Troisième République
La République des scandales ?
C’est la fin de la république présidentielle au profit d’un régime parlementaire : la Chambre des députés a désormais le pouvoir. Elle va en abuser : la « République des camarades » sera celle des crises, de l’instabilité ministérielle et des multiples scandales (trafic des décorations, Panama). Dans ce contexte, le général Boulanger entre en scène, incarnant tous les contraires et bien des paradoxes.
Les commentaires sont allégés, les coupes signalées (…) Retrouvez l’intégralité dans nos Chroniques de l’Histoire en citations.
« La popularité du général Boulanger est venue trop tôt à quelqu’un qui aimait trop le bruit. »2481
Georges CLEMENCEAU (1841-1929). Le Boulangisme (1946), Adrien Dansette
Boulanger est imposé au gouvernement le 7 janvier 1886 par les radicaux, Clemenceau en tête, avec qui les républicains opportunistes doivent compter.
Le nouveau ministre de la Guerre devient vite le « brav’général Boulanger » pour l’armée, sachant se rendre populaire par diverses réformes qui améliorent l’ordinaire du conscrit. Sa popularité va gagner dans les rangs des innombrables mécontents du régime. Le 14 juillet 1886 sera la première apothéose de son irrésistible ascension.
« Gais et contents
Nous marchions triomphants
En allant à Longchamp
Le cœur à l’aise,
Sans hésiter,
Car nous allions fêter,
Voir et complimenter
L’armée française. »2482Lucien DELORMEL (1847-1899) et Léon GARNIER (1856-1905), paroles, et Louis-César DÉSORMES (1840-1898), musique, En r’venant d’la r’vue (1886), chanson . Cent ans de chanson française, 1880-1980 (1996), Chantal Brunschwig, Louis-Jean Calvet, Jean-Claude Klein
(…) Paul Déroulède, propagandiste numéro un de Boulanger, lui invente le surnom de « général Revanche » et affirme qu’il est « le seul ministre qui fasse peur à l’Allemagne ». La droite va exploiter Boulanger qui se prétend pourtant général d’« extrême gauche ».
Le boulangisme sera la réunion de tous les contraires et le lieu de bien des paradoxes.
« Je n’ai jamais fait de politique, mais j’ai toujours guetté l’actualité. »2483
PAULUS (1845-1908). Le Café-concert : 1848-1914 (2007), François Caradec, Alain Weill
Jean-Paul Habans, dit Paulus, est l’une des premières vedettes à toucher d’énormes cachets, idole populaire qui défraie la chronique par son faste et ses frasques (…)
« Si vous décidez la construction de la tour de M. Eiffel, je me coucherai sur le sol. Il ferait beau voir que les piques des terrassiers frôlent cette poitrine que n’atteignirent jamais les lances des Uhlans [Prussiens]. »2484
Tancrède BONIFACE (XIXe siècle). Guide de Paris mystérieux (1975), François Caradec, Jean-Robert Masson
Capitaine de cuirassier à la retraite, riverain du Champ de Mars, il mène la campagne de protestation contre la Tour Eiffel et intente un procès contre « le lampadaire tragique », « l’odieuse colonne de tôle boulonnée. » Le premier coup de pioche des travaux a été donné le 26 janvier 1887. La tour sera le « clou » de l’Exposition universelle, en 1889 (…)
« Il reviendra quand le tambour battra,
Quand l’étranger m’naç’ra notre frontière
Il reviendra et chacun le suivra
Pour cortège il aura la France entière. »2485Refrain populaire en l’honneur du général Revanche (1887), chanson. Le Général Boulanger jugé par ses partisans et ses adversaires (1888), Georges Grison
Le 8 juillet 1887, la foule se masse à la gare de Lyon, pour empêcher le départ de son idole. La popularité de Boulanger est vraiment trop gênante pour les (républicains) opportunistes qui ont par ailleurs jaugé le personnage, irresponsable et bien léger, et en mai 1887, il perd son portefeuille sous le nouveau ministère Rouvier. Le voilà expédié à Clermont-Ferrand, pour commander le 13e corps d’armée. Mais le voilà aussi éligible. Quand survient une nouvelle crise.
« Jadis on était décoré et content. Aujourd’hui on n’est décoré que comptant ! »2486
Alfred CAPUS (1857-1922), Le Gaulois, 7 octobre 1887. La Chanson en son temps : de Béranger au juke-box (1969), Georges Coulonges
Ce journal, comme bien d’autres, dénonce le scandale de l’Élysée. Voilà que la corruption, tant reprochée aux (républicains) opportunistes qui sont au pouvoir, atteint la famille du président Grévy. Son gendre, Daniel Wilson, est accusé d’avoir créé à l’Élysée un « ministère des Recommandations et Démarches ».
Bien entendu, il fait payer ses services. Ce trafic des décorations, découvert en septembre 1887, porte notamment sur la Légion d’honneur. Le temps des crises parlementaires va de pair avec celui des sales affaires et le personnel politique est gravement déconsidéré.
« Ah ! quel malheur d’avoir un gendre […]
Avec lui, j’en ai vu de grises,
Fallait qu’j’emploie à chaque instant
Mon nom, mon crédit, mon argent
À réparer toutes ses sottises. »2487Émile CARRÉ (1829-1892), Ah ! quel malheur d’avoir un gendre (1887), chanson. Jules Grévy, ou la République debout (1991), Pierre Jeambrun
Ainsi fait-on chanter le vieux président de la République : « J’suis un honnête père de famille / Ma seule passion, c’est l’jeu de billard / Un blond barbu, joli gaillard / Une fois m’demande la main d’ma fille […] / Y sont mariés, mais c’que j’m’en repens ! / Ah ! quel malheur d’avoir un gendre ! »
« Vous regretterez le beau temps des crises
Quand, pauvres sans pain et riches gavés
Nous serons aux prises ! […]
Profitez-en bien du beau temps des crises
Où le peuple jeûne et pense en rêvant
Aux terres promises ! »2488Jules JOUY (1855-1897), Le Temps des crises (1886), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier
Chanté sur l’air du Temps des cerises. L’instabilité des gouvernements est devenue un jeu politique qui lasse l’opinion publique, mais aussi une tactique encouragée par le président de la République Jules Grévy, jusqu’à sa chute provoquée par la crise qui l’atteint personnellement.
« Je vous promets une de ces crises comme on n’en a pas encore vu dans le monde parlementaire ! »2489
Georges CLEMENCEAU (1841-1929). L’Affaire Wilson et la chute du président Grévy (1936), Adrien Dansette
Parole du célèbre « tombeur de ministères » qui se ressemblent tous – « il s’agit toujours du même », dira-t-il, puisque les mêmes hommes reviennent toujours, changeant seulement de portefeuille. Clemenceau le radical (incarnant la gauche pure et dure, comme jadis Gambetta) ne va pas rater cette occasion. Le gouvernement, qui a soutenu Daniel Wilson, est renversé le 20 novembre 1887 (…)
« J’en appelle à la France ! Elle dira que, pendant neuf années, mon gouvernement a assuré la paix, l’ordre et la liberté. Elle dira qu’en retour, j’ai été enlevé du poste où sa confiance m’avait placé. »2490
Jules GRÉVY (1807-1891). Gouvernements, ministères et constitutions de la France depuis cent ans (1893), Léon Muel
Démission forcée, le 2 décembre 1887. Jules Ferry est candidat à la présidence de la République, mais les radicaux détestent ce républicain opportuniste et les républicains opportunistes ont besoin de l’appui des radicaux pour gouverner. On se rabat sur un autre homme – un compromis.
« Votons pour Carnot, c’est le plus bête, mais il porte un nom républicain ! »2491
Georges CLEMENCEAU (1841-1929). Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
C’est Marie François Sadi Carnot : petit-fils de Lazare Carnot (le Grand Carnot, célèbre révolutionnaire), fils de Lazare Hippolyte Carnot (député, ministre, sénateur), neveu de Sadi Carnot (physicien qui laisse son nom à un théorème), il est lui-même polytechnicien, ingénieur des ponts et chaussées, préfet, puis député républicain modéré et plusieurs fois ministre.
« Bête » n’est sans doute pas le qualificatif le plus approprié, mais le Tigre (l’un des surnoms de Clemenceau) a la dent dure, et l’humour féroce. À qui lui reproche de ne s’entourer que de personnages falots dans son gouvernement, il répond : « Ce sont les oies qui ont sauvé le Capitole. » (…)
Quoi qu’il en soit, élu le 3 décembre 1887, Sadi Carnot aura une présidence mouvementée – interrompue par son assassinat. Pour l’heure, le problème du président Carnot a nom Boulanger.
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