la revanche ». Lieutenant, il tombe à la tête d’une compagnie d’infanterie, frappé d’une balle au front, à Villeroy, le 5 septembre, veille de la bataille de la Marne.

« Verdun est le cœur de la France. »2595

GUILLAUME II (1859-1941), empereur d’Allemagne, 14 février 1916. L’Épopée de Verdun, 1917 (1917), Gaston Jollivet

1916. Nouvelles batailles indécises et sanglantes dont le plus terrible exemple est Verdun. Le général en chef allemand Falkenhayn a décidé de s’en emparer. Le Kaiser adresse à ses troupes une proclamation glorifiant l’attaque imminente : « Moi, Guillaume, je vois la Patrie allemande contrainte à l’offensive. Le peuple veut la paix ; mais pour établir la paix, il faut savoir clore la guerre par une bataille décisive. C’est à Verdun, cœur de la France, que vous cueillerez le fruit de vos peines. »

Pourquoi, Verdun ? Raisons tactiques, stratégiques, logistiques, politiques… et  psychologiques. La prise de Verdun, ce serait l’effondrement du moral de l’armée française : « Verdun n’est pas seulement la grande forteresse de l’Est destinée à barrer la route à l’invasion, c’est le boulevard moral de la France », dira le maréchal Pétain.

« Ils ne passeront pas. »2596

Défi des Français face aux Allemands, à Verdun. Verdun 1916 (2006), Malcolm Brown

L’offensive allemande sur Verdun, menée par le Kronprinz Frédéric-Guillaume (fils aîné du Kaiser Guillaume II),  commence le 21 février 1916. Ses canons et mortiers sont très supérieurs aux nôtres, il a l’initiative, le premier choc est terrible – un déluge de feu – et le fort de Douaumont est pris par surprise. Mais Joffre réagit, fait appel à Pétain, la percée allemande échoue et on se retrouve face à face, dans une guerre d’usure.

Cette résistance proclamée, c’est d’ailleurs la réaction espérée par les Allemands : voulant à tout prix défendre ce « cœur de la France », l’armée française va épuiser toutes ses forces et l’Allemagne gagnera.

Elle ne gagnera pas et « ils ne passeront pas », mais à quel prix ! Verdun symbolise l’horreur de la Grande Guerre, dramatiquement coûteuse en hommes. C’est aussi un tournant dans ce premier conflit mondial : industrialisation très poussée pour une technologie toujours plus meurtrière : obus et canons, lance-flammes et gaz asphyxiants.

« Courage ! On les aura ! »2597

Général PÉTAIN (1856-1951), derniers mots de l’Ordre du jour, 10 avril 1916. Verdun, 1914-1918 (1996), Alain Denizot

Commandant de la IIe armée, il prend la direction des opérations après la première offensive allemande, réorganise le commandement et le ravitaillement des troupes par la Voie sacrée (qui relie Verdun à Bar-le-Duc). L’équilibre des forces est rétabli et la brèche colmatée. Il redonne confiance aux « poilus » et même s’il n’obtient pas les renforts demandés, il impose que les troupes soient périodiquement remplacées - système du « tourniquet » en vertu de quoi 70 % de l’armée française a « fait » Verdun.

Dix mois de batailles de tranchées, chaque jour 500 000 obus de la Ve armée allemande pour « saigner à blanc l’armée française », 80 % des pertes venant de l’artillerie. Chaque unité perdra plus de la moitié de ses effectifs – 162 000 morts et 216 000 blessés, côté français. La saignée est comparable, chez l’ennemi.

Dans l’« enfer de Verdun » - le mot est juste -, la résistance française devient aux yeux du monde un exemple d’héroïsme et de ténacité, demeurant une page de l’histoire de France et un symbole pour des générations. Cependant que Pétain reste comme le vainqueur de Verdun. Mais pour « avoir » ainsi les Allemands, la guerre d’usure a dépassé les forces physiques, morales et militaires du pays.

« Ce ne sont pas des soldats : ce sont des hommes. Ce ne sont pas des aventuriers, des guerriers, faits pour la boucherie humaine […] Ce sont des laboureurs et des ouvriers qu’on reconnaît dans leurs uniformes. Ce sont des civils déracinés. »2576

Henri BARBUSSE (1873-1935), Le Feu, journal d’une escouade (1916)

Engagé volontaire, il témoigne sur la vie des tranchées – prix Goncourt en 1917. Idéaliste exalté, militant communiste bientôt fasciné par la révolution russe de 1917, il se rend plusieurs fois à Moscou où il meurt. Le roman soulèvera nombre de protestations : en plus du document terrible sur le cauchemar monotone de cette guerre, les aspirations pacifistes transparaissent.

La voie est étroite entre le « bourrage de crânes » et la censure qui « doit supprimer tout ce qui tend à surexciter l’opinion ou à affaiblir le moral de l’armée ou du public », deux phénomènes propres à toute guerre, mais plus accentués dans ce conflit qui s’éternise sur quatre ans. Le journal d’opposition de Clemenceau, L’Homme libre, est devenu L’Homme enchaîné au début de la guerre : façon de dénoncer la censure, d’ailleurs justifiée – en 1870, on a dit que des batailles furent perdues simplement parce que l’ennemi a su lire nos journaux !

« La guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires. »2579

Georges CLEMENCEAU (1841-1929). Soixante Années d’histoire française : Clemenceau (1932), Georges Suarez

À 76 ans, il est appelé à la tête du gouvernement et en dernier recours par le président Poincaré (16 novembre 1917). Plus question de laisser carte blanche au général en chef ! À la tête d’une France fatiguée, divisée, à bout de nerfs et de guerre, et devenue défaitiste par lassitude, il saura imposer son autorité à l’armée comme au pays et méritera son nouveau surnom de Père la Victoire.

« Sur le front, les soldats voyaient apparaître un vieil homme au feutre en bataille, qui brandissait un gourdin et poussait brutalement les généraux vers la victoire. C’était Georges Clemenceau. »2605

André MAUROIS (1885-1967), Terre promise (1946)

L’auteur des Silences du colonel Bramble (1918), agent de liaison auprès de l’armée britannique, évoque ses souvenirs dans ce livre dont le succès décidera de sa carrière d’écrivain.

Clemenceau, moins terrible que sa légende de Tigre, recherche le contact avec les poilus des tranchées qui l’appellent affectueusement et simplement le Vieux. Le « vieux Gaulois acharné à défendre le sol et le génie de notre race », auquel de Gaulle rend hommage dans ses Discours et messages, va restaurer la confiance dans le pays. Après s’être battu pour l’amnistie des Communards, contre la colonisation de Jules Ferry, contre Boulanger et le boulangisme, pour Dreyfus et avec Zola, pour la laïcité de l’État, pour l’ordre et contre les grèves, Clemenceau va mener son dernier grand combat national.

« Ma formule est la même partout. Politique intérieure ? Je fais la guerre. Politique étrangère ? Je fais la guerre. Je fais toujours la guerre. »2606

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Chambre des députés, 8 mars 1918. Le Véritable Clemenceau (1920), Ernest Judet

Il s’exprime à la tribune : « Moi aussi j’ai le désir de la paix le plus tôt possible et tout le monde la désire, il serait un grand criminel celui qui aurait une autre pensée, mais il faut savoir ce qu’on veut. Ce n’est pas en bêlant la paix qu’on fait taire le militarisme prussien. »

La situation est de nouveau grave : l’Allemagne, sur le front ouest, a reçu le renfort des 700 000 hommes libérés du front russe (après l’armistice des Soviets). Hindenburg et Ludendorff vont déclencher la grande bataille de France, sans attendre que l’Entente (France et Angleterre) reçoive la suite des renforts américains, prévus pour juillet.

« Honneur à nos grands morts […] Grâce à eux, la France, hier soldat de Dieu, aujourd’hui soldat de l’humanité, sera toujours soldat de l’idéal. »2613

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Discours écrit et parlé à la Chambre des députés, 11 novembre 1918. Histoire de la Troisième République (1979), Paul Ducatel

Pour la France, c’est le Père la Victoire, qui lui a donné le courage de vaincre. Pour les Alliés, la France qui a fourni l’effort de guerre essentiel ressort auréolée d’un immense prestige.

« Madelon, ah ! verse à boire, / Et surtout, n’y mets pas d’eau,
C’est pour fêter la victoire, / Joffre, Foch et Clemenceau. »2616

Lucien Boyer (1876-1942), paroles, et Charles Borel-Clerc (1879-1959), musique, La Madelon de la victoire (1918), chanson. Chansons de la revanche et de la Grande Guerre (1985), Madeleine Schmid

Cette chanson à boire éclipse presque l’autre Madelon. Clemenceau (ou plutôt l’administration) confond d’ailleurs les deux, quand il décore par erreur Lucien Boyer de la Légion d’honneur, le prenant pour l’auteur de Quand Madelon. Créée par Rose Amy et reprise par Maurice Chevalier, La Madelon de la victoire devient mondialement célèbre : « Après quatre ans d’espérance / Tous les peuples alliés / Avec les poilus de France / Font des moissons de lauriers […] / Madelon, emplis mon verre / Et chante avec les poilus / Nous avons gagné la guerre / Hein, crois-tu qu’on les a eus ! »

ENTRE-DEUX-GUERRES

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »2618

Paul VALÉRY (1871-1945), La Crise de l’esprit (1919)

Citation référentielle devenue un classique du genre, c’est d’abord le symbole de cette époque : l’angoisse de l’intellectuel qui dépasse largement l’horizon d’un après-guerre et d’un pays.

Dès la paix revenue, Valéry, l’un des esprits les plus lucides, lance ce cri d’alarme qui trouve un grand écho. « Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulés à pic avec tous leurs hommes et leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences […] Mais ces naufrages, après tout, n’étaient pas notre affaire. Élam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues […] Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. »

« Sans doute faut-il incriminer d’abord les institutions qui, d’avance, détruisent les chefs. Nul régime n’aura, autant que le nôtre, usé d’individus plus rapidement. »2624

François MAURIAC (1885-1970), Mémoires politiques (1967)

L’écrivain engagé écrit ces mots en juillet 1933 : valse des gouvernements, crédibilité du régime entamée dans l’opinion, d’où ce procès de la politique sous cette République frappée d’impuissance. Selon André Tardieu, on a « substitué la souveraineté parlementaire à la souveraineté populaire ». Le journal Ordre nouveau se déchaîne en février 1934 (époque de l’affaire Stavisky) : « Il n’y a plus de politique ; il n’y a plus que des politiciens, six cents bavards soit inconscients, soit trop malins, toujours impuissants. Élire un député signifie trop souvent aujourd’hui donner l’impunité parlementaire à un escroc, un receleur, un dangereux imbécile. » On reconnaît le « tous pourris » devenu plus tard slogan délétère et plus ou moins populiste.

« Il n’est pas une idée née d’un esprit humain qui n’ait fait couler du sang sur la terre. »2627

Charles MAURRAS (1868-1952), La Dentelle du rempart (1937)

Une des leçons de l’histoire, de France, d’ailleurs et de toujours, qui prend une vérité plus dramatique au cœur du XXe siècle où la guerre des idéologies l’emporte sur la guerre des patries. Les statistiques ne comptent plus par milliers, mais par millions les victimes des « ismes » : hitlérisme, fascisme, stalinisme, communisme.

« Le Français se fait rare. »2629

Jean GIRAUDOUX (1882-1944), 1939. Le Siècle des intellectuels (1997), Michel Winock

Autre sujet d’angoisse, la dénatalité : après les coupes sombres de la guerre de 1914-1918 (1,4 million de morts ou disparus), la population diminue, fait sans précédent dans les annales d’un pays industrialisé. Conséquence des retombées de la grande crise économique de 1929 qui augmente le chômage, défaut de politique du logement et de la famille, émancipation féminine, toutes ces causes possibles se greffent sur un trend malthusien et le renforcent. On peut parler de catastrophe nationale, si on compare les populations de la France et de l’Allemagne en 1939 : 41 millions face à 70 millions ! La démographie risque de faire la loi à la démocratie.

« Si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons. »2630

Paul VALÉRY (1871-1945), Regards sur le monde actuel, « Fluctuations sur la liberté » (1938)

Observateur toujours lucide des problèmes qui se font drames de ce temps, notre « poète d’État » se refuse à tout engagement politique, mais tire (dans cet ensemble de textes rédigés à partir de 1930) une autre leçon de l’histoire. Le dilemme est d’autant plus terrible que la faiblesse des démocraties fait la force des dictatures à nos portes.

« Faisons donc la grève, camarades ! la grève des ventres. Plus d’enfants pour le Capitalisme, qui en fait de la chair à travail que l’on exploite, ou de la chair à plaisir que l’on souille ! »2637

Nelly ROUSSEL (1878-1922), La Voix des femmes, 6 mai 1920. Histoire du féminisme français, volume II (1978), Maïté Albistur, Daniel Amogathe

Rares sont les féministes aussi extrêmes que cette journaliste marxiste, militante antinataliste en cette « Journée des mères de familles nombreuses ». Le féminisme, revendiquant des droits pour une catégorie injustement traitée, se situe logiquement à gauche dans l’histoire. Mais, du seul fait de la guerre, la condition des femmes a changé.

Devenues majoritaires dans le pays, avec un million de veuves de guerre et plusieurs millions de célibataires, elles ont pris l’habitude d’occuper des emplois jadis réservés aux hommes et d’assumer des responsabilités nouvelles. De tels acquis sont irréversibles. Le droit, la médecine, la recherche, le sport leur ouvrent enfin de vrais débouchés. Les femmes entreront au gouvernement à la faveur du Front populaire de 1936, dans le ministère Blum. Mais elles n’ont toujours pas de droit de vote.

« Je suis communiste parce que cela me dispense de réfléchir. »2643

Frédéric JOLIOT-CURIE (1900-1958). La Politique en citations : de Babylone à Michel Serres (2006), Sylvère Christophe

Position radicale – et radicalement différente d’Anatole France et Romain Rolland. Ce grand scientifique (prix Nobel de chimie avec sa femme, en 1935) sera membre actif du Parti communiste, à partir de 1942.

« À bas la Marianne, la fille à Bismarck,
La France est à nous, la France de Jeanne d’Arc. »2646

Me MAGNIER (fin XIXe-début XXe siècle), Quand on pendra la gueuse au réverbère, chanson

Jeanne d’Arc, héroïne référentielle n°1 de notre Histoire, relancée par Jules Michelet au XIXe siècle. Cette chanson écrite en 1909, signée d’un avocat à la cour d’appel de Paris et très en vogue chez les Camelots du roi dans l’entre-deux-guerres, met en scène la République traitée de « gueuse », femme de mauvaise vie. Il est aussi question de régler leur compte aux « youpins » (juifs), aux « métèques » (étrangers) et aux francs-maçons, à Briand, Painlevé, Doumergue et autres politiciens honnis par l’extrême droite. Maurras le maître à penser prône le nationalisme intégral dont la violence répond d’ailleurs à celle des militants de gauche.

« Nous sommes les soldats du franc et nous nous ferons tuer dans la tranchée pour le franc. »2651

Stéphane Adolphe DERVILLÉ (1848-1925), président du Conseil de régence de la Banque de France, novembre 1925. Vingt ans de vie politique, 1918-1938 (1969), Georges Bonnet

Autre symbole référentiel, la monnaie nationale (bien avant l’euro). Belle déclaration, après l’exposé du ministre du Budget Georges Bonnet, jeune radical féru de réforme et venu présenter son projet de politique financière. Le gouvernement Painlevé (également ministre des Finances) a proposé un plan de redressement financier comportant, entre autres, la consolidation des bons du Trésor – ce qui évitera de les rembourser. Mais la gauche radicale redoute les aventures financières. Le gouvernement tombe – une habitude sous la Troisième. Et le franc est véritablement en danger – ce qui est plus grave, en raison de l’inflation.

« Moi, je dis que la France […] ne se diminue pas, ne se compromet pas, quand, libre de toutes visées impérialistes et ne servant que des idées de progrès et d’humanité, elle se dresse et dit à la face du monde : « Je vous déclare la Paix ! » »2655

Aristide BRIAND (1862-1932), Paroles de paix (1927)

10 décembre 1926, le « Pèlerin de la Paix », surnommé aussi « l’Arrangeur » pour son aptitude à trouver à tout problème une solution de compromis, plus de vingt fois ministre (notamment aux Affaires étrangères), reçoit le prix Nobel de la paix – avec son homologue allemand, Gustav Stresemann.

À l’inverse de Poincaré qui (avec le président Doumergue) incarne la fermeté face à l’Allemagne, Briand croit à la réconciliation, au désarmement, au droit international et à la Société des nations (SDN) garante de la paix. Après le pacte de Locarno d’octobre 1925 qui garantit les frontières fixées au traité de Versailles, il salue l’entrée de l’Allemagne au sein de la SDN.

« Voilà ce qu’est le pacte de Paris. Il met la guerre hors la loi. Il dit aux peuples : la guerre n’est pas licite, c’est un crime. La nation qui attaque une autre nation, la nation qui déclenche ou déclare la guerre, est une criminelle. »2658

Aristide BRIAND (1862-1932), Chambre des députés, 1er mars 1929. La Mêlée des pacifistes, 1914-1945 (2000), Jean-Pierre Biondi

Ministre des Affaires étrangères lyrique pour présenter à l’Assemblée le pacte Briand-Kellogg du 27 août 1928 qu’il a conçu avec son homologue américain Billings Kellogg, couronné à son tour par le Nobel de la Paix à la fin de cette année. Au terme du traité signé à Paris, 15 pays (bientôt suivis par 48 autres, y compris l’Allemagne, le Japon et l’URSS) condamnent la guerre « comme instrument de la politique nationale ».

Malheureusement, nulle sanction n’est prévue en cas d’infraction ! Hitler, auteur de Mein Kampf (1924), ne cache  rien de l’Ordre nouveau qu’il veut imposer à l’Europe. Il organise déjà le parti nazi (Parti national-socialiste ouvrier), créant les SS (police militarisée). Le krach de Wall Street, ce « Jeudi noir » du 24 octobre 1929 où les valeurs boursières s’effondrent, avant d’entraîner l’économie mondiale dans la tourmente, ruine les rêves de paix et favorise l’arrivée d’Hitler au pouvoir. C’en est bientôt fini de l’ère Briand.

« Être patriote, et être Français, en 1932, c’est vivre crucifié. La France est en pleine décomposition. »2659

Henry de MONTHERLANT (1895-1972), Carnets, 1930-1944 (1957)

Fervent lecteur de Barrès, patriote sans être pour autant nationaliste, adversaire déclaré de l’Allemagne nazie, mais soupçonné ensuite de collaboration, Montherlant est moins politiquement engagé que la plupart de ses confrères. Il est surtout lucide, dans son pessimisme hautain.

La France est malade de la crise économique mondiale qui l’atteint avec retard. La bataille politique perturbe un régime parlementaire a l’instabilité ministérielle chronique. L’affaire Oustric (banquier spéculateur) a provoqué un scandale financier qui implique diverses personnalités politiques. Les accords de Lausanne (juillet 1932) entérinent le renoncement de la France aux réparations allemandes… Et le nouveau président de la République, Paul Doumer, est victime d’un attentat commis par un émigré russe, le 6 mai 1932.

« Comme chef de l’État, deux choses lui avaient manqué : qu’il fût un chef ; qu’il y eût un État. »2662

Charles de GAULLE (1890-1970), à propos d’Albert Lebrun, Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959)

Albert Lebrun est élu président de la République en 1932, après l’assassinat de Doumer et au terme d’un parcours politique typique de cette Troisième République.

Personnage insignifiant face à la tragédie de la guerre qui commence en 1939 sous son second septennat, il a déjà été dépassé par les événements du premier : retombées de la crise économique de 1929, montée du fascisme et du nazisme en Europe, nouveaux scandales financiers (dont l’affaire Stavisky), agitation politique et sociale à épisodes. Homme de centre-droit, il doit coexister avec un gouvernement d’union nationale après les événements sanglants du 6 février 1934 et avec le Front populaire de Léon Blum, signant « la mort dans l’âme » les grands textes de cette majorité politique.

« On a ri longtemps de ce mélodrame où l’auteur faisait dire à des soldats de Bouvines : « Nous autres, chevaliers de la guerre de Cent Ans ». C’est fort bien fait, mais il faut donc rire de nous-mêmes : nos jeunes gens s’intitulaient « génération de l’entre-deux-guerres » quatre ans avant l’accord de Munich. »2668

Jean-Paul SARTRE (1905-1980), Situations II (1948)

Double référence et jeu des chrononymes toujours évocateurs en effet-miroir.

Les « accords de Munich », ce sera octobre 1938. Quatre ans plus tôt, l’Europe assiste à la montée au pouvoir d’Hitler. Autrichien naturalisé allemand, porté au pouvoir par la crise économique des années 1930 qui jette les millions d’ouvriers chômeurs et de petits rentiers ruinés vers les partis extrêmes, manipulant l’armée et les puissances financières, devenant chancelier du Reich le 30 janvier 1933, puis Führer, maître absolu, dictateur en 1934. Plébiscité, promettant à son pays de le libérer du « Diktat » de Versailles, mais lui annonçant déjà de gros sacrifices en échange : « Des canons plutôt que du beurre. »

« Transformer le monde, a dit Marx. Changer la vie, a dit Rimbaud. Ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu’un. »2669

André BRETON (1896-1966), Position politique du surréalisme, Discours au Congrès des écrivains (1935)

Autre assaut de références littéraires. La politisation du surréalisme explique son éclatement. Le « pape » du mouvement, André Breton au Parti communiste depuis 1927, a entraîné nombre de camarades, mais il rompt en 1935. Les poètes Paul Éluard et Louis Aragon demeureront fidèles à l’engagement et au communisme.

Être ou ne pas être communiste, l’être ou ne pas l’être inconditionnellement, telles sont les questions que se posent nombre d’artistes et d’intellectuels, dans l’entre-deux-guerres. La guerre à venir, l’attitude de la Russie soviétique et la Résistance vont bouleverser les données du problème.

« Les banques, je les ferme, les banquiers, je les enferme. »2677

Vincent AURIOL (1884-1966), ministre des Finances, Front Populaire, 1936. Histoire vivante du Front populaire, 1934-1939 (1966), Jean Grandmougin

Avocat et expert financier de la SFIO avant de devenir caution bourgeoise sous la prochaine République, Auriol apparaît à nombre de Français comme un parangon de la révolution, en 1936.

Après la victoire des gauches unies se déclenche, par génération spontanée plus que par mouvement organisé, une vague nationale de grèves qui se propage de la métallurgie (usine Bréguet du Havre) aux industries chimiques, textiles, au bâtiment, aux grands magasins. Grèves sur le tas, occupations d’usines toujours pacifiques, mais qui terrifient le patronat. Ces conflits d’un nouveau style frappent tous les contemporains. Sans consignes syndicales, le but des grévistes est d’obtenir sur-le-champ les avantages sociaux promis par le Front populaire, aventure référentielle pour la France en général et la gauche en particulier.

« Il est revenu un espoir, un goût du travail, un goût de la vie. »2681

Léon BLUM (1872-1950), constat du chef du gouvernement, 31 décembre 1936. Histoire de la France : les temps nouveaux, de 1852 à nos jours (1971), Georges Duby

« … La France a une autre mine et un autre air. Le sang coule plus vite dans un corps rajeuni. Tout fait sentir qu’en France, la condition humaine s’est relevée. » Georges Duby confirme dans son Histoire de la France : « Le Front populaire, ce n’est pas seulement un catalogue de lois ou une coalition parlementaire. C’est avant tout l’intrusion des masses dans la vie politique et l’éclosion chez elle d’une immense espérance. Il y a une exaltation de 1936 faite de foi dans l’homme, de croyance au progrès, de retour à la nature, de fraternité qu’on retrouve aussi bien dans les films de Renoir que dans ce roman de Malraux qui relate son aventure espagnole et justement s’appelle L’Espoir. »

« Les grandes manœuvres sanglantes du monde étaient commencées. »2684

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

Prémonition étonnante de l’auteur maître de la référence historique et symbolique à commencer par le Christ, « anarchiste qui a réussi », mais également acteur de l’Histoire : l’écrivain aventurier s’est engagé aux côtés des républicains qui combattent au cri de «  Viva la muerte  » dans cette guerre civile qui va durer trois ans et servir de banc d’essai aux armées fascistes et nazies. Contrairement à ses confrères qui ont cru à la paix du monde, Malraux, des Conquérants (1928) à L’Espoir (1937), en passant par La Condition humaine (prix Goncourt 1933) se fait l’écho fidèle et prémonitoire de ce temps d’apocalypse. Lui-même devient un héros révolutionnaire à l’image des héros de ses livres.

Nous ferons la paix […] avec le diable s’il le faut.2695

Slogan des pacifistes. Notre Front populaire (1977), Claude Jamet

Reflet du pacifisme viscéral du pays, de l’opinion publique : sentiment né de la dernière guerre, des hécatombes qui ont touché la plupart des familles. C’est l’une des raisons de l’effondrement de la diplomatie française dans l’entre-deux-guerres : « Jusqu’en 1939, la politique extérieure de la France ne fut plus qu’une suite d’abandons : évacuation de la Ruhr, suppression du contrôle militaire, abandon des réparations, évacuation anticipée de la Rhénanie […] L’Allemagne libérée devint menaçante » (Pierre Gaxotte, Histoire des Français).

« La France et l’Angleterre doivent désormais résister à toute nouvelle exigence de Hitler. »2702

Avis de 70 % des Français, selon un sondage de décembre 1938. Histoire de la France au XXe siècle, volume II (2003), Serge Berstein, Pierre Milza

Premier fait, de nature politique : le revirement de l’opinion publique. En septembre, 57 % des Français étaient encore favorables aux accords de Munich. Mais la montée de l’hitlérisme est mieux saisie et la bourgeoisie a moins peur de la révolution, après l’échec syndical de la CGT (mot d’ordre de grève générale non suivi, en novembre).

Autre fait, de société : l’apparition des sondages d’opinion publique en France – nés aux USA, fin 1936, à l’initiative d’un journaliste et statisticien, George Horace Gallup, fondateur de l’institut éponyme. D’août 1938 à juillet 1939, il y a près de trente sondages sur l’opinion face aux problèmes extérieurs (gravissimes) : une source d’information devenue indispensable.

« Ayez l’armée de votre politique ou la politique de votre armée. »2707

Paul REYNAUD (1878-1966). La Vie en plus (1981), Alfred Sauvy

Ministre des Finances en novembre 1938, il s’adresse aux députés. Dès 1935, devant la montée des périls, il voulait renforcer notre armée, adoptant les idées (prémonitoires) du lieutenant-colonel de Gaulle sur les blindés qui font la force de l’Allemagne. Mais il était isolé et de Gaulle inconnu. Autre argument, la France a conclu un pacte d’alliance avec la Pologne et la Tchécoslovaquie. Pour tenir ses engagements, il lui faut une armée offensive, sinon elle doit avoir la loyauté de renoncer au pacte.

Grâce à sa politique financière et à une conjoncture économique internationale favorable, la France est sortie de la crise, la bourgeoisie est rassurée. Il fait adopter une augmentation des impôts pour accroître les dépenses militaires.

L’Allemagne envahit la Pologne le 1er septembre 1939. Le 2, la Chambre et le Sénat vont voter à mains levées et à l’unanimité un crédit extraordinaire de 69 milliards pour « faire face aux obligations résultant de la Défense nationale » : cela signifie que la guerre va être déclarée.

Vous avez aimé ces citations commentées ?

Vous allez adorer notre Histoire en citations, de la Gaule à nos jours, en numérique ou en papier.

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

Partager cet article

L'Histoire en citations - Gaule et Moyen Âge

L'Histoire en citations - Renaissance et guerres de Religion, Naissance de la monarchie absolue

L'Histoire en citations - Siècle de Louis XIV

L'Histoire en citations - Siècle des Lumières

L'Histoire en citations - Révolution

L'Histoire en citations - Directoire, Consulat et Empire

L'Histoire en citations - Restauration, Monarchie de Juillet, Deuxième République

L'Histoire en citations - Second Empire et Troisième République

L'Histoire en citations - Seconde Guerre mondiale et Quatrième République

L'Histoire en citations - Cinquième République

L'Histoire en citations - Dictionnaire