Débat d’entre-deux-tours : l’éternel retour en campagne (depuis 2002) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Mai 2002 : grand débat national sur le non débat entre Chirac et Le Pen.

« J’assume pleinement la responsabilité de cet échec et j’en tire les conclusions, en me retirant de la vie politique. »3373

Lionel JOSPIN (né en 1937), Déclaration du 21 avril 2002 au soir du premier tour

La gauche est hors-jeu et KO, la présidentielle va se jouer à droite toute.

Le Premier ministre Jospin, grand perdant du jour, se présente à la télévision et devant ses troupes, visage défait, voix blanche : « Le résultat du premier tour de l’élection présidentielle vient de tomber comme un coup de tonnerre. Voir l’extrême droite représenter 20 % des voix dans notre pays et son principal candidat affronter celui de la droite au second tour est un signe très inquiétant pour la France et pour notre démocratie. Ce résultat, après cinq années de travail gouvernemental entièrement voué au service de notre pays, est profondément décevant pour moi et ceux qui m’ont accompagné dans cette action. Je reste fier du travail accompli. Au-delà de la démagogie de la droite et de la dispersion de la gauche qui ont rendu possible cette situation, j’assume pleinement la responsabilité de cet échec et j’en tire les conséquences en me retirant de la vie politique après la fin de l’élection présidentielle. »

La dernière phrase fait l’effet d’une seconde (petite) bombe dans les rangs de la gauche. Mais bien au-delà du parti socialiste, la mobilisation se manifeste d’abord dans la rue.

Pas de quartier pour les fachos ! Et pas de fachos pour les quartiers !
La jeunesse emmerde le Front national.
Et F comme fasciste ! Et N comme nazi ! À bas ! À bas le Front national !3374

Slogans des manifestations, du 21 avril au 5 mai 2002

Les slogans parlent d’eux-mêmes, les manifestations impressionnent.

Immédiates et spontanées, dans la nuit du 21 au 22 avril, puis répétées les 22 et 23 avril en signe de protestation contre la présence de l’extrême droite au second tour, elles se poursuivent durant tout l’entre-deux-tours, culminant au 1er mai : de 1 300 000 manifestants (chiffres du ministère de l’Intérieur) à 2 000 000 (selon les organisateurs) dans une centaine de villes françaises, avec 400 000 à Paris.

Débat ou pas débat, rien n’est encore décidé. Dans le camp Chirac, les conseillers ne sont pas d’accord et Le Pen ne rate pas l’occasion pour ironiser.

« Je suis tout prêt à débattre, mais il semble qu’on soit réticent, il semble qu’on se prenne pour un dieu de l’Olympe, qu’on ne veuille pas discuter avec un simple mortel. »

Jean-Marie Le PEN (né en 1928), 22 avril 2002

Bien informé, Libération tient le public en haleine pour ce vrai suspense politique. « Claude Chirac y était très réticente. D’abord favorable, Dominique de Villepin, le secrétaire général de l’Élysée, s’est rangé à cet avis. Décidé à dramatiser ce second tour contre l’extrême droite, Jacques Chirac a finalement estimé que ce duel à hauts risques pouvait valoriser son adversaire. » Après 48 heures de flottement ou de réflexion, le président annonce sa décision lors d’un meeting à Rennes.

« Face à l’intolérance et à la haine, il n’y a pas de transaction possible, pas de compromission possible, pas de débat possible. Il faut avoir le courage de ses convictions, la constance de ses engagements. Pas plus que je n’ai accepté dans le passé d’alliance avec le Front national, et ceci quel qu’en soit le prix politique, […] je n’accepterai demain de débat avec son représentant. »

Jacques CHIRAC (1932-2019), meeting de Rennes au Parc des expositions, 23 avril 2002

Il parle dans la capitale bretonne devant une foule de quelque 8 000 personnes. Il refuse de cautionner « la banalisation de la haine et de la violence ». Il conclut : « Ce combat est le combat de toute ma vie. C’est un combat au nom de la morale, au nom d’une certaine idée de la France. » Tonnerre d’applaudissements.

Le soir-même, Jean-Marie Le Pen est invité à réagir.

« C’est une atteinte insupportable, inadmissible » aux règles républicaines et démocratiques, un véritable scandale… C’est le peuple qui est insulté par Jacques Chirac et par ses alliés socialo-communistes. »

Jean-Marie Le PEN (né en 1928), 23 avril 2002, au journal télévisé de 20h sur France 2

Le créateur du FN (Front national devenu aujourd’hui RN, Rassemblement national et moins extrême) dénonce une « piteuse dérobade », affirmant que le refus de son adversaire montre qu’il avait « peur de la vérité. Il se dégonfle… Les Français en tireront les conclusions au second tour le 5 mai » menace-t-il.

Dans les jours qui suivent, il profite de la situation, tous les organes de presse écrite ou parlée lui étant ouverts, vu l’impact médiatique de l’événement : « Ce n’est pas la qualification de Jean-Marie Le Pen qui est un scandale, dit-il, c’est le fait que le président de la République sortant refuse de débattre avec l’adversaire que le peuple lui a choisi. »

Vingt ans après, il semble regretter ce rendez-vous manqué avec l’histoire – voir ses Mémoires en deux tomes. Mais à l’époque, le bruit courait que Le Pen n’avait jamais cru à la victoire, ni même eu la tentation d’avoir le pouvoir, conscient qu’il n’était pas en capacité de gouverner avec les siens.
Dans le même temps, tout le personnel politique a commenté l’événement du non-débat, d’où un véritable débat national ! Une seule certitude soulignée par la presse plus ou moins perfide, Le Pen est un redoutable débateur et peu de personnalités se sont risquées contre lui. Citons quand même Bernard Tapie. Nanard avait bien des défauts, mais un culot valant courage, à l’occasion.

« Cela aurait été sympathique pour ceux qui aiment le spectacle, mais contre-productif sur le plan politique. »

Alain JUPPÉ (né en 1945), président de l’UMP, 24 avril 2002 sur RMC

En résumé, il approuve le refus de son ami Jacques, considérant selon toute raison que cette rencontre aurait risqué de « se transformer en sorte de match de catch. »

Roselyne Bachelot, porte-parole du candidat Chirac a expliqué que ce refus allait de soi « pour l’honneur et la dignité de la France ». Elle était dans son rôle.

Sur le front de gauche, les avis sont très partagés.

« Visiblement Jacques Chirac ne sentait pas ce débat. Il a craint que cela renforce plutôt Le Pen. Il s’en est expliqué. Je n’ai pas de commentaire à faire. »

Laurent FABIUS (né en 1946), ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, répondant aux questions de Ruth Elkrief sur RTL, 24 avril 2002

Naturellement, Fabius va commenter avec l’habileté qui le caractérise, relancé par la journaliste pendant quelque 10 minutes. C’est une leçon de réalisme politique dépourvu de toute ambiguïté.

- Le débat récusé par Jacques Chirac : c’est une bonne attitude ?
- » Je ne sais pas. Visiblement, Jacques Chirac ne sentait pas ce débat. Il a craint que cela renforce plutôt Le Pen. Il s’en est expliqué. Je n’ai pas de commentaires à faire. Il est le meilleur juge de ce qu’il faut faire. »
- Martine Aubry regrettait l’absence de débat par exemple ?
- » Ce n’est pas Martine Aubry qui affrontait Le Pen… »
- Vous le comprenez un peu ?
- » C’est sa décision. « 
- Vous appelez néanmoins, comme un certain nombre de dirigeants socialistes, à voter pour Jacques Chirac, le 5 mai, sans états d’âme, alors que le climat change un tout petit peu. On a l’impression que les abstentionnistes se préparent…
- » Avec beaucoup d’états d’âme, mais c’est ce qu’il faut faire. Et pour un homme de gauche comme moi, ne croyez pas que ce soit facile à dire, mais c’est évidemment ce qu’il faut faire. Pourquoi ? Chirac, ce ne sont pas mes idées. Je suis socialiste et c’est quelqu’un que je combats et que je combattrai mais là, le choix est entre d’un côté un combat droite/gauche et de l’autre l’existence même de la République. C’est cela qui est en cause. Il ne faut pas tergiverser. Il faut utiliser le bulletin de vote pour réduire l’extrême droite et Le Pen au plus petit score possible. Je crois que c’est Libé, ce matin, qui a un titre : ‘un référendum anti-Le Pen’ C’est de cela dont il s’agit. C’est une bonne expression. Il y a une affaire éthique là-dedans. On ne peut pas demander aux autres de faire le travail et ne pas le faire soi-même. C’est une affaire d’éthique. »

« Le face-à-face risquait de dégénérer en une empoignade indigne, dont les pires moments auraient été télévisés dans le monde entier. »

Robert BADINTER (né en 1928), Le Parisien, 24 avril 2002

L’ancien ministre de la Justice de François Mitterrand, indiscutablement socialiste, a lui aussi donné raison à Jacques Chirac et sans ambiguïté. Mais le Parti socialiste dont le candidat a été éliminé au premier tour et qui s’est rallié à Chirac souhaitait quand même une confrontation.

« Le débat aurait pu être un moyen de marquer la différence entre les valeurs républicaines et l’extrême droite. »

François HOLLANDE (né en 1954), premier secrétaire du PS, sur France Inter, 24 avril 2002

De son côté, Noël Mamère (les Verts) qui a déjà débattu deux fois avec le leader de l’extrême droite souligne que Monsieur Chirac « n’a pas hésité à rencontrer le président du FN dans d’autres circonstances. » Certes, l’enjeu était moindre, mais il aurait quand même dû « assumer ce qu’il a contribué à créer en enfourchant le thème de l’insécurité pendant toute la campagne » estime-t-il.

Et les Français, que pensent-ils ?

« 69% des Français se sont déclarés pour que ce débat ait lieu. »

Sondage CSA pour Le Parisien, effectué par téléphone le 23 avril 2002

Cette écrasante majorité s’explique aisément : le « match de catch » redouté par Juppé attire toujours le public citoyen ou spectateur. 26 % ne le souhaitent pas et 5 % ne se prononcent pas. Notons le très faible pourcentage d’indifférents dans cette histoire.

Mais au final, le débat n’aura pas lieu. Et grâce au « front républicain », Jacques Chirac l’emporte largement au second tour (82,21 %).

Son quinquennat ne laissera pas un aussi grand souvenir que le non débat qui l’a précédé, même si le personnage garde une incontestable popularité dans la mémoire collective oublieuse des « affaires ».

Cinquième débat « nouveau style » du 2 mai 2007 : « Sarko & Ségo sont dans un bateau ».

« Situation inédite dans l’histoire de la Cinquième République, car jamais jusqu’à présent dans une élection présidentielle le second du premier tour n’avait débattu avec le troisième de ce premier tour. Mais nous avons organisé ce débat tout simplement parce qu’à vous deux, vous représentez plus de 16 millions d’électeurs et il nous paraît utile qu’ils soient informés. »;

Olivier MAZEROLLE (né en 1942), présentant le débat sur BFMTV et RMC, 28 avril 2007

Et d’ajouter que « par souci d’équité et par respect de la loi, nous avons offert un temps de parole égal au candidat Nicolas Sarkozy. »

C’est effectivement une première dans l’histoire de l’élection présidentielle française : la candidate qualifiée avec 25,8 7% des voix pour le second tour, Ségolène Royal, va débattre avec le troisième candidat non qualifié, le centriste François Bayrou, fort des 18,57 % des suffrages qui se sont portés sur lui au premier tour. Initialement prévu pour être tenu devant la presse quotidienne régionale, puis sur Canal+, le débat est finalement diffusé en direct sur la chaîne d’informations BFM TV.

« C’est un événement sans précédent (…) qui souligne la modernisation de la vie politique et ce besoin de sortir de l’affrontement bloc contre bloc. Et c’est la raison pour laquelle, si vous le permettez, plutôt que de parler de débat, je préfère dire dialogue. »

Ségolène ROYAL (née en 1953), 28 avril 2007

De fait, ce sera un échange d’idées plutôt qu’une confrontation. Il faut dire que l’enjeu est tout autre.

Les deux protagonistes ont étudié les différentes facettes de leur programme pour les comparer et trouver soit des convergences de principe, soit des désaccords idéologiques sur les points principaux : réforme des institutions, nouveau traité européen, dette française, société.

« Je pense que cet épisode est une tragi-comédie un petit peu ridicule. Il y a un débat entre les deux candidats sélectionnés pour le second tour. Tout le reste, c’est de l’agitation politicienne. »

Nicolas SARKOZY (né en 1955) réagissant par avance à ce tout premier débat nouveau style, Le Figaro, 27 avril 2007

Le matin même de l’événement ou du non-événement - « pas de deux de ce couple inattendu » - , Sarkozy se trouvait à Valenciennes avec Jean-Louis Borloo, ministre de la Cohésion sociale. Il a sitôt affirmé « ne pas être intéressé par les petites combines de Ségolène Royal et François Bayrou… Moi, ce qui m’intéresse, c’est rencontrer les Français, ce ne sont pas les combines d’états-majors. »

Les membres du PS et ceux de l’UDF ont cependant noté que c’était « une belle leçon pour la démocratie », même si chacun est resté plus ou moins sur ses positions.

Reste le « vrai » débat qui va peser (à la marge) sur l’élection et marquer l’histoire, sans égaler le niveau des précédents.

« Au moment du départ à la retraite, au lieu de recruter des douaniers, je recrute des infirmières.
— Non ce n’est pas possible, Madame.
—Vous plaisantez ? (…) Si vous ne pouvez pas faire, pourquoi voulez-vous accéder aux responsabilités ? Eh bien moi, je le pourrai. »

Ségolène ROYAL (née en 1953) et Nicolas SARKOZY (né en 1955), débat de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, TF1 - France 2, 2 mai 2007

Madame Royal ne doute de rien et surtout pas d’elle-même, les chiffres ne lui font pas peur, les réalités statistiques ne l’impressionnent pas, non plus que le personnage qui se pose face à elle, professionnel de la politique, animal médiatique, très sûr de lui et guettant le moment pour attaquer.
C’est elle qui le précède, l’accusant vivement « d’immoralité politique » pour avoir décrit « la larme à l’œil » la situation des handicapés, alors que le gouvernement auquel il appartenait a « supprimé » les aides en leur faveur. Le candidat UMP connu pour son extrême impétuosité ne rate pas l’occasion pour lui reprocher très calmement de « perdre ses nerfs. »

« Je ne perds pas mes nerfs, je suis en colère, il y a des colères très saines.
— Qu’est-ce que cela doit être quand vous êtes énervée ! »

Ségolène ROYAL (née en 1953) et Nicolas SARKOZY (né en 1955), débat de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, TF1 - France 2, 2 mai 2007

On a beaucoup titré sur cette « saine colère ». Ce jeu à contremploi est purement théâtral.

Quant au fond, les grandes questions habituelles sont traitées en deux heures plus 39 minutes de dépassement, devant 20,46 millions de téléspectateurs attirés par ces deux « nouveaux » au dernier round, un homme déjà bien connu et (enfin) une femme à qui son compagnon François Hollande a laissé place, deux personnages très médiatiques à divers titres et attendus dans ce duel tendu, mais retenu. Le moindre dérapage peut coûter la place, l’adversaire ne fera pas de cadeau.

« Si je suis élue demain présidente de la République, les agents publics seront protégés et en particulier les femmes. Elles seront raccompagnées à leur domicile lorsqu’elles sortent tardivement des commissariats de police. »

Ségolène ROYAL (née en 1953), débat de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, TF1 - France 2, 2 mai 2007

Un exemple (parmi tant d’autres) qui décrédibilise la parole politique. Imaginons le coût de cette promesse sympathique, mais totalement irréaliste ! Nicolas Sarkozy a répliqué en estimant que si cette proposition était mise en œuvre, « il y aura une fonction publique au service des Français et une autre fonction publique » pour raccompagner chez eux les fonctionnaires.

Au final, le favori l’emporte assez largement avec 53,06% des voix.

Sixième débat du 2 mai 2012 (Hollande-Sarkozy) : une présidence rêvée « à qui perd gagne ».

Abstention, piège à cons.3480

Slogan, Libération, 7 avril 2012

Répondant au slogan de Mai 68, « Élection, piège à cons », le mot n’est pas nouveau, mais reste toujours d’actualité.

Abstention, danger pour la démocratie aussi vieux que la démocratie, particulièrement répandu aux États-Unis, mais très rare chez les peuples qui accèdent enfin au vote et risquent parfois leur vie pour exercer ce droit citoyen, qui est aussi un devoir. En France, l’électeur risque seulement de perdre un peu de son temps, s’il estime que voter est inutile.

Abstention par désintérêt de la politique ou par rejet des hommes politiques, abstention parfois très motivée intellectuellement, voire philosophiquement, le phénomène touche d’abord les jeunes, en France.

Abstention massive aux élections européennes, jusqu’à être le « parti » majoritaire en 1999, abstention record aux élections régionales à l’enjeu parfois illisible, abstention minoritaire aux élections présidentielles, surtout en 2007 où deux candidats nouveaux s’opposaient clairement, l’abstention est redoutée en 2012, d’autant qu’elle profite le plus souvent aux extrêmes. On craignait le pire, le taux ne sera que 20 % au premier tour.

En fin de compte, et malgré les critiques (parfois injustes) sur la campagne, les Français adorent ça, la politique !

« Le Pen est compatible avec la République. »3484

Nicolas SARKOZY (né en 1955), 24 avril 2012

Libération fait la une avec ces mots, le 25 avril.

Pour que le jeu soit « jouable » au second tour, le président sortant a besoin d’un important report de ses voix, d’où cette phrase sitôt promue citation faisant la première page de Libé avec la photo du président.

Ainsi commence la polémique de l’entre-deux-tours. Les Le Pen, père et fille, sont toujours prêts, Nicolas Sarkozy est toujours partant lui aussi et ce journal de gauche attaqué par les ténors de l’UMP (Jean-François Coppé, Xavier Bertrand) est trop heureux d’« assumer pleinement » l’info, par la plume de son directeur Nicolas Demorand. Il donne ses sources, une dépêche AFP reproduite mot pour mot dans Le Figaro, confirmée par Le Monde qui rebondit et s’indigne le 26, figée dans le marbre par une vidéo. On ne saurait être plus authentique !

Les meetings se multiplient, les débats télévisés aussi, mais la situation reste claire avec une droite et une gauche qui se revendiquent comme telles – ce qui n’est plus le cas, dix ans après… Au premier tour (22 avril), le président sortant de droite (Sarkozy) n’arrive qu’en seconde position avec 27,18% des voix, face à Hollande, 28, 63% Le candidat de gauche  n’a pourtant jamais été ministre, désigné par une première « primaire citoyenne » au terme d’innombrables problèmes de rivalité au sein du PS – dont l’affaire Strauss-Kahn qui a éliminé un an avant le favori dans la course à l’Élysée.

Le nouveau favori reste un inconnu pour le grand public, contesté, malmené même au sein du PS, d’où l’intérêt de la question – à côté des thèmes politiques préalablement évoqués comme il est de coutume.

« Quel président comptez-vous être ? »,

Laurence FERRARI (née en 1966), co-animatrice du débat avec David Pujadas, 2 mai 2012

Question posée en fin de débat, apparemment anodine, banale. Première réponse.

« Un président qui d’abord respecte les Français, qui les considère. Un président qui ne veut pas être président de tout, chef de tout et en définitive responsable de rien. »

François HOLLANDE (né en 1954), débat du 2 mai 2012

Après un temps de pause, il enchaîne très naturellement et par une simple anaphore (répétition, figure de style dans un discours), François Hollande va marquer la chronique des débats télévisés d’entre-deux tours d’une élection présidentielle. Son « moi président » restera même célèbre dans l’Histoire, plus que sa personne et sa présidence.

« Moi président de la République, je ne serai pas le chef de la majorité, je ne recevrai pas les parlementaires de la majorité à l’Élysée.
Moi président de la République, je ne traiterai pas mon Premier ministre de collaborateur… »

François HOLLANDE (né en 1954), débat du 2 mai 2012

On a déjà compris que le candidat veut s’opposer au sortant, l’« omniprésident » hypermédiatique dont la personnalité a très vite choqué les Français, hors une partie de la droite inconditionnelle. Emporté dans son élan plus ou moins préparé, en tout cas bien joué, il va développer le raisonnement et répéter quinze fois l’anaphore en trois minutes.

« Moi président de la République, je ne participerai pas à des collectes de fonds pour mon propre parti, dans un hôtel parisien.
Moi président de la République, je ferai fonctionner la justice de manière indépendante… »

François HOLLANDE (né en 1954), débat du 2 mai 2012

« …. je ne nommerai pas les membres du parquet alors que l’avis du Conseil supérieur de la magistrature n’a pas été dans ce sens.

Moi président de la République, je n’aurai pas la prétention de nommer les directeurs des chaînes de télévision publique, je laisserai ça à des instances indépendantes.

Moi président de la République, je ferai en sorte que mon comportement soit en chaque instant exemplaire.

Moi président de la République, j’aurai aussi à cœur de ne pas avoir un statut pénal du chef de l’État ; je le ferai réformer, de façon que si des actes antérieurs à ma prise de fonction venaient à être contestés, je puisse dans certaines conditions me rendre à la convocation de tel ou tel magistrat ou m’expliquer devant un certain nombre d’instances.

Moi président de la République, je constituerai un gouvernement qui sera paritaire, autant de femmes que d’hommes.

Moi président de la République, il y aura un code de déontologie pour les ministres qui ne pourraient pas rentrer dans un conflit d’intérêts.

Moi président de la République, les ministres ne pourront pas cumuler leur fonction avec un mandat local, parce que je considère qu’ils devraient se consacrer pleinement à leur tâche.

Moi président de la République, je ferai un acte de décentralisation, parce que je pense que les collectivités locales ont besoin d’un nouveau souffle, de nouvelles compétences, de nouvelles libertés.

Moi président de la République, je ferai en sorte que les partenaires sociaux puissent être considérés, aussi bien les organisations professionnelles que les syndicats, et que nous puissions avoir régulièrement une discussion pour savoir ce qui relève de la loi, ce qui relève de la négociation.

Moi président de la République, j’engagerai de grands débats, on a évoqué celui de l’énergie, et il est légitime qu’il puisse y avoir sur ces questions-là de grands débats citoyens.

Moi président de la République, j’introduirai la représentation proportionnelle pour les élections législatives, pour les élections non pas de 2012, mais celles de 2017, car je pense qu’il est bon que l’ensemble des sensibilités politiques soient représentées.

Moi président de la République, j’essaierai d’avoir de la hauteur de vue, pour fixer les grandes orientations, les grandes impulsions, mais en même temps je ne m’occuperai pas de tout, et j’aurai toujours le souci de la proximité avec les Français. »

« Il était ridicule, pendant qu’il parlait, je comptais combien de fois il se répétait. Son attitude sera sanctionnée. »

Nicolas SARKOZY (né en 1955), au soir débat du 2 mai 2012. Alain Auffray & Grégoire Biseau, « La droite déçue à l’issue du débat » sur le site du quotidien Libération, 3 mai 2012

Interrogé après le débat, il donne son avis sur cette séquence qu’il n’a pas voulu interrompre, ce qui lui était tout à fait possible. François Hollande de son côté confiera qu’il aurait pu continuer… Il se contente  de conclure, prévoyant la riposte de l’adversaire sur un thème déjà débattu en d’autres lieux. Mais désormais, il a la main, il le sait.

« J’avais évoqué une présidence normale. Rien n’est normal quand on est président de la République, puisque les conditions sont exceptionnelles, le monde traverse une crise majeure, en tout cas l’Europe. Il y a des conflits dans le monde, sur la planète, les enjeux de l’environnement, du réchauffement climatique : bien sûr que le président doit être à la hauteur de ces sujets-là, mais il doit aussi être proche du peuple, être capable de le comprendre. »

François HOLLANDE (né en 1954), débat du 2 mai 2012

Il a pu s’exprimer à loisir, satisfait de sa prestation, lui qui fut si souvent accusé de n’avoir par l’étoffe d’un président digne de ce nom et de la fonction. L’adversaire enchaîne enfin, en avocat qu’il a été…

« Votre normalité, elle n’est pas à la hauteur des enjeux… »

Nicolas SARKOZY (né en 1955), débat du 2 mai 2012

« Monsieur Hollande, vous avez parlé, sans doute pour être désagréable à mon endroit, d’un président normal. Je vais vous dire, la fonction d’un président de la République, ce n’est pas une fonction normale. Et la situation que nous connaissons, ce n’est pas une situation normale… Pour postuler à cette fonction, je ne pense pas que le général de Gaulle, François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, Georges Pompidou, c’étaient à proprement parler des hommes normaux. Vous venez de nous faire un beau discours, on en avait la larme à l’œil, mais… »

Mais la pièce est jouée, devant près de 18 millions de téléspectateurs conscients du rapport de force étrangement inversé entre les deux hommes.

« C’est Giscard qui m’a conseillé de ne pas l’interrompre. Cela aurait donné une image d’un manque de confiance en moi »19

Nicolas SARKOZY (né en 1955), au lendemain du débat, 3 mai 2012. La Cause du peuple (2016), Patrick Buisson

Patrick Buisson, « l’hémisphère droit » du président de la droite, justifia son silence en ces termes, quatre ans après l’événement. Dans Le Monde du lendemain (3 mai 2012), d’autres proches de Sarkozy s’expriment à chaud » : Jean-François Copé, secrétaire général de l’UMP, juge comme Sarkozy cette « fameuse tirade ridicule ». De même Henri Guaino, « nègre » (ou plume) des grands discours sarkozystes et conseiller spécial de l’Élysée, qui commente le nombre de déclinaisons : « Deux fois, trois fois, c’était bien. Mais au bout de la cinquième ou sixième fois, j’ai trouvé ça un peu ridicule, et au bout de la dixième, franchement grotesque. »  Tandis que Brice Hortefeux, ancien ministre de l’Intérieur, la considère « pas mal ». Seul, Claude Guéant parlera plus tard d’un « morceau de bravoure assez brillant. »

« J’avais les idées et c’est la forme qui m’est venue dans le débat … au bout de la dixième fois, je pense que Nicolas Sarkozy va m’interrompre et il ne le fait pas. J’aurais pu continuer longtemps, j’en avais ! »

François HOLLANDE (né en 1954), débat du 2 mai 2012, Moi président de la République, Wikipédia

Daniel Schneidermann, journaliste sur le site Arrêt sur images (3 mai), qualifie cette anaphore « d’étrange et légèrement ambiguë », mais salue cette « longue et brillante tirade exprimant calmement une rupture implacable avec l’esprit du sarkozysme ».
Le président élu s’expliquera bientôt sur l’autre point devenu fondamental, qui fait encore et toujours débat.

« La présidence normale, c’est une présidence qui doit être ambitieuse pour son pays et humble pour celui qui le représente. Elle doit être à la fois haute, c’est-à-dire digne, et proche, c’est-à-dire respectueuse. »3485

François HOLLANDE (né en 1954), Le Point, 26 mai 2011

« Normal ». Jamais ce mot somme toute banal, cet adjectif pour qualifier le président et la présidence, n’a été à ce point répété par les uns pour critiquer le nouveau style, et par les autres pour le justifier. C’est finalement de bonne guerre, et après la surchauffe médiatique des deux dernières campagnes électorales et des quatre tours, cela repose. De là à qualifier Hollande d’« endormeur », voire d’« hypnotiseur »… (L’Express). RAS, rien à se mettre sous la dent, mis à part un dérapage de tweet, signé de la compagne du président, Valérie Trierweiler, par ailleurs journaliste. Mais « pas de quoi fouetter un tchat  », vu l’avalanche des messages assassins et des flèches empoisonnées qui émaillaient la fin de campagne.

Mais l’histoire continue, l’actualité est une source inépuisable de rebondissements, et la parole des hommes en est la preuve, même si les citations mémorables se font plus rares.

« Le président normal ne le sera pas longtemps. Parce que la fonction ne l’est pas. »3486

François FILLON (né en 1954), dépêche AFP, 29 mai 2012

Prédiction de l’ex-Premier ministre du précédent quinquennat, lancée sans grand risque d’erreur.

Une situation économique et financière anormalement grave (depuis quatre ans déjà) rend la fonction plus périlleuse, et le rôle plus ingrat, face à une opinion publique prompte à critiquer, et une opposition politique systématique de la droite et des extrêmes. Autre évidence, le président de la République, surtout sous la Cinquième, avec les responsabilités qui sont les siennes, est condamné à devenir un personnage de premier plan, surexposé face aux médias et aux citoyens.

François Hollande, homme de parti, habitué aux synthèses entre courants socialistes et adepte de la gentillesse en politique (ce qui lui vaudra le premier prix du genre, décerné par le très sérieux magazine Psychologie en novembre 2012), sera tôt ou tard forcé de trancher, et de se battre en tête de ses troupes. Quant à prendre l’avion, le train ou la voiture, c’est un critère peu signifiant - disons, anecdotique.

Septième débat du 3 mai 2017 (Macron-Marine Le Pen) : peut-être pas le pire de la série, mais sûrement pas le meilleur.

« Le pire débat télévisé de l’histoire de la Cinquième République. ».

Die Welt, quotidien allemand, cité sur Courrier international, 4 mai 2017

Certains évoquent immédiatement le « naufrage » (Marianne, le JDD).

C’est la plus faible audience depuis que le débat existe : 16,5 millions de téléspectateurs.

Malgré l’intérêt de cet affrontement – homme/femme et tous deux primo-concurrents à cette élection - le suspense politique qui fait légitimement partie du jeu médiatique est très vite émoussé.

Sur le fond, les dossiers ne sont pas maîtrisés par Marine Le Pen - la sortie de l’Europe et l’abandon de l’euro reste un cas d’école ou un sketch, « on va sortir de l’Euro, ça va aller mieux, après on pourra dépenser plein d’argent… Et son adversaire est réduit au rôle de prof plus ou moins souriant et condescendant. Sa tentative pour lancer une fausse rumeur selon laquelle Macron l’ex banquier aurait un compte bancaire off-shore aux Bahamas ne déconsidère qu’elle-même.

Par la force des choses – la faiblesse du débat - on n’a retenu que l’accessoire dans cette histoire et la presse du lendemain est quasi unanime, fait plutôt rare.

« Ce que vous proposez, comme d’habitude, c’est de la poudre de perlimpinpin. »

Emmanuel MACRON (né en 1977), débat du 3 mai 2017, Le Parisien, 4 mai 2017

La « poudre de perlimpinpin » qualifie la proposition de Marine Le Pen d’expulser tous les « fichés S » (relevant de la Sûreté de l’État) et de « fermer les frontières » pour lutter contre le terrorisme. Mais certains pays de l’Union européenne frappés par le terrorisme ne sont pas dans l’espace Schengen (et inversement).

De toute manière, la lutte contre le terrorisme et le contrôle de l’immigration restent des sujets complexes qui ne relèvent pas de solutions simples et radicales.

« Regardez, ils sont là, ils sont dans les campagnes, dans les villes, sur les réseaux sociaux… »

Marine LE PEN (née en 1968), débat du 3 mai 2017

Alors qu’elle dénonçait le mépris de son adversaire envers les Français, Marine Le Pen a soudain changé de gestuelle et de voix, faisant référence à la série culte Les Envahisseurs… et à Macron dénonçant deux jours avant au meeting de la Villette les méthodes des militants du Front national en campagne présidentielle : « Ils sont là, ce sont eux nos vrais ennemis, vous les croisez dans les rues, dans les campagnes, sur la Toile, bien souvent masqués, aussi haineux que lâches. »

La séquence passe mal, surréaliste, limite incompréhensible, tandis que Macron tente tant bien que mal de reprendre la parole pour dénoncer les méthodes du Front national au cours de la campagne : « Je parle du parti d’extrême droite qui dit des mensonges…  qui pousse à la haine, moleste des journalistes. » Dialogue de sourds devant un public de malentendants et pour cause !

Au lendemain du débat, c’est le son et image qui restera : « Un moment en passe de devenir culte » pour L’Express, le « moment le plus gênant du débat » pour LCI. On a naturellement cherché la raison de ce dérapage, devenu quasi naufrage en direct.

« Marine Le Pen a voulu faire sortir Macron de ses gonds, qu’il pète les plombs avec sa petite voix aigüe, qu’il parte en vrille… Ça n’a pas fonctionné. »

Franz-Olivier GIESBERT (né en 1949), éditorialiste et directeur du magazine Le Point, sur Bel RTL, 4 mai 2017

Qu’on la trouve percutante, pathétique ou amusante, c’est sitôt devenu la séquence la plus partagée dans les réseaux sociaux : cela en dit assez long sur le surréalisme de la scène et sur les critères sélectifs des nouveaux médias.

Des journaux souvent bien informés, tels Le Canard enchaîné ou Le Soir, expliquent la prestation de Marine Le Pen : certains de ses conseillers avaient visionné une vidéo d’Adriano Segatori, psychiatre et psychothérapeute italien, décrivant Emmanuel Macron comme un « psychopathe » à partir d’images et d’éléments biographiques du candidat d’En marche.  Une stratégie agressive pouvait lui faire perdre son sang-froid… Mais Segatori est suspect, appartenant à la mouvance de l’extrême-droite italienne. Ajoutons que Macron a tendu un piège à l’adversaire, faisant savoir dans les coulisses de TF1 puis de BFM TV qu’il quitterait le plateau si Marine Le Pen se montrait trop agressive, information d’ailleurs diffusée par BFM TV la veille du débat.

Conclusion paradoxale de l’éditorialiste hyper attentif à la chose politique depuis un demi-siècle ?

« Franchement, il m’a étonné. Il est descendu aussi bas que là où Marine Le Pen l’emmenait, il n’avait pas peur. C’est cela qui est important. »

Franz-Olivier GIESBERT (né en 1949), éditorialiste et directeur du magazine Le Point, sur Bel RTL, 4 mai 2017

Ce sera un trait du nouveau président, cette faculté de s’adapter à l’autre, ami, ennemi ou inconnu, de parler son langage, « popu » ou « classieux », pour séduire, affaiblir ou démolir selon la situation.

i des commentaires et résultat du débat qui influencera malgré tout l’électorat : + de 66% des voix pour Emmanuel Macron, le plus jeune de tous les présidents de la République, élu sans autre parti que celui qu’il a créé un an plus tôt – En Marche, devenu La République en marche, LREM ou LaREM, REM, LRM. Seule constante, les initiales du chef : EM.

Perdante évidente et par KO, fond et forme, Marine Le Pen reconnaîtra qu’elle était fatiguée (handicapée par une migraine ophtalmique), mal préparée à l’épreuve, qu’elle avait mal joué face à Macron très sûr de lui, maître de la situation et déjà président.

« C’était incontestablement une souffrance. Je sentais que je n’arrivais pas à l’attraper, que j’avais en face de moi un techno, que je n’arrivais pas à démontrer le Macron qu’il est devenu par ailleurs. »

Marine LE PEN (née en 1968), La Dépêche.fr, 8 novembre 2011

La mère de la candidate du FN devenu RN assure que sa fille a « mis un an pour se remette à flot ». « Ces cicatrices m’ont endurcie » assure-t-elle.

Ce débat perdant pour elle a également pesé sur les élections législatives de juin, avec la baisse du vote pour les candidats du Front national. Restent les inquiétudes sur ses capacités présidentielles à venir.

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