Troisième République
Prologue - Politique
Née au milieu des épreuves de la guerre et de la Commune, la Troisième République connaît encore des temps difficiles. Par le traité de Francfort, la France, amputée de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, devra payer une indemnité de 5 milliards de francs-or à l’Allemagne. L’Assemblée nationale, monarchiste, souhaite empêcher l’installation du régime républicain.
Les commentaires sont allégés, les coupes signalées (…) Retrouvez l’intégralité dans nos Chroniques de l’Histoire en citations.
« Gloire aux pays où l’on parle, honte aux pays où l’on se tait. »2387
Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Chambre des députés, 4 juin 1888. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919 (1920-1922), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac
Avec des accents hugoliens, il s’oppose au général Boulanger (qu’il a d’abord soutenu), voyant poindre en lui un nouveau Bonaparte, accusé de « faire disparaître la politique de parti et le parlementarisme » (…)
C’est rendre hommage à ce régime si souvent décrié, y compris par Clemenceau. Vingt ans après, devenu président du Conseil, il se plaindra des débats sans fin à la Chambre : « On perd trop de temps en de trop longs discours. »
Ce dilemme est inhérent au régime parlementaire : comment assurer la libre expression des forces politiques représentées dans les assemblées sans paralyser le fonctionnement de l’institution parlementaire ? Le Parlement, lieu où l’on vote, est aussi et par définition celui où l’on parle.
« La République, en France, a ceci de particulier que personne n’en veut et que tout le monde y tient. »2388
Comte de GOBINEAU (1816-1882), La Troisième République française et ce qu’elle vaut (1873)
Cet écrivain et diplomate français exprime parfaitement la situation : le pays est à l’image de l’Assemblée nationale, en majorité monarchiste (400 royalistes, 250 républicains modérés et radicaux, 80 « centristes », 15 bonapartistes).
Il n’existe pas de grande nation républicaine dans l’Europe de l’époque. Et la République fait peur : souvenirs de la Révolution de 1789 qui engendra la Terreur, de la Deuxième République avec ses désordres en 1848. La Commune insurrectionnelle de Paris en 1871 a encore gauchi l’idée qu’on se fait du républicain.
« Républicains. – Les républicains ne sont pas tous des voleurs, mais les voleurs sont tous républicains. »2389
Gustave FLAUBERT (1821-1880), Dictionnaire des idées reçues (posthume, 1913)
C’est à peine une caricature des préjugés bourgeois, dans les années 1870. C’est même très proche de la citation originale, signée du marquis de La Rochejaquelein : « Certes, je ne prétends pas que tous les républicains sont des voleurs, mais, ce que je garantis, c’est que tous les voleurs sont républicains. » (La Constitution, 31 mai 1871).
Les républicains passent même pour des « buveurs de sang » dans bien des esprits. Mais au fil des années, la France devient républicaine et les républicains font de moins en moins peur (…)
« Puisqu’elle [la Troisième République] gouverne peu, je lui pardonne de gouverner mal. »2390
Anatole FRANCE (1844-1924), Histoire contemporaine (publiée de 1897 à 1901)
Une génération plus tard, avant même la fin du XIXe siècle, la République est installée : modérée, mais surtout faible. La faute en revient aux hommes qui gouvernent et aux institutions qui ont débouché sur un parlementarisme où les crises se multiplient.
Anatole France prête son scepticisme intellectuel et souvent désabusé à son héros, M. Bergeret, qui prend la défense du régime, faisant un éloge inattendu des faiblesses de cette République.
« Il y a deux organes inutiles : la prostate et le président de la République. »2391
Georges CLEMENCEAU (1841-1929). Histoire des présidents de la République : de Louis Napoléon Bonaparte à Charles de Gaulle (1960), Adrien Dansette
Une des raisons de la faiblesse du régime : le Président n’est là que pour « inaugurer les chrysanthèmes ».
L’expression est du général de Gaulle, et c’est d’ailleurs lui qui va changer le fonctionnement des institutions françaises sous la Cinquième République, en redonnant le pouvoir exécutif au Président.
« Nous n’avons point d’État. Nous avons des administrations. Ce que nous appelons la raison d’État, c’est la raison des bureaux. »2392
Anatole FRANCE (1844-1924), Histoire contemporaine. L’Anneau d’améthyste (1899)
C’est une plainte, et un mal typiquement français, qui augmente en même temps que la complexité de la vie publique et l’omniprésence de l’État. L’impôt et l’intendant polarisaient déjà sous l’Ancien Régime l’essentiel des doléances.
« Michelet appelait la République : “une grande amitié”. Michelet était un poète et les temps sont changés : la République n’est plus qu’une grande camaraderie. »2393
Robert de JOUVENEL (1882-1924), La République des camarades (1913)
Ce titre définit le régime : allusion directe à l’influence de la camaraderie sur la vie publique de la Troisième République. Les mêmes hommes se retrouvent, dans des ministères qui se succèdent et se ressemblent, la politique devient à la fois un métier et un jeu : les acteurs seront souvent médiocres et le spectacle de la « politique politicienne » lassera le pays.
« Qu’on soit modéré, radical ou révolutionnaire, on est avant tout député. »2394
Robert de JOUVENEL (1882-1924), La République des camarades (1913)
De la Troisième République date la naissance de la « profession parlementaire » : le relèvement massif de l’indemnité des députés en 1906 paraît bien révélateur d’un milieu de politiciens professionnels qui accaparent l’État à la faveur du « Bloc » radical.
Le mécanisme des unions, des ralliements, des regroupements à des fins purement électorales, laisse une impression de grande confusion. « La lacune la plus notable du régime était l’absence de grands partis politiques, sans lesquels un régime parlementaire est voué aux incertitudes, aux allures cahotantes et erratiques » (Georges Duby, Histoire de la France).
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