Femmes historiques (Empire) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

VI. Empire.

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

1. Madame Mère (Marie Letizia Ramolino) (1750-1836), la seule femme respectée par l’Empereur et capable de tenir tête à son illustre fils.

« Pourvu que ça dure. »1848

Madame MÈRE, alias Marie Letizia (ou Laetitia) RAMOLINO (1750-1836). Petit Larousse de l’Histoire de France

La mère de Napoléon eut treize enfants. Mariée à 14 ans et morte à 97, cette forte femme vivra modestement, à l’écart de la cour. Très superstitieuse en bonne Corse, on peut imaginer ce qu’elle pensait devant l’incroyable ascension du plus célèbre de ses fils qui ne manque pas une occasion de distribuer des titres et des terres à toute sa grande famille, frères, sœurs et conjoints. Non sans problèmes de jalousies, mesquineries, fâcheries que Napoléon règle en chef de clan.

« - Mais je suis l’empereur !
- Oui, mais vous êtes mon fils. »

Madame MÈRE, alias Marie Letizia (ou Laetitia) RAMOLINO (1750-1836) à Napoléon, Histoires insolites de Napoléon (2015), Marc Lefrançois

Elle refuse l’étiquette imposée par son fils qui exige qu’on lui baise la main. Napoléon a beau tempêter, trépigner… Rien n’y fait.

Elle refuse également de participer à la cérémonie du Sacre, trop pompeuse à son goût et interminable (cinq heures !), mais elle est surtout fâchée de sa brouille avec Lucien, le plus sérieux de ses frères. Madame Mère figure pourtant en bonne place dans Le Sacre peint par David conformément à la volonté impériale : c’est donc « un faux » magnifique.

2. Pauline Bonaparte (1780-1825), « la petite païenne » qui multiplie les scandales amoureux, sœur préférée de Napoléon qui la sacre « plus belle femme de son temps ».

« Les enfants ? Je préfère en commencer cent qu’en terminer un seul ! »,

Pauline BONAPARTE (1780-1825), Sorcières : La puissance invaincue des femmes (2018), Mona Chollet

Provocation manifeste, car Pauline est une femme au grand cœur. Elle fera quand même preuve d’un sacré tempérament !

À 13 ans, elle a dû suivre sa mère, ses frères et sœurs en France : la Corse natale est tombée aux mains des Anglais et la famille a choisi la Révolution. Après le siège de Toulon où son frère s’illustre déjà, elle est sitôt courtisée par « Junot la Tempête » dont Bonaparte ne veut pas entendre parler (bien qu’il soit devenu par la suite son aide de camp), puis par Fréron, vétéran révolutionnaire et possible mari. Mais Fréron a promis le mariage à une autre femme et Bonaparte met un terme à la relation en faisant venir sa sœur à Milan – la correspondance entre les deux amants sera publiée en 1834. Pauline rencontre Charles Leclerc, l’un des hommes de confiance du futur empereur qui approuve le mariage. Un an plus tard naît Dermide (son unique enfant). Ça n’empêche pas Pauline de se plonger dans une spirale de fêtes, de frivolités et d’infidélités.

En 1801, le chef de la famille (et de la France) envoie son beau-frère aux Caraïbes à la tête de 20 000 soldats pour réprimer la révolte de Toussaint Louverture à la tête des insurgés de Saint-Domingue. Pauline doit suivre son mari avec le petit Dermide. Arrivée à Port-au-Prince (capitale de l’île), elle devient le centre de la vie sociale de cette colonie française, multipliant les fêtes à plaisir, Leclerc employant tout son temps à réprimer la rébellion, alors que la fièvre jaune décime ses troupes.

Pauline, la petite sœur au grand cœur, transforme la demeure conjugale en hôpital de campagne et oblige les habitué(e)s de ses salons à se dévouer comme elle. Mais fin 1802, Leclerc meurt de la fièvre jaune. Pauline rentre en France avec Dermide et le corps embaumé de son époux. Elle porte le deuil juste le temps dicté par le protocole et recommence à collectionner les amants. Sa liaison avec Talma, l’acteur tragique le plus populaire et l’ami de Napoléon, déclenche un scandale inévitable. Pour Napoléon lancé dans la course à l’empire, une réputation irréprochable s’impose. Il faut donc en finir et marier à nouveau cette insupportable sœur.

« Madame la princesse Borghèse […] la mauvaise saison avance. Les Alpes vont se couvrir de glace. Partez donc pour Rome. Distinguez-vous par votre douceur, votre obligeance envers tout le monde et vos extrêmes prévenances pour les dames parentes et amies de la maison de votre mari. Conformez-vous aux usages du pays, ne méprisez jamais rien, trouvez tout beau, ne dites pas “à Paris, il y a mieux que cela”. »

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Pauline Bonaparte, l’indomptable sœur de Napoléon (2021), María Pilar Queralt Del Hierro (née en 1954)

Pour couper court à la scandaleuse trajectoire amoureuse de « la petite païenne », il lui a trouvé en 1803 un autre mari, gage de respectabilité : le prince Camille Borghèse, vivant à Rome et doté d’une immense fortune. Ce mariage tiendra Pauline éloignée de Paris, centre de toutes les rumeurs et les tentations. Elle y gagne le titre de principessa, une rente annuelle de 70 000 francs, des propriétés, tout un personnel à son service. Mais la jeune mariée tarde à quitter Paris. Elle reçoit donc l’ordre de se rendre immédiatement à Rome. Arrivée dans la Ville éternelle, elle reprend la vie frivole qu’elle a laissée à Paris.

Borghèse accepte ce comportement, conscient de ne pouvoir satisfaire sa femme – cet homme de 28 ans est impuissant. L’arrivée d’Auguste de Forbin, peintre noble d’origine provençale, fait chavirer le cœur de Pauline : la belle mécène s’éprend de son artiste et s’enfuie avec son protégé dans l’une de ses propriétés en France.

Le mari trompé fait appel à Napoléon qui met fin à la romance, appelant Forbin à ses côtés et lui donnant le titre de baron de l’Empire. Et il admoneste de nouveau sa sœur.

« Si tu t’obstines à mener ce type de vie, ne compte pas sur moi.  Je ne te recevrai plus tant que tu n’auras pas cessé les désaccords avec ton mari. Mets-toi d’accord avec le prince et tâche de vivre en te montrant digne de mon nom et de ta lignée. »

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre à Pauline, Pauline Bonaparte, l’indomptable sœur de Napoléon (2021), María Pilar Queralt Del Hierro (née en 1954)

Cette fois, Pauline n’obéit pas. Après son mariage brisé avec Borghèse, elle affiche sa nouvelle liberté de femme en allongeant sa liste d’amants : un chef d’orchestre, Félix Blangini ; un commandant de régiment de hussards, Armand de Canouville ; un capitaine de régiment de dragons, Achille Tourteau de Septeuil ; un militaire, le major Duchaud…

En 1804, elle perd son jeune fils Dermide âgé de six ans, qui avait toujours été de faible constitution. Mais, le 2 décembre, elle se doit d’assister à Notre-Dame de Paris, en présence du pape Pie VII, au couronnement de son frère devenu Napoléon Ier, mais aussi de sa belle-sœur Joséphine, surnommée « la vieille » par Pauline et ses sœurs. Elles doivent porter la lourde traîne de la nouvelle impératrice. Les ex-demoiselles Bonaparte accompliront leur devoir sans grâce et avec une mauvaise volonté remarquable. En 1810, le second mariage avec la jeune impératrice de 19 ans, Marie-Louise d’Autriche, rendra Pauline encore plus jalouse et lui vaudra une brouille avec son frère. Mais rien ne change dans la dolce vita de la petite païenne.

« On aime suivre ses voyages de villes en villes, entre centre politique où elle brille sans décider et cités italiennes où elle « fait le spectacle », parfois sans le contrôler… un beau tableau de deux décennies d’une cour impériale aussi fulgurante que fascinante au regard des autres cours européennes. »

Florence de BAUDUS (née en 1946), Pauline Bonaparte, Princesse Borghèse (2018)

Pauline n’a aucun rôle politique – elle n’en demande pas tant, contrairement au reste de la famille ! Mais elle incarne avec autant de cœur que de talent cette cour impériale tant désirée par son frère. Et quand l’empereur déchu aura besoin de sa présence en 1814, elle n’hésitera pas pour venir à son secours.

« Pauline, la plus belle femme du monde de son temps, a été et demeurera jusqu’à la fin la meilleures des créatures vivantes. »

NAPOLÉON Ier (1769-1821) à Sainte-Hélène, Mémorial, cité dans Var-Matin, 12 novembre 2017

Elle fut la Vénus triomphante en marbre d’Antonio Canova (1805-1808), commandée par son mari le prince Borghèse au maître néo-classique. Canova souhaitait portraiturer Pauline Borghèse en Diane, déesse pudique. La princesse réputée pour sa beauté choisit d’incarner Vénus, déesse de l’amour. La statue n’était pas destinée à être montrée au grand public, mais elle est très vite connue et admirée, avec un parfum de scandale : le bruit court que Pauline a posé nue ! Exposée dans une salle de la villa Borghèse où elle dialogue avec le décor plus ancien du plafond représentant le jugement de Pâris, elle fascine toujours les amateurs.

L’exilé de Sainte-Hélène rend aussi hommage à la fidélité de cette femme qui lui restera fidèle dans l’adversité. Après l’occupation de Paris par ses ennemis en 1814, Napoléon est exilé sur l’île d’Elbe. Ceux qui lui doivent leur réussite, dont ses propres parents, semblent l’oublier. Seule Pauline lui rend visite. Quand il revient à Paris pour les Cent-Jours, sa sœur lui donne les précieux diamants Borghèse afin de financer la campagne de Waterloo. Après la défaite, Pauline insiste auprès de Metternich pour partager l’exil de Napoléon à Sainte-Hélène, mais en vain.

Après sa mort, Pauline demande de l’aide au pape pour se réconcilier avec Camille Borghèse. Retirée dans sa demeure romaine, la petite païenne semble en avoir fini avec sa vie frivole, quand un cancer fulgurant l’emporte à 44 ans. Elle souhaitait être inhumée en France aux côtés de son premier mari et de son fils Dermide, mais le prince Borghèse décide de l’enterrer dans le panthéon familial de la basilique romaine Sainte-Marie-Majeure. Parmi les papes et les princes repose la Vénus victorieuse immortalisée par Canova.

3. Joséphine impératrice (1763-1814), beauté créole et femme légère qui séduit le jeune Bonaparte, « consulesse » de charme, mais impératrice à contremploi, répudiée faute d’enfant.

« Si je gagne les batailles, c’est toi qui gagnes les cœurs. »°

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), phrase souvent citée, jamais sourcée, mais très vraisemblable

Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie doit son patronyme à son premier mari, Alexandre de Beauharnais guillotiné sous la Terreur en 1794. Bonaparte simplifie la série des prénoms du grand amour de sa vie et la baptise Joséphine.

La division du travail est parfaite entre les deux époux. Le coup d’État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) met fin au Directoire et donne les pleins pouvoirs au général Bonaparte avec le titre de Premier Consul. Le 11 novembre, le couple quitte la petite maison de la rue de la Victoire pour s’installer au palais du Luxembourg. La générale Bonaparte prend alors le titre de Consulesse (de charme) et devient la première dame de France. Bonaparte a pris conscience de la fascination que la jolie Créole exerce sur ceux qu’elle fréquente et il a besoin d’elle pour réussir son ascension sociale

Consciente de son nouveau rôle, la Consulesse suit désormais l’étoile de Napoléon, abandonnant (apparemment) sa vie aventureuse pour devenir « Notre-Dame des Victoires », beau surnom pour un rôle de composition qu’elle assume tant bien que mal : impératrice. Napoléon en restera toujours amoureux quoique très jaloux, ne se séparant de sa femme que pour avoir un héritier qu’elle n’est plus en âge de lui donner.

« Le mensonge ne sied qu’aux femmes. »

Paul GUTH (1910-1997), Moi, Joséphine, impératrice (1979)

Parfaite héroïne de ce roman historique, sa vie fut véritablement un roman, comme celle de son amie Madame Tallien et de tant d’autres femmes dans cet édito historique.

Plus typée que nature, enfance martiniquaise et adolescence de Créole paresseuse, capricieuse et sensuelle, conforme à l’image folklorique et au personnage qu’elle ne cessera de jouer ! Premier mariage malheureux avec le général de Beauharnais, mais elle sait en tirer profit pour entrer dans le beau monde (comme son amie Madame Tallien). Après les geôles de la Révolution, c’est une veuve joyeuse qui fait la fête sous le Directoire. La rencontre avec le jeune et beau Bonaparte transforme cette vie festive et futile en destin parfois lourd à porter. Consulesse de charme habilement instrumentée par le Premier Consul, elle s’ennuie dans ce second rôle imposé à sa joyeuse nature. Elle jouit des fastes de l’Empire, mais pâtit de la haine que lui voue la grande famille impériale. La jalousie de l’empereur est motivée par ses mensonges et ses infidélités, mais la passion impériale ne faiblit pas et flatte Joséphine. Le divorce pour cause de stérilité est une épreuve, mais elle survit. Sa retraite dorée à la Malmaison est mondaine, joyeuse et coûteuse pour le budget impérial. Cette fille des îles meurt à 50 ans d’une pneumonie.

À défaut d’un héritier donné à l’empereur, elle apporte à la France un art de vivre original. Femme de goût et curieuse de tout, elle impose à sa table un style à la fois fastueux et simplissime, mêlant les influences, osant les épices exotiques mariées à la Rome antique. Elle s’allie les grands cuisiniers, choisit les vins les plus prestigieux et fait honneur aux Bordeaux, sélectionne les meilleurs produits pour des dîners inoubliables et créatifs. Collectionnant les services en porcelaine française comme les espèces botaniques les plus rares, elle innove naturellement avec une audace gourmande et très moderne. Elle picorait, faisant attention à sa ligne. Elle adorait la pâtisserie qui lui avait très tôt gâté les dents : gâteau d’ananas, meringues, îles flottantes. Elle nous laisse quelques bonnes recettes.

« Il n’est aucun sacrifice qui ne soit au-dessus de mon courage, lorsqu’il m’est démontré qu’il est utile au bien de la France. »1842

NAPOLÉON Ier (1769-1821) annonçant son divorce au château des Tuileries, devant toute la famille impériale, 15 décembre 1809. Histoire du Consulat et de l’Empire (1847), Adolphe Thiers

Il a pris brutalement cette décision qui lui coûte infiniment, car il est toujours épris de Joséphine. Mais raison d’État oblige : l’empereur, à 40 ans, veut un héritier qu’elle n’a pu lui donner.

Les larmes aux yeux, tenant la main de sa femme en pleurs, il lit son discours. « Dieu sait combien une pareille résolution a coûté à mon cœur […] Ma bien-aimée épouse a embelli quinze ans de ma vie ; le souvenir en restera toujours gravé dans mon cœur […] Qu’elle ne doute jamais de mes sentiments, et qu’elle me tienne toujours pour son meilleur et son plus cher ami. » La sincérité de l’homme ne peut être discutée. La vie du couple fut cependant orageuse : la très jolie Créole a beaucoup trompé le jeune et bouillant Bonaparte, l’empereur collectionna ensuite les maîtresses. La naissance de son premier enfant naturel (le « comte Léon ») vient de lui prouver que la stérilité ne vient pas de lui.

« Ne conservant aucun espoir d’avoir des enfants qui puissent satisfaire les besoins de sa politique et l’intérêt de la France, je me plais à lui donner la plus grande preuve d’attachement et de dévouement qui ait été donnée sur la terre. »1843

JOSÉPHINE (1763-1814), répondant à Napoléon, 15 décembre 1809. Histoire du Consulat et de l’Empire (1847), Adolphe Thiers

L’impératrice a écrit ces mots que l’émotion l’empêche de lire. Ils sont dits par le secrétaire d’État de la famille impériale, le comte Regnault de Saint-Jean d’Angély. « La dissolution de mon mariage ne changera rien aux sentiments de mon cœur : l’empereur aura toujours en moi sa meilleure amie. Je sais combien cet acte, commandé par la politique et par de si grands intérêts, a froissé son cœur, mais l’un et l’autre nous sommes glorieux du sacrifice que nous faisons au bien de la patrie. »

Répudiée pour stérilité, après deux enfants d’un premier mariage, elle a aujourd’hui 46 ans. Le lendemain, l’ex-impératrice quitte les Tuileries pour ne plus jamais y revenir. Largement dotée, elle se retire à la Malmaison et continue d’écrire à l’empereur qui fait annuler son mariage civil par sénatus-consulte, dès le lendemain, 16 décembre. L’officialité de Paris fera de même pour le mariage religieux, en janvier 1810. Il pourra donc se marier avec Marie-Louise d’Autriche, sans grand amour, mais par devoir : « C’est un ventre que j’épouse. »

4. Madame de Staël (1766-1817), la bête noire de l’empereur, coupable d’être la femme la plus intelligente et la plus libre de son temps.

« En France, on ne permet qu’aux événements de voter. »1672

Mme de STAËL (1766-1817), Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Révolution et les principes qui doivent fonder la République en France (posthume, 1906)

C’est l’adage d’un homme d’esprit qu’elle rapporte pour le conjurer, dans cet ouvrage écrit en 1798 et dont le titre est tout un programme. Un an après, le coup d’État de Bonaparte va balayer la réforme constitutionnelle et l’équilibre des pouvoirs que la fille de Necker et l’élève des philosophes éclairés appelait de ses vœux !

« Une nation n’a de caractère que lorsqu’elle est libre. »1697

Mme de STAËL (1766-1817), De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800)

Fille du banquier suisse Necker (ministre de Louis XVI), c’est l’une des rares voix qui s’élève cette année-là pour oser dénoncer le pouvoir de plus en plus absolu du futur empereur. Épouse de l’ambassadeur de Suède en France (Erik Magnus de Staël-Holstein), Mme de Staël, fervente lectrice de Rousseau, fut d’abord favorable à la Révolution. Mais elle ne lui pardonne pas la mort du roi, moins encore celle de la reine et la Terreur. Après trois ans d’exil, elle revient à Paris pleine d’espoir et impressionnée par le nouveau héros, ce général Bonaparte qui va redonner vie à l’idéal révolutionnaire de 1789. Le coup d’État du 18 Brumaire et la Constitution de l’an VIII lui ôtent toutes ses illusions.

Elle le dit, elle l’écrit, elle se fait détester par le grand homme par ailleurs misogyne, supportant mal l’intelligence et la libre expression d’une femme. D’où son nouvel exil – doré, en Suisse, à Coppet sur les bords du lac Léman, dans le château de famille, auprès de son père.

« Bonaparte, très en colère de l’impassibilité de Paris, a dit à ses courtisans réunis : « Que leur faut-il donc ? » Et personne ne s’est levé pour lui dire : « La liberté, citoyen consul, la liberté ! » »1723

Mme de STAËL (1766-1817). Lettres inédites de Mme de Staël à Henri Meister (posthume, 1903)

C’est évidemment le genre de vérité que le « citoyen consul » et futur empereur ne saurait entendre. Mais l’opposition est discrète, la censure impériale y veille et l’opportunisme prudent est quasiment de règle, chez les auteurs qu’on n’appelle pas encore « intellectuels ».

« Voici le second pas fait vers la royauté. Je crains que cet homme ne soit comme les dieux d’Homère, qu’au troisième acte il n’atteigne l’Olympe. »1729

Mme de STAËL (1766-1817), jugeant l’irrésistible ascension du Premier Consul. Bonaparte (1977), André Castelot

Opposante résolue, elle ironise quand le 15 août (anniversaire de Bonaparte né sous le signe astral du lion) devient jour de fête nationale. Le prénom Napoléon s’inscrit déjà sur des pièces de monnaie. Le sénatus-consulte du 4 août 1802 (Constitution de l’an X) augmente encore les pouvoirs du Premier Consul à vie au détriment du législatif.

« L’arrivée de cette femme, comme celle d’un oiseau de mauvais augure, a toujours été le signal de quelque trouble. Mon intention n’est pas qu’elle reste en France. »1738

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), au Grand Juge Régnier (ministre de la Justice). Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Il vient d’apprendre le retour de Mme de Staël près de Beaumont-sur-Oise, le 3 octobre 1803. Il lui donne cinq jours pour partir, sinon, il la fera reconduire à la frontière par la gendarmerie.

Les seuls grands talents seront des opposants au régime : Chateaubriand hostile à Napoléon après l’exécution du duc d’Enghien (1804), Mme de Staël, coupable d’être la femme la plus intelligente et la plus libre de son temps. Paradoxalement, le personnage de Napoléon Bonaparte inspirera des chefs-d’œuvre de la littérature française et mondiale.

5. Aimée de Coigny (1769-1820), égérie du poète Chénier, c’est aussi une femme d’esprit qui affiche sa liberté et manie la plume avec talent.

« Eh bien ! duchesse, aimez-vous toujours autant les hommes ?
— Oui Sire, quand ils sont polis. »1778

Duchesse de FLEURY (1769-1820), répondant librement à NAPOLÉON Ier (1769-1821), vers 1806. Revue politique et littéraire : revue bleue, volume I (1875)

La duchesse reste dans l’histoire sous le nom d’Aimée de Coigny – muse qui inspira le poème de La Jeune Captive à André Chénier, quelques jours avant l’échafaud. Elle écrira bientôt ses Mémoires (Journal), comme tant de gens lettrés à l’époque.

Quant à l’empereur, sa goujaterie est proverbiale. Dans les salons, il ne se gêne pas pour apostropher une dame en ces termes : « Cette robe est sale, vous n’en changez donc jamais ? » ou encore « Quelle déception ! On m’avait assuré que vous étiez jolie ». Étant empereur, personne n’ose lui répliquer, hormis la duchesse de Fleury, revenue d’émigration avec une réputation de galanterie.

« M. de Robespierre aimait peut-être le peuple, l’humanité, etc., mais guère les hommes et pas du tout les femmes. »

Aimée de COIGNY (1769-1820), Journal (posthume)

Née à la fin de l’Ancien Régime, elle se révèle très jeune douée pour les études et les langues, curieuse des affaires politiques et diplomatiques, d’où l’intérêt que lui porte Talleyrand attiré par les (jeunes) femmes autant que par l’intelligence. Suivant les usages, à peine âgée de quinze ans,  elle est mariée  au marquis de Fleury à peine plus âgé. Cette union brillante lui permet d’être admise aux « honneurs de la Cour ». Pétillante d’esprit et de charme, elle se fait remarquer par sa beauté et son esprit dans la société des salons et à la cour de Versailles, bientôt surnommée la « Reine de Paris » par Marie-Antoinette qui sait s’entourer. Elle multiplie les conquêtes, profitant du libertinage à la mode, caustique et rebelle comme une héroïne des Liaisons dangereuses chères à Choderlos de Laclos.

Elle profite des lois nouvelles de la République pour divorcer d’avec le mari joueur et endetté, par ailleurs émigré et impliqué dans des complots contre-révolutionnaires. Mais en tant qu’aristocrate, elle est arrêtée par les sans-culottes. Dans sa geôle, elle côtoie le poète André Chénier, l’une des dernières victimes de la Terreur. Elle échappe à la guillotine grâce à la chute de Robespierre (coup d’État de Thermidor, 27 juillet 1794). Sitôt libre, son appétit pour la vie redouble, ses amants se succèdent sous le Directoire, puis l’Empire, la Restauration. Ce sont ses « années folles ».

« Monsieur de Talleyrand n’est devenu si riche que pour avoir toujours vendu ceux qui l’achetaient. »1918

Aimée de COIGNY (1769-1820), Journal (posthume)

Elle méprise Talleyrand devenu « le Diable boiteux », le diplomate des « coups tordus » qui a contribué à faire voter par le Sénat la déchéance de Napoléon Ier son ancien maître et à appeler Louis XVIII au pouvoir. Quant à sa vénalité, elle n’est pas que légendaire ! Son train de vie était même ostentatoire – mis au service de sa diplomatie qui fera merveille au Congrès de Vienne (1814-1815).

« Tous les Français aiment la France, c’est vrai, mais jamais la même. »

Aimée de COIGNY (1769-1820), Journal (posthume)

Très juste remarque s’appliquant aussi bien à Talleyrand – qui malgré ses trahisons s’est toujours prétendu fidèle à la France – qu’à toutes les « girouettes » de ces temps troublés (le mot visant l’auteur Benjamin Constant), tous les opportunistes qui ont traversé sept changements de régime en une génération ! Aimée de Coigny (comme Madame de Staël) est une femme trop libre d’esprit et trop volontiers caustique pour se livrer à ce genre de calculs.

« Nos généraux vaincus ne se tuent pas, ils écrivent. »

Aimée de COIGNY (1769-1820), Journal (posthume)

Héroïne toujours tumultueuse, romanesque, passionnée, observatrice impitoyable de ses contemporains, elle a laissé à sa mort ce Journal saisissant de lucidité. Ainsi écrit-elle en privilégiée de la nouvelle société : « L’État, c’est la providence des gens sans état. »

Elle meurt à cinquante ans, dans l’hôtel de sa parente la marquise de Coigny, une ancienne libertine repentie.

6. Juliette Récamier (1777-1849), mondaine qui séduit peintres et sculpteurs par sa beauté, « influenceuse » qui lance les modes, salonnière qui réunit les plus grands noms politiques, littéraires et artistiques du Directoire à la Monarchie de juillet.

« Madame, les dames ont leurs caprices ; les artistes en ont aussi. Permettez que je satisfasse le mien ; je garderai votre portrait dans l’état où il se trouve. »:

DAVID (1748-1825), Louis David : son école & son temps : souvenirs (1855), Étienne Jean Delécluze

David, peintre officiel et néanmoins génial, exécute son portrait en mai 1800. Mais le trouvant trop lent, la belle demande à François Gérard, digne élève du maître, de la peindre à son tour. Vexé, David laissera son œuvre inachevée. Cest quand même un chef d’œuvre qui trône au musée du Louvre et rend parfaitement justice au charme de Madame Récamier, célèbre à 23 ans pour sa beauté autant que son esprit. Les bustes sculptés de Joseph Chinard trônent toujours au musée de Lyon (sa ville natale), tandis que gravures et dessins abondent, infiniment charmants.

Elle tient salon et réunit la brillante société parisienne dans son hôtel particulier de la rue du Mont-Blanc (aujourd’hui rue de la Chaussée-d’Antin). C’est l’une des premières à piocher dans le style grec et antique pour se meubler et se vêtir, contribuant à lancer une nouvelle mode de l’Antiquité. Bientôt, toute l’élite française se consumera dans une passion enfiévrée pour cette période qui renouvelle le néo-classicisme et précède le romantisme.

Fin 1800, elle rencontre sa plus grande amie, Germaine de Staël, faisant connaissance quelques années plus tard avec son amant Benjamin Constant.

« Mme Récamier ne tenait à la politique que par son intérêt généreux pour les vaincus de tous les partis. »

Benjamin CONSTANT (1767-1830), « Juliette Récamier ou les secrets d’une dame blanche », Anne Bernet, La Nouvelle Revue d’Histoire, nº 67, Juillet-Août 2013

Romancier à la longue carrière politique, il sera de tous les partis et saura très habilement éviter d’être parmi les « vaincus », mais il saura profiter des relations de Madame Récamier (en l’occurrence la plus jeune sœur de Napoléon, Caroline Bonaparte, épouse de Murat, roi de Naples). En revanche, il ne réussira pas à devenir son amant.

Depuis le siècle des Lumières, la sociabilité est une valeur sûre et les salonnières exercent une influence qu’on imagine mal aujourd’hui. De toutes ces dames, Madame Récamier est sans doute la plus attachante à tout point de vue et peut-être la plus influente. C’est déjà l’une des « Trois Grâces du Directoire » - avec Joséphine de Beauharnais et Madame Tallien.

« Elle ne fermait sa porte à personne en fonction de ses opinions. Surtout, elle ne possédait pas ce talent consistant à ne plus connaître l’ami ou la relation qu’une disgrâce rendait infréquentable. »

Anne BERNET (née en 1962), « Juliette Récamier ou les secrets d’une dame blanche », La Nouvelle Revue d’Histoire, nº 67, Juillet-Août 2013, p. 22

Qualité rare à l’époque où la Politique fait la loi et où les régimes se succèdent, avec leurs lots de proscrits et de nouveaux arrivistes. Cette générosité lui coûtera cher, sous l’Empire à venir, mais elle saura rebondir et se forger un destin avec l’intelligence du cœur.

« Être protégé par Mme Récamier fut, pendant plus de trente ans, la plus infaillible des recommandations. »

Édouard HERRIOT (1872-1957), Madame Récamier et ses amis (1904)

Maire de Lyon près d’un demi-siècle, ministre, président du Conseil et personnalité (de gauche) incontournable de la Troisième République, la politique n’a pas empêché Herriot de s’intéresser à l’histoire et ce livre fut même adapté au cinéma. Mais la vie de Madame Récamier vaut surtout par la qualité de son entourage.

Née à Lyon, fille d’un notaire promu conseiller de Louis XVI, Jeanne Bernard (qui se fait appeler Juliette) épouse en avril 1793 le banquier Jacques-Rosé Récamier, le meilleur ami de la famille… et sans doute son père naturel. Il est chargé de la protéger – elle a 15 ans et la France vit sous la Terreur. Ils vivront une relation platonique et affectueuse. Ce Lyonnais doit sa fortune aux saisies révolutionnaires et aux tripots du Directoire. Il assurera l’emprunt contracté par Bonaparte pour son coup d’État du 18 Brumaire (9 novembre 1799) et organisera le financement du nouveau régime, avant une disgrâce et de gros revers de fortune.

De son côté, Madame Récamier régnera sur l’Académie, sur les Facultés, sur les ministères « et il n’y avait pas jusqu’aux bâtards de son apothicaire et de son portier que cette femme essentiellement bonne et obligeante ne trouvât moyen de convenablement caser dans les bureaux des ministres. »

Son premier salon, dans le superbe Hôtel particulier de la rue du Mont-Blanc, est déjà très vite et bien fréquenté, devenant l’un des principaux foyers de l’opposition à Bonaparte, Premier consul. Napoléon devenu empereur, Juliette refuse trois fois la place enviée de dame d’honneur à la cour. Mal lui en prend. Son salon trop politisé est finalement fermé, elle doit s’exiler (comme son amie Madame de Staël). Elle retourne à Lyon, part à Rome et refait salon…

Elle rentre à Paris après la chute de Napoléon, retrouve ses amis et va refaire salon rue d’Anjou. Des revers de fortune conjugale l’obligent à déménager en 1819 à l’Abbaye-aux-Bois - dans un couvent loué par des sœurs, près de la rue de Sèvres. Ce sera son dernier refuge et sa plus belle époque : « C’est acquérir des forces que de simplifier sa vie. Mme Récamier fut plus puissante dans sa cellule de l’Abbaye-aux-Bois qu’elle ne l’avait été dans son bel hôtel », écrira André Maurois. Et son contemporain Sainte-Beuve confirme.

« C’est de là que son doux génie, dégagé des complications trop vives, se fit de plus en plus sentir avec bienveillance. On peut dire qu’elle perfectionna l’art de l’amitié et lui fit faire un progrès nouveau : ce fut comme un bel art de plus qu’elle avait introduit dans la vie, et qui décorait, ennoblissait et distribuait tout autour d’elle. »

SAINTE-BEUVE (1804-1869), Causeries du lundi (1851-1862), tome I

Encore un fan de Juliette ! Et pourtant, souvent misogyne, Sainte-Beuve passe pour le plus terrible des critiques littéraires en son temps. Mais il s’incline devant cette exception à la règle : « L’esprit de parti était alors dans sa violence. Elle désarmait les colères ; elle adoucissait les aspérités ; elle vous ôtait la rudesse et vous inoculait l’indulgence. » De fait, une femme, si elle intelligente, belle, un peu coquette et sait écouter, peut beaucoup sur les passions des hommes : « Elle obtient tout parce qu’elle n’exige rien. »

Elle exige quand même une neutralité politique de la part de ses invités ! Son salon devient alors plus culturel, plus littéraire et artistique. Pendant vingt ans, ses réceptions, souvent présidées par Chateaubriand, attirent les esprits les plus brillants de l’époque : Victor Cousin, Edgar Quinet, Tocqueville, de jeunes écrivains comme Lamartine, Sainte-Beuve, Balzac, des artistes comme François Gérard, Antonio Canova, des acteurs stars, Talma et Rachel.

Les amours de Chateaubriand et de Mme Récamier prirent un caractère cérémonieux et public, observés par tout-Paris.

« On tombe d’amour à ses pieds et l’on y est enchaîné par le respect. »

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848) parlant de Madame Récamier, Madame Récamier et ses amis (1924), Édouard Herriot

Il l’a rencontrée en 1817 et leur liaison passionnée se transformera en une amitié amoureuse jusqu’à la mort du poète devenu son voisin. Juliette fait remarquer avec humour : « Les autres s’occupaient de moi, M. de Chateaubriand exigeait que je m’occupe de lui. » 

Victor Hugo rapporte que « M. de Chateaubriand, au commencement de 1847, était paralytique ; Mme Récamier était aveugle. Tous les jours, à trois heures, on portait M. de Chateaubriand près du lit de Mme Récamier. La femme qui ne voyait plus cherchait l’homme qui ne sentait plus. » (Choses vues).

« M. de Chateaubriand était l’orgueil de ce salon, mais elle en était l’âme, et c’est elle qu’il faudrait tâcher de montrer à ceux qui ne l’ont pas connue ; car vouloir la rappeler aux autres est inutile, et la leur peindre est impossible. »

SAINTE-BEUVE (1804-1869), Causeries du lundi (1851-1862), tome I

De nouveau, elle trouve grâce devant le plus redoutable critique de son époque. Et en plus, Juliette pratiquait l’humour quotidien, mais jamais méchant.

« Mon chien est insupportable, mais je le garde pour des raisons sentimentales : mon mari le déteste. »

Juliette RECAMIER (1777-1849), Le Chien, Histoire d’un objet de compagnie (2013), Victoria Vanneau

Son mari très paternel mourut en 1830, mais il est évident qu’elle garda son chien. Rendue aveugle par la cataracte et quasiment en retraite de la vie parisienne, elle mourut à 72 ans d’une épidémie de choléra qui ravageait son quartier, moins d’un an après son plus illustre et fidèle ami, Chateaubriand.

7. Madame Royale (Marie-Thérèse de France) (1778-1851), dernier enfant de Louis XVI et Marie-Antoinette, idole des royalistes et poursuivie par son passé jusqu’à la fin de sa vie.

« Marie-Thérèse-Charlotte est la plus malheureuse personne du monde. ».

Marie-Thérèse de FRANCE (1778-1851), Mémoires de Marie-Thérèse, duchesse d’Angoulême (1858)

À 15 ans, elle tracera ces mots sur les murs de sa prison, entre autres graffitis : « Marie-Thérèse-Charlotte est la plus malheureuse personne du monde. Vive ma bonne mère que j’aime bien et dont je ne peux savoir des nouvelles. Ô Mon dieu, pardonnez à ceux qui ont fait mourir mes parents. Ô mon père, veillez sur moi du haut du Ciel. Ô mon Dieu, pardonnez à ceux qui ont fait souffrir mes parents. » Témoignages vibrants de sa captivité.

« L’Orpheline du Temple » est déjà célèbre. Ses admirateurs louent un appartement en face de la prison : on la scrute pour rendre compte de ses faits et gestes quotidiens. Elle devient l’héroïne de chansons, poèmes et récits au goût du jour. Révérée et adorée de ses partisans, c’est le meilleur atout de la propagande royaliste. Ce passé tragique poursuivra sa vie durant « Madame Royale ».

« Si l’on avait fait davantage confiance à Monsieur de La Fayette, mes parents seraient encore en vie. »1354

Marie-Thérèse de FRANCE, devenue duchesse d’ANGOULÊME (1778-1851). Phrase non sourcée, peut-être apocryphe

Fille aînée de Louis XVI et de Marie-Antoinette, seule survivante des enfants royaux, libérée à 17 ans, elle reconnaîtra le rôle joué par le héros très populaire de la Révolution en ses débuts, très discuté ensuite par les contemporains comme par les historiens. La reine finit pourtant par le prendre en haine (après l’échec de la fuite à Varennes en juin 1791) : « Je sais bien que M. de Lafayette nous protège, mais qui nous protégera de M. de La Fayette ? »

« Ses souffrances sont montées si haut, qu’elles sont devenues une des grandeurs de la révolution. »

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

Confirmant ce grand témoin de l’histoire, la duchesse de Dino affirme en 1833 : « C’est, incontestablement, la personne la plus poursuivie par le sort que l’histoire puisse offrir. »

Nommée « Madame » (ou « Madame Royale » pour la distinguer de l’autre Madame, la comtesse de Provence, belle-sœur du roi), premier enfant du couple royal, née après plus de huit ans de mariage, sa mère Marie-Antoinette l’appelle tendrement « Mousseline la Sérieuse », beaucoup plus réfléchie que « Coco d’amour » le Dauphin. Son prénom, Marie-Thérèse, lui vient de sa grand-mère maternelle, l’imposante impératrice Marie-Thérèse d’Autriche.

Venue au monde sous les meilleurs auspices, la fille de roi dont la naissance est célébrée dans la France entière connaît très tôt le malheur. Chassée du château de Versailles à 11 ans, aux journées révolutionnaires d’octobre 1789, elle est d’abord menée aux Tuileries, puis enfermée à la prison du Temple avec le reste de sa famille en 1792.

« Thérèse Capet » vient d’avoir 14 ans lorsque son père, le roi Louis XVI, est condamné à mort puis exécuté le 21 janvier 1793. C’était lui qui s’occupait d’elle avec le plus d’amour et d’intelligence humaine. Quelques mois plus tard, elle est séparée de sa mère transférée à la Conciergerie, jugée et guillotinée le 16 octobre de la même année. Laissée seule avec sa tante paternelle, Madame Élisabeth (guillotinée à son tour le 10 mai 1794), éloignée de son petit frère Louis confié à un « instituteur » révolutionnaire, on peut imaginer les souffrances de la jeune fille totalement solitaire. À sa libération, elle ne saura même plus articuler un mot…

La mort du dauphin (8 juin 1795) émeut l’opinion publique et une partie de la presse réclame la libération de la captive. Devenue figure romantique et tragique, Marie-Thérèse-Charlotte est présentée comme un personnage politiquement négligeable et inoffensif. La loi salique l’excluant de toute prétention à la couronne de France, on demande sa libération au nom des droits de l’homme, de la pitié et de l’humanité. Des brochures et des pamphlets circulent, cependant que les journaux royalistes ou modérés publient des plaidoyers en sa faveur. La République se doit de traiter Madame Royale, sinon comme une princesse, du moins comme une femme parmi les autres. Mais ce n’est pas une femme comme les autres !

« Belle, dit-on, comme la rose qui vient d’éclore. »

Mémoire adressé à la Nation pour Marie-Thérèse Charlotte de Bourbon, fille de Louis XVI (2017), publié par Claude-François Beaulieu

Princesse éplorée descendante des deux plus grandes dynasties d’Europe (France et Autriche), elle inspire complaintes et des romances. Elle est comparée régulièrement à la rose et à la colombe, la première ornement dynastique et la seconde symbole de pureté. Ces écrits exaltent un portrait hors du temps, évoquant un personnage légendaire de conte de fées, décrite comme une princesse « idéale » par sa douceur, sa patience et sa modestie – son caractère se révèlera tout autre.

Son quotidien est décortiqué dans les journaux : on s’intéresse aux gens qui la visitent, à sa belle chevelure naturelle. On fait un sort à ses compagnons d’infortune - une chèvre et le chien Coco qui appartenait à son frère. Ces animaux au caractère loyal contrastent avec l’ingrate cruauté des hommes contre « la jeune infortunée », héroïne de la propagande antirévolutionnaire au destin tragique, persécutée, consumée par son désespoir, enfermée plus de trois ans dans une tour sinistre et pensant à la mort des êtres aimés. On la rattache à la poétique des tombeaux dont elle est l’unique gardienne, en écho avec le vandalisme révolutionnaire. M. D’Albin l’écrit dans un poème : « Ces palais sont couverts du sang de sa famille ».

« Je suis de France, ne l’oubliez pas ! »

Madame ROYALE (1778-1851) à l’ambassadeur de France, à Bâle. Mousseline la Sérieuse (2016), Sylvie Yvert

Après le coup d’État de Thermidor, la Terreur n’est plus de mise sous la Convention. Plutôt que de la guillotiner, Barras souhaite la garder en petite monnaie d’échange contre d’autres prisonniers. Elle sera libérée le 19 décembre 1795, jour de ses 17 ans. L’Autriche se sent obligée de la prendre. Exilée, son cœur ne bat que pour la France, elle rêve d’un retour à l’Ancien Régime et voulait être enterrée à côté de ses parents.

Elle refuse le mariage avec l’archiduc Charles-Louis, frère de l’empereur et valeureux officier, mais « un ennemi de la France » dit-elle. Elle épouse à 20 ans, le 10 juin 1799, un autre de ses cousins germains, Louis Antoine d’Artois, duc d’Angoulême, fils aîné du futur Charles X. Louis de France sera le seul homme de sa vie. Elle n’éprouve pas d’attirance lors de leur rencontre, mais il n’a cessé de lui déclarer son amour par une correspondance épistolaire de trois années. Ils se trouveront progressivement des points en commun. Leur union durera 45 ans, malheureusement sans enfant pour une succession rêvée…

Elle reste très discrète, timide comme son père, supportant mal d’être devenue le point de mire de tous les regards (royalistes). Elle déteste qu’on la regarde comme une relique ou un souvenir de ses parents royaux guillotinés. Les yeux plaintifs de la Cour en exil, les évanouissements de certains, l’idolâtrie devant  « ce qui nous reste de Louis XVI »… tout cela l’exaspère. Instrumentalisée par son oncle le futur Louis XVIII qui utilise son image de « martyre de la Révolution » pour rallier les royalistes et intéresser les souverains européens à sa cause,  Madame est bien malgré elle la véritable reine de la petite cour en exil.

« Si la couronne était de roses, je l’offrirais volontiers à ma nièce. Elle est d’épines, je la garde. »

Louis XVIII (1755-1824), Madame Royale (1999), André Castelot

Avec un humour qui lui est propre, le roi rend ainsi hommage à la popularité de Madame Royale, très supérieure à la sienne. 

Rentrée en France en 1814 lors de la Restauration, après vingt années d’exil, Marie-Thérèse, 36 ans, défend farouchement la monarchie, plus proche des idées conservatrices de son beau-père, le comte d’Artois. En 1815, pendant les Cent-Jours, elle se trouve à Bordeaux où elle tente d’organiser la résistance à Napoléon de retour, alors que le roi s’est réfugié en terre étrangère, exilé à Gand (Belgique). Napoléon, admiratif, voit en elle « le seul homme de la famille »… et la laisse s’embarquer pour l’Angleterre.

Après les Cent-Jours, elle s’oppose à la politique libérale de son oncle Louis XVIII, tout en réprouvant les idées réactionnaires du comte d’Artois, son beau-père devenu Charles X en 1824. À 46 ans, Marie-Thérèse devient dauphine - comme sa mère jadis. Ce sera la dernière dauphine de France.
Quand arrive la Révolution de 1830, Charles X abdique à contrecoeur en faveur de son fils auquel il ordonne d’abdiquer en faveur de son neveu le petit duc de Bordeaux. Dans ce chaos monarchique, Marie-Thérèse de France sera reine quelques minutes… Avant un troisième et dernier exil de la famille royale, en Écosse.

À la mort de son oncle et beau-père Charles X le 6 novembre 1836, Marie-Thérèse, 58 ans, devient la nouvelle reine de France et de Navarre, aux yeux des légitimistes. Son mari prend pour prénom usuel Louis (tout court).  Ce « Louis XIX » meurt le 3 juin 1844. Marie-Thérèse a 66 ans. Princesse toujours en exil mais femme de tête, elle arrange des mariages prétendument royaux qui n’aboutiront à aucune royauté, avant de mourir en Autriche en 1851, inhumée en Slovénie avec sa dernière famille (son oncle Charles X, son mari le duc d’Angoulême et depuis 1883, son neveu, le comte de Chambord). Marie-Thérèse-Charlotte ne fut peut-être pas « la plus malheureuse personne du monde », c’est quand même un destin malmené par les chaos de l’Histoire.

8. Marie Walewska (1786-1817), la « femme polonaise de Napoléon » qui lui donne un espoir de liberté pour la Pologne en échange d’un fils.

« Je n’ai vu que vous, je n’ai admiré que vous, je ne désire que vous. Une réponse bien prompte pour calmer l’impatiente ardeur de… N. »;

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre, janvier 1807. Napoléon (2019), André Castelot

Coup de foudre impérial devenu un véritable amour – le second après Joséphine. La naissance d’un fils prolongera cette aventure polonaise qui aurait pu devenir un fait historique.

Marie épousa à 17 ans le comte et chambellan Anastazy Walewski, noble polonais quasi septuagénaire. Aussi jolie que bien éduquée (au couvent Notre-Dame-de-l’Assomption à Varsovie), rêvant d’une Pologne libre, « elle nourrit une haine virile du Russe qui occupe la Mazovie où elle est née, à quelques lieues de Varsovie, mais aussi du Prussien et de l’Autrichien qui se sont partagé le reste du pays » (Guy Godlewski). À 20 ans, elle donne naissance à son premier fils, Antoni.

Talleyrand, ministre français des Relations extérieures, a organisé un bal à Varsovie pour l’ouverture du carnaval. La gazette de Varsovie fait état d’une contredanse avec l’épouse du chambellan – le Diable boiteux est très amateur de jolies femmes. À midi le lendemain, une voiture s’arrête devant l’hôtel des Walewski. Duroc, grand maréchal du palais, en descend avec un gigantesque bouquet de fleurs et une lettre fermée du sceau vert impérial.

Marie ne répond pas. L’Empereur réattaque : « Vous ai-je déplu, madame ? J’avais cependant le droit d’espérer le contraire. Me suis-je trompé ! Votre empressement s’est ralenti, tandis que le mien augmente. Vous m’ôtez le repos ! Oh ! donnez un peu de joie, de bonheur à un pauvre cœur tout prêt à vous adorer. Une réponse est-elle si difficile à obtenir ? Vous m’en devez deux. N. »

Même silence de la jeune femme. Son entourage lui assure qu’être la maîtresse de l’Empereur, ce n’est pas manquer à l’honneur… et ce serait utile pour le salut et la grandeur de la Pologne, mais Marie refuse ce compromis. Napoléon insiste une troisième fois. Son billet est plus tendre encore, plus long. Et il promet ce que tous les Polonais désirent.

« Il y a des moments où trop d’élévation pèse, et c’est ce que j’éprouve. Comment satisfaire le besoin d’un cœur épris qui voudrait s’élancer à vos pieds et qui se trouve arrêté par le poids de hautes considérations paralysant les plus vifs désirs ? Oh ! si vous vouliez !… Il n’y a que vous seule qui puissiez lever les obstacles qui nous séparent. Mon ami Duroc vous en facilitera les moyens. Oh ! venez ! venez ! Tous vos désirs seront remplis. Votre patrie me sera plus chère quand vous aurez pitié de mon pauvre cœur. « N. »

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre, janvier 1807. Napoléon (2019), André Castelot

Le chantage impérial est clair, mais il est normal que cet homme follement amoureux se serve de ses armes. Marie va céder, à son corps défendant. Elle a montré les lettres à son mari, il lui conseille de se rendre au rendez-vous, elle peut se croire vraiment prédestinée pour sauver sa patrie.   
Elle arrive en larmes. Bonaparte l’interroge sur sa famille, sur l’âge de son époux. Elle lui parle de la nécessité de rendre à la Pologne son indépendance. Il l’appelle « ma douce colombe ». Mais rien ne se passe, ce premier soir. Il ne la force pas. Elle promet de revenir. Faut-il qu’il soit épris pour être aussi patient, lui dont la réputation était de ne même pas enlever ses bottes pour satisfaire son désir… et de ne pas supporter les larmes de femme.

Marie reviendra le voir comme promis et devient finalement sa maîtresse. Elle lui donne sa tendresse, alors que la passion impériale s’exprime avec une touchante naïveté.

« Marie, ma douce Marie, ma première pensée est pour toi, mon premier désir est de te revoir. Tu reviendras, n’est-ce pas ? Tu me l’as promis. Sinon l’aigle volerait vers toi. Je te verrai à dîner… Daigne donc accepter ce bouquet : qu’il devienne un lien mystérieux qui établisse entre nous un rapport secret au milieu de la foule qui nous environne. Exposés aux regards de la multitude, nous pourrons nous entendre. Quand ma main pressera mon cœur, tu sauras qu’il est tout occupé de toi et, pour répondre, tu presseras le bouquet ! Aime-moi, ma gentille Marie, et que ta main ne quitte jamais ton bouquet. N. »

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre, janvier 1807. Napoléon (2019), André Castelot

La conversation s’engage entre elle et l’Empereur à l’aide de ce bouquet. Elle revient au palais. L’habitude prise, elle y revient chaque soir. Et l’homme pressé va changer de vie.

Loin de Varsovie, au château de Finckenstein, l›« idylle » printanière du couple (d’avril à juin) est un moment unique dans l’existence de Napoléon qui déploie ce qu’un historien appela une « énergie miraculeuse ». Les deux amants sont finalement très épris l’un de l’autre et l’empereur consacre du temps à ses amours, comme avec Joséphine de Beauharnais au temps du Consulat.

Dans cette nouvelle résidence, Marie mène une vie cloîtrée, enfermée dans un château morne où elle ne voit personne. L’Empereur paraît aux heures des repas, pris en tête à tête. Le reste du temps, elle le passe à lire, à broder, à voir la parade impériale à travers les persiennes.
Avec son doux caractère polonais, Marie ramène la conversation sur son idée fixe : la résurrection de la Pologne. Patiemment, Napoléon discute avec elle sans toutefois s’engager. Ses arguments sont toujours les mêmes : que les Polonais fassent preuve de cohésion, de maturité, qu’ils soutiennent militairement sa lutte contre l’Empire russe et ils seront récompensés selon leurs mérites.

Napoléon crée en 1807 le Duché de Varsovie - qui disparaîtra peu après la défaite de la campagne de Russie en 1812-1813. C’était un compromis pour ne pas déplaire au tsar, mais une réponse faible à l’attente des Polonais dont des milliers de soldats sont morts pour l’empereur.

« Venez à Vienne, je désire vous voir et vous donner de nouvelles preuves de la tendre amitié que j’ai pour vous. Vous ne pouvez douter du prix que je mets à tout ce qui vous regarde. Mille tendres baisers sur vos belles mains et un seul sur votre belle bouche. »

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre de 1809. Maîtresses et femmes d’influence (2021), Robert Schneider

Le 13 mai 1809, Napoléon entre dans Vienne et s’installe à Schönbrunn. Après sa victoire définitive sur les troupes autrichiennes à Wagram le 6 juillet, il demande à la comtesse Marie Walewska, sa maîtresse qu’il n’a pas vue depuis seize mois, de venir le rejoindre.

Deux jours après, Marie quitte la Pologne pour faire une cure à Bad Gastein. En réalité, elle part rejoindre l’empereur. Il a retenu pour elle une agréable maison dans le vieux village de Modling, à quinze kilomètres de Schönbrunn. Le fidèle Duroc veille toujours sur leurs amours. Il s’est occupé de la location de la maison et, une fois Marie arrivée, il va secrètement la chercher tous les soirs dans une voiture fermée, sans armoiries, avec un seul domestique sans livrée. Il l’amène au palais par une porte dérobée et l’introduit chez l’empereur.

Elle le suivra ensuite à Paris où l’Empereur lui achète un hôtel particulier au 48 rue de la Victoire. Et le 4 mai 1810, de retour en Pologne, elle accouchera d’un fils.

« Je suis né au château Walewice en Pologne. »

Alexandre WALEWSKY (1810-1868), La Vie passionnante du comte Walewsky (1953), Comte d’Ornano

Anastazy Walewski, 73 ans, pour éviter le ridicule ou par patriotisme polonais, reconnaît l’enfant déclarant qu’il est issu de son mariage avec Maria née Łączyńska - 23 ans. On le retrouvera dans l’Histoire, ministre des Affaires étrangères de Napoléon III.

Napoléon apprend la naissance de son fils au cours d’un voyage triomphal en Belgique avec Marie-Louise d’Autriche qu’il a épousée pour avoir l’enfant que Joséphine n’était plus en âge de lui donner.
Fou de joie, il fait parvenir des dentelles de Bruxelles et 20 000 francs en or pour Alexandre.

Le 5 mai 1812, à Saint-Cloud, en présence de Marie, Napoléon signe un long document juridique garantissant l’avenir du jeune homme. La dotation consistait en 69 fermes dans le royaume de Naples pour un chiffre d’affaires de 170 000 francs et le titre de comte.
Malgré les rumeurs, Marie garde une position confortable dans la haute société, polonaise comme française. Le 17 août 1812, son mariage avec le vieux comte est déclaré nul, grâce au témoignage de son frère affirmant que cette union lui avait été imposée. Il fallait surtout éviter que le mari couvert de dettes ne ruine sa femme. Marie revint à Paris au début de l’année suivante.

Quand Napoléon se retrouve en exil à l’Île d’Elbe, elle vient le voir (avec son fils) le 1er septembre 1814 – Caroline Bonaparte aura la même attention pour son frère. Comme elle, on la retrouve à ses côtés en 1815, pendant les Cent Jours. Après la seconde abdication et l’exil pour Sainte-Hélène, Marie se pensa dégagée de tout serment, pour épouser… un cousin de l’Empereur, Philippe-Antoine, général comte d’Ornano, ancien colonel des dragons de la Garde. Elle met au monde un troisième fils, le 9 juin 1817. Quelques mois après, elle meurt à Paris dans son hôtel de la rue de la Victoire.

« Toute la maison était plongée dans un vrai désespoir. Ma mère était l’une des femmes les plus remarquables qui eût existé. »

Alexandre WALEWSKY (1810-1868), La Vie passionnante du comte Walewsky (1953), comte d’Ornano

Elle avait 31 ans. Dans son testament, celle qui fut sept ans la maîtresse de Napoléon exprima le désir que son cœur reste en France et que son corps soit transporté en Pologne dans le caveau familial de Kiernozia. Conformément à ce vœu, une urne contenant son cœur repose aujourd’hui au cimetière du Père-Lachaise dans le caveau des d’Ornano, portant la simple inscription : « Maria Walewska, comtesse d’Ornano » - et le corps fut emmené en Pologne quatre mois plus tard.

« Une femme charmante, un ange ! C’est bien d’elle qu’on peut dire que son âme est aussi belle que sa figure ! » Parole de Napoléon à Sainte-Hélène.

9. Marie-Louise (impératrice) (1791-1814), seconde épouse soumise de Napoléon à qui elle donne enfin le fils espéré, l’Aiglon, avant une seconde vie plus épanouie en « Bonne duchesse » de Parme.

« C’est un ventre que j’épouse. »1846

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Le Fils de l’empereur (1962), André Castelot

Napoléon confirme la référence à la « belle génisse » sacrifiée par l’Autriche et assume le rôle du Minotaure prédateur, sans y mettre les formes. Il manifeste tant de hâte qu’on parle d’un enlèvement, plus que d’un mariage. La cérémonie religieuse a lieu le 2 avril 1810. Marie-Louise a 18 ans, il vit une lune de miel de trois semaines qui le comble et sa seconde femme lui donnera un fils, le 20 mars 1811 : le roi de Rome.

C’est peu dire que la nouvelle impératrice est impopulaire dans son pays d’adoption ! À la cour, toutes les sœurs et belles-sœurs de Napoléon se refusent à porter la traîne de « l’Autrichienne » : même accueil et même surnom que pour Marie-Antoinette la dauphine et future reine. Mais la famille impériale n’aimait pas davantage Joséphine la coquette Créole, ex impératrice répudiée pour cause de stérilité.

Marie-Louise qui tient surtout à sa tranquillité (mot récurrent dans ses lettres et trait de caractère constant) semble ignorer ce qu’on dit d’elle dans tout Paris : les bonapartistes préfèrent Joséphine, les républicains la haïssent en sa qualité de nièce de la reine décapitée, les monarchistes ne peuvent accepter le semblant de légitimité que ce mariage donne à la famille.

Pendant quatre ans, elle joue dignement le rôle de première dame. Elle donne le fils attendu à Napoléon, père comblé, fou de joie ! Mais les épreuves à venir pour son époux et pour son pays d’adoption la France sont trop fortes pour cette jeune femme. Écrasée par le désespoir, elle se confie à Hortense de Beauharnais (fille de Joséphine et femme de Louis, frère de Napoléon) : « Je porte malchance partout où je vais. Tous ceux avec qui j’ai eu affaire ont été plus ou moins touchés, et depuis l’enfance je n’ai fait que passer ma vie à fuir. » On croirait entendre Marie-Antoinette sous la Révolution : « Je porte malheur à tous ceux que j’aime. »

Sa vie en France se termine en 1814, quand Napoléon part en exil à l’île d’Elbe. Elle a renoncé à le suivre. Les Cent-Jours seront un nouveau drame vécu de loin. Au second exil de Napoléon, elle écrit à son père.

« J’espère qu’on le traitera avec bonté et douceur, et je vous prie, très cher papa, d’y contribuer. »1959

MARIE-LOUISE (1791-1847), Lettre à son père l’empereur d’Autriche, 15 août 1815. Revue historique, 28e année, volume LXXXII (1903)

La femme de l’empereur déchu ajoute : « C’est la seule prière que je puisse oser pour lui et la dernière fois que je m’intéresse à son sort, car je lui dois de la reconnaissance pour la tranquille indifférence dans laquelle il m’a laissée vivre, au lieu de me rendre malheureuse. » Ce sont vraiment des paroles de fille et d’épouse soumise, aspirant toujours à la tranquillité.

Les Alliés ont décidé d’accorder à Marie-Louise le duché de Parme, en Italie. Elle va vivre une seconde existence plus heureuse. L’entrée officielle a lieu le 18 avril 1816. Elle écrit à son père sur un tout autre ton…

« Les gens m’ont accueillie avec tant d’enthousiasme que j’ai eu les larmes aux yeux. »

MARIE-LOUISE (1791-1847), Marie-Louise - Le destin d’une Habsbourg de Paris à Parme (1997), Franz Herre

Marie-Louise s’installe avec son amant Neipperg à qui elle laisse le soin d’administrer ses territoires. Il le fait d’une main de fer, tandis que la duchesse s’attache à créer des hôpitaux, des monuments et des musées. Elle mérite et apprécie son nouveau surnom : « la Bonne duchesse ».

Avant de partir en Italie, Marie-Louise a dû laisser à Vienne son fils, devenu duc de Reichstadt à sa demande : il lui fallut  renoncer à vivre avec son enfant, elle a cependant insisté pour qu’il puisse avoir ce titre et des terres, afin d’être plus tard libre de choisir sa vie… Mais  le roi de Rome meurt de la tuberculose à 21 ans, dans les bras de sa mère qui s’est précipitée à Vienne pour vivre les derniers instants de ce fils qu’elle aura peu connu, mais beaucoup pleuré.

Après la mort de Napoléon à Sainte-Hélène, le 5 mai 1821, elle a pu épouser Neipperg le 8 août suivant. Le couple aura  quatre enfants avant que Neipperg ne meure en 1829. Suite aux émeutes à Parme en 1831, Marie-Louise, réputée trop laxiste et naïve dans la gestion de ses sujets, épousera en 1834 le comte Charles-René de Bombelles, chargé de reprendre l’administration par la puissance autrichienne qui domine ce territoire italien.

Encore un destin de femme malmenée par l’Histoire qui n’épargne personne, en ces temps bouleversés.

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