Citations référentielles : le miroir de l’Histoire (Seconde Guerre mondiale, Quatrième République) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Les citations « référentielles » (inspirées du système des coordonnées en physique) renvoient à un personnage, un événement, une théorie ou une opinion, voire une autre citation en effet miroir. Bref, à tout ce qui fait date et sens dans notre histoire où le récit national côtoie parfois le roman.

Elles se présentent sous diverses formes : slogans, appels, discours, chansons, épitaphes, textes de loi, presse (titres ou extraits d’articles), poèmes, chroniques, mémoires, lettres, pamphlets et autres sources. À la limite, toutes les bonnes citations ont vocation à devenir référentielles, si elles trouvent écho au-delà de leur époque pour devenir patrimoniales.

Elles démontrent que l’Histoire de France a vocation pour servir de référence - jamais assez, jamais trop - étant notre lien, notre identité, en même temps que l’indispensable recul pour juger de l’actualité politique.

Elles doivent être contextualisées, commentées – ça tombe bien, telle est la règle de notre Histoire en citations dont elles sont toutes tirées.

La chronologie s’impose au fil de cet édito en 10 épisodes (et 23 époques) qui renvoient aux Chroniques, de la Gaule à nos jours.

SECONDE GUERRE MONDIALE

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« Vaincre, c’est tout sauver, succomber, c’est perdre tout. »2737

Paul REYNAUD (1878-1966), présentant le nouveau gouvernement à la Chambre, 22 mars 1940. Histoire politique de la Troisième République : la course vers l’abîme, volume VII (1967), Georges Bonnefous

Le gouvernement Daladier, accusé de mollesse dans la conduite de la guerre, est tombé. Paul Reynaud (inclassable politiquement et lié à de Gaulle) devient président du Conseil et ministre des Affaires étrangères… mais il prend Daladier à la Défense nationale, dans la plus pure tradition d’une Troisième République dont Lebrun est le président tout aussi traditionnellement inexistant. Dernier gouvernement du régime, il va tenir trois mois.

Paul Reynaud semble soudain l’homme de la situation, clairement analysée comme une suite de la Première Guerre mondiale avec des accents gaulliens : « La France est engagée dans la guerre totale. Par le fait même, l’enjeu de cette guerre totale est un enjeu total. Vaincre, c’est tout sauver… »

Et il part à Londres, pour signer avec notre allié anglais le pacte du 28 mars : ni traité ni armistice séparé.

« Je n’ai rien à offrir que du sang, de la sueur et des larmes. »2739

Winston CHURCHILL (1874-1965), Chambre des Communes, 13 mai 1940. Du sang, de la sueur et des larmes (posthume), Discours de Winston Churchill

Premier discours du nouveau Premier ministre anglais : le 10 mai, il a pris la tête d’un vrai gouvernement de coalition (conservateurs, libéraux et travaillistes) et témoigne d’une volonté de fer qui, heureusement pour la France et la suite de l’histoire, ne faiblira jamais.

De Gaulle juge vite et bien l’homme qui sera son allié numéro un : « Winston Churchill m’apparut, d’un bout à l’autre du drame, comme le grand champion d’une grande entreprise et le grand artiste d’une grande Histoire » (Mémoires de guerre, L’Appel).

« Je survole donc des routes noires de l’interminable sirop qui n’en finit plus de couler. On évacue, dit-on, les populations. Ce n’est déjà plus vrai. Elles s’évacuent d’elles-mêmes. Il est une contagion démente dans cet exode. Car où vont-ils, ces vagabonds ? Ils se mettent en marche vers le sud, comme s’il était là-bas des logements et des aliments […] L’ennemi progresse plus vite que l’exode. »2743

Antoine de SAINT-EXUPÉRY (1900-1944), Pilote de guerre (1942)

Ils seront près de 12 millions, réfugiés de tous âges, toutes conditions, fuyant l’invasion venue du nord, mais qui les rattrape, qui est maintenant partout. Ces flots, ces fleuves humains gênent les dernières résistances et paralysent les voies de communication – le commandement allemand, en semant la panique, a encouragé l’exode.

« Oui, papa, nous voilà : vingt mille types qui voulaient être des héros et qui se sont rendus sans combattre en rase campagne. »2744

Jean-Paul SARTRE (1905-1980), La Mort dans l’âme (1940)

Il y a eu des combats et il reste des poches de résistance, mais l’ampleur et la rapidité de la débâcle française surprirent tout le monde, même l’armée allemande.

« Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur. »2750

Maréchal PÉTAIN (1856-1951), Allocution à la radio, 17 juin 1940. De la chute à la libération de Paris (1965), Emmanuel d’Astier

Nommé président du Conseil des ministres par le président de la République Albert Lebrun, le vieil homme rallie à sa personne et au symbole qu’elle incarne l’immense majorité du pays. Le sauveur de la France à Verdun semble le seul recours pour lui éviter le pire. « C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. » Il s’adresse aux troupes, du moins à ce qu’il en reste, et fait transmettre à Hitler une demande d’armistice : Pétain est persuadé que l’Angleterre ne s’obstinera pas dans un vain combat, que la paix est proche et lui permettra de restaurer l’ordre. La logique de la résistance incarnée par de Gaulle est exactement inverse.

« La vieillesse est un naufrage. Pour que rien ne nous fût épargné, la vieillesse du maréchal Pétain allait s’identifier avec le naufrage de la France. »2708

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954).

Citation référentielle parmi les plus connues et chargées de sens.

1939-1945. La France vit l’une des pages les plus dramatiques de son histoire : guerre et défaite, occupation de son territoire, pillage de ses ressources, destructions, hécatombes. En 1940, le recours au maréchal Pétain, héros de la Première Guerre mondiale, mais vieillard de 84 ans, va se révéler le pire des pièges et le pays se divise dans une autre guerre fratricide.

« Devant la confusion des âmes françaises, devant la liquéfaction d’un gouvernement tombé sous la servitude ennemie, devant l’impossibilité de faire jouer nos institutions, moi, général de Gaulle, soldat et chef français, j’ai conscience de parler au nom de la France. »2756

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel à la BBC, 19 juin 1940. De Gaulle (1964), François Mauriac

L’Appel du 18 juin est suivi de bien d’autres qui vont toucher des Français de plus en plus nombreux à se vouloir libres. Mauriac est l’un des premiers gaullistes à se placer dans le camp de la résistance intellectuelle. Cet essai sur le général de Gaulle (et sur le futur président de la Cinquième République) met en scène le « plus illustre des Français » en mêlant passion et raison.

« Un fou a dit « Moi, la France » et personne n’a ri parce que c’était vrai. »2709

François MAURIAC (1885-1970). Encyclopædia Universalis, article « France »

Simple général de brigade à titre temporaire, Charles de Gaulle en 1940, absolument seul et contre le destin, refuse la défaite entérinée par le gouvernement légal de la France face à l’Allemagne nazie, continue la lutte dans l’Angleterre toujours en guerre, mobilise des résistants, combattants français de plus en plus nombreux à entendre cette autre voix de la France parlant espoir et grandeur, se fait reconnaître non sans peine des Alliés, déchaîne des haines et des passions également inconditionnelles et permet à la France d’être présente au jour de la victoire finale.

« J’ai été avec vous dans les jours glorieux. Chef du gouvernement, je suis et je resterai avec vous dans les jours sombres. Soyez à mes côtés. Le combat reste le même. Il s’agit de la France, de son sol, de ses fils. »2757

Maréchal PÉTAIN (1856-1951), Conclusion de l’appel lancé à la radio, 20 juin 1940. Pétain et les Allemands (1997), Jacques Le Groignec

L’autre voix de la France parle aux Français, pas encore vraiment déchirés entre les deux : cette radio-là est bien plus écoutée. Pétain dénonce les causes de la défaite et son constat n’est pas discutable : « Trop peu d’enfants, trop peu d’armes, trop peu d’alliés. » Tel un père sévère, le vieux maréchal fait aussi la morale : « Depuis la victoire [de 1918], l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on a servi. On a voulu épargner l’effort. » L’armistice sera signé le 22 juin, à Rethondes, très symboliquement dans le wagon où le maréchal Foch imposa à l’Allemagne vaincue les clauses de l’armistice du 11 novembre 1918. Il prend effet le 25.

« Le gouvernement de Sa Majesté reconnaît le général de Gaulle comme chef de tous les Français libres, où qu’ils se trouvent, qui se rallient à lui pour la défense de la cause alliée. »2761

Winston CHURCHILL (1874-1965), Déclaration du 28 juin 1940, communiqué publié dans la presse anglaise le même jour. Histoire politique de la Troisième République : la course vers l’abîme, volume VII (1967), Georges Bonnefous

Seule nation encore en guerre, la Grande-Bretagne est la première à cautionner l’action de ce général, d’ailleurs ramené au grade de colonel et mis à la retraite par mesure disciplinaire le 24 juin, qui dit être la France, alors qu’il est encore bien seul ! Churchill, chef du gouvernement, force le destin avec lui, tandis que René Cassin, juriste qui a rejoint de Gaulle ce 28 juin, va l’aider à rédiger la Charte de la France libre.

« La légitimité est le mot clé des époques difficiles. »2762

Michel DEBRÉ (1912-1996), Ces princes qui nous gouvernent (1957)

Inconditionnel du général de Gaulle comme Malraux, et résistant de la première heure, Debré comprend et partage le souci du général de refaire une France dans les règles du droit. En janvier 1960, au moment des barricades d’Alger – autre époque difficile –, de Gaulle, devenu président de la République, invoquera publiquement « la légitimité nationale que j’incarne depuis vingt ans ».

« C’est sous le triple signe du Travail, de la Famille et de la Patrie que nous devons aller vers l’ordre nouveau. »2763

Pierre LAVAL (1883-1945), « Réunion d’information » des députés, 8 juillet 1940. Soixante jours qui ébranlèrent l’Occident (1956), Jacques Benoist-Méchin

Après un long parcours politique, Laval entre dans le gouvernement Pétain installé à Vichy depuis le 3 juillet. Il a provisoirement le portefeuille de la Justice et manœuvre pour que Pétain obtienne les pleins pouvoirs.

On travaille à réviser la Constitution : le slogan trinitaire hérité de la Révolution de 1789 – Liberté, Égalité, Fraternité – est trop républicain et remplacé par cette autre trilogie : Travail, Famille, Patrie. Tout l’esprit de révolution nationale du régime de Vichy est dans ces mots et la loi constitutionnelle du 10 juillet en prend acte : « Cette Constitution doit garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. »

« Seul, le maréchal peut réaliser l’union de la France, c’est un drapeau, un drapeau un peu taché, un peu souillé, mais c’est un drapeau tout de même. »2765

Général WEYGAND (1867-1965), à Stanislas Mangin venu lui demander de se rallier aux Forces françaises libres, été 1940. Tout est bien (1989), Roger Stéphane

Weygand daubait sur « Vichy qui se roule dans la défaite comme un chien dans la merde ». Pourtant, pas question pour l’ex-chef d’état-major français de se rallier à un mouvement né et entretenu à l’étranger avec de Gaulle.

La « perfide Albion » est encore plus haïe, par une France traditionnellement anglophobe, depuis le torpillage de la flotte française au mouillage dans la baie d’Oran, à Mers el-Kébir, le 3 juillet 1940 – pour éviter que la marine française passe à l’ennemi, plus de 1 300 marins étant tués dans l’attaque de la Royal Navy. Bien des Français passèrent alors à la collaboration.

Et Pétain rassure. Sa dictature teintée de paternalisme tend à refaire une France sur le modèle du passé, paysanne et chrétienne, dans un carcan corporatiste et hiérarchisé, avec appel aux valeurs traditionnelles : Travail, Famille, Patrie. « Maréchal, nous voilà… », chantent les enfants des écoles.

« Puisque ceux qui avaient le devoir de manier l’épée de la France l’ont laissé tomber brisée, moi, j’ai ramassé le tronçon du glaive. »2766

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution à la BBC, 13 juillet 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954), Charles de Gaulle

Encore un discours à la radio – puissant moyen de communication avant la télévision que de Gaulle, président de la République, utilisera avec un art consommé de la médiatisation.

Le chef de la France libre commence à être entendu. Le lendemain, 14 juillet, il n’y a pas de défilé militaire dans Paris occupé, alors que défilent à Londres les premiers « Français libres » (engagés dans les FFL, Forces françaises libres) : première manifestation officielle et symbolique, le général de Gaulle passe en revue 800 soldats. Ses effectifs sont alors d’environ 3 000 hommes.

« La France a perdu une bataille ! Mais la France n’a pas perdu la guerre ! »2767

Charles de GAULLE (1890-1970), Affiche placardée sur les murs de Londres le 3 août 1940. La France n’a pas perdu la guerre : discours et messages (1944), Charles de Gaulle

Phrase célèbre qui ne figure pas, comme on le dit souvent, dans l’Appel du 18 juin. C’est l’attaque d’une proclamation affichée le mois suivant dans la capitale du seul pays qui continue la lutte. Signé par le général de Gaulle depuis son QG situé 4 Carlton Garden à Londres, ce nouvel appel s’adresse « À tous les Français », militaires et civils, quelles que soient leur profession, leur origine sociale, et où qu’ils se trouvent.

Tirée à 1 000 exemplaires, l’affiche est placardée sur les murs de Londres et des grandes villes anglaises. Le slogan, surmonté de deux petits drapeaux croisés, devient célèbre. Saint-Exupéry, dans ses Écrits de guerre, se permet de rectifier : « Dites la vérité, Général, la France a perdu la guerre. Mais ses alliés la gagneront. »

« Mon empire vivra mille ans ! »2769

Adolf HITLER (1889-1945), dont l’empire vivra 12 ans (1933-1945). Les 100 personnages du XXe siècle (1999), Frank Jamet

Prophétie du « Reich de mille ans » : au-delà de la propagande nazie, le Führer est le nouveau messie pour un peuple humilié, avide de revanche.

Première visée, la France, l’ennemie mortelle et vaincue : elle subit la domination allemande des deux tiers de son territoire dans la zone occupée, avec une zone libre qui le sera de moins en moins. Les trois départements d’Alsace-Lorraine sont annexés, les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais réunis à la Belgique – envahie par les chars d’assaut lors de la Blitzkrieg (guerre éclair) et passée sous administration allemande, le 15 septembre 1940.

D’autres pays font les frais de cet impérialisme qui redessine la carte de l’Europe. En vertu du pacte tripartite signé le 27 septembre 1940, donnant à l’Allemagne, à l’Italie et au Japon le droit à l’« espace vital » dont chacun a besoin et par le jeu des empires coloniaux, c’est le monde que les trois dictateurs, Hitler, Mussolini et Hiro-Hito, veulent se partager. Cette guerre devait fatalement devenir mondiale. En un quart de siècle, « soixante-dix millions d’Européens, hommes, femmes et enfants, ont été déracinés, déportés et tués », écrira Albert Camus.

« Ici Londres ! Les Français parlent aux Français. »2770

Premiers mots des bulletins d’informations à la BBC, précédés des quatre premières notes de la Ve symphonie de Beethoven. Ici Londres, 1940-1944 : les voix de la liberté, volume V (1976), Jean-Louis Crémieux Brilhac

Rendez-vous biquotidiens depuis août 1940, à 12 h 25 et 20 h 25. Écouter la radio anglaise, interdite en zone occupée, se moquer de la censure, déjouer les brouillages, c’est déjà faire acte de résistance.

Les ondes anglaises apportent enfin de bonnes nouvelles : le Tchad se rallie à de Gaulle (26 août 1940), puis le Cameroun, le Congo, l’Oubangui, Tahiti. En septembre, Établissements français d’Océanie, Inde et Nouvelle-Calédonie vont suivre. Mais pas l’AOF (Afrique occidentale française) où de Gaulle rate son débarquement à Dakar (fin septembre). Pour la première fois, des Français (ralliés à de Gaulle, lui-même présent) se battent contre des Français (fidèles au gouvernement de Vichy). Les Britanniques, mal informés, sont à leur tour repoussés. Cet échec personnel, grave aux points de vue stratégique et diplomatique, est très mal vécu par le général de Gaulle qui poursuit malgré tout son action, toujours soutenu par l’allié anglais.

« J’entre aujourd’hui dans la voie de la collaboration. »2772

Maréchal PÉTAIN (1856-1951), Annonce faite aux Français, 30 octobre 1940. La Deuxième Guerre mondiale : chronologie commentée (1995), André Kaspi, Ralph Schor

Rencontre historique à Montoire, entre le chef de l’État français et le Führer du Reich allemand, le 24 octobre. Le vieil homme est-il dupe, ignorant que « la servitude n’engendre jamais qu’une plus grande servitude », comme dira de Gaulle ? Et que devait être cette « collaboration » dans son esprit déjà fatigué ? Simple routine administrative et économique déjà imposée dans les faits depuis l’armistice ? Collaboration plus poussée, politique, diplomatique, un jour même militaire, contre l’Angleterre ? Ou, plus grave, adhésion idéologique à la doctrine nazie dont nul ne peut plus ignorer les fatalités criminelles ? L’histoire ne le dit pas, et Pétain non plus.

Deux choses sont sûres. Il prend la responsabilité de son attitude : « Cette politique est la mienne […] c’est moi seul que l’histoire jugera. » Et il accentue la division des Français, renforçant les collaborateurs dans la voie de la collaboration (avec le Rassemblement national populaire, créé à Paris le 24 janvier 1941) et les résistants dans celle de la Résistance, encore diffuse, inorganisée, mais diverse, populaire et quotidienne.

« Maréchal, nous voilà ! / Devant toi, le sauveur de la France !
Nous jurons, nous tes gars / De servir et de suivre tes pas !
Maréchal, vous voilà ! / Tu nous as redonné l’espérance ! »2778

André Montagnard (1887-1963), paroles, et Charles Courtioux (1880-1946), musique, Maréchal, nous voilà, chanson

Chanson témoin d’une époque et reflet d’un régime, on la fait chanter aux enfants des écoles et elle passe quotidiennement à la radio, interprétée notamment par André Dassary, ce qu’on lui reprochera plus tard. La « collaboration » des artistes sous l’Occupation est un phénomène complexe : la plupart, auteurs, acteurs, chanteurs, réalisateurs, font un métier qu’ils aiment, avant d’aimer les Allemands.

« L’Angleterre, comme Carthage, sera détruite. »2780

Jean HÉROLD-PAQUIS (1912-1945), animateur vedette et titulaire de la chronique militaire du Radio-Journal de Paris, à partir de janvier 1942. L’Épuration des intellectuels (1996), Pierre Assouline

Il termine ainsi ses éditoriaux. Désinformation et propagande font partie du jeu de la guerre. Pas dupes, les Français scandent : « Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand. »

Hérold-Paquis, avant la guerre, a glissé de la droite catholique vers l’extrême droite. Engagé aux côtés des franquistes contre les républicains, durant la guerre d’Espagne, puis sympathisant nazi, il s’illustre dans la collaboration, invoquant le torpillage de la flotte française par les Anglais à Mers el-Kébir. Deux ans durant, après le journal du soir, il applaudit aux victoires de l’Axe (Berlin-Rome-Tokyo) et ridiculise l’action des Alliés. Son leitmotiv final rappelle une célèbre citation latine de Caton l’Ancien, sénateur romain terminant tous ses discours par : « Carthago delenda est » (« Carthage doit être détruite »).

Il fuit Paris en 1944 et se réfugie en Allemagne, poursuivant ses chroniques sur Radio Patrie. Arrêté en 1945, il sera condamné à mort et fusillé à 35 ans en octobre. Comme Laval, comme Brasillach.

« La guerre nazie est une répugnante affaire. Nous ne voulions pas y entrer ; mais nous y sommes et nous allons combattre avec toutes nos ressources. »2782

Franklin Delano ROOSEVELT (1882-1945), Déclaration du président des États-Unis, faisant suite à l’attaque sur Pearl Harbor du 7 décembre 1941. Comment Einstein a changé le monde (2005), Jean-Claude Boudenot

L’aviation et la flotte japonaises, sans déclaration de guerre, ont détruit la flotte américaine du Pacifique. C’est la chance des démocraties européennes qui vont avoir le plus puissant des alliés – mais pas le plus facile, surtout pour de Gaulle, peu apprécié du président américain.

« Comment voulez-vous que je fasse avec un homme qui se prend à la fois pour Jeanne d’Arc et Napoléon ! »2724

Franklin Delano ROOSEVELT (1882-1945). La Vie politique en France de 1940 à 1958 (1984), Jacques Chapsal

Le président américain n’éprouve pas la sympathie d’un Churchill pour le chef de la France libre qu’il soupçonne de populisme, voyant en lui un nouveau général Boulanger. De Gaulle devra se battre dans les coulisses de la guerre pour ne pas être systématiquement éliminé des opérations.

La référence américaine à ces deux personnages de l’histoire de France est pourtant juste : Napoléon est le grand homme de De Gaulle (avec César et Alexandre), cependant qu’il entretient avec la France un dialogue dont il fait souvent état dans ses Mémoires : « Je suis son fils qui l’appelle […] J’entends la France me répondre. »

« La mort ? Dès le début de la guerre, comme des milliers de Français, je l’ai acceptée. Depuis, je l’ai vue de près bien des fois, elle ne me fait pas peur. »2785

Jean MOULIN (1899-1943). Vies et morts de Jean Moulin (1998), Pierre Péan

Ayant refusé, comme préfet, la politique de Vichy et rejoint Londres à l’automne 1940, parachuté en France dans les Alpilles le 1er janvier 1942 comme « représentant du général de Gaulle », il a pour mission d’unifier les trois grands réseaux de résistants de la zone sud (Combat, Libération, Franc-Tireur). Rôle difficile, vue l’extrême diversité des sensibilités, tendances et courants ; action à haut risque qu’il paiera bientôt de sa vie. Pierre Brossolette qui agit dans la zone nord, lui aussi arrêté, se suicidera pour ne pas livrer de secrets sous la torture.

« Le général de Gaulle ne prétendait pas inventer la Résistance, mais l’incarner. »2711

Edgar FAURE (1908-1988), Oraison funèbre de Christian Fouchet à l’Assemblée nationale (1974)

« Il ne se proposait pas d’implanter dans l’âme populaire des opinions et des sentiments qui n’y auraient pas existé ; mais bien au contraire, de cette âme populaire et de ces réactions simples et droites, il entendait se faire l’interprète et en quelque sorte le restituer. »

Le phénomène de la Résistance est complexe et multiforme. D’abord extérieur, lancé de Londres par de Gaulle lors du fameux Appel, le lendemain du jour où Pétain, chef du gouvernement, accepte publiquement la défaite. Mais la Résistance, phénomène qui touche tous les pays, se fait très vite aussi intérieure – élan populaire, désordonné, « amateur », qu’il faut utiliser, « récupérer » au meilleur sens du mot. Contrôler, orienter, unifier la Résistance, telle sera l’une des missions du chef de la France libre et combattante. Quant aux relations entre de Gaulle et Jean Moulin, elles sont complexes, parfois conflictuelles et interprétées de façon différente selon les historiens.

« Sur mes cahiers d’écolier / Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige / J’écris ton nom […]
Et par le pouvoir d’un mot / Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître,  Pour te nommer / Liberté. »2788

Paul ÉLUARD (1895-1952), « Liberté », Poésie et Vérité (1942)

Cet hymne à la liberté, chef-d’œuvre de la poésie née de la Résistance, est répandu sur la France par les avions de la Royal Air Force. Éluard, comme Aragon, a choisi la voie de l’engagement politique et les rangs du Parti communiste dans les années 1930.

Depuis la rupture du pacte germano-soviétique, l’entrée dans la Résistance ne pose plus problème aux intellectuels et militants du PCF. Comme l’écrira Philip Williams en 1971 : « Dès lors que l’URSS est en danger, les « mercenaires de la Cité de Londres » deviennent du jour au lendemain « nos vaillants alliés britanniques », tandis que les gaullistes, de « traîtres », se transforment en « camarades ». »

« J’appartiens à ce peuple qu’on a souvent appelé élu… Élu ? Enfin, disons : en ballottage. »2791

Tristan BERNARD (1866-1947), Propos, conférence à Nice (1942)

Il faut un courage certain pour faire preuve publiquement d’humour juif, quand la « solution du problème juif », selon Hitler, se voit appliquer le terme sans équivoque de solution définitive.

Le statut discriminatoire des juifs, promulgué en septembre 1940 en zone occupée, est vite étendu à la zone sud, dite (momentanément) libre, et fortement aggravé en juin 1941. Le port de l’étoile jaune est imposé en juin 1942, les rafles se font systématiques dans les villes, les juifs sont parqués dans des camps, et déportés dans d’autres camps dont bien peu reviendront.  Durant la grande rafle du Vel’ d’Hiv’ à Paris (nuit du 16 au 17 juillet 1942), 13 000 juifs, hommes, femmes, enfants, sont arrêtés par la police française. Sur 8,3 millions de Juifs présents en 1939 dans les pays occupés par les nazis, 6 millions sont tués entre 1940 et 1945.

« Nous vivions dans la crainte, maintenant nous allons vivre dans l’espoir. »2802

Tristan BERNARD (1866-1947), à sa femme, dans le car de la Gestapo qui emmène le couple à Drancy, 1er octobre 1943. Le Nouvel Observateur, n° 1784 (14 janvier 1999), article de Françoise Giroud

Avec plus de cinquante pièces, vingt-cinq romans et mille traits d’esprit, il a fait rire trois générations. C’est l’esprit parisien, nuance humour juif. « Non seulement je suis juif, mais mes moyens me permettent de ne pas être israélite » dit l’auteur à succès. À 78 ans, il refuse d’écouter ceux qui l’avertissent du danger : « Comment voulez-vous qu’on fasse du mal à un Français qui est dans le dictionnaire ? »

Le couple sera sauvé par l’intervention de ses amis, Arletty et Sacha Guitry qui ont des amis allemands. Tristan Bernard meurt en 1947, muré dans le silence – son petit-fils n’est pas revenu du camp de Mauthausen.

« Pauvre roi supplicié des ombres, regarde ton peuple d’ombres se lever dans la nuit de juin constellée de tortures. »2797

André MALRAUX (1901-1976), Discours au Panthéon, lors du transfert des cendres de Jean Moulin, 19 décembre 1964. André Malraux et la politique : L’être et l’Histoire (1996), Dominique Villemot

Parachuté en France au début de l’année 1942, Jean Moulin va unifier les réseaux de la zone sud et obtient le ralliement des communistes, particulièrement précieux par leur discipline et leur expérience de la clandestinité. Il crée à Paris, le 27 mai 1943, le Conseil national de la Résistance (CNR). Mais il est livré aux Allemands le 21 juin à Caluire (Rhône), emprisonné au fort de Montluc (à Lyon) et meurt quelques jours après des suites de tortures, dans le train qui l’emmène en Allemagne.

Le corps fut renvoyé à Paris en juillet 1943, incinéré au Père-Lachaise. Ses cendres (supposées telles) ont été transférées au Panthéon. Cette « panthéonisation », reconnaissance suprême de la patrie à ses héros, est l’acte final des célébrations du 20e anniversaire de la Libération. Jean Moulin, coordinateur des réseaux de Résistance en métropole, en fut à la fois le chef, le martyr, et le symbole.

« Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas, c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent. »2804

Robert DESNOS (1900-1945), « Demain », État de veille (1943)

Même chemin qu’Éluard et Aragon : après le surréalisme, l’engagement, le communisme, puis la Résistance et les poèmes de l’espoir. Cependant, les Français souffrent plus que jamais en 1943 : l’ordre allemand s’impose avec les SS et la Gestapo, les restrictions, le système des otages, les déportations, les délations. « Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille […] / Âgé de cent mille ans, j’aurai encore la force / De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir. » Desnos mourra en déportation.

« Bien entendu, c’est la bataille de France et c’est la bataille de la France. »2808

Charles de GAULLE (1890-1970), Déclaration radiodiffusée du 6 juin 1944 à Londres, jour du débarquement en Normandie. Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, 1942-1944 (1956), Charles de Gaulle

Nouvel Appel d’un autre mois de juin, annonçant aux Français le début des opérations. « Bien entendu », les résistants de l’intérieur vont y participer, avec les soldats de la France libre venus du monde entier. Le premier jour, 90 000 Américains, Britanniques, Canadiens et 177 Français (commandos, fusiliers marins du capitaine Kieffer) dans les forces d’assaut, seront suivis de 200 000 hommes les jours suivants. Avec 9 000 navires, 3 200 avions.

« Le jour le plus long » a commencé la veille, à 23 heures, par un parachutage dans la région de Sainte-Mère-l’Église. La première unité débarque le 6 juin à 6 heures du matin à Sainte-Marie-du-Pont, sur une plage rebaptisée pour l’éternité Utah Beach. Les pertes de cette gigantesque opération Overlord dirigée par le général Eisenhower seront de 30 000 à 40 000 hommes chez les Alliés, 150 000 du côté allemand (et 70 000 prisonniers). Au total, c’est une armée de 2 millions d’hommes qui débarque pour livrer cette nouvelle bataille de France.

« On meurt pour une cathédrale. Non pour des pierres. On meurt pour un peuple. Non pour une foule. On meurt par amour de l’Homme, s’il est clé de voûte d’une communauté. On meurt pour cela seul dont on peut vivre. »2809

Antoine de SAINT-EXUPÉRY (1900-1944), Terre des hommes (1939)

De retour des États-Unis où il s’est exilé après la défaite, poète et aviateur, il recommence le combat en 1943 et disparaît au cours d’une mission de reconnaissance aérienne où il est volontaire (à 44 ans), le 31 juillet 1944 – le jour même où le front allemand est percé à Avranches.

Le mur de l’Atlantique, système de défense créé par Hitler (mer et plages minées, murailles de béton antichars, blockhaus, barbelés), ne résiste plus que par « poches » (certaines villes tiendront jusqu’en 1945). Les Alliés progressent vers la Seine, lentement, sûrement, aidés par l’action héroïque des résistants du maquis.

« Je sais mal ce qu’est la liberté, mais je sais bien ce qu’est la libération. »2810

André MALRAUX (1901-1976), Antimémoires (1967)

La libération de la France (métropolitaine) a commencé par la Normandie. Le général de Gaulle est arrivé le 14 juin à Bayeux, première ville libérée par les Alliés (le 8), pour affirmer sa qualité de chef du gouvernement.

Le mur de l’Atlantique étant percé, les forces alliées, après le raid de Patton en Bretagne, progressent vers la Seine. La division Leclerc débarque le 1er août. La libération de Paris apparaît comme l’urgence numéro un aux yeux des Français. Paris occupé s’impatiente.

« Paris qui n’est Paris qu’arrachant ses pavés. »2811

Louis ARAGON (1897-1982), Les Yeux d’Elsa, « Plus belle que les larmes » (1942)

Paris se soulève, le 18 août 1944 : fusillade au pont des Arts. Le 19, la police parisienne (censée obéir au gouvernement de Vichy, qui n’existe plus depuis le 18) se met en grève, barricadée à la préfecture de police. Le Comité parisien de libération, où les communistes dominent avec un sens de l’organisation qui leur est propre, veut prouver au monde, aux Alliés et aux Allemands, que le peuple de Paris peut se libérer lui-même. Mais les FFI (Forces françaises de l’intérieur, regroupant tous les mouvements de la Résistance armée en France) manquent de moyens, et le commandement allemand, lui, a encore les moyens de détruire la ville, et d’écraser ses défenseurs. Une trêve est signée, rompue par la Résistance (colonel Rol-Tanguy, chef des FTP, Francs-tireurs et partisans), et les combats de rue reprennent.

« Paris brûle-t-il ? »2812

Adolf HITLER (1889-1945) à Dietrich von Choltitz, 24 août 1944

Titre du film (1966) de René Clément (1913-1996), tiré du best-seller éponyme (1965) de Larry Collins (1929-2005) et Dominique Lapierre (né en 1931), sur la libération de Paris : l’un des plus beaux et longs génériques de l’histoire du cinéma, comme si, vingt ans après, toute la profession avait à cœur de participer à ce film événement.

« Brennt Paris ? » Moins une question qu’un ordre du Führer au général allemand, gouverneur militaire de Paris. Von Choltitz hésite ce 24 août, dans Paris insurgé. Paris ne brûlera pas : après intervention du consul de Suède, von Choltitz élude l’ordre qu’il trouve absurde de faire sauter les ponts, les édifices minés et de raser la capitale.

De son côté, de Gaulle a instamment demandé à Eisenhower de hâter la libération de Paris pour éviter le drame et Leclerc, avec sa 2e DB (division blindée), peut enfin marcher vers Paris.

« Division de fer / Toujours en avant
Les gars de Leclerc / Passent en chantant. »2813

André LEDUR (1904-1975) et Victor CLOWEZ (1908-1973), paroles, Marche officielle de la Division Leclerc (refrain)

Leclerc entre dans Paris à la tête de ses troupes (2e division blindée) qui chantent : « Après le Tchad, l’Angleterre et la France / Le grand chemin qui mène vers Paris / Le cœur joyeux, tout gonflé d’espérance / Ils ont suivi la gloire qui les conduit. »

La reddition est signée par Leclerc, von Choltitz et Rol-Tanguy au nom des FFI le 25 août 1944, grand jour de la Libération, œuvre des Français de l’intérieur et de l’extérieur, symbole dont toutes les radios du monde se font l’écho.

« Mon parti m’a rendu les couleurs de la France. »2819

Louis ARAGON (1897-1982), La Diane française. « Du poète à son parti » (1945). Littérature et politique : deux siècles de vie politique à travers les œuvres littéraires (1996), Michel Mopin, Robert Badinter

« Mon parti mon parti, merci de tes leçons / Et depuis ce temps-là tout me vient en chansons / La colère et l’amour, la joie et la souffrance. » Si le poète communiste rend ici nommément et servilement hommage au PCF, les autres œuvres de l’époque ont le ton d’une grande poésie nationale et patriote, ouverte à toutes les familles d’esprit : martyrs de la Résistance, communistes ou chrétiens y sont évoqués avec la même chaleur.

« La haine est un devoir national. »2820

Florimond BONTE (1890-1977), titre d’un article dans L’Humanité, 11 janvier 1945. Histoire de la guerre, 1939-1945 (1965), Jean Galtier-Boissière

À la Libération, les règlements de comptes prennent bien des formes, de la nationalisation sanction des usines Renault à l’indignité nationale qui frappe près de 50 000 personnes de 1944 à 1951. Selon Jean Paulhan, 1,5 à 2 millions de Français sont touchés par l’épuration (sanctions administratives, politiques et judiciaires). Paulhan et Camus protestent contre des listes noires trop longues et des peines trop sévères. L’épuration sauvage frappe aussi : 9 000 exécutions sommaires,  des chiffres dix fois supérieurs seront avancés.

Pour l’épuration judiciaire, on crée des cours de justice spéciales. Un an après la Libération, le garde des Sceaux présente un premier bilan : 5 000 condamnations à mort, 11 000 aux travaux forcés, 19 000 à la réclusion ou à la prison. Une Haute Cour de justice traite des cas majeurs : Pétain (condamné à mort, peine commuée par de Gaulle en détention perpétuelle, mort à l’île d’Yeu en 1951, à 95 ans), Laval (condamné à mort, ranimé après sa tentative de suicide, et avant le peloton d’exécution).

« Dans les lettres, comme en tout, le talent est un titre de responsabilité. »2821

Charles de GAULLE (1890-1970), refusant la grâce de Robert Brasillach. Mémoires de Guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959), Charles de Gaulle

Sur 2 071 recours présentés, de Gaulle en acceptera 1 303. Condamné à mort pour intelligence avec les Allemands, Brasillach est fusillé le 6 février 1945. Ses convictions hitlériennes ne font aucun doute et son journal (Je suis partout) en témoigne abondamment. Le procès est bâclé, de nombreux confrères tentent de le sauver. Mais le PC voulait la tête de l’homme responsable de la mort de nombreux camarades, et de Gaulle ne lui pardonnait pas celle de Georges Mandel, résistant exécuté par la Milice, après les appels au meurtre signés, entre autres, par Brasillach.

« L’histoire est écrite par les vainqueurs. »2826

Robert BRASILLACH (1909-1945), Les Frères ennemis (dialogue écrit à Fresnes fin 1944, posthume)

Écrite par les vivants plus que par les vainqueurs et Brasillach n’est  pas fusillé pour cause de défaite, mais de trahison. L’histoire de la Seconde Guerre mondiale, page d’histoire de France encore si sensible et même brûlante, fut réécrite tant de fois que les vaincus ont eu, légitimement, le droit de témoigner aux côtés des vainqueurs.

« Vieille France, accablée d’Histoire, meurtrie de guerres et de révolutions, allant et venant sans relâche, mais redressée, de siècle en siècle, par le génie du renouveau ! »2830

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959)

Laissons le mot de la fin au vainqueur, grand premier rôle et grand témoin de cette période qui évoque et invoque cette France, « Vieille Terre, rongée par les âges, rabotée de pluies et de tempêtes, épuisée de végétation, mais prête, indéfiniment, à produire ce qu’il faut pour que se succèdent les vivants ! »

QUATRIEME REPUBLIQUE

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

« J’aime tellement l’Allemagne que je suis ravi qu’il y en ait deux. »2856

François MAURIAC (1885-1970). Le Temps d’un regard (1978), Jacques Chancel

Été 1945 : à Berlin, les vainqueurs délimitent quatre zones d’occupation. 1949 : la séparation en deux Allemagnes (RFA et RDA) est consacrée. 12 au 13 août 1961 : dans la nuit, le mur de la honte, symbole de la division du pays, se met en place pour stopper l’exode massif de Berlin-Est (capitale de la RDA) vers Berlin-Ouest (« vitrine du monde occidental »). 10 novembre 1989 : le mur de Berlin tombe, la frontière entre les deux Allemagnes s’ouvre. Pour l’opinion publique française et nombre de commentateurs, la réunification, effective en octobre 1990, est l’événement historique le plus important depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les mentalités ont bien changé et le couple franco-allemand sera le moteur de la construction européenne.

« En 1944, les Français étaient malheureux, maintenant ils sont mécontents. C’est un progrès. »2858

Charles de GAULLE (1890-1970), de nouveau chef du gouvernement provisoire depuis le 21 octobre 1945. De Gaulle, l’exil intérieur (2001), Jacques Baumel

La France est libre, les nationalisations ont commencé, la Sécurité sociale est créée par ordonnance, mais les conditions de vie des Français restent très dures : pain rationné et cartes d’alimentation pour la plupart des produits, charbon rare et production désorganisée.

« La seule arme qui reste aux travailleurs pour défendre le pain de leurs enfants, quand tous les autres moyens ont été utilisés, c’est la grève. »2872

Georges MARRANE (1888-1976), Conseil de la République, 1er décembre 1947. Notes et études documentaires, nos 4871 à 4873 (1988), Documentation française

Ramadier (ancien président du Conseil) a parlé du PCF comme d’un « chef d’orchestre clandestin » organisant des grèves en juin, alors que les communistes ont quitté le gouvernement. Reprise des grèves en septembre, le gouvernement ayant refusé d’entériner un accord CGT-CNPF risquant de conduire à une hausse excessive des salaires et donc des prix.

Les manifestations prennent un caractère insurrectionnel en novembre : c’est la « Grande peur d’automne ». Les éléments non communistes du monde du travail font bloc contre les consignes de la CGT : le travail recommence le 10 décembre. Le 18, les groupes Force ouvrière qui militaient au sein de la CGT prennent leur autonomie : ainsi naîtra la CGT-FO, la Fédération de l’Éducation nationale (FEN) devient elle aussi autonome, par rapport à la CGT.

« Les États-Unis d’Europe se feront dans la douleur, et les États-Unis du monde ne sont pas encore là. »2874

André MALRAUX (1901-1976), Appel aux intellectuels, 5 mars 1948 à la salle Pleyel. André Malraux (1952), Pierre de Boisdeffre

Les rêves du XIXe siècle, ceux de Michelet, Hugo, Jaurès et autres apôtres des « États-Unis du monde » sont révolus selon Malraux : « Pour le meilleur comme pour le pire, nous sommes liés à la patrie. » Il défend la notion d’héritage culturel au nom de quoi la France doit retrouver son rôle en Europe. De Gaulle parle par sa voix.

Mais l’appel n’est pas entendu. Autre tentative vaine : le Rassemblement du peuple français (RPF) parti créé le 14 avril 1947 par de Gaulle. Sous la houlette de Malraux, il rassemble des hommes d’origine sociale et de tendance politique très diverses. Mais l’heure du retour n’est pas encore venue pour le général. Malraux, inaccessible à la tentation des honneurs politiques, seul des écrivains de grand renom à s’associer aussi étroitement au gaullisme, reste le plus fidèle des compagnons, durant « la traversée du désert ».

« La politique, ce n’est pas de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent. »2875

Henri QUEUILLE (1884-1970), nouveau président du Conseil, septembre 1948. Évaluation et démocratie participative (2004), Jean-Claude Boval

La formule lui est prêtée, reflétant une tendance très Quatrième République et une tentation épisodique sous la Cinquième. Venu de la Troisième, ministre près de vingt fois avant 1940, Queuille a pour méthode de contourner les difficultés. « C’est le docteur tant mieux, le président pas de problème » selon Jacques Fauvet (Le Monde) « C’est de l’immobilisme » dit Pleven qui, devenu président du Conseil, agira de même. Le premier cabinet Queuille (11 septembre 1948-5 octobre 1949) doit faire face à des grèves très dures et procéder à une dévaluation du franc. Après avoir tenu treize mois, presque un record, il tombe, sa majorité étant trop composite. Il reviendra deux fois : « On prend les mêmes et on recommence. »

Le régime des partis voit s’affronter ceux de gauche (communistes, socialistes SFIO) contre ceux de droite (indépendants et modérés inorganisés, RPF gaulliste) et les centristes (MRP, radicaux, UDSR issue de la Résistance) qui tentent toujours de former une Troisième Force avec divers ralliés, lesquels monnaient leur concours plus ou moins provisoire. De Gaulle s’exaspère : « Le régime des partis, c’est la pagaille. » Ou l’impuissance. Cela va durer encore dix ans, jusqu’à son retour.

« Le présent enveloppe le passé et dans le passé toute l’Histoire a été faite par des mâles. »2854

Simone de BEAUVOIR (1908-1986), Le Deuxième Sexe (1949)

Livre événement dans l’histoire du féminisme, mouvement qui ne s’est pas arrêté au vote attribué aux femmes, après la Libération. Une femme est ministre (éphémère) pour la première fois en 1947 : Germaine Poinso-Chapuis (à la Santé publique, dans le gouvernement Schuman). C’est la Cinquième République qui, dans les années 1970, verra aboutir l’essentiel des luttes au féminin, d’où une égalité de droit, sinon de fait. Avant la revanche sociétale et médiatique associée au mouvement #MeToo.

« Je suis né deux fois : la première, le 4 décembre 1922, la seconde en juillet 1951, en Avignon, où j’ai eu, grâce à Jean Vilar, la révélation du vrai théâtre. »2878

Gérard PHILIPE (1922-1959), Après la première du Cid, Festival d’Avignon, 18 juillet 1951. La France de Vincent Auriol, 1947-1953 (1968), Gilbert Guilleminault

Les critiques sont unanimes devant ce « prince en Avignon », comme le public du Palais des Papes et bientôt toute la France. Jean Vilar, sous le charme, dira : « Après ce Cid-là, aucun metteur en scène n’osera en faire un autre avant vingt-cinq ans. »

C’est aussi la naissance d’un fait culturel unique dans l’histoire du théâtre et exemplaire pour le monde : le festival d’Avignon, voulu par Vilar en 1947. Une aventure devenue une institution qui rappelle cette époque révolue où la Culture était un enjeu à la fois politique et populaire.

« Rendre la culture au peuple et le peuple à la culture. »2855

Devise de l’association Peuple et Culture. Manifeste de Peuple et Culture (1945)

Grande et généreuse ambition des fondateurs du mouvement, héritiers des valeurs du siècle des Lumières et de la République ayant presque tous participé au Front populaire de 1936 et à la Résistance. Mais comment promouvoir la « révolution culturelle » rêvée avec un budget culturel inférieur à 0,10 % des dépenses publiques ? Il faut attendre le prochain régime pour que l’État commence à avoir les moyens de ses ambitions avec un ministère créé par de Gaulle pour Malraux, puis l’arrivée des socialistes au pouvoir en 1981 et le « 1 % pour la culture ».

À l’actif de la Quatrième République, rappelons cependant le travail des animateurs culturels au sein de l’association Peuple et Culture, la décentralisation théâtrale animée par Pierre Bourdan et Jeanne Laurent au ministère des Beaux-Arts, la floraison des festivals, dont celui d’Avignon lancé dans l’été 1947 et le Théâtre national populaire (TNP) de Jean Vilar créé en 1951, exemplaire réussite qui marque toute une génération.

« Despote conquérant, le progrès technique ne souffre pas l’arrêt […] L’humanité est condamnée au progrès à perpétuité. »2850

Alfred SAUVY (1898-1990), Théorie générale de la population (1952-1954)

Polytechnicien, il formule la théorie économique du déversement (équivalent du « ruissellement » actuel) : les progrès techniques qui améliorent la productivité engendrent automatiquement un transfert des emplois d’un secteur d’activité vers un autre. Cette évolution sera remise en cause avec la prise de conscience écologique au niveau national et mondial.

Sauvy est surtout un grand démographe qui veut encourager la natalité contre la théorie du malthusianisme. Directeur de l’INED (Institut national des études démographiques) de sa création en 1945 jusqu’en 1962, il en fait un établissement de recherche multidisciplinaire dont les statistiques servent toujours de repères à la politique, à la recherche, à l’opinion.

« Aujourd’hui, la France n’a plus qu’une seule ambition : celle de son niveau de vie. »2851

Charles de GAULLE (1890-1970). Tout est bien (1989), Roger Stéphane

« Jusqu’à une date récente, elle était constamment tendue vers la réalisation d’ambitions nationales. Elle a eu l’ambition de son unité, l’ambition de ses frontières naturelles, puis l’ambition de conquérir l’Europe, la volonté de se libérer de ses traités de 1815 et après 70, il y a eu l’idée, la grande idée de la revanche, depuis plus rien. »

Il ne faut pourtant pas mépriser la grande amélioration des conditions matérielles de vie : le taux de croissance annuel moyen de 5 % dans les années 1950-1960 étonne dans les années 1980 et plus encore de nos jours. C’est à mettre à l’actif de la Quatrième République, situant la France avant les USA et la Grande-Bretagne, mais derrière l’Allemagne et le Japon, pays des miracles économiques succédant à leur défaite.

« Car, enfin, ce tiers-monde ignoré, exploité, méprisé comme le tiers état, veut, lui aussi, être quelque chose. »2879

Alfred SAUVY (1898-1990). « Trois Mondes, une planète », L’Observateur (14 août 1952)

Derniers mots d’un article où cet économiste, sociologue et démographe qui parle souvent plus vrai et plus fort que ses confrères, lance l’expression de « tiers-monde » – il en revendique la paternité dans son livre de souvenirs, La Vie en plus (1981). Mais il la désavoue à la fin de sa vie : « Que l’on permette au créateur de l’expression tiers-monde, il y a déjà près de quarante ans, de la répudier, tant elle fait oublier la diversité croissante des cas. Englober dans le même terme les pays d’Afrique noire et « les quatre dragons » [Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong Kong] ne peut mener bien loin. » Quoi qu’il en soit, l’expression fait partie du domaine public.

Tiers-monde, pays sous-développés, pays en voie de développement, pays les moins avancés (PMA), pays émergents, nouveaux pays industrialisés, quel que soit le mot, le monde des pays riches prend conscience de la réalité : les trois quarts de la population mondiale souffrent de la faim, la soif, la maladie, l’analphabétisme, la subordination économique et l’endettement. C’est d’autant plus révoltant que cela se sait, se dit, se voit, s’expose en maintes conférences internationales. La décolonisation et la mondialisation n’arrangent rien, l’écart entre pauvres et riches augmente, la montée de l’Islam est une solution plus dangereuse que le mal et les risques écologiques aggraveront encore le problème au XXIe siècle.

« La France est divisée en quarante-trois millions de Français. La France est le seul pays du monde où, si vous ajoutez dix citoyens à dix autres, vous ne faites pas une addition, mais vingt divisions. »2838

Pierre DANINOS (1913-2005), Les Carnets du major Thomson (1954)

Grand succès de librairie, pour ces Carnets présentés comme la traduction des pensées d’un major anglais et jouant sur le décalage entre les mentalités nationales. Le procédé rappelle avec bonheur les Lettres persanes de Montesquieu. Quant à la division des Français, elle renvoie au mot de Rochefort : « La France compte 36 millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement. » Une constante parfois dramatique, mais qui prête aussi à (sou)rire.

« La France a toujours cru que l’égalité consistait à trancher ce qui dépasse. »2853

Jean COCTEAU (1889-1963), Discours de réception à l’Académie française (1955)

Ce mot d’artiste rejoint la pensée d’un homme de gauche, Édouard Herriot : « Il est plus facile de proclamer l’égalité que de la réaliser » (Aux sources de la liberté). Dans l’ordre des priorités nationales, cette référence républicaine se situe vraiment après la liberté, mais avant la fraternité.

« En ce jour anniversaire qui est aussi celui où j’assume de si lourdes responsabilités, je revis les hautes leçons de patriotisme et de dévouement au bien public que votre confiance m’a permis de recevoir de vous. »2891

Pierre MENDÈS FRANCE (1907-1982), Télégramme au général de Gaulle, 18 juin 1954. Mendès France au pouvoir (1965), Pierre Rouanet

Son premier jour au pouvoir coïncide avec celui de l’Appel il y a quatorze ans et Mendès France avoue alors avoir trois grands hommes comme modèle : Poincaré, Blum et de Gaulle.

Le troisième homme est sceptique sur les chances du nouveau chef du gouvernement : « Vous verrez, ils ne vous laisseront pas aller jusqu’au bout » lui prédit-il le 13 octobre. Sept mois et dix-sept jours : le titre donné par Mendès France au recueil de ses discours dit très exactement la durée de son ministère, renversé le 5 février 1955.

« L’Algérie, c’est la France. »2895

François MITTERRAND (1916-1996), ministre de l’Intérieur du gouvernement Mendès France, 5 novembre 1954. Pierre Mendès France (1981), Jean Lacouture

Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, une insurrection éclate en Algérie. Mitterrand s’associe à la position du président du Conseil, Mendès France : « Qu’on n’attende de nous aucun aménagement avec la sédition, aucun compromis avec elle […] Les départements de l’Algérie font partie de la République, ils sont français depuis longtemps […] Entre la population algérienne et la métropole, il n’est pas de sécession concevable […] Jamais la France, jamais aucun Parlement, jamais aucun gouvernement ne cédera sur ce principe fondamental. » Nul n’imagine à cette date la suite du conflit algérien qui va tourner à la guerre civile.

« Les hommes passent, les nécessités nationales demeurent. »2896

Pierre MENDÈS FRANCE (1907-1982), Assemblée Nationale, nuit du 4 au 5 février 1955. Pierre Mendès France (1981), Jean Lacouture

L’Assemblée vient de lui refuser la confiance (319 voix contre 273) : par peur d’une politique d’« aventure » en Afrique du Nord. On l’accuse, dans son discours de Carthage, d’avoir encouragé la rébellion des Tunisiens et des fellagas d’Algérie, alors qu’il est partisan déclaré de l’Algérie française dont il a renforcé la défense. Contrairement aux usages et sous les protestations, il remonte à la tribune pour justifier son action.

Mendès France est resté populaire dans le pays, mais de nombreux parlementaires déplorent ses positions cassantes, aux antipodes des compromis et compromissions de la Quatrième République. Le « syndicat » des anciens présidents du Conseil et anciens ministres lui reproche de ne pas jouer le jeu politicien et de semer le trouble dans l’hémicycle et ses coulisses. Mendès France, pour la dernière fois à la tribune, défie les députés : « Ce qui a été fait pendant ces sept ou huit mois, ce qui a été mis en marche dans ce pays ne s’arrêtera pas… »

« Il faudrait être bien inattentif pour croire que l’action de Pierre Mendès France fut limitée aux quelque sept mois et dix-sept jours passés de juin 1954 à février 1955 à la tête du gouvernement de la République. Un été, un automne, quelques jours. L’Histoire ne fait pas ces comptes-là. Léon Blum pour un an, Gambetta et Jaurès, pour si peu, pour jamais, pour toujours. »2897

François MITTERRAND (1916-1996), Cour d’honneur de l’Assemblée nationale, Discours du 27 octobre 1982. Le Pouvoir et la rigueur : Pierre Mendès France, François Mitterrand (1994), Raymond Krakovitch

Tel sera l’hommage solennel de François Mitterrand, devenu président de la République, à la mort de Pierre Mendès France qui reste une référence pour qui se dit « de gauche ».

« Quand l’opprimé prend les armes au nom de la justice, il fait un pas sur la terre de l’injustice. »2899

Albert CAMUS (1913-1960), « Les raisons de l’adversaire », L’Express, 28 octobre 1955

Né en Algérie, intellectuel épris de justice autant que de liberté, Camus est plus qu’un autre déchiré par les événements : « Telle est, sans doute, la loi de l’histoire. Il n’y a plus d’innocents en Algérie, sauf ceux, d’où qu’ils viennent, qui meurent. »

Le 2 avril 1955, l’état d’urgence est voté pour lutter contre la rébellion, les libertés publiques suspendues. Le gouverneur Soustelle tente une politique de réformes, mais l’insurrection dans le Constantinois et les massacres du FLN le 20 août poussent le gouvernement Edgar Faure à appeler les réservistes, le 24. Simples opérations de maintien de l’ordre ? La fiction est vite insoutenable. Il s’agit d’une guerre, une sale guerre.

« Refusez d’obéir / Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre / Refusez de partir… »2900

Boris VIAN (1920-1959), paroles et musique, Serge REGGIANI (1922-2004), co-compositeur, Le Déserteur (1954), chanson

Écrite à la fin de la guerre d’Indochine, chantée par Mouloudji le jour de la prise de Diên Biên Phû : « Monsieur le Président / Je vous fais une lettre / Que vous lirez peut-être / Si vous avez le temps / Je viens de recevoir / Mes papiers militaires / Pour partir à la guerre / Avant mercredi soir / Monsieur le Président / Je ne veux pas la faire / Je ne suis pas sur terre / Pour tuer des pauvres gens. »

Chanson interdite. Reprise en 1955, dans une version un peu édulcorée : « Messieurs, qu’on nomme grands… » Mais c’est le temps de la guerre d’Algérie : la chanson sera censurée dix ans pour « insulte faite aux anciens combattants ». Elle connaît une diffusion limitée et parallèle : sifflée par les soldats du contingent qui s’embarquent à Marseille, avant de devenir un protest song bilingue, puis un succès de la scène et du disque, reprise par Reggiani et d’autres : « Il faut que je vous dise / Ma décision est prise / Je m’en vais déserter ».

« [Le marxisme], c’est le climat de nos idées, le milieu où elles s’alimentent, c’est le mouvement vrai de ce que Hegel appelait l’Esprit objectif […] Il est à lui seul la culture. »2905

Jean-Paul SARTRE (1905-1980). Les Temps modernes, nos 121 à 125 (1956), Jean-Paul Sartre

Peu de temps avant le XXe Congrès du PC de l’Union soviétique, tenu en février 1956, Sartre assure : « Porté par l’Histoire, le PC manifeste une extraordinaire intelligence objective, il est rare qu’il se trompe. » La suite va très vite démentir ces propos.

« Cette cage des mots, il faudra que j’en sorte
Et j’ai le cœur en sang d’en chercher la sortie
Ce monde blanc et noir, où donc en est la porte
Je brûle à ses barreaux mes doigts comme aux orties. »2906

Louis ARAGON (1897-1982), Le Roman inachevé (1956)

Ces vers reflètent le désarroi de l’intellectuel communiste au lendemain du XXe Congrès et du rapport Khrouchtchev, en date du 25 février 1956. La vie et l’œuvre de Staline, le culte de la personnalité, tout a été remis en question. C’est le « dégel » en URSS. En France, le PC prend acte avec mauvaise grâce. Staline était un Dieu vivant pour nombre d’écrivains français, ils sont à présent désarçonnés, déchirés.

« Il ne faut pas désespérer Billancourt. »2907

Jean-Paul SARTRE (1905-1980), « d’après » Nekrassov, créé au Théâtre Antoine, 1955

Mot apocryphe ou, plus exactement, tour de passe-passe. Nekrassov est un malentendu : pièce à message, jugée communiste par les anticommunistes et anticommuniste par les communistes, c’est un échec théâtral. Le mot est aussi un bel exemple de « récupération », ce que Sartre nomme « le baiser de la mort ». C’est en tout cas une manipulation qui prouve l’importance du texte. Il a écrit deux répliques : « Il ne faut pas désespérer les pauvres » et « Désespérons Billancourt ». La contraction des deux donne cette fameuse phrase. Qu’il n’aurait jamais dite, même si le mot lui a été prêté, en mai 1968.

Il le pense peut-être, le 4 novembre 1956, quand 2 500 chars soviétiques interviennent en Hongrie pour écraser la tentative de libéralisation du régime. Le 9, dans une interview à L’Express, il dénonce « la faillite complète du socialisme en tant que marchandise importée d’URSS » et se tourne vers d’autres communismes, voulant préserver l’élan révolutionnaire de la classe ouvrière en France. « Il ne faut pas désespérer Billancourt. »

« L’Occident qui, en dix ans, a donné l’autonomie à une dizaine de colonies, mérite à cet égard plus de respect et, surtout, de patience que la Russie qui, dans le même temps, a colonisé ou placé sous un protectorat implacable une douzaine de pays de grande et ancienne civilisation. »2911

Albert CAMUS (1913-1960), Actuelles III : Chroniques 1939-1958, sous titrées Chroniques algériennes (1958), Avant-propos

L’exposé des motifs de la loi-cadre du 23 juin 1956 sur les territoires d’outre-mer, appelée loi Defferre, annonce clairement la couleur : « Il ne faut pas se laisser devancer et dominer par les événements pour ensuite céder aux revendications lorsqu’elles s’expriment sous une forme violente. Il importe de prendre en temps utile les dispositions qui permettent d’éviter des conflits graves. »

Cette loi facilitera une évolution rapide et paisible, passant par la Communauté de 1958 pour aboutir en 1960 à « l’année de l’indépendance de l’Afrique ». Cette décolonisation amorcée doit être portée à l’actif de la Quatrième République.

« La Terre est le berceau de l’humanité, mais personne ne passe toute sa vie au berceau. »2914

Constantin TSIOLKOVSKI (1857-1935). Visions du futur : une histoire des peurs et des espoirs de l’humanité (2000), Annie Caubet, Zeev Gourarier, Jean Hubert Martin

Ce savant et ingénieur russe travaillant sur les fusées au début du siècle est l’un des pères de l’astronautique contemporaine. Le 4 octobre 1957, Spoutnik 1, premier satellite artificiel soviétique, ouvre à l’homme les portes du ciel. Des millions de terriens entendent le bip-bip de ce bébé Lune tournant autour de la Terre (pendant trois mois).

Le premier homme de l’espace sera russe, Youri Gagarine, 12 avril 1961. L’Américain Alan Shepard le suit de peu (5 mai). Le premier homme marchant sur la Lune est l’Américain Neil Armstrong, 21 juillet 1969. Le premier cosmonaute français, Jean-Loup Chrétien, volera le 24 juin 1982 dans un vaisseau spatial soviétique.

« Dans le péril de la patrie et de la République, je me suis tourné vers le plus illustre des Français. »2925

René COTY (1882-1962), Message du président au Parlement, 29 mai 1958. Histoire mondiale de l’après-guerre, volume II (1974), Raymond Cartier

Face à la menace de guerre civile, le président de la République fait savoir aux parlementaires qu’il a demandé au général de Gaulle de former un gouvernement. Chahuts de la part des députés qui entonnent La Marseillaise – procédé contraire à tous les usages et même à la lettre de la Constitution.

« Le général de Gaulle apparaît comme le moindre mal, la moins mauvaise chance. »2926

Hubert BEUVE-MÉRY (alias SIRIUS) (1902-1989), « L’amère vérité », Le Monde, 29 mai 1958

Et Pierre Brisson dans Le Figaro du 30 mai : « Chacun sait maintenant où situer le dernier recours de nos libertés. » Les deux directeurs de conscience de la « presse bourgeoise » ne prennent la plume, chacun dans son journal, que dans les grandes occasions. Depuis quelques jours, ils ne cessent pas et se montrent de plus en plus pour (ou de moins en moins contre) de Gaulle.

« Ses compagnons d’aujourd’hui, qu’il n’a sans doute pas choisis mais qui l’ont suivi jusqu’ici, se nomment le coup de force et la sédition. »2927

François MITTERRAND (1916-1996), Assemblée nationale, 1er juin 1958. Cent mille voix par jour : pour Mitterrand (1966), Claude Manceron

Après une mise à l’écart de douze ans, le plus illustre des Français revient sur le devant de la scène. La majeure partie du personnel politique se rallie à la solution gaulliste, mais Mitterrand s’oppose à ce « coup de force ». Il ose l’affrontement, prononçant à l’Assemblée nationale ce terrible réquisitoire : « Lorsque, le 10 septembre 1944, le général de Gaulle s’est présenté devant l’Assemblée consultative issue des combats de l’extérieur ou de la Résistance, il avait auprès de lui deux compagnons qui s’appelaient l’honneur et la patrie. Ses compagnons d’aujourd’hui, qu’il n’a sans doute pas choisis mais qui l’ont suivi jusqu’ici, se nomment le coup de force et la sédition. La présence du général de Gaulle signifie, même malgré lui, que désormais les minorités violentes pourront impunément et victorieusement partir à l’assaut de la démocratie. »

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