Le CV des acteurs de l’Histoire (XIXe siècle) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Le CV est l’acronyme du latin « curriculum vitae », déroulement de la vie. Mot courant et commode, il est parfaitement applicable aux personnages de l’Histoire en citations.

Vocation de jeunesse (dans l’armée ou le clergé, les arts ou la politique), petits boulots alimentaires, premiers ou seconds métiers (avocat, médecin, enseignant, historien, journaliste…), galères dorées ou de misère, ambition déclarée ou hasard d’une rencontre, carrière classique ou chaotique, célébrité précoce ou tardive, fin de vie brutale ou confortable, tous les cas existent ! Le destin décide souvent, c’est aussi affaire de caractère. Mais le contexte historique reste le facteur déterminant : guerres de Religion, Fronde, Révolution(s), Commune, Guerres mondiales, Mai 68.

Quatre périodes se dégagent clairement pour cet édito en quatre semaines.
I. De la Gaule au siècle des Lumières : succession de destins historiques, incroyables mais vrais.
II. La Révolution met la Politique à l’ordre du jour : vocations en chaîne et mortalité galopante.
III. Naissance des partis politique au XIXe siècle : l’homme politique entre en scène et peut faire carrière.
IV. XXe et XXIe siècles : la politique est devenue un métier pour le meilleur et pour le pire.

III. Naissance des partis politique au XIXe siècle : l’homme politique entre en scène en amateur souvent passionné.

Après la parenthèse de l’Empire absolu, la politique devient une passion française, incarnée par Hugo et nombre d’auteurs entrant dans l’arène avec plus ou moins de succès : « Ne me parlez pas des poètes qui parlent de politique ! » (Lamartine visé par Louis-Philippe)… Au fil des régimes et des révolutions, les utopies et les extrêmes se succèdent, les socialistes lancent une idée neuve, la bourgeoisie profite (sans complexe) du capitalisme, démocrates et libéraux luttent pour la liberté de la presse, mais le suffrage universel mène au Second Empire qui finit par la guerre avec la Prusse en 1870.

27 NOMS : Napoléon – Chateaubriand – Mme de Staël – Talleyrand – Cambacérès – Comte de Saint-Simon – Charles Fourier – Maréchal Bugeaud – Lamartine – Victor Hugo – Jules Michelet – Alexis de Tocqueville – François Guizot – Lamennais – Lacordaire – Montalembert – Auguste Comte – George Sand – Gustave Flaubert – Alphonse Baudin – Martin Nadaud – Louis-Napoléon Bonaparte – Baron Haussmann – Auguste Blanqui – Rochefort – Louis Blanc – Proudhon.

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Napoléon : militaire (stratège et tacticien), homme d’État (réformateur et administrateur), leader charismatique, génie hyperactif, personnage sûr de son destin et mondialement célèbre.

« Je me regardai pour la première fois non plus comme un simple général, mais comme un homme appelé à influer sur le sort des peuples. Je me vis dans l’histoire. »1662

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), au soir de Lodi, 10 mai 1796. Le Manuscrit de Sainte-Hélène, publié pour la première fois avec des notes de Napoléon (1821), Jacob Frédéric Lullin de Châteauvieux

Première victoire décisive sur les Autrichiens : « C’est le succès qui fait les grands hommes ! » dira plus tard Napoléon Ier. À Lodi, le tacticien prend les dimensions d’un stratège et le Petit Caporal corse, ce « bâtard de Mandrin », brocardé, utilisé par les hommes politiques du Directoire, a soudain conscience de son destin. La métamorphose a frappé ses biographes, et sans doute aussi les contemporains. Six mois plus tard, la victoire de Bonaparte au pont d’Arcole est le titre et le sujet du plus célèbre tableau d’Antoine-Jean Gros, élève de David, jeune peintre inspiré par son modèle, qui affiche l’image du héros, à la fois classique et romantique, étonnamment contemporain.

Star de l’Histoire en citations, génie du Verbe et de l’Action, c’est le personnage le plus célèbre au monde… après Jésus Christ. Sa gloire numérique confirme ce classement remarquable.

Chateaubriand : mémorialiste (historien et premier grand romantique français), homme politique (ambassadeur, ministre des Affaires étrangères, pair de France), vocation d’opposant (sous tous les régimes).

« Retomber de Bonaparte et de l’Empire dans ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant. »1892

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

Parole d’un génie de notre littérature. C’est le premier grand romantique français – celui que le jeune Victor Hugo rêvait d’égaler… Ses Mémoires restent un monument historique et une mine de citations inépuisable, toujours parfaitement mises en situation, mais trop passionnément subjectives pour être conforme à la réalité factuelle.

En politique, Chateaubriand a surtout une vocation d’éternel opposant. Émigré sous la Révolution, sévère pour Napoléon Ier à qui il ne pardonne pas l’assassinat du duc d’Enghien, il commence par être ultraroyaliste sous les Bourbons revenus, ayant bientôt rang de ministre, pair de France, ambassadeur, avant de se retrouver dans l’opposition au pouvoir en place, aux côtés des libéraux, défenseur de la liberté de la presse – un des combats du siècle, finalement gagné sous la Troisième République. Chateaubriand se fait en cela prophète et lyrique dans ses Mémoires : « La presse est un élément jadis ignoré, une force autrefois inconnue, introduite maintenant dans le monde ; c’est la parole à l’état de foudre : c’est l’électricité sociale […] Plus vous prétendrez la comprimer, plus l’explosion sera violente. »

La liberté de la presse réduite sur ordonnance de Charles X a mis le feu aux poudres de sa monarchie et des journaux comme Le National ont joué un rôle direct dans la Révolution de juillet. Plus libre sous le nouveau régime (Monarchie de Juillet), la presse se diversifie (des magazines illustrés aux revues savantes) et se démocratise : La Presse, quotidien gouvernemental de Girardin et Le Siècle, quotidien d’opposition de Dutacq, sont lancés à 40 francs l’abonnement annuel en 1836, La Liberté d’Alexandre Dumas sera vendue un sou et tirée en 1840 à plus de 100 000 exemplaires. Avec l’introduction du roman-feuilleton et de la publicité, la création de l’Agence Havas et de la presse rotative, la presse moderne est née.

Mme de Staël : femme de lettres, de cœur, de caractère et d’influence (littéraire et politique), romancière, philosophe, épistolière, salonnière.

« Une nation n’a de caractère que lorsqu’elle est libre. »1697

Mme de staël (1766-1817), De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800)

Fille du banquier suisse Necker (ministre de Louis XVI), c’est l’une des rares voix qui s’élève cette année-là pour oser dénoncer le pouvoir de plus en plus absolu du futur empereur. Épouse de l’ambassadeur de Suède en France (Erik Magnus de Staël-Holstein), fervente lectrice de Rousseau, Mme de Staël fut d’abord favorable à la Révolution. Mais elle ne lui pardonne pas la mort du roi, moins encore celle de la reine et la Terreur. Après trois ans d’exil, elle revient à Paris pleine d’espoir et impressionnée par le nouveau héros, ce général Bonaparte qui va redonner vie à l’idéal révolutionnaire de 1789. Le coup d’État du 18 Brumaire et la Constitution de l’an VIII lui ôtent toutes ses illusions.

Elle le dit, elle l’écrit, elle se fait détester par le grand homme par ailleurs misogyne, supportant mal l’intelligence et la libre expression d’une femme. D’où son nouvel exil – doré, en Suisse, à Coppet sur les bords du lac Léman, dans le château de famille, auprès de son père.

Talleyrand : évêque sans vocation, député et président de la Constituante, ministre, ambassadeur, politicien surdoué, le plus grand diplomate français.

« Je me suis mis à la disposition des événements et, pourvu que je restasse Français, tout me convenait. »1836

TALLEYRAND (1754-1838), Mémoires et Correspondance du prince de Talleyrand (posthume, 1891)

Napoléon l’avait fait grand chambellan en 1804, prince de Bénévent en 1806, vice-grand électeur en 1807 - « le seul vice qui lui manquât », dit Fouché en apprenant cet honneur. Il le traitera publiquement de « merde dans un bas de soie », malgré tout conscient qu’il ne peut se passer de ses services. Ce duo-duel entre les deux hommes est l’un des plus passionnants de notre Histoire.

Le plus habile diplomate français est aussi le plus corrompu. Il servira et trahira successivement tous les régimes sans l’ombre d’un doute et en tirant profit sans scrupule. Mais il respecte les intérêts supérieurs de la France. Sous l’Empire, il voudrait surtout lui éviter cette course à l’abîme, prévisible dès 1809. Son compère Fouché, déjà actif sous la Révolution, tout aussi intelligent et retors, pense et agit de même (mais en criminel).

Cambacérès : avocat et prêtre sous l’Ancien Régime, grand juriste au service de la Révolution et de Napoléon.

« Après avoir longtemps marché sur des ruines, il faut élever le grand édifice de la législation civile. »1526

CAMBACÉRÈS (1753-1824), rapport fait à la Convention nationale sur le premier projet de Code civil, 21 août 1793. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1906), Assemblée nationale

Juriste sous l’Ancien Régime, nourri de la philosophie des Lumières, Jean-Jacques Régis de Cambacérès parle au nom du Comité de législation – une vingtaine de comités et sous-comités se répartissent le travail par secteurs (finances, instruction publique, marine, guerre, etc.) et préparent les textes pour l’Assemblée. C’est l’équivalent de nos commissions sous la Cinquième République.

Cambacérès présente son rapport le 9 août, puis décrit cet « édifice simple dans sa structure, majestueux dans ses proportions, grand par sa simplicité même, et d’autant plus solide que n’étant point bâti sur le sable mouvant des systèmes, il s’élèvera sur la terre ferme des lois de la nature, et sur le sol vierge de la République ».

Mis en chantier trois ans plus tôt par la Constituante, le projet sera trois fois rejeté : trop long et pas assez révolutionnaire, puis trop court, victime des courants politiques contraires… C’est quand même une étape capitale dans l’histoire du droit.

Comte de Saint-Simon : philosophe, économiste, précurseur du socialisme (utopique) et de la science sociale.

« L’homme a jusqu’ici exploité l’homme. Maîtres, esclaves ; patricien, plébéien ; seigneurs, serfs ; propriétaires, fermiers ; oisifs et travailleurs. »1902

Comte de SAINT-SIMON (1760-1825), Doctrine de Saint-Simon : Exposition. Première année (1829)

Beau résumé de toute l’histoire du monde des origines à nos jours… et du socialisme à la française aux accents messianiques, vingt ans avant le marxisme. Saint-Simon est mort – arrière-cousin du duc de même nom, célèbre mémorialiste du règne de Louis XIV. Mais avec les saint-simoniens se constitue en France une sorte de mouvement socialiste à la veille de la Révolution de 1830 : il ne rassemble encore qu’une infime élite, destinée à se diversifier et s’élargir, à Paris comme en province, dans l’atmosphère des lendemains révolutionnaires qui vont marquer le siècle.

Charles Fourier : philosophe, économiste, socialiste utopique.

« Aimez le travail, nous dit la morale : c’est un conseil ironique et ridicule. Qu’elle donne du travail à ceux qui en demandent, et qu’elle sache le rendre aimable. »1903

Charles FOURIER (1772-1837), Livret d’annonce du nouveau monde industriel (1829)

Philosophe et économiste, critique de l’ordre social, il ajoute que le travail « est odieux en civilisation par l’insuffisance du salaire, l’inquiétude d’en manquer, l’injustice des maîtres, la tristesse des ateliers, la longue durée et l’uniformité des fonctions. »

Fourier trace les grandes lignes d’une société nouvelle, conforme à ses vœux : le phalanstère en est la cellule, regroupant les travailleurs associés en une sorte de coopérative. Il doit en résulter l’harmonie universelle : c’est moins de l’optimisme qu’une utopie qui fera des adeptes sous la Monarchie de Juillet, grande époque du socialisme.

Maréchal Bugeaud : militaire, acteur principal de la politique coloniale en Algérie.

« [La colonisation ne se fait pas] dans des pots de fleurs sur les terrasses d’Alger. »2111

Thomas Robert BUGEAUD (1784-1849). Lettres inédites du Maréchal Bugeaud, duc d’Isly, 1808-1849 (posthume, 1922)

Avec son franc-parler militaire, il déplore le manque de moyens que lui donne la France. Les députés sont bien loin de la réalité des opérations sur le terrain, en 1842. Le ministère Soult-Guizot a des problèmes plus hexagonaux – politiques, économiques et sociaux – et d’autres colonies sont à l’ordre du jour : occupation de l’archipel des Marquises, protectorat à Tahiti, fondations de comptoirs fortifiés en Côte d’Ivoire.

« Cent mille hommes et cent millions pendant sept ans ! » Le général pose ses conditions pour accepter d’être gouverneur de l’Algérie. Louis-Philippe cède. Bugeaud est nommé gouverneur, le 29 décembre 1840. Partisan de la guerre acharnée, dix ans après la prise d’Alger, il fait la conquête de l’Algérie et gagne son bâton de maréchal, en 1843.

«  Ense et aratro » « Par l’épée et par la charrue », telle est sa devise. Cela signifie que l’on sert son pays en temps de guerre par les armes, en temps de paix par les travaux de l’agriculture. Bugeaud est le premier des officiers coloniaux à mener de front les opérations de sécurité et les travaux de colonisation : défrichements, routes, concessions de terre pour attirer de nouveaux colons, etc. Faute de crédits suffisants, Bugeaud, devenu maréchal pour son action en Algérie, démissionnera de son poste de gouverneur en 1847.

Lamartine : poète romantique, historien (des Girondins), député populaire, chef charismatique du gouvernement provisoire sous la Deuxième République, battu (humilié) aux élections, retour à l’écriture et fin de vie difficile.

« Le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ! »2146

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), chef du gouvernement provisoire, derniers mots de son discours du 25 février 1848. Les Orateurs politiques de la France, de 1830 à nos jours (1898), Maurice Pellisson

Son lyrisme fait merveille, aux grandes heures du siècle romantique. La veille, 24 février, il a accepté la proclamation de la République comme un fait accompli. Mais ce jour, il refuse l’adoption officielle du drapeau rouge et, seul des onze membres du gouvernement provisoire, il a le courage d’aller vers la foule en armes qui cerne l’Hôtel de Ville. Lui seul aussi est capable d’apaiser les insurgés du jour et de rallier le lendemain les modérés à la République.

« On se redit, pendant un mois, la phrase de Lamartine sur le drapeau rouge, « qui n’avait fait que le tour du Champ de Mars tandis que le drapeau tricolore », etc. ; et tous se rangèrent sous son ombre, chaque parti ne voyant des trois couleurs que la sienne – et se promettant bien, dès qu’il serait le plus fort, d’arracher les deux autres. » Le romancier de L’Éducation sentimentale (1869), Gustave Flaubert, voit juste, aidé par le recul du temps : la confusion et l’enthousiasme des premiers jours masquent toutes les incompatibilités d’opinion. Quant à Louis-Philippe, rappelons son mot visant Lamartine avant la nouvelle révolution qui va le chasser du trône : « Ne me parlez pas des poètes qui parlent de politique ! »

Victor Hugo : poète romantique, romancier populaire, dessinateur inspiré, auteur de théâtre adulé et contesté, pair de France, journaliste passionné, député de gauche, polémiste et opposant n°1 à Napoléon III, exilé vingt ans, député républicain, sénateur, panthéonisé vivant… et dès sa mort.

« L’histoire a pour égout des temps comme les nôtres. »2257

Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853)

Paroles d’exil. Il faut être hors de France pour avoir cette liberté d’expression. Il faut être Hugo pour avoir ces mots. Le prestigieux proscrit de Jersey, bientôt de Guernesey, se veut l’« écho sonore » et la conscience de son siècle. Il refusera de rentrer après le décret d’amnistie, ce qui contribue à sa gloire.

Son œuvre est diffusée sous le manteau et l’opposition républicaine réduite à néant : chefs en prison ou en exil, journaux censurés. Ces mots ont d’autant plus de portée, Hugo devenant le chef spirituel des républicains et stigmatisant le dictateur, se posant en ultime résistant : « Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »

Après le pamphlet politique contre « Napoléon le Petit », Les Châtiments sont une œuvre poétique ambitieuse. Suite au crime du 2 décembre et à la répression, Dieu inflige le châtiment et l’expiation. Le Poète, seul face à l’océan, parlant au nom du Peuple, est le messager qui annonce l’espoir, avec la venue de temps meilleurs.

Hugo n’est pas marxiste, mais comme Marx, il dénonce le double crime bonapartiste et rapproche les deux coups d’État, 2 décembre 1851 et 18 brumaire an VIII où Bonaparte prit le pouvoir par la violence. Les deux faits sont comparables et l’un est la conséquence de l’autre, mais Napoléon est un héros et l’autre un nain qui s’est servi du nom et de la légende.

Jules Michelet : historien passionné, aussi populaire que controversé, homme de gauche influent, mais refusant d’entrer en politique.

« L’histoire de France commence avec la langue française. La langue est le signe principal d’une nationalité. »391

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1840)

L’ordonnance de Villers-Cotterêts, édictée par François Ier en 153,9 réorganise la justice, impose le français au lieu du latin pour les ordonnances et jugements des tribunaux. Il faudra se battre encore pour que le français devienne aussi la langue des savants et des artistes.

Fils d’un imprimeur ruiné par le régime de la presse sous le Consulat et l’Empire, Michelet connaît la misère dans sa jeunesse et en garde un profond amour du peuple. Écrivain engagé dans les luttes de son temps riche en révolutions d’un autre style, manifestant contre la misère des ouvriers, il compose dans l’enthousiasme son Histoire de la Révolution française : dix ans et sept volumes pour une œuvre inspirée, remarquablement documentée, maintes fois rééditée. Il contribue aussi à nourrir la légende de Jeanne d’Arc dont il est littéralement amoureux. L’historien n’est pas sans reproche, républicain partisan, suspecté d’avoir accrédité le « roman national » au détriment du récit, mais il a largement contribué à populariser l’Histoire, passion française depuis le XIXe siècle.

Alexis de Tocqueville : magistrat (Restauration), député et ministre (Deuxième République), historien (Empire).

« [Les Français] veulent l’égalité dans la liberté et, s’ils ne peuvent l’obtenir, ils la veulent encore dans l’esclavage. »2270

Alexis de TOCQUEVILLE (1805-1859), L’Ancien Régime et la Révolution (1856)

Né dans une vieille famille de la noblesse normande, lancé comme la plupart de ses confrères dans une carrière politique et positionné au centre gauche, il y renonce après le coup d’État du 2 décembre 1851 : « Je vaux mieux dans la pensée que dans l’action ». Politologue et sociologue inspiré, historien déjà célèbre par son grand essai De la démocratie en Amérique (1835-1840), c’est aussi un philosophe - le Montesquieu du XIXe siècle dit-on. Sensible aux progrès de l’égalité, il pense cependant qu’il peut découler de la démocratie un redoutable danger, le despotisme de la majorité. Pour maintenir la liberté, deux garanties sont essentielles : liberté de la presse, indépendance du pouvoir judiciaire. Sa démonstration est fondée sur l’examen rigoureux des faits historiques. Rappelons qu’à cette date (1856), l’Empire est une dictature et le bon usage du suffrage universel est un apprentissage difficile. Si l’égalité des droits est en progrès, dans les faits, le capitalisme triomphant rend les riches plus riches, sans améliorer la condition des pauvres.

François Guizot : historien et politicien.

« Enrichissez-vous. »2114

François GUIZOT (1787-1874), Chambre des députés, 1er mars 1843. Histoire parlementaire de France : recueil complet des discours prononcés dans les Chambres de 1819 à 1848 (1864), François Guizot

Ministre des Affaires étrangères et pratiquement chef du gouvernement sous la Monarchie de Juillet de Louis-Philippe,  c’est le type même du nouveau « politicien », avec ce que le terme implique d’habileté, de pratique, de manœuvres parfois.

Son mot est souvent cité pour condamner ses conceptions politiques et résumer l’esprit égoïstement bourgeois de la Monarchie de Juillet. Exemple type de désinformation par utilisation d’une citation tronquée. Rappelons le contexte. Guizot répond aux attaques de l’opposition : « Fondez votre gouvernement, affermissez vos institutions, éclairez-vous, enrichissez-vous, améliorez la condition morale et matérielle de notre France. » Il reprend le mot lors d’un banquet, la même année : « Enrichissez-vous par le travail, par l’épargne et la probité, et vous deviendrez électeurs. » (le droit de vote étant conditionné par un seuil d’imposition, le cens.)

Louis-Philippe approuve les idées de son ministre : « C’est ma bouche », dit-il.

Lamennais : « prêtre en bonnet rouge », catholique engagé, croyant insoumis, journaliste et député éphémère sous la Deuxième République.

« Le cri du pauvre monte jusqu’à Dieu, mais il n’arrive pas à l’oreille de l’homme. »2048

Félicité Robert de LAMENNAIS (1782-1854), Paroles d’un croyant (1834)

Créateur du catholicisme social, soucieux d’appliquer un idéal de justice et de charité conforme à l’enseignement de l’Évangile, Lamennais profite de la liberté de la presse en 1830 et lance le journal L’Avenir avec ses amis Lacordaire et Montalembert. En exergue : « Dieu et la liberté ». Il est condamné par l’Encyclique Mirari vos (1832). Pour le pape, souverainetés du peuple et de Dieu sont incompatibles.

Après une grave crise de conscience, il rompt avec l’Église pour n’être plus que socialiste, à l’inverse de ses deux amis qui se soumettent, sans abandonner leur action généreuse. Lamennais publie ses Paroles d’un croyant sous forme de versets comme la Bible et y affirme son socialisme : « La liberté est le pain que les peuples doivent gagner à la sueur de leur front », écrit-il pour encourager le peuple au combat contre tous ceux qui l’oppriment. « C’est la Marseillaise du christianisme et l’auteur est un prêtre en bonnet rouge », dit-on alors. C’est surtout un courant d’opinion très représentatif de cette fermentation des idées, face à la misère du peuple qui s’aggrave et contraste avec l’enrichissement de la bourgeoisie. D’où la nouvelle révolution de 1848 et la Deuxième République. Élu député à l’Assemblée constituante, siégeant à l’extrême gauche, son nouveau journal Le Peuple constituant cesse de paraître au 134e numéro en raison d’un cautionnement imposé à la presse : « Il faut aujourd’hui de l’or, beaucoup d’or, pour jouir du droit de parler ; nous ne sommes pas assez riches. Silence au pauvre. »

Il se retire de la vie politique et meurt en 1854. Sa dernière volonté, que son corps soit conduit directement au Père-Lachaise, pour être enterré « au milieu des pauvres et comme le sont les pauvres. » George Sand, Michelet, Hugo ont dit ce qu’ils doivent aux idées de Lamennais, à son cœur et à son courage militants.

Lacordaire : avocat, compagnon de route de Lamennais, prédicateur, théologien, journaliste.

« Sachent donc ceux qui l’ignorent, sachent les ennemis de Dieu et du genre humain, quelque nom qu’ils prennent, qu’entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »2139

Henri-Dominique LACORDAIRE (1802-1861), Sermon à la chaire de Notre-Dame (1848). Conférences de Notre-Dame de Paris, 1835-1851 (1855), Henri Lacordaire

Très jeune avocat promis à une belle carrière, mais converti à 22 ans et bientôt prêtre, ami de Lamennais voué au catholicisme social et libéral, journaliste comme nombre d’appelés à la politique profitant de la liberté de la presse, dominicain considéré comme restaurateur des « Frères prêcheurs », Lacordaire travaille avec l’éloquence du prédicateur et la générosité du croyant à réconcilier l’Église et le monde moderne. Vaste programme, toujours à suivre.

Élu à l’Académie française au fauteuil de Tocqueville dont il fait l’éloge et malgré son opposition au Second Empire, cet homme inspiré mena toujours une carrière atypique.

Montalembert : journaliste, historien, écrivain, compagnon de route de Lamennais, devenu pair de France, député, rallié à Napoléon III

« Vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique s’occupe de vous tout de même. »2140

Comte de MONTALEMBERT (1810-1870), Discours, entretiens et autres sources

Étudiant surdoué, jeune romantique rêvant de sublime et de sacrifice, il se jure à quinze ans de servir à la fois Dieu et la Liberté. Il admire Vigny, Lamartine, Hugo, cherche sa voie et rencontre Lamennais dont il subit l’ascendant comme Lacordaire. Il contribue au journal l’Avenir, milite ardemment pour diverses causes : la liberté de l’enseignement, la défense des peuples opprimés comme l’Irlande catholique et la Pologne insurgée en 1830 contre le tsar de Russie. Mais cela ne mène à rien. La mort dans l’âme, il rompt avec Lamennais l’insoumis, fait un mariage d’amour béni par le pape et, sans l’approuver vraiment, soutient la monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe. Nommé pair de France en 1835, il poursuit sa lutte pour la défense de l’Église et la conquête des libertés essentielles. Élu à l’Assemblée constituante en 1848, il se rallie à la politique du prince-président Louis-Napoléon Bonaparte et fait ensuite partie du Corps législatif jusqu’en 1857.

Auguste Comte : professeur, philosophe (créateur du positivisme), sociologue et politologue.

« La révolution féminine doit maintenant compléter la révolution prolétaire, comme celle-ci consolida la révolution bourgeoise émanée d’abord de la révolution philosophique. »2240

Auguste COMTE (1798-1857), Catéchisme positiviste (1852)

Héritier de Saint-Simon le socialiste utopique qu’il renia, créateur du positivisme qui prétend faire de la politique une « science positive et physique », précurseur de la sociologie scientifique, Comte va jusqu’à penser un État positiviste ayant pour devise morale : « L’Amour pour principe, l’Ordre pour base et le Progrès pour but. » C’est son utopie personnelle, son amour platonique pour Clotilde de Vaux étant responsable de l’orientation de sa philosophie.

La « révolution féminine » se bornera sous l’Empire à une mesure qu’il faut mettre au crédit de l’empereur (et de son ministre Victor Duruy) : création d’un enseignement secondaire pour les jeunes filles, réforme très mal vue par l’Église qui perd son monopole en ce domaine.

George Sand : romancière populaire et professionnelle, féministe exemplaire et politiquement engagée, « la femme du siècle » à divers titres.

« Vive la République ! Quel rêve ! […] On est fou, on est ivre, on est heureux de s’être endormi dans la fange et de se réveiller dans les cieux. »2150

George SAND (1804-1876), Lettre au poète ouvrier Charles Poncy, 9 mars 1848, Correspondance (posthume)

Cette infatigable nature abandonne (provisoirement) l’écriture et se précipite à Paris, s’enthousiasmant pour la République comme ses confrères (Hugo, Lamartine, Michelet, Tocqueville et tous les « Jeunes-France » romantiques). Elle fonde La Cause du Peuple (hebdomadaire dont Sartre fera revivre le nom et qui deviendra Libération), elle ne pense plus qu’à la politique, le proclame et s’affiche aux côtés de Barbès (émeutier révolutionnaire libéré de prison grâce à la récente révolution), Louis Blanc et Ledru-Rollin (membres du gouvernement provisoire).

Surnommée « la Bonne Dame de Nohant », elle est très populaire pour ses romans humanitaires et rustiques - mais ses pièces de théâtre lui rapportent encore plus. Un acharnement critique et sexiste s’est déchaîné contre celle qui prit au début de sa carrière un pseudonyme masculin (inspiré de son amant Jules Sandeau, avec George sans « s » (à l’anglaise) pour être plus libre (d’écriture et de mœurs). Infatigable à sa table de travail, c’est « la Vache à encre » (selon le poète Baudelaire), « la Terrible Vache à écrire » (pour Sainte-Beuve le critique qui ne l’aime guère), « la Vache laitière au beau style » (pour Nietzsche le philosophe qui ne la supporte pas) et « Miss Agenda » pour sa ponctualité quand il faut remettre sa copie à l’éditeur ou au patron de presse (pour les romans publiés d’abord en feuilleton). Elle exaspérait Musset son amant de Venise qui ignorait la ponctualité, créant toujours « dans le génie ».

Sand qui n’a que du talent aime son travail, mais doit aussi nourrir sa petite famille (deux enfants), parfois ses amants, ses ami(e)s, entretenir sa chère maison de Nohant, un véritable domaine dans le Berry. Son « féminisme » (terme qu’elle contesterait) tient d’abord à son indépendance économique et sa liberté de mœurs affichée. Bien que passionnée par la politique, elle ne fut jamais tentée de se lancer dans l’arène comme Hugo et nombre de ses amis ou confrères. 

Gustave Flaubert : romancier (observateur de la vie politique), épistolier (en phase avec George Sand).

« La plupart des hommes qui étaient là avaient servi, au moins, quatre gouvernements ; et ils auraient vendu la France ou le genre humain, pour garantir leur fortune, s’épargner un malaise, un embarras, ou même par simple bassesse, adoration instinctive de la force. »2040

Gustave FLAUBERT (1821-1880), L’Éducation sentimentale (1869)

À l’instar de Chateaubriand, mais dans un autre style, Flaubert se présente comme un auteur majeur à la barre des témoins de son temps, peintre minutieux de la bourgeoisie des années 1840-1850 et des illusions perdues de Frédéric Moreau, son antihéros.

Considéré avec Hugo, Stendhal, Balzac et Zola comme l’un des grands romanciers français du XIXe siècle, Flaubert se distingue par sa conception du métier d’écrivain et la modernité de son style romanesque, marquant la littérature universelle par la profondeur de ses analyses psychologiques, son souci de réalisme, son regard lucide sur les comportements des individus et de la société. La force de son style se révèle dans de grands romans : Madame Bovary (1857), Salammbô (1862), L’Éducation sentimentale (1869) ou le recueil de nouvelles Trois Contes (1877). Le procès contre Madame Bovary reste dans les annales politico-littéraires : blâmé pour « le réalisme vulgaire et souvent choquant de la peinture des caractères », il sera finalement acquitté grâce à ses soutiens dans les milieux artistiques et politiques, dont Victor Hugo, la notoriété de sa famille (normande) et la plaidoirie de son avocat. La même année 1857, Baudelaire le poète est condamné pour ses Fleurs du mal.

Alphonse Baudin : médecin des pauvres, député de gauche, mort sur les barricades.

« Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs. »2217

Alphonse BAUDIN (1811-1851), député, appelant le peuple à la lutte, sur une barricade de la rue Sainte-Marguerite, 3 décembre 1851. Histoire des crimes du 2 décembre (1852), Victor Schœlcher

(L’indemnité parlementaire est de 25 francs, alors que le salaire ouvrier atteint rarement 5 francs par jour).

Coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte pour conserver le pouvoir (avant de proclamer l’Empire). Authentique homme de gauche, réputé comme « médecin des pauvres », Baudin s’efforce de mobiliser la foule, mais les Parisiens se rappellent les journées sanglantes de juin 1848, au début de la Deuxième République. Quelques barricades se dressent quand même, faubourg Saint-Antoine. Le député appelle un homme à la lutte, qui se dérobe : « Nous ne voulons pas nous faire tuer pour vous garder vos 25 francs par jour ! » D’où la réplique de Baudin. Un coup de feu part, la troupe riposte, Baudin tombe, mortellement blessé, à côté d’un ouvrier. La nouvelle de ces morts suscite d’autres barricades.

La journée du 3 décembre est une réaction contre le coup d’État du 2. Et le 4 décembre, la troupe tire sur la foule, boulevard Poissonnière. Bilan : de 100 à 300 morts (selon les sources), dont beaucoup de femmes et d’enfants.

Martin Nadaud : ouvrier maçon, militant républicain, député « exemplaire » de la Deuxième République , exilé sous le Second Empire, préfet (quelques jours en 1870), député sous la Troisième République.

« Quand le bâtiment va, tout va. »2202

Martin NADAUD (1815-1898), Assemblée législative, 5 mai 1850. Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon (1895), Martin Nadaud

Une vie exemplaire en tout et un personnage comme il en existe peu en politique – il a ému George Sand qui aurait pu en faire le héros d’un de ses romans humanitaires.

Ouvrier maçon de la Creuse, élevé à la dure, monté à Paris (à pied) avec son père, autodidacte suivant les cours du soir tout en exerçant son métier, faisant des journées de travail de douze à quinze heures, accidenté plusieurs fois sur des chantiers périlleux, militant républicain sous la Monarchie de Juillet, il est élu de la Creuse le 13 mai 1849, député montagnard (socialiste), assez actif pour être arrêté après le coup d’État de 1851. Banni, il s’exile sous le Second Empire et rentre en France « avec la liberté », comme Hugo. De nouveau élu député de la Creuse, il participe à la relance du bâtiment et meurt à 85 ans, de retour dans la Creuse.

Sa petite phrase est devenue un mot historique, souvent cité. Dans sa bouche, la portée en était moins générale et la forme moins concise : « Vous le savez, à Paris, lorsque le bâtiment va, tout profite de son activité. »

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

Louis-Napoléon Bonaparte : conspirateur, prisonnier, exilé, élu député en 1848, second empereur des Français plébiscité par le suffrage universel.

« Toute ma vie sera consacrée à l’affermissement de la République. »2179

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Discours du 21 septembre 1848. Napoléon le Petit (1852), Victor Hugo

Sous l’influence des saint-simoniens et des séjours qu’il fit en Angleterre, le futur Napoléon III, entre deux coups de force (Strasbourg en 1836 et Boulogne en 1840), porte un réel intérêt aux problèmes économiques et sociaux qui agitent et divisent la France. Évadé du fort de Ham où il a passé six ans après sa tentative de coup d’État à Boulogne, il réussit à fuir en Angleterre, déguisé en maçon sous le nom de Badinguet – surnom qui restera ironiquement et parfois cruellement attaché à sa personne fort chansonnée.

Il entre vraiment dans l’histoire sous la Deuxième République : réélu en septembre 1848 dans cinq départements, l’exilé de retour en France choisit l’Yonne, décide de se présenter à la présidence de la République et commence à faire campagne pour le scrutin présidentiel, fixé aux 10 et 11 décembre : « Les Bonaparte, c’est tout de même un clan qui se remplit les poches, se distribue les couronnes, et qui, en 1851, s’attable pour le deuxième service. » François Mauriac. De fait, loin d’affermir la République, il n’aura de cesse de rétablir l’Empire.

Dans la catégorie politique des héritiers (famille des Carnot et Le Pen, mais aussi Martine Aubry, fille de Jacques Delors), Louis-Napoléon Bonaparte est évidemment le plus célèbre. Cet héritage qui explique son irrésistible ascension auprès du peuple pèsera aussi sur son destin. Le nom sera lourd à porter pour un personnage qui décevra fatalement.

Baron Haussmann : préfet de la Seine, puis sénateur, député, resté célèbre pour l’urbanisme à son nom.

« Osman, préfet de Bajazet,
Fut pris d’un étrange délire :
Il démolissait pour construire,
Et pour démolir, construisait.
Est-ce démence ? Je le nie.
On n’est pas fou pour être musulman ;
Tel fut Osman,
Père de l’osmanomanie. »2258

Gustave Nadaud (1820-1893), L’Osmanomanie, chanson. Chansons de Gustave Nadaud (1870)

Texte en forme de conte, signé d’un poète chansonnier qui fait la satire du Second Empire. Ces formes de contestation échappent à l’anonymat, preuve que les auteurs courent moins de risques que jadis.

Nommé préfet de la Seine en 1853 au terme d’une carrière préfectorale complète (secrétaire général de préfecture, sous-préfet, conseiller de préfecture, préfet en province), le baron Haussmann (1809-1891) voit grand et beau pour le Paris impérial. Il faut en finir avec le Paris de Balzac aux rues pittoresques, mais sales et mal éclairées, créer une capitale aussi moderne que Londres qui a séduit l’empereur, creuser des égouts, approvisionner en eau les Parisiens, aménager des espaces verts, loger une immigration rurale massive, percer de larges avenues pour faciliter l’action de la police et de l’artillerie contre d’éventuelles barricades. D’où la suite de la chanson : « Ce qu’auraient tenté sans profit / Les rats, les castors, les termites / Le feu, le fer et les jésuites / Il le voulut faire et le fit. / Puis quand son œuvre fut finie / Il s’endormit comme un bon musulman / Tel fut Osman / Père de l’Osmanomanie. »

On accuse le baron de sacrifier des joyaux anciens, d’avoir un goût immodéré pour la ligne droite et bientôt de jongler avec les opérations de crédit. Les grands travaux d’« Osman » se révèlent ruineux, l’« osmanomanie » rime avec mégalomanie, les combinaisons de crédit sont douteuses. Le préfet Haussmann sera limogé en 1869, mais le Paris impérial de ses rêves et de ses plans est presque achevé et restera le nôtre, jusque sous la Quatrième République.

Auguste Blanqui : philosophe, homme politique, journaliste, communard, député et souvent prisonnier.

« Le communisme, qui est la révolution même, doit se garder des allures de l’utopie et ne se séparer jamais de la politique. »2049

Auguste BLANQUI (1805-1881). Encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative de l’Internationale ouvrière (1912), Adéodat Constant Adolphe Compére-Morel

Théoricien socialiste, le personnage a le sens de la formule : « L’économie politique est le code de l’usure » ; « Le capital est du travail volé » ; « L’Épargne, cette divinité du jour, prêchée dans toutes les chaires, l’Épargne est une peste » ; etc. Mais Blanqui est surtout un révolutionnaire pur et dur, qui organise des sociétés secrètes, multiplie les conspirations et passera au total trente ans de sa vie en prison, d’où son surnom : l’Enfermé..

Rochefort : journaliste engagé, pamphlétaire, communard, homme très politique au parcours erratique.

« La France, dit l’Almanach impérial, contient trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement. »2294

Henri ROCHEFORT (1831-1913), La Lanterne, 1er juin 1868

Première phrase du premier numéro, tiré à 50 000 exemplaires. Un vent de liberté souffle sur l’Empire qui abolit le régime de la presse de 1852 : l’autorisation préalable et le système des avertissements sont supprimés, la liberté de la presse souffrant encore de restrictions.

Rejeton d’une famille de marquis ruinée par la Révolution, plume acérée qui fit ses classes au Charivari et au Figaro, Rochefort renchérit bientôt : « Il paraît que la Constitution anglaise interdit à la souveraine de parler politique. La Constitution française est moins sévère ; elle ne l’interdit qu’aux journalistes. » La Lanterne, 15 août 1868. Son humour politique le forcera sa vie durant à faire de nombreux séjours à l’étranger. Exilé en Belgique, il revient en France pour se faire élire député d’extrême-gauche de Belleville en 1869 et fonde La Marseillaise. L’un de ses journalistes, Victor Noir, est tué d’un coup de pistolet par le prince Pierre Bonaparte le 10 janvier 1870. L’affaire ébranle le régime et Rochefort écrit : « J’ai eu la faiblesse de croire qu’un Bonaparte pouvait être autre chose qu’un assassin ».

Sous la Troisième République, il participe au gouvernement de la Défense nationale (1870). Élu député de Paris, il rejoint la Commune et sera déporté en Nouvelle-Calédonie avec Louise Michel, la Vierge rouge. Seul déporté ayant réussi à s’évader, revenu en France après l’amnistie, il fonde un nouveau journal, L’Intransigeant… Il soutient le général Boulanger, s’égare dans des conspirations aventureuses avant de se ranger dans le camp ultra-nationaliste, antidreyfusard et revanchard (partisan de la guerre avec l’Allemagne).

Louis Blanc : journaliste, historien, militant républicain, membre du gouvernement provisoire de la Deuxième République, député sous la Troisième.

« Pour chaque indigent qui pâlit de faim, il y a un riche qui pâlit de peur. »2101

Louis BLANC (1811-1882), Organisation du travail (1839)

Cet ouvrage fait connaître le jeune journaliste : il y expose un programme de réformes socialistes qu’il ne va plus cesser de défendre. Journaliste de gauche, socialiste d’opposition violente, il exprime sa méfiance vis-à-vis de la politique : « Ce qui effraie le plus dans les partis, ce n’est pas ce qu’ils disent, c’est ce qu’ils négligent ou refusent de dire. » Rappelons que les partis politiques, au sens moderne du terme, sont nés sous la Monarchie de Juillet qu’il combat.

Socialiste et républicain, il participe à la campagne des Banquets en faveur du suffrage universel et propose, au lendemain de la Révolution de 1848, la création des Ateliers nationaux (ou sociaux) : « Le gouvernement provisoire s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail. Il s’engage à garantir le travail à tous les citoyens. » C’est l’affirmation du « droit au travail » – titre de son essai en 1849. Mais la définition en reste confuse et l’application fut catastrophique. Il est contraint de s’exiler à Londres après les Journées de Juin, étant tenu pour responsable des émeutes. Il y demeure jusqu’à la fin de la guerre franco-prussienne de 1870 et entre de nouveau à l’Assemblée nationale en 1871, siégeant une dizaine d’années à l’extrême gauche sous la Troisième République, toujours fidèle à ses idées.

Proudhon : bouvier, ouvrier typographe, correcteur, imprimeur (en faillite), autodidacte passionné, polémiste, journaliste, économiste, philosophe, sociologue, député.

« La propriété, c’est le vol. »2102

Pierre Joseph PROUDHON (1809-1865), Qu’est-ce que la propriété ? (1840)

Cette formule retentissante schématise la pensée de l’auteur qui en est cependant très fier : « Cette proposition fera le tour du monde et causera plus d’émoi que la cocarde de La Fayette. »

L’homme est attachant, ne serait-ce que par cet aveu : « Je sais ce que c’est que la misère. J’y ai vécu. Tout ce que je sais, je le dois au désespoir. » Ce fils d’une cuisinière et d’un tonnelier est d’ailleurs le seul théoricien révolutionnaire issu d’un milieu populaire, au XIXe siècle. Son CV est également à son honneur : l’ascenseur social a exceptionnellement bien fonctionné, dans ce cas exemplaire. Épouvantail pour la bourgeoisie de la Monarchie de Juillet longtemps traumatisée par le fameux « Qu’est-ce que la propriété ? C’est le vol ! », nul mieux que cet homme du peuple ne mérite le titre de « représentant du peuple », quand il est sera élu député sous la Deuxième République.

Représentant du socialisme à la française, Proudhon critique le communisme de Marx (grand bourgeois) dans La Philosophie de la misère (1846) et Marx lui répond dans La Misère de la philosophie (1847), le traitant, insulte suprême, de « petit-bourgeois constamment ballotté entre le Travail et le Capital, entre l’économie politique et le communisme ».

Individualiste farouche, affirmant que « le gouvernement de l’homme par l’homme, sous quelque nom qu’il se déguise, est oppression », Proudhon est à la fois le père de l’anarchisme, le fondateur du système mutualiste et l’ancêtre du syndicalisme – les syndicats ne seront autorisés par la loi qu’en 1884.

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