Histoire du Travail en citations (Du Moyen Âge au XIXe siècle) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

1er mai, fête du Travail. Historiquement, aux USA, c’est l’appel de syndicats ouvriers qui revendiquent la journée de huit heures. Anecdotiquement, c’est le premier jour de l’année comptable des entreprises.

En France, c’est le régime de Vichy qui instaure en 1941 un 1er mai férié en tant que « Fête du Travail et de la Concorde sociale », en référence à la devise de Pétain : « Travail, Famille, Patrie ».

2023, la réforme des retraites donne la vedette au travail, vécu comme une corvée avec sa pénibilité tout terrain. Cela renvoie à l’étymologie latine du « tripalium », instrument de torture fait de trois pieux… et à la souffrance, la douleur endurée par une mère lors de l’accouchement.
Une loi sur le travail (but à définir) va bientôt remettre le travail à la une des débats et des médias.

Reste à voir la place du Travail dans l’Histoire. Des origines à nos jours, le mot évolue, le travail évoque les travailleurs, majoritairement paysans, ouvriers, mais aussi les intellectuels, les artistes, le roi lui-même… Les philosophes du XVIIIe dénoncent les injustices, les théories du travail s’en mêlent au XIXe, avec l’apparition du socialisme s’opposant au capitalisme, d’où le droit au travail, le droit du travail, les lois sur le travail, les syndicats, la grève… Révoltes et révolutions tournent encore et toujours autour du travail, du Front populaire de 36 à Mai 68, le féminisme s’en mêle, les partis tentent de suivre…

En deux semaines, tout va être évoqué sous forme de chronique. Une histoire passionnante et pour finir, un florilège étonnant de citations toujours sourcées (mais sans plus de commentaire). Alors, au travail !

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

Du Moyen Âge au règne d’Henri IV : rappel de quelques faits.

« Ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent. »52

Évêques ADALBÉRON de Laon (??–v.1030) et ANSELME (1033-1109). Histoire de France, tome II, Le Temps des principautés. De l’An mil à 1515 (1992), Jean Favier (entre autres sources)

Cette claire définition des trois ordres sociaux représente le fondement de la société médiévale telle que la concevaient les envahisseurs germaniques - et ils vont l’imposer à l’Europe.

« À ceux qui travaillaient la terre, / La terre doit appartenir,
Récompense à la vie austère / D’un illustre peuple martyr :
Et de baraques en baraques / Se levèrent les paysans,
Les va-nu-pieds, les artisans, / Les rudes gars qu’on nommait Jacques. »301

Jacques VACHER (1842-1897), chanson évoquant la Jacquerie de 1358. Voix d’en bas : la poésie ouvrière du XIXe siècle (1979), Edmond Thomas

Ardent républicain sous le Second Empire, il créera le premier Caveau stéphanois en 1869, lieu de poésie, de chansons et d’expression libre, avant de s’enrôler, en 1870, comme franc-tireur républicain. Une rue de Saint-Étienne porte son nom.

Fils de paysan et lui-même artisan menuisier, il évoque le mécontentement du « petit peuple » dans les campagnes au Moyen Âge, en pleine guerre de Cent Ans. Les paysans ont dû payer l’équipement de leurs seigneurs, battus à Crécy, puis à Poitiers. Il faut à présent donner pour leur rançon.

Décimés il y a dix ans par la peste noire et la famine, les voilà maintenant pillés par les bandes anglo-navarraises, comme par les soldats du dauphin Charles.

« Quant au salaire du mercenaire, qu’il soit le plus petit possible. »403

Olivier de SERRES (1539-1619), Le Théâtre d’agriculture

Agronome huguenot, il fait de son domaine du Pradel une ferme modèle pour l’époque, pratiquant l’assolement, cultivant le riz, le maïs, la betterave, le houblon et la garance. Mais il paie ses ouvriers agricoles au minimum vital et les méprise sans vergogne : « Hommes pervers, brutaux, pernicieux, sots, négligents, sauvages, inconstants, déloyaux, bœufs sans valeur, esprit de plomb, corps de fer, lâches, sans « pensement », putains et larrons, comparables à l’ordure et au fumier. »

La paupérisation des pauvres fut mesurée : de 1480 à 1580, les salaires n’ayant pas augmenté malgré la hausse des prix, le pouvoir d’achat du manouvrier diminue des deux tiers. Denis Richet parle d’un « Waterloo du travailleur » dans ce siècle d’expansion. Le phénomène s’aggrave avec les guerres de Religion. La pauvreté empire aussi pour le peuple des villes. Lyon, économiquement en pointe, connaît des émeutes et des grèves – surtout dans le secteur de l’imprimerie.

« C’est débaucher les paysans de leur labeur duquel ils vivent et font vivre les autres. »464

BRANTÔME (1540-1614), Œuvres du seigneur de Brantôme (posthume)

Homme de cour et homme de guerre sous les trois successeurs de François Ier, c’est ainsi qu’il juge un essai de service militaire obligatoire, dans le cadre d’une réforme de l’armée voulue par François Ier en juillet 1534.

« Je veux qu’il n’y ait si pauvre paysan en mon royaume qu’il n’ait tous les dimanches sa poule au pot. »650

HENRI IV (1553-1610). Histoire du Roy Henry le Grand (1681), Hardouin de Péréfixe

La poule au pot fait partie de la légende du roi, au même titre que son panache blanc.

Vœu pieux et sûrement sincère, de la part d’un souverain resté proche de son peuple. Mais malgré les efforts de l’équipe au pouvoir, les petits paysans français, écrasés d’impôts, ruinés par d’interminables guerres, exploités par des usuriers, sont souvent dépossédés de leurs parcelles de terre.

Quel que soit le redressement économique du pays, et en dépit de mesures de circonstance prises en cas de misère criante par Sully, leur condition ne s’améliore pas vraiment. Le temps fait défaut à Henri IV, plus encore que la volonté et les moyens.

« On tient les paysans en France dans une telle sujétion qu’on n’ose pas leur donner des armes […] On leur laisse à peine de quoi se nourrir. »588

Sir George CAREX (??-1613), ambassadeur anglais (1609). Encyclopædia Universalis, article « Henri IV, roi de France et de Navarre »

Ce témoignage semble plus conforme à la réalité que la « poule au pot » du dimanche. Sully privilégie l’agriculture (politique économique classique dans une France agricole à plus de 90 %) et prend des mesures, pour pallier les injustices et les misères les plus criantes, chez les petits paysans ruinés par l’usure et les ravages des soldats et contraints de céder leurs parcelles à vil prix. Ainsi, il réduit la taille. Mais il faut augmenter les gabelles et avec l’ordre revenu, les dîmes sont plus rigoureusement perçues. La fiscalité écrase à ce point la masse paysanne qu’elle est à l’origine de révoltes continuelles, depuis celle des « croquants » du Limousin, du Périgord et de Guyenne (1594). Les disettes céréalières, à partir de 1617, se répètent tous les quatre ou cinq ans, jusqu’en 1643.

Siècle de Louis XIV : le Roi-soleil donne l’exemple, mais il y a quelques ombres au tableau.

« Le pauvre peuple des champs meurt de faim et se damne. »589

VINCENT de PAUL (1576-1660). La Littérature religieuse de François de Sales à Fénelon (1956), Jean Calvet

Une très longue vie de saint au service de la misère humaine de son temps. Pour Vincent de Paul et ses amis, l’assistance passe avant la conversion et le salut. Il groupe les dames de la bonne société en charités paroissiales et elles collectent des fonds pour les « pauvres honteux », mais la tâche est trop dure ! Alors Vincent fait appel à des femmes du peuple, réunies en une congrégation des Filles de la Charité (1633). Elles vivent dans la plus stricte pauvreté, sans couvent ni clôture, sans habits qui les distinguent des gens du village. Elles se consacrent aux malades pauvres et aux enfants trouvés. D’autres institutions charitables suivront.

« Depuis six ans dessus l’F on travaille,
Et le destin m’aurait bien obligé
S’il m’avait dit : « Tu vivras jusqu’au G. » »719

Seigneur de BOISROBERT (1592-1662), Épigramme sur le Dictionnaire de l’Académie

Le travail intellectuel a aussi sa place dans cette histoire et il va se faire entendre…

Poète et abbé de cour, il participa à la création de l’Académie française en 1634. La première édition (en deux volumes) du dictionnaire paraît en 1694 : il aura fallu près de soixante ans. L’Académie a d’autres missions (politiques), mais on retiendra surtout les fonctions littéraires de la vénérable institution. Comme l’écrit Lebrun-Pindare au siècle suivant, dans une autre épigramme : « On fait, défait, refait ce beau Dictionnaire / Qui toujours très bien fait, sera toujours à faire. »

« Ces malheureux [les paysans] ne possèdent d’autres propriétés que leurs âmes parce qu’elles n’ont pu être vendues à l’encan ! »750

Omer TALON (1595-1652) s’adressant à Anne d’Autriche, en plein lit de justice tenu en 1649. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Cet avocat général au Parlement de Paris en appelle avec courage et dignité à la régente. Bien des voix autorisées feront le même constat, tout au long de ce siècle. Le peuple – et d’abord les paysans, dans une France agricole à 90 % – est toujours la première victime de l’histoire. C’est lui qui paie le prix des guerres civiles comme étrangères et le siècle de Louis XIV est particulièrement belliqueux.

« Il importe à la gloire de Votre Majesté que nous soyons des hommes libres et non pas des esclaves. Il y a, Sire, des ans que la campagne est ruinée, les paysans réduits à coucher sur la paille. »769

Omer TALON (1595-1652) à Louis XIV, 15 janvier 1648. Un magistrat de l’Ancien régime : Omer Talon (1902), Hubert Mailfait

L’avocat général au Parlement de Paris s’adresse au roi qui n’a pas encore 10 ans, à l’occasion d’un lit de justice qui va enregistrer de force de nouveaux édits, pour les annuler le lendemain. C’est l’un des épisodes de la lutte qui oppose Mazarin au Parlement, amendant ou rejetant systématiquement chaque année les édits financiers aggravant la fiscalité, frappant les paysans aussi bien que les bourgeois, les rentiers et les « robins » (hommes de robe). Le pouvoir fait ainsi l’unanimité contre lui – ce sera l’une des raisons de la Révolution.

« Les empires ne se conservent que comme ils s’acquièrent, c’est-à-dire par la rigueur, par la vigilance et par le travail. »847

LOUIS XIV (1638-1715), Mémoires pour l’instruction du Dauphin (1662)

On retrouve souvent ce mot, cette idée de « travail », aussi vrai qu’être roi est un métier ! « C’est par le travail qu’on règne. Il y a de l’ingratitude et de l’audace à l’égard de Dieu, de l’injustice et de la tyrannie à l’égard des hommes, de vouloir l’un sans l’autre. » De tous nos rois, Louis XIV fut le plus « laborieux ». Cet adjectif s’appliquait parfaitement à de grands ministres comme Richelieu et Mazarin, il sied à merveille àLouis XIV.

« Le travail n’épouvante que les âmes faibles. »

LOUIS XIV (1638-1715), Mémoires pour l’instruction du Dauphin (1662)

Pendant plus d’un demi-siècle, il travaille douze heures par jour à son métier de roi, accomplissant un labeur écrasant, doublé d’une vie en perpétuelle représentation à la cour. Il bénéficie longtemps d’une robuste santé, doublée d’un grand équilibre moral, avec une intelligence moyenne, mais très méthodique. « J’ai failli attendre. » On lui prête ce mot, souvent cité. La duchesse d’Orléans, dans ses Mémoires, rapporte que le roi ne peut souffrir qu’on le fasse attendre. Ce qui est assez normal pour un homme si occupé, si minuté dans l’emploi de son temps, et roi, de surcroît. « Avec un almanach et une montre, on pouvait, à trois cents lieues de lui, dire avec justesse ce qu’il faisait » confirme le duc de Saint-Simon dans ses Mémoires (posthume).

« Travaillez, prenez de la peine,
C’est le fond qui manque le moins…
Le travail est un trésor. »

Jean de LA FONTAINE (1621-1695), Fables. Le Laboureur et ses enfants (1668)

Morale destinée au grand public (lettré), signée d’un paresseux… en réalité très travailleur, comme en témoignent ses manuscrits surchargés de ratures.

Né bourgeois, auteur à qui sa charge de « maître des Eaux et Forêts » laisse bien des loisirs pour fréquenter les salons, lire les Modernes, leur préférer d’ailleurs les Anciens, écrire enfin. Fouquet fut son mécène et, à la chute du surintendant (1661), La Fontaine trouve d’autres riches protecteurs (et surtout protectrices, duchesse d’Orléans, Mme de la Sablière, Marie-Anne Mancini, etc.). Courtisan à la cour, il est cependant épris de liberté et fort habile à la gérer, tout en ménageant son confort. La vie rêvée pour un auteur de génie dans son genre – fabuliste.

« Travaillez pour la gloire, et qu’un sordide gain
Ne soit jamais l’objet d’un illustre écrivain. »

Nicolas BOILEAU (1636-1711), Art poétique (1674)

Facile à dire, quand on est « pensionné » par le roi…

Ce traité qui résume la doctrine classique élaborée dans la première moitié du siècle n’a rien d’original dans son inspiration, mais il est en alexandrins et cherche à plaire plus qu’à instruire. Destiné aux gens du monde, c’est un vrai succès de librairie.

« Je sais qu’un noble esprit peut, sans honte et sans crime, / Tirer de son travail un tribut légitime ; / Mais je ne puis souffrir ces auteurs renommés, / Qui, dégoûtés de gloire et d’argent affamés, / Mettent leur Apollon aux gages d’un libraire, / Et font d’un art divin un métier mercenaire. » De nos jours, cette vision du métier d’auteur et de son travail semble naturellement « préhistorique » et le siècle à venir va tout changer. Mais n’oublions jamais que le siècle de Louis XIV, avec son mécénat culturel et malgré la censure, a donné naissance à une littérature classique avec des créateurs de génie, à commencer par Molière… qui mourut d’épuisement au travail, au sortir de scène, jouant sa dernière création, Le Malade imaginaire (1673).

Siècle des Lumières, avec la première vision philosophique du Travail.

« Paris est peut-être la ville du monde la plus sensuelle et où l’on raffine le plus sur les plaisirs ; mais c’est peut-être celle où l’on mène une vie plus dure. Pour qu’un homme vive délicieusement, il faut que cent autres travaillent sans relâche. »982

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)

Contraste plus que jamais affiché et donc choquant pour le premier philosophe du siècle, entre la minorité de privilégiés et les autres. Rousseau, le moins parisien et le plus plébéien de nos philosophes, écrira : « Une vie dure est plus facile à supporter en province que la fortune à poursuivre à Paris. »

« L’intérêt est le plus grand monarque de la terre. Cette ardeur pour le travail, cette passion de s’enrichir, passe de condition en condition, depuis les artisans jusques aux grands. »983

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres Persanes (1721)

Il montre l’ambivalence de cette civilisation d’un côté raffinée, charmante, luxueuse et « philosophante », et de cette société affairiste où la course à l’argent devient la préoccupation permanente d’une noblesse descendue dans l’arène aussi bien que de la bourgeoisie toujours soucieuse d’ascension sociale : « Vous voyez à Paris un homme qui a de quoi vivre jusqu’au jour du jugement, qui travaille sans cesse et court le risque d’accourcir ses jours, pour amasser, dit-il, de quoi vivre. » Cette folie du travail frappera nombre d’observateurs – aujourd’hui, on parle d’un autre problème, sa pénibilité.

« Il a fallu des siècles pour rendre justice à l’humanité, pour sentir qu’il était horrible que le grand nombre semât, et le petit recueillît. »964

VOLTAIRE (1694-1778), Lettres philosophiques ou Lettres anglaises (1734)

Le philosophe parle au nom de la justice sociale pour l’ensemble du peuple qui travaille et surtout pour les « laboureurs qui exercent la plus noble et la plus méprisée des professions ». Il donne en exemple l’Angleterre dont il a découvert le régime de monarchie constitutionnelle, alors qu’il était en exil : absence de privilèges terriens et égalité devant l’impôt. La réalité économique est toute autre en France et il faudra la Révolution pour que tout change – en droit, sinon en fait.

« Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. »

VOLTAIRE (1694-1778), Candide (1759)

L’argument de ce conte philosophique réédité vingt fois du vivant de l’auteur est démodé. Mais la morale de Voltaire nous parle toujours, car l’homme ne change pas vraiment : le travail (en l’occurrence le jardinage) évite l’ennui (en occupant le temps), le besoin (il produit de la richesse) et le vice (on n’est pas tenté de dérober les biens d’autrui). Et de conclure en optimiste invétéré : « Le travail est donc utile à l’homme, même s’il est parfois difficile ou pénible. » Faut-il rappeler que l’auteur fut lui-même un infatigable travailleur…

« Je suis flexible comme une anguille et vif comme un lézard et travaillant toujours comme un écureuil. »1014

VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à d’Argental, 22 octobre 1759, Correspondance (posthume). Dictionnaire de français Littré, au mot « travaillant »

Autoportrait du sexagénaire « travaillant toujours », bien que de santé précaire et sachant se ménager en se refusant tout excès (hormis une soixantaine de tasses de café quotidiennes). De son adolescence libertine et frondeuse à sa « retraite frénétique », le personnage déborde d’une activité voyageuse, européenne, batailleuse, mondaine, courtisane, épistolière, théâtrale, politique, économique, scientifique, sociale, agronomique, encyclopédique, et naturellement philosophique.

« La tempérance et le travail sont les meilleurs médecins de l’homme. »

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), L’Émile ou De l’Éducation (1762)

Pas de société saine sans des hommes sains. Idéal pédagogique : préserver la liberté naturelle de l’enfant. Rousseau, qui doit beaucoup à Montaigne, s’inspire aussi de son expérience d’autodidacte : « L’essentiel est d’être ce que nous fit la nature ; on n’est toujours que trop ce que les hommes veulent que l’on soit. » Immense succès de ce traité sur l’éducation qui aura d’heureux effets immédiats. Cette « régénération » morale profite aussi aux esprits. « Il me semble que l’enfant élevé suivant les principes de Rousseau serait Émile, et qu’on serait heureux d’avoir Émile pour son fils », dira Mme de Staël en 1788.

« Le travail, entre autres avantages, a celui de raccourcir les journées et d’étendre la vie. »

Denis DIDEROT (1713-1784), Essai sur la vie de Sénèque le philosophe, sur ses écrits et sur les règnes de Claude et de Néron (1778)

Curiosité universelle, culture « encyclopédique », travailleur infatigable, auteur d’une œuvre aussi foisonnante que désordonnée, amoureux de la nature et adorant la société, il est aussi à l’aise avec les petites gens (né de modeste bourgeoisie, début de vie bohème, marié à une lingère) qu’avec les intellectuels des salons et les Grands. En cela, Diderot est bien l’homme de son siècle. Il mourra à 70 ans, après une vie plutôt heureuse et passionnée, mais quand même épuisante.

« Impositions indirectes ; pauvres paysans. Pauvres paysans ; pauvre royaume. Pauvre royaume ; pauvre souverain. »965

Pierre Samuel DEUPONT de NEMOURS (1739-1817), De l’origine et des progrès d’une science nouvelle (1768)

Parole d’économiste, et voici tracé le cercle vicieux de l’économie. La fiscalité frappe la masse des paysans pauvres, alors que les privilégiés aux grandes fortunes (fermiers généraux, financiers, courtisans) sont intouchables et que l’essentiel des revenus industriels et commerciaux y échappe. Le trop faible pouvoir d’achat de la paysannerie – 90 % de la population – ne permet pas la consommation accrue de produits manufacturés et ne peut donc stimuler le développement de l’industrie courante, comme en Angleterre. Enfin, le rendement d’impôts perçus sur des contribuables trop pauvres ne peut alimenter suffisamment les caisses de l’État. L’Ancien Régime mourra de cette crise financière sans solution, hormis une réforme fondamentale de l’État : il faudra une révolution pour y arriver.

« Le peuple est taillable et corvéable à merci. »966

Jean-François JOLY de FLEURY (1718-1802). Dictionnaire de français Littré, au mot « taillable »

Cette réalité date du Moyen Âge, mais le mot est prononcé quand Turgot tente l’abolition de la corvée, en 1775-1776. La taille est pratiquement le seul impôt direct de l’Ancien Régime : représentant (en principe) le rachat du service militaire, il n’est payé ni par les nobles qui se battent en personne, ni par le clergé qui ne se bat pas. C’est donc un impôt roturier. Très injustement réparti, il retombe sur les plus pauvres, ceux qui n’ont pas les moyens (argent, relations) pour s’en faire exempter. Même injustice pour la corvée royale – impôt en nature sous forme de journées de travail.

« Toutes ces maîtrises et toutes ces jurandes n’ont été inventées que pour tirer de l’argent des pauvres ouvriers, pour enrichir les traitants et pour écraser la nation. »969

VOLTAIRE (1694-1778) stigmatisant les corporations en 1776, Correspondance (posthume)

Turgot, partisan de la liberté du travail dans l’industrie aussi bien que dans le commerce et l’agriculture, abolit les corporations, maîtrises et jurandes en janvier 1776. Elles sont rétablies aussitôt après son départ, en mai 1776 ! Toute l’économie se trouve ainsi prisonnière de réglementations jadis utiles et à présent paralysantes.

« Il a travaillé, il a travaillé, pour le roi de Prusse. »1150

Chanson sur la défaite de Soubise à Rossbach (Prusse) (1757). Dictionnaire des citations du monde entier, Marabout (1976). Refrain, devenu proverbe, et signifiant travailler pour rien

Frédéric II, roi de Prusse, allié à l’Angleterre, a infligé avec ses 20 000 hommes une défaite honteuse à l’armée franco-autrichienne trois fois plus nombreuse : il devient Frédéric le Grand pour l’histoire. C’est un « despote éclairé », au même titre que Catherine II de Russie, Gustave III de Suède et autres souverains d’Europe. Il a fastueusement invité Voltaire à sa cour. Mais la Prusse a mauvaise presse, après ses deux trahisons : rupture d’alliance avec la France en 1742 et de nouveau en 1756, Frédéric II signant avec l’Angleterre le traité de Westminster.

Autre explication du proverbe : les rois de Prusse ne paient que de maigres soldes aux soldats et jamais le 31e jour d’un mois. Il y a enfin le mot de Voltaire, après le traité d’Aix-la-Chapelle (1748), la France rendant ses conquêtes en échange de rien. De toute manière, l’expression a une origine historique et son humour est bien daté de ce siècle.

« Enfin, j’ons vu les Édits / Du roi Louis Seize !
En les lisant à Paris, / J’ons cru mourir d’aise […]
Je n’irons plus au chemin / Comme à la galère
Travailler soir et matin / Sans aucun salaire.
Le Roi, je ne mentons point, / A mis la corvée à bas. »1218

Les Édits (1776), chanson des Jacques Bonhomme de France. Histoire de Louis XVI et de Marie-Antoinette (1850-1851), Alexandre Dumas

Turgot, en janvier 1776, demande au Conseil l’abolition de la corvée royale des paysans (les Jacques), remplacée par une taxe additionnelle payable par tous les propriétaires terriens. S’y ajoute une série de mesures fiscales pour plus de justice et d’efficacité. Au total, six édits. C’est l’amorce d’une véritable équité fiscale : la mesure est très populaire auprès du petit peuple, le ministère semble bien assuré, mais tous les privilégiés qui se retrouvent frappés fiscalement vont s’opposer aux édits de Turgot.

« Sire, il n’y a qu’un monarque dans votre royaume, c’est le fisc. Il ôte l’or de la couronne, l’argent de la crosse, le fer de l’épée et l’orgueil aux paysans. »1315

Cahier de doléances de la ville de Marseille. Cité par Marcel Jullian, invité à l’occasion du bicentenaire de la Révolution, matinale sur France Inter en 1989

Superbe style qui contraste avec le ton quotidien, terre à terre et souvent laborieux des quelque 50 000 cahiers rédigés en février-mars 1789, pour exprimer les revendications des Français. Le peuple prend la parole, avant de jouer le premier rôle dans la Révolution.

Révolution et Empire

« Il a bien travaillé. »1469

LOUIS XVI (1754-1793), après la plaidoirie de son avocat Romain Desèze, 26 décembre 1792. Histoire socialiste, 1789-1900, Volume 4, La Convention (1908), Jean Jaurès

Desèze s’est assis, épuisé après la plaidoirie. En sueur, il demande une chemise. « Donnez-la lui, car il a bien travaillé », dit le roi. « Avec une familiarité touchante et un peu vulgaire », commente l’historien socialiste.

Dans son discours de réception à l’Académie française sous la Restauration (en 1828), le baron de Barante rendra cet hommage à Desèze : « Son éternel honneur sera d’avoir été associé à l’événement le plus tristement religieux de notre Révolution ». Ils étaient trois pour cette mission impossible et périlleuse. Desèze, arrêté peu après le procès, libéré à la chute de Robespierre, finira pair de France et premier président de la Cour de cassation sous la Restauration. François Denis Tronchet se cachera sous la Terreur et se retrouvera au Sénat sous le Consulat. Guillaume de Lamoignon de Malesherbes aura moins de chance : il sera exécuté sous la Terreur.

« Nous travaillons pour les générations futures, lançons la liberté dans les colonies ! »1568

DANTON (1759-1794), Convention, 4 février 1794. Mémoires de Levasseur de la Sarthe (1830), René Levasseur, Roche

Danton va faire l’unanimité – fait rarissime dans cette Assemblée nationale à l’image de la France divisée. Il a l’habileté d’associer la liberté des esclaves et la fin du travail forcé avec la volonté de ruiner l’Angleterre. Il salue aussi l’entrée, la veille, de deux nouveaux députés de couleur (venus de Saint-Domingue) et place l’abolition sous le signe philosophique du « flambeau de la raison » et du « compas des principes ».

Les précédents décrets pour la liberté et l’égalité des Nègres avaient déçu leurs espoirs et la situation devenait dramatique dans les colonies : Toussaint Louverture s’est rendu maître de Saint-Domingue, les esclaves noirs massacrent les colons blancs, incendient récoltes et plantations. « La Convention, sur la proposition de Grégoire, avait, en 1793, aboli la prime pour la traite des Nègres. Le 4 février 1794, elle décréta, par acclamation, l’abolition de l’esclavage dans les colonies. » Alfred Rambaud, Histoire de la civilisation contemporaine en France (1888). Rétabli en 1802, l’esclavage sera définitivement aboli sous la Deuxième République (1848).

« Disparaissez enfin, révoltantes distinctions de riches et de pauvres, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernement et de gouvernés. »1661

Sylvain MARÉCHAL (1750-1803), Manifeste des Égaux, programme rédigé fin 1795, devenu la Charte de la conspiration des Égaux. Histoire des classes ouvrières en France depuis 1789 jusqu’à nos jours, volume I (1867), Émile Levasseur

Babeuf, Buonarroti et quelques autres conjurés forment un « Directoire secret » pour renverser l’autre, le vrai… qui est au courant de tout. L’âme en est Gracchus Babeuf, rescapé de la Terreur, « mélange de terrorisme et d’assistance sociale » selon Maxime Leroy (Histoire des idées sociales en France, De Montesquieu à Robespierre). Dans son journal Le Tribun du Peuple, Babeuf expose ses théories communistes, après son vibrant appel : « Peuple ! réveille-toi à l’Espérance. »

« Je suis né et construit pour le travail, je ne connais pas chez moi la limite de mes forces. »1777

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Œuvres du comte P. L. Roederer : histoire contemporaine, 1789-1815 (1854)

Infatigable dans son cabinet, épuisant ses collaborateurs, surprenant ses ministres, dormant quatre heures et travaillant dix-huit heures par jour, délaissant un peu sa « bonne Louise » (Marie-Louise d’Autriche, mère de l’Aiglon). Quand il est en campagne, il passe des journées entières à cheval, peut rester des nuits sans dormir, n’ayant besoin pour récupérer que de brèves siestes.

Seul défaut de cette cuirasse, hypothèse de médecins : une hépatite chronique d’origine paludéenne (responsable de ce teint jaune dès sa jeunesse). Il mourra à 52 ans, sans doute d’un cancer à l’estomac (comme son père). On a aussi évoqué une épilepsie dès sa jeunesse, mais on se plaît peut-être à charger le tableau. En tout cas, l’énergie de la volonté est infinie, presque sans faille : « Napoléon, c’est un professeur d’énergie ! » (Maurice Barrès).

« Nous autres peuples d’Occident, nous avons tout gâté en traitant les femmes trop bien […] Elles ne doivent pas être regardées comme les égales des hommes, et ne sont, en réalité, que des machines à faire des enfants […] Il vaut mieux qu’elles travaillent de l’aiguille que de la langue. »1823

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby

La création de la maison d’éducation des jeunes filles de la Légion d’honneur d’Écouen, 15 mai 1807, est une occasion parmi d’autres de manifester sa misogynie, en réaction contre un XVIIIe siècle émancipateur et une idéologie révolutionnaire démocratique. Bref, selon une note de l’empereur : « Élevez-nous des croyantes et non pas des raisonneuses. » Le travail des femmes et les femmes au travail ne sont pas encore un problème de société.

« J’ai travaillé au bonheur de mon peuple. Pourrais-je, à soixante ans, mieux terminer ma carrière qu’en mourant pour sa défense ? »1936

Louis XVIII (1755-1824), à la Chambre des députés, séance du 16 mars 1815. Histoire de la Restauration et des causes qui ont amené la chute de la branche aînée des Bourbons (1843), Jean-Baptiste Honoré Raymond Capefigue

Les Cent-Jours et le retour de Napoléon. Le discours du roi figure dans toutes les histoires de cette période agitée. Louis XVIII semble prêt au sacrifice suprême pour la Charte qui l’a fait roi de France. Le comte d’Artois soutient sa résolution, les deux frères s’embrassent, unis dans l’épreuve. Le roi fait encore acte de résistance : « Quoi qu’il arrive, je ne quitterai pas mon fauteuil. La victime sera plus grande que le bourreau. » La séance s’achève dans le délire, avec le serment du souverain rhumatisant. En réalité et en coulisses, le « Roi-fauteuil » prépare sa fuite et met en sûreté les joyaux de la Couronne.

Le soir même, apprenant la défection du maréchal Ney qui s’est rendu à l’empereur, il fait ses malles. C’est le commencement de la fin de sa (première) Restauration : « Je vois que tout est fini […] Je suis résolu à partir. » Le soir, il part pour la Belgique. Départ piteux, pitoyable. Napoléon entre à Paris, arrive aux Tuileries, dans la nuit. Les cris de « Vive l’empereur » se mêlent aux injures contre les Bourbons. Mais ils seront bientôt de retour pour la (seconde) Restauration et le vrai commencement du nouveau siècle.

XIXe, le grand siècle du socialisme et du travail.

« L’homme a jusqu’ici exploité l’homme. Maîtres, esclaves ; patricien, plébéien ; seigneurs, serfs ; propriétaires, fermiers ; oisifs et travailleurs. »1902

Comte de SAINT-SIMON (1760-1825), Doctrine de Saint-Simon : Exposition. Première année (1829)

Beau résumé de toute l’histoire du monde des origines à nos jours… et du socialisme à la française, aux accents messianiques, vingt ans avant le marxisme. Saint-Simon (arrière-cousin du duc) est mort. Mais avec les saint-simoniens se constitue en France une sorte de mouvement socialiste, à la veille de la Révolution de 1830 : il ne rassemble encore qu’une infime élite, destinée à se diversifier et s’élargir à Paris comme en province, dans l’atmosphère des lendemains révolutionnaires.

« Organisation du travail, résurrection religieuse, telles sont les deux grandes œuvres que notre époque demande à l’avenir. »

Prosper ENFANTIN, dit « le Père Enfantin » (1796-1864), Correspondance philosophique et religieuse, 1843-1845 (1847)

Fils de banquier, polytechnicien, il rencontre Saint-Simon, fréquente les sociétés secrètes et fonde en 1825 un journal, le Producteur. En 1828, le mouvement se transforme en une Église, Bazard et Enfantin étant considérés comme les « pères ». Avec d’autres saint-simoniens, ils rachetèrent le Globe en 1830, journal philosophique et littéraire contribuant à l’essor de la presse. Enfantin forme une commune modèle à Ménilmontant. Condamné à un an de prison en 1832, il part pour l’Égypte et crée une société pour le percement de l’isthme de Suez. En 1845, il fonde la Compagnie des chemins de fer de Lyon. Il aura une forte influence sur les hommes politiques et les hommes d’affaires de son temps : Adolphe Blanqui, Michel Chevalier, les frères Pereire. Ses articles du Globe ont été réunis sous le titre Économie politique (1831).

« Nous avons passé des siècles à ergoter sur les droits de l’homme sans songer à reconnaître le plus essentiel, celui du travail, sans lequel tous les autres ne sont rien. »

Charles FOURIER (1772-1837), Traité de l’Association domestique et agricole (1822)

Second grand socialiste utopique après Fourier, considéré par Marx et Engels comme une figure du « socialisme critico-utopique », il prend le problème à bras-le-corps et va inventer des solutions originales, sinon viables.

« Aimez le travail, nous dit la morale : c’est un conseil ironique et ridicule. Qu’elle donne du travail à ceux qui en demandent, et qu’elle sache le rendre aimable. »1903

Charles FOURIER (1772-1837), Livret d’annonce du nouveau monde industriel (1829)

Philosophe et économiste, fondamentalement critique de l’ordre social, il ajoute que le travail « est odieux en civilisation par l’insuffisance du salaire, l’inquiétude d’en manquer, l’injustice des maîtres, la tristesse des ateliers, la longue durée et l’uniformité des fonctions. » Il peint la face noire d’un siècle de progrès économiques sans lois sociales et trace les grandes lignes d’une société nouvelle, conforme à ses vœux : le phalanstère en est la cellule, regroupant les travailleurs associés en une sorte de coopérative. Il doit en résulter l’harmonie universelle : c’est moins de l’optimisme qu’une utopie qui fera des adeptes sous la Monarchie de Juillet, grande époque du socialisme.

« Vivre libres en travaillant ou mourir en combattant. »2069

Cri célèbre de l’émeute des canuts, 22 novembre 1831. Histoire du mouvement ouvrier, tome I (1948), Édouard Dolléans

C’est aussi la devise inscrite sur leur drapeau noir, symbole de l’anarchie. Mais la révolte des ouvriers de la soie est d’origine économique et non politique. Les soyeux (fabricants) ne respectent pas le nouveau tarif des salaires, signé par leurs délégués dont ils contestent le mandat. Commencent alors les « trois glorieuses du prolétariat lyonnais » : grève, puis insurrection. Au matin du 22 novembre, les canuts de la Croix-Rousse descendent sur la ville, criant leur révolte. Ils se retrouvent sans le vouloir maîtres de Lyon vidée de sa garnison qui risquait de pactiser avec les insurgés.

« Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira.
Alors nous tisserons le linceul du vieux monde
Car on entend déjà la révolte qui gronde ! »2070

Aristide CRUANT (1851-1925), La Complainte des canuts, chanson. La Révolte des canuts (1975), Maurice Moissonnier

Bruant immortalisera cette révolte des canuts de Lyon, dans un chant dont la résonance reflète surtout l’esprit d’anarchie propre à l’auteur et à son époque (la Troisième République à venir).

« Du travail ou la mort. Nous aimons mieux périr d’une balle que de faim. »2071

Réponse des ouvriers au préfet. Compte-rendu des événements qui ont eu lieu dans la ville de Lyon au mois de novembre 1831 (1832), Louis Bouvier-Dumolart

L’Hôtel de Ville de Lyon est occupé par les insurgés, mais de nouvelles troupes, commandées par le maréchal Soult et le duc d’Orléans, réoccupent la ville, expulsant 10 000 ouvriers, le 5 décembre 1831. Bilan : 171 morts civils, 170 militaires, 600 arrestations. On destitue le préfet trop bienveillant à l’égard des revendications ouvrières. Le tarif à l’origine de la révolte est proclamé nul et non avenu : échec total de la première grande grève de l’histoire de France. Mais elle fera école, après la Monarchie de Juillet !

« Il faut que les ouvriers sachent bien qu’il n’y a de remède à leurs maux que dans la patience et la résignation. »2072

Casimir PÉRIER (1777-1832), Chambre des députés, 1831. L’Argent (1971), Pierre Miquel

Discours du chef du gouvernement, symbolisant la dureté du libéralisme qui fait loi politique, économique et sociale sous la Monarchie de Juillet.

« Le cri du pauvre monte jusqu’à Dieu, mais il n’arrive pas à l’oreille de l’homme. »2048

Félicité Robert de LAMENNAIS (1782-1854), Paroles d’un croyant (1834)

Créateur du catholicisme social, soucieux d’appliquer un idéal de justice et de charité conforme à l’enseignement de l’Évangile, Lamennais profite de la nouvelle liberté de la presse en 1830 et lance le journal L’Avenir avec ses amis Lacordaire et Montalembert. En exergue : « Dieu et la liberté ». Il est condamné par l’Encyclique Mirari vos (1832). Pour le pape, souverainetés du peuple et de Dieu sont incompatibles.

Après une grave crise de conscience, il rompt avec l’Église pour n’être plus que socialiste, à l’inverse de ses deux amis qui se soumettent, sans abandonner leur action généreuse. Lamennais publie ses Paroles d’un croyant sous forme de versets, comme la Bible et y affirme son socialisme : Dieu veut l’égalité, la liberté et la fraternité des hommes. « La liberté est le pain que les peuples doivent gagner à la sueur de leur front », écrit-il encore pour encourager le peuple au combat contre tous ceux qui l’oppriment.

« C’est la Marseillaise du christianisme et l’auteur est un prêtre en bonnet rouge », dit-on alors. C’est surtout un courant d’opinion très représentatif de cette fermentation des idées, face à la misère du peuple qui s’aggrave et contraste avec l’enrichissement de la bourgeoisie.

« Le travail est partout et la souffrance partout ; seulement il y a des travaux stériles et des travaux féconds, des souffrances infâmes et des souffrances glorieuses. »

Félicité Robert de LAMENNAIS (1782–1854), Mélange religieux et philosophique (1837)

Lamennais persiste et signe. Il se lie d’amitié avec George Sand qui lui ouvre son salon républicain : « Nous vous comptons parmi nos saints… Vous êtes le père de notre Église nouvelle ». Il est quand même choqué par ses idées sur le divorce et la liberté sociale.

Hugo l’admire et entretient une longue correspondance avec lui. Suite à la Révolution de 1848, il devient député démocrate de gauche. Il se retire de la politique après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte (2 décembre 1851) et meurt (sans doute du choléra) trois ans après, enterré dans une fosse commune selon ses dernières volontés « au milieu des pauvres et comme le sont les pauvres ».

« L’homme n’aime pas le travail. Il aime seulement une activité qui flatte l’orgueil et trompe l’ennui. »

Henri LACORDAIRE (1802-1861), Les Conférences de Notre-Dame de Paris (1835)

Ami de Lamennais, venu du catholicisme social et libéral avant 1840, dominicain depuis, il s’efforce avec éloquence et générosité à réconcilier l’Église et le monde moderne. Vaste programme. On le retrouvera à la Révolution de 1848, toujours prêchant à Notre-Dame : « Sachent donc ceux qui l’ignorent, sachent les ennemis de Dieu et du genre humain, quelque nom qu’ils prennent, qu’entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » 

« N’y a-t-il pour l’homme que le travail du corps ? et le labeur de la tête n’est-il pas digne de quelques pitié ? »

Alfred de VIGNY (1797- 1863), Chatterton (1835)

Le travail artistique ou intellectuel ne doit pas être oublié, dans cette époque de revendications essentiellement populaires et ouvrières. Déçu de la politique et de ses contemporains, le poète incarne le « mal du siècle » romantique. Le désenchantement semble inhérent au romantisme. Celui de Vigny est sincère plus que tout autre. Il date de la Restauration - la vie de garnison lassa vite le jeune militaire élevé dans le culte des armes et de l’honneur - et s’aggrave lors de la révolution de 1830 qui amène au pouvoir un bourgeois si peu roi, aux yeux de la vieille aristocratie dont Vigny est le délicat et sensible rejeton.

Son Chatterton est le type même du « poète maudit » (bien avant Verlaine). Personnage inspiré du célèbre écrivain anglais qui se suicide à la veille de ses 18 ans, faute de pouvoir vivre de sa passion : la poésie. Incompris de tous, criblé de dettes, accusé à tort de plagiat, contrarié dans ses amours avec Kitty Bell, sa seule réussite ne peut se trouver que dans une gloire posthume… Mais la pièce triompha à la Comédie-Française, avec Marie Dorval, maîtresse de Vigny à la ville et de Chatterton sur scène.

« Vous n’avez, contre cette disposition révolutionnaire des classes pauvres, vous n’avez aujourd’hui, indépendamment de la force légale, qu’une seule garantie efficace, puissante, le travail, la nécessité incessante du travail. C’est là le côté admirable de notre société. »2050

François GUIZOT (1787-1874), Discours du 3 mai 1837. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1913), Assemblée nationale

Discours et homme politique toujours représentatif de l’époque ! Guizot est longtemps au pouvoir, chef du parti de la Résistance (résistance au mouvement révolutionnaire), défendant les intérêts de la grande bourgeoisie d’affaires, contribuant à accroître la misère ouvrière et suscitant une opposition de plus en plus dure. En mars 1843, on lui devra le trop fameux : « Enrichissez-vous ! » Mais il faut préciser : « …par le travail, par l’épargne et la probité, et vous deviendrez électeurs. » (Le droit de vote était conditionné par un seuil d’imposition, le cens.) Louis-Philippe approuve toujours les idées de son ministre : « C’est ma bouche » dit-il.

« On croit communément que de forts salaires sont une garantie de moralité ; cependant, les ouvriers les mieux rétribués ne sont pas les plus moraux. Aussi, certaines personnes ne craignent-elles pas d’affirmer que si le vice abonde dans les villes, si, comme elles le disent, il y tient école, table et lit ouverts, c’est en grande partie parce que le taux des salaires y est plus élevé qu’ailleurs. Et on le conçoit ; car plus les ouvriers gagnent, plus ils peuvent aisément satisfaire leurs goûts de débauche. »2045

Louis-René VILLERMÉ (1782-1863), Tableau de l’état physique et moral des ouvriers dans les fabriques de coton, de laine et de soie (1840)

Il fut chirurgien militaire dans l’armée napoléonienne, puis médecin dans le civil, se consacrant à la rédaction d’une série de mémoires : sur la famine et la guerre, la santé des forçats, le régime des prisons, la mortalité à Paris. Ces études savamment documentées sur un certain nombre de groupes sociaux font de lui l’un des premiers sociologues français. En 1840, il publie ce Tableau, son œuvre la plus connue, et à juste titre.

Ce passage au ton quelque peu embarrassé reflète les dires et les pensées (ou préjugés) des bourgeois de la Monarchie sur les ouvriers et les salaires. Mais le « bon docteur » reste surtout dans l’histoire pour avoir alerté l’Académie sur les conditions de travail des enfants, dans les manufactures. L’opinion s’en émut au point que, dès l’année suivante, furent édictées les premières lois sociales – limitant à 8 ans l’âge d’admission dans les entreprises ayant plus de 20 salariés. Le Second Empire prendra bientôt des lois qui s’imposent. // On se pose encore la question : Louis-Napoléon Bonaparte était-il sincère dans sa compassion pour les travailleurs ?

« Véritable Saturne du travail, l’industrie dévore ses enfants et ne vit que de leur mort. »2251

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), L’Extinction du paupérisme (1844)

L’utopie de ces trente pages écrites par le prisonnier au fort de Ham et le désir d’un futur souverain de se poser en « homme social » n’excluent pas une certaine sincérité. Fait unique pour l’époque de la part d’un prétendant au pouvoir, il tient à visiter les régions industrielles anglaises. Il a 25 ans et le spectacle de la misère le frappe. « La pauvreté ne sera plus séditieuse, lorsque l’opulence ne sera plus oppressive. »

Il a profité de sa captivité pour exposer ses théories économiques largement influencées par le socialisme utopique de Saint-Simon. Il saura le temps venu se présenter comme le protecteur du monde ouvrier. Sa sincérité socialiste sera suspecte à en croire Victor Hugo qui, dans Napoléon le Petit, reproduira un billet joint à l’ouvrage envoyé à un de ses amis : « Lisez ce travail sur le paupérisme et dites-moi si vous pensez qu’il soit de nature à me faire du bien. » Rien de tel chez Proudhon, notre premier socialiste français.

« Le travail des ouvriers a créé une valeur, or cette valeur est leur propriété. Mais ils ne l’ont ni vendue ni échangée ; et vous, capitaliste, vous ne l’avez point acquise. ».

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Qu’est-ce que la propriété ? (1840)

« La propriété, c’est le vol. » Cette formule retentissante schématise la pensée de l’auteur qui en est cependant très fier : « Cette proposition fera le tour du monde et causera plus d’émoi que la cocarde de La Fayette. »

L’homme est attachant, ne serait-ce que par cet aveu : « Je sais ce que c’est que la misère. J’y ai vécu. Tout ce que je sais, je le dois au désespoir. » Ce fils d’une cuisinière et d’un tonnelier est le seul théoricien révolutionnaire issu d’un milieu populaire, au XIXe siècle.

« La faculté de travailler, qui distingue l’homme de la brute, a sa source dans les plus hautes profondeurs de la Raison. »

Joseph PROUDHON (1809-1865). Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère (1846)

Socialiste anarchiste, il critique le communisme de Marx (grand bourgeois) dans La Philosophie de la misère (1846) et Marx lui répond dans La Misère de la philosophie (1847), le traitant, insulte suprême, de « petit-bourgeois constamment ballotté entre le Travail et le Capital, entre l’économie politique et le communisme ».

Plaçons la citation dans son contexte pour mieux comprendre la sensibilité politique de l’auteur : « Le travail, le vrai travail, celui qui produit la richesse et qui donne la science, a trop besoin de règle, et de persévérance, et de sacrifice, pour être longtemps ami de la passion, fugitive de sa nature, inconstante et désordonnée ; c’est quelque chose de trop élevé, de trop idéal, de trop philosophique, pour devenir exclusivement plaisir et jouissance, c’est-à-dire mysticité et sentiment. La faculté de travailler, qui distingue l’homme des brutes, a sa source dans les plus hautes profondeurs de la raison : comment deviendrait-elle en nous une simple manifestation de la vie, un acte voluptueux de notre sensibilité ? »

« L’homme peut aimer son semblable jusqu’à mourir ; il ne l’aime pas jusqu’à travailler pour lui. »

Joseph PROUDHON (1809-1865). Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère (1846)

Cet aphorisme pessimiste rejoint les réalités contradictoires énoncées dans cet essai. Exemple : la propriété qui manifeste l’inégalité est l’objet même de la liberté. Le machinisme qui accroît la productivité détruit l’artisanat et soumet le salarié. La liberté qui est indispensable est aussi cause de l’inégalité.

« Nous dont la lampe, le matin, / Au clairon du coq se rallume,
Nous tous qu’un salaire incertain / Ramène avant l’aube à l’enclume […]
Aimons-nous et quand nous pouvons / Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde / Buvons, buvons, buvons / À l’indépendance du monde ! »2117

Pierre DUPONT (1821-1870), parole et musique, Le Chant des ouvriers (1846). Muse populaire : chants et poésies (1858), Pierre Dupont

Ce n’est plus le socialisme idéaliste, cher à Saint-Simon et Fourier ! Proudhon et Marx se sont rencontrés durant l’hiver 1844-1845 et même s’ils ne se sont pas vraiment entendus, le fait reste historique. Ce chant résonne déjà comme un appel à une conscience de classe.

Pierre Dupont, ex-apprenti canut, est l’un des premiers chansonniers de la classe ouvrière. Hugo l’a remarqué pour son talent, ses convictions républicaines. Il va fréquenter le milieu artistique parisien, avant de retourner à Lyon et de finir tristement à la rue, clochard et alcoolique.

« Je hais celui qui jamais ne travaille
Et s’enrichit dans un honteux repos […]
C’est notr’ sueur qui gagn’ sa boustifaille,
Voilà pourquoi j’aim’ pas les aristos. »2119

Gustave LEROY (1818-1860), Les Aristos (1848), chanson. La Poésie populaire en France au XIXe siècle (2005), Hélène Millot

Auteur, compositeur, interprète, c’est l’un des chansonniers les plus populaires du temps. Il capte l’air du temps, fraternel et chaleureux, adoré du public des guinguettes. On reprend ses refrains dans les ateliers, dans la rue.

Tandis que chez les ouvriers, la révolte gronde. Ce n’est pas encore la révolution, mais dans les années 1846-1847, c’est déjà la crise agricole, puis industrielle, commerciale, sociale et le commencement de la fin d’un régime politique qui ne tient que par le progrès économique et la satisfaction matérielle des bourgeois. Faillites et ruines de familles aisées, chômage et troubles sociaux chez les ouvriers, peur sociale qui engendre le cercle infernal répression-insurrection-répression : le ministère Guizot incarne plus que jamais le parti de la Résistance, face au mouvement révolutionnaire qui va finalement l’emporter.

« Partout on travaille activement aux barricades déjà formidables. C’est plus qu’une émeute, cette fois, c’est une insurrection. »2131

Victor HUGO (1802-1885), Choses vues, 24 février 1848 (posthume)

Lamartine, Dumas, Flaubert, Baudelaire, George Sand et beaucoup d’autres écrivains sont témoins, parfois acteurs et surtout enthousiastes. Hugo vit et vibre à ces nouvelles journées des Barricades, toujours aux premières loges – après les Trois Glorieuses de 1830 et l’insurrection républicaine de 1832, célébrée dans les Misérables. Il note encore, en date du 24 : « Je fais une reconnaissance autour de la place Royale. Partout l’agitation, l’anxiété, une attente fiévreuse. »

Thiers a un plan, celui-là même qu’il appliquera contre les communards en 1871 : évacuer Paris, puis l’encercler, le reconquérir comme une place forte ennemie, avec une troupe de métier. Il dispose de 60 000 hommes pour écraser la révolution. Le petit homme entrerait dans l’histoire. Cela ferait naturellement des milliers de morts… Le roi ne peut s’y résoudre. La révolution va donc renverser le régime.

« Le gouvernement provisoire s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail. Il s’engage à garantir le travail à tous les citoyens. »2148

Louis BLANC (1811-1882), parlant au nom du gouvernement provisoire, 25 février 1848. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919, volume VI (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

C’est l’affirmation du « droit au travail » – titre d’un livre de 1849, signé de ce grand socialiste français. Mais la définition en reste confuse et l’application se révélera catastrophique. La crise économique de 1846-1847, aggravée par la Révolution de 1848, a provoqué tant de chômage et de misère qu’il faut agir. Dès le 26 février, on crée les Ateliers nationaux : chantiers de terrassement ouverts aux chômeurs, à Paris et dans plusieurs grandes villes de province. Salaire, deux francs par jour. 40 000 volontaires vont se précipiter, mais on ne sait à quoi les employer. Quand on les fermera, 21 juin 1848, ce sera l’émeute, suivie de la répression, cercle infernal de la violence…

« Aujourd’hui que le droit du travail est le premier de tous les droits […] je viens, au nom du travail, affirmer les droits politiques des femmes, la moitié du peuple. »2161

Benjamin Olinde RODRIGUES (1794-1851), Discours à la Bourse, 30 avril 1848. 1848, Le Livre du centenaire (1948), Charles Moulin

Disciple du père Enfantin, rattaché à l’école socialiste saint-simonienne qui accueille un courant féministe, il parle devant les travailleurs et ajoute : « La République fondée sur la liberté, l’égalité, la fraternité, doit reconnaître désormais au travail des femmes autant et plus de droits que l’ancien régime n’en reconnut autrefois à leur oisiveté féodale. » Avec le droit du travail qui reconnaît enfin des droits aux travailleurs, le gouvernement provisoire de la nouvelle République a aussi proclamé (25 février 1848) le droit au travail, encore plus révolutionnaire.

« La Révolution, après avoir été tour à tour religieuse, philosophique, politique, est devenue économique […] La Révolution de février a posé le droit au travail, c’est-à-dire la prépondérance du travail sur le capital. »2184

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Toast à la révolution du 17 octobre 1848. La Pensée de Proudhon (1947), Georges Guy-Grand

Le droit au travail, proclamé dès février 1848, va être reconnu dans la nouvelle Constitution de novembre. La question sociale est définitivement à l’ordre du jour. L’année même où Marx publie un essai politico-philosophique majeur dans l’Histoire (du travail).

« Puissent les classes dirigeantes trembler à l’idée d’une révolution communiste ! Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »2136

Karl MARX (1818-1883) et Friedrich ENGELS (1820-1895), Manifeste du parti communiste (1848)

Derniers mots du célèbre Manifeste. Les classes dirigeantes – mais aussi une partie des classes populaires bientôt reprises en main par les notables – vont si bien trembler que les prolétaires perdront de nouveau ce combat social, sous la Deuxième République. Ce n’est qu’un épisode de la lutte des classes : le Manifeste en donne une théorie qui va marquer le monde pendant un siècle et changer plusieurs fois le cours de l’histoire.

« Le 10 décembre 1848 fut le jour de l’insurrection des paysans. »2190

Karl MARX (1818-1883), La Vie politique en France, 1848-1879 (1969), René Rémond

Ce 10 décembre, la victoire du nom de Bonaparte, si soudaine, née du tout nouveau suffrage universel, c’est la revanche de la France profonde et de l’opinion inorganisée sur les partis, la presse, les professionnels de la politique. Marx qui a séjourné à Paris à plusieurs reprises et brièvement en 1848, va demeurer très attentif aux événements de France, notamment lors de la Commune en 1871.

« Une Assemblée législative, entièrement composée d’hommes, est aussi incompétente pour faire les lois qui régissent une société composée d’hommes et de femmes, que le serait une assemblée composée de privilégiés pour discuter les intérêts des travailleurs, ou une assemblée de capitalistes pour soutenir l’honneur du pays. »2195

Jeanne DEROIN (1805-1894). Histoire du féminisme français, volume II (1977), Maīté Albistur, Daniel Armogathe

Journaliste, elle fait placarder cette proclamation sur les murs de Paris lors de la campagne pour les élections à la Législative – la Constituante du 23 avril 1848 ayant interdit aux femmes d’assister aux réunions politiques. Les féministes entrent en scène, bien décidées à faire valoir leurs droits de citoyennes et de travailleuses.

« Le plus court chemin pour amasser du bien, c’est encore de travailler ! »

Honoré de BALZAC (1799-1850), Mercadet (posthume, 1851)

Bourreau de travail, drogué au café (plus de 50 tasses quotidiennes), il en est mort (cardiaque) à 51 ans. Critique littéraire, critique d’art, dramaturge, essayiste, journaliste, imprimeur et entrepreneur malheureux, endetté suite à des investissements hasardeux et des excès somptuaires, fuyant ses créanciers sous de faux noms dans différentes demeures, Balzac reste surtout comme l’auteur de la Comédie humaine, avec plus de 90 romans et nouvelles parus de 1829 à 1855. Sans compter Les Cent Contes drolatiques, ses romans de jeunesse publiés sous divers pseudos et quelques dizaines d’œuvres ébauchées.

« Le travail est indispensable au bonheur de l’homme ; il l’élève, il le console, et peu importe la nature du travail, pourvu qu’il profite à quelqu’un : faire ce qu’on peut, c’est faire ce qu’on doit. »

Alexandre DUMAS fils (1824-1894), Revenants (1851), feuilleton publié en roman, Le Régent Mustel (1852)

Fils naturel d’Alexandre Dumas, Dumas fils est élevé par sa mère, puis placé en pension à sept ans. Reconnu par son père la même année, il souffrira quand même de son surnom, « le Bâtard ». Ayant échoué au baccalauréat en 1841, il abandonne ses études et mène à Paris une vie tapageuse de dandy. Pas facile d’être le fils de Dumas, quand on veut se faire une place dans le monde des lettres ! La célébrité lui vient avec La Dame aux camélias (1848), roman inspiré par sa liaison avec la demi-mondaine Marie Duplessis, quelques mois après la mort de la jeune femme phtisique. Adapté au théâtre en 1852, devenu un opéra dès 1853 sous le titre de La Traviata, musique de Verdi, il servira de base à d’innombrables œuvres théâtrales, cinématographiques, télévisuelles, chorégraphiques.

« Qui a du fer a du pain… La France hérissée de travailleurs en armes, voilà l’avènement du socialisme ! »

Auguste BLANQUI (1805-1881), Avis au peuple, 1851, cité par Alain Decaux, Blanqui l’insurgé

Entré en politique sous la Restauration, « l’Enfermé » aura été prisonnier plus de la moitié de sa vie, condamné à mort et amnistié, infatigable socialiste redevenu révolutionnaire à 72 ans, son « Ni Dieu ni maître » devenant la devise des anarchistes qui troubleront la Troisième République pendant un quart de siècle.

Emprisonné en 1851, il écrit à ses partisans : « En présence des prolétaires armés, obstacles, résistances, impossibilités, tout disparaîtra. Mais pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d’arbres de la liberté, par des phrases sonores d’avocats, il y aura de l’eau bénite d’abord, des injures ensuite, enfin de la mitraille, de la misère toujours. Que le peuple choisisse ! »

« Un travail est fini, un autre aussitôt commence. »

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), Jocelyn (1861)

On l’imagine mal en forçat de la plume, et pourtant… Poète romantique entré en politique (comme Hugo), élu député en 1833, l’auteur doit continuer d’écrire pour des raisons financières – son Histoire des Girondins. Mais la République va le mobiliser à plein temps et plein cœur : « L’ambition qu’on a pour soi-même s’avilit et se trompe ; l’ambition qu’on a pour assurer la sécurité et la grandeur du pays, elle change de nom, elle s’appelle dévouement. »

Chef du gouvernement provisoire de la Deuxième République en février 1848, il se donne tout entier et paie de sa personne, seul des onze ministres ayant le courage d’aller vers la foule en armes qui cerne l’Hôtel de Ville pour refuser la violence : « Le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ! » Mais aux élections de décembre 1848, il perd lamentablement face à Louis-Napoléon Bonaparte élu président de la République avec 5,5 millions des voix - 17 914 voix pour Lamartine. 

Il quitte la scène politique et vit ses vingt dernières années en « galérien de la plume » : pas assez riche pour s’exiler comme Hugo ni pour se draper dans sa dignité d’opposant comme Chateaubriand, il est condamné à des travaux forcés littéraires pour éponger ses dettes, obligé de vendre sa chère propriété de Milly et devra même solliciter de l’Empire un secours d’abord refusé. Sa famille refusera les funérailles nationales, en 1869.

« Quand un homme a fait sa fortune par le travail, l’industrie ou l’agriculture, a amélioré le sort de ses ouvriers, a fait un noble usage de son bien, il est préférable à ce qu’il est convenu d’appeler un homme politique. »2226

Duc de MORNY (1811-1865). Histoire populaire contemporaine de la France (1865), Ch. de Lahuere

Pour les élections de février 1852, le ministre de l’Intérieur demande qu’on cherche des hommes neufs, pris hors de la classe politique traditionnelle – on dirait aujourd’hui dans la « société civile ».

« Le travail ne peut être une loi sans être un droit. »

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

« Le vrai socialisme, ce n’est pas le dépouillement d’une classe par l’autre, c’est-à-dire le haillon pour tous, c’est l’accroissement, au profit de tous, de la richesse publique […] Quant au communisme, je n’ai jamais eu pour idéal un damier. Je veux l’infinie variété humaine. »

Hugo fut l’un des plus brillants députés de cette brève République. Celui qui se veut l’« écho sonore » de son siècle sera successivement libéral sous la Restauration, réservé puis favorable à Louis-Philippe sous la Monarchie de Juillet, monarchiste pour les beaux yeux de la duchesse d’Orléans et hostile à l’émeute pendant la Révolution de 1848, puis partisan du prince Louis-Napoléon, avant d’en devenir le plus talentueux opposant, quand il voit poindre le dictateur. Mais Hugo demeure toujours fidèle à un idéal humanitaire, généreux, se battant contre la misère du peuple, l’injustice sociale, la peine de mort, les restrictions à la liberté de la presse, avec une constance et un courage qui le forceront à l’exil… Il continue de travailler plus que jamais, donc d’écrire, toujours dans l’opposition mais prenant de plus en plus de recul, avec une posture de prophète qui lui va si bien.

« Les hommes en travaillant sont grands des pas qu’ils font ;
 Leur destination, c’est d’aller, portant l’arche ;
 Ce n’est pas de toucher le but, c’est d’être en marche. »

Victor HUGO (1802-1885), La Légende des siècles (1859-1883)

Recueil de poèmes, œuvre monumentale destinée à dépeindre l’histoire et l’évolution de l’Humanité, tandis que l’Histoire continue, avec une place toujours plus grande apportée à la valeur Travail.

« L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. »2289

Devise de l’Association internationale des travailleurs, 1864. Histoire de la France : les temps nouveaux, de 1852 à nos jours (1972), Georges Duby

L’Association internationale des travailleurs (AIT) est la première Internationale, créée le 28 septembre 1864 par des militants français et anglais : « une grande âme dans un petit corps ». Elle tiendra congrès chaque année, de plus en plus hostile aux états bourgeois.

Un autre socialisme se réveille, plus évidemment révolutionnaire : le blanquisme. Plus personne ne croit à l’extinction du paupérisme par l’empereur Napoléon III, ni même au syndicalisme ouvrier selon Proudhon qui meurt en janvier 1865, avec un sentiment d’incompréhension et dépassé par le marxisme.

« Le royaume de la liberté commence seulement là où l’on cesse de travailler par nécessité. »10

Karl MARX (1818-1883), Le Capital (1867)

Philosophe et théoricien politique, il passa plus de vingt ans à écrire son œuvre majeure, d’ailleurs inachevée, mais « certainement le plus redoutable missile qui ait été lancé à la tête de la bourgeoisie » selon l’auteur. Le capital permet l’exploitation du travailleur et l’obtention de la plus-value, autrement dit le bénéfice que l’employeur s’approprie, en économie capitaliste. Seul un système réellement socialiste mettra fin à cette injustice et à la lutte des classes. Mais passer de la théorie à la pratique n’est pas si simple que Marx semble le croire.

« Du berceau jusqu’au cimetière / Longue est ma chaîne de labeurs !
Mais le travail fait l’âme fière / L’oisiveté les lâches cœurs […]
C’est le travail qui rend féconde / La vieille terre aux riches flancs […]
Au travail appartient le monde, / Aux travailleurs, à leurs enfants. »2238

G. BRUNO (1833-1923), paroles et musique, La Chanson du pauvre (1869). Histoire de la France : les temps nouveaux, de 1852 à nos jours (1971), Georges Duby

Augustine Tuilerie, alias G. Bruno, fille et femme d’universitaires en renom, exalte la morale qu’une société bourgeoise veut imposer aux travailleurs. Son livre le plus connu, le Tour de la France par deux enfants, fait un énorme succès de librairie. La Chanson du pauvre est extraite de son premier « roman pédagogique » dont le titre est tout un programme : Francinet. Livre de lecture courante. Principes élémentaires de morale et d’instruction civique, d’économie politique, de droit usuel, d’agriculture, d’hygiène et de sciences usuelles. C’est la chanson que fredonne un enfant qui travaille, encore et toujours, c’est « dans le silence de la nuit, une voix [qui s’élève], une petite voix d’enfant, triste, plaintive… »

Cette idéologie dominante et bien-pensante peut expliquer la haine du bourgeois et l’explosion de la Commune.

« Pacifier, réorganiser, relever le crédit, ranimer le travail, voilà la seule politique possible et même concevable en ce moment. »2355

Adolphe THIERS (1797-1877), présentant son ministère et son programme à l’Assemblée, Bordeaux, 19 février 1871. Questions ouvrières et industrielles en France sous la Troisième République (1907), Pierre Émile Levasseur

Thiers, 73 ans, a été élu député (par 26 départements) aux élections du 8 février. Après la défaite dans la guerre de 1870, voilà le second choc pour Paris : le pays est monarchiste et veut la paix. Paris seul a voté républicain en masse, représenté par Louis Blanc, Hugo, Gambetta.

L’Assemblée se réunit à Bordeaux le 12 février – Paris est toujours assiégé. Thiers, chef du pouvoir exécutif et vieux routier de la politique, affronte la guerre civile qui va de nouveau bouleverser le pays : la Commune. Mais la répression de cette brève révolution sera tragique, lors de la Semaine sanglante. 100 000 morts au total selon certaines sources.

« Habitants de Paris, l’armée de la France est venue vous sauver. Paris est délivré. Nos soldats ont enlevé, à quatre heures, les dernières positions occupées par les insurgés. Aujourd’hui la lutte est terminée ; l’ordre, le travail et la sécurité vont renaître. »2376

Maréchal MAC-MAHON (1808-1893), Proclamation affichée le 29 mai 1871. Décrets et rapports officiels de la Commune de Paris et du gouvernement français du 18 mars au 31 mars 1871 (1871), Ermete Pierotti

Proclamation signée du maréchal de France, commandant en chef. Reste le fort de Vincennes, toujours aux mains des insurgés, qui va être assiégé par une brigade de l’armée du général Vinoy. La garnison désarmée se rend, les officiers sont immédiatement passés par les armes. Thiers télégraphie ce même jour aux préfets, à propos des Parisiens insurgés : « Le sol est jonché de leurs cadavres ; ce spectacle affreux servira de leçon. »

« [La Commune] fut dans son essence, elle fut dans son fond la première grande bataille rangée du Travail contre le Capital. Et c’est même parce qu’elle fut cela avant tout […] qu’elle fut vaincue et que, vaincue, elle fut égorgée. »2384

Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste, 1789-1900, volume XI, La Commune, Louis Dubreuilh (1908)

Jaurès, qui dirige ce travail en 13 volumes, juge à la fois en historien et en socialiste, ce qui est logique. Homme politique, il sera toujours du côté du Travail et des travailleurs. N’excluant pas le recours à la force insurrectionnelle, il aurait sans doute été Communard, malgré son pacifisme qui sera la raison de son assassinat.

« Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d’une société nouvelle. Ses martyrs seront enclos dans le grand cœur de la classe ouvrière. »2385

Karl MARX (1818-1883), La Guerre civile en France (1871)

Hommage du militant révolutionnaire, même si le théoricien socialiste émit de nombreuses réserves. Le mouvement ouvrier français restera marqué par les conséquences de la Commune : vide dans le rang de ses militants, haine des victimes contre les bourreaux, force du mythe qui s’attache à jamais au nom de la Commune.

« Cette presse démagogique qui sollicite l’ouvrier, l’attend à son retour du travail, prend place avec lui au café et au cabaret. »2424

Jean-Chrysogone GUIGUE de CHAMPVANS (1813-1900), préfet du Gard. Histoire générale de la presse française : de 1871 à 1940 (1969), Claude Bellanger

Cet homme politique de la droite légitimiste fait allusion aux brochures de cinq à trente centimes, diffusées par les colporteurs et répandant la propagande républicaine jusque dans les campagnes, dans les années 1872-1873. Est-ce l’efficacité de ces petits journaux, mais les républicains gagnent pratiquement toutes les élections partielles à l’Assemblée. La France entre à reculons dans la Troisième République, mais elle y arrive peu à peu, avec Gambetta et quelques autres hommes politiques plus ou moins « opportunistes », au sens qu’il donna lui-même à ce mot.

« Un seul patron, un seul capitaliste : tout le monde ! Mais tout le monde travaillant, obligé de travailler et maître de la totalité des valeurs sorties de ses mains. »2403

Jules GUESDE (1845-1922), Collectivisme et Révolution (1879)

Appelé « le socialisme fait homme » (venant après Blanqui, et avant Jaurès, Blum, Briand), fondateur de L’Égalité, premier journal marxiste français, il crée en 1880 le Parti ouvrier français (POF) qu’il veut internationaliste, collectiviste et révolutionnaire.

Le guesdisme joue un rôle important jusqu’à son intégration dans le Parti socialiste unifié (Section française de l’Internationale ouvrière, SFIO) en 1905. Deux fois député (de Roubaix, de Lille), Guesde sera ministre d’État en 1914-1916, malgré son hostilité de principe à toute participation socialiste dans un ministère bourgeois : la guerre le rend avant tout français, et nationaliste.

« Dans la société capitaliste, le travail est la cause de toute dégénérescence intellectuelle, de toute déformation organique. »,

Paul LAFARGUE (1842-1911), Le Droit à la paresse. Réfutation du droit au travail de 1848 (1880)

Auteur de ce pamphlet célèbre et d’autres textes polémiques ou engagés, c’est l’un des initiateurs du marxisme en France, interprète autorisé de la pensée de Marx dont il a épousé la fille, Laura Marx. Il se suicidera avec son épouse, avant que la vieillesse ne lui enlève ses forces physiques et intellectuelles.

« Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui depuis deux siècles torturent la triste humanité. Cette folie est l’amour du travail, la passion furibonde du travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture. »

Paul LAFARGUE (1842-1911), Le Droit à la paresse. Réfutation du droit au travail de 1848 (1880)

Journaliste, économiste, essayiste, écrivain et socialiste, il rencontre Proudhon à la Faculté de médecine de Paris.

Il en fut exclu à vie, ayant déclaré au premier congrès international des étudiants qu’il souhaitait voir disparaître les rubans tricolores au profit de la couleur rouge. Émigré à Londres, il rencontra Karl Marx et épousa sa fille Laura en 1868. Acquis au socialisme scientifique et membre de la Première Internationale, il rentre en France, soutient la Commune de Paris en 1871 depuis Bordeaux où il réside. Il doit fuir en Espagne, y fonde une section marxiste de la Première Internationale et participe à la création du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol. En 1880, il fonde avec Jules Guesde, le Parti Ouvrier. Incarcéré en 1891 pour « provocation au meurtre » après les fusillades de Fourmies, il devient député de Lille et toujours fervent marxiste : « Dans la société capitaliste, le travail est la cause de toute dégénérescence intellectuelle, de toute déformation organique. Je me bornerai à démontrer qu’étant donné les moyens de production moderne et leur puissance reproductive illimitée, il faut mater la passion extravagante des ouvriers pour le travail et les obliger à consommer les marchandises qu’ils produisent. »

« Le capital est du travail volé. »

Auguste BLANQUI (1805-1881), La Critique sociale (1886)

L’infatigable socialiste est mort quand paraît ce recueil de textes. Il n’aimait pas plus Marx que Proudhon, il existait quand même une parenté théorique et idéologique entre ces courants de pensée que chacun voulait mettre en action, avec un sens de la formule évident. Pour Blanqui, on peut résumer en trois phrases. La société est totalement dépendante du mécanisme des échanges. L’histoire se développe tout entière autour du combat économique destiné à accroître la richesse. La société évolue vers le communisme et sa marche est accélérée par les abus du capitalisme.

« Ce qui différencie le travail de l’esclavage est le respect du travailleur. »;

Émile ZOLA (1840-1902), Germinal (1885)

Écrivain et journaliste, chef de file du mouvement naturaliste, c’est le romancier le plus populaire après Balzac et Hugo (tous deux morts). Le travail est au cœur de toute son œuvre, le travail les mines (Germinal), les ateliers, le chemin de fer… le travail de l’argent, le travail de la terre, le travail dans les grands magasins, le travail des putains, des curés, des politiques, des soldats dans la guerre, des écrivains et des peintres… Le travail permet de créer les fictions littéraires les plus inattendues. Les ouvriers, les travailleurs, les artisans et tous ceux qui œuvrent se reconnaissent dans les descriptions de Zola. Les journalistes, les politiques sont plus partagés.

« Le travail ne peut faire vivre, les misérables et les imbéciles travaillent seuls, pour engraisser les autres. »

Émile ZOLA (1840-1902), L’Argent (1891)

Zola s’est inspiré des scandales financiers de la Troisième République, notamment le scandale de Panama où le personnel politique fut impliqué, Clemenceau lui-même au nombre des « panamistes ». Les grandes banques, la Bourse de Paris, tous les milieux où l’argent circule, les fortunes se font et se défont, les ambitions s’exaspèrent, l’exploitation des faibles nourrit les maîtres du jeu capitaliste et social. Ce terreau nourrit aussi le socialisme en tant que courant politique… et l’anarchie qui va littéralement exploser dans la dernière décennie du siècle.

« La société est pourrie. Dans les ateliers, les mines et les champs, il y a des êtres humains qui travaillent et souffrent sans pouvoir espérer d’acquérir la millième partie du fruit de leur travail. »2503

RAVACHOL (1859-1892), à son procès, 26 avril 1892. Histoire de la Troisième République, volume II (1963), Jacques Chastenet

Ravachol est un criminel en série (tuant pour l’argent), devenu un mythe par la vertu de la dynamite et des relations nouées avec les militants anarchistes. Les 11, 18 et 29 mars, il a fait sauter des appartements de magistrats et une caserne. La veille du procès, ses complices ont fait exploser une bombe dans le restaurant Véry. Condamné à mort (pour des crimes antérieurs), il est exécuté le 11 juillet.

Les attentats anarchistes, nombreux de 1892 à 1894, ont des origines diverses : souvenir de la Commune commémorée vingt ans après, hostilité envers les partis organisés de gauche qui veulent un État socialiste, haine pour les bourgeois dont les affaires prospèrent.

« Le travail devrait être une fonction et une joie ; il n’est bien souvent qu’une servitude et une souffrance… »

Jean JAURÈS (1859-1914), Action socialiste. Au clair de la lune (1899)

Fils de la bourgeoisie, étudiant à l’École normale supérieure, agrégé de philosophie, il entre en politique comme républicain. Benjamin de la Chambre des députés en 1885, il siège au centre gauche parmi les républicains « opportunistes » favorables à Jules Ferry. Élu comme socialiste indépendant en 1893, il soutient la grande grève des mineurs de Carmaux, s’oppose aux « lois scélérates » et dénonce la collusion d’intérêts économiques avec la politique et la presse. Il prend la défense de Dreyfus, participe à la fondation du Parti socialiste français en 1902, fonde et dirige l’Humanité. En 1905, il participe à la création de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), dont il est l’un des acteurs principaux, unifiant ainsi le mouvement socialiste français. Ses positions réformistes lui valent l’opposition d’une partie de la gauche révolutionnaire.

Lire et relire Jaurès quand il évoque le travail est un devoir et un plaisir : « Le travail devrait être une fonction et une joie ; il n’est bien souvent qu’une servitude et une souffrance. Il devrait être le combat de tous les hommes unis contre les choses, contre les fatalités de la nature et les misères de la vie ; il est le combat des hommes entre eux, se disputant les jouissances par la ruse, l’âpreté au gain, l’oppression des faibles et toutes les violences de la concurrence illimitée. Parmi ceux-là même qu’on appelle les heureux, il n’est presque point d’heureux, car ils sont pris par les brutalités de la vie ; ils n’ont presque pas le droit d’être équitables et bons sous peine de ruine ; et dans cet état d’universel combat, les uns sont esclaves de leur fortune comme les autres sont esclaves de leur pauvreté ! Oui, en haut comme en bas, l’ordre social actuel ne fait que des esclaves, car ceux-là ne sont pas des hommes libres qui n’ont ni le temps ni la force de vivre par les parties les plus nobles de leur esprit et de leur âme.

Et si vous regardez en bas, quelle pauvreté, je ne dis pas dans les moyens de vivre, mais dans la vie elle-même ! Voyez ces millions d’ouvriers ; ils travaillent dans des usines, dans des ateliers : et ils n’ont dans ces usines, dans ces ateliers, aucun droit ; ils peuvent en être chassés demain. Ils n’ont aucun droit non plus sur la machine qu’ils servent, aucune part de propriété dans l’immense outillage que l’humanité s’est créé pièce à pièce : ils sont des étrangers dans la puissance humaine ; ils sont presque des étrangers dans la civilisation humaine. »

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