Les perles de la langue française, du Moyen Âge au XVIIe siècle | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

La langue française d’hier à aujourd’hui.
- Collection de perles plus ou moins fines -

L’histoire de la langue se confond avec l’histoire de France pour des raisons politiques et culturelles. L’Histoire en citations en rend compte et la chronologie s’impose.

Une fois n’est pas coutume, après un Moyen Âge inventif, la « belle époque » se situe à la Renaissance avec trois auteurs majeurs à divers titres : Rabelais, Ronsard, Montaigne.

Au XVIIe siècle, « la langue de Molière » vaut pour son parlé populaire. La Révolution nous étonne comme souvent. Des noms contemporains ont des trouvailles bienvenues : voir de Gaulle, Chirac et quelques surprises.
Mention spéciale aux chansons toujours en situation, nées d’un peuple anonyme et talentueux.

Restent les jurons, cas très particulier ! Ils ont la vie dure et un sens caché plaisant à débusquer. Pour ne pas blasphémer, « par le sang de Dieu » devient palsambleu. Bigre, fichtre, diantre cachent aussi leur jeu… et deux jurons originaux sont signés de deux rois, Henri IV et Ubu.
Au final, notre langue reste bel et bien vivante et nombre d’anachronismes, remis en situation,  sont plaisants à (re)découvrir : matamorisme, sauvageons & Cie.

Première partie : du Moyen Âge au XVIIe siècle.

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

MOYEN ÂGE

« En peine et en malice tu as usé ton âge,
Tu as vécu des larmes d’autrui et du pillage.
Maint homme as exilé et tourné en servage
Et mis par pauvreté mainte femme au putage [prostitution] »114

FRANCON (seconde moitié du IXe siècle), archevêque de Rouen, au chef normand Rollon (ou Rou ou Robert). Roman de Rou (écrit entre 1160 et 1170), Robert Wace

… « Tu prends soin de ton âme comme bête sauvage / Mue[change] ta mauvaise vie et change ton courage. / Reçois la Chrétienté et fais au roi hommage. »

Telles sont les belles paroles prêtées à Francon par le poète anglo-normand Robert Wace dans sa chronique sur les ducs et le duché de Normandie (œuvre dédiée à Aliénor d’Aquitaine et Henri II d’Angleterre, son époux).

L’archevêque morigène le Normand qui, repoussé de Paris, ravage le pays chartrain. Les Francs, sous le commandement du comte de Paris, vont lui infliger une sanglante défaite le 20 juillet 911. Rollon accepte enfin de faire hommage au roi de France, Charles V le Simple.

« Roland, quand il entend qu’on le met à l’arrière-garde, interpelle tout furieux son beau-père : Ah ! culvert [crapule], méchant homme et de méchante race… »+

Chanson de Roland (anonyme), XIe siècle

Règne de Charles Ier le Grand, roi des Francs (futur Charlemagne). En 778, il traverse les Pyrénées pour aller conquérir une partie de l’Espagne. Ganelon, traître au roi, désigne son beau-fils Roland pour mener l’arrière-garde de l’armée, ce qui l’expose à un danger mortel. D’où la réaction de Roland.

« Culvert ! » L’injure vient de loin, de l’Antiquité gallo-romaine – collibertus signifiant co-affranchi. Au XIe siècle, c’est un paysan tellement soumis au seigneur et astreint à tant de tâches qu’il est assimilé au serf. Culvert devient bientôt synonyme de crapule, canaille, connoté aussi comme un grossier personnage. Aujourd’hui, on pourrait dire que c’est un « plouc ». Mais s’il est un mot à retenir de cette histoire célèbre dans l’Histoire, c’est l’olifant, nom donné au cor de Roland.

« Ami Roland, sonnez votre olifant [petit cor en ivoire d’éléphant]
Le son en ira jusqu’à Charles qui passe aux défilés
Et les Français, j’en suis certain, retourneront sur leurs pas. »

Chanson de Roland (anonyme), XIe siècle

« La Chanson de Roland est le plus ancien monument de notre nationalité. Ce n’est pas seulement la poésie française qu’on voit naître avec ce poème. C’est la France elle-même. » Louis Petit de Julleville, l’un des traducteurs du texte au XIXe siècle.

L’escarmouche entre les Vascons (Basques) et l’arrière-garde de l’armée du futur Charlemagne en 778 donne naissance, trois siècles et demi plus tard, à la première chanson de geste en (vieux) français, poème épique de quelque 4 000 vers maintes fois traduits, célèbre bien au-delà de la France.

Passage héroïque, celui où le preux (valeureux) Roland refuse de sonner de son olifant, sur le conseil du sage Olivier. Il préfère se battre et risquer la mort, plutôt que d’alerter Charlemagne et de trouver le déshonneur. « Olivier dit : « Les païens viennent en force, / Et nos Français, il me semble qu’ils sont bien peu. / Roland, mon compagnon, sonnez donc votre cor : / Charles l’entendra et l’armée reviendra. » / Roland répond : « Ce serait une folie ! / En douce France j’en perdrais ma gloire. / Aussitôt, de Durendal (ou Durandal), je frapperai de grands coups ; / Sa lame en saignera jusqu’à la garde d’or. / Les païens félons ont eu tort de venir aux cols : / Je vous le jure, tous sont condamnés à mort. » »

Mais Roland va périr avec Olivier son compagnon et toute l’arrière-garde des Francs. Charles le Grand les vengera en battant les païens (Sarrasins) avec l’aide de Dieu. Le traître Ganelon, beau-frère de Charlemagne et beau-père de Roland qui a organisé le guet-apens par jalousie, sera jugé, condamné à mort et supplicié.

« Après la panse [bonne chère] vient la danse [divertissement]. »138

Dicton populaire. Dictionnaire de l’Académie française (1694), au mot « panse »

Le Littré confirme le dicton en précisant la traduction des deux mots – mais la panse désigne aussi une partie de l’estomac d’un bovin, ou le (gros) vendre d’un humain.

Bref ! On mange, on boit, on s’amuse bien au Moyen Âge, au château comme au village, hors les temps de famine, de peste, de guerre trop souvent mis en exergue.

« Après qu’il fut quelque peu affaibli et chu en vieillesse [devenu vieux], [Philippe Auguste] n’épargna pas son fils, il l’envoya par deux fois en Albigeois à grand ost pour détruire la bougrerie de la gent du pays. »204

Grandes Chroniques de France

Devenu roi, Louis VIII le Lion ne règne que trois ans (1223-1226). Il poursuit cette croisade intérieure et remporte par ailleurs des succès contre les Anglais d’Henri III. La croisade contre les Albigeois est l’un des épisodes sanglants de l’histoire de France. Le Dauphin Louis est allé mettre en vain le siège devant Toulouse, en 1219. Mais il prend Marmande, la même année.

« Grand ost » désigne l’armée au complet et « bougrerie » désigne ici l’« hérésie des bougres », avant de désigner toute débauche contre-nature, dont l’homosexualité longtemps considérée comme un péché. Bougre va réapparaître sous la Révolution, avec bigre, forme atténuée - les deux mots faisant également office de jurons toujours en cours.

« Bien est France abâtardie !
Quand femme l’a en baillie. »209

Hugues de la FERTÉ (première moitié du XIIIe siècle), pamphlet. Étude sur la vie et le règne de Louis VIII (1894), Charles Petit-Dutaillis

« … Rois, ne vous confiez mie / À la gent de femmenie / Mais faites plutôt appeler / Ceux qui savent armes porter. » Le langage médiéval, même « adapté » pour être lisible, reste d’une originalité constante avant l’explosion culturelle de la Renaissance.

Hugues de la Ferté et Hugues de Lusignan sont auteurs de couplets cinglants contre Blanche de Castille, régente à la mort de Louis VIII (1226), détestée des grands vassaux et assez forte pour les mater. Pressentant leur fronde, elle a fait sacrer à Reims son fils Louis (11 ans), le futur Saint Louis, sans attendre que tous les grands barons soient réunis. En 1234, les deux Hugues, soutenus par le roi d’Angleterre, participent avec Raymond VII de Toulouse à une révolte féodale. L’aventure se terminera par la soumission des vassaux et la trêve signée avec le roi d’Angleterre.

La France sort plus grande et renforcée, après les dix ans de régence de cette femme qui a toutes les qualités (et les défauts) des grands hommes politiques. Pour la petite histoire, ajoutons que Thibaut le Chansonnier, trouvère de treize ans son cadet, tombera passionnément amoureux de Blanche, 38 ans (et 12 grossesses), et se ralliera à sa cause.

« Le roi doit seigneurier [exercer le pouvoir] au commun profit du peuple. »263

CHARLES V le Sage (1338-1380). Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby

Le règne de ce roi marque un temps de répit relatif pour la France.

Entouré d’excellents conseillers, souverain plus intellectuel que guerrier, il exprime l’un des aspects fondamentaux de la fonction royale : l’exercice de l’autorité est subordonné à l’intérêt de la communauté publique. Il ajoute : « Le respect de cette maxime et l’attention aux sages conseils caractérisent la bonne policie [politique]. » Cette règle va demeurer une des limites au pouvoir réputé absolu du roi, jusque sous le règne de Louis XIV.

« Temps de douleur et de tentation.
Âge de pleur, d’envie et de tourment.
Temps de langueur et de damnation.
Âge mineur, près du définement [fin, mort ]. »264

Eustache DESCHAMPS (vers 1346-vers 1406). Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1987), Georges Duby, Jacqueline Beaujeu-Garnier

Écuyer, magistrat, diplomate et poète prolixe (quelque 80 000 vers à son actif), inventeur de la ballade – ou du moins l’un des meilleurs précurseurs du genre –, il évoque ici en quatre vers les horreurs de cette « guerre de Cent Ans » qui va ravager la France, de 1337 à 1453 (avec nombre de pauses militaires et calendaires). C’est l’une des périodes les plus sombres de notre Histoire.

« Le roi Jean était souvent hâtieux, dans sa haine. »292

Jean FROISSART (vers 1337-vers 1400), Chroniques

Philippe VI meurt le 22 août 1350, après avoir acheté le comté de Montpellier et rattaché le Dauphiné à la couronne, laissant pourtant le royaume dans un triste état. Son fils, Jean II, dit le Bon (le brave, l’intrépide) est couronné le 26 septembre 1350 à Reims. Son règne s’ouvre sur un drame qui illustre le trait de caractère dénoncé par le chroniqueur.

Raoul de Brienne, « un des plus glorieux chevaliers du royaume », connétable de France, prisonnier au siège de Cane en 1346, est relâché par les Anglais sans demande de rançon. De là à le croire traître… Le nouveau roi est trop heureux d’écouter ces ragots, d’autant qu’il le soupçonne d’avoir été jadis amant de sa première épouse. Quand le connétable se présente devant la cour pour rendre hommage au nouveau roi, il le fait saisir par ses sergents, jeter dans les cachots du Louvre pour l’en extraire deux jours plus tard et « sans loi et sans jugement » le faire décapiter le 18 novembre 1350.

« [Ils] pillent, ardent [brûlent], rançonnent, destruent [détruisent] tout le pays, mettent à mort et tiennent prisonniers tous les hommes et ravissent et déshonorent toutes les femmes qu’ils peuvent trouver. »303

Chroniques du Laonnois. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Guerre de Cent ans : mêmes événements et témoignages comparables en Normandie, Bourgogne, Languedoc et un peu partout en France. Les mercenaires recrutés par les divers belligérants constituent des bandes solidement armées, qui refusent de se dissoudre en cas de trêve ou de paix et forment les Grandes Compagnies. La plupart sont retranchées dans des forteresses qu’elles ont conquises et d’où elles s’élancent pour piller et rançonner alentour. Ce brigandage d’une cruauté et d’une rapacité sans bornes devient l’un des pires fléaux du Moyen Âge.

« Les clercs qui ont sagesse, on ne peut trop honorer, et tant que sagesse sera honorée en ce royaume, il continuera à prospérité, mais quand déboutée y sera, il décherra [déchoir - au futur]. »307

CHARLES V le Sage (1338-1380). Livre des faits et bonnes mœurs du sage roi Charles le Quint, Christine de Pisan

Le nouveau roi est porté sur les choses de l’esprit, différent en cela de son père Jean II le Bon et de la plupart des chevaliers de l’époque. Passionné de philosophie et de science, d’astrologie, médecine et mathématique, il protège l’Université de Paris et crée une grande « librairie », ancêtre de notre Bibliothèque Nationale, d’où son surnom de Sage (qui signifie savant).

« Vainqueur de gens et conquéreur de terre,
Le plus vaillant qui onques [jamais ] fut en vie,
Chacun pour vous doit noir vêtir et querre [chercher des habits de deuil].
Pleurez, pleurez, fleur de la chevalerie. »315

Eustache DESCHAMPS (vers 1346-vers 1406), Ballade sur le trépas de Bertrand Du Guesclin

Capitaine puis connétable, ce guerrier incarna le sentiment patriotique naissant au cours de la guerre de Cent Ans.

D’une laideur remarquable et d’une brutalité qui fit la honte de sa famille, le « Dogue noir de Brocéliande » gagna le respect de la noblesse, par son courage, sa force et sa ruse, pour devenir le type du parfait chevalier, héros populaire dont poèmes et chansons célèbrent les hauts faits. Cette ballade est l’œuvre la plus connue d’Eustache Deschamps.

« Vous, hommes d’Angleterre, qui n’avez aucun droit en ce royaume, le roi des Cieux vous mande et ordonne par moi, Jehanne la Pucelle, que vous quittiez vos bastilles et retourniez en votre pays, ou sinon, je ferai de vous un tel hahu [dommage] qu’il y en aura éternelle mémoire. »341

JEANNE d’ARC (1412-1431), Lettre du 5 mai 1429. Présence de Jeanne d’Arc (1956), Renée Grisell

Le 4 mai, à la tête de l’armée de secours envoyée par le roi et commandée par le Bâtard d’Orléans (jeune capitaine séduit par sa vaillance, et fils naturel de Louis d’Orléans, assassiné), Jeanne attaque la bastille Saint-Loup et l’emporte. Le 5 mai, fête de l’Ascension, on ne se bat pas, mais elle envoie par flèche cette lettre.

Le 7 mai, elle attaque la bastille des Tournelles. Après une rude journée de combat, Orléans est libérée. Le lendemain, les Anglais lèvent le siège. Toute l’armée française, à genoux, assiste à une messe d’action de grâce. C’est presque le commencement de la fin de la guette de Cent Ans, en tout cas, le retour de l’espoir, côté français.

« Mais où sont les neiges d’antan [du temps passé] ?
Et Jeanne la bonne Lorraine
Qu’Anglais brûlèrent à Rouen ? »350

François VILLON (vers 1431-1463), Le Grand Testament, Ballade des dames du temps jadis (1462)

Un des premiers poètes rendant hommage à Jeanne d’Arc est Villon, né (vraisemblablement) l’année de sa mort. La mélancolique expression des « neiges d’antan » est passée dans le langage (presque) courant.

« L’Universelle aragne [araignée] »

Charles le Téméraire, duc de Bourgogne (1433-1477) qualifiant ainsi Louis XI, le dernier roi du Moyen Âge

Louis XI propose au Téméraire de discuter les termes de la paix, à Péronne. L’entrevue commence le 9 octobre 1468. Le Téméraire se méfie du roi qu’il va qualifier d’« universelle aragne », sachant attirer dans sa toile tous ses ennemis. Le surnom lui est resté dans l’Histoire.

Cette forme archaïque sera reprise aux XVII et XVIIe siècles, sous la plume d’auteurs majeurs.

« Il n’est rien, dit l’aragne, aux cases qui me plaise (…) / La pauvre aragne n’ayant plus/  Que la tête et les pieds, artisans superflus, / Se vit elle-même enlevée. » La Fontaine, Fables, La Goutte et l’araignée. 

« Ils descendent assurément de ces aragnes carnassières. » Voltaire, Lettre au marquis d’Argenson, Correspondance. Allusion aux souverains comparés à des araignées dont les plus grosses dévorent les petites.

« Et quand Anglais furent dehors
Chacun se mit en ses efforts
De bâtir et de marchander [commercer]
Et en biens superabonder. »359

Guillaume LEDOYEN (vers 1460-vers 1540), Chronique rimée de Guillaume Ledoyen, notaire à Laval au XVe siècle. Le Sentiment national dans la guerre de Cent Ans (1928), Georges Grosjean

1553. Les Anglais ont abandonné toutes leurs possessions sur le continent (sauf Calais). La France respire, la confiance revient et l’ardeur au travail. Les impôts permanents et l’armée permanente, à la fois symboles et moyens d’un État reconstitué, vont permettre de rétablir l’ordre dans les villes et les campagnes. Malgré cela, la dépression économique commune à tout l’Occident freine la reprise économique pendant plus d’un quart de siècle.

La liquidation de la guerre de Cent Ans et le relèvement de la France vont occuper trois générations.

« Faites le gast [dégât] en manière qu’il n’y demeure un seul arbre portant fruit sur bout, ni vigne qui ne soit coupée. »379

LOUIS XI (1423-1483), Lettre à Ymbert de Batarnay, 10 mars 1475. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

Le roi charge son grand chambellan et fidèle conseiller de reprendre le Roussillon. Province la plupart du temps sous domination française de 1462 à 1492, ses villes connurent un bel essor économique, surtout Perpignan. Jean d’Aragon, comte de Barcelone, l’a laissée en gage à Louis XI et le Roussillon a été uni au Domaine, le 16 juin 1463, mais il se révolte durant l’été 1472 et Jean d’Aragon en profite pour y rétablir son autorité.

Perpignan vit un terrible siège de huit mois, d’où son titre de Fidelissima vila (Fidèle Ville) donné par Jean d’Aragon. Une partie de la population émigra ensuite vers Barcelone, pour échapper à la répression. La reconquête est si dure que la province est nommée « le cimetière aux Français ». Louis XI se fait craindre et se soucie peu de se faire aimer. Sa devise reflète ce trait de caractère : « Qui s’y frotte, s’y pique. » Mais l’emblème est le chardon - non pas le hérisson.

« J’ai vu le roi d’Angleterre
Amener son grand ost [armée]
Pour la française terre
Conquérir bref et tost [vite].
Le roi, voyant l’affaire,
Si bon vin leur donna
Que l’autre, sans rien faire,
Content, s’en retourna. »381

Chanson qui met en scène Édouard IV et Louis XI, été 1475. Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby

La joie des Français éclate et comme souvent, la chanson dit vrai et vaut gazette : Louis XI régala « son cousin » Édouard IV de bonne chère à Picquigny, après avoir saoulé de bonnes barriques et gavé de bonnes viandes qui donnent envie de boire l’armée anglaise, en attente de ravitaillement. Cela fait aussi partie de la diplomatie.

Il n’en fallait pas plus, et pas moins, pour sceller la nouvelle entente des deux rois et des deux pays. Édouard IV, qui a renoncé à son alliance avec le Téméraire, rembarque avec son armée. Et l’Angleterre est rendue à sa vocation insulaire – elle garde seulement Calais et défendra cette citadelle anglaise jusqu’en 1558.

RENAISSANCE et GUERRES DE RELIGION

« Si nous voulons avoir continuellement auprès de nous notre très chère et très aimée sœur la dame de Beaujeu et si nous prenons toute entière confiance en elle, personne ne s’en doit merveiller [étonner], vu que plus proche ne nous pourrait être par lignage [ascendance] ni plus fidèle par amitié. »418

CHARLES VIII l’Affable (1470-1498), Lettre à Louis d’Orléans, 30 janvier 1485. Essai sur le gouvernement de la Dame de Beaujeu : 1483-1491 (1970), Paul Pélicier

Cette réponse à son cousin lui est sans nul doute dictée par sa sœur Anne et son époux Pierre de Beaujeu. Ils veillent sur le trop jeune roi et assurent la régence, après la mort de Louis XI. Louis d’Orléans prend alors la tête d’une révolte des nobles contre la régente en titre. La « Guerre folle » commence, elle va durer trois ans.

« Sonnez, trompettes et clairons
Pour réjouir les compagnons
Bruyez bombardes et canons
Donnez des horions,
Tous gentils compagnons
Suivez, frappez, tuez. »440

Chanson de Marignan, 1515. Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby

1515, Marignan, date célèbre dans l’Histoire de France. C’est la première victoire du règne de François Ier, parfaite incarnation de la Renaissance française au plan culturel et militaire.

Le patriotisme précède le mot même de patrie : il inspire d’innombrables hymnes et odes à la France, signés des plus grands poètes du temps (tel Ronsard), mais il éclate aussi dans les chansons qui accompagnent chaque haut fait des armées françaises. Précisons que les « bombardes » étaient de gigantesques lance-pierres particulièrement bruyants et les « horions » des coups violents.

« Bataille de géants », selon témoins et chroniqueurs, Marignan est également un carnage (toujours selon les critères de l’époque) : 14 000 Suisses tués, 2 500 Français et Vénitiens.

« Plus j’ai d’amour, plus j’ai de fâcherie [chagrin],
Car je n’en vois nulle autre réciproque ;
Plus je me tais et plus je suis marrie [désolée]… »

Marguerite de NAVARRE (1492-1549), Dizains

Sœur de François Ier, Marguerite de Valois-Angoulême deviendra reine de Navarre par son second mariage.

C’est une femme de lettres fort admirée de son temps, surnommée la Marguerite des Marguerites, la Dixième des muses, la Perle des Valois. Mais elle fut d’abord diplomate, apportant son aide à son frère vaincu par Charles-Quint et prisonnier à Pavie (1525) dix ans après la victoire de Marignan. Elle prit ensuite le parti des « réformateurs » (futurs protestants) contre la politique royale, prêchant la tolérance et retardant les premières mesures répressives, ce qui n’empêchera pas les guerres de Religion à venir. Elle tente aussi une réconciliation impossible avec Charles Quint, l’empereur enivré de sa propre puissance – avant son abdication.

Elle se replie désormais sur sa cour de Navarre, devenant une mécène fort aimée des auteurs qui lui dédient leurs œuvres, à commencer par le grand Rabelais. La reine est elle-même reconnue pour ses écrits, poèmes, théâtre, et surtout l’Heptaméron (recueil de 72 nouvelles racontées en sept journées, la huitième restant incomplète).

« C’est pourquoi fault ouvrir le livre et soigneusement peser ce que y est déduict […] Puis, par curieuse leçon et méditation fréquente, rompre l’os, et sugcer la substantificque moelle. »;

François RABELAIS (vers 1494-1553), Gargantua (1534), Prologue

Moine et pourtant anticlérical, médecin et fort bon vivant, traducteur devenu auteur traitant de thèmes sérieux, mais maniant l’humour et la satire, savant en maints domaines et tutoyant les Anciens de l’Antiquité gréco-romaine, quoique fort curieux de la culture populaire, c’est plus que tout un humaniste de la Renaissance, épris de tolérance et amoureux de la Vie sous toutes ses formes.

Il a créé le géant Pantagruel qui l’a lancé en littérature et deux ans plus tard Gargantua, son géant de père. Restent les deux adjectifs à leur image, « gargantuesque » et « pantagruélique » désignant souvent des festins gigantesques. Des cinq livres de son œuvre, Gargantua est le plus polémique et sans soute le plus riche. D’où l’invitation à « sucer la substantifique moelle », l’une des innombrables expressions imagées que nous devons aujourd’hui encore à Rabelais. Voici les plus frappantes, entre autres citations également connues. La plupart n’ont pas besoin d’explication, mais la traduction éclaire certains mots.

« Rire est le propre de l’homme. »

François RABELAIS (vers 1494-1553), Gargantua (1534), Avis aux lecteurs

« Mieulx est de ris que de larmes escripre ,/ Pour ce que rire est le propre de l’homme. » L’auteur annonce la couleur : comique, oui, mais également philosophique. C’est ce mélange qui donne sa valeur à l’œuvre. Cela explique aussi le nombre de proverbes tirés de Rabelais, source authentiquement inépuisable de citations (souvent savoureuses de surcroît).

« Péter plus haut que son cul. »

François RABELAIS (vers 1494-1553), Gargantua (1534)

“Celui-là qui veut péter plus haut qu’il n’a le cul doit d’abord se faire un trou dans le dos.” Cité dans Le Robert. D’où le proverbe : « Il ne faut pas vouloir péter plus haut que son cul. » Avis aux prétentieux qui sont légion en tout temps et toute région, méprisables et ridicules.

« Ne clochez [boitez] pas devant les boiteux. »

François RABELAIS (vers 1494-1553), Gargantua (1534)

Autrement dit, « il ne faut pas se mesler d’un mestier devant les gens qui en sçavent plus que nous » selon le (premier) Dictionnaire de l’Académie française édité au XVIIe siècle.

« Nature n’endure soudaines mutations [changement radical, du latin mutare] sans grande violence. »

François RABELAIS (vers 1494-1553), Gargantua (1534)

C’est le médecin qui parle, mais aussi le philosophe observateur des mœurs et des gens.

« Oignez [caressez]vilain, il vous poindra [blessera] ; poignez [battez] vilain, il vous oindra. »

François RABELAIS (vers 1494-1553), Gargantua (1534)

Soyez aimable avec un grossier personnage, vous n’en recevrez que des mauvaises choses ; traitez-le avec fermeté, vous en obtiendrez tout ce que vous voulez, telle est la moralité de ce proverbe. Ou pire encore, faites plaisir à un méchant, il vous poignardera ; faites-lui du mal, il vous obéira.

« Selon le sage Salomon, sapience [sagesse et science] n’entre point en âme malivole [qui veut le mal] et science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

François RABELAIS (vers 1494-1553), Gargantua (1534)

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », encore un proverbe, cette fois emprunté tel quel à Rabelais qui fut aussi savant en maints domaines et médecin à l’origine. Ce cumul de talents caractérise les grands Noms de la Renaissance, dans le domaine des arts et lettres, mais aussi des sciences. Jusqu’au XVIIIe siècle, « l’honnête homme » pourra encore rêver au savoir encyclopédique, opposé à la spécialisation extrême de règle aujourd’hui.

« Il disait qu’il n’y avait qu’une antistrophe [sorte d’anagramme] entre femme folle à la messe et femme molle à la fesse. »

François RABELAIS (vers 1494-1553), Gargantua (1534)

L’humour rabelaisien n’épargne naturellement pas les femmes, non plus que la religion, ce qui lui attirera les foudres de la censure – les théologiens de la Sorbonne à Paris sont particulièrement intolérants au XVIe siècle, mais à Genève, le réformateur Calvin ne sera pas moins sévère contre ce genre de paroissien.

« Guerre faite sans bonne provision d’argent n’a qu’un soupirail de vigueur. Les nerfs des batailles sont les pécunes [pièces de monnaie, argent]. »465

François RABELAIS (vers 1494-1553), Gargantua (1534)

Dans son Gargantua, l’auteur aborde des questions sérieuses comme la guerre. Notons au passage l’origine de l’expression « nerf de la guerre », reprise telle qu’elle par la reine Catherine de Médicis dans une Lettre à l’ambassadeur d’Espagne (août 1570) : « L’argent est le nerf de la guerre. » La métaphore va faire fortune dans l’histoire : les guerres sans fin recommencées sont ruineuses. Le XVIe siècle bat néanmoins le record historique de 85 années de guerre en Europe, avec des effectifs croissants et des armes toujours perfectionnées.

« Une guerre picrocholine. »

François RABELAIS (vers 1494-1553), Gargantua (1534)

L’auteur ridiculise le roi Picrochole, sa folie ambitieuse qui le pousse aux guerres de conquête déclenchée pour des motifs futiles. Le nom de Picrochole renvoie à la bile amère ou acariâtre, la colère étant supposée due à un réchauffement de bile. Charles Quint est visé, le grand ennemi de la France. Rabelais l’oppose au bon roi Grandgousier (père de Gargantua), pacifique et prudent, conscient de ses devoirs vis-à-vis de ses sujets et animé d’une vraie fraternité chrétienne. Mais pour mener cette politique, il faut être fort, donc disposer d’une armée permanente – allusion à la politique militaire de François Ier.

« Le peuple de Paris est tant sot, tant badaud et tant inepte de nature qu’un bateleur, un porteur de rogatons [reliques], un mulet avec ses cymbales [clochettes], un vielleux [joueur de vieille] au milieu d’un carrefour, assemblera plus de gens que ne fera un prêcheur évangélique. »

François RABELAIS (vers 1494-1553), Gargantua (1534)

Jugement sévère contre la capitale du royaume, vue par ce natif du Val de Loire où s’épanouit la vie culturelle de l’époque : « Car je suis né et été nourri jeune au jardin de France : c’est Touraine » écrit Rabelais. Le peuple de Paris aura mauvaise réputation jusqu’à la Révolution. C’est une « grosse bête » qu’il faut se garder d’éveiller, selon Richelieu. Son successeur Mazarin en fera les frais, avec la Fronde – cinq ans de guerre civile – en attendant la Révolution.

« Les moutons de Panurge. »

François RABELAIS (vers 1494-1553), Pantagruel (1532)

Dans la geste rabelaisienne, Pantagruel rencontre Panurge (bon à tout faire quoique méchant farceur) qui devient son ami.

Les « moutons de Panurge » sont les gens qui suivent aveuglément l’exemple des autres, locution empruntée à la scène où, Panurge jetant dans la mer un des moutons de Dindenault, tous les autres moutons et Dindenault lui-même s’y précipitent à la suite et périssent : « Panurge sans aultre chose dire jette en pleine mer son mouton criant et bellant. Tous les aultres moutons crians et bellant en pareille intonation commencerent soy jecter et saulter en mer aprés à la file. La foulle estoit à qui premier y saulteroit aprés leur compaignon. »

Bref, on s’amuse comme on peut…

« La tête perdue, ne périt que la personne ; les couilles perdues, périrait toute humaine nature. »

François RABELAIS (vers 1494-1553), Le Tiers Livre (1546)

Après Gargantua et Pantagruel, deux chefs d’œuvres présentés sous forme de chroniques, Le Tiers Livre est surtout un dialogue entre deux personnages, Pantagruel le bon géant humaniste et son ami Panurge, devenu riche et plus débauché que nature, habité par son appétit sexuel, mais hésitant à se marier par peur d’être cocu.

On va recourir à toutes les méthodes divinatoires pouvant le rassurer – dont l’interprétation des rêves. Panurge qui se croit plus savant est surtout plus pédant, alors que Pantagruel, avec l’âge, a perdu son exubérance de géant pour devenir plus sage.

Ils décideront finalement de prendre la mer pour aller interroger l’oracle de la Dive Bouteille…

« La Dive [divine] Bouteille. »

François RABELAIS (vers 1494-1553), Le Cinquième Livre (posthume)

Nom du poème en forme de prière adressée par Panurge à cette divine invention : « Comme par la magie d’une mystérieuse évocation, la figure de cette divinité délectable mais aux étranges relents, dont Bacbuc est la prêtresse (Bacbuc » : nom de la bouteille en hébreu, bruit qu’elle fait quand on la vide) surgit au moment même où l’initié s’adresse à elle pour connaître le fin Mot de sa quête. Dans la boisson (et l’ivresse), on trouve la Vérité.

Moins comique et plus philosophique, la paternité de cette dernière œuvre inachevée n’est pas certaine. Reste une œuvre considérable qu’on ne finira jamais d’interroger !

« Le Grec vanteur la Grèce vantera
Et l’Espagnol l’Espagne chantera
L’Italien les Itales fertiles,
Mais moi, François, la France aux belles villes. »388

Pierre de RONSARD (1524-1585), Hymne de France (1555-1556)

Ce poète est le deuxième génie littéraire de la Renaissance française – le troisième à venir sera Montaigne, le philosophe.

Renonçant à la carrière des armes et à la diplomatie pour cause de surdité précoce, le jeune « écuyer d’écurie » entre dans la carrière des lettres et fait l’éloge de la France - thème classique à l’époque, expression d’un sentiment national profond, sensible en d’autres régions, mais plus intense en cette terre bénie des dieux, faite d’équilibre et de charme, et qui inspirera, le danger revenu avec les guerres étrangères et civiles, des chansons déjà patriotiques et les Discours enflammés d’une littérature engagée.

« Supplie très humblement ceux auxquels les Muses ont inspiré leurs faveurs de n’être plus latiniseurs ni grécaniseurs, comme ils sont plus par ostentation que par devoir, et prendre pitié, comme bons enfants, de leur pauvre mère naturelle. »394

Pierre de RONSARD (1524-1585), Préface de La Franciade (1572)

Jusqu’au cœur des guerres de Religion, le combat pour le français, langue en pleine évolution, continue. Il sera gagné à la fin du siècle, contribuant à faire l’unité de la France. Mais au-delà des débats théoriques, Ronsard le créateur de la Pléiade reste comme le premier Prince des poètes et le poète des Princes. Plus que tout autre à la Renaissance, il possède cet art de célébrer l’Amour qui le poussera à écrire de sa jeunesse jusqu’au terme de sa vie.

« Mignonne, allons voir si la rose / Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil, / A point perdu cette vesprée [ce soir]
Les plis de sa robe pourprée, / Et son teint au vostre pareil.
(…) Donc, si vous me croyez mignonne, / Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté, / Cueillez cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse / Fera ternir vostre beauté. »:

Pierre de RONSARD (1524-1585), Ode à Cassandre (1550)

Vêprée (ou vesprée) vient de vêpres, office religieux du soir, et désigne plus généralement la fin du jour.

À vingt ans, le poète rencontre Cassandre Salviati, fille d’un banquier italien. C’est déjà une méditation sur la vieillesse et la mort, autrement dit le temps qui passe si vite.

Ce thème récurrent se retrouvera dans son Sonnet à Hélène (1578) : « Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain : / Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie. » C’est une commande de Catherine de Médicis, pour consoler sa fille d’honneur après la perte de son amant mort à la guerre. C’est aussi l’amour platonique du poète qui rappelle l’art de Pétrarque, premier humaniste de la Renaissance italienne, érudit épris de l’Antiquité classique.

Ce « carpe diem » très inspiré des Anciens (grecs et latins) est symbolique du style de la Renaissance et de tout ce siècle si pressé de vivre, de « jouir ou tuer » (Jules Michelet), aussi obsédé par l’idée de la mort qu’enchanté par l’amour.

« J’ai les yeux tout battus, la face toute pâle,
Le chef grison et chauve et si [pourtant] n’ai que trente ans. » 

Pierre de RONSARD (1524-1585), Amours de Marie, chanson (1556)

Trente ans, poète déjà si vieux d’apparence et toujours épris d’une jeune femme morte à quinze ans… qu’il rend ainsi immortelle.

« Je n’ai plus que les os, un squelette je semble
Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé. »

Pierre de RONSARD (1524-1585), Derniers vers, sonnet (publié en 1586)

Précisions quasi anatomiques d’une vieillesse arrivée à son terme extrême. Ronsard meurt le 27 décembre 1585 au prieuré de Saint-Cosme de Tours. Deux mois plus tard, à Paris, il a droit à des funérailles solennelles : c’est le premier poète français à être ainsi honoré.

Un autre poète du petit groupe de la Pléiade va rester dans l’histoire de la langue française pour son amour du chat – on peut même dire qu’il lance la mode en immortalisant « Belaud la mort aux rats », présumé Chartreux.

« Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ; / J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure. / J’ai grands ennuis entremêlés de joie.
Tout à un coup je ris et je larmoie, / Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ; / Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène ; / Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine. / Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur [bonheur], / Il me remet en mon premier malheur. »

Louise LABÉ (1524-1566), Je vis, je meurs, Sonnets (1555)

Dite « la Belle Cordelière » (fille et femme de cordiers), on ignore tout de son « énigmatique adolescence ». Poétesse de la Renaissance, son œuvre se résume à 662 vers, dont ce célèbre Sonnet sur l’Amour dans tous ses états. Nul besoin de traduire cette langue déjà semblable à la nôtre. Nombre de poètes contemporains nous parlent moins clairement…

(…) Belaud mon petit Chat gris : / Belaud, qui fut par avanture
Le plus bel œuvre que Nature / Fit onc [jamais] en matière de Chats (…)
Le col [cou] grasset, courte l’oreille, / Et dessous un nez ébenin [couleur d’ébène]
Un petit mufle lionnin [léonin, évoquant le lion],  Autour duquel était plantée
Une barbelette argentée, / Armant d’un petit poil folet
Son musequin [museau, minois]  damoiselet [de damoiseau, jeune noble] ; (…)
La gorge douillette & mignonne ; / La queue longue à la guenonne [comme la guenon],
Mouchetée diversement / D’un naturel bigarement [de couleurs variées] ;
Le flanc haussé, le ventre large, / Bien retroussé dessous sa charge (…)
Tel fut Belaud, la gente bête, / Qui des pieds jusques à la tête,
De telle beauté fut pourvu, / Que son pareil on n’a point vu (…)
Quel plaisir, quand sa tête sotte [écervelée] / Suivant sa queue en mille tours,
D’un rouet imitait le cours ! / Ou quand, assis sur le derrière
Il s’en faisait une jartière ; / Et montrant l’estomac velu,
De panne [étoffe de soie à trame de coton] blanche crêpelu [ondulé], / Semblait, tant sa trogne [gueule] était bonne,
Quelque Docteur de la Sorbonne ! / Ou quand, alors qu’on l’animait,
À coups de patte il escrimait, / Et puis apaisait sa colère,
Tout soudain qu’on lui faisait chère [donnait à manger].

Joachim DU BELLAY (1522-1560), Épitaphe d’un chat

Extrait de la plus originale et longue épitaphe signée d’un poète réputé être mort du chagrin d’avoir perdu son chat, compagnon irremplaçable de tous les instants de sa vie. Du Bellay est l’un des premiers « intellectuels » passionnés de chats, Montaigne sera le deuxième d’une longue liste.

Le texte est savoureux, d’autant plus que nombre de mots qui n’ont plus cours de nos jours font toujours image. Mais la traduction s’impose parfois.

« Quels fols sont ceux-ci, qui s’entr’aiment aujourd’hui et s’entre-tuent demain ! »504

Mot des reîtres au service du prince de Condé. Discours politiques et militaires (1587), François de la Noue

Les guerres de Religion vont déchirer la France. Ces cavaliers mercenaires d’origine le plus souvent allemande s’étonnent de voir les catholiques et les réformés de France un jour s’embrasser, le lendemain se battre avec fureur. Mais le chroniqueur qui rapporte ce fait reconnaît que « certes il est malaisé de voir ses parents et amis, et ne s’émouvoir point ».

François, seigneur de La Noue, est né en Bretagne en 1531. D’abord au service du roi de France, il se convertit très tôt à la Réforme (1558) et prend part aux guerres de Religion, aux côtés des huguenots. Il perd son bras gauche et gagne le surnom de Bras de Fer. Il finit par concilier, non sans mal, l’obéissance au roi et le respect de la foi réformée. Ce n’est jamais un fanatique, comme il y en a tant à cette époque, chez les militaires comme chez les théologiens.

Je connais toute malheureté au monde
Je ne vois que toute erreur et horreur
Courir ainsi que fait l’onde. »557

Chanson du Printemps retourné (vers 1586). Anonyme

La chanson reprend le poème célèbre de Ronsard : « Quand ce beau printemps je vois… » Et elle détourne les vers. C’en est fini de ce temps (qui n’était déjà pas si calme). La Ligue (ultra catholique) sème le vent et va récolter la tempête, cependant que la littérature s’apitoie sur la France à nouveau déchirée par les guerres de Religion.

« Je peins principalement mes cogitations [pensées], sujet informe. »

MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580)

Troisième auteur majeur après Rabelais et Ronsard, Montaigne s’exprime sur un tout autre registre, réellement original, dans un genre qu’il crée et qui fera école dans notre littérature jusqu’à nos jours. « Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre : ce n’est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain. » Bel aveu et fausse modestie qui va de pair avec sa fameuse devise résumant l’essentiel de sa philosophie : « Que sais-je ? »

« Nous devons la sujétion et l’obéissance également à tous les Rois, car elle regarde leur office ; mais l’estimation [estime], non plus que l’affection, nous ne les devons qu’à leur vertu [force morale]. »

MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580)

Quant au fond, on croirait lire Montesquieu dans l’Esprit des lois et les autres philosophes des Lumières. Preuve que Montaigne ne s’intéresse pas seulement à sa personne ! Politiquement, il s’est engagé dans le camp de la tolérance et d’Henri de Navarre, futur roi Henri IV. Il fut aussi maire de Bordeaux, avec beaucoup de conscience, avant de retirer dans sa tour, au sens propre et figuré, en son château à son nom, demeure familiale dans l’actuel département de la Dordogne.

« Ceux qui donnent le branle à un État sont volontiers les premiers absorbés en sa ruine. »

MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580)

Encore une pensée politique applicable à son époque, mais la portée en est plus générale et aujourd’hui encore, on devrait lire Montaigne et le citer à bon escient.

« J’estime tous les hommes mes compatriotes et embrasse un Polonais comme un Français, postposant [subordonnant] cette liaison nationale à l’universelle et la commune. »

Général Gaston de GALLIFFET (1830-1909), 3 avril 1871. Histoire socialiste, 1789-1900, volume XI, La Commune, Louis Dubreuilh, sous la direction de Jean Jaurès (1908)

Leçon de tolérance toujours bonne à entendre, quelle que soit la situation historique ou personnelle.

« La douleur se rendra de bien meilleure composition à qui lui tiendra tête. Il se faut opposer et bander contre. »

MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580)

L’homme parle en connaissance de cause, ayant souffert à partir de 45 ans de calculs urinaires, malgré des cures thermales à répétition. Il souffrit aussi de la gravelle dont mourut son père. Il continua de travailler et de voyager à cheval – très bon cavalier, il chevauchait des heures durant pour s’endurcir le corps et nourrir son esprit.

« Pour s’apprivoiser à la mort, je trouve qu’il n’y a que de s’en avoisiner. »

MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais

Le penseur va plus loin : « Philosopher, c’est apprendre à mourir. » Mais son voisinage, son dialogue avec la mort est d’une autre nature que chez les poètes de la Renaissance ou les grands noms du romantisme au XIXe siècle. Montaigne est un sage, comme tout bon philosophe par définition même « ami de la sagesse ». 

« L’avaricieux a plus mauvais compte de sa passion que n’a le pauvre, et le jaloux que le cocu. »

MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580)

Dans L’Avare, Molière reprendra ce mot qui rend la chose beaucoup plus terrible, à la fois vice dramatique et péché mortel. Le bon sens des deux auteurs est en cela comparable.

« Faites ordonner une purgation à votre cervelle, elle sera mieux ordonnée qu’à votre estomac. »

MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais

Encore un mot de bon sens que Molière aurait pu signer, fond et forme ! Autant dire que le bon sens n’est pas la chose la mieux partagée du monde et qu’il faut toujours le prêcher, même si c’est en vain.

« Qui a jamais cuidé [cru] avoir faute [manquer] de sens ? »,

MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580)

Le spectacle des erreurs humaines est un éternel recommencement et l’observateur qui en a conscience peut en tirer profit. La philosophie bien comprise et vécue est ainsi d’une utilité quotidienne et Montaigne pourrait être le précurseur de la littérature « Feel-Good ».

« La plupart de nos vacations [occupations] sont farcesques. Il faut jouer dûment notre rôle, mais comme rôle d’un personnage emprunté. »

MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580)

Prise de distance avec soi-même, distanciation chère à certaine conception du théâtre qui vaut également en littérature, l’ami Montaigne est décidément proche de nous.

« Le monde n’est qu’une branloire [machine en mouvement] perenne [permanente]. »

MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580)

Et « Tout ce qui branle ne tombe pas. » Reste « la nihilité de l’humaine condition. »

Lire, relire et méditer sur Les Essais, ce que Montaigne fit inlassablement jusqu’au terme de sa vie. Cela peut profiter à chacun de nous et la raison en est simple : « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. »

« Ô Paris qui n’est plus Paris, mais une spélonque [antre] de bêtes farouches, une citadelle d’Espagnols, Wallons et Napolitains, un asile et sûre retraite de voleurs, meurtriers et assassinateurs, ne veux-tu jamais te ressentir de ta dignité et te souvenir qui tu as été, au prix de ce que tu es ! »613

Pierre PITHOU (1539-1596), Harangue de M. d’Aubray. La Satire Ménippée (1594)

C’est le passage le plus célèbre de ce pamphlet écrit pour soutenir Henri IV contre les extrémistes catholiques. Le roi hérite d’une capitale aux mains des ligueurs catholiques qui font régner la terreur et des Habsbourg qui ont des ambitions dynastiques sur la France.

« Sire, il ne faut plus tortignonner [hésiter] ! Avisez de choisir : ou de complaire à vos prophètes de Gascogne et retourner courir le guilledou [chercher des aventures galantes] en nous faisant jouer à sauve qui peut, ou de vaincre la Ligue qui ne craint rien de vous tant que la conversion… gagnant plus en une heure de messe que vous ne feriez en vingt batailles gagnées et en vingt années de périls et de labeurs. »622

Duc de SULLY (1560-1641), à Henri IV, mars 1593. La Monarchie française, 1515-1715, du roi-chevalier au Roi-Soleil (1971), Philippe Erlanger

Sully est l’un des plus anciens compagnons d’Henri IV. Ingénieur militaire, blessé à la bataille d’Ivry, c’est aussi un conseiller très écouté. Il parle ici en sage politique, étant lui-même protestant. Il sait que c’est la seule solution à cette guerre qui dure, épuise les deux partis et semble sans issue militaire.

Henri IV hésite encore. Il tient de son père Antoine de Bourbon sa versatilité, et n’est plus à une conversion près – il est vrai que le jour de la Saint-Barthélemy, c’était « la messe ou la mort ». Il doit aussi se rappeler Henri III ayant choisi de faire alliance avec lui et prophétisant juste avant de mourir : « Henri de Navarre est d’un caractère trop sincère et trop noble pour ne pas rentrer dans le sein de l’Église ; tôt ou tard, il reviendra à la vérité. »

« Jarnicoton ! ».

HENRI IV (1553-1610), « vulgarisateur médiatique » de ce juron qui eut son heure de gloire… et pourrait un jour redevenir tendance

Ex roi de Navarre et protestant converti (pour la nième et dernière fois) à la religion catholique afin de pouvoir régner sur la France, il doit obéissance à l’Église de Rome. Le pape charge les jésuites de faire l’éducation religieuse du Bourbon. À partir de 1603, le père Pierre Coton devient son prédicateur et confesseur attitré. Mais Henri IV n’est pas bon élève et bougonne souvent. Énervé, roulant les « r » en bon Béarnais, il jure volontiers, avec une préférence pour « Jarnidieu ! » (« Je renie Dieu »). Terrorisé à l’idée que l’on puisse soupçonner le roi d’être retombé dans l’hérésie huguenote, le pauvre jésuite trouve une idée astucieuse : il lui suggère de grommeler plutôt : « Jarnicoton ! » (« Je renie Coton »).

Avec les années, ce jésuite compréhensif acquit une véritable influence sur le roi. Les courtisans jaloux murmuraient qu’on ne pouvait plus rien dire à Henri IV, car il avait « du coton » dans les oreilles !

L’interjection « Jarnicoton ! » eut un tel succès à la cour qu’elle devint bientôt l’un des jurons vedettes de la langue française, certes un peu vieilli aujourd’hui…

« Sire, vous serez roi.
– Eh ! ventre-saint-gris ! dit Henri en réprimant un violent battement de cœur, ne le suis-je point déjà ? »/

HENRI IV (1553-1610) répondant à sa première épouse. Cité par Alexandre Dumas dans La Reine Margot (1845)

Autre juron attribué à Henri IV qui en faisait volontiers usage, c’est la déformation de « Vendredi-Saint » ou de « Ventre du Saint-Esprit » ainsi modifié pour éviter le blasphème. Ou encore, allusion aux Frères Gris (couleur de leur soutane), franciscains suivant les règles de vie de saint François.

« La terreur de son nom (le roi) rendra nos villes fortes :
On n’en gardera plus ni les murs ni les portes,
Les veilles cesseront au sommet de nos tours ;
Le fer mieux employé cultivera la terre,
Et le peuple qui tremble aux frayeurs de la guerre,
Si ce n’est pour danser, n’orra [n’entendra] plus de tambours. »655

François de MALHERBE (1555-1628), Prière pour le roi Henri le Grand allant en Limousin (1605)

Ces stances saluent Henri IV partant en Limousin pour y présider les Grands Jours (session d’un tribunal extraordinaire). L’agitation nobiliaire continue et il va remettre au pas les vassaux du duc de Bouillon qui arment en secret.

Cet hymne à la paix est un poème de commande : Henri IV, charmé, prend et gardera Malherbe comme poète officiel. Quant à Bouillon, prince souverain de la ville de Sedan, il se verra imposer une garnison royale (avril 1606).

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