Le CV des acteurs de l’Histoire (Révolution) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Le CV est l’acronyme du latin « curriculum vitae », déroulement de la vie. Mot courant et commode, il est parfaitement applicable aux personnages de l’Histoire en citations.

Vocation de jeunesse (dans l’armée ou le clergé, les arts ou la politique), petits boulots alimentaires, premiers ou seconds métiers (avocat, médecin, enseignant, historien, journaliste…), galères dorées ou de misère, ambition déclarée ou hasard d’une rencontre, carrière classique ou chaotique, célébrité précoce ou tardive, fin de vie brutale ou confortable, tous les cas existent ! Le destin décide souvent, c’est aussi affaire de caractère. Mais le contexte historique reste le facteur déterminant : guerres de Religion, Fronde, Révolution(s), Commune, Guerres mondiales, Mai 68.

II. La Révolution met la Politique à l’ordre du jour : vocations en chaîne et mortalité galopante.

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Période réputée la plus passionnante de notre histoire, elle crée ses propres héros et les détruit presque aussitôt – comme Saturne dévorant ses enfants. Personne n’est épargné, mais les grands noms sont particulièrement visés, les femmes et les savants également victimes. Dans ce chaos national, de brillants orateurs à la Tribune imposent les valeurs républicaines qui nous servent toujours de repères. Ce n’est pas le moindre paradoxe de notre Révolution.

27 NOMS : La Fayette – Mirabeau – Abbé Sieyès – Abbé Grégoire – Danton – Guillotin – « Louis XVII » –  Romain Desèze – Fabre d’Églantine – Vergniaud – Marat – Charlotte Corday – Hébert – Olympe de Gouges – Théroigne de Méricourt – Mme Roland – Lavoisier – Camille Desmoulins – Condorcet – François Chabot – Jacques Roux – Robespierre – Saint-Just – Jean-Baptiste Carrier – Fouquier-Tinville – Lazare Carnot – Joseph Fouché.

La Fayette : militaire enflammé, politique brouillon, républicain têtu jusqu’à la Révolution de Juillet (1830).

« Voici une cocarde qui fera le tour du monde. »1336

LA FAYETTE (1757-1834), 17 juillet 1789. Petite histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours (1883), Victor Duruy

Nommé le 15 juillet commandant de la garde nationale, il prend la cocarde bleue et rouge aux couleurs de Paris, y joint le blanc, couleur du roi et présente cette cocarde tricolore à Louis XVI, venu « faire amende honorable » à l’Hôtel de Ville de Paris. Le roi met la cocarde à son chapeau et, par ce geste, reconnaît symboliquement la Révolution.

Issu d’une grande et riche famille dont la noblesse remonte au XIe siècle, orphelin à 13 ans, héritier d’une des plus grandes fortunes de France, le jeune marquis se veut militaire, ambitieux, mais pas courtisan. Il fait deux écoles militaires en même temps (les mousquetaires Noirs du roi et l’Académie de Versailles). À 19 ans, contre l’avis de sa famille et la politique étrangère de Louis XVI, il s’embarque à ses frais sur une frégate et débarque en Amérique en juin 1777 pour se joindre aux troupes de Virginie, dans la guerre d’Indépendance des Insurgents contre l’Angleterre. Le Congrès des jeunes États-Unis d’Amérique le fait citoyen d’honneur en 1781. La France des Lumières et de la Révolution y gagne un allié pour les siècles à venir.

Élu député de la noblesse, rêvant de réconcilier le peuple avec le pouvoir royal,  il débute sa carrière parlementaire le 11 juillet 1789 en présentant le projet de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen calquée sur le modèle de la déclaration d’indépendance des États-Unis. Commandant de la Garde nationale au lendemain du 14 juillet, il protège la famille royale lors des journées d’émeutes des 5 et 6 octobre 1789 – mais il s’endort la nuit, la foule brise les grilles du château de Versailles et Mirabeau le baptisera « Général Morphée ». Le 14 juillet 1790, il organise la Fête de la Fédération qui symbolise la réconciliation de Louis XVI avec la révolution et prête serment de fidélité au roi sur le Champ de Mars. Mais après la fuite à Varennes de la famille royale en juin 1791, il sera définitivement discrédité auprès du peuple le 17 juillet, donnant l’ordre de tirer sur les manifestants du Champ de Mars venus demander l’arrestation de Louis XVI. Cet événement entraîne une crise politique. Déclaré traître à la patrie et menacé d’arrestation, il s’exile en Autriche.

Opposant à Napoléon, il reviendra sur le devant de la scène, militant pour l’abdication de l’empereur. Il joue son dernier combat militaire dans la Révolution de 1830. De nouveau commandant de la Garde nationale, rallié à la cause du duc Louis-Philippe d’Orléans, il l’accueille à l’Hôtel de Ville de Paris, lui donne l’accolade et fait de lui le roi des Français : « Voilà ce que nous avons pu faire de plus républicain », déclare-t-il.

Mirabeau : libertin débauché, prisonnier pour dettes, aristocrate déclassé sous l’Ancien Régime, ténor politique créé par la Révolution, « Torche de Provence » populaire, panthéonisé et vite dépanthéonisé.

« On ne connaît pas la toute-puissance de ma laideur. Quand je secoue ma terrible hure, il n’y a personne qui osât m’interrompre. »1291

MIRABEAU (1749-1791), Mirabeau (1891), Edmond Rousse

Ce physique impressionne tous les contemporains. Il en joue, il trouve belle cette laideur, avec ses traits marqués, criblés de petite vérole. Il soigne sa toilette, porte une énorme chevelure artistement arrangée qui grossit encore le volume de sa tête. Il se place face au miroir, se regarde parler, équarrit ses épaules. Il cultive son personnage. La puissance du verbe et la solidité de la pensée servent également le tribun : « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes. » Réponse au grand maître des cérémonies, envoyé par Louis XVI pour faire évacuer la salle du Jeu de paume, suite au Serment du 20 juin. Mirabeau lance la Révolution par ces mots…

« La nature semblait avoir moulé sa tête pour l’Empire ou pour le gibet, taillé ses bras pour étreindre une nation ou pour enlever une femme » écrit Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe. Mirabeau connut la gloire et évita le gibet –mourant dans son lit, épuisé par une vie d’excès. Il souleva le peuple par ses talents d’orateur et multiplia les conquêtes féminines. « Mirabeau est capable de tout pour de l’argent, même d’une bonne action », parole de Rivarol dans son Petit Dictionnaire des grands hommes de la Révolution (1790). Avant la Révolution, il vendait sa plume (et ses idées) comme publiciste à gages ; il vendra ensuite ses services - très cher - au roi et à la reine et sera accusé de trahison par certains députés. Fin mars 1791, il confie à Talleyrand, comme lui monarchiste constitutionnel : « Mon ami, j’emporte avec moi les derniers lambeaux de la monarchie. »
Mirabeau, l’Orateur du peuple, la Torche de la Provence, fut le premier personnage marquant de la Révolution. Le peuple prend le deuil de son grand homme qui a droit aux funérailles nationales et au Panthéon. Sa trahison sera prouvée en novembre 1792, quand l’armoire de fer où le roi cache ses papiers compromettants révélera ses secrets. Mirabeau sera aussitôt dépanthéonisé, remplacé par Marat l’Ami du peuple… qui connaîtra le même sort.

Abbé Sieyès : prêtre, chanoine, vicaire sans vocation religieuse, essayiste politique, député rallié au tiers état à la Révolution, président du Directoire, consul sous le Consulat, comte et sénateur sous l’Empire.

« Qu’est-ce que le tiers état ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? À y devenir quelque chose. »1265

Abbé SIEYÈS (1748-1836), Qu’est-ce que le tiers état (1789)

Abbé sans vocation religieuse, lecteur fervent des philosophes, célèbre par sa brochure Qu’est-ce que le tiers état ?, élu député du tiers, Sieyès n’est qu’au début d’une longue carrière politique, chose est rare en ces temps.

Homme de premier plan à la Constituante, rédacteur du Serment du Jeu de paume et de la Constitution, monarchiste constitutionnel qui vota pourtant la mort du roi en janvier 1793, Sieyès se fait oublier quand la Convention devient montagnarde, effrayé du tour pris par les événements. Robespierre le déteste et l’appelle « la taupe de la révolution ». Pendant la Terreur, la taupe se terre dans son trou et survit : « J’ai vécu » dira-t-il sous la Monarchie de Juillet - c’était quasi un exploit.

On retrouve l’abbé Sieyès très actif sous le Directoire, le Consulat, l’Empire. Porté par son ambition et servi par son flair, il saura toujours démissionner ou s’exiler au bon moment, faire les bons choix pour lui et pour la France, soutenant Napoléon Bonaparte à l’heure de son coup d’État et tirant la leçon du 18 Brumaire (novembre 1799) : « Messieurs, nous avons un maître, ce jeune homme fait tout, peut tout et veut tout. »  On ne saurait mieux dire et prédire. Le Consulat sera particulièrement brillant. Sieyès aura tous les honneurs sous l’Empire. Il s’absente sous la Restauration (à Bruxelles), rentre sous la Monarchie de Juillet et finit honoré comme un vieux sage en retraite, ayant finalement bien vécu une période fatale à tant de Noms.

Abbé Grégoire : curé de campagne, député et chef de file du bas clergé à la Constituante, défenseur des noirs et des juifs à la Convention, resté toujours fidèle à la pensée des Lumières, panthéonisé en 1989.

« La liberté, l’égalité, l’humanité venaient de faire un grand abattis dans la forêt des abus. »1342

Abbé GRÉGOIRE (1750-1831). Le Clergé de quatre-vingt-neuf (1876), Jean Wallon

Il résume l’œuvre de la Constituante et notamment les décisions de la nuit du 4 août, sanctionnées par les décrets du 5 et du 11 août 1789. C’est la fameuse abolition des privilèges. Il réclame aussi le suffrage universel (masculin) qui ne sera établi que par intermittence au fil des événements.
Prêtre ayant la foi, député du clergé aux États généraux de 1789, rallié au tiers état sous la Constituant, il prêta serment à la Constitution civile du clergé (1790) et fut à l’origine de l’émancipation des Juifs français. Évêque constitutionnel (1791), député à la Convention en 1793, révolutionnaire et républicain, il tient toujours le langage de la raison et de l’humanité : « Les hommes sensés n’imputeront jamais à la philosophie les horreurs commises en son nom sous le régime de la Terreur. »

Il joue un rôle important pour les noirs : « La Convention, sur la proposition de Grégoire, avait, en 1793, aboli la prime pour la traite des Nègres. Le 4 février 1794, elle décréta, par acclamation, l’abolition de l’esclavage dans les colonies », écrit Alfred Rambaud dans son Histoire de la civilisation contemporaine en France (1888). Rappelons que l’esclavage, rétabli en 1802, sera définitivement aboli après la Révolution de février 1848, sous la Deuxième République.

Fidèle à ses idéaux et ses idées, gallican convaincu, Grégoire s’efforça en vain, après 1795, de redonner vie à l’Église constitutionnelle. Réélu député, sénateur sous l’Empire, il s’oppose au despotisme napoléonien et démissionne de son évêché après le Concordat. Élu à nouveau député de l’Isère en 1819, les ultraroyalistes au pouvoir sous la Restauration de Charles X l’empêchèrent de siéger. Son enterrement fut le prétexte d’une grande manifestation libérale. Ses cendres ont été transférées au Panthéon en 1989, juste hommage rendu à l’« homme le plus honnête de France » (Stendhal).

Danton : clerc (avoué) chez un procureur, avocat inconnu, prodigieux orateur révélé par la Révolution, ministre de la Justice et maître de la France au début de la Convention, bientôt opposé à Robespierre.

« Le tocsin qui sonne n’est point un signal d’alarme, c’est la charge contre les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, Messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée. »1428

DANTON (1759-1794), Législative, 2 septembre 1792. Discours de Danton, édition critique (1910), André Fribourg

La fin du discours est célébrissime. « Danton fut l’action dont Mirabeau avait été la parole », écrit Hugo (Quatre-vingt-treize). Il incarne « la Patrie en danger », quand les armées étrangères menacent nos frontières.

Surnommé « le Mirabeau de la populace », Danton le bourgeois a l’art d’improviser les formules propres à galvaniser l’auditoire populaire : « Nous avons le droit de dire aux peuples : vous n’aurez plus de rois » lance-t-il à la tribune de la Convention le 28 septembre. Belle phrase « à la Danton », superbe idée révolutionnaire. L’orateur ajoute, pour être plus clair encore, que « la Convention doit être un comité d’insurrection générale contre tous les rois de l’univers », ce qui suscite quelques murmures dans l’assemblée… Cela fait, ne serait-ce qu’en Europe, beaucoup d’ennemis en puissance aux nouveaux maîtres de la France. Danton n’est pas dupe de ses formules ronflantes. Mais son tempérament impétueux l’emporte.

Bourgeois bon vivant, il proclame sans complexe : « Qui hait les vices hait les hommes », notoirement débauché, par ailleurs compromis dans certaines affaires financières. C’est l’opposé absolu de Robespierre l’Incorruptible, lui aussi avocat et révélé par la Révolution, qui va prendre à son tour le pouvoir. Quand Danton dénoncera la dérive montagnarde, le pitoyable procès de Marie-Antoinette, la déchristianisation forcée d’une France profondément catholique, il fera guillotiner Danton et les dantonistes accusés d’indulgence – un crime sous la Terreur.

Une polémique idéologique et politique oppose toujours les historiens robespierristes et dantonistes : Danton peut être vu comme un politicien sans scrupules, vénal, traître à la Révolution, ou un ardent démocrate, patriote indéfectible, homme d’État généreux et profondément humain. Cela rappelle le débat entre les voltairiens et les rousseauistes, ou les sartriens et les camusiens au XXe siècle. L’Histoire est faite de ces inconciliables.

Guillotin : jésuite, professeur, médecin et philanthrope, député, créateur de la guillotine et célèbre à son corps défendant.

« Le supplice que j’ai inventé est si doux qu’il n’y a vraiment que l’idée de la mort qui puisse le rendre désagréable. Aussi, si l’on ne s’attendait pas à mourir, on croirait n’avoir senti sur le cou qu’une légère et agréable fraîcheur. »1510

Joseph Ignace GUILLOTIN (1738-1814). Base de données des députés français depuis 1789 [en ligne], Assemblée nationale

Il parlait en poète de la mécanique qu’en médecin philanthrope il a fait adopter. Un décret du 13 juin 1793 installe dans chaque département un « appareil de justice ». Mais la guillotine est déjà très active à Paris. Premier condamné à mort guillotiné, un voleur de grand chemin, Nicolas Pelletier, exécuté en place de Grève à Paris (aujourd’hui place de l’Hôtel-de-Ville), le 25 avril 1792.

« La machine immortelle […] : la mécanique tombe comme la foudre, la tête vole, le sang jaillit, l’homme n’est plus. » Ce professeur d’anatomie est fasciné par la machine dont il a demandé la création, pour l’exécution des condamnés à mort.

Rappelons que la guillotine est un progrès révolutionnaire qui crée l’égalité des condamnés devant la mort – au lieu des supplices différents appliqués en fonction du rang social et du forfait, sous l’Ancien Régime. Précisons aussi que l’instrument existe déjà au XVIe siècle, comme en témoigne une gravure de Cranach (peintre et dessinateur allemand). Enfin, c’est contre l’avis de Guillotin qu’on baptisa guillotine ces « bois de justice ». Quasi désespéré de voir son nom associé au supplice qui va être mis en chanson et faire fureur sous la Terreur, Guillotin abandonne la politique, quitte Paris pour Bordeaux et redevient médecin, spécialisé dans la vaccination contre la variole, créateur de la Société académique de Médecine (future Académie nationale de Médecine) et chargé sous l’Empire du premier programme de santé publique en France.

Dauphin de la Couronne, Louis-Charles de France, dit « Louis XVII » : le plus court CV de l’histoire.

« Maman, est-ce qu’hier n’est pas fini ? »1388

Le dauphin LOUIS, futur « LOUIS XVII » (1785-1795), à Marie-Antoinette, fin juin 1791. Bibliographie moderne ou Galerie historique, civile, militaire, politique, littéraire et judiciaire (1816), Étienne Psaume.

Un joli mot de l’enfant qui mourra quatre ans plus tard, à la prison du Temple. Né dans les fastes de Versailles en 1785, il est enfermé avec sa famille à la prison du Temple en 1792. Laissé à sa mère Marie‑Antoinette, il lui est retiré pour être confié au cordonnier Antoine Simon : l’homme l’élève avec un objectif affiché : lui faire oublier ses origines royales et les fastes de son enfance. Le jeune Dauphin est également manipulé pour servir de témoin contre sa mère, lors de son procès. Sur les déclarations de son fils, Marie‑Antoinette est accusée d’inceste… avant d’être guillotinée.

Vivant dans des conditions d’hygiène déplorables, il tombe gravement malade. En 1795, les révolutionnaires pensent s’en servir comme monnaie d’échange avec l’armée autrichienne, mais il meurt de la tuberculose. Son cœur, conservé par le médecin légiste Philippe-Jean Pelletan, est placé en 1975 dans la crypte de la basilique Saint-Denis. Des analyses récentes ont confirmé que l’enfant mort à la prison du Temple était bien le fils de Marie-Antoinette, mettant fin aux rumeurs d’une légende entretenue par certains légitimistes autour de Louis XVII.

Reste le mot de Marie-Antoinette à Fersen (après l’échec de la fuite à Varennes dont elle se sentait en partie responsable en juin 1791, tournant irréversible de la Révolution) : « Je porte malheur à tous ceux que j’aime. »

Desèze : avocat et bâtonnier de l’ordre, conseil de Marie-Antoinette (Affaire du collier de la reine), avocat de Louis XVI, prisonnier sous la Terreur, ministre d’État et académicien sous la Restauration.

« Louis sera-t-il donc le seul Français pour lequel on ne suive nulle loi, nulle forme ? Louis ne jouit ni du droit de citoyen, ni de la prérogative des rois : il ne jouira ni de son ancienne condition, ni de la nouvelle ! Quelle étrange exception. »1468

Romain DESÈZE (1748-1828), Plaidoirie pour Louis XVI, 26 décembre 1792. Histoire de France depuis la Révolution de 1789 (1803), François-Emmanuel Toulongeon

L’avocat (comte Desèze ou De Sèze) témoignera plus tard du grand œuvre de sa vie : « Trois jours et quatre nuits, j’ai lutté pied à pied avec les documents pour édifier avec Malesherbes et Tronchet, et surtout avec mon Roi, la défense de celui qui était déjà condamné par la Convention. J’ai voulu plaider avec la justice, le cœur, le talent que l’on me reconnaissait alors. Mon maître ne me laissa combattre que sur le terrain du droit : il se souciait de balayer les accusations dont il était l’objet, non d’apitoyer. Pendant plus d’une heure, je lui ai donné ma voix. En vain… »

« Il a bien travaillé » dira le roi après la plaidoirie de son avocat. Dans son discours de réception à l’Académie française sous la Restauration (en 1828), le baron de Barante rendra cet hommage à Desèze : « Son éternel honneur sera d’avoir été associé à l’événement le plus tristement religieux de notre Révolution ».

Ils étaient trois pour cette mission impossible et périlleuse. Desèze, arrêté peu après le procès, libéré à la chute de Robespierre, finira pair de France et premier président de la Cour de cassation sous la Restauration. François Denis Tronchet se cachera sous la Terreur et se retrouvera au Sénat sous le Consulat. Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes aura moins de chance : émigré au début de la Révolution, rentré en France pour défendre son roi, il sera exécuté sous la Terreur.

Fabre d’Églantine : auteur et acteur dramatique, politiquement engagé dans la Révolution, député à la Convention et auteur du calendrier révolutionnaire, compromis dans diverses intrigues.

« Nous ne pouvons plus compter les années où les rois nous opprimaient comme un temps où nous avons vécu. »1440

FABRE d’ÉGLANTINE (1750-1794), défendant l’idée du calendrier révolutionnaire. Dictionnaire critique de la Révolution française (1992), François Furet, Mona Ozouf

21 septembre 1792, premier jour de la Convention, « la royauté est abolie en France » par décret et le 22 septembre devient le premier jour de l’an I de la République. C’est l’équinoxe d’automne, heureux présage : « L’égalité des jours et des nuits était marquée dans le ciel [le même jour où] l’égalité civile et morale était proclamée par les représentants du peuple », note Gilbert Romme, député montagnard. Fait curieux, rien n’est daté de l’an I, tout commence en l’an II, le 5 octobre 1793 (14 vendémiaire an II), quand le calendrier révolutionnaire est adopté par la Convention. Il tombe en désuétude après la Révolution et Napoléon Ier y met fin, le 9 septembre 1805.

Fabre d’Églantine, nouveau député montagnard, auteur et acteur de théâtre sous l’Ancien Régime,  poète et parolier de la romance Il pleut, il pleut bergère, l’emporte sur d’autres propositions avec son calendrier agricole, première victoire d’une écologie qui ne dit pas encore son nom – Fabre est aussi l’auteur d’une Étude de la nature (1783) dédiée à Buffon, savant naturaliste, biologiste et créateur du Jardin des Plantes à Paris.

Vendémiaire, brumaire, frimaire renvoient aux vendanges, aux brumes, aux frimas de l’automne. Nivôse, pluviôse et ventôse évoquent neiges, pluies et vents d’hiver. Les mois du printemps leur succèdent, germinal, floréal, prairial, associés à germination, floraison et prairies. Enfin, l’été de messidor, thermidor et fructidor, qui rappellent moissons, chaleur et fruits.

Tout cela est très séduisant, à l’image de Fabre d’Églantine, fringant quadragénaire, personnage toujours élégant, marié à une comédienne qu’il abandonne en 1789 pour se lancer en politique, écrire des pièces de circonstance. Bientôt lié à Danton et Marat, compromis dans diverses affaires (comme la liquidation de la Compagnie des Indes), impliqué dans des intrigues financières, conspirant avec l’étranger, jouant double et triple jeu, finalement exclu du club des Jacobins, déféré devant le Tribunal révolutionnaire et guillotiné avec Danton le 5 avril 1794 (16 germinal an II). 

Vergniaud : avocat au Parlement de Bordeaux sous l’Ancien Régime, député, journaliste, président de l’Assemblée, brillant orateur, chef du parti des Girondins, dépassé par les Montagnards et guillotiné.

« On a cherché à consommer la Révolution par la terreur ; j’aurais voulu la consommer par l’amour. »1493

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793), Convention, 10 avril 1793. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1902), Assemblée nationale

La Terreur n’est pas encore mise par décret à l’ordre du jour, mais Vergniaud  et ses confrères Girondins la voient venir : le Tribunal révolutionnaire, juridiction d’exception, a été constitué le 28 mars 1793 pour juger les traîtres et les gens supposés tels, le Comité de salut public créé le 6 avril pour surveiller l’exécutif. Voici les deux outils forgés par les Montagnards pour la dictature jacobine. Dénonçant « cette inquisition mille fois plus redoutable que celle de Venise », Vergniaud lui oppose son rêve de fraternité, tragiquement déçu : « Il a été permis de craindre que la Révolution, comme Saturne, dévorât successivement tous ses enfants. »

Le destin de Vergniaud illustre parfaitement ses paroles : avocat au Parlement de Bordeaux sous l’Ancien Régime (comme nombre de révolutionnaires), mais trop rêveur pour être un grand professionnel, journaliste dans Les Révolutions de Paris, quotidien né le 12 juillet 1789, qui séduit autant par son extrémisme que par la subtilité de ses analyses politiques et profite de la nouvelle liberté de la presse, député sous la Législative et réélu sous la Convention, de plus en plus engagé politiquement, il vit une ascension fulgurante, passe des monarchistes constitutionnels à l’extrême gauche  révolutionnaire, contre les émigrés, contre les prêtres réfractaires. Chef du parti des Girondins, mais bientôt dépassé par les événements, Vergniaud est ensuite considéré comme trop modéré, face à Robespierre et aux Montagnards.

Dans un discours célèbre, il en appelle aux « hommes de la Gironde », ses Frères et amis de Bordeaux, mais en vain. Il fera partie des Girondins guillotinés, fin octobre 1793. D’autres charrettes d’« enfants de la Révolution » suivront : les Enragés (hébertistes) trop enragés, les Indulgents (dantonistes) trop indulgents, les robespierristes enfin, trop terroristes.

Marat : précepteur d’enfants, médecin, vétérinaire, physicien sous l’Ancien Régime, journaliste ultra-révolutionnaire avec l’Ami du peuple, député montagnard, assassiné, panthéonisé et vite dépanthéonisé.

« C’est par la violence que doit s’établir la liberté, et le moment est venu d’organiser momentanément le despotisme de la liberté pour écraser le despotisme des rois. »1495

Jean-Paul MARAT (1743-1793), L’Ami du peuple, 13 avril 1793. La Révolution française (1989), Claude Manceron, Anne Manceron

Dans son journal presque quotidien et très populaire, il justifie le Tribunal révolutionnaire qu’il a contribué à rendre plus expéditif, pour s’opposer à la contre-révolution qu’il dénonce au sein même de la Convention nationale : « Levons-nous, oui, levons-nous tous ! Mettons en état d’arrestation tous les ennemis de notre Révolution et toutes les personnes suspectes. Exterminons sans pitié tous les conspirateurs, si nous ne voulons pas être exterminés nous-mêmes. »

Plus encore que la rhétorique et la rigueur d’un Robespierre, ce genre de phrase et le personnage de Marat révoltent les modérés. Élu député, siégeant au sommet de la Montagne, président du club des Jacobins depuis le 5 avril 1793, il devient chaque jour plus redoutable, accusant, calomniant, injuriant, On parlerait aujourd’hui et sans exagération de « paranoïa ». Hugo écrit, dans son roman Quatre-vingt-treize : « Les siècles finissent par avoir une poche de fiel. Cette poche crève. C’est Marat. »

Trop, c’est trop ! Et l’accusateur se retrouvera bientôt accusé, devant le Tribunal révolutionnaire. Il se pose en victime devant ses juges. Au terme d’une parodie de justice, devant un jury acquis d’avance, il retourne la situation, dénonce les factieux –l’injure parlementaire la plus redoutable, à l’époque. Et Marat est acquitté, par un ex-procureur au Châtelet, devenu accusateur public et bientôt célèbre, Fouquier-Tinville. Couronné de lauriers, porté en triomphe, le député est ramené à son banc de la Convention, aux cris de « Vive la liberté, vive Marat ! » Le peuple des sans-culottes en a fait un homme intouchable. La Gironde accuse le coup. Marat, au club des Jacobins, se vante de leur avoir « mis la corde au cou ».

Charlotte Corday mettra fin à sa carrière révolutionnaire en l’assassinant le 13 juillet 1793. « L’Ami du peuple », l’homme haï (et redouté) de ses confrères et idolâtré des sans-culottes, sera porté au Panthéon – et dépanthéonisé après le coup État du 9 Thermidor (juillet 1794) qui met fin à la Terreur : « La justice est à l’ordre du jour » est le nouveau cri de ralliement. Marat devient définitivement le méchant de l’Histoire, aucun historien ne pouvant le défendre et aucun citoyen si rebelle soit-il ne se déclarant jamais « maratiste ». 

Charlotte Corday : héroïne cornélienne, célèbre pour l’assassinat politique de Marat et sitôt guillotinée.

« Marat pervertissait la France. J’ai tué un homme pour en sauver cent mille, un scélérat pour sauver des innocents, une bête féroce pour donner le repos à mon pays. J’étais républicaine bien avant la Révolution. »1522

Charlotte CORDAY (1768-1793), à son procès devant le Tribunal révolutionnaire, 17 juillet 1793. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

En un jour, la jeune fille devient une héroïne et reste l’une des figures de la Révolution. Le poète André Chénier la salue par ces mots : « Seule, tu fus un homme », ce qui contribuera à le perdre. Le député de Mayence, Adam Lux, qui la vit dans la charrette l’emmenant à l’échafaud, s’écria : « Plus grande que Brutus », et ce mot lui coûta la vie.

Lamartine la baptise l’Ange de l’assassinat et Michelet retrouve les accents qu’il eut pour Jeanne d’Arc : « Dans le fil d’une vie, elle crut couper celui de nos mauvaises destinées, nettement, simplement, comme elle coupait, fille laborieuse, celui de son fuseau. »

Cette jeune normande de 25 ans, montée à Paris pour tuer Marat, écrit le 12 juillet 1793 un long texte dans le style de l’époque – descendante de Corneille, elle a aussi beaucoup lu Plutarque, Tacite, et Rousseau. On le trouvera sur elle le lendemain, lors de son arrestation près de la baignoire où elle vient de poignarder Marat – un eczéma sur tout le corps l’oblige à passer des heures dans l’eau pour moins souffrir, et il a reçu la visiteuse censée lui apporter une liste de traîtres à la patrie.

Six mois plus tôt, l’exécution du roi l’a épouvantée, comme tant de Français : « Voilà donc notre pauvre France livrée aux misérables qui nous ont déjà fait tant de mal. Tous ces hommes qui devaient nous donner la liberté l’ont assassinée. » Elle va en quelque sorte venger le roi, venger la France : en assassinant l’assassin, elle fait acte de justice. Le retentissement de ce « fait divers politique » sera considérable.

Hébert : stagiaire chez un procureur, bohème vivant de petits boulots, pamphlétaire, clubiste, journaliste du Père Duchesne, idole des sans-culottes après Marat, condamné pour ses excès par Robespierre.

« Foutre ! […] Il est bon que le peuple souverain s’accoutume à juger les rois. »1463

Jacques HÉBERT (1757-1794), Le Père Duchesne, décembre 1792. Histoire politique et littéraire de la presse en France (1860), Eugène Hatin

Le journal de Jacques Hébert, dont le nom est peut-être inspiré par un marchand de fourneaux qui jurait et sacrait à chaque phrase, ne perd pas cette occasion historique de la mise en accusation de Louis XVI pour renchérir. Hébert s’exaspère de tant de lenteurs et craint que « le plus grand scélérat qui eût jamais existé reste impuni », entre jurons et injures contre les Conventionnels, les traîtres, l’« ivrogne Capet » et tous les « capons ».

À la fin de l’Ancien Régime, après de bonnes études, ce fils de famille bourgeoise en province se rêve avocat et entre comme clerc stagiaire chez un procureur. Suite à un fait divers malencontreux, il s’enfuit à Paris, mène une existence de bohème, se fait auteur de théâtre et de poésie sans succès.

Il profite de la toute nouvelle liberté de la presse pour se lancer dans le journalisme. Après quelques échecs sans lendemain, il lance Le Père Duchesne et en moins de deux ans, tirant jusqu’à 600 000 exemplaires et profitant aussi de la mort de Marat (et de L’Ami du peuple), il devient un redoutable meneur de foules. Bien que politiquement très engagé, il enrage de ne pouvoir être député, n’ayant pour s’exprimer que le club des Cordeliers et son journal. Il se manifeste aussi au club des Jacobins, irritant Robespierre qui veut rester maître chez lui – et bientôt maître de la France. Le mouvement de déchristianisation, qui se déchaîne en novembre 1793 à l’initiative des hébertistes l’inquiète aussi, comme une manœuvre politique de débordement par les hébertistes. Les règlements de compte entre partis vont s’enchaîner, frappant les Girondins, les dantonistes… et les hébertistes, finalement tous exécutés le 24 mars 1794, sans réaction des sans-culottes.

Olympe de Gouges : féministe, femme de lettres, femme libre jusqu’à la provocation et la guillotine.

« Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort. »1552

Olympe de GOUGES (1755-1793), guillotinée le 3 novembre 1793. Son mot de la fin. Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris, avec le Journal de ses actes (1880), Henri Alexandre Wallon

Féministe coupable d’avoir écrit en 1791 une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne dont le Préambule est dédié à la reine, d’avoir défendu le roi, puis courageusement attaqué Robespierre en « brissotine » (synonyme de girondine), elle a été arrêtée en juillet 1793.
Femme de lettres, femme libre jusqu’à la provocation, elle s’est lancée dans le théâtre à la fin de l’Ancien Régime, fréquenté les salons et l’élite parisienne et gagné une réputation bien établie de courtisane. Son théâtre se politisera sous la Révolution, elle combattra aussi pour l’abolition de l’esclavage des Noirs.

Olympe de Gouges peut être comparée à George Sand au siècle suivant, mais ses provocations en tout genre sont beaucoup plus mal vues, en 1793 ! La reconnaissance posthume espérée par la condamnée sera tardive et sa panthéonisation mise à l’ordre du jour en 1989 et de nouveau en 2013 est encore différée. Elle a quand même fait son entrée à l’Assemblée nationale, avec son buste de marbre blanc. Petite revanche symbolique : c’est la première statue d’un personnage historique féminin à prendre place au milieu des figures d’hommes et autres allégories.

Théroigne de Méricourt : cantatrice et courtisane, « Belle Liégeoise » attirée à Paris par la Révolution, salonnière et militante féministe, condamnée à la folie.

« Armons-nous, nous en avons le droit par la nature et même par la loi. Montrons aux hommes que nous ne leur sommes inférieures ni en vertus ni en courage […] Il est temps que les femmes sortent de leur honteuse nullité. »1408

Théroigne de MÉRICOURT (1762-1817), Discours prononcé à la Société fraternelle des Minimes, 25 mars 1792. Discours imprimé par ordre de la Société Fraternelle de patriotes, de l’un & l’autre sexe, de tout âge & de tout état, séante aux Jacobins, rue Saint-Honoré (1792)

Après de modestes emplois alimentaires (gouvernante, dame de compagnie), cette jeune Belge native de Liège devient  courtisane et cantatrice. Surnommée « la Belle Liégeoise », elle entre en révolution comme on entre en religion, se précipitant à Paris pour vivre les événements au plus près.
Elle est d’abord spectatrice assidue des premières séances de l’Assemblée nationale à Versailles, jusqu’aux journées révolutionnaires des 5 et 6 octobre  1789 – mais elle ne participe pas au cortège des femmes venues chercher « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». Elle va suivre la famille royale et les députés à Paris, s’y installe et tient un salon fort bien fréquenté (Sieyès, Desmoulins, Brissot, Fabre d’Églantine, Saint-Just).

Mais la Belle Liégeoise devient la cible des contre-révolutionnaires et part se réfugier à Liège. Enlevée par un groupe d’émigrés qui la livrent aux Autrichiens, enfermée dans une forteresse au Tyrol, libérée, elle revient en France comme une héroïne. Elle participe aux nouvelles journées révolutionnaires et prononce son fameux discours de mars 1792. Elle réclame l’égalité politique pour les femmes et le port des armes, la création de « bataillons d’amazones françaises », la levée en masse de femmes-soldates et leur participation active à la défense de la patrie assiégée… avant de prêcher pour plus de modération. Pour empêcher la guerre civile, elle propose au printemps 1793 une magistrature de citoyennes vêtues d’une écharpe sur laquelle serait inscrit « Amitié et fraternité ».

13 mai 1793 à l’Assemblée nationale, accusée de soutenir Brissot, chef de file des Girondins, elle est prise à partie par des femmes jacobines : ces fameuses et redoutables « Tricoteuses » la traitent de brissotine, de girondine, la dénudent et la fessent publiquement. Marat, pour une fois bien inspiré, s’interpose et met fin à cette agression, mais la presse montagnarde minimise la violence et ridiculise « la Furie de la Gironde ». C’est alors qu’elle devient folle.

Pour Jules Michelet et les frères Goncourt, l’humiliation serait à l’origine du mal tournant au délire de persécution. La peur d’être guillotinée est aussi une explication - Olympe de Gouges et Madame Roland sont exécutées en novembre 1793. Autre raison, sa maladie vénérienne, la neurosyphilis. Au printemps 1794, son frère réclame sa mise sous tutelle et la fait interner – ce qui lui évite une accusation politique et la guillotine. Elle mourra à la Salpêtrière à 55 ans – ayant passé 23 années à l’asile. Impossible de ne pas faire le rapprochement avec le drame de Camille Claudel.

Mme Roland : salonnière, clubiste, épouse de… et femme politiquement engagée, jusqu’à la mort.

« Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! »1554

Mme ROLAND (1754-1793), montant à l’échafaud et s’inclinant devant la statue de la Liberté (sur la place de la Révolution), 8 novembre 1793. Mot de la fin. Le Nouveau Tableau de Paris (1799), Louis Sébastien Mercier

Son mari, poursuivi comme Girondin et réfugié à Rouen, apprenant la mort de sa femme, se tuera deux jours après.

Manon Roland fit preuve d’une belle énergie et d’une plume infatigable, dans sa prison (l’Abbaye, puis la Conciergerie). Elle écrit pour se défendre devant le Tribunal révolutionnaire, même sans espoir. Elle écrit ses Mémoires, destinées à sa fille Eudora. Elle écrit des lettres, notamment à son ami Buzot qui, contrairement à elle, a fui comme son mari, pour échapper au sort des Girondins. Il se suicidera lui aussi, apprenant, quelques mois plus tard, la mort de Manon Roland.

Manon Roland est surtout connue pour avoir été la femme de son mari : l’histoire est injuste. Très cultivée, courtisée, mais fidèle, révolutionnaire de la première heure, elle est montée à Paris avec Jean-Marie Roland de la Platière, en 1791. Elle tient salon rue Guénégaud, reçoit les Brissot, Buzot, Pétion, Robespierre et se passionne pour la politique, plus excitante que la vie conjugale avec un époux de vingt ans son aîné, qualifié par elle de vénérable vieillard et qu’elle aime comme un père.

C’est elle, l’âme du mouvement girondin, avec une influence prépondérante durant les trois mois du ministère girondin (mars-juin 1792). Elle va vouer une haine absolue à Danton qui la lui rend bien. Elle suivra ses amis politiques dans leur chute et leur mort, avec le courage d’une authentique héroïne et l’un des plus remarquables « mots de la fin ».

Lavoisier : chimiste, philosophe, économiste et financier, député suppléant aux États généraux.

« La République n’a pas besoin de savants. »1587

Jean-Baptiste COFFINHAL-DUBAIL (1754-1794), vice-président du Tribunal révolutionnaire, à Lavoisier, 8 mai 1794. Lavoisier, 1743-1794 (1899), Édouard Grimaux

Mot parfois attribué à Fouquier-Tinville (1746-1795), accusateur public.

Le condamné demandait qu’on diffère l’exécution de quelques jours, le temps de terminer une expérience… Un de ses collègues, le médecin J.N. Hallé, était venu présenter au tribunal un rapport énumérant les services rendus à la patrie par l’illustre chimiste : « Il faut que la justice suive son cours », tranche l’homme du Tribunal.

Antoine-Laurent de Lavoisier est donc condamné et guillotiné le jour même, avec 27 collègues de la Ferme générale. Car tel est son crime : avoir été fermier général sous l’Ancien Régime.

Mort à 51 ans, ce grand savant, élu à 25 ans à l’Académie des sciences, laisse en héritage les bases de la chimie moderne et une loi qui porte son nom, sur la conservation de la masse et des éléments chimiques. En résumé : « Rien ne se perd, rien ne se crée. »

Desmoulins : avocat, journaliste révolutionnaire, député.

« J’ai l’âge du sans-culotte Jésus ; c’est-à-dire trente-trois ans, âge fatal aux révolutionnaires ! »1583

Camille DESMOULINS (1760-1794), au Tribunal révolutionnaire lui demandant son nom, son âge, 2 avril 1794. Œuvres de Camille Desmoulins (posthume, 1874), Camille Desmoulins, Jules Claretie

En réalité, il vient d’avoir 34 ans. Mais l’âge du Christ et le rapprochement avec cet « anarchiste qui a réussi » (André Malraux) font référence. Le capucin Chabot l’a également proclamé au début de la Terreur de septembre 1793, assurant publiquement que le « citoyen Jésus-Christ a été le premier sans-culotte du monde ».

Jeune avocat (quoique bègue et sans vraie clientèle) sous l’Ancien Régime, ami de Mirabeau, il est soudain assez éloquent le 12 juillet 1789 pour haranguer la foule dans les jardins du Palais-Royal. Il vient d’apprendre le renvoi de Necker (populaire ministre des Finances) et sous le coup de l’émotion, il bondit sur une table de café, brandit son pistolet et invite les patriotes à « courir aux armes » !

Il gagne enfin sa vie comme journaliste, profitant de la nouvelle liberté de la presse et créant son premier journal, Les Révolutions de France et de Brabant, 86 numéros tirés à 3 000 exemplaires. Député Montagnard à la Convention, Desmoulins a combattu les Girondins, mais leur mise à mort l’a bouleversé. Il fonde alors un second journal, Le Vieux Cordelier, pour défendre la politique de Danton contre celle du Comité de salut public (où Robespierre fait la loi avec Couthon et Saint-Just).

À peine a-t-il le temps de s’émouvoir de la nouvelle épuration – celle des Enragés – qu’il est arrêté le 30 mars 1794, guillotiné le 5 avril. Il a eu le temps d’écrire une lettre déchirante à Lucile, sa femme adorée : « Le sommeil bienfaisant a suspendu mes maux ; on n’a pas le sentiment de sa captivité, on est libre quand on dort … Malgré mon supplice, je crois qu’il y a un Dieu. Mon sang effacera mes fautes, les faiblesses de l’humanité ; et ce que j’ai eu de bon, mes vertus, mon amour de la patrie, sans doute ce Dieu le récompensera. Je te reverrai dans l’Élysée, ô Lucile. » Lucile (fille naturelle de l’abbé Terray, ministre de Louis XV), montera à l’échafaud le 13 avril.

Condorcet : mathématicien et philosophe des Lumières, député à la Législative et à la Convention, panthéonisé.

« C’est, Messieurs, une grande erreur de croire […] que le salut public puisse commander une injustice. Cette maxime a toujours été le prétexte de toutes les tyrannies. »1404

Marquis de CONDORCET (1743-1794), Discours sur les émigrés, 27 octobre 1791 à l’Assemblée législative. Mémoires de Condorcet sur la Révolution française (posthume, 1824)

Parole d’un homme nouveau en politique. Encyclopédiste, disciple des physiocrates, mathématicien et philosophe en renom, il vient d’être élu député dans la nouvelle assemblée, la Législative. Il sera réélu à la Convention.

Il eut d’abord une vision optimiste de la Révolution : « Un heureux événement a tout à coup ouvert une carrière immense aux espérances du genre humain ; un seul instant a mis un siècle de distance entre l’homme du jour et celui du lendemain. » Pour lui, l’homme nouveau naît de l’élan révolutionnaire, le peuple en est changé, « régénéré », la « régénération » allant de pair avec la Révolution et excluant tout retour en arrière. Condorcet croit au développement indéfini des sciences, comme au progrès intellectuel et moral de l’humanité.

La suite des événements contredit cette vision, du moins à court terme : Girondin, arrêté sous la Terreur avec ses confrères, il s’empoisonnera pour ne pas monter à l’échafaud.

François Chabot : curé défroqué, libertin assumé, député corrompu.

« Quelle est ma loi ? demanderez-vous. Je réponds : la loi naturelle, celle qui dit : « Pauvres, allez chez les riches ; filles, allez avec les garçons ; obéissez à tous vos instincts ! » »1499

François CHABOT (1759-1794), Discours devant le Comité révolutionnaire de Castres, printemps 1793. Lasource, député à la Législative et à la Convention (1889), Camille Rabaud

Capucin interdit de prêche en raison de ses mauvaises mœurs sous l’Ancien Régime, il fait partie de l’extrême-gauche sous la Révolution, élu à la Législative et réélu à la Convention. Coquin toujours porté sur la bonne chère et la chair des jolies filles et cependant évêque constitutionnel de Blois, il écrit un Catéchisme des Sans-culottes et  use aussi de la métaphore christique : « Le citoyen Jésus-Christ a été le premier sans-culotte du monde. » Il sera plus tard promoteur du culte de la déesse Raison. Suspect moins pour ses mœurs que ses trafics d’influence, ses relations avec l’étranger, son implication dans diverses affaires (pots de vin versés par les actionnaires de la Compagnie des Indes) et son train de vie provocateur, il sera jugé et guillotiné à 34 ans avec son ami Danton, le 5 avril 1794

La Révolution, c’est aussi ce genre de personnage.

Jacques Roux : professeur de philosophie et de physique, ordonné prêtre, « curé rouge » prêtant serment à la constitution civile du clergé et « Enragé » cher aux sans culottes.

« La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément ; l’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche exerce le droit de vie et de mort sur ses semblables. »1517

Jacques ROUX (1752-1794), Manifeste des Enragés, Convention, 25 juin 1793. 1789, l’An un de la liberté : études historiques, textes originaux (1973), Albert Soboul

Conduite irréprochable à la fin de l’Ancien Régime : bonnes études au séminaire d’Angoulême, professeur de philo et de physique à vingt ans, ordonné prêtre. Quelques polémiques déclenchent de vives ripostes, mais il change plusieurs fois de province et s’en tire toujours bien.

Vicaire ultra-révolutionnaire aux premières heures de la Révolution, le chef des Enragés n’a été ni élu à la Convention ni nommé au Tribunal révolutionnaire. Le Curé rouge qui a prêté serment sans état d’âme à la Constitution civile du clergé mène son combat en marge du parlementarisme, cherchant à dresser le pays réel contre le pays légal : « Les riches seuls ont profité depuis quatre ans des avantages de la Révolution. » Il dénonce « l’aristocratie marchande plus terrible que l’aristocratie nobiliaire et sacerdotale ». Favorable à un vrai terrorisme économique, il demande la peine de mort contre les accapareurs, les agioteurs et les accapareurs de denrées, les affameurs du peuple. Sa popularité grandit en même temps que la Révolution se radicalise.

Son manifeste – dont le constat est en partie exact – soulève quand même contre lui tous les députés, même son ami Marat qui finit par le traiter de « patriote de circonstance » ! N’oublions pas que cette Révolution fondamentalement bourgeoise respecte le dogme du caractère sacré de la propriété privée et du libéralisme économique.

De plus en plus isolé, arrêté en septembre 1793, il se poignarde le 10 février 1794, plutôt que d’être jugé par le Tribunal révolutionnaire. Au siècle suivant, « le curé rouge » surnommé aussi « le petit Marat » sera considéré comme  le pionnier d’une forme de socialisme et le précurseur de l’anarchisme.

Robespierre : avocat, député, membre du club des Jacobins, organisateur de la Terreur.

« Nous voulons substituer toutes les vertus et tous les miracles de la république à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie. »1278

Maximilien (de) ROBESPIERRE (1758-1794), Discours sur le gouvernement intérieur, Convention nationale, 1794. Histoire de la Révolution française (1823-1827), Adolphe Thiers, Félix Bodin

Tel est le programme radicalement révolutionnaire de l’Incorruptible, devenu « maître absolu de la France » selon Necker et prêt à aller jusqu’au bout de son programme maintes fois répété.

Avocat en province, mondain, poudré, tiré à quatre épingles, épris de notoriété et de respectabilité, c’est un bourgeois – comme tous les députés, Montagnards ou Girondins. Il y aura un seul député ouvrier et 15 cultivateurs, à la Convention.  Peu éloquent à ses débuts, il est surnommé la Chandelle d’Arras, opposé à Mirabeau, la Torche de Provence. Mais sous ses apparences lisses couve la passion. Il s’est imprégné des philosophes, notamment Rousseau visité à Ermenonville peu de temps avant sa mort, et le Contrat social est devenu son livre de chevet.

Député discret sous la Constituante, absent de la Législative où il ne pouvait être réélu, Robespierre va se révéler l’un des grands meneurs d’une révolution à mi-parcours. C’est d’abord au club des Jacobins qu’il s’exprime, une tribune qui convient mieux à cet avocat introverti, solitaire, émotif, hypersensible. Il se révèle enfin à la Convention, comme nouveau meneur de la Révolution. Contrairement à Danton, il n’improvise jamais : il lit, ses discours sont parfois interminables, emphatiques et rhétoriques. Et pourtant, quelle efficacité dans ce magistère de la parole ! Louvet de Couvray, conventionnel girondin échappé à la charrette de 1793, témoigne : « Ce n’étaient plus des applaudissements, c’étaient des trépignements convulsifs, c’était un enthousiasme religieux, c’était une sainte fureur. »

On peut au passage s’étonner de l’hypocrite humanité de Robespierre prêt à  condamner le roi, fin 1792 : « J’abhorre la peine de mort prodiguée par vos lois. » La suite des événements apporte un démenti sanglant.

Celui qui va devenir la tête et l’âme de la « dictature jacobine » peut être satisfait : la Terreur a été mise à l’ordre du jour le 5 septembre 1793, le Tribunal révolutionnaire de mars est réorganisé selon ses vœux, le Comité de salut public lui a ouvert ses portes le 27 juillet. La redoutable machine est prête avec toutes ses pièces, et les hommes sont en place. Seul le coup d’État de Thermidor pourra mettre fin à la « boucherie de députés », le 27 juillet 1794.

Saint-Just : clerc d’un procureur de province, vocation politique précoce et passionnée.

« Quand tous les hommes seront libres, ils seront égaux ; quand ils seront égaux, ils seront justes. »1277

SAINT-JUST (1767-1794), L’Esprit de la Révolution et de la Constitution en France (1791)

Surnommé « l’Archange de la Terreur », cet ouvrage fait de lui, à 24 ans, l’un des plus jeunes théoriciens de la Révolution. Le mouvement révolutionnaire est décrit comme un cercle idéalement vertueux, entraînant une escalade de progrès. Les faits démentent ce genre d’optimisme – et pas seulement notre Révolution française. C’est également lui qui proclame, à la veille de la Terreur : « Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Le droit au bonheur est inscrit dans la Constitution des jeunes États-Unis d’Amérique et le mot de Saint-Just sera repris en slogan et graffiti, par les étudiants de Mai 68.

Clerc (avoué) auprès du procureur de Soissons, destiné au métier d’avocat, Saint-Just va répondre à une vocation politique précoce. Exalté le 14 juillet 1790 à la Fête de la Fédération, élu à la Législative, mais trop jeune pour siéger, orateur à la fois raisonneur et enflammé, il incarne le courant « pur et dur » avec son ami Robespierre, son frère en Révolution dont il partage les idées et le sort, jusqu’à la mort : « Ce qui constitue une République, c’est la destruction totale de ce qui lui est opposé. » C’est le froid langage de la Terreur. Edgar Quinet, l’un des (rares) historiens fascinés par le personnage écrit dans La Révolution : « Et Saint-Just, que n’était-il pas ? Accusateur, inquisiteur, écrivain, administrateur, financier, utopiste, tête froide, tête de feu, orateur, général, soldat ! […] Cela ne s’était pas vu depuis les Romains. »

Il participe à l’élimination des Girondins, des Hébertistes et des Indulgents (dantonistes), également très actif en mission sur le front militaire et dans le vote des lois révolutionnaires. Il meurt à 26 ans, guillotiné le 10 thermidor avec tous les partisans de Robespierre.

Jean-Baptiste Carrier : procureur à la fin de l’Ancien Régime, député à la Convention, acteur zélé de la Terreur, mis en accusation et guillotiné.

« Les monstres ! Ils voudraient briser les échafauds ; mais, citoyens, ne l’oublions jamais, ceux-là ne veulent point de guillotine qui sentent qu’ils sont dignes de la guillotine. »1565

Jean-Baptiste CARRIER (1756-1794), fin 1793. La Justice révolutionnaire (1870), Charles Berriat-Saint-Prix

Député à la Convention, membre particulièrement actif aux Cordeliers et aux Jacobins, il parle sans les nommer des modérés : Danton et Camille Desmoulins souhaitent que cesse le régime de la Terreur et que vienne le temps de l’indulgence.

C’est le moment où Carrier va mériter son surnom de « missionnaire de la Terreur » (Jules Michelet). Envoyé dans l’ouest de la France pour mater l’insurrection des Chouans et autres contre-révolutionnaires de la guerre de Vendée, il arrive en un seul jour au chiffre de 800 morts à Nantes (la veille de Noël 1793). Un record, pour l’époque. Au total et en fin de mission, quand viendra pour lui le temps du jugement et du châtiment, on lui reprochera 10 000 morts : fusillés, guillotinés, noyés, victimes du typhus.

« Tout est coupable ici, jusqu’à la sonnette du président ! » À son procès devant le Tribunal révolutionnaire, cet authentique criminel de guerre se montre à la fois indigne et maladroit, niant toute culpabilité, chargeant ses exécutants et menaçant l’Assemblée d’une « proscription inévitable », s’il était condamné. 91 autres bourreaux sont jugés après Thermidor. Trois seulement seront exécutés, Pinard, Grandmaison, Carrier guillotiné le 16 décembre 1794.

Et le peuple chante : « Carrier, tu vivras dans l’histoire, / Mais comme doit y vivre un brigand, /  Ton nom gravé dans la mémoire / Y restera souillé de sang./ Monstre, tout composé de vices, / Homme scélérat et pervers, / Ton corps appartient au supplice, / Ton âme appartient aux enfers. » Tout est lugubre dans l’histoire, dernière strophe de cette longue « Complainte sur les horreurs de la guerre commises à Nantes par Carrier ».

Fouquier-Tinville : procureur sous l’Ancien Régime, accusateur public sous la Révolution

« Les têtes tombaient comme des ardoises. »1595

FOUQUIER-TINVILLE (1746-1795), après la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794). Histoire de la Révolution française (1823-1827), Adolphe Thiers, Félix Bodin. Parole d’accusateur public, chargé de tous les grands procès sous la Terreur à Paris

Deux jours après la fête de l’Être suprême, la loi de Prairial énumère tous les ennemis du peuple promis à l’échafaud et justiciables du Tribunal révolutionnaire. Ce n’est plus qu’une parodie de justice : l’instruction est supprimée (article 12), l’accusé privé du secours d’un avocat (article 16), l’audition des témoins n’est plus nécessaire, s’il y a une preuve matérielle ou simplement « morale » (article 13).

Fouquier-Tinville se réjouit du nombre de têtes et ajoute : « Il faut que ça aille mieux encore la décade prochaine, il m’en faut quatre cent cinquante au moins. » Et pour cela, on passe commande aux « moutons », chargés d’espionner les suspects dans les prisons. C’est la Grande Terreur : plus de 1 300 exécutions à Paris, du 10 juin au 27 juillet (9 thermidor). Selon une étude de Donald Greer qui fait référence, 16 600 victimes sont exécutées en France après condamnation par une cour de justice révolutionnaire – avec près de 500 000 arrestations, de mars à juillet 1794.

Le plus célèbre accusateur public sera exécuté le 6 mai 1795, après 41 jours de procès devant le Tribunal révolutionnaire (réformé). À travers Fouquier-Tinville et 23 coaccusés, on juge aussi cette justice d’exception. L’homme est convaincu « de manœuvres et complots tendant à favoriser les projets liberticides des ennemis du peuple […] et à exciter l’armement des citoyens les uns contre les autres, en faisant périr sous la forme déguisée d’un jugement une foule innombrable de Français, de tout âge et de tout sexe ». En dix-sept mois, il a obtenu la tête de quelque 2 000 condamnés, et parmi eux tous les grands noms de cette histoire.

Il se déclare « en but à la calomnie » et se retranche derrière les lois : « Je n’ai été que la hache de la Convention ; punit-on une hache ? » Ramené à la Conciergerie, il écrit la veille de son exécution : « Je meurs pour ma patrie et sans reproche. Plus tard, on reconnaîtra mon innocence. » Ce dernier vœu ne sera pas exaucé.  Et le peuple chante avec une gaieté féroce : « Fouquier-Tinville avait promis / De guillotiner tout Paris, /  Mais il en a menti, / Car il est raccourci […] Vive la guillotine / Pour ces bourreaux / Vils fléaux. » La Carmagnole de Fouquier-Tinville.

Lazare Carnot : le Grand Carnot, officier du génie, général, scientifique, député, ministre, panthéonisé.

« Soyez attaquants, sans cesse attaquants. »1590

Comité du 8 prairial an II (27 mai 1794), Aux « soldats de l’an II ». Formule attribuée à Lazare CARNOT (1753-1823). La Révolution française (1984), Albert Soboul

C’est le genre de mot « passe-partout », toujours en situation dans un pays en guerre. La levée en masse a mis 750 000 hommes sous les drapeaux pour sauver la patrie en danger. Malgré d’énormes problèmes d’approvisionnement et de discipline, l’attaque ordonnée réussit, les armées de la République repoussent l’ennemi. En mai 1794, le département du Nord est reconquis. Et la Belgique, le mois suivant. Et le Grand Carnot méritera son surnom d’Organisateur de la Victoire.

Il appartient à une famille de bourgeois calvinistes, notaires et magistrats. Il se lance dans la carrière militaire comme officier du génie de l’armée royale, sous Louis XVI. Rallié à la Révolution, élu député à l’Assemblée législative, puis à la Convention, délégué aux Armées, devenu ensuite l’un des cinq directeurs du Directoire, ministre de la guerre sous le Consulat de Bonaparte, ministre de l’Intérieur pendant les Cent-Jours, exilé à la Restauration et banni comme régicide, il part en exil et se consacre désormais à l’étude. Ses cendres sont transférées au Panthéon le 4 août 1889, sous la présidence  de son petit-fils Sadi Carnot.

Joseph Fouché : séminariste devenu athée, professeur de sciences à Niort, député, « mitrailleur de Lyon » sous la Terreur, ministre de la police sous le Consulat et l’Empire.

« Abolissons l’or et l’argent, traînons dans la boue ces dieux de la monarchie, si nous voulons faire adorer les dieux de la République, et établir le culte des vertus austères de la liberté. »1548

Joseph FOUCHÉ (1759-1820). Base de données des députés français depuis 1789 [en ligne], Assemblée nationale

Selon d’autres sources : « Avilissons l’or et l’argent… » En tout cas, il a bien retenu la leçon des nouveaux maîtres de la France, Robespierre et Saint-Just.

Très actif contre le culte établi, Fouché vient de rafler d’autorité les métaux de la Nièvre arrachés aux églises. Il écrit ces mots à la Convention, affectant un superbe dédain pour la richesse. La Convention recevra ces trésors le 7 novembre 1793. Le zèle des patriotes locaux impose un peu partout l’échange des métaux contre les assignats. Un emprunt forcé du 3 septembre (sur les « riches égoïstes ») n’a pas suffi à assainir les finances d’une Révolution à qui la guerre coûte très cher.

La sincérité de la profession de foi de Fouché est plus que douteuse. Selon la rumeur, une partie des trésors ainsi réquisitionnés fut détournée, servant de début à son immense fortune. L’homme, dénué de tout scrupule, se révèle aussi d’une intelligence et d’une habileté hors pair, d’où sa carrière politique, l’une des plus longues carrières avec son complice Talleyrand. Serviteur de l’Empire et de la monarchie restaurée, Fouché a commencé comme député girondin, devenu Montagnard, régicide et pilleur d’église. Surnommé « le Mitrailleur de Lyon » sous la Terreur, il remplace la guillotine trop lente par le canon, pour venir à bout des insurgés. Et il écrit le premier manifeste communiste en 1793, d’où l’amitié et l’admiration que lui vouera le très militant Gracchus Babeuf. C’est surtout comme ministre de la Police que ses défauts et ses qualités feront merveille. Napoléon qui n’estimait pas l’homme le savait indispensable.

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