Galerie présidentielle (VII. Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

25 Présidents (avec ou sans majuscule selon les sources et l’usage) figurent en tête d’affiche dans ce résumé de la République française.

Présents dans notre Histoire en citations, les passer ainsi en revue à l’occasion de l’élection présidentielle d’avril 2022 est une manière originale de revisiter l’histoire de France depuis la Révolution.

VII. Cinquième République : la présidence en quête d’autres valeurs, avec Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron… et après ?

Président n° 22. Jacques Chirac.

« Chaque pas doit être un but. »3315

Jacques CHIRAC (1932-2019), Mémoires, tome I (2009)

Avant que la mémoire ne lui fasse défaut et qu’il se retire de la scène publique, l’homme se souvient d’une vie vouée à la politique, en deux tomes sous-titrés : I – Chaque pas doit être un but, II Le Temps présidentiel.

Parti de l’ENA et de la Cour des comptes, ce marathonien accomplit un long parcours : du conseil municipal de Sainte-Férréole (Corrèze) à la mairie de Paris, il fut entre-temps député, plusieurs fois ministre, deux fois Premier ministre, pour arriver au but suprême : président de la République.
Franz-Olivier Giesbert, journaliste politique et observateur attentif, donne une des clés du personnage : « On a tout dit sur Chirac. À juste titre. Un coup travailliste, le lendemain bonapartiste avant de tourner libéral, puis social-modéré, il aura fait tout le spectre politique, et dans les deux sens. On a souvent mis cette propension herculéenne à virer de bord sur le compte d’une rouerie qui pourtant n’est pas son fort. Non, c’est l’instinct, plutôt que le cynisme, qui l’emmène d’un bout à l’autre du champ politique, au gré du vent qu’il vient de humer. Cet homme donne le tournis. » (La Tragédie du président : scènes de la vie politique, 1986-2006)

« Dans une campagne, il faut aller chercher les électeurs avec les dents. »3307

Jacques CHIRAC (1932-2019). Le Dauphin et le régent (1994), Catherine Nay

Métaphore carnassière sinon cannibale qui sera reprise par Sarkozy. Chirac le battant annonce sa candidature à la présidentielle, le 4 novembre 1994 (La Voix du Nord).

Aux législatives de 1993, la droite a laminé la gauche, remportant 80 % des sièges : le septennat de Mitterrand se termine dans un climat délétère, entre les affaires, les révélations, les désillusions. Chirac ne veut plus jouer le Premier ministre, pour mieux préparer la présidentielle. Balladur, l’« ami de trente ans », va vivre une « cohabitation de velours » avec le président et devient le favori des sondages (65 % d’opinions positives). Pour ne pas faire éclater le parti, il n’annoncera sa candidature que le 18 janvier 1995, soutenu par Pasqua et par Sarkozy - qui lui doit son premier poste ministériel, au Budget. Chirac a vu venir la trahison, devance Balladur… et part en campagne. Il cible les jeunes avec un programme basé sur l’égalité des chances, la justice, la fraternité. Dans ce duel à droite, Chirac, « dauphin » agité, bonapartiste de rupture, s’oppose à Balladur, le « régent » tranquille, l’orléaniste libéral.

« L’électroencéphalogramme de la Chiraquie est plat. Ce n’est plus l’Hôtel de Ville, c’est l’antichambre de la morgue. Chirac est mort, il ne manque plus que les trois dernières pelletées de terre. »3308

Nicolas Sarkozy (né en 1955), Marianne, fin 1994.  « Le vrai Sarkozy », Marianne, 14 au 20 avril 2007

La guerre fratricide est déclarée au sein de la droite française. Après vingt ans d’amitié (politique et personnelle), Sarkozy s’est rallié à Balladur, sans état d’âme. Il sera son porte-parole pour la présidentielle de 1995. Cela vaut trahison pour Chirac et les chiraquiens de plus en plus rares à jouer la carte de la fidélité, face au clan des balladuriens.

« Il ne faut pas blesser une bête : on la caresse ou on la tue. »3309

Jacques CHIRAC (1932-2019), Mémoires, tome I (2009)

La haine va répondre au mépris. Chirac a lui-même beaucoup tué. Dans les couloirs de l’Assemblée, à la veille de la prochaine présidentielle (2002), Balladur préviendra Jospin : « Chirac a tué Chaban-Delmas, il a ensuite tué Giscard, puis il a tué Barre, et enfin il m’a tué. Méfiez-vous. » Il a blessé aussi. Son biographe, Franz-Olivier Giesbert, écrit qu’il ne garde rien, « même pas ses amis ». Normal : « Le monde politique est une jungle », selon Chirac. Chirac et Sarkozy sont deux « fauves », pas de la même taille, pas de la même génération. Mais leur rivalité va marquer la vie politique française. Chirac ne pardonnera jamais.

« Une fracture sociale se creuse. »3313

Jacques CHIRAC (1932-2019), Discours fondateur de sa campagne présidentielle, 17 février 1995

C’est un orateur né, mais il a besoin de conseillers. Au plus bas dans les sondages, le maire de Paris prépare son retour sur la scène nationale. Henri Guaino, gaulliste social, lui souffle l’idée de fracture sociale - empruntée à Marcel Gauchet, historien et philosophe de la lutte des classes, et reprise également par Emmanuel Todd. Encore faut-il mettre l’idée en situation, trouver les mots et le ton. Chirac y parvient, déjouant tous les pronostics de ses adversaires et des observateurs. Ce discours-programme crée un véritable espoir chez les jeunes et dans les classes populaires.

« Ce soir, je pense à mes parents, je pense aux patriotes simples et droits dont nous sommes tous issus. J’aurai accompli mon devoir si je suis digne de leur mémoire. »3335

Jacques CHIRAC (1932-2019), au soir de l’élection présidentielle, 7 mai 1995. Site de l’Association Jacques-Chirac

Hommage rendu à ses aïeux, agriculteurs corréziens, à ses grands-parents, instituteurs, à son père devenu cadre dans l’industrie aéronautique française. « Chaque pas doit être un but » (titre du tome I de ses Mémoires) et après deux échecs, Chirac réalise son rêve d’accéder au poste suprême, avec 52,6 % des voix. Il bat Lionel Jospin, le socialiste qui ne succédera donc pas à Mitterrand

À 62 ans, cette victoire constitue le sommet de sa carrière politique. Ce doit être le plus beau jour de sa vie – ça ne va même pas durer deux ans ! La cohabitation va gêner l’action présidentielle et le second mandat obtenu par défaut (Jospin ayant été éliminé au premier tour par Le Pen) sera empoisonné par « les affaires », l’omni présence de Sarkozy et un AVC plus grave qu’annoncé. Reste le président battant et combattant, malgré tout.

« Je suis droit dans mes bottes et je crois en la France. »3336

Alain JUPPÉ (né en 1945), Premier ministre, TF1, 6 juillet 1995

Un mois après son entrée en fonction, le plus fidèle ami de Chirac doit répondre sur le loyer de son appartement parisien, trop bas pour être honnête, et la baisse de loyer demandée pour l’appartement de son fils Laurent. Affaire dérisoire, mais symbolique. Juppé devient vite impopulaire : sa « cote d’avenir » passe de 63 % en juin à 37 % en novembre (baromètre TNS Sofres pour Le Figaro Magazine). Sa défense paraît rigide, illustrée par l’expression qui le poursuivra (empruntée à la cavalerie militaire) : « Je suis droit dans mes bottes. » Autrement dit, je ne plie pas, j’ai ma conscience pour moi.

« Aucune civilisation n’a duré, quand elle acceptait la fracture sociale des exclus. »3337

Jacques CHIRAC (1932-2019), interview au JT de France 2, 5 septembre 1995

Le Président élu creuse le sillon de la fameuse « fracture sociale », toujours inspiré par son conseiller de campagne, Henri Guaino, gaulliste social devenu conseiller spécial de l’Élysée, dès le mois de mai.

« On attend tout de l’école, ce qui est le plus sûr moyen de ne rien obtenir d’elle. »3340

Jacques CHIRAC (1932-2019), Une nouvelle France (1992)

L’enseignement est un dossier politique récurrent, mais souvent piégé, voire explosif. Lors de la première cohabitation avec Mitterrand, Chirac Premier ministre en a fait les frais avec Alain Devaquet, ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, contraint à démissionner le 8 décembre 1986 - projet abandonné. Le président annonce quand même une réforme, le 14 juillet 1996 : « Pour la première fois, on sort de l’immobilisme… » Réforme mineure (dans l’enseignement supérieur) et tout va toujours trop lentement, pour ce président pressé.

« Mes chers compatriotes, après consultation du Premier ministre, du président du Sénat et du président de l’Assemblée nationale, j’ai décidé de dissoudre l’Assemblée nationale. »3341

Jacques CHIRAC (1932-2019), Allocution télévisée en direct de l’Élysée, 21 avril 1997

Nul ne peut expliquer cette erreur tactique ou stratégique. Villepin (secrétaire général de l’Élysée) a conseillé, Chirac a décidé avec des accents gaulliens : « J’ai acquis la conviction qu’il faut redonner la parole à notre peuple, afin qu’il se prononce clairement sur l’ampleur et le rythme des changements à conduire pendant les cinq prochaines années. »

C’est jouer à quitte ou double. La manœuvre échoue. Les législatives anticipées (d’un an) donnent le pouvoir à l’opposition, le 1er juin. Les socialistes se sont alliés à la Gauche plurielle (Parti communiste, Verts, Parti radical de gauche, Mouvement citoyen). Cette nouvelle union de la gauche va donner au pays le spectacle, toujours apprécié, d’une troisième cohabitation. Juppé laisse place à Jospin, nommé le 2 juin par Chirac. La droite, de son côté, n’apprécie pas du tout ce faux pas présidentiel.

« On était dans un appartement avec une fuite de gaz. Chirac a craqué une allumette pour y voir clair. »3342

Patrick DEVEDJIAN (1944-2020), commentant la dissolution et le résultat des élections, en 1997. Le Santini (2011), André Santini

Député de droite des Hauts-de-Seine et réélu, il vit en pénitence au RPR, ayant choisi le clan Balladur contre Chirac à la présidentielle de 1995. En attendant mieux, il se console avec le prix de l’humour politique, en 1998.

« La nation est non seulement la réalité vivante à laquelle nous sommes tous attachés, mais surtout le lieu où bat le cœur de la démocratie, l’ensemble où se nouent les solidarités les plus profondes. La France, ce n’est pas seulement le bonheur des paysages, une langue enrichie des œuvres de l’esprit ; c’est d’abord une histoire. »3343

Lionel Jospin (né en 1937), Premier ministre, Déclaration de politique générale, 19 juin 1997

Cette cohabitation va durer cinq ans – un record. Le pouvoir du chef de l’État s’en trouve limité. Pour commencer à écrire la suite de l’histoire de la France, Jospin forme un gouvernement d’union centré sur quelques proches : Martine Aubry, Claude Allègre, Dominique Strauss-Kahn. Principale promesse de campagne : les 35 heures (payées 39) pour favoriser le partage du travail : mesure la plus populaire, la plus contestée aussi. Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, reste à jamais la « Dame des 35 heures ».

Ancien professeur, Jospin affirme que « l’école est le berceau de la République » et Allègre s’attelle à la réforme : « Il faut dégraisser le mammouth. » Cette fâcheuse expression lui coûtera sa réforme et son poste – récupéré par Jack Lang.

« Les droits de l’homme ne valent que parce qu’ils sont universels. »3346

Jacques CHIRAC (1932-2019), Discours pour le 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, 23 avril 1998

Cependant que le Premier ministre gouverne aux prises avec les réalités quotidiennes, le président de la République prend ses distances vis-à-vis des réformes de la gauche au pouvoir, ne ménageant pas ses critiques sur la politique intérieure, lors de ses interventions télévisées ou de ses déplacements en province.

L’occasion est belle. La France est universellement reconnue comme la « patrie des droits de l’homme ». Ils sont nés au siècle des Lumières, la Révolution les a inscrits dans le marbre de l’éternité avec la Déclaration de 1789. Mais l’homme noir a dû attendre l’abolition de l’esclavage sous la Deuxième République, en 1848.

« Les crises sont des choses qui arrivent régulièrement. Le grand avantage, c’est qu’en général, on en sort renforcé. »3348

Jacques CHIRAC (1932-2019), interview télévisée, 3 mai 1998

Toujours positiver, telle est sa nature. Mais il fête le troisième anniversaire de son élection dans un mauvais climat. Outre la cohabitation qui plombe son septennat, l’horizon du président s’assombrit, avec la révélation des « affaires » qui touchent de près l’ancien maire de Paris et son parti, le RPR. Le Conseil constitutionnel le déclare intouchable pendant la durée de son mandat, alors que divers juges souhaitent l’entendre.

La France black blanc beur.3349

Slogan du 12 juillet 1998. Qu’est-ce que la France ? (2007), Alain Finkielkraut

Victoire ! Et divine diversion ! Ce soir-là, ivre de joie, la France fête sa première Coupe du monde, gagnée avec son équipe « black-blanc-beur », Zinédine Zidane en tête d’affiche, Zizou de légende comme le sport en crée toujours. Rappelons Michel Platini, au premier sacre européen en 1984.

Que reste-t-il de ce moment de fraternité, les Champs-Élysées envahis par une foule bigarrée, cette France idéalement métissée ? « Ça n’a duré qu’un été », selon Ludovic Lestrelin, maître de conférences en STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives). « Un bel élan unanime a salué la victoire d’un État-nation, d’un modèle d’intégration, pas seulement d’une équipe. » Les grands rendez-vous sportifs, JO et Coupes du monde, génèrent des mouvements collectifs très forts, mais éphémères.

« Les anniversaires ne valent que s’ils constituent des ponts jetés vers l’avenir. »3350

Jacques CHIRAC (1932-2019), Discours pour le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, 7 décembre 1998

Nouvelle occasion de prendre la parole pour le chef de l’État plus que jamais embourbé dans les « affaires » du temps présent et les tracas de la cohabitation. Mais dans ce discours officiel, Chirac ne pense au passé que pour mieux se projeter dans l’avenir. Cette conception des anniversaires et des commémorations dont la France use et abuse parfois avec nostalgie ou culpabilité est une autre façon d’appréhender l’histoire, cette « passion française ».

« La culture n’est pas une marchandise. Les peuples veulent échanger leurs biens, mais ils veulent garder leur âme. »3354

Jacques CHIRAC (1932-2019), Discours du 29 novembre 1999 à Paris

Belle déclaration, fond et forme. Mais le temps semble révolu où l’État menait une politique culturelle en marge des industries culturelles. La culture sera quasiment absente des programmes aux élections à venir. C’est à peine si cela étonne !

« Pschitt. »3362

Jacques CHIRAC (1932-2019), une onomatopée, dans la traditionnelle interview du 14 juillet 2001

Le mot le plus court de l’histoire (avec le « Merde » de Cambronne aux Anglais). Face à la presse, le président s’explique sur les accusations portées contre lui quelques jours plus tôt, à propos de billets d’avion payés en liquide : « Ces polémiques sur les voyages présidentiels se dégonflent et font pschitt. »

Plus graves, les aveux posthumes de Jean-Claude Méry, homme-clé des finances secrètes au RPR, détaillant (sur cassette audio) un système de financement occulte et les valises de billets reçues pour financer les campagnes de Chirac. Toutes ces accusations divulguées par Le Monde, le 20 septembre 2000, il les qualifie d’« abracadabrantesque » (mot créé par Rimbaud dans Le Cœur supplicié). Toujours empêtré dans la cohabitation, voilà le président rattrapé par les « affaires ». Dans tout autre pays démocratique et d’abord aux États-Unis, ce genre d’esquive n’aurait pas suffi.

« La mondialisation est un nouveau visage de l’aventure humaine. »3367

Jacques CHIRAC (1932-2019), Libération, 22 mars 2002

Pour sortir de la politique intérieure gérée par le Premier ministre, rien de mieux que de voir plus loin encore que l’Europe et de préparer l’élection présidentielle. La mondialisation est un vrai thème et Chirac, bien conseillé, sent toujours le courant porteur. On peut seulement regretter que l’universalité commence par l’économie et d’abord le commerce de biens matériels. Mais tel fut le cas des autres idéologies communes : capitalisme, socialisme, communisme, 

Sur fond de crise mondiale et durable, on accuse la mondialisation de tous les maux : délocalisation, désindustrialisation, précarisation des salariés concurrencés par les bas coûts des pays en développement. La démondialisation à l’abri des frontières serait un remède, soit au niveau de l’Europe (dûment revue et corrigée), soit dans un cadre purement national, d’où un repli sur notre Hexagone (solution du FN). Rappelons quand même que la mondialisation a sauvé de la faim et la misère des centaines de millions de gens : « Tous les pays qui ont émergé ces dernières décennies ont fait jouer le levier de la mondialisation, de la Corée du Sud au Brésil en passant par la Chine […]. Et dans les pays émergents, même si les inégalités explosent, le pouvoir d’achat d’une large partie de la population augmente » constate Jean-Marc Vittori (Les Échos, 22 juin 2011).

« J’assume pleinement la responsabilité de cet échec et j’en tire les conclusions, en me retirant de la vie politique. »3373

Lionel JOSPIN (né en 1937), Déclaration du 21 avril 2002, le soir du premier tour des présidentielles

La gauche est hors-jeu et le Premier ministre KO, la présidentielle va se jouer à droite toute. Jospin se présente à la télévision et devant ses troupes, visage défait, voix blanche. « Le résultat du premier tour de l’élection présidentielle vient de tomber comme un coup de tonnerre. Voir l’extrême droite représenter 20 % des voix dans notre pays et son principal candidat affronter celui de la droite au second tour est un signe très inquiétant pour la France et pour notre démocratie. Ce résultat, après cinq années de travail gouvernemental entièrement voué au service de notre pays, est profondément décevant pour moi et ceux qui m’ont accompagné dans cette action. Au-delà de la démagogie de la droite et de la dispersion de la gauche qui ont rendu possible cette situation, j’assume pleinement la responsabilité de cet échec et j’en tire les conséquences en me retirant de la vie politique après la fin de l’élection présidentielle. »

Ce 21 avril est l’une des dates chocs des années 1990-2010, avec le non à venir au référendum sur l’Europe et le ressenti émotionnel des attentats du 11 septembre 2001 à New York.

« La route est droite, mais la pente est forte. »3376

Jean-Pierre RAFFARIN (né en 1948), nouveau Premier ministre à l’Assemblée, 3 juillet 2002. La Route est droite, mais la pente est forte : un an déjà (2003), Marie-Noëlle Lienemann

Au lendemain des législatives gagnées dans la foulée de la présidentielle, Chirac unifie la droite en créant un nouveau parti, l’Union pour un mouvement populaire (UMP). C’est la rebipolarisation du paysage politique français.

On se demandait quel Premier ministre allait prendre Chirac, président réélu par défaut. Surprise : c’est un giscardien, donc plutôt centriste, l’un des rares « chiraco-compatibles ». Cela peut se résumer ainsi : « La politique, ce n´est pas un sport, ce n´est pas une équipe contre une autre : on est tous l´équipe de France. » Malgré tout, Raffarin a le cœur à droite : « La France n’est encore, dans son chemin du paradis, qu’au purgatoire puisqu’il reste des socialistes. »

L’homme affiche sa modestie : « Les têtes qui gonflent sont celles qui éclatent. » Il se décrit lui-même : « J´ai mes rondeurs, mais j´ai mon énergie. » Il a un physique et une mentalité de sénateur – il est d’ailleurs sénateur de la Vienne, élu et réélu, et il retournera au Sénat, après trois années passées à Matignon, trois fois renouvelé pour trois gouvernements successifs : « Je suis le pilote de l´Airbus gouvernemental. »

Populaire au début, réformateur, il se montre ferme face aux grèves et aux manifestants – retraite, décentralisation, assurance-maladie. Sarkozy, ministre de l’Intérieur, va lui faire de l’ombre et le gêner plus encore aux Finances, en 2004. Le non au référendum sera le coup de grâce en 2005 pour ce député européen : « Mon oui est plus qu´un non au non. » En trois ans, Raffarin s’est fait remarquer par les formules dont il émaille ses discours. Dès 2003, il obtient le prix spécial du (nouveau) Press Club de France, humour et politique, pour un an de raffarinades.

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre. L’humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au nord comme au sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l’humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. »3377

Jacques CHIRAC (1932-2019), Sommet mondial de Johannesburg, Afrique du Sud, 2 septembre 2002

Le Président reprend de la hauteur avec une stature internationale. Plus de 100 chefs d’État (et quelque 60 000 participants) font le bilan du Sommet de la Terre, tenu à Rio de Janeiro en 1992 et du Protocole de Kyoto (Japon) en 1997, les États signataires s’engageant à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, dioxyde de carbone en tête (le fameux CO2). Centré sur le développement durable, le Sommet adopte un plan d’action ambitieux : lutte contre la paupérisation, contrôle de la globalisation, gestion des ressources naturelles, respect des droits de l’homme, etc.

« Au regard de l’histoire de la vie sur Terre, celle de l’humanité commence à peine. Et pourtant, la voici déjà, par la faute de l’homme, menaçante pour la nature et donc elle-même menacée. L’Homme, pointe avancée de l’évolution, peut-il devenir l’ennemi de la Vie ? Et c’est le risque qu’aujourd’hui nous courons par égoïsme ou par aveuglement. » Discours bien écrit par Jean-Paul Deléage, physicien, géopoliticien, maître de conférences universitaire, militant et historien de l’écologie. Le XXIe siècle voit naître l’écologie politique – « la seule idée nouvelle depuis 1945 » (Yves Frémion, Libération, 2 juin 2007)

« Et c’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie. Un pays qui n’oublie pas et qui sait tout ce qu’il doit aux combattants de la liberté venus d’Amérique et d’ailleurs et qui pourtant n’a jamais cessé de se tenir debout face à l’Histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à construire ensemble un monde meilleur. »3378

Dominique de Villepin (né en 1953), Discours au Conseil de Sécurité à l’ONU, 14 février 2003. La Chute de Bagdad : chronique d’une guerre controversée (2003), Alain Fillion

Paradoxe de cette citation : tout le monde se rappelle la situation, beaucoup approuvent ce beau et juste discours, mais personne ne peut se rappeler une phrase aussi alambiquée. En bref, la France refuse la guerre d’Irak et se désolidarise des États-Unis. Plus précisément, pour intervenir militairement contre Saddam Hussein suspecté de développer des « armes de destruction massive », mais président d’un État souverain, il faut l’accord du Conseil de sécurité et la France mettra son veto. Le ministre des Affaires étrangères est ovationné par une majorité des pays membres de l’ONU, non représentés au Conseil : ce sont les « applaudissements du monde » (commentateur de la NBC, National Broadcasting Corporation).

Jacques Chirac, s’opposant ainsi à Georges W. Bush, acquiert une notoriété internationale, forme un « front commun » avec l’Allemagne et la Russie contre l’invasion de l’Irak et satisfait l’opinion publique française. Mais les relations de la France avec les États-Unis deviennent détestables. Elles ne commenceront à se normaliser qu’à la commémoration du débarquement en Normandie, quinze mois plus tard.

« Je décide, il exécute. »3382

Jacques CHIRAC (1932-2019) parlant de son ministre des Finances, Nicolas Sarkozy, 14 juillet 2004. Un pouvoir nommé désir (2007), Catherine Nay

Été 2004, les deux hommes s’affrontent en Conseil de défense sur les crédits militaires. Faute impardonnable aux yeux du président qui tacle sèchement le ministre à la télévision, lors de la traditionnelle interview d’après défilé militaire.

Pour contrer les trop visibles ambitions de Sarkozy, il fixe une règle ad hoc, l’interdiction du cumul d’un portefeuille ministériel et de la présidence de l’UMP – Union pour un mouvement populaire, ex-Union pour la majorité présidentielle créée en 2002 pour soutenir la candidature de Chirac à sa réélection. Sarkozy choisit l’UMP conquis au nez des chiraquiens. Il a besoin de cette machine de guerre pour gagner la prochaine bataille présidentielle. C’est déjà une revanche sur son échec de 1995 et son élimination du pouvoir !

« Sarkozy, il faut lui marcher dessus. Et du pied gauche. C’est la seule chose qu’il comprend et ça porte bonheur. »

Jacques CHIRAC (1932-2019), Libération, 7 mai 2007

Indispensable à la droite, Chirac doit le supporter au sein du gouvernement. Il a renoncé à prononcer son nom et surtout son prénom. Il dit seulement « le maire de Neuilly », complété parfois de cette maxime avec des variantes.

Le duel fratricide continuera jusqu’en 2007. En 2008, Sarkozy reprendra la formule de Chirac, à peine modifiée : « Je décide et ils exécutent. » Cette fois, l’omniprésident gouverne à la tête de l’État et tous les ministres n’ont qu’à suivre. Le choc des mots, c’est la force des citations qui résument ainsi l’Histoire, pour le meilleur et le pire.

« Un Premier ministre, on le lèche, on le lâche, on le lynche ! »3383

Alain JUPPÉ (né en 1945). La Malédiction Matignon (2006), Bruno Dive, Françoise Fressoz

Il a vécu un court état de grâce, Premier ministre (1995-1997) et maire de Bordeaux. Reconnu par Chirac comme « le meilleur d’entre les hommes de droite », il se rendit vite impopulaire par le projet de réforme des retraites, le gel des salaires des fonctionnaires, la déroute des Jupettes (huit femmes débarquées du gouvernement après quelques mois d’exercice) et cette raideur de l’homme qui se dit lui-même « droit dans ses bottes. » Mais le pire est à venir.

En 1998, il est mis en examen pour « abus de confiance, recel d’abus de biens sociaux, et prise illégale d’intérêt » – pour des faits commis en tant que secrétaire général du RPR et maire adjoint de Paris aux finances, de 1983 à 1995. En 2004, le tribunal correctionnel de Nanterre le condamne lourdement, condamnation réduite en appel à quatorze mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité. Juppé vit une traversée du désert qui passe par le Canada… Nombre de commentateurs estiment qu’il paie pour Chirac, reconnu comme responsable moralement. Encore et toujours « les affaires ».

« Nous nous engageons à mettre la préoccupation de l’environnement au centre de nos décisions, et à prendre les mesures qui s’imposent pour conjurer des périls qui menacent la survie même de l’Humanité, en particulier celui du changement climatique. Il est temps d’admettre que nous sommes parvenus au seuil de l’irréversible, et que nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre. »3405

Jacques CHIRAC (1932-2019), Appel qui clôt la Conférence de Paris, 3 février 2007

Le chef de l’État met à profit l’une de ses dernières apparitions publiques pour lancer cet Appel à la mobilisation internationale devant plus de 200 participants venus d’une quarantaine de pays, en vue d’une gouvernance écologique mondiale. Outre la création d’une ONUE (Organisation des Nations unies pour l’environnement) qui serait « une voix forte et reconnue dans le monde », l’Appel de Paris prône l’adoption d’une Déclaration universelle des droits et des devoirs environnementaux : « Cette charte commune garantira aux générations présentes et futures un nouveau droit de l’homme : le droit à un environnement sain et préservé. » La Fondation Jacques Chirac, créée en 2008, s’insère dans l’esprit de cet Appel et cette logique écologique.

« Ne composez jamais avec l’extrémisme, le racisme, l’antisémitisme ou le rejet de l’autre. »3413

Jacques CHIRAC (1932-2019), allocution radiotélévisée, 11 mars 2007

Le président annonce qu’il ne briguera pas un troisième mandat. Ce n’est pas un scoop, le suspense n’existait pas. Il livre simplement son dernier message, destiné à son successeur et capital pour l’avenir de la France.

Au-delà de cette longue présidence contestable à plus d’un titre, parfois incohérente, décevante et inaboutie, le personnage reste populaire dans la mémoire des Français – comme ces acteurs meilleurs que leur filmographie. Si ses discours sont souvent écrits par autrui, ici tous les « mots » sont de lui. Voici un résumé des meilleurs, extraits de notre Histoire en citations, toujours sourcés et contextualisés, à commencer par ce savoureux néologisme.

« Un chef, c’est fait pour cheffer. »3317

Jacques CHIRAC (1932-2019), Le Figaro Magazine, 20 juin 1992

L’autorité est une vertu première, il le fera savoir. Bernadette Chirac confirme : « Je suis mariée à un homme qui n’est pas corrézien pour rien. Il a un sens de l’autorité bien affirmé […] Sa femme doit l’accompagner, le suivre, et ne pas prendre position à tout bout de champ » (Paris Match, juillet 2005). Malgré son autorité de chef proclamée, Chirac complète son autoportrait en montrant, non sans modestie, qu’il sait déléguer : « Si on a pris le soin de bien s’entourer, le collaborateur responsable prend 99 fois sur 100 la décision que vous auriez souhaitée, voire, de temps à autre, une décision meilleure. »

Citons encore, par ordre d’apparition dans la geste chiraquienne :

« Lorsque j’engage un combat, il ne me vient pas à l’idée que je puisse le perdre. »
« J’apprécie plus le pain, le pâté, le saucisson, que les limitations de vitesse. »
« Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. »
« En 1994 [on pourra] se baigner de nouveau dans la Seine. Et je serai le premier à le faire. »
« Le bruit et l’odeur. »
« L’Europe, ça m’en touche une, sans faire bouger l’autre. »
« Bien sûr que je suis de gauche ! Je mange de la choucroute et je bois de la bière. »
« Les feux rouges, je les ai grillés toute ma vie, tu crois peut-être qu’on en arrive là en auto-stop ? »
« Que voulez-vous, je suis Français, et j’adore aller expliquer aux autres ce que je suis infoutu de faire chez moi. »
« Si vous saviez le plaisir que j’ai pu éprouver à passer pour un blaireau, surtout au milieu de corniauds. »
« Buvons à nos femmes, à nos chevaux, et à ceux qui les montent. »
« Le contact humain est le véhicule essentiel de la démocratie. »



Président n° 23. Nicolas Sarkozy.

« D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu agir. Transformer le quotidien, rendre l’impossible envisageable. »3326

Nicolas SARKOZY (né en 1955), Témoignage (2006)

Autoportrait un an avant l’élection présidentielle - autant dire avant-propos de campagne - et profession de foi – pourquoi ne serait-elle pas sincère ? Notons la parenté avec « Soyez réaliste, demandez l’impossible », slogan d’un Mai 68 qu’il n’aime guère.

« La politique a cet intérêt unique et tellement exigeant de se faire avec les Français, pas contre eux, ni sans eux. J’aime l’idée d’une action commune vers un même objectif, pour donner un espoir à des millions de gens […] J’aime construire, agir, résoudre les problèmes. Je crois que tout se mérite et qu’au final, l’effort est toujours payant. Voilà mes valeurs. Voilà pourquoi je fais de la politique. »

Avocat (comme tant d’autres politiciens), maire de Neuilly à 28 ans, plusieurs fois ministre et président de l’UMP (Union pour un mouvement populaire, ex-Union pour la majorité présidentielle), il va se révéler très bon candidat : charisme évident, énergie hors norme, idées simples déclinées sur tous les tons et pour tous les publics, avec des « confidences » qui humanisent l’homme public, hyperactif et ambitieux.

« J’ai changé […] J’ai changé parce que l’élection présidentielle est une épreuve de vérité à laquelle nul ne peut se soustraire. Parce que cette vérité je vous la dois […] Je la dois aux Français. »3330

Nicolas SARKOZY (né en 1955), au Congrès de l’UMP, 14 janvier 2007

La thématique du « changement » scande ses propos dès qu’il entre en campagne : « J’ai changé parce qu’à l’instant même où vous m’avez désigné, j’ai cessé d’être l’homme d’un seul parti, fût-il le premier de France… » Et l’éternel battant fend l’armure : « J’ai changé parce que les épreuves de la vie m’ont changé. On ne peut pas partager la souffrance de celui qui connaît un échec professionnel ou une déchirure personnelle, si on n’a pas souffert soi-même. J’ai connu l’échec, et j’ai dû le surmonter. » Mais la (ou le) politique reprend naturellement ses droits.

« Travailler plus pour gagner plus, c’est mon programme. »3404

Nicolas SARKOZY (né en 1955), Discours de Rungis, 1er février 2007

La « valeur travail » avait une connotation marxiste, le candidat de la droite (ex ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie) lui redonne un autre sens économique, politique et idéologique. Rungis est un lieu symbolique : ce marché international remplace les anciennes halles de Paris, les travailleurs se lèvent tôt et travaillent dur.

Le « travailler plus pour gagner plus » sera le point fort de sa campagne, décliné en plusieurs versions : « Je veux être le président du pouvoir d’achat », « La crise morale française porte un nom : c’est la crise du travail », « Il faut tout faire pour que le travail rapporte davantage que l’assistance », « Les socialistes proposent de travailler moins. Moi, je propose de gagner plus », « Je veux permettre à ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus de pouvoir le faire », « On ne dira jamais assez le mal que les 35 heures ont fait à notre pays. Comment peut-on avoir cette idée folle de croire que c’est en travaillant moins que l’on va produire plus de richesses et créer des emplois ? » La crise mondiale affolera les statistiques du chômage dès 2008, mais ce n’est pas une raison pour nier l’intérêt de ces arguments.

« Je suis le premier homme politique de droite à dire qu’il faut une immigration choisie. »3406

Nicolas SARKOZY (né en 1955), émission « J’ai une question à vous poser », TF1, 6 février 2007

Il répond à la question d’un invité sur cette phrase qui lui fut prêtée en avril dernier : « La France, tu l’aimes ou tu la quittes. » Émission bien scénarisée : Sarkozy peut développer un autre thème de campagne, récurrent durant son quinquennat : « Mais je dis aussi une chose avec la plus grande force : personne n’est obligé d’habiter en France. Et quand on aime la France, on la respecte. On respecte ses règles, c’est-à-dire qu’on n’est pas polygame, on ne pratique pas l’excision sur ses filles, on n’égorge pas le mouton dans son appartement et on respecte les règles républicaines. » Siphonner les voix du FN, l’un des buts avoué… et la réussite de cette campagne menée tambour battant.

« La république, ce n’est pas la droite, ce n’est pas la gauche, ce sont tous les Français. »

Nicolas SARKOZY (né en 1955), Meeting de Caen, 9 Mars 2007

Nouvelle thématique de futur président qui se doit de rassembler au-delà de son camp. Tout candidat pourrait y souscrire. Quatre jours plus tard, à Besançon, il précise et cela peut étonner, vu le personnage, son passé, son futur : « Je n’aime pas les mots qu’on jette à la figure qui sont si violents alors que la France a besoin d’apaisement et de rassemblement. »

« La croissance, j’irai la chercher avec les dents. »3415

Nicolas SARKOZY (né en 1955), en campagne présidentielle, mars 2007. Le Spectacle du monde, nos 536 à 540 (2007)

Expression carnassière du candidat, inspirée par Chirac son père en politique et répétée avec de menues variantes : « Dans une campagne, il faut aller chercher les électeurs avec les dents. » Sarkozy persiste après son élection, devant les patrons : « J’irai chercher la croissance avec les dents, je serai le président du pouvoir d’achat ! », déclaration du 30 août 2007, à l’Université du MEDEF, organisation patronale.

« Je veux une République irréprochable. »3417

Nicolas SARKOZY (né en 1955), Meeting à Meaux, 13 avril 2007

La formule reste dans les mémoires, déjà prononcée au congrès de l’UMP en janvier, reprise à Épinal, déclinée à nouveau en diverses versions : « Je veux être le Président qui va remettre la morale au cœur de la politique », « Je veux une démocratie irréprochable », « Une République exemplaire, caractérisée notamment par des nominations irréprochables », « Si l’État veut être respecté, il doit être respectable. Je ne transigerai pas. » Après les années Mitterrand et les années Chirac, riches en « affaires », le quinquennat se devait d’être irréprochable !  Voilà assurément l’une des promesses non tenues par le président - et sa responsabilité est entière. Sa culpabilité est affaire de justice.

« Pour être président de la République, il faut être calme, et utiliser des mots qui ne sont pas des mots qui blessent, parce que quand on emploie des mots qui blessent, on divise son peuple alors qu’il faut le rassembler… »3419

Nicolas SARKOZY (né en 1955), débat de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, TF1 - France 2, 2 mai 2007

C’est un jeu théâtral parfaitement réglé avec un enjeu considérable : le pouvoir pour cinq ans. Chacun doit placer ses « petites phrases » et se montrer ferme, sans avoir l’air de mépriser ou d’écraser l’autre. Sur le thème du handicap, Ségolène Royal perd son sourire et sa sérénité « naturelle » – chose somme toute normale : « Je ne suis pas énervée. Je suis en colère. Il y a des colères que j’aurai encore quand je serai présidente. » Son adversaire, connu pour son tempérament qui est tout, sauf calme, ne va pas rater l’occasion de décocher sa flèche, avec un calme souriant…

Le duel s’est joué à contre-emploi : l’une plus combative, coupant la parole à l’adversaire, et l’autre plus maître de lui-même comme de ses dossiers, plus posé, plus présidentiel. Le lendemain, Sarkozy est considéré comme « le plus convaincant » par le sondage OpinionWay : 53 % contre 31 % pour Ségolène Royal. Les sondages qui suivent et se ressemblent et Sarkozy gagne la présidentielle avec plus de 53 % des voix. Mais comparé aux deux grands classiques, les duels entre Giscard d’Estaing et Mitterrand, ce débat ne restera pas dans les annales du genre.

« Servir la France, c’est agir pour l’intérêt général en rassemblant la nation. »

François FILLON  (né en 1954), Premier ministre, allocution après la passation de pouvoirs avec Dominique de Villepin, 17 Mai 2007

Message passe-partout, mais ça passe ! Personnalité discrète et opposé en presque tout à Sarkozy, il va rester cinq ans à ce poste ingrat, traité de simple « collaborateur » par l’omniprésident. Fillon tient bon, travaille, bénéficie d’une bonne cote de popularité durant tout le quinquennat. Dans le même style et sur le même ton, il dit au Conseil national de l’UMP : « La confiance des Français se mérite, mais surtout elle se respecte. » Selon François Goulard, député-maire UMP de Vannes : « François Fillon a tellement de qualités qu’il mériterait d’être Premier ministre. »

Avec la suite de l’histoire et la justice suivant son cours, la déception est grande. Cela vaut aussi pour le président qui ne tiendra presque aucune des promesses du candidat. Son rôle n’est certes pas facile, tout  président a été confronté à des imprévus, des tragédies. Mais Sarkozy est d’ores et déjà jugé sévèrement par les historiens contemporains.

« Je ne pense pas que les Français veulent un président glacé et qui devient glaçant. Il faut mettre de la vie au plus haut niveau du pouvoir. »3424

Nicolas SARKOZY (né en 1955), TF1, 20 juin 2007. Journal du Dimanche, 21 juin 2007

Diagnostic évident. L’engouement pour la présidentielle s’est d’ailleurs manifesté par une inscription massive des jeunes sur les listes électorales. Le duel des favoris a redonné goût à la politique, avec deux personnages atypiques, porteurs d’un espoir de changement après les années Mitterrand et Chirac et ces doubles mandats qui n’en finissaient plus.

Désormais, l’omniprésident prend des allures de Bonaparte sous le Consulat. Face à une opposition (déjà) invisible ou illisible, il va occuper le terrain et parler, parler parfois très bien, parfois très mal. Le divorce est fascinant entre le dérapage verbal récurrent, plus ou moins contrôlé, et ses discours si bien écrits.

« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. »3425

Nicolas SARKOZY (né en 1955), Discours de Dakar (Sénégal), 26 juillet 2007

Grand discours, écrit par Henri Guaino, gaulliste de gauche, la plume (le nègre) du président, désormais chargé de donner à sa pensée une forme présidentielle.

L’opinion ne retient que cette « petite » phrase qui fait polémique : relent de racisme sur fond d’ancienne colonisation, assorti d’une confusion entre civilisation et progrès technique. C’est injuste. L’Histoire en citations donne un large extrait et l’intégralité est lisible sur le Net. Mais l’actu impose son rythme et s’affole avec Sarko qui tient quand même à mettre la France dans la confidence…

« Tout est complexe entre un homme et une femme, mais quand tout est public, alors les petits événements de la vie quotidienne deviennent des monuments. »3429

Nicolas SARKOZY (né en 1955), Témoignage (2006)

Un an plus tôt, conscient du drame à venir, il témoignait de cette faiblesse d’homme fort. Il expose désormais sa vie privée, les rumeurs courent, quand le couple élyséen explose. 18 octobre 2007, premier communiqué de l’Élysée : « Cécilia et Nicolas Sarkozy annoncent leur séparation par consentement mutuel. Ils ne feront aucun commentaire. » Un second communiqué, deux heures plus tard, précise que le couple a divorcé. Très médiatisés, les Sarkozy furent comparés aux Kennedy dans le style glamour et people. Cécilia, 49 ans, ancien mannequin, divorcée de l’animateur vedette Jacques Martin, se veut femme libre : la vie de Première dame, « ça me rase » a-t-elle dit avant la présidentielle. Alors que lui avoue ne penser qu’à ça (« pas seulement quand je me rase » précise-t-il).

Il a exprimé la force de son attachement à Cécilia, sa collaboratrice dans son parcours politique. Une première séparation en 2005, qualifiée d’« ouragan » dans sa vie, l’a bouleversé. Il évoque « la souffrance de celui qui connaît un échec professionnel ou une déchirure personnelle. » En 2012, il avouera sur France 2 : « Mon élection aurait dû être le couronnement de ma vie, mais une partie de ma tête était ailleurs. Ma famille explosait. »

« Le président a dû consacrer un peu de temps à régler ses soucis, et donc les Français ont eu le sentiment qu’il ne leur appartenait plus complètement. »3432

Claude GUÉANT (né en 1945), secrétaire général de l’Élysée, Le Figaro, 12 février 2008

Surprenante déclaration ! C’est le bras droit du président depuis huit ans, l’homme indispensable qui le rassure et connaît tout des arcanes politiques – ce qu’il paiera plus tard devant les tribunaux.

En huit mois, la chute de popularité paraît d’autant plus inquiétante que le Premier ministre, Fillon, se maintient à un bon niveau : 52 % d’opinions favorables, face à 39 % pour Sarkozy (baromètre Ipsos-Le Point du 14 février). Guéant donne son interprétation : les Français approuvent la politique menée, mais les problèmes personnels parasitent la relation entre le peuple et son président. Seule certitude, Sarkozy vit très mal la rupture avec Cécilia, en attendant Carla.

« Casse-toi, pauv’ con ! »3433

Nicolas SARKOZY (né en 1955), au Salon de l’Agriculture, 23 février 2008

Il répond à un visiteur refusant sa poignée de main et lui ayant déclaré : « Ah non, touche-moi pas ! Tu me salis ! » Petite phrase popularisée par la diffusion sur le Net et surmédiatisée par la captation vidéo. Mise en situation, la réaction peut s’expliquer, mais ce genre de mot casse l’image présidentielle. Il regrettera l’incident, sa perte de sang-froid et reconnaîtra son erreur en 2012, l’année du mea culpa.

En novembre 2007, lors d’une visite houleuse sur le port du Gilvinec, face à 300 marins pêcheurs protestant contre la hausse du prix des carburants, traité d’« enculé », Sarkozy met l’homme au défi : « C’est toi qui a dit ça ? Descends un peu le dire ! — Si je descends, je te mets un coup de boule » réplique l’autre qui enjambe une barrière de sécurité. Les déplacements sont pourtant très encadrés. L’exemple de la colère, venue du sommet de l’État, est fatalement contagieuse. Elle était déjà critiquée en 2005, quand il était ministre de l’Intérieur, dûment filmé : « On va nettoyer au Kärcher la Cité des 4000 » le 20 juin 2005 à la Courneuve. « Vous en avez assez de cette bande de racailles ? Eh bien, on va vous en débarrasser » le 26 octobre à Argenteuil. En fait, c’est le même homme. Quoiqu’il en dise, il ne change pas.

« Désormais, quand il y a une grève, plus personne ne s’en aperçoit. »3434

Nicolas SARKOZY (né en 1955), au siège de l’UMP, 6 juillet 2008

Tonnerre d’applaudissements dans la salle d’inconditionnels : la formule devient aussitôt une « phrase culte » et « fait le buzz » sur les réseaux sociaux qui organisent des votes : provocation ou vérité ? Les deux ! Les avis sont partagés, comme toujours face à cet hyperprésident omniprésent, mais la presse (majoritairement de gauche) invite le chef de l’État à se ressaisir, les syndicats sont vent debout. Et les voyageurs ? Le service minimum instauré en 2008 dans les services publics (enseignement, transports) évite le blocage ou la gêne des usagers trop souvent « pris en otage ». Le quinquennat, placé sous le signe de la crise économique, se verra épargner les grandes grèves des régimes précédents, mais à la moindre manifestation sociale, la petite phrase reviendra comme un boomerang au président. C’est de bonne guerre.

« Une certaine idée de la mondialisation s’achève avec la fin d’un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l’économie et avait contribué à la pervertir…
L’idée de la toute-puissance du marché qui ne devait être contrarié par aucune règle, par aucune intervention politique, était une idée folle. L’idée que les marchés ont toujours raison était une idée folle…
L’autorégulation pour régler tous les problèmes, c’est fini. Le laissez-faire, c’est fini. Le marché qui a toujours raison, c’est fini. »

Nicolas SARKOZY (né en 1955), Toulon 25 septembre 2008

Quelques semaines après l’éclatement de la crise financière aux États-Unis et en Europe, il prononce ce discours et détaille ses principales mesures : réglementation des marchés financiers, gouvernance européenne, hausse des impôts… Trois ans après, une nouvelle crise boursière se profile et rien n’est changé en France. Aujourd’hui, ces déclarations présidentielles feraient presque sourire – à moins qu’elles ne passent pour une provocation.

« L’Europe m’a changé. Lorsqu’on a la chance pendant six mois de connaître et d’avoir à trancher des problèmes de vingt-sept pays, on gagne en tolérance, on gagne en ouverture d’esprit. »3435

Nicolas SARKOZY (né en 1955), au Parlement européen, L’Express, 16 décembre 2008

Après six mois à la présidence de l’Union européenne, la thématique du changement chère à Sarkozy se renouvelle, pour reconquérir l’opinion ou parce que, de fait, le pouvoir change un homme, en bien ou en mal.

Quant au bilan européen, il est mitigé. La médiation européenne dans le conflit russo-géorgien a évité un scénario « balkanique » en Europe. L’action du président français pour convaincre les Irlandais d’organiser un second référendum sur le Traité de Lisbonne (en 2009) peut être critiquée, mais il fallait sortir de l’impasse qui bloquait l’Europe. Face à la crise mondiale, le plan européen pour stabiliser les marchés financiers a rassuré les investisseurs, évitant un effondrement systémique. Le couple franco-allemand, moteur indispensable à l’Union européenne, s’est renforcé. Cela commençait mal, Sarkozy malmenait la chancelière Angela Merkel et brusquait un tempérament à l’opposé du sien, mais au final, le couple s’est soudé.

« On dit « omniprésident », oh ! Je préfère qu’on me dise ça, plutôt que « roi fainéant »… Ça au moins, à force d’écrire que j’en fais trop, on se pose pas la question de savoir ce que je fais. C’est arrivé dans l’histoire de notre pays. »

Nicolas SARKOZY (né en 1955), Vœux parlementaires présidentiels du 7 janvier 2009

Le style est « limite » et nul n’ignore que le « roi fainéant » vise Chirac – autre hyperactif, mais plus maîtrisé, plus âgé aussi et malgré tout populaire. Cette attaque ad hominem est inutile et déplacée. Sarkozy multiplie les dérapages contrôlés ou pas. De la geste gaullienne à la frénésie médiatique, il va perdre l’essentiel de son crédit – pour ne pas dire son âme.

« Si à cinquante ans, on n’a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie. »3436

Jacques SÉGUÉLA (né en 1934), émission « Les 4 vérités », France 2, 13 février 2009

Vraie gaffe de com, impardonnable à un homme de pub. Et c’était pour « défendre » Sarkozy, qualifié de bling-bling ! « Comment peut-on reprocher à un président d’avoir une Rolex ? Tout le monde a une Rolex. Si à 50 ans on n’a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie ! » Séguéla tentera de se rattraper : lui-même a plus de 50 ans et n’a même pas de montre ! Pour finir, il avoue : « J’ai dit une immense connerie. »

Quant à Sarkozy, la Rolex n’est pas seule en cause, ni les Ray Ban, ni la soirée au Fouquet’s le soir de l’élection, ni le yacht de Boloré l’ami milliardaire… Mais l’accumulation de tous ces signes extérieurs accrédite la version du président des riches. Le bouclier fiscal, disposition qui plafonne l’imposition globale du contribuable, profite surtout aux très privilégiés. La proximité du pouvoir avec les principales fortunes du pays semble érigée en système de gouvernement. Une oligarchie domine l’ensemble des secteurs, de l’industrie aux médias, en passant par les arts et les lettres. Tout cela est assumé sans complexe.

« Parler de social à Nicolas Sarkozy, c’est comme parler de cinéma à une caméra de surveillance. »3396

Laurent FABIUS (né en 1946), cité dans L’Express, août 2009. Quand les politiques se lâchent ! : bons mots, lapsus et vachardes (2011), Olivier Clodong

Au-delà de l’humour, la remarque est juste. Le sens du social lui échappe totalement. Son expérience de ministre de l’Intérieur ou des Finances va naturellement l’inspirer davantage et la gauche française mettra un certain temps avant de présenter une opposition crédible, même si les présidentielles se rapprochent.

« Un jour, je finirai par retrouver le salopard qui a monté cette affaire et il finira sur un croc de boucher. »3398

Nicolas SARKOZY (né en 1955), ministre de l’Intérieur, citation authentifiée après coup par « le salopard » visé, Dominique de Villepin. La Tragédie du Président (2006), Franz-Olivier Giesbert

Dans la série des « duels fratricides », voici la séquence Villepin-Sarkozy et l’affaire Clearstream, obscure histoire de corbeaux et de manipulations, feuilleton financier, politique et judiciaire qui commence en 2004 et trouve son épilogue juridique en 2010.

Dans cette affaire, Sarkozy n’est en rien coupable, mais le 23 septembre 2009, le président qualifie de « coupables » les prévenus au procès Clearstream – bourde impardonnable de la part d’un avocat ! Un mois plus tard, le procureur requiert dix-huit mois de prison avec sursis contre l’ex-Premier ministre rendu « complice » de dénonciation calomnieuse : « Nicolas Sarkozy avait promis de me pendre à un croc de boucher, je vois que la promesse a été tenue. » Mais le 28 janvier 2010, Dominique de Villepin est relaxé.

« En Libye, une population pacifique se trouve en danger de mort. L’avenir de la Libye appartient aux Libyens. Nous ne voulons pas décider à leur place […] Si nous intervenons, c’est au nom de la conscience universelle qui ne peut tolérer de tels crimes. »3449

Nicolas SARKOZY (né en 1955), Déclaration au Sommet de Paris pour le soutien au peuple libyen, 19 mars 2011

Le président annonce le début des opérations militaires. La guerre est un mot tabou, mais l’armée française est engagée. Face au Printemps arabe, la France s’est mal conduite. Michèle Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères, visitait la Tunisie en jet privé, invitée par un ami du régime et déplorait les violences populaires, proposant même son aide à Ben Ali : accusation du PS démentie, MAM devra pourtant démissionner. L’Égypte qui se soulève à son tour offrait ses vacances de Noël familiales au Premier ministre et de luxueux séjours au couple présidentiel, à Louxor ou ailleurs. Images catastrophiques en terme de « com » politique.

Sarkozy va se rattraper avec la Libye en révolte contre Kadhafi. On oublie les ventes d’armes au dictateur et la visite de l’ami qui a planté sa grande tente de Bédouin dans la cour de l’Élysée (décembre 2007) et financé sa campagne selon Mediapart. Les conséquences de ce « coup de poker » initié par Bernard Henri-Lévy, sans l’aval du ministre des Affaires étrangères, seront tragiques pour le pays. Et le « dossier libyen » poursuit personnellement Sarkozy aujourd’hui encore…

« Si nous perdons le triple A, je suis mort. »3465

Nicolas SARKOZY (né en 1955), 6 décembre 2011. Publié dans Le Monde et repris, les jours suivants, par toute la presse

La veille, l’agence de notation Standard & Poor’s a placé sous « surveillance négative » 15 pays de la zone euro, dont les six encore notés « AAA », la France ayant la dégradation la plus sévère. « C’est là que se jouera le différentiel de compétence avec Hollande. Il n’y a pas d’alternative : nous ferons tout pour le garder », dit le président.

Selon sa garde rapprochée, il n’a cessé de pester contre les « filous des agences de notation qui nous tiennent entre leurs mains », le système de la zone euro « qui ne marche vraiment pas » et l’Allemagne adepte de la rigueur. Dilemme cornélien, exprimé en termes sarkoziens : « Si nous ne payons pas pour la Grèce, l’euro est foutu et l’Europe recule de trente ans. Si nous payons, on perd notre AAA et on morfle pour dix ans. » Et d’ajouter : « Merkel est tenue par son dogme et par son Parlement. Dans cette affaire, je me comporte comme le seul véritable européen. » Le 13 janvier 2012, le ministre de l’Économie, François Baroin, confirme la perte annoncée. Le 14, Hollande dénonce un échec patent de la politique du président. Le Premier ministre Fillon est chargé de minimiser l’événement, la dégradation de la note ne devant « pas être dramatisée ». De fait, la France continue de pouvoir emprunter à un taux raisonnable (moins de 3 %).

« Ceux qui ne peuvent supporter d’être haïs ne doivent pas faire de la politique. Il n’y a pas de destin sans haine. »3470

Nicolas SARKOZY (né en 1955), sur son site : Présidentielle 2012

Phrase prémonitoire( écrite en 2007) d’un animal politique ayant connu une traversée du désert avant 40 ans - éloigné du pouvoir par Chirac (qu’il a trahi pour Balladur), il reviendra au gouvernement plus que jamais détesté par les chiraquiens.

En un quinquennat, aucun président n’a atteint si vite une telle cote d’impopularité. Pratiquement pas d’état de grâce pour le président, alors que le Premier ministre se maintient au-dessus de la moyenne. Forme agressive, mouvement perpétuel, hyperactivité, omniprésidentialité et bien des maladresses ou provocations, avec des actes démagogiques et des volte-face fréquentes. Cela masque les éléments positifs du bilan, le courage de faire passer des réformes impopulaires (retraite, service minimum, sécurité routière), utiles (autonomie des universités, révision générale des politiques publiques).

La seconde campagne présidentielle va tourner au référendum « anti Sarkozy ». Bonaparte porté au pouvoir dans l’enthousiasme populaire finit en Napoléon Ier haï.

« À chaque faux pas, à chaque dérapage clinquant, à chaque revirement politique, le président a promis que, cette fois, il avait retenu la leçon et qu’il allait modifier son comportement. »332

Arnaud LEPARMENTIER (né en 1967) et Vanessa SCHNEIDER (née en 1969), Le Monde, 18 février 2012

Au terme du quinquennat, la presse est sévère – hormis Le Figaro, inconditionnellement sarkozyste. Le Monde a une tradition de gauche, mais il reflète l’opinion générale confirmée par les sondages d’opinion. « Ce fut un immense malentendu. L’élection d’un homme qui allait briser les codes et incarner la rupture. Les Français ont élu Nicolas Sarkozy en 2007, ne sachant s’il était le néoconservateur libéral des années 2000 ou l’homme qui parlait depuis quelques mois dans ses discours à la France qui souffre, se référant à Blum et à Jaurès. Ils ont découvert un président bling-bling, qui avait passé la soirée de son élection au Fouquet’s et embarquait ensuite pour une croisière sur le yacht de son ami milliardaire… Double méprise, politique et personnelle. Double tromperie, sur laquelle il a fallu se justifier sans cesse. »

L’opposition fait chorus : « Entre le « j’ai changé » de 2007 et le « j’ai appris » de 2012, l’illusion Sarkozy s’est dissipée : les Français ne sont plus dupes des discours démagogiques du président des promesses non tenues », déclare Harlem Désir, n° 2 du PS (11 mars 2012). Dans ce tourbillon médiatico-politique, les journalistes sont plus ou moins manipulés.

« Fascination, défiance, répulsion… l’omniprésent président de la République nourrit depuis longtemps un lien puissant, passionné, quasi obsessionnel, au monde médiatique. Bête de scène, il est né et a grandi avec la télé, qu’il aime et qu’il regarde. Il en connaît les codes par cœur. »3333

Emmanuelle ANIZON (née en1968), Télérama, 12 mars 2012

Ce show-man virtuose, doué d’une vitalité à toute épreuve, avec le bagou et le charisme canaille d’un Bernard Tapie, fait comme lui exploser l’audimat et s’en vante. Télérama en témoigne : « Direct, vivant, faussement spontané, Nicolas Sarkozy est un bon client. Pour la télé, comme pour la presse écrite qui s’est laissée prendre à ses off, son tutoiement, sa familiarité, ses confidences, main sur l’épaule. À son agenda frénétique, aussi. « Comment ne pas parler de Sarko ? » se demandaient les rédactions, prises en otage par les déplacements/événements quotidiens de l’infatigable ministre de l’Intérieur, devenu candidat en 2006. »

Critique des innombrables discours, décodage des moindres faits et gestes, on sait tout, on dit tout. La pratique du off embrouille plus qu’elle n’éclaire avec les propos distillés, suivant une dérive systématique et un emballement qui masque les vrais problèmes, à coup de petites phrases blessantes et de vraies fausses confidences.  Cela fait évidemment partie d’un « plan de com », pour créer du buzz et capter l’attention des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs en « enfumant » la presse. Et ça passe, ou ça casse : « Aller au bout de soi-même, c’est toujours ce que j’ai voulu. » Reste ce qu’on nomme aujourd’hui le « putaclic ».

« Si Sarkozy existe en tant que phénomène social et historique, malgré sa vacuité, sa violence et sa vulgarité, nous devons admettre que l’homme n’est pas parvenu à atteindre le sommet de l’État malgré ses déficiences intellectuelles et morales, mais grâce à elles. »3334

Emmanuel TODD (né en 1951), Après la démocratie (2008)

Historien et politologue, il se montre polémiste pour faire de Sarkozy le reflet de notre société en crise. Il évoque la montée de l’individualisme, la fin des repères religieux et politiques qui ont structuré la société française au cours du XXe siècle (déclin du christianisme et du Parti communiste français par exemple).

Le réquisitoire de cet intellectuel de gauche contre Sarkozy est pourtant sans appel : « C’est sa négativité qui a séduit. Respect des forts, mépris des faibles, amour de l’argent, désir d’inégalité, besoin d’agression, désignation de boucs émissaires dans les banlieues, dans les pays musulmans ou en Afrique noire, vertige narcissique, mise en scène publique de la vie affective et, implicitement, sexuelle : toutes ces dérives travaillent l’ensemble de la société française ; elles ne représentent pas la totalité de la vie sociale, mais sa face noire, elles manifestent son état de crise et d’angoisse […] Au fond, nous devrions être reconnaissants à Nicolas Sarkozy de son honnêteté et de son naturel, si bien adaptés à la vie politique de notre époque. Parce qu’il a réussi à se faire élire en incarnant et en flattant ce qu’il y a de pire autour de nous, en nous, il oblige à regarder la réalité en face. Notre société est en crise, menacée de tourner mal, dans le sens de l’appauvrissement, de l’inégalité, de la violence, d’une véritable régression culturelle. »

« Nerveux, impétueux, ne doutant de rien et surtout pas de lui-même… »3325

Jacques CHIRAC (1932-2019), Mémoires, tome II, Le Temps présidentiel (2011)

Dans ce testament politique, il juge celui en qui il plaçait tant d’espoir et qui lui a succédé à la tête de l’État en 2007. Leur antagonisme fut un fait politique et de notoriété publique, thème théâtral, digne de Shakespeare ou Hugo. « Le monde politique est une jungle », affirmait Chirac et Sarkozy, enfant terrible de la chiraquie, a retenu la leçon du maître.

Moins talentueux que le candidat, le président va perdre la nouvelle présidentielle – sans espoir de retour, vu les affaires juridiques en cours. Dans la seconde campagne, l’antisarkozysme primaire, secondaire ou à quelque degré qu’il se situe, tient lieu de projet dans les discours de certains adversaires. C’est un peu court !

« Le Pen est compatible avec la République. »3484

Nicolas SARKOZY (né en 1955), 24 avril 2012. Libération fait la une avec ces mots, le 25 avril

Pour que le jeu soit « jouable » au second tour, le président sortant a besoin d’un important report de ses voix, d’où cette phrase sitôt promue citation, faisant la première page de Libé avec la photo du président.

Conseillé par Patrick Buisson, Sarkozy droitise à l’extrême sa campagne de second tour en reprenant les thèmes du FN. On dit qu’il fait l’« école buissonnière. » Les plus modérés de ses proches s’en effraient. Mais il n’a pas le choix, s’il veut avoir une chance. Et puis, s’adresser à l’électorat de Marine Le Pen ne signifie pas conclure un accord avec le FN, ce qu’il se refuse et s’est toujours refusé à faire, même si son propre électorat y est très majoritairement favorable ! La voie est-elle si étroite, entre la diabolisation et la pactisation, entre la compréhension et la compromission ?

Président n° 24. François Hollande.

« Un président qui donne aux Français confiance, respect et espoir, qui a donc la hauteur nécessaire pour incarner la France et l’humilité indispensable pour être au plus près des citoyens. »3458

François HOLLANDE (né en 1954), AFP, 16 juillet 2011

Le futur candidat fait son autoportrait, s’opposant au président en place et espérant aller au-devant du désir des Français d’en finir avec le style Sarkozy. Il se positionne aussi parmi les autres prétendants, en vue des primaires socialistes.

L’exercice n’est pas simple pour le candidat, les petites phrases assassines courent les salles de rédaction, les médias et les blogs. « Hollande, c’est le principal défaut du Parti socialiste » selon Arnaud Montebourg (Canal Plus, le 8 juin 2010). « François Hollande président de la République ? On rêve ! » s’exclame Fabius, en avril 2011 et deux mois plus tard : « Une fraise des bois peut-elle cacher un éléphant ? » Martine Aubry, connue pour ses flèches visant son entourage : « Arrêtez de dire qu’il travaille ! François n’a jamais travaillé ! Il ne fout rien ! » (Journal du Dimanche, 30 avril 2011). « Il n’a aucune épine dorsale. Il manque de caractère » (Le Nouvel Observateur, 30 juin 2011). Son ex-compagne, Ségolène Royal, sera pour une fois d’accord avec Aubry : « Le point faible de François Hollande, c’est l’inaction. Est-ce que les Français peuvent citer une seule chose qu’il aurait réalisée en trente ans de vie politique ? » (Le Figaro, 8 novembre 2011).

Apparemment insensible aux blessures d’amour-propre, Hollande se prépare à « changer de destin » (titre de son prochain livre) et peaufine son image mitterrandienne : « Un président qui doit redonner de la fierté aux Français par son action internationale et par la considération qu’il porte aux grandes questions planétaires qui sont celles de l’humanité tout entière. »

« Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup. »3460

Martine AUBRY (née en 1950), citant sa grand-mère, pour critiquer François Hollande, son principal concurrent dans les primaires socialistes, 13 septembre 2011 sur RTL

La candidate répond aux questions de Jean-Michel Aphatie. Elle accuse Hollande d’avoir employé « des mots de droite ». Elle a aussi trouvé du « flou », lors du débat télévisé qui les opposait la veille. « J’ai bien compris qu’il essayait de passer entre les gouttes quand je lui posais un certain nombre de questions… Ma grand-mère disait : « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup » » a-t-elle poursuivi. Le dicton de la grand-mère court les médias et pimente les discours d’un brin de bon sens populaire. C’est ainsi que naît une citation.

« La France n’est pas un problème, la France est la solution. Le changement, c’est maintenant ; l’espérance, c’est maintenant ; la République, c’est maintenant ; dans trois mois, nous ferons gagner la gauche et nous réussirons. »3466

François HOLLANDE (né en 1954), derniers mots de son premier grand meeting de campagne au Bourget (Seine-Saint-Denis), 22 janvier 2012

À trois mois de la présidentielle, devant une foule estimée (selon les sources) à 10 000 ou 25 000 militants socialistes, le candidat du PS est très attendu. Il doit enfin se dévoiler aux Français, livrer sa vision pour le pays et « fendre l’armure ». Hollande reprend la thématique du rêve. « Ils ont échoué parce qu’ils n’ont pas commencé par le rêve ! » Il revient sur son thème fétiche : la jeunesse, avec la création de 60 000 postes d’enseignants. En fin de mandat, il voudrait qu’on le juge sur cette seule question : « Est-ce que les jeunes vivront mieux en 2017 qu’en 2012 ? Changer leur vie serait pour moi la plus grande des fiertés. » Il répète aussi son slogan de campagne : « Le changement, c’est maintenant. »

Après ce discours plutôt combatif, il achève sa journée marathon sur TF1 en se positionnant face au président en place : « Je tiens à une présidence normale […] Je veux donner une autre image, je veux être plus modeste. » C’est décidé, il fera de cette élection un référendum antisarkozyste.

« Tout ça pour ça ! »3467

Philippe JUVIN (né en 1964), secrétaire national de l’UMP, 22 janvier 2012, dans un communiqué au Figaro

Le parti présidentiel ne peut que critiquer le premiers discours de campagne de l’adversaire : « L’incantation, même faite avec réel talent, ne remplace pas un projet de société. François Hollande a d’abord beaucoup parlé de lui. Puis, comme à son habitude, il a beaucoup promis, mais en ne disant jamais comment il y parviendrait. La montagne a accouché d’une souris. En une phrase : tout ça pour ça ! »

Selon Benoist Apparu, secrétaire d’État au Logement : « François Hollande se rêve en Mitterrand, mais il n’est même pas à la hauteur de Jospin. » Et Guillaume Peltier, le « Monsieur sondages » de l’UMP : « Un exercice de prestidigitateur […] On attendait un souffle d’avenir, on a eu le vent du passé ; on attendait le rêve de 2012, on a eu le vieux songe de Mai 68 et de mai 1981. »

Ces mois de mai passés ne font plus rêver les Français. La crise plombe le climat politique et social. Le candidat Hollande ajuste son discours, parle de rendre l’espoir et chemine, lentement mais sûrement, prenant de l’assurance, conforté par les sondages. La campagne est pour l’heure sans surprise, parfaitement bipolarisée.

« Passer de rien à chef de l’État, Hollande va souffrir… »3472

Brice HORTEFEUX (né en 1958), député européen, conseiller de Nicolas Sarkozy, en lice pour le Prix Press Club, humour et politique

Entre 2005 et 2011, le « porte-flingue » de Sarkozy a multiplié les postes politiques. C’est l’un des plus fidèles lieutenants qu’on retrouve à la cellule « Riposte » à l’Élysée, chargé de définir au jour le jour la ligne d’attaque ou de défense avec les personnalités politiques intervenant dans les médias. En bref, guetter et créer les petits mots qui font mal.

Quant à Hollande, il fait tout pour contredire l’image de cette « gauche molle » que Martine Aubry lui a collée, juste quand le représentant de la « gauche folle », Jean-Luc Mélenchon faisant allusion à la grande crise économique, va le traiter de « capitaine de pédalo dans la tempête ». Ses deux camarades vont quand même tout faire pour son élection.

« Il fait partie de ces élèves qui n’ont pas rendu une bonne première copie et qui demandent maintenant une correction. Eh bien, il va l’avoir, la correction ! »

François HOLLANDE (né en 1954), 23 avril 2012, après le premier tour de l’élection présidentielle

Nicolas Sarkozy devant affronter le candidat socialiste au second tour le 6 mai avait proposé de tenir trois débats entre les deux tours. On s’en tiendra au rendez-vous classique, unique et ultra-médiatique. Hollande n’usera pas de son humour – un de ses talents assumés -, mais jouera d’une anaphore devenue célèbre.

« Moi président de la République, je ne serai pas le chef de la majorité, je ne recevrai pas les parlementaires de la majorité à l’Élysée. Moi président de la République, je ne traiterai pas mon Premier ministre de collaborateur. Moi président de la République, je ne participerai pas à des collectes de fonds pour mon propre parti, dans un hôtel parisien… »

François HOLLANDE  (né en 1954), débat de l’entre-deux-tours

Il répond à la dernière question posée par la journaliste Laurence Ferrari : « Quel président comptez-vous être ? —  Un président qui d’abord respecte les Français, qui les considère. Un président qui ne veut pas être président de tout, chef de tout et en définitive responsable de rien. » Puis, il enchaîne : « Moi président de la République » prononcés à quinze reprises et s’opposant chaque fois à l’ex-Président. Face à lui, Sarkozy ne peut, ne veut pas l’interrompre, au risque d’être trop fidèle à son image, « nerveux, impétueux », etc.

« La présidence normale, c’est une présidence qui doit être ambitieuse pour son pays et humble pour celui qui le représente. Elle doit être à la fois haute, c’est-à-dire digne, et proche, c’est-à-dire respectueuse. »3485

François HOLLANDE (né en 1954), Le Point, 26 mai 2011

En cas de victoire espérée, le candidat socialiste répondait par avance, tenant à afficher sa différence face à l’omniprésident en place. Sa tactique, devenue stratégie payante, repose de la surchauffe médiatique des deux dernières campagnes électorales. De là à qualifier Hollande d’« endormeur », voire d’« hypnotiseur »… (L’Express).

« Le président normal ne le sera pas longtemps. Parce que la fonction ne l’est pas. »3486

François FILLON (né en 1954), dépêche AFP, 29 mai 2012

Prédiction de l’ex-Premier ministre du précédent quinquennat, lancée sans grand risque d’erreur. Une situation économique et financière anormalement grave (depuis quatre ans déjà) rend la fonction plus périlleuse et le rôle plus ingrat, face à une opinion publique prompte à critiquer et une opposition politique systématique de la droite et des extrêmes. Autre évidence, le président de la République, surtout sous la Cinquième et avec les responsabilités qui sont les siennes, est condamné à devenir un personnage de premier plan, surexposé face aux médias et aux citoyens.

François Hollande, homme de parti, habitué aux synthèses entre courants socialistes et adepte de la gentillesse en politique (ce qui lui vaudra le premier prix du genre, décerné par le très sérieux magazine Psychologie en novembre 2012), sera tôt ou tard forcé de trancher et de se battre en tête de ses troupes. Quant à prendre l’avion, le train ou la voiture comme tout le monde, c’est un critère peu signifiant - disons, anecdotique.

« Ce crime a été commis en France par la France. Ce fut aussi un crime contre la France, une trahison de ses valeurs que la Résistance, la France libre, les Justes surent incarner dans l’honneur. »3487

François HOLLANDE (né en 1954), Commémoration du 70e anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, Paris, 22 juillet 2012

La presse (de droite) s’empresse de critiquer la déclaration du nouveau président, ne retenant que la première phrase, alors que la seconde répond à la critique. En introducton, il a d’ailleurs bien précisé : « La reconnaissance de cette faute a été énoncée pour la première fois, avec lucidité et courage, par le président Jacques Chirac, le 16 juillet 1995. »

Devant ce lieu qui n’est plus qu’un nom de sinistre mémoire, « le Vel d’Hiv », Mitterrand président est venu en 1992, en pleine polémique sur les années sombres et le rôle de Vichy dans la « solution finale », sans prendre la parole. Après lui, Chirac le gaulliste a reconnu publiquement et pour la première fois la responsabilité de l’État français dans cette rafle dont la seule image reste une photo d’autobus parisiens gardés par un policier français : « La France, à ce moment-là, la France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France accomplissait l’irréparable. » Sarkozy, son successeur, n’a pas souhaité conforter cette reconnaissance.

Hollande, avec la volonté de s’opposer systématiquement à son prédécesseur, reprend le discours chiraquien avec des mots très forts : « Ce crime a été commis en France par la France… » Sur les 320 000 juifs vivant en France au début de l’Occupation, rappelons les 75 500 déportés vers les camps de la mort nazis – et 2 500 survivants.

« Si l’Afrique, berceau de l’humanité, parvient à vivre et à faire vivre pleinement la démocratie, partout et pour tous ; si elle réussit à vaincre ses divisions, alors l’Afrique sera le continent où se jouera l’avenir même de la planète. »3489

François HOLLANDE (né en 1954), Discours de Dakar, 12 octobre 2012

Le président exprime sa « conviction profonde » et s’oppose implicitement, une fois de plus, au discours de Sarkozy qui fit polémique, cinq ans avant : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. »

Il adopte délibérément un autre ton : « Je ne suis pas venu en Afrique pour imposer un exemple, ni pour délivrer des leçons de morale. Je considère les Africains comme des partenaires et des amis. L’amitié crée des devoirs : le premier d’entre eux est la sincérité. Nous devons tout nous dire, sans ingérence, mais avec exigence. La démocratie vaut pour elle-même. Mais elle vaut aussi pour ce qu’elle permet. Il n’y a pas de vrai développement économique ni de vrai progrès social sans pluralisme. »

Représentant un vieux pays de la vieille Europe, il met en exergue un autre atout du continent : « L’Afrique est portée par une dynamique démographique sans précédent : la population au sud du Sahara doublera en l’espace de quarante ans - pour atteindre près de 2 milliards de femmes et d’hommes en 2050. Le nombre d’habitants aura été multiplié par dix en un siècle : c’est un changement sans équivalent dans l’histoire humaine. L’Afrique est la jeunesse du monde. » En même temps, Hollande se pose en président sur la scène internationale, alors que son image et sa cote de popularité auprès des Français souffrent d’une économie en panne et d’un chômage aggravé.

« J’essaie de montrer une force tranquille. Les Français ont besoin que leurs dirigeants ne soient pas fébriles. »3490

Jean-Marc AYRAULT (né en 1950), Paris Match, 21 novembre 2012

Le Premier ministre emprunte l’expression « force tranquille » à la campagne présidentielle gagnante de Mitterrand en 1981 et se montre à l’image du nouveau président qui se veut « normal ». L’interview dans cet hebdomadaire populaire est faite pour rectifier l’image trop floue du chef de gouvernement : « Sous vos airs bonhommes, n’êtes-vous pas une main de fer dans un gant de velours ? _ Je ne suis pas quelqu’un de faible. Je ne serais pas arrivé là, si je n’avais pas fait preuve de fermeté. Mais, en même temps, j’ai de la bienveillance pour les gens. Je ne confonds pas l’autorité et la brutalité ou le caporalisme. J’estime que tout le monde a droit à une deuxième chance. _ Vous cachez bien votre jeu ! _ J’essaie de montrer une force tranquille. »

« Il est tellement loyal qu’il est inaudible. »

François HOLLANDE (né en 1954), à propos d’Ayrault, Premier ministre. Un président ne devrait pas dire ça !  Les secrets d’un quinquennat (2016) Gérard Davet et Fabrice Lhomme.

« Il est fort, il a de la constance, même du courage. Il lui manque la part de rondeur, de légèreté, au sens de la capacité à faire un compliment, entraîner l’autre. Mais s’il avait tout ça, il serait président, il ne serait pas Premier ministre ! Si un Premier ministre est meilleur que le président, c’est un problème ! »

« Sommes-nous capables d’écrire ensemble une nouvelle page de notre histoire ? Je le crois. Je le souhaite. Je le veux. Rien ne se construit dans la dissimulation, dans l’oubli et encore moins dans le déni »3500

François HOLLANDE (né en 1954), 20 décembre 2012, à la tribune du Parlement algérien, cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie

Hollande fait son métier de président, dans cet exercice incontestablement délicat et obligatoirement consensuel. Pas question de repentance pour éviter la polémique à son retour en France. Mais il y a publiquement reconnaissance des crimes coloniaux : « Pendant 132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal. Ce système a un nom : c’est la colonisation. Et je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. »

C’est un discours sur l’histoire, un discours pour l’histoire, dans le but de solder le passé compliqué de la France et de l’Algérie, avec un appel au devoir de vérité qui pêche par un certain anachronisme, inévitable sur ce thème de la colonisation. L’attente des parlementaires algériens n’est pas totalement comblée, l’accueil populaire pas délirant, mais le minimum a été fait et bien fait, constate la presse. Après six mois de présidence, Hollande se montre plus à l’aise à l’international que dans les débats franco-français d’ordre politique, économique, social ou sociétal. Qui l’eût cru ?

« Moi, président de la République, je n’ai jamais été mis en examen. […] Je n’ai jamais espionné un juge, je n’ai jamais rien demandé à un juge, je n’ai jamais été financé par la Libye. »

François HOLLANDE (né en 1954), se comparant à Nicolas Sarkozy. Un président ne devrait pas dire ça !  Les secrets d’un quinquennat (2016) Gérard Davet et Fabrice Lhomme

Dans ce livre-entretien, le président se lâche, livrant des réflexions extrêmement personnelles sur les sujets chauds de son mandat.

Sur les Verts et les frondeurs : Les premiers sont « des cyniques et des emmerdeurs », les seconds, la preuve qu’une « agrégation de gens intelligents peut faire une foule idiote ». L’équipe de France de foot ? « Ils sont passés de gosses mal éduqués à vedettes richissimes, sans préparation ». Certains joueurs mériteraient des leçons de « musculation du cerveau ». Il revient sur Merci pour ce moment ? (2014), essai autobiographique de Valérie Trierweiler, son ex-compagne pendant neuf ans qui fit polémique : « Ce livre n’était pas un acte malveillant, mais l’acte d’une femme malheureuse. » Il n’a pas  supporté l’expression « sans-dents » sortie de son contexte et citée à charge contre lui : « Je lui ai dit : Je vois les gens qui viennent vers moi dans les manifestations, ce sont des pauvres, ils sont sans dents. C’est odieux, c’est une trahison. Quand je dis : J’aime les gens, c’est vrai. »

De toute manière, on n’est jamais trahi que par les siens… et la fin du quinquennat sera difficile pour un président qui n’a pas cru longtemps à son destin.

« J’ai une loyauté personnelle envers François Hollande. Je lui dois de m’avoir fait confiance et de m’avoir nommé au gouvernement. En même temps, lorsqu’un président nomme quelqu’un ministre, il le fait parce qu’il pense que c’est bon pour son pays, pas pour en faire son obligé. »

Emmanuel MACRON. Cité dans En marche vers l’Élysée (2016), Nicolas Prissette

Ministre de l’Économie en 2014, il démissionne en 2016 et crée son propre mouvement politique, « En Marche ».

Confronté à une forte impopularité et à des divisions au sein du PS, François Hollande renonce à briguer un second mandat - une première sous la Cinquième République. La présidentielle se jouera entre Marine Le Pen et Macron qui l’emporte sans avoir besoin de forcer son talent (avec 66 % des voix). Élu à 39 ans, le plus jeune président de l’histoire gère l’entreprise France, voit déferler les Gilets jaunes et affronte une crise sanitaire hors norme (pandémie de la COVID), dans un « paysage politique » indéchiffrable.

Président n° 25. Emmanuel Macron.

Son quinquennat, c’est encore l’actualité. Que retiendra l’Histoire ?

Bon thème de réflexion et de débat, voici le Top 22 des citations signées du président, sourcées et brièvement contextualisées au fil de cette dernière chronique.

« Une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien, parce que c’est un lieu où on passe, un lieu que l’on partage. »

2 juillet 2017, à l’inauguration de la Station F, campus géant dédié aux start-up et initié par Xavier Niel.

« La première bataille, c’est de loger tout le monde dignement. Je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues. »

27 juillet 2017, sur Twitter, à propos des SDF

« Les forces du monde ancien sont toujours là, bien présentes, et toujours engagées dans la bataille pour faire échouer la France. »

30 août 2017, interview à l’hebdomadaire Le Point.

« La France n’est pas un pays réformable. Beaucoup ont essayé et n’y ont pas réussi, car les Français détestent les réformes. »

24 août 2017, devant la communauté française de Bucarest (Roumanie).

« En tant que président, vous ne pouvez pas avoir le désir d’être aimé. Ce qui est, bien sûr, difficile parce que tout le monde veut être aimé. Mais à la fin, ce n’est pas important. Ce qui est important, c’est servir le pays et le faire avancer. »

13 octobre 2017, entretien au journal allemand Der Spiegel.

« Pour que notre société aille mieux, il faut des gens qui réussissent ! […] Je ne crois pas au ruissellement, mais je crois à la cordée. […] Si l’on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée, c’est toute la cordée qui dégringole. »

15 octobre 2017 à l’Élysée, première interview télévisée du quinquennat sur TF1 et LCI.

« L’audiovisuel public, c’est une honte pour nos concitoyens. »

6 décembre 2017, réunion à l’Élysée, résumé d’un long discours en forme de réquisitoire.

« La politique sociale, regardez : on met un pognon de dingue dans des minima sociaux, les gens ils sont quand même pauvres. On n’en sort pas. Les gens qui naissent pauvres, ils restent pauvres. Ceux qui tombent pauvres, ils restent pauvres. On doit avoir un truc qui permette aux gens de s’en sortir. »

12 juin 2018, entretien « informel » à l’Élysée avec ses conseillers, publié sur Twitter le même jour.

« S’ils veulent un responsable, il est devant vous, qu’ils viennent le chercher ! »

25 juillet 2018, devant la Maison de l’Amérique latine et face aux députés de la majorité, référence à l’affaire Benalla.

« Il faut prendre un peu de distance avec la polémique et les réseaux sociaux. J’aime la France et les Français, n’en déplaise, et je l’aime dans toutes ses composantes. Je les aime, ces tribus gauloises, j’aime ce que nous sommes. »

30 août 2018, conférence de presse à Helsinki, pour éteindre la controverse déclenchée sur les Français, ces « Gaulois réfractaires au changement »

« Dans l’hôtellerie, les cafés et la restauration, dans le bâtiment, il n’y a pas un endroit où je vais où ils ne me disent pas qu’ils cherchent des gens. Pas un ! Hôtels, cafés, restaurants, je traverse la rue, je vous en trouve ! »

16 septembre 2018 à l’Élysée, devant les visiteurs visitant le Palais, il répond à un jeune chômeur.

« Je n’ai pas réussi à réconcilier les Français avec leurs dirigeants. »

14 novembre 2018, interview en direct sur TF1 depuis le porte-avions Charles de Gaulle, mea culpa présidentiel.

« Quand vous avez ensemble des gens qui veulent plus d’emplois publics et des gens qui veulent moins d’impôts, je dis juste aux Français : on est en train de vous mentir et de vous manipuler. »

14 novembre 2018, interview en direct sur TF1 depuis le porte-avions Charles de Gaulle, pédagogie face aux Gilets jaunes

« Il y a beaucoup de gens qui sont dans l’addition des colères et l’addition des blocages, ça ne fait pas un projet pour le pays. »

14 novembre 2018, interview en direct sur TF1 depuis le porte-avions Charles de Gaulle, mise en garde des Français face aux contestations.

« Tout sera mis en œuvre pour protéger nos salariés et nos entreprises. Quoi qu’il en coûte. »

12 mars 2020, adresse aux Français relative à la Covid-19, reprenant les mots de l’ex président de la BCE Mario Draghi (« whatever it takes ») crédité du sauvetage de la zone euro en 2012.

« Nous sommes en guerre. »

16 mars 2020, seconde allocution télévisée en six jours, expression répétée six fois en annonçant aux Français le confinement pour juguler la propagation de l’épidémie de coronavirus.

« La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire, ni aucune statue déboulonnée. »

14 juin 2020 à l’Élysée, adresse aux Français pour dénoncer la réécriture de l’Histoire de France.

« Pourquoi ai-je un jour voulu devenir Président ? Pour faire en sorte que quel que soit votre prénom, votre religion ou votre couleur de peau, il y ait un chemin qui vous permette d’arriver à l’excellence. »

14 juillet 2020 sur Twitter.

« J’entends beaucoup de voix qui s’élèvent pour nous expliquer qu’il faudrait relever la complexité des problèmes contemporains en revenant à la lampe à huile ! Je ne crois pas que le modèle Amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine. »

14 septembre 2020, discours sur l’innovation et la 5G avec référence au «  modèle amish  », contre-exemple face aux défis de l’écologie contemporaine.

« Il fallait créer un électrochoc pour sauver des vies. »

16 décembre 2020, interview au Point pour justifier huit mois après le « Nous sommes en guerre » destiné à provoquer un électrochoc nécessaire.

« Moi, je ne suis pas pour emmerder les Français, je peste toute la journée contre l’administration quand elle les bloque. Eh bien, là, les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder ! »

4 janvier 2022, Le Parisien

« Et en même temps… »

Le psychanalyste Roland Gori s’interroge : « Paradoxe permanent ou imposture ? Emmanuel Macron a fait de cette expression sa marque de fabrique ». Ses partisans en font le signe d’une pensée de la « complexité » qui dépasse les anciens clivages, ses opposants y voient surtout une ambiguïté typique du « centrisme social-libéral ». Pour le psy, cette formule révèle l’ontologie de cet homme politique et de son courant de pensée, voulant « concilier Ricœur et le CAC 40 ».

Vous avez aimé ces citations commentées ?

Vous allez adorer notre Histoire en citations, de la Gaule à nos jours, en numérique ou en papier.

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

L'Histoire en citations -

Partager cet article

L'Histoire en citations - Gaule et Moyen Âge

L'Histoire en citations - Renaissance et guerres de Religion, Naissance de la monarchie absolue

L'Histoire en citations - Siècle de Louis XIV

L'Histoire en citations - Siècle des Lumières

L'Histoire en citations - Révolution

L'Histoire en citations - Directoire, Consulat et Empire

L'Histoire en citations - Restauration, Monarchie de Juillet, Deuxième République

L'Histoire en citations - Second Empire et Troisième République

L'Histoire en citations - Seconde Guerre mondiale et Quatrième République

L'Histoire en citations - Cinquième République

L'Histoire en citations - Dictionnaire