Jacques Chirac : « Les feux rouges, je les ai grillés toute ma vie, tu crois peut-être qu’on en arrive là en auto-stop ? » | L’Histoire en citations
Citation du jour

Jacques Chirac est mort jeudi 26 septembre 2019. Nous n’allons pas l’embaumer dans une « nécro », ni rappeler sa « bio », ce que les médias savent faire.

Nous empruntons simplement à notre Histoire en citations ces mots, signés Chirac, pour ce portrait plus vrai que nature, à l’image de l’homme.

« Les feux rouges, je les ai grillés toute ma vie, tu crois peut-être qu’on en arrive là en auto-stop ? »3316

Jacques CHIRAC (1932-2019), Dans la peau de Jacques Chirac (2006), Karl Zéro et Michel Royer

Le film retrace sa carrière, depuis son entrée au gouvernement Pompidou, sous de Gaulle, en 1967. Ce « documarrant » a remporté le César du meilleur documentaire, gage d’un certain sérieux. Le film est présenté comme « un hommage à notre plus grand acteur français ». À travers quarante années d’archives audiovisuelles retraçant la « geste chiraquienne », le président témoigne de cette quête éperdue du pouvoir. Avec ce personnage ambitieux et roublard, coléreux et comique, la réalité dépasse la fiction et quelques vérités passent la rampe.

« Comme on dit en Corrèze, qui s’est frotté à l’ail ne peut sentir la giroflée. » Fatalement, il y a les mauvaises rencontres et les « affaires » accumulées – cité dans neuf affaires judiciaires, il sera protégé par son immunité présidentielle. Alain Juppé (« le meilleur d’entre nous », dit-il) paiera pour cette République qui n’est pas « irréprochable ». Charles Pasqua (conseiller, ministre de l’Intérieur), impliqué dans neuf affaires politico-financières, sera condamné trois fois… Ces écarts de conduite sont l’une des zones d’ombre de la chiraquie.

« Chaque pas doit être un but. »3315

Jacques CHIRAC (1932-2019), Mémoires, tome I (2009)

Avant que la mémoire ne lui fasse défaut et qu’il se retire de la scène publique, l’homme se souvient d’une vie vouée à la politique, en deux tomes sous-titrés : I – Chaque pas doit être un but, IILe Temps présidentiel. Mais Chirac a déjà écrit et beaucoup parlé sur ce thème. Parti de l’ENA et de la Cour des comptes, ce marathonien accomplit un long parcours : allant du conseil municipal de Sainte-Férréole (Corrèze) à la mairie de Paris, il fut entre-temps député, plusieurs fois ministre, deux fois Premier ministre, pour arriver au but suprême : président de la République.

« Un chef, c’est fait pour cheffer. »3317

Jacques CHIRAC (1932-2019), Le Figaro Magazine, 20 juin 1992

L’autorité est une vertu première, il le fera savoir ! Le mot le plus dur visera Sarkozy, ministre le plus populaire du gouvernement Raffarin, qu’il a dû accepter au poste le plus important en 2004 – ministre d’État, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie.  Devant les velléités d’indépendance et la visible impatience de l’ambitieux à lui succéder, le président déclare qu’il ne peut y avoir de différend entre eux pour une bonne raison : « Je décide et il exécute. »

« Que voulez-vous, je suis Français, et j’adore aller expliquer aux autres ce que je suis infoutu de faire chez moi. »3320

Jacques CHIRAC (1932-2019), Dans la peau de Jacques Chirac (2006), Karl Zéro et Michel Royer

Ce côté donneur de leçon remonte au siècle des Lumières et à la Révolution. Mais peu d’hommes publics confessent ce travers ridicule parfois ridicule. Chirac note d’ailleurs avec humour : « En matière de politique internationale, on ne retient mes propos que si je dis une connerie. » Mais l’histoire retiendra l’opposition de la France à la (seconde) guerre du Golfe, voulue par Georges Bush (junior) contre l’Irak. À l’ONU, 14 février 2003, la voix de la France est celle de Villepin, éloquent ministre des Affaires étrangères : « Et c’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui… » Notre pays retrouve, pour un temps, son rôle de grande puissance, conforme à son histoire et son génie. Chirac, le gaulliste, a dû adorer cet épisode d’un quinquennat difficile.

« Nous sommes la première génération consciente des menaces qui pèsent sur la planète. La première. Et nous sommes aussi probablement la dernière génération en mesure d’empêcher l’irréversible. »3319

Jacques CHIRAC (1932-2019), président de la République, Discours au Sommet de la Terre à Johannesburg, 2 septembre 2002

L’écologie, dossier idéal pour « aller expliquer aux autres ce que je suis infoutu de faire chez moi. » De tous les combats menés, c’est le dernier qui lui tient à cœur.    

Sommet de la Terre à Rio de Janeiro (1992). Plus de 180 États se sont engagés sur le chemin d’une écologie solidaire et d’une économie plus raisonnable. À Johannesburg, le Sommet mondial du développement durable (autre titre) confirme : « La maison brûle, mais nous regardons ailleurs » (Jacques Chirac). La Semaine du Développement durable naît sous son quinquennat (2003) et se renouvelle chaque année. Enfin, il réunit la Conférence de Paris, 2 et 3 février 2007 : ministres, scientifiques, chefs d’entreprises, ONG, personnalités venant de plus de 60 pays, dans un esprit de citoyenneté écologique mondiale, décident d’agir ensemble pour l’environnement.

Retraité politique, il crée la Fondation Chirac (2008) : dernier acte citoyen, volonté testamentaire. Lutte pour favoriser l’accès aux médicaments et à l’eau, contre la déforestation et pour la protection des langues et cultures menacées.

 

Chirac et son franc-parler s’affichent sans complexe. Cela fait partie de son image. Il en joue à merveille et enrichit avec talent notre bestiaire historique bien français. Ça ne l’empêche pas d’affirmer son caractère et ses convictions, bien au contraire. Les médias se régalent, le Français est bon.

 

« Buvons à nos femmes, à nos chevaux, et à ceux qui les montent. »3322

Jacques CHIRAC (1932-2019), cité dans Marianne n° 184 (mars 2012)

Politiquement incorrect, assez macho et un peu cavalier - la source est d’ailleurs dans la tradition de la cavalerie.

Un florilège fait la joie des bêtisiers politiques : « Portez des couleurs plus vives, faites-vous sponsoriser par les grands couturiers, soyez bronzés, n’ayez pas l’air de cadavres. » Conseil du président aux ambassadeurs, août 1996. Le candidat se lâche à fond : « J’apprécie plus le pain, le pâté, le saucisson que les limitations de vitesse » (L’Auto-Journal, 1977). « Bien sûr que je suis de gauche ! Je mange de la choucroute et je bois de la bière » (Libération, 1995). Même année, en campagne : « J’aime le bon vin, je n’abuse pas. Mais la bière a un avantage, c’est que cela désaltère, vous comprenez, cela coupe la soif et il n’y a pas trop d’alcool dedans, beaucoup moins que dans le vin. Alors on peut boire davantage. » Alors que Sarkozy ne boit pas d’alcool et colore au jus de fruit rouge le verre d’eau pour trinquer, pour la photo…

La cote de popularité de Chirac connaît des hauts et des bas, mais sa liberté de ton et son côté bon vivant le rendent malgré tout sympathique. Sa marionnette aux Guignols de l’info (Canal Plus), si caricaturale soit-elle, profitera au candidat ! Et face à elle, celle de Balladur, si hautaine, devient affreusement antipathique.

« Si vous saviez le plaisir que j’ai pu éprouver à passer pour un blaireau, surtout au milieu de corniauds. »3321

Jacques CHIRAC (1932-2019), Dans la peau de Jacques Chirac (2006), Karl Zéro et Michel Royer

Aucun président n’a pu tenir ce genre de propos rigolard et franchouillard. « Moi, vous savez, je n’aime que deux choses : la trompette de cavalerie et les romans policiers. » Mais contrairement à ceux qui pratiquent la méthode inverse, il est plus cultivé qu’il ne veut paraître. On apprend sa passion pour les arts premiers : spécialiste reconnu des civilisations dites (jadis) primitives, il voulait leur consacrer un musée, quand il était maire de Paris. Il ouvre finalement, en 2006.

C’est aussi un fan de sumo, sport traditionnel japonais, au rituel vieux de quinze siècles. En 2004, Sarkozy revient d’un voyage officiel en Asie. Face aux journalistes, le ministre attaque le président : « Comment peut-on être fasciné par ces combats de types obèses au chignon gominé ? Ce n’est vraiment pas un sport d’intellectuel, le sumo ! » Déchaînement de la presse nipponne, incident diplomatique avec le Japon : il doit présenter ses excuses à l’ambassadeur. Chirac apprécia.

« Le contact humain est le véhicule essentiel de la démocratie. »3323

Jacques CHIRAC (1932-2019), Conférence de presse à Rio de Janeiro, 29 juin 1999

« Il devient, d’un bain de foule à l’autre, bras levés, la vigie nationale, aussi apte à embrasser les enfants des écoles qu’à toiser, du haut de son donjon personnel, le peuple français - qu’il aime, de haut. » Jean Lacouture décrit le plus populaire de nos présidents, le général de Gaulle. Pompidou et Giscard, Mitterrand et Sarkozy seront plus ou moins contraints d’aller au contact du peuple qui les a élus. Chirac y prend plaisir, même en vacances, même à la retraite, c’est un besoin.

Moments les plus spectaculaires, lors de ses voyages présidentiels, en province ou en Afrique. Autre étape très attendue, le Salon de l’agriculture. Il y bat des records de durée, arpente les allées, partage le boire et le manger à tous les stands prévus ou pas, et ce Corrézien de Paris sait comme personne « caresser le cul des vaches ».

« L’espérance est un combat qui exige du cœur et de l’imagination. »3318

Jacques CHIRAC (1932-2019), Une nouvelle France (1992)

Pompidou, Premier ministre sous de Gaulle, jauge en 1967 le plus actif des jeunes loups gaullistes, entré dans la carrière comme secrétaire d’État à l’Emploi : « À mon cabinet, on l’appelle le bulldozer. L’expérience prouve qu’il obtient tout ce qu’il demande. Il ne s’arrête pas tant qu’il ne l’a pas obtenu. On n’a encore jamais trouvé quelqu’un qui lui résiste. »

En 1995, distancé dans les sondages par Balladur, trahi par Sarkozy, traité de « looser » par la classe politique, pour espérer encore, il fallait beaucoup de cœur et d’imagination ! Sa femme en témoignera à la fin d’un quinquennat difficile : « Mon mari, je ne l’ai jamais vu déprimé, parce que c’est un guerrier. Il se battra jusqu’au bout » (Paris Match, 2005).

« Telle est la vraie nature de Jacques Chirac : c’est un ogre. Il engloutit tout avec la même gloutonnerie. Les hommes, les femmes, les idées, les kilomètres, les amours, les défaites ou les plats canailles. »3324

Franz-Olivier GIESBERT (né en 1949), La Tragédie du président, Scènes de la vie politique, 1986-2006 (2006)

Biographie sans complaisance, datée de la fin du règne, qui dramatise la situation et le personnage, vu comme « un grand brûlé de la politique ». La raison tient en deux mots de Chirac : « Le monde politique est une jungle » et « Il ne faut jamais blesser une bête, on la caresse ou on la tue. » L’homme était de la race des grands fauves.

Comique ou dramatique, l’ogre Chirac fascinait, par son énergie, sa vitalité. Malgré les affaires qui le poursuivent et le rattrapent, les bourdes tactiques et les erreurs stratégiques, malgré ses contradictions et ses revirements, ses conneries avouées ou pas et cette capacité à éliminer ses ennemis politiques, malgré tout, l’homme resta sympathique, avec une fin de règne difficile et une fin de vie pathétique. Les Français apprennent le nom d’un mal étrange, l’anosognosie : le malade souffre d’abord de pertes de mémoire, avant d’oublier qu’il oublie et de ne plus être conscient de son état.
Mais cet homme aura bien et beaucoup vécu, la politique restant la plus constante de ses passions, avec la France.

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