Devises d’hier et d’aujourd'hui (du Moyen Âge à la Révolution) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Les devises sont un concentré d’histoire du monde !

La devise est une citation brève exprimant une pensée, un sentiment, un mot d’ordre. La plupart des devises historiques françaises sont empruntées à notre Histoire en citations, mais l’ouverture au monde s’impose et d’autres sources existent, à commencer par les dictionnaires, les encyclopédies.

La confusion est parfois possible entre devise et maxime. Si le texte est associé à un blason (emblème d’une famille noble ou d’une collectivité), c’est une devise. Mais n’importe qui, auteur ou tout autre professionnel, peut choisir de se définir en quelques mots. Exemple archétypal, entre génie et mégalomanie : « Ego Hugo » « Moi Hugo ». Notons que le latin a toujours la cote dans l’histoire, mais en pleine Guerre de Cent Ans, l’Angleterre s’affiche en français : « Honi soit qui mal y pense ».

Quelques devises deviennent proverbes, une authentique promotion : « À cœur vaillant, rien d’impossible », fière devise de l’aventurier Jacques Cœur. Depuis le Moyen Âge, Dieu, la mort, le pouvoir sont des termes récurrents.

À partir du XIXe siècle, les devises individuelles se font plus rares et les devises nationales plus nombreuses, avec l’accession à l’indépendance des anciennes colonies et la création de nouveaux États. Notre pays a donné l’exemple…

« Liberté, égalité, fraternité ». Dès la Révolution, la jeune République française proclame sa devise. De nos jours, plus de 150 États ont fait choix d’une devise et la Liberté s’affiche en tête des valeurs nationales, même dans des pays où la démocratie laisse à désirer… Le Viêt Nam, fier de son indépendance en 1954, s’inspire des valeurs historiques chères à la France et aux États-Unis : « Indépendance, Liberté, Bonheur ». Cas très particulier, deux pays quasi-désertiques au sud de l’Afrique invoquent la « Pluie », premier symbole de vie et de prospérité. Autre cas d’une devise valant proverbe et partagée par plusieurs pays, à commencer par la Belgique : « L’Union fait la force ».

Cet édito offre une foule d’autres détails de l’Histoire de France et d’ailleurs. L’ordre chronologique s’impose et la césure entre les deux épisodes se fait à la Révolution, époque charnière entre l’ancien et le nouveau monde.

MOYEN ÂGE

« Fluctuat nec mergitur » « Il est battu par les flots mais ne sombre pas »222

Devise des marchands d’eau en 1268. Encyclopédie Larousse, article « Devise »

La corporation des Nautes ou Marchands de l’eau était puissante à l’époque antique de la ville. Au XIVe siècle, leur devise deviendra celle de Paris, le navire parisien étant représenté sur le blason de la capitale française.

L’histoire de Paris relève de la politique et de la géographie. Clovis le premier roi en fait sa capitale au VIe siècle, installant les organes du pouvoir dans la petite cité des Parisii, peuple gaulois installé dans l’actuelle région parisienne et donnant son nom à Paris - position de capitale confirmée par les Capétiens.

Au carrefour entre les itinéraires commerciaux terrestres et fluviaux et au centre d’une riche région agricole, Paris devient l’une des principales villes de France au Xe siècle, avec ses palais royaux, ses riches abbayes et sa première cathédrale. Deux siècles plus tard, c’est l’une des premières villes européennes pour l’enseignement et les arts.

Que ce soit avec la Fronde, la Révolution, la Commune de 1871 ou mai 1968, Paris demeure au cœur des événements marquants de l’histoire de la France, chaque région revendiquant son rôle, les grands féodaux étant au Moyen Âge plus puissants que le roi lui-même.

« Roi ne suis, ni prince, ni duc, ni comte aussi,
Je suis le sire de Coucy »206

Devise des COUCY, noble famille de Picardie. Citations historiques expliquées : des origines à nos jours (2011), Jean-Paul Roig

Enguerrand III de Coucy, dit le Grand ou le Bâtisseur, combattit à Bouvines auprès de Philippe Auguste et participa aux révoltes féodales, durant la minorité de Louis IX entre 1226 et 1234. Après sa mort accidentelle en 1243, et celle de son fils Raoul II au cours de la septième croisade (à la Mansourah), Enguerrand IV recueillera l’héritage familial.

Cette devise résonne comme celle des princes de Rohan (maison de Bretagne aux multiples branches) : « Roi ne puis, duc ne daigne, Rohan suis. »

« Notre sang teint les bannières de France »

Devise des Barons de Châteaubriant, Famille de Châteaubriant

Les Châteaubriant adoptèrent cette magnifique devise après 1250, par concession de Louis IX.

Rappelons que sous l’Ancien Régime, les privilèges de la noblesse étaient (théoriquement) justifiés par le fait de se battre à la guerre – tout comme le clergé censé prier dans une France très chrétienne.

Cette famille de la haute noblesse bretonne qui remonte à la chevalerie du XIe siècle affiche fièrement trois branches, deux rameaux et un « cas » sur une parenté discutable.

Elle s’enorgueillit aussi du nom de François-René de Chateaubriand (vicomte dans le rameau des Touches). Premier grand romantique français, auteur des Mémoires d’outre-tombe, il évoque son enfance au château de Combourg (à 40 km de Saint-Malo). Jeune royaliste qui se détourne de la Révolution à la vue du premier sang versé à la Bastille, cet homme politique se situera presque toujours dans l’opposition, sous les sept régimes à venir.

« Memento finis » « Songe à ta fin »246

Devise des Templiers. Règle et statuts secrets des Templiers (1840), Charles Hippolyte Maillard de Chambure

On peut aussi traduire par « Pense à ton but ».

L’anéantissement du plus prestigieux ordre religieux et militaire du Moyen Âge est une « affaire » qui défraie à juste titre la chronique et sept cents ans plus tard, les motivations de Philippe le Bel le « roi de fer » demeurent l’un des grands mystères de l’Histoire. Reste une évidence : toujours à court d’argent, ce roi qualifié aussi de « faux-monnayeur » visait la liquidation de l’ordre, au terme d’un mauvais procès fait à ces moines soldats surtout coupables d’être trop riches et de former un « État dans l’État », les Templiers ne dépendant que de l’autorité du pape. Mais il voulait surtout récupérer une part de leur fortune – le fameux « trésor ».

Soigneusement préparé, le complot contre les Templiers finit dans la violence du bûcher en mars 1314, avec la malédiction proférée par Jacques de Molay, le maître de l’ordre : « Pape Clément ! Chevalier Guillaume ! Roi Philippe ! Avant un an, je vous cite à comparaître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ! » Louis XVI, guillotiné en 1793, appartient à la treizième génération maudite… et le feuilleton des « Rois Maudits » fera les beaux soirs de la télé en 1972 (réalisation de Claude Barma, d’après les Rois Maudits de Maurice Druon).

« Honi soit qui mal y pense »,

Devise de l’ordre de la Jarretière, le plus élevé des ordres de chevalerie en Grande-Bretagne, créé le 23 avril 1348 par Édouard III, 1001 expressions préférées des Français (2011), Georges Planelles

Au début de la fameuse Guerre de Cent Ans (1337-1453), le roi d’Angleterre Édouard III (également duc d’Aquitaine) s’empare de Calais et décide de s’y installer pour un temps. Il organise un bal de cour et invite sa maîtresse, la comtesse de Salisbury. La belle laisse tomber sa jarretière sur la piste de danse, les courtisans se moquent, mais son amant trouve le geste et le mot qui sauve. Il ramasse le tissu, le noue à son propre genou et lance : « Honi soit qui mal y pense. Ceux qui rient maintenant seront très honorés d’en porter une semblable, car ce ruban sera mis en tel honneur que les railleurs eux-mêmes le chercheront avec empressement. » Ainsi est né l’ordre de la Jarretière – c’est peut-être une légende, mais si jolie qu’on la retient et la cite volontiers.

Notons un détail : sur l’insigne où figure toujours une jarretière bleue bien nouée, la devise s’orthographie avec un seul « n », conformément au français de l’époque. L’expression qui vaut aujourd’hui encore s’écrit : « Honni soit qui mal y pense », répartie adroite pour mettre fin aux idées reçues.

Et le français se retrouve à l’honneur dans une autre devise de l’ennemi historique de notre pays, toujours en Guerre de Cent Ans…

« Dieu et mon droit »:

Devise en français du Royaume-Uni sur les armoiries royales et cri de guerre de la monarchie depuis Henri V (couronné en 1413)

« Dieu et mon droit » figure sous le lion et la licorne des armoiries avec la roue qui affiche aussi : « Honi soit qui mal y pense ». On les retrouve à Londres sur le fronton des vieux bâtiments… et même sur le passeport des Britanniques.

La raison se trouve comme souvent dans l’Histoire. Au Moyen Âge, entre le XIème et le XVème siècles, l’élite anglaise parle couramment le français, ou plus précisément le normand. Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, avait remporté la couronne anglaise en 1066 après la célèbre bataille d’Hastings. L’élite anglo-saxonne a progressivement disparu au sein de l’aristocratie et les rois normands se succèdent jusqu’à Henri V.

Le souverain, conservateur, veut garder le normand comme langue à la cour et choisit pour le royaume d’Angleterre la devise « Dieu et mon droit ». Cette phrase viendrait de Richard Cœur de Lion (fils d’Henri II et d’Aliénor d’Aquitaine), monarque du pays entre 1189 et 1199. À la bataille de Gisord (1198) contre le roi de France Philippe Auguste, il aurait lancé ces mots signifiant qu’il devait sa couronne à Dieu et uniquement à lui. La phrase a traversé le temps, devenue devise de la monarchie britannique. En 2016, une pétition fut lancée pour enlever les mots français du passeport britannique, sans succès.

Ainsi le français est-il bien ancré dans la monarchie britannique, alors que la langue anglaise concurrence le français en maints domaines, le numérique, la mode, la musique, la vie des entreprises, etc.

« Rien ne m’est plus, plus ne m’est rien »320

Valentine VISCONTI (1368-1408), duchesse d’Orléans, janvier 1408. Sa devise. Chroniques (posthume, 1826), Enguerrand de Monstrelet

C’est encore un épisode de la Guerre de Cent Ans, au Moyen Âge. Le 23 novembre 1407, dix-huit hommes au service du puissant duc de Bourgogne dit Jean sans Peur se jettent sur le duc d’Orléans, sortant de l’hôtel Barbette, rue Vieille du Temple à Paris, où réside sa maîtresse, la reine Isabeau (de mauvaise réputation). Ils tuent sauvagement le duc : tyrannicide salutaire contre celui qui exerçait « seigneurie à son propre et singulier profit », plaide Jehan Petit, docteur en théologie faisant l’apologie publique de ce meurtre.

La veuve a vainement demandé justice auprès du roi (Charles VI le Fou), suite à l’assassinat de son mari. Elle prend cette triste devise inscrite sur la dalle mortuaire et va sans fin se recueillir devant le gisant du duc. Elle mourra l’année suivante.

Mais auparavant, la veuve et son fils Charles d’Orléans ont voulu venger cette mort. Charles a épousé la fille du comte d’Armagnac et ils vont pouvoir compter sur les « routiers » gascons, mercenaires du comte. Ainsi commence la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons qui va ensanglanter durablement la France déjà malade de la Guerre de Cent Ans.

« Dieu premier servi »339

JEANNE D’ARC (1412-1431), devise. Jeanne d’Arc : le pouvoir et l’innocence (1988), Pierre Moinot

C’est la clé du personnage, première héroïne nationale qui fait toujours fantasmer la France, divise les historiens et fait référence chez les politiciens de tous bords.

Ni l’Église, ni le roi, ni la France, ni rien ni personne d’autre ne passe avant Lui, « Messire Dieu », le « roi du Ciel », le « roi des Cieux », obsessionnellement invoqué ou évoqué par Jeanne, aux moments les plus glorieux ou les plus sombres de sa vie. C’est la raison même de sa passion, cette foi forte et fragile, à l’image du personnage… et du Moyen Âge qui reste surtout comme le temps des croisades et des cathédrales.

« À cœur vaillant, rien d’impossible »360

Jacques CŒUR (vers 1395-1456), cas rarissime d’une devise devenue proverbe. Le Grand Cœur (2012), Jean-Christophe Rufin

Cette devise illustre à merveille l’esprit d’entreprise sans limite d’un homme d’affaires aux multiples activités (banque, change, mines, métaux précieux, épices, sel, blé, draps, laine, pelleterie, orfèvrerie), banquier de Charles VII et qui finança comme tel la reconquête de la Normandie en 1449. Sa vie est un authentique roman d’aventure.

Maître des monnaies en 1436, argentier du roi en 1440, puis conseiller en 1442, chargé de missions diplomatiques à Rome, Gênes, il aide aussi le roi à rétablir une monnaie saine et à redonner vie au commerce français.

Soupçonné de malversations et crimes véritables ou supposés (et même d’avoir empoisonné Agnès Sorel, maîtresse du roi, morte le 9 février 1450), il est arrêté en 1451 et condamné par une commission extraordinaire le 29 mai 1453 : confiscation de ses biens et amende de 400 000 écus.

En 1454, il s’évade de prison, se fait innocenter par le Pape Calixte III qui lui confie le commandement d’une flotte pour guerroyer contre les Turcs. Il meurt en croisade à Chio, en 1456.

Son éphémère fortune symbolise la génération des nouveaux riches, issue de la guerre de Cent Ans. Cette vie qui a frappé ses contemporains fait de lui un personnage de la proche Renaissance.

« Divide ut regnes » « Diviser pour régner »275

LOUIS XI (1423-1483), sa première maxime. Fleurs latines des dames et des gens du monde ou clef des citations latines (1850), Pierre Larousse

Énoncée à la Renaissance par Machiavel, mais attribuée à Philippe de Macédoine (père d’Alexandre le Grand) qui régna  au IVe siècle avant J.-C., associée plus tard au Sénat romain, la maxime qui vaut devise sera reprise par Catherine de Médicis, régente puissante aux mœurs florentines.

Cette stratégie inspire nombre de personnages politiques, mais Louis XI demeure l’un de nos plus grands rois.

« Qui s’y frotte, s’y pique »277

LOUIS XI (1423-1483), sa devise. Citations historiques expliquées : des origines à nos jours (2011), Jean-Paul Roig

Dernier grand roi du Moyen Âge, mal aimé car peu aimable, vu par le chroniqueur Georges Chastellain : « Notre roi qui ne se vêt que d’une pauvre robe grise avec un méchant chapelet, et ne hait rien que joie. »

Mais c’est un personnage essentiel de notre Histoire et reconnu par les historiens, y compris Michelet qui dénonce par ailleurs le tyran : « Avec la faible ressource d’un roi du Moyen Âge, il avait déjà les mille embarras d’un gouvernement moderne : mille dépenses publiques, cachées, glorieuses, honteuses. Peu de dépenses personnelles ; il n’avait pas les moyens de s’acheter un chapeau, et il trouva de l’argent pour acquérir le Roussillon et racheter la Somme. »

Louis XII prendra la même devise que son beau-père Louis XI, mais associée au porc-épic. De sorte qu’il y a parfois confusion, dans certaines sources, entre les deux symboles et les deux rois.

« Qui nescit dissimulare, nescit regnare » « Celui qui ne sait pas dissimuler, ne sait pas régner »

LOUIS XI (1423-1483), devise en forme de maxime

Avec cet autre précepte, on a la clé de toute la politique de Louis XI, personnage réaliste et rusé, à la diplomatie retorse, aux manœuvres sans scrupules, prêt à briser le pouvoir des grands seigneurs féodaux pour ouvrir les portes de l’ère moderne, à commencer par la Renaissance – déjà omniprésente en Italie et fascinante pour les rois de France à venir.

RENAISSANCE

« Aut Caesar aut nihil » « Ou empereur ou rien ».

Devise de César BORGIA (1475-1507) écrite sur les drapeaux de ses soldats et jouant de l’ambiguïté avec son prénom

Prince italien né le 13 septembre 1475 à Rome et mort le 12 mars 1507 en Navarre, il succède à son frère Giovanni Borgia (Juan Borgia) en tant que duc de Gandie. Il est également pair de France, chevalier de l’ordre de Saint-Michel, prince de Romagne, d’Andria et de Venafro, duc de Gandie et de Valentinois, comte de Diois, seigneur d’Issoudun, de Piombino, Camerino et Urbino, gonfalonier et capitaine général de l’Église, condottière et cardinal… C’est dire le CV exceptionnel d’une carrière fulgurante, qui s’explique par l’appui de la papauté et de la royauté . Mais il ne fut pas César (empereur).

Il doit surtout sa notoriété à Machiavel qui l’a connu et le cite fréquemment dans Le Prince, modèle du souverain qui, grâce à une « virtù » hors du commun, réussit à conserver un pouvoir acquis par la faveur d’autrui - à commencer par son père.

« Malo mori quam fœdari » « Plutôt mourir que se déshonorer »420

ANNE DE BRETAGNE (1476-1514), devise des ducs de Bretagne

Ou encore « Je préfère la mort à la souillure » - et la duchesse Anne prend pour symbole la blanche hermine.

Fille de François II, dernier duc de Bretagne, elle lui succède le 9 septembre 1488 à la tête du duché de Bretagne. Elle a 13 ans. C’est le début d’une vie publique (et privée) fort mouvementée, pour une femme de grand caractère qui deviendra (deux fois) reine de France, mariée à Louis XII et Charles VIII et apportant la Bretagne en dot.

Elle mourra sans s’être déshonorée, mais épuisée à moins de 37 ans par ses grossesses, entre fausses couches et maternités (un enfant tous les 14 mois en moyenne).

« Voluntas Dei. Missus a Deo » « Volonté de Dieu. Envoyé de Dieu »424

CHARLES VIII l’Affable (1470-1498), devise sur ses étendards entrant dans Rome, fin 1494. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

De 1492 à 1559, la France de la Renaissance va se lancer dans 11 guerres d’Italie avec des fortunes diverses. Charles VIII est le premier de nos rois qui succombe au mirage italien, François Ier sera le plus emblématique.

Affichant sa fière devise, le roi de France se prend pour un nouveau croisé - d’ailleurs appelé par l’Italie en plein chaos politique, avec ses cinq États qui se déchirent entre eux et une poussière de principautés.

Suivent cinq mois de marche triomphale pour traverser l’Italie avec 36 000 hommes, dont 10 000 mercenaires suisses et allemands. Presque sans combattre, le voilà aux portes de Rome, le 31 décembre 1494 : « Le roi entra dans Rome plus triomphalement et mieux accompagné que ne fit aucun prince qui soit en la mémoire de ceux qui sont vivants », selon le témoignage d’un des gentilshommes de Louis d’Orléans – libéré, réconcilié avec Charles VIII, le futur Louis XII fait partie de l’expédition.

« Libris et liberis » « Pour des livres et pour des enfants »

LOUISE DE SAVOIE (1476-1531), sa devise parfaitement conforme à sa vie

Fille du duc Philippe II de Savoie et de Marguerite de Bourbon, mariée à Charles d’Angoulême, cousin de Louis XII, elle a deux enfants qui marqueront l’Histoire : Marguerite (future reine de Navarre et poétesse) et François Ier.

Veuve à dix-neuf ans, elle se consacre à leur éducation, aidée par son confesseur, le cardinal Cristoforo Numai de Forlì. Elle-même fut à bonne école avec sa tante, Anne de Beaujeu. Les livres de Christine de Pisan font partie de sa fameuse bibliothèque : cette philosophe et poétesse d’origine italienne est considérée comme la première femme de lettres française ayant pu vivre de sa plume non sans mal – mais ce n’était pas non plus facile chez ses confrères toujours en quête de mécénat.

Suivant sa devise, Louise de Savoie fait elle-même œuvre de mécène, passant commande de nombreux manuscrits destinés à l’éducation de ses enfants. Son unique objectif devient alors de préparer son fils, son « César bien-aimé » au métier de roi - Louis XII n’ayant pas de descendant mâle.

« Nutrisco et exstinguo » « Je le nourris et je l’éteins »436

FRANÇOIS Ier (1494-1547), devise accompagnant la salamandre sur ses armes. Encyclopédie théologique (1863), abbé Jean-Jacques Bourasse

Allusion à l’ancienne croyance selon laquelle cet animal est capable de vivre dans le feu et même de l’éteindre.

Depuis un siècle, les rois de France ont des emblèmes personnels souvent associés à un animal : le lion pour Charles VI le Fou, le cerf ailé pour Charles VII et Charles VIII, le porc-épic pour Louis XII. La salamandre se marie bien à cette Renaissance où la frontière est floue entre nature et surnature, chimie et alchimie, astronomie et astrologie. On croit l’air et l’onde peuplés de démons – même le très savant Ambroise Paré, médecin des rois !

« Ad majorem Dei gloriam » ou AMDG « Pour une plus grande gloire de Dieu »

Devise des membres de la Compagnie de Jésus, autrement dit les Jésuites

Homme de guerre repenti après une grave blessure lors d’un siège en 1521, Ignace de Loyola part étudier à Paris. En 1534, il fonde, en collaboration avec le Navarrais François-Xavier et le Savoyard Pierre Favre, un ordre auquel se joint une bande d’étudiants, dans le but d’œuvrer à une plus grande gloire de Dieu dans un monde déchiré par les guerres de Religion et les affrontements entre catholiques et réformés. L’Ordre qui se donne un but apostolique et missionnaire prend le nom de Compagnie de Jésus. Le jésuite s’engage à vivre selon les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance : tout cela pour être disponible, se mettre au service de l’Église et aider les autres à rencontrer Dieu. Il vit au sein d’une communauté, dans une cohabitation fraternelle.

Arme intellectuelle du catholicisme romain, le Pape mobilise immédiatement les jésuites comme théologiens de service au Concile de Trente. À l’activité missionnaire et intellectuelle s’ajoute rapidement l’enseignement. Au XVIIIe siècle, l’Europe, l’Inde et l’Amérique Centrale et du Sud comptent environ 600 établissements qui sont la providence des parents en quête d’études solides et d’orthodoxie spirituelle. L’attention à la pédagogie sanctifie le savoir et accorde une grande place à la science moderne, ce qui renforce leur succès. La Compagnie de Jésus s’associe durablement à la formation des élites.

Le despotisme éclairé et les Lumières contestent le rôle de la Compagnie. En 1759, le Portugal et ses colonies les chassent. En 1763, Louis XV les proscrit. En 1767, l’Espagne les expulse. En 1773, la Papauté les supprime. Événement unique, un Ordre religieux est détruit par l’autorité même qui l’avait fondée. Le profond enracinement social et culturel des jésuites permet sa reconstitution après 1814.

Dans les histoires drôles, le Bénédictin est toujours savant, le Trappiste creuse sa tombe, le Jésuite, lui, est rusé. Exemple : « Au temps des rois mages, les couvents ont envoyé un représentant auprès de l’enfant Jésus. Le bénédictin s’écrie : – Seigneur, voici l’encens de notre connaissance. Le dominicain : – Seigneur, voici l’or de notre parole. Et le franciscain : – Seigneur, voici la myrrhe de notre pauvreté. Pendant ce temps, le jésuite glisse à l’oreille de Joseph : – Confiez-nous le petit. Nous en ferons quelque chose ». Plus grave, l’accusation de pédophilie.

« Doux est le péril pour Christ et le pays ! »510

Prince Louis de CONDÉ (1530-1569), sa devise. La Célèbre Bataille de Jarnac, racontée par Agrippa d’Aubigné (alors âgé de 17 ans)

Troisième guerre de Religion : Condé (le Prince) et Coligny (l’Amiral) sont les deux chefs, convertis au calvinisme, mais modérés – ils ont refusé de participer à la conjuration d’Amboise (1560). Catherine de Médicis veut les faire enlever, ils se réfugient à La Rochelle qui devient une place forte protestante.

Condé prend la tête, avec sa fière devise sur ses étendards et malgré une jambe brisée par un cheval. Battu et blessé par l’armée du duc d’Anjou (frère du roi et futur Henri III), il se rend, avant d’être assassiné au mépris des lois de la chevalerie : d’un coup de pistolet dans la nuque, tiré par le capitaine des gardes. (Rien à voir avec le « coup de Jarnac » : l’expression trouve son origine dans un duel de 1547, entre le favori du roi Henri II et le baron de Jarnac, qui lui trancha le jarret d’un coup d’épée fatal.) Coligny réussit à sauver 6 000 hommes, noyau de la nouvelle armée protestante. Henri de Navarre (futur Henri IV), présent à la bataille, devient à 16 ans le chef des réformés. Et les guerres de Religion continuent.

« Que sais-je ? »;

Michel de MONTAIGNE (1533-1592), sa devise

En 1576, Montaigne fait graver une médaille avec ces mots. Point d’ancrage de toute son œuvre, c’est le fondement d’une nouvelle forme de pensée où le doute intellectuel est un devoir : « Philosopher, c’est douter… Le doute est un mol oreiller pour une tête bien faite » écrit-il. Et d’ajouter « Une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine. » Essais (1580)

Cette forme de sagesse l’oppose à ses confrères en philosophie et de manière plus générale aux hommes de science.

« Manet ultima coelo » « L’ultime (couronne) reste au ciel »

HENRI III (1551-1589), sa devise au sens toujours secret

Inscrite sur toutes les médailles à son effigie et diversement imagées, la formule est à l’image de personnage énigmatique à plus d’un titre, fils préféré de sa mère Catherine de Médicis, mais partenaire politique pour le moins versatile du futur Henri IV et roi diversement jugé par les historiens qui s’interrogent autant sur l’homme que sur sa politique.

Restent ses obsessions : le règne (difficile, voire impossible), la religion (raison de toutes les guerres et de la Ligue ultra-catholique), la mort (fin ultime et fatalement proche, avec la théorie du tyrannicide dont il sera victime, comme son successeur). La pensée de l’ultime couronne céleste serait alors un réconfort, une assurance sur la vie éternelle.

Quand trois couronnes illustrent la devise, c’est sans doute le rappel de son premier règne en Pologne, avant son retour et son second règne en France, suite à la mort précoce de son frère Charles IX, la troisième couronne l’attendant au ciel. Autre interprétation, ultime mystère du roi Henri III.

NAISSANCE DE LA MONARCHIE ABSOLUE

« Duo prætendit unus » « L’une protège l’autre »-

HENRI III DE NAVARRE, futur HENRI IV (1553-1610), sa devise

Rien de mystérieux chez ce roi extraverti, bon vivant mais toujours hésitant, et plutôt optimiste malgré cette terrible époque des guerres de Religion – huit en trente-huit années – auxquelles il mettra fin avec l’édit de pacification signé à Nantes (1598), même s’il mourra assassiné comme Henri III.

En attendant et par cette devise, le « bon roi Henri » souhaite (ou affirme) simplement que la France protège sa Navarre natale et vice versa, deux terres qui lui tiennent à cœur, deux couronnes qui seront siennes successivement.

« Une foi, une loi, un roi »

LOUIS XIII le Juste (1601-1643), sa devise

Très pieux, très légaliste et très jaloux de son autorité si longtemps contestée par sa mère et son favori : « Merci ! Grand merci à vous ! À cette heure, je suis roi ! » dit-il au baron de Vitry, après l’assassinat de Concini au Louvre, 24 avril 1617. Il n’en pouvait plus d’attendre, écarté par sa mère qui le traite en enfant et humilié par son conseiller qui se permet de se couvrir en sa présence et de s’asseoir sur le trône à sa place.

Louis XIII défendra ensuite son « Principal ministre » le cardinal de Richelieu contre sa mère Marie de Médicis qui a tenté de le perdre avec une perfidie florentine. Grâce au « ministériat », la France sera bien gouvernée, dans le respect de la devise royale et grâce aux qualités exceptionnelles du cardinal que le roi saura reconnaître, quoiqu’il lui en coûte parfois de partager son autorité.

« Mon prix n’est pas dans ma couronne »

ANNE D’Autriche (1601-1666), sa devise. Dictionnaire Larousse au mot « couronne »

La reine fit son possible pour en être digne au fil des épreuves, après une entrée dans l’Histoire et une première cérémonie de mariage impressionnante avec Louis XIII.

Reine de France et de Navarre de 1615 à 1643, elle finit par lui donner un fils : « Ici rien pour la nature. Dieudonné est le fils de la raison d’État. » L’historien Michelet évoque la très longue stérilité du mariage qui faisait craindre pour la succession. « L’enfant apparut au moment où la mère se croyait perdue si elle n’était enceinte. Il vint exprès pour la sauver. » Le roi étant peu empressé auprès de la reine, les bonnes âmes murmurent les noms d’amants supposés. Un doute planera toujours sur la filiation entre Louis XIII le Juste et ce petit Dieudonné qui deviendra Louis XIV le Grand.
La reine devient ensuite régente pendant la minorité de Louis XIV (de 1643 à 1651). Elle vit une autre épreuve, la Fronde (1648-1653), cinq années de guerre civile où la France échappe de peu à une vraie révolution. Elle assure le pouvoir avec le très habile Mazarin Premier ministre détesté du peuple. Sa situation est plus que délicate, entre les faux amis et les vrais ennemis du pouvoir. Elle retrouvera une vraie popularité, sachant s’effacer quand Louis XIV règnera enfin. À l’annonce de sa mort (après une longue maladie), le roi s’évanouira.

« Aimer, Partager, Servir »

VINCENT de PAUL (1576-1660), sa devise

Les valeurs de la Société de Saint-Vincent-de-Paul se fondent sur cette belle devise qui n’est pas qu’un vœux pieux ! « Le pauvre peuple des champs meurt de faim et se damne. » Telle est sa constatation, plus réaliste que « la poule au pot » du dimanche qui fait partie de la légende d’Henri IV.
Les missions intérieures des capucins, oratoriens et jésuites avaient surtout pour but de défier les pasteurs de la « religion prétendument réformée » et de porter la bonne parole (catholique) à travers prêches, sermons et catéchismes. Mais au contact du peuple et devant tant de misères, l’Église, parfois, s’émeut. Vincent de Paul  va consacrer une très longue vie de saint au service de la misère humaine de son temps.

Pour Vincent de Paul et ses amis, l’assistance passe avant la conversion et le salut. Il groupe les dames de la bonne société en charités paroissiales et elles collectent des fonds pour les « pauvres honteux », mais la tâche est trop dure ! Alors Vincent fait appel à des femmes du peuple, réunies en une congrégation des Filles de la Charité (1633). Elles vivent dans la plus stricte pauvreté, sans couvent ni clôture, sans habits qui les distinguent des gens du village. Elles se consacrent aux malades pauvres et aux enfants trouvés. D’autres institutions charitables suivront. En 1635, il envoie des secours aux populations du Duché de Lorraine et de Bar, ravagés par les troupes françaises et suédoises.

« Roy ne puis, prince ne daigne, Rohan suis »746

Fière devise d’Henri II, duc de ROHAN (1579-1638) - et de toute la célèbre « maison » des ROHAN

Avant la monarchie absolue sous Louis XIV, c’est la dernière période de l’histoire où les Grands ont ce pouvoir de soulever la France et de traiter avec l’ennemi presque en toute impunité – Condé, Turenne entre autres.

Grande famille princière du duché de Bretagne, la maison de Rohan est en cela « exemplaire » : Henri, duc de Rohan, chef du parti protestant, a soutenu trois guerres contre Louis XIII, avant de se rallier et de combattre dans l’armée royale. Le jeune Tancrède participe à la Fronde comme tant de Grands du royaume et y trouvera la mort. Louis, dit le chevalier de Rohan, célèbre par ses aventures amoureuses (ravisseur d’Hortense Mancini et amoureux de la marquise de Montespan), conspire contre Louis XIV avec les Hollandais et sera exécuté.

On comprend pourquoi Louis XIV se méfiera de la noblesse : sous son « règne de vile bourgeoisie » (selon Saint-Simon), les grands seigneurs n’ont plus accès aux hautes fonctions gouvernementales.

« Je pense, donc je suis » « Cogito, ergo sum »722

René DESCARTES (1596-1650), Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, plus la dioptrique, les météores et la géométrie, qui sont des essais de cette méthode (1637).

La locution latine fut introduite dans le langage courant par René Descartes, pour résumer que la pensée est en soi une preuve d’existence. Cela vaut devise pour le plus grand philosophe classique.

Événement majeur dépassant le cadre de la littérature pour devenir fait de société, le titre est à lui seul une citation et tout un programme. La formule lapidaire, restée célèbre, va déclencher, avec quelques autres, des polémiques qui finiront par la mise à l’Index des œuvres de Descartes, après sa mort.

Philosophe, mathématicien et physicien, l’auteur s’est prudemment réfugié dans la proche, protestante et bourgeoise Hollande, pour poursuivre son œuvre. La condamnation de Galilée par le Saint-Office n’est pas si lointaine (1633). Coupable d’avoir affirmé, contre la Bible, que la Terre tourne autour du Soleil, et non l’inverse, l’astronome italien aurait dit : « Et pourtant, elle tourne. »

Descartes a d’autres audaces et la première est simple : il faut vérifier par le raisonnement toutes les idées ou vérités reçues. C’est cela, l’essentiel de sa méthode. Mais c’est une rupture avec tout ce qui est enseigné dans les universités. Le cartésianisme aura des vertus déstabilisantes et des conséquences scientifiques que l’auteur ne soupçonnait pas !

SIÈCLE DE LOUIS XIV

« Ultima ratio regum » « Dernier argument des rois »817

LOUIS XIV (1638-1715), devise gravée sur ses canons

Concise et précise, la devise est une bonne citation historique. Celle-ci donne une clé de la politique extérieure du règne et du personnage. La guerre est l’une des passions du roi, la victoire étant ce qui peut le mieux servir sa gloire. D’où trente-trois années de guerre sur un règne personnel de cinquante-quatre ans. Rappelons que ses contemporains sont du même avis : un roi guerrier fait son métier de roi.

Louis XIV va poursuivre trois buts qu’on nommerait aujourd’hui géopolitiques : prééminence de la France dans le monde, frontière stratégique assurée au nord-est, visées sur la prochaine succession d’Espagne. Il se donnera les moyens de sa politique : grands diplomates (Lionne, Pomponne, de Torcy, le neveu de Colbert), réorganisation militaire conduite par Louvois, effectifs considérables pour une armée de métier (passant de 72 000 hommes en 1667 à 400 000 en 1703), marine de guerre développée par Colbert (La Royale a 18 vaisseaux en 1661, 276 en 1683), places fortes créées ou renforcées par Vauban.

« Nec pluribus impar » « Supérieur à tous »853

LOUIS XIV (1638-1715), autre devise du Roi Soleil

« Non inférieur (ou : inégal) à plusieurs (ou : au plus grand nombre) » – c’est littéralement intraduisible. On peut quand même essayer, en recourant à une litote.

D’autres traductions existent, signées d’historiens. Pierre Larousse, auteur du dictionnaire éponyme, pose la question et avoue qu’il n’y a pas de réponse claire, même pas celle de Louis XIV dans ses Mémoires : « Je suffirai à éclairer encore d’autres mondes. »

Quoi qu’il en soit, la devise latine accompagne l’emblème choisi lors de la fête du Carrousel, en juin 1662 : le Soleil. Ainsi se développe une mystique d’origine divine, mais en réalité bien païenne, celle du Roi-Soleil, personnage presque supraterrestre dont le culte atteint son apogée avec l’installation de Louis XIV à Versailles, en 1682.

« Quo non ascendet ? » « Jusqu’où ne montera-t-il pas ? »858

Nicolas FOUQUET (1615-1680), devise figurant dans ses armes, sous un écureuil

Il monta si haut… que le jeune roi arrivé au pouvoir ne put le tolérer.

Fils d’un conseiller au Parlement, vicomte de Vaux, enrichi par le commerce avec le Canada, Nicolas Fouquet achète la charge de procureur général au Parlement de Paris, devient ami du Premier ministre Mazarin, surintendant des Finances, s’enrichit encore, se paie le marquisat de Belle-Isle, y établit une force militaire personnelle et même des fortifications. Au château de Vaux qu’il fait construire, il sera le mécène des plus prestigieux artistes du temps : La Fontaine, Molière, Poussin, Le Vau, Le Brun.

Colbert qui brigue sa place apporte la preuve qu’une telle fortune fut acquise au prix de graves malversations. Invité à une fête somptueuse à Vaux, 5 septembre 1661, Louis XIV fait arrêter son surintendant : coup de théâtre et premier acte d’autorité absolue.

« Pro rege saepe ; pro patria semper » « Pour le roi souvent ; pour la patrie toujours »862

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), sa devise

Fils de bourgeois anoblis (drapiers de Reims), Colbert sera l’un des grands « commis de l’État » durant vingt-deux ans, sachant rester au second plan pour ne pas faire ombre au Roi-Soleil.

Homme de dossiers, mais aussi de clan et de famille, il place ses hommes et ses fils, marie ses filles à des ducs et lutte contre les intrigues du clan Le Tellier, notamment de Louvois, ministre de la Guerre.

Travailleur infatigable, il cumule les postes clés, avec un ambitieux programme pour enrichir le pays : « Il faut rétablir ou créer toutes les industries, même de luxe ; établir le système protecteur dans les douanes ; organiser les producteurs et les commerçants en corporations ; restituer à la France le transport maritime de ses produits ; développer les colonies et les attacher commercialement à la France ; développer la marine militaire pour protéger la marine marchande. »

La France du XVIIe siècle doit son rayonnement international à Colbert. Une disgrâce royale imminente en fin de vie semble plus injuste aux historiens que son impopularité, inhérente aux ministres des Finances responsables des impôts.

« Castigat ridendo mores » « Corriger les mœurs par le rire »

Devise de la comédie, imaginée par le poète Jean de Santeul et donnée à l’Arlequin italien Dominique, vedette de la commedia dell’ arte à Paris, pour qu’il l’affiche sur la toile de son théâtre

Cet acteur italien, créateur et interprète du personnage d’Arlequin, faisait partie de la troupe que Mazarin (Italien né Mazarini) fit venir à Paris en 1660 à la Comédie-Italienne.

La commedia dell’arte est un genre de théâtre populaire italien né au XVI e siècle : des acteurs masqués incarnent chacun un personnage (Arlequin, Colombine, Scaramouche….) et improvisent sur un canevas bien rodé des comédies marquées par la naïveté, la ruse et l’ingéniosité.

Molière jouera en alternance avec la troupe italienne de Scaramouche dans deux salles successives et s’inspirera de leur génie propre pour créer son propre répertoire de comédies devenues classiques. « Corriger les mœurs par le rire » est la devise qui résume le mieux son œuvre et explique sa popularité auprès de tous les publics, à commencer par le roi qui sera son soutien et son mécène. En vertu de quoi le XIIe est aussi le siècle de Molière.

SIÈCLE DES LUMIÈRES

« Plus d’Anglais dans la péninsule ! »1156

LALLY-TOLLENDAL (1702-1766), devise du commandant du corps expéditionnaire envoyé en Inde (1760). Lally-Tollendal : la fin d’un empire français aux Indes sous Louis XV, d’après des documents inédits (1887), Tibulle Hamont

Brave soldat, Lally-Tollendal tente de sauver les comptoirs français menacés par les Anglais : « Je me borne seulement à vous retracer ma politique en trois mots ; ils sont sacramentaux : Plus d’Anglais dans la péninsule. Vous vous mettrez donc en marche, sitôt cet ordre reçu, avec tous les Européens qui sont à vos ordres, cavalerie et infanterie. »

Mais borné, ignorant tout de la politique indigène, autoritaire et mal conseillé, il capitulera après un an de résistance à Pondichéry (17 février 1761). Et l’Inde sera perdue comme le Canada, dans cette désastreuse guerre de Sept Ans, qualifiée par certains historiens (et par Winston Churchill) de première guerre mondiale de l’histoire : l’Europe, avec presque tous les pays belligérants, n’est plus le seul théâtre des opérations. Il y a aussi l’Amérique du Nord et l’Inde.

Sans caricaturer l’Histoire, on peut la résumer en affirmant que le Siècle des Lumières est peu doué pour la guerre comparé au siècle de Louis XIV et à l’épopée napoléonienne, avec une armée mal dirigée, mal préparée. Mais il se révèle remarquable par ses idées philosophiques qui ont également le mérite de changer pacifiquement le cours de l’Histoire, durablement et pas seulement en France !

« Variété, c’est ma devise »

VOLTAIRE (1694-1778), Correspondance

« Voltaire, quel que soit le nom dont on le nomme /  C’est un cycle vivant, c’est un siècle fait homme ! » Lamartine, Première méditation (1820). Avec des accents hugoliens, le poète du siècle suivant rend hommage à l’homme et à son œuvre.

Le « roi Voltaire » a tout vu, tout vécu dans le siècle : la cour et ses plaisirs, mais aussi ses désillusions, la Bastille et ses cachots, l’exil, les salons et les succès mondains et financiers, l’Europe avec le bonheur en Angleterre, le piège en Prusse, la vie de château à Ferney où il joue l’« aubergiste de l’Europe », la lutte incessante pour ses idées (liberté, justice, tolérance) et la défense des victimes de l’arbitraire.

Il a aussi tout écrit : Correspondance (quelque 40 000 lettres dont il reste 14 000), œuvres philosophiques (l’essentiel aux yeux de la postérité), contes (à but philosophique, mais la partie de son œuvre la plus lue et rééditée), théâtre (tragédies aujourd’hui injouables, le genre noble très apprécié en son temps et sous la Révolution !), poésies (250 000 vers, essentiellement des alexandrins, avec La Henriade que Beaumarchais comparait à L’Iliade), histoire (Le Siècle de Louis XIV est bien documenté, tous les autres titres valent aussi par le style et la philosophie justement tirée de l’histoire). L’œuvre scientifique qui témoigne de son intérêt universel « éclaira » son époque au même titre que les articles de l’Encyclopédie. À noter qu’il en écrivit quelques-uns, d’Alembert voulait les publier, mais Diderot s’y opposa – querelles de philosophes. Bref, il a abordé tous les genres, excellé dans certains : « Variété, c’est ma devise ».

Une autre devise lui est attribuée : « Malheur est bon à quelque chose »… ce qui serait le reflet de son heureux caractère. En réalité, la citation existe bel et bien, mais dans un conte : « Il prit pour sa devise : malheur est bon à quelque chose. Combien d’honnêtes gens dans le monde ont pu dire : malheur n’est bon à rien ! » L’Ingénu (1767).

« Vitam impendere vero » « Consacrer sa vie à la vérité »\

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), devise inscrite au fronton de sa tombe (sculptée par Houdon)

Sur l’autre face, l’épitaphe confirme : « Ici repose l’homme de la Nature et de la Vérité ».

Ce philosophe qui s’oppose en presque tout à Voltaire le rejoint quand même par son amour de la vérité – mais ce n’est pas la même : « L’homme est né libre et partout il est dans les fers. » Selon l’historien Edgar Quinet, le Contrat social est le « livre de la loi » de la Révolution et Rousseau « est lui-même à cette Révolution ce que le germe est à l’arbre ».

Le Contrat social sera le livre de chevet de Robespierre, inspirant au XIXe siècle le socialisme et le communisme.

« Plutôt s’user que se rouiller »

Denis DIDEROT (1713-1784), sa devise

Fils d’un coutelier de Langres et d’origine modeste comme Rousseau, il est resté toute sa vie fidèle à cette devise, en prêtant comme Voltaire sa plume à tous les genres : Encyclopédiste. Philosophe. Écrivain. Romancier. Dramaturge. Conteur. Essayiste. Dialoguiste Critique d’art Critique littéraire Traducteur.

Il reste surtout comme le maître d’œuvre de l’Encyclopédie (avec d’Alembert), se dépendant sans compter pendant vingt ans dans cette entreprise collective et monumentale qui rallie tout le parti philosophe. À partir de 1747 (à 34 ans), il dirige et supervise l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 28 volumes publiés entre 1751 et 1772, 72 000 articles, 140 collaborateurs. Il s’engage avec passion dans l’impression (difficile et censurée), la rédaction, la collecte, la recherche et la réalisation des planches entre 1750 et 1765. Il rédige le Prospectus (paru en 1750) et plus d’un millier d’articles, sur les thèmes qui lui tiennent le plus à cœur (Christianisme, Autorité politique, Philosophe…). Travailleur infatigable, éternel insatisfait, relecteur attentif, il est toujours prêt à rendre service, par amour, amitié ou obligeance, ou à encourager le débutant.

De tous les philosophes, c’est le plus généreux. Très fatigué au retour d’un voyage en Russie où il a enfin rencontré sa mécène et correspondante, la Grande Catherine, il mourra littéralement épuisé après dix dernières années difficiles, où il s’acharne encore et toujours à écrire et relire, jusqu’à l’accident vasculaire cérébral.

« Libres et unis »

BEAUMARCHAIS (1732-1799), devise de la première Société des auteurs en France (et dans le monde)

Sa vie fut un roman, celle d’un aventurier, libertin, parvenu, trafiquant d’armes, très représentatif de cette période de fermentation sociale qui précède la Révolution. Fils d’un horloger, professeur de harpe des filles de Louis XV, puis juge des délits de braconnage sur les terres royales, Pierre Augustin Caron de Beaumarchais est introduit dans le monde de la finance. Un procès l’oppose à un Grand (le comte de La Blache) et lui vaut une notoriété subite, en lui offrant l’occasion de dénoncer publiquement la vénalité d’un de ses juges.

Auteur de théâtre connu en 1777 pour le Barbier de Séville (avant le Mariage de Figaro qui fera sa gloire), il va de nouveau prouver son sens des affaires et en faire profiter ses confrères. Il ose affronter les Comédiens-Français qui ont priorité pour exploiter les œuvres théâtrales par privilège d’Ancien Régime, détiennent le monopole du théâtre à Paris, paient des sommes minimes aux auteurs et refusent de « rendre les comptes », autrement dit les recettes sur lesquelles le créateur est payé aussi longtemps que la pièce fait recette.

Beaumarchais réunit ses 24 confrères et lance la première « grève de la plume » contre le théâtre qui, à l’époque, ne vit que de ses créations ! « Libres et unis », ils créent le Bureau de législation dramatique, dénommé Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) depuis 1829. Cette initiative sera reconnue lors de la Révolution, avec l’abolition des privilèges et l’inscription des droits d’auteur dans la loi Le Chapelier de 1791. Le grand critique du XIXe siècle, Sainte-Beuve, présente l’action de Beaumarchais comme un tournant décisif de l’histoire de la littérature, car l’écrivain passe du statut de bénévole, de passionné ou de mendiant (dépendant de ses mécènes) à celui d’industriel et de gestionnaire : « Beaumarchais, le grand corrupteur, commença à spéculer avec génie sur les éditions et à combiner du Law dans l’écrivain ». De la littérature industrielle.

La France fut indiscutablement pionnière dans ce secteur de la culture. À l’heure actuelle, 238 sociétés d’auteurs de 121 pays sont membres de la CISAC (Confédération internationale des Sociétés d’auteurs et compositeurs). Ces sociétés représentent près de quatre millions de créateurs et éditeurs de toutes les régions du monde et de tous les répertoires artistiques (musique, audiovisuel, spectacle vivant, littérature et arts visuels).

« Rien que Dieu » « Re que Diou »

TALLEYRAND (1754-1838), devise de Talleyrand-Périgord, illustrée par trois lionceaux d’or armés et couronnés d’azur

C’est la devise de sa très noble famille et il gardera toujours la nostalgie de l’Ancien Régime : « Qui n’a pas vécu dans les années voisines de 1780 n’a pas connu le plaisir de vivre » dira l’octogénaire qui aura quand même « bien vécu », survécu à sept régimes et fait une belle carrière de diplomate.

Charles Maurice de Talleyrand Périgord ne peut entrer dans l’armée, par suite d’un accident qui le fait boiteux – on évoque aussi un pied bot de naissance. Sans vocation, il se destine à la carrière ecclésiastique. Ses origines aristocratiques lui permettent d’obtenir l’abbaye de Saint-Rémi (diocèse de Reims) et en 1780, à 25 ans, il est agent général du clergé. Il sera évêque d’Autun en 1788, député aux États généraux en 1789. Mais le « diable boiteux » a déjà oublié la devise de la famille, apprécié quelques jolies femmes, avant de prêter serment à la Constitution civile du clergé – prêtre jureur, autrement dit défroqué.

À sa mort, Hugo écrira dans Choses vues : « C’était un personnage étrange, redouté et considérable ; il s’appelait Charles-Maurice de Périgord ; il était noble comme Machiavel, prêtre comme Gondi, défroqué comme Fouché, spirituel comme Voltaire et boiteux comme le diable. On pourrait dire que tout en lui boitait comme lui ; la noblesse qu’il avait faite servante de la république, la prêtrise qu’il avait traînée au Champ de Mars, puis jetée au ruisseau, le mariage qu’il avait rompu par vingt scandales et une séparation volontaire, l’esprit qu’il déshonorait par la bassesse. »

Bref, si un homme s’est bien moqué de sa devise, c’est lui. Il a quand même bien œuvré dans les coulisses du Concordat signé entre le pape et Bonaparte (15 juillet 1801), ce qui régla la question religieuse en France jusqu’à la séparation des Églises et de l’État (1905).

RÉVOLUTION

« Liberté, Égalité, Fraternité »1266

Antoine François MOMORO (1756-1794), slogan révolutionnaire devenu devise républicaine

Libraire imprimeur à Paris, « premier imprimeur de la liberté », il se prétend inventeur de cette devise. En tout cas, c’est lui qui obtient de Pache, maire de Paris, qu’elle figure sur les façades des édifices publics.

Au fil de la Révolution, la liberté, revendication venue du siècle des Lumières, et l’égalité – celle des droits plus que des conditions – vont inspirer les révolutionnaires, pour le meilleur et parfois pour le pire. Mais la fraternité restera la parente pauvre de cette trinité de concept jusqu’au socialisme du XIXe siècle. Le triple principe ne sera inscrit dans une constitution française qu’en 1848, sous la Deuxième République.

« L’Union fait la force »]

Devise nationale des États belgiques unis en 1789-1790.

C’est aussi un proverbe et d’autres pays en feront leur devise nationale. 

Cette devise est utilisée par nos voisins lors de la première indépendance en 1789-1790 des États belgiques unis (ou États unis belgiques) par Van der Noot et Vonck, après la révolution brabançonne. Cette union libérale-catholique sera éphémère et les troupes impériales rétabliront l’autorité de l’empereur.

Cette devise, reprise et prononcée en 1831, ne vise pas l’union entre les communautés linguistiques du pays, mais prend acte de la création d’un nouvel État, gravée au centre du parlement et exprimant la nécessité de s’unir dans un État encore fragile et menacé par les armées de Guillaume Ier des Pays-Bas.

Résumé des faits : 25 août 1830, la révolte belge contre le gouvernement des Pays-Bas commence avec un opéra : La Muette de Portici. 4 octobre, le Gouvernement Provisoire déclare le pays indépendant. 3 novembre, le Congrès National est formé pour établir la constitution et choisit Erasme-Louis Surlet de Chokier comme président. 7 février 1831, la constitution est rédigée. La Belgique devient un royaume. Il faut un régent pour le pays en l’absence d’un roi. Surlet de Chokier l’est donc devenu, le 1er mars, étant en même temps le premier chef d’État. Sa régence dura jusqu’au 21 juillet 1831, jour où le prince Léopold prêta serment comme premier roi des Belges. Léopold fut ainsi le premier roi, mais le deuxième chef d’État en Belgique.

La devise de la Belgique fut reprise ensuite par la Bulgarie, l’Angola, la Bolivie, la Malaisie, Haïti et d’Andorre.

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