Jules Renard : « Le socialiste par raison peut avoir tous les défauts du riche ; le socialiste par sentiment doit avoir toutes les vertus du pauvre. » | L’Histoire en citations
Chronique du jour

 

Troisième République

La question sociale

La politique économique et sociale du gouvernement n’est pas acceptée par les ouvriers : Clemenceau, président du Conseil (1906-1909), se heurte à des grèves dures et polémique avec le grand socialiste Jaurès. Les réformes (limitation de la journée de travail et repos hebdomadaire pour les ouvriers, retraite pour les vieux) restent insuffisantes. Le socialisme (unifié en 1905, au sein de la SFIO) gagne du terrain et la CGT, très représentative du syndicalisme internationaliste de l’époque, prône « la révolution sociale intégrale ».

 Les commentaires sont allégés, les coupes signalées (…) Retrouvez l’intégralité dans nos Chroniques de l’Histoire en citations.

« Le socialiste par raison peut avoir tous les défauts du riche ; le socialiste par sentiment doit avoir toutes les vertus du pauvre. »2538

Jules RENARD (1864-1910), Journal, 9 janvier 1905

Le socialisme est le mouvement qui monte. Son problème ? Une extrême division entre courants, jusqu’en 1905. Son dilemme ? Celui de la participation aux gouvernements dits bourgeois. Jules Guesde, révolutionnaire marxiste, est contre, alors que Jean Jaurès, socialiste humaniste et pacifiste, est pour. Mais Jaurès s’est incliné devant la majorité guesdiste (…)

« Un peu d’internationalisme écarte de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène. »2539

Jean JAURÈS (1859-1914), L’Armée nouvelle (1911)

Pour lui, le socialisme ne s’oppose pas au patriotisme et peut être considéré comme un enrichissement de l’internationalisme. Il se distingue en cela de Marx, pour qui « les ouvriers n’ont pas de patrie ».

Député socialiste de Carmaux en 1893, Jaurès adhère au parti ouvrier français de Jules Guesde, avant de devenir l’un des chefs de la Section française de l’Internationale ouvrière, ou SFIO. On l’appelle aussi le Parti socialiste unifié, pour rappeler à la fois le socialisme, et l’unification de tous les courants jadis dispersés.

« L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude. »2540

Charles PÉGUY (1873-1914), Cahiers de la Quinzaine, 5 novembre 1905

Rejeté de tous les groupes constitués, parce que patriote et dreyfusard, socialiste et chrétien, suspect à l’Église comme au parti socialiste, isolé par son intransigeance et ignoré jusqu’à sa mort du grand public, c’est l’un des rares intellectuels de l’époque échappant aux étiquettes. Voyant d’abord pour seul « remède au mal universel l’établissement de la République socialiste universelle », il crée ses Cahiers de la Quinzaine pour y traiter tous les problèmes du temps, y publier ses oeuvres et celles d’amis (Romain Rolland, Julien Benda, André Suarès).

« Allons Combes, chasseur de nonnes,
À ton cor, mets vite un bouchon […]
Tu mets sous scellés les nonettes,
T’y mettras pas la religion. »2541

Antonin LOUIS (1845-1915), Le Chasseur de nonnes, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

On cible le « petit père Combes » : ancien séminariste devenu franc-maçon, militant provincial, esprit petit-bourgeois radical et borné, conservateur et anticlérical, il est président du Conseil de juin 1902 à janvier 1905 (…)

L’imbroglio de la question religieuse, qui dure depuis 1880, aboutira enfin le 9 décembre 1905 (sous le nouveau ministère de Rouvier) à la loi sur la séparation des Églises et de l’État, rapportée par Aristide Briand.

« La CGT groupe en dehors de toute école politique tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat. »2542

Chartes d’Amiens, votée au congrès fédéral, le 12 juillet 1906. Syndicalisme et politique (1985), René Mouriaux

La Confédération générale du travail ne se borne pas à défendre des intérêts professionnels, elle met en cause la structure et les finalités de la société (…)

« La propagande antimilitariste et antipatriotique doit devenir toujours plus intense et audacieuse. »2543

Chartes d’Amiens, votée au congrès fédéral, le 12 juillet 1906. Le Mouvement syndical sous la Troisième République (1967), Georges Lefranc

Manifeste de la CGT, très représentatif du syndicalisme internationaliste de l’époque. Il n’empêchera pas la mobilisation générale, dans un climat de consensus et d’union sacrée pour la défense nationale du pays, aux premiers jours de la guerre en août 1914. Pour la patrie en danger, L’Humanité elle-même parlera en patriote.

« Ce sont les oies qui ont sauvé le Capitole. »2544

Georges CLEMENCEAU (1841-1929). La Vie orgueilleuse de Clemenceau (1987), Georges Suarez

À qui lui reproche de ne s’entourer que de personnages falots dans son gouvernement.

Le « tombeur de ministères », le radical intransigeant des années 1880 devient à 65 ans président du Conseil, et reste à ce poste de 1906 à 1909 (…)

Liberté, Égalité, Fraternité.2545

Slogan républicain

Cette trilogie républicaine vient de loin.

Sous la Révolution, Momoro obtint du maire de Paris son inscription sur les édifices publics. La devise sur des pièces de monnaie française est inscrite par décret du 28 mars 1803, mais remplacée sous la Restauration par l’inscription de l’Ancien Régime « Domine salvum fac regem » (« Seigneur, sauve le roi »), puis rétablie sous la Deuxième République, abolie par la Commune, finalement réapparue au nom de la loi du 5 janvier 1907.

« D’abord faut pus d’gouvernement,
Pis faut pus non pus d’République,
Pus d’Sénat et pus d’Parlement […]
Pus d’lois, pus d’armées, pus d’église,
Faut pus d’tout ça, faut pus rien !
Alors c’est nous qui s’ra les maîtres
C’est nous qui f’ra c’que nous voudrons,
Y’aura pus d’chefs, pus d’contremaîtres,
Pus d’directeurs et pus d’patrons. »2546

Aristide BRUANT (1851-1925), Plus d’patrons, chanson. L’Argot au XXe siècle (1901), Aristide Bruant, Léon de Bercy

Reflet d’un certain climat social à partir de 1905 : effervescence ouvrière et hostilité confuse à tout pouvoir.

L’anarchisme révolutionnaire fait la loi dans les syndicats, autrement dit le désordre dans le pays. S’il pose les vraies questions - la condition ouvrière - il ne permet aucune solution. D’où la réaction de Clemenceau, à la tête du gouvernement.

« Pas ça ou pas vous ! »2547

Jean JAURÈS (1859-1914) à Aristide Briand, Chambre des députés, 10 mai 1907. La Démocratie et le travail (1910), Gabriel Hanotaux

Le gouvernement de Clemenceau, dont Briand fera partie à divers postes ministériels, est confronté à une dramatique agitation sociale, dès 1906 : mineurs, ouvriers électriciens à Paris, dockers à Nantes, etc. Clemenceau doit prendre des mesures énergiques pour rétablir l’ordre.

(…) Jaurès prendra souvent à partie Clemenceau en personne, personnage bien différent de Briand ! Étant au pouvoir, cet ancien républicain de choc, radical d’extrême gauche, impitoyable « tombeur de ministères », constate l’évidence : « Je suis de l’autre côté de la barricade. » Donc, dans la logique de son rôle qu’il définit lui-même : premier flic de France.

« Ce n’est pas seulement par la force des choses que s’accomplira la Révolution sociale. C’est par la force des hommes. »2548

Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste, 1789-1900, volume 1, La Constituante (1908)

Jaurès s’est incliné devant la loi du parti socialiste : pas de participation au gouvernement – et des hommes comme lui manqueront à la République radicale. C’est donc en député d’opposition qu’il mène les grands combats pour les lois ouvrières. Sans écarter le recours à la force insurrectionnelle (ce que veut la CGT), il croit que la révolution sociale peut et doit passer par une évolution de la démocratie républicaine en démocratie socialiste. Le renforcement de la classe ouvrière en est la condition.

« Salut, salut à vous,
Braves soldats du dix-septième […]
Vous auriez, en tirant sur nous,
Assassiné la République ! »2549

Gaston MONTÉHUS (1872-1952), Gloire au dix-septième, chanson. La République nous appelle (1965), Gaston Bonheur

(…) 1907 est une année de crise dans le Midi viticole. Le 18 juin, le 17e régiment d’infanterie de Béziers, déplacé à Agde, se mutine pour ne pas tirer sur une manifestation de vignerons. La plupart des fantassins sont natifs de la région : « On ne doit pas tuer ses père et mère, pour les grands qui sont au pouvoir. » (…)

« [La grève] éduque, elle aguerrit, elle entraîne et elle crée. »2550

Victor GRIFFUELHES (1874-1922), L’Action syndicaliste (1908)

(…) La charte d’Amiens de juillet 1906 a exalté l’action directe : l’émancipation des travailleurs se fera par un effort des ouvriers eux-mêmes. 1908 est l’année de la plus grave agitation sociale : grèves fréquentes, violentes. En juillet 1908, à Draveil, la répression fait plusieurs morts et des dirigeants de la CGT sont arrêtés. Les affiches du syndicat dénoncent « la Bête rouge de France », « Clemenceau le tueur ».

« On ne peut pas demander au capitalisme de se détruire lui-même en sapant ses propres assises ! Quand il se trouve par trop acculé aux désordres qu’il a créés, il emprunte aux idées socialistes quelques réformes devenues indispensables. »2551

Roger MARTIN du GARD (1881-1958), Les Thibault, tome V

(…) À la question sociale, problème majeur de la République à cette époque, quelles sont les réponses apportées ? Faute d’un programme social digne de ce nom, quelques lois : uniformisation de la journée de travail, 11 heures, puis 10 heures dans un délai de quatre ans (loi Millerand du 30 mars 1900) ; préparation du Code du travail (1902) ; hygiène dans les ateliers (11 juillet 1903) ; repos hebdomadaire (3 juillet 1906) ; retraites ouvrières et paysannes, à 60 ans (9 avril 1910).

« Vive les camelots du roi, ma mère !
Vive les camelots du roi.
Ce sont des gens qui s’foutent des lois,
Vive les camelots du roi !
Refrain
Et vive le roi, à bas la république !
Et vive le roi, la gueuse, on la pendra ! »2552

Maxime BRIENNE (1886-1926), paroles et René de BUXEUIL (1881-1959), musique, Chanson des camelots du roi. Les Hommes de bonne volonté, volume XIII (1973), Jules Romains

La droite monarchiste a son grand homme, Charles Maurras. « Les Camelots du Roi » (fédération nationale) créés en novembre 1908, se recrutent à l’origine parmi ses disciples étudiants, pour vendre son journal L’Action Française (…) Le mouvement, très minoritaire, sans vraie influence électorale, touche les milieux intellectuels et catholiques parisiens, où libéralisme et socialisme sont en perte de vitesse.

« Le peuple est bête, pue et crache partout. »2553

Jules RENARD (1864-1910), Journal, 27 mars 1908

On est loin de l’empathie de Hugo, dans Les Misérables (et dans son parcours politique), ou de Zola, dans toute son œuvre. Cruel observateur de la société, Jules Renard n’épargne personne, pas plus le monde littéraire dont il fait partie en marginal, que celui des ouvriers et de la misère, qu’il critique en connaissance de cause. Il a vécu pauvrement, et surtout malheureux, dans la peau de Poil de carotte, roman autobiographique d’un enfant martyr à force d’être mal aimé, mais qui lui apporta finalement le succès et l’argent.

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