Les Animaux dans notre Histoire (de la Gaule au siècle de Louis XIV) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Aimez-vous les bêtes ? L’histoire en est pleine, avec toutes les citations qui les font vivre, tirées de notre Histoire en citations au fil des chroniques et numérotées : Abeille, Aigle, Aiglon, Âne, Anguille, Araignée, Autruche, Blaireau, Bœuf, Caméléon, Caniche, Chat, Chenille, Cheval, Chien, Colley, Colombe, Coq, Corbeau, Corniaud, Dindon, Dogue, Écureuil, Éléphant, Frelon, Génisse, Grenouille, Grue, Guenon, Lézard, Lion, Loup, Mammouth, Morue, Moucheron, Mulet, Oie, Ours, Papillon, Porc-épic, Poule, Rat, Renard, Salamandre, Serpent, Singe, Souris, Taon, Vache.

Un vrai Zoo – disons plus élégamment, un bestiaire. Ajoutons à cette liste deux noms génériques : Animal et Bête, souvent évoqués avec une connotation critique, jusqu’au siècle dernier.

Une bonne centaine d’espèces sont par ailleurs présentes dans trois chefs d’œuvre qui ont naturellement leur place dans cette histoire : le Roman de Renart (série de récits anonymes au Moyen Âge), les Fables de La Fontaine au siècle de Louis XIV et Chantecler (1910), pièce à grand spectacle d’Edmond Rostand, pratiquement injouable.

De la Gaule à nos jours, un gagnant s’impose, le cheval : « La plus noble conquête que l’homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats » (Buffon). Sur chaque cheval, il y a un chevalier et de la chevalerie naît la cavalerie, force principale des armées… jusqu’à l’apparition du « cheval-vapeur » et de la motorisation au XIXe siècle. N’oublions pas le cheval de labour dans une France agricole à 90 % et celui qui tire les voitures - carrosse, diligence, transport de marchandises. Le cheval est aussi un loisir associé à la chasse, sport très pratiqué. Enfin, c’est un personnage principal dans tous les portraits et statues équestres mettant en valeur les rois, les empereurs et les grands militaires.

Le chien est réputé « le meilleur ami de l’homme » - même si le cheval a aussi cette prétention. Comme lui, il participe à la chasse pratiquée par le peuple et les nobles. Mais contrairement au cheval, le chien est souvent méprisé, son nom sonnant comme une injure.

« Le chat semble mettre un point d’honneur à ne servir à rien, ce qui ne l’empêche pas de revendiquer au foyer une place meilleure que le chien » (Michel Tournier, Le Miroir des idées). Avant de devenir l’animal domestique préféré des Français, il peine à se distinguer du lot.

Parmi tous les animaux, chacun peut prétendre à son heure de gloire, à commencer par le bœuf et l’âne de la crèche, plus mythiques que chrétiens. Si le lion est réputé roi des animaux, ça ne lui vaut pas une grande présence dans l’histoire des hommes, mais il en impose quand même. Chiens et poules, chats et souris sont naturellement plus populaires. L’aigle (parfois royal pour les naturalistes) aura son siècle de gloire avec Napoléon et le culte impérial qui rejaillit sur l’infortuné Aiglon. Les corbeaux ont toujours mauvaise réputation – avec leurs cris, leur noir plumage. Le coq est à la fois très mâle et très gaulois. Le renard s’en sort bien, toujours plus malin que les autres.

Des outsiders illustrent les blasons et les armoiries ou font symboles dans les devises : salamandre, porc-épic, écureuil…

La métaphore animale est fréquente et fait toujours image avec humour, parfois avec humeur. La philosophie et le théâtre s’en mêlent. Les modes passent… Mais l’animal reste, jouant le rôle que l’homme lui donne ou que la nature impose. Une Histoire toujours à suivre.

Nous vous proposons ce récit animalier en deux épisodes :
I. De la Gaule au siècle de Louis XIV - II. Du Siècle des Lumières à nos jours.

« Il y a dans la Gaule deux classes d’hommes qui comptent et qui sont honorées : celle des druides et celle des chevaliers. »4

Jules CÉSAR (101-44 av. J.-C.), Commentaires de la guerre des Gaules

La Gaule. Mille ans d’histoire (VIe siècle av. J.-C. – 481) et deux périodes : Gaule celtique et Gaule romaine. La colonisation (suivie de la pax romana) rime avec civilisation. Quant au chevalier, devenu plus tard cavalier, il va marquer l’Histoire… jusqu’à ce que le moteur remplace le cheval, en temps de guerre et de paix.

Les chevaliers, soumis au roi en temps de guerre, sont entourés de « clients » unis à eux par des liens de vassalité personnelle (origine de la féodalité) et font travailler des serfs sur des territoires comparables à nos cantons.

Les druides cumulent trois fonctions : prêtres allant cueillir le gui sacré, offrant des sacrifices et assurant le culte de quelque 400 dieux ; éducateurs transmettant à la jeunesse aristocratique des poèmes héroïques (non écrits) nourris de légendes gauloises et de connaissances historiques, juridiques, astrologiques ; juges prononçant des arbitrages et des peines capitales en fonction d’un rituel précis.

Au-dessous de ce « clergé » et de cette « noblesse », le peuple forme le « tiers ordre ». Au total, la Gaule comptait, selon César, 10 millions d’habitants au Ier siècle av. J.-C. Les historiens modernes confirment.

« Or, le troisième jour après la naissance du Seigneur, Marie sortit de la grotte, entra dans une étable, et elle déposa l’enfant dans la crèche, et le bœuf et l’âne l’adorèrent. Ainsi s’accomplit ce qui avait été dit par le prophète Isaïe : le bœuf a connu son maître et l’âne, la crèche de son maître. ».

Évangile du Pseudo Matthieu, daté du VIIe siècle

Contrairement à la croyance et aux crèches de Noël, l’âne et le bœuf ne figurent pas dans les Évangiles canoniques et les chrétiens du Ier siècle seraient surpris de voir ces animaux aux côtés de Marie et de l’enfant Jésus !

Le thème du bœuf et de l’âne vient d’une tradition du VIIe siècle, consignée dans l’évangile apocryphe du pseudo-Matthieu inspiré d’un texte d’Isaïe : « Le bœuf connaît son possesseur, Et l’âne la crèche de son maître : Israël ne connaît rien, Mon peuple n’a point d’intelligence. »

Au VIe siècle, le moine Denys le Petit place l’Annonciation le 25 mars et la naissance de Jésus neuf mois plus tard, donc le 25 décembre de l’année 753 de Rome (année 1 de notre calendrier), pour qu’elle coïncide avec le début d’un cycle pascal.

D’un point de vue historique, la date de naissance de Jésus reste incertaine, comme celle de sa mort (peut-être à 33 ans). Sa vie même fait toujours débat. Seule certitude, la religion chrétienne va changer le monde et marquer profondément l’histoire de la France, « fille aînée de l’Église ».

Rappelons que Jésus est le personnage le plus universellement célèbre – juste avant Napoléon !

Quant au bœuf et à l’âne (gris), entrés dans la légende avec la crèche, ils font partie de notre mémoire collective, bien au-delà de la communauté des croyants. Ainsi ont-ils vécu leur heure de gloire, avant toutes les vicissitudes inhérentes aux réalités de la condition animale.

« Cette race [les Huns] dépasse toutes les formes de la sauvagerie […] Ils sont affreusement laids. On dirait des bêtes à deux pattes. Ils ne se nourrissent pas d’aliments cuits au feu ni assaisonnés, mais de racines de plantes sauvages et de chairs demi crues d’animaux de toute sorte qu’ils échauffent quand ils sont à cheval entre leurs cuisses. »42

AMMIEN MARCELLIN (vers 330-vers 400), Res Gestae (Histoires), 31e et dernier livre

Le plus grand historien de cette Antiquité tardive, le dernier à écrire en latin et l’un des derniers auteurs païens, nous conte ici un événement dont il est contemporain : la fuite des Goths devant les hordes de Huns.

Peuplade turco-mongole, très provisoirement unifiée par Attila en un vaste empire, les Huns massacrent les autres barbares, pillent l’Empire d’Orient et envahissent la Gaule, en 451 : « Là où Attila a passé, l’herbe ne repousse plus. » Ce mot recueilli par Grégoire de Tours un siècle et demi après l’invasion des Huns montre la mémoire encore vive, en Gaule, de ces barbares et de leur chef, Attila surnommé Fléau de Dieu, devenu quasi-mythique.

Avec le recul du temps, on peut aussi en sourire : « Je crois que là où Attila passait, l’herbe repoussait quand même un peu, parce que leurs chevaux faisaient un peu de crottin » Claude Schnerb (L’Humour vert, 1964).

« Allez et délivrez le taureau ou bien tuez le lion. »89

PÉPIN le Bref (vers 715-768), vers 751. La Légende de Pépin le Bref, Gaston Paris

Moyen Âge. Le père de Charlemagne, Pépin le Bref, dit aussi le Nain, sait que les principaux chefs francs le méprisent en raison de sa petite taille.

Après une victoire, il veut affirmer son autorité de roi et prouver sa force. Il fait amener un taureau et un lion, le combat des deux bêtes féroces commence, et quand l’énorme fauve renverse le taureau et va l’étrangler, il met au défi tous les grands : « Allez… » Aucun ne se risque, et Pépin, en un seul coup d’épée, tranche la tête du lion… et du taureau. La scène fait naturellement forte impression sur les hommes.

« En peine et en malice tu as usé ton âge,
Tu as vécu des larmes d’autrui et du pillage.
Maint homme as exilé et tourné en servage
Et mis par pauvreté mainte femme au putage […]
Tu prends soin de ton âme comme bête sauvage […]
Mue ta mauvaise vie et change ton courage.
Reçois la Chrétienté et fais au roi hommage. »114

FRANCON (seconde moitié du IXe siècle), archevêque de Rouen, au chef normand Rollon (ou Rou ou Robert). Roman de Rou (écrit entre 1160 et 1170), Robert Wace

Telles sont les belles paroles prêtées au poète anglo-normand, dans sa chronique sur les ducs et le duché de Normandie. La « bête sauvage » symbolise le mal, aux antipodes des vertus chrétiennes et de sa civilisation.

L’archevêque morigène le Normand qui, repoussé de Paris, ravage le pays chartrain. Les Francs, sous le commandement du comte de Paris, vont lui infliger une sanglante défaite, le 20 juillet 911. Rollon accepte alors de faire hommage au roi de France, Charles V le Simple.

« Tu croiras tout ce qu’enseigne l’Église et observeras tous ses commandements. »127

Premier des dix commandements du parfait chevalier. L’Église et le droit de guerre (1920), Pierre Batiffol, Paul Monceaux, Émile Chénon

Institution sacrée du Moyen Âge, la chevalerie. Le chevalier doit suivre un code de conduite, sous peine de perdre son statut. Loyauté, courtoisie, honneur, fierté, bonne foi, bravoure, recherche de gloire et de renommée, obéissance à la hiérarchie et respect de la parole donnée, telles sont les valeurs chevaleresques.

Ce code de la chevalerie se résume en dix commandements, comme le décalogue de l’Église. La première règle est la plus importante. Qui n’est pas chrétien ne peut devenir chevalier.

« Tu seras partout et toujours le champion du Droit et du Bien contre l’Injustice et le Mal. »131

Dernier des dix commandements du parfait chevalier. L’Église et le droit de guerre (1920), Pierre Batiffol, Paul Monceaux, Émile Chénon

Ce code de la chevalerie propose un idéal difficile à observer continuellement et tous les chevaliers ne seront pas des Saint Louis ou des Bayard ! Mais il sert assurément de frein à des hommes qui, sans ces règles, auraient été sauvages et indisciplinés.

« Jamais ne vis si beau chevalier sous les armes, car il dominait toute sa suite des épaules, son heaume doré sur le chef, son épée en la main. »150

Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis

Joinville accompagne Louis IX en Égypte, lors de la septième croisade (1248). Le fidèle chroniqueur admire ici le guerrier - à la bataille de Mansourah, en 1250. On imagine mal le futur saint en roi guerrier, premier chevalier de France, chevauchant à la tête de ses troupes. Et pourtant, cela fait partie du métier de roi et nul ne peut y déroger !

Quant à la croisade, c’est une guerre sainte, prêchée par le pape et toute la chevalerie française s’est engagée : « Tu feras aux Infidèles une guerre sans trêve et sans merci. » Sixième commandement du parfait chevalier.

Le Moyen Âge, époque de foi et temps des cathédrales, va vivre sous le signe des huit croisades, de 1095 à 1270.

 « Le cheval, comme chacun sait, est la part la plus importante du chevalier. »

Jean GIRAUDOUX (1882-1944), Ondine (1939)

Tragédie (romantique et romanesque) en trois actes, créée à l’Athénée, mise en scène et interprétée par Louis Jouvet, avec Madeleine Ozeray dans le rôle-titre. Isabelle Adjani, 19 ans, incarnera idéalement Ondine à la Comédie-Française en 1974. You Tube en garde la mémoire.

L’action se situe dans un Moyen Âge mythique (et germanique). Ondine, fille des eaux et créature d’un autre monde malgré ses apparences humaines, s’est éprise du Chevalier Hans von Wittenstein, chevalier errant rencontré par hasard, un soir de tempête : « Comme vous êtes beau ! » dit-elle. Se fiant à sa passion, elle accepte le pacte du Roi des Ondins : pour vivre cet amour humain, elle quitte son monde des eaux vives.

Le drame d’Ondine, c’est qu’elle se conduit à la fois en fille des eaux et en femme égarée dans ce monde humain et cruel. Le Chevalier Hans la trompe avec Bertha et lui ment, Ondine prétend l’avoir elle-même trompé avec le poète Bertram. Jeu cruel qui fait souffrir le Chevalier lui-même. Il en perd la raison et bientôt la vie. Ondine est condamnée avec des circonstances atténuantes : elle a agi par amour. Elle perd seulement la mémoire et quand elle découvre le Chevalier si beau, mais impossible à ranimer, elle dit simplement :  « Comme c’est dommage ! Comme je l’aurais aimé ! »

« Vous êtes semblable au chien qui crie avant que la pierre ne lui soit tombée dessus. »,

ROMAN de RENART, récits en vers écrits entre 1170 et 1250 par plusieurs auteurs, la plupart anonymes

Nommé roman, parce qu’écrit en langue romane (français) et non en latin, il est destiné à divertir les gens du peuple peu sensibles aux romans de chevalerie. Les personnages sont des animaux « personnifiés », dotés de qualités ou défauts humains… et de la parole. Loin du gentil conte pour enfants, cette critique sociale au langage cru et réaliste use de l’imagerie animalière pour s’autoriser une liberté de ton sans borne.

C’est une parodie des classes dominantes incapables de nourrir les petites gens, des chansons de geste et des romans courtois, avec transgression des tabous religieux si importants au Moyen Âge. Dieu est absent et toutes les formes sociales de la religion (pèlerinage, croisade ou clergé) sont tournées en dérision.

Ce roman conte l’histoire d’un goupil nommé Renart (du prénom germanique Reinhard), devenu célèbre au point de remplacer le goupil, nom commun désignant l’animal. Renart multiplie les méfaits au fil des nombreuses histoires et s’en sort toujours (sauf à la fin). Cela commence par des petits vols, destinés à nourrir sa femme et leurs trois fils, ou des blagues contre le loup Ysengrin, autre acteur principal.

Le Roman de Renart offre une fabuleuse galerie de personnages (animaux) riches en couleurs. Voici la liste :
Renart, le goupil espiègle, personnage principal, fripon et frivole, qui se joue d’Ysengrin et Cie.
Ysengrin, le loup bête, glouton et parfois cruel, éternel ennemi de Renart et toujours dupé, voire cocu.
Dame Hersent, la louve jadis violée par Renart, d’où une éternelle rancœur entre les deux compères.
Tibert, le chat particulièrement bien « croqué », piégé par Renart, mais rival parfois plus rusé encore.

On trouve aussi : Noble, le lion, roi des animaux - Dame Fière, la lionne, sa femme, reine des animaux - Beaucent, le sanglier - Espineux, le hérisson - Belin, le mouton - Petitfouineur, le putois - Baudoin, l’âne, secrétaire du roi - Brun, l’ours (référence à la couleur de sa robe ou à un nom germanique traditionnel) - Chanteclerc le coq - Couart, le lièvre - Eme, le singe, époux de Dame Rukenawe, la guenon - Grimbert, le blaireau, défenseur et cousin de Renart - Hermeline, la renarde, épouse de Renart - Tiécelin, le corbeau qui déroba un fromage à la fenêtre d’une maison de campagne et se le fit voler par Renart - Blanche, l’hermine - Brichemer, le cerf - Bernard, l’âne -Courtois, petit chien - Drouin, le moineau qui s’est fait manger ses enfants par Renart - Jacquet, l’écureuil - Dame Mésange dont le fils a Renart pour parrain - Musart, le chameau, légat du Pape - Ordegale, le castor - Pantecroet, la loutre - Percehaie, Malbranche et Renardel, fils de Renart et d’Hermeline - Roonel le mâtin (gros chien) - Dame Rukenawe, la guenon, épouse d’Eme, le singe - Tardif, le limaçon - Rohart le corbeau - Pinte et Copette, les deux poules - Pelé, le rat.

« Tibert, viens ici, dit Renart en le flattant, tu es bon et valeureux, monte cette corde au plafond et attache-la. » Même menacé de pendaison ou de noyade, le chat ne pourrait pas la porter tout seul, car il n’est pas assez fort. Renart lui donne un coup de main pour l’attacher aux poutres, mais il lui prépare un sale coup. »

ROMAN DE RENART, récits en vers écrits entre 1170 et 1250 par plusieurs auteurs, la plupart anonymes

Ça rappelle furieusement Le Corbeau et le Renard de La Fontaine. Ce n’est pas un hasard - notre fabuliste ne s’est pas inspiré que d’Ésope.  

La suite du récit est plaisante (dans une version joliment adaptée du vieux français et disponible sur le Web) :

« Renart somme alors Tibert de la parcourir d’un bout à l’autre, et ce sera tout. Tibert pense pouvoir s’en tirer car il s’y connaît dans ce domaine, à condition toutefois que la corde soit bien faite et non enchantée. Habitué à grimper, il monte facilement jusqu’aux poutres. Alors qu’il croit sauter sur la corde, il rate son coup malgré lui et fait une vilaine chute. Il descend en piqué, s’écrase par terre en beauté, et grimace de douleur en serrant les dents. Il a bien failli casser sa pipe ! Puis il tombe dans les pommes, et gît au milieu de la salle dans un sale état. »

Mais Tibert n’est pas chat pour rien et va nous le prouver au fil du Roman de Renart.

« Heureux Tibert ! sa queue lui suffisait pour exercer son adresse et lui donner carrière : il la guettait de l’œil, la poursuivait, la laissait aller et venir, la saisissait au moment où elle y pensait le moins, l’arrêtait entre ses pattes et la couvrait alors de caresses, comme s’il eût craint de l’avoir un peu trop malmenée…. »

ROMAN DE RENART, récits en vers écrits entre 1170 et 1250 par plusieurs auteurs, la plupart anonymes

« … Il venait de prendre la pose la plus abandonnée, tour à tour allongeant les griffes et les ramenant dans leur fourreau de velours, fermant les yeux et les entrouvrant d’un air de béatitude, entonnant ce murmure particulier que notre langue ne sait nommer qu’en l’imitant assez mal, et qui semble montrer que le repos parfait du corps, de l’esprit et du cœur peut conduire à l’état le plus doux et le plus désirable. »

Ce récit médiéval sans nulle prétention scientifique est pourtant plus fidèle au Chat que le portrait qu’en dressera Buffon au siècle des Lumières, tout scientifique et naturaliste qu’il est.

« Ce n’est ni un homme ni une bête, c’est une statue. »230

Bernard SAISSET (vers 1232-vers 1311), parlant de Philippe le Bel. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

L’évêque de Pamiers est ami du pape Boniface VIII, qui a créé cet évêché pour lui. Le portrait qu’il fait du roi, ennemi déclaré du pape, est fatalement partial. Mais les adversaires de Philippe le Bel l’appelleront souvent « roi de fer » ou « roi de marbre », il doit donc y avoir une part de vérité dans ce portrait.

« Là, on put voir toute la noblesse de France gésir en de profonds fossés, la gueule bée et les grands destriers, les pieds amont et les chevaliers dessous. »241

Frantz FUNCK-BRENTANO (1862-1947), Chronique artésienne, 1295-1304

Fait capital du Moyen Âge. La noblesse française est littéralement décimée. Dans ce désastre de Courtrai périront Robert d’Artois, Raoul de Nesle et Pierre Flotte (le chancelier), avec 6 000 hommes de pied et chevaliers.

Cette « bataille des Éperons d’or » marque un tournant capital dans l’histoire militaire : pour la première fois, des fantassins (dits piétons, voire piétaille, ou infanterie) l’emportent sur l’élite des cavaliers. Les précieux éperons sont récupérés par les Flamands pour orner l’église Notre-Dame de Courtrai. Beaucoup de Belges verront dans cette victoire l’acte de naissance de leur nation.

« Les œuvres de piété et de miséricorde, la libéralité magnifique qu’exerce dans le monde entier et en tout temps le saint ordre du Temple, divinement institué depuis de longues années, son courage […] nous déterminent justement […] à donner des marques d’une faveur spéciale à l’ordre et aux chevaliers pour lesquels nous avons une sincère prédilection. »247

PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), Lettre datée de 1304. Histoire des sociétés secrètes, politiques et religieuses (1847), Pierre Zaccone

Les Templiers, premier ordre militaire d’Occident, créé en 1119 pour la défense des pèlerins, reviennent de Terre sainte d’où les derniers descendants des croisés ont été chassés. Ils se replient sur leurs possessions européennes, disposant par ailleurs d’une force armée considérable pour l’époque (15 000 lances).

Le roi octroie de nouveaux privilèges à ces chevaliers et songe même à entrer dans l’ordre, mais sa candidature est refusée – selon d’autres sources, le refus concerne le fils du roi. Trois ans plus tard, il va changer d’attitude.

« Cette engeance […] comparable aux bêtes privées de raison, que dis-je ? dépassant la brutalité des bêtes elles-mêmes […] commet les crimes les plus abominables […] Elle a abandonné son Créateur […] sacrifié aux démons. »251

PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), parlant des Templiers. Les Templiers (1963), Georges Bordonove

Voilà les chevaliers du Temple jadis honorés par le roi et réputés dans tout le monde civilisé, maintenant comparé à des  « bêtes privées de raison » On voit jusqu’où peut aller la duplicité de Philippe le Bel pour justifier une action injustifiable sur le plan de la pure équité !

L’affaire des Templiers va durer sept ans et rester tragiquement célèbre dans les annales judiciaires.

« Aventurer ses armes, c’est mettre en aventure la parure de ses enfants et de son lignage. »270

Olivier de LA MARCHE (1426-1502), Mémoires

La coutume veut que le chevalier ne porte pas sur lui les armes de sa famille, mais des armes de fantaisie, pour ne pas compromettre l’honneur des siens en cas de défaite.

Chroniqueur et poète du temps, l’auteur se plaît à rapporter les exploits des chevaliers dans les joutes et tournois.

Les tournois ressemblent à des situations de guerre, pour mettre les chevaliers dans les conditions de la bataille à venir, mais ces compétitions prennent la forme de spectacles. Les joutes n’opposent que deux adversaires. Nées au XIIIe s, moins meurtrières, elles sont mieux acceptées par les autorités civiles et religieuses

Denis de Rougemont voit dans le tournoi « la synthèse à peu près parfaite des instincts érotiques et guerriers et de la règle courtoise idéale. » (La Tentation de l’Occident). Ce jeu, à la fois « show et sport », culmine au XVe siècle, quand la chevalerie cesse d’être un ordre militaire, après les terribles défaites de Crécy, Poitiers et Azincourt, face à la piétaille des archers anglais.

« Ces bombardes menaient si grand bruit qu’il semblait que Dieu tonnât, avec grand massacre de gens et renversement de chevaux. »283

Jean FROISSART (vers 1337-vers 1400), Chroniques, bataille de Crécy, 26 août 1346

Guerre de Cent Ans. Les canons anglais, même rudimentaires et tirant au jugé, impressionnent les troupes françaises avec leurs boulets de pierre. L’artillerie anglaise, jointe à la piétaille des archers gallois, décime la cavalerie française réputée la meilleure du monde, mais trop pesamment cuirassée pour lutter contre ces armes nouvelles. À cela s’ajoutent le manque d’organisation, l’incohérence du commandement, la panique dans les rangs.

La bataille de Crécy, c’est le commencement de la fin de la chevalerie en tant qu’ordre militaire. C’est aussi une révolution dans l’art de combattre. Malheureusement, les Français n’ont pas compris la leçon, à cette première défaite. Dix ans après, la bataille de Poitiers se révèle plus terrible encore.

« Là périt toute la fleur de la chevalerie de France : et le noble royaume de France s’en trouva cruellement affaibli, et tomba en grande misère et tribulation. »297

Jean FROISSART (vers 1337-vers 1400), Chroniques

Bataille de Poitiers (1356). Autre date funeste. Jean le Bon (ou le Brave) aligne 15 000 hommes. Face à lui, 7 000 Anglais et à leur tête, le Prince Noir – prince de Galles, redoutable chef de guerre. Les archers anglais, bien placés, criblent de flèches par le côté nos chevaliers français qui ne sont armés et protégés que de face. Les Anglais renouvellent leur tactique gagnante, archers anglais contre chevaliers français.

Froissart dresse le bilan : « Avec le roi et son jeune fils Monseigneur Philippe, furent pris dix-sept contes, outre les barons, chevaliers et écuyers et six mille hommes de tous rangs. » Chiffres considérables pour l’époque et « fortuneuse bataille » pour les Anglais : leur Prince Noir a capturé le roi de France ! Il a aussi ordonné le massacre des soldats français blessés qui ne pouvaient payer rançon, chose contraire à toutes les règles de la chevalerie – selon la légende, il en eut honte devant son père le roi d’Angleterre et mit son armure à la couleur du deuil.

Jean II le Bon choisit de se rendre au lieu de fuir, pour sauver l’honneur perdu de l’armée. En fait, la France va le payer cher. Outre la guerre à financer, il faut verser la rançon du roi prisonnier en Angleterre : 4 millions d’écus d’or, somme proportionnelle à son prestige. Les impôts s’alourdissent (gabelle et taille). Les paysans pauvres, les Jacques, vont se révolter (d’où le mot de « jacquerie »), tandis que les Grandes Compagnies (bandes de mercenaires) pillent et rançonnent les plus riches provinces. Pour comble, Paris se soulève contre le pouvoir royal représenté par le dauphin Charles, la guerre civile s’ajoutant alors à la guerre étrangère. C’en est fini de « beau Moyen Âge » et de la chevalerie.

« Vainqueur de gens et conquéreur de terre, le plus vaillant qui onques fut en vie,
Chacun pour vous doit noir vêtir et querre [chercher].  Pleurez, pleurez, fleur de la chevalerie. »315

Eustache DESCHAMPS (vers 1346-vers 1406), Ballade sur le trépas de Bertrand Du Guesclin

La chevalerie, ancêtre de la cavalerie, faisait la force et la grandeur des armées du temps, quand elle n’était pas victime des archers (anglais) plus légers.

Capitaine puis connétable, ce guerrier incarna le sentiment patriotique naissant. D’une laideur remarquable et d’une brutalité qui fit la honte de sa famille, il gagna le respect de la noblesse, par son courage, sa force et sa ruse, pour devenir le type du parfait chevalier, héros populaire dont poèmes et chansons célèbrent les hauts faits.

« Les archers d’Angleterre, légèrement armés, frappaient et abattaient les Français à tas, et semblaient que ce fussent enclumes sur quoi ils frappassent […] et churent les nobles (chevaliers) français les uns sur les autres, plusieurs y furent étouffés et les autres morts ou pris. »323

Jean JUVÉNAL (ou Jouvenel) des URSINS (1350-1431), Chronique de Charles VI

Guerre de Cent Ans, suite. Le roi d’Angleterre Henri V débarque près de l’embouchure de la Seine, en août 1415. Le 25 octobre, Anglais et Français s’affrontent à Azincourt.

Les chevaliers français, empêtrés dans des armures pesant plus de 20 kg, sont à nouveau décimés par les archers anglais. Selon l’un des témoins oculaires de la bataille, Lefebvre de Saint-Rémy : « C’était pitoyable chose à voir, la grande noblesse qui là avait été occise, lesquels étaient déjà tout nus comme ceux qui naissent de rien. »

La seconde période de la guerre de Cent Ans débute mal : 7 000 Français tués, pour la plupart chevaliers, 1 500 prisonniers, dont le duc Charles d’Orléans qui passera vingt-cinq années de captivité à écrire des poèmes.
Mais le cheval a encore un bel avenir dans la guerre : la cavalerie remplace la chevalerie… et une cavalière tombée du ciel va changer le cours de l’histoire, sitôt sacrée héroïne de la Guerre de Cent Ans.

« Entrez hardiment parmi les Anglais ! Les Anglais ne se défendront pas et seront vaincus et il faudra avoir de bons éperons pour leur courir après ! »342

JEANNE d’ARC (1412-1431), Harangue aux capitaines, Patay, 18 juin 1429. 500 citations de culture générale (2005), Gilbert Guislain, Pascal Le Pautremat, Jean-Marie Le Tallec

Victoire décisive à Patay : défaite des fameux archers anglais et revanche de la cavalerie française éperonnant ses chevaux. Suite à cet exploit, Auxerre, Troyes, Chalons ouvrent la route de Reims aux Français qui ont repris confiance en leurs armes et se réapproprient leur terre de France. Le Dauphin Charles, surnommé « petit roi de Bourges », a lui aussi repris courage grâce à Jeanne. Sacré à Reims le 17 juillet 1429, Charles VII peut porter son titre de roi. Plusieurs villes font allégeance : c’est « la moisson du sacre ».

Paris sera repris en avril 1436 et le roi y fait une « joyeuse entrée », le 12 novembre 1437. Charles VII « boute » enfin les Anglais hors de France. Il ne leur reste que Calais. C’est la fin de la guerre de Cent Ans.

« Il a reçu chez lui un renard qui mangera ses poules. »363

CHARLES VII (1403-1461), apprenant que son fils s’est réfugié chez le duc de Bourgogne, fin août 1456. Histoire de France, V (1841), Jules Michelet

Le roi régnant parle du futur roi Louis XI : le père connaît la perfidie du fils, dauphin impatient d’accéder au trône et dernier grand roi du Moyen Âge. Le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, grand féodal et souverain le plus puissant d’Europe, est trop heureux d’accueillir chez lui le futur roi de France venu conspirer contre son père. C’est un cas assez rare, ce vilain rôle revenant généralement au frère du roi.

La métaphore animale fait presque honneur au renard réputé malin, surtout depuis le fameux Roman de Renart. Quant aux poules, ce sont quasiment des victimes (femelles) désignées par la nature.

« Est-ce là un roi de France, le plus grand roi du monde ! Ce semble mieux être un valet qu’un chevalier. Tout ne vaut pas vingt francs, cheval et habillement de son corps. »368

Habitants d’Abbeville voyant entrer le roi Louis XI qui chevauche à côté de Philippe le Bon, 1463. Le Moyen Âge (1961), Michel Mollat, René van Stanbergen

Le duc de Bourgogne est aussi fastueusement vêtu que Louis XI l’est modestement. Contraste frappant avec les autres rois de France qui firent souvent assaut d’élégance, comme en témoigne la galerie des portraits royaux. Notons que tous les rois étaient peu ou prou chevaliers, en tant que chefs de guerre.

Autre remarque : le cheval donne à nombre de souverains une allure… plus souveraine que nature. Un cavalier sait où poser ses mains et ses pieds, il trouve la posture naturelle en faisant couple avec sa monture et tout portrait équestre a fière allure.

« Le renard crotté a échappé au repaire du loup. »376

Philippe de COMMYNES (1447-1511), Mémoires (1524)

Dans cette histoire, Louis XI le rusé est naturellement le renard – « crotté », pauvrement habillé, il ne paie pourtant pas de mine. Le loup, c’est Charles le Téméraire (fils de Philippe, duc de Bourgogne). Il fit prisonnier à Péronne le roi de France qui encourageait les Liégeois à la révolte. Démasqué, Louis XI signe n’importe quoi, mais de retour à Paris, fin 1468, il renie tous les engagements et fera condamner le Téméraire pour félonie, en décembre 1470.

Commynes, chroniqueur originaire des Flandres et au service du Téméraire, passe dans le camp du roi de France dont il devient le conseiller intime. Une bonne affaire pour tout le monde – hormis le « loup » bourguignon.

« Qui s’y frotte, s’y pique. »

LOUIS XII (1462-1515). Devise associée au porc-épic

Renaissance française. Même devise que Louis XI qui l’associait au chardon. D’où confusion, dans certaines sources, entre les deux symboles et les deux rois.

Fils tardif du poète Charles d’Orléans, élevé par Louis XI qui l’oblige en 1476 à épouser sa fille contrefaite, Jeanne de France dite la Boiteuse, dans le but de tarir la branche cadette des Valois d’Orléans. Il prend enfin sa revanche en 1498, quand Charles VIII, fils de Louis XI, meurt à son tour. Il monte sur le trône et obtient l’annulation de son mariage par le pape. Il peut alors épouser en secondes noces la veuve de Charles VIII, Anne de Bretagne.

Baptisé le Père du peuple lors des États généraux de 1506, c’est le modèle d’un roi modéré, voire débonnaire, par opposition à Louis XI, symbole d’une monarchie visant une forme d’absolutisme.

« Le roi de France est le roi des bêtes, car en quelque chose qu’il commande, il est obéi aussitôt comme l’homme l’est des bêtes. »397

MAXIMILIEN Ier (1459-1519). Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby

Boutade de l’empereur d’Allemagne (grand-père du futur Charles Quint), affirmant n’être lui-même que le roi des rois, et le roi catholique (roi d’Espagne) le roi des hommes.

Machiavel donne le royaume de France en exemple aux Italiens pour sa solidité et les ambassadeurs vénitiens qui se succèdent en France font des témoignages qui tous se ressemblent : « Il y a des pays plus fertiles et plus riches ; il y en a de plus grands et de plus puissants, tels que l’Allemagne et l’Espagne ; mais nul n’est aussi uni, aussi facile à manier que la France. Voilà sa force à mon sens : unité et obéissance » (Marino Cavalli, relation de 1546).

Cet absolutisme – qui se renforce également dans les pays voisins – n’est pas encore celui du siècle de Louis XIV : des provinces gardent leurs privilèges, les Parlements de province et surtout celui de Paris demeurent des forces d’opposition latente. Tout risque d’être remis en question avec les guerres de Religion, et plus tard la Fronde.

« Nos lois sont comme toiles d’araignes […] les petits moucherons et petits papillons y sont pris […] les gros taons les rompent et passent à travers. »405

RABELAIS (vers 1494-1553), Le Cinquième livre (posthume)

Cette inégalité devant la loi des sujets qui ne sont pas encore des citoyens sera dénoncée jusqu’à la Révolution. La France devient pourtant « pays des lois » : la justice royale s’enrichit de nouveaux Parlements, la frontière se précise entre juridictions civiles et ecclésiastiques et les procès de Grands du royaume, suivis de condamnations exemplaires (parfois à mort) montrent que les « gros taons » peuvent être pris.

Rabelais, génie des lettres au service de la langue, jongle avec les mots et les images et enrichit naturellement le bestiaire français, sous la Renaissance.

« La maison est à l’envers lorsque la poule chante aussi haut que le coq. »408

Noël du FAIL (vers 1520-1591), Contes et Discours d’Eutrapel (1585)

Ce dicton du XVIe siècle inspire Molière dans Les Femmes savantes : « La poule ne doit point chanter devant le coq. » Parler de misogynie serait sans doute un anachronisme.

Conteur humaniste, du Fail cherche à instruire et divertir, s’inspirant avec talent de Rabelais et Montaigne. La poule et le coq vont se retrouver au fil de l’histoire, dans des contextes bien différents.

« Nutrisco et exstinguo. » « Je le nourris et je l’éteins. »436

FRANÇOIS Ier (1494-1547), devise accompagnant la salamandre sur ses armes. Encyclopédie théologique (1863), abbé Jean Jacques Bourasse

Allusion à l’ancienne croyance selon laquelle cet animal est capable de vivre dans le feu et même de l’éteindre. Depuis un siècle, les rois de France ont des emblèmes personnels souvent associés à un animal : le lion pour Charles VI le Fou, le cerf ailé pour Charles VII et Charles VIII, le porc-épic pour Louis XII.

La salamandre se marie bien à cette Renaissance où la frontière est floue entre nature et surnature, chimie et alchimie, astronomie et astrologie. On croit l’air et l’onde peuplés de démons – même le très savant Ambroise Paré, « médecin des rois » !

« Bayard, mon ami, je veux aujourd’hui être fait chevalier par vos mains […]
— Sire, celui qui est couronné, loué et oint de l’huile envoyée du Ciel et est le roi du royaume, le premier fils de l’Église, est chevalier sur tous autres chevaliers. »442

FRANÇOIS Ier (1494-1547) et BAYARD (vers 1475-1524), au soir de Marignan, le 14 septembre 1515. Vie de Bayard (1525), Symphorien Champier

Au soir de la victoire, dialogue courtois entre le nouveau « Roi-chevalier » qui incarne la Renaissance française et le nouveau chevalier qui entre dans l’Histoire, raconté par son premier biographe (contemporain).

Pierre du Terrail, seigneur de Bayard, s’est distingué à vingt ans en Italie, dans la « furia francese » à Fornoue, puis dans toutes les guerres suivantes, sous Charles VIII et Louis XII. Au « chevalier sans peur et sans reproche » passé dans la légende revient l’insigne honneur d’armer chevalier le roi de France ! Milan est pris le lendemain. Le rêve italien réussit au nouveau roi de France.

Marignan, 1515. Immense retentissement de la bataille dans l’opinion et dans toute la chrétienté. Le pape signe la paix dès le 13 octobre, François Ier étant reconnu comme légitime duc de Milan, de Parme et de Plaisance. Les deux signataires mettent en chantier un projet de concordat, conclu à Bologne le 18 août 1516.

« J’ai couvé un œuf de colombe, Luther en a fait sortir un serpent. »450

ÉRASME (1469-1536), Éloge de la folie (1508)

Grand humaniste hollandais, il parcourt l’Europe et rompt en 1524 avec la doctrine luthérienne où « nul ne retrouvait l’esprit de l’Évangile ». L’humanisme entraîne une libération des esprits et la redécouverte de l’Écriture dans son texte original : le schisme est inévitable, Érasme l’exprime clairement. La Renaissance porte en elle tous les ferments de la révolution religieuse qui prend le nom de Réforme et mènera aux guerres de Religion.

« Je parle espagnol à Dieu, italien aux femmes, français aux hommes et allemand à mon cheval. »..

Citation attribuée à CHARLES QUINT (1519-1556), peut-être apocryphe

Maître de l’Allemagne et de l’Espagne, perpétuel voyageur à travers ses États, il se vante d’avoir un empire sur lequel « le soleil ne se couche jamais » et rêve de restaurer l’empire de Charlemagne – chose impossible, avec la nouvelle géopolitique de la Renaissance, et l’avènement des nations modernes. Il s’est joint aux adversaires de François Ier dans les guerres d’Italie.

Rappelons les origines de prince bourguignon de Charles Quint : le français est sa langue maternelle et cet empereur d’Allemagne ne parla jamais couramment l’allemand. Il se sentait également étranger en son Espagne. De là à dire qu’il était Français… n’exagérons pas.

« Quatre grosses bêtes   Font un huguenot
Calvin fait la tête   Et Luther le dos
Marot fait les pattes   Et Bèze le trou du cul   Lanturlu ! »471

Quatre grosses bêtes (ou Contre les Huguenots), chanson satirique contre quatre protestants célèbres. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Le langage peu policé répond aux injures des protestants, mais le texte met dans le même sac quatre personnages fort différents !

Calvin devient le « pape de Genève », faisant de cette ville le centre intellectuel de la Réforme d’où il va diriger l’Église des réformés de France. Théodore de Bèze, son disciple, lui succède à sa mort, en 1564. Luther fut le grand initiateur de la Réforme, avec ses 95 thèses affichées en 1517 sur les portes du château de Wittenberg pour dénoncer la vente des indulgences. Marot enfin, gentil poète et courtisan, a déjà connu la prison pour avoir « mangé le lard » en Carême et s’est retrouvé sur la liste des 52 suspects après l’affaire des Placards. Il s’exile, demande pardon au roi dans une épître, puis abjure le protestantisme, pour revenir en grâce à la cour, si nécessaire à sa joie de vivre. Mais le Parlement de Paris sévit de nouveau contre lui, après la publication de textes jugés luthériens.

« Comme corbeaux acharnez,
Sur ce corps mort vous venez. »513

Jacques YVER (vers 1548-vers 1572), Complainte sur les misères de la guerre civile (1570)

Le corbeau (si noir et croassant) est toujours un oiseau de malheur, dans l’histoire. La guerre civile (autre nom des guerres de Religion) mène à une anarchie intérieure qui permet aux étrangers de s’immiscer dans les affaires de la France. Les principaux corbeaux seront nos ennemis anglais et espagnols. Les patriotes français s’inquiètent à juste titre de cette faiblesse de la France qui fait le jeu et la force de ses voisins.

« Quand je me joue à ma chatte, qui sait si elle passe son temps de moi plus que je ne fais d’elle ? Nous nous entretenons de singeries réciproques. Si j’ay mon heure de commencer ou de refuser, aussi a elle la sienne. »

Michel de MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580, première édition). Histoire du chat (2017), Michèle Ressi

La belle s’appelle Madame Vanity. Quand le voyageur, excellent cavalier, a fini de chevaucher pour le plaisir, quand le curiste a renoncé aux vains séjours en cures thermales contre la gravelle, quand le chasseur revient avec ses chiens au château de Dordogne, le philosophe retrouve sa tour, sa solitude, sa chère bibliothèque, son écritoire – et sa chatte.

Sur ses parchemins, de grands espaces vides intriguaient les exégètes. Ils ont fini par comprendre : c’est la forme du corps de la chatte qui dormait et que sa plume contourne, plutôt que de réveiller la belle ! Mahomet avait eu les mêmes égards pour sa Muezza, déchirant sa large manche pour ne pas la réveiller.

Grand lecteur des classiques grecs et latins redécouverts à la Renaissance, croit-il en la métempsychose chère à Pythagore, autrement dit la transmigration des âmes immortelles ? Qui sait ? Un homme peut se retrouver dans la peau d’un animal et cela fait réfléchir le sage Montaigne - qui s’en veut de ne pas être végétarien. En tout cas, c’est l’un des premiers « intellectuels » à s’intéresser aux chats (domestiques). C’est aussi un cavalier-voyageur émérite !

« Je me tiens à cheval sans démonter, tout coliqueux que je suis, et sans m’y ennuyer, huit et dix heures. »

Michel de MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580)

Montaigne éprouve un plaisir physique tout particulier à « la promenade à cheval, laquelle allie le mouvement et la stabilité, donne au corps une balance, un rythme favorable à la méditation. » Le cheval libère du travail sans livrer à l’oisiveté ; il rend disponible à la rêverie. L’équitation lui procure une « agitation modérée », belle alliance de termes pour désigner une sorte d’état intermédiaire et idéal. Aristote pensait en marchant et enseignait en déambulant ; Montaigne trouve ses idées en cavalant ou en chevauchant. Il en oublie même sa gravelle, les cailloux de sa vessie. Parfois, il s’irrite : « Une rêne de travers à mon cheval, un bout d’étrivière qui batte ma jambe, me tiendront tout un jour en humeur. »

Victime d’une chute de cheval qui aurait pu lui être fatale (en 1573 ou 1574), il perd connaissance pendant deux ou trois heures. Il raconte cet accident : description à partir du témoignage des témoins et récit de ce qu’il ressentit, enseignements qu’il en a tirés. En tout cas, il dit préférer mourir à cheval que couché dans son lit.

« Vous savez, quand le peuple se déborde, quelle bête c’est ! »554

HENRI III (1551-1589), Lettre à M. de Villeroy, secrétaire d’État, septembre 1584. Henri III : roi shakespearien (1985), Pierre Chevallier

Le peuple (de Paris) sera souvent comparé à une bête. Le roi s’inquiète ici des troubles orchestrés par les ligueurs et la suite des événements lui donnera raison. « La Ligue, qui eut à Paris son foyer le plus ardent, était une minorité, mais une minorité active et violente. La petite bourgeoisie, les boutiquiers irrités par la crise économique en furent l’élément principal » (Jacques Bainville, Histoire de France).

But avoué de la Ligue : défendre la foi catholique. Mais ses chefs veulent détrôner Henri III. Le traité secret de Joinville, signé le 31 décembre 1584 entre Philippe II d’Espagne et les Guise, prévoit de remplacer Henri III le Valois par le cardinal de Bourbon (oncle d’Henri IV), prenant le nom de Charles X. Vu son âge (61 ans) et son état ecclésiastique, Henri de Guise, dit le Balafré, aura toutes chances de lui succéder. Le royaume va courir au chaos.

Henri III prend la tête de la Ligue, pour la neutraliser (traité, édit ou alliance de Nemours, juillet 1585). En fait, il cède à ses exigences. Il se rapproche des Guise, interdit le culte protestant, s’engage à « bouter les hérétiques hors du royaume » et déclare le Béarnais déchu de ses droits à la couronne.

« Comment sont nées les barricades ? Pour lutter contre les cavaleries royales, le peuple n’ayant jamais de cavalerie. »562

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

Le nom de « journée des Barricades » est donné à plusieurs insurrections parisiennes. La première date du 12 mai 1588. Henri de Guise brave l’interdiction du roi et se rend à Paris, appelé par les Seize (comité formé par les ligueurs dans la capitale, composé de 16 membres représentant les 16 quartiers de la ville). Très populaire, on le surnomme le Roi de Paris.

Henri III veut riposter avec ses troupes, mais la population se soulève, barrant les rues avec des barriques de terre. Le roi doit s’enfuir et se réfugie à Chartres. Paris reste au duc de Guise et aux ligueurs.

« Un cheval ! Un cheval ! Mon royaume pour un cheval ! »

William SHAKESPEARE (1564-1616), Richard III (1592), acte V, scène IV

Richard III perd son cheval sur le champ de bataille de Bosworth et en demande un autre en échange de tout ce qu’il possède, afin de tuer son dernier ennemi. Ascension et chute du tyran qui assassina sans état d’âme frère, neveux et femme pour arriver au trône, finalement vaincu par Richmond, le futur Henri VII d’Angleterre.

Mot le plus célèbre avec « Être ou ne pas être » d’Hamlet. La pensée et l’action : les deux versants d’une œuvre théâtrale magistrale.

« Selon la façon de monter à cheval, on est un cavalier ou un garçon d’écurie. »

Miguel de CERVANTES (1547-1616) (citation non sourcée)

Compagnon constant des héros sur le champ de bataille ou dans la vie quotidienne, le cheval est plus rarement mis en scène pour lui-même. Illustre exception, Miguel de Cervantès a créé Rossinante, la jument de Don Quichotte.

« Il s’imagina que rien ne serait plus beau pour lui, plus utile pour sa patrie, que de ressusciter la chevalerie errante en allant lui-même à cheval, armé comme les paladins, cherchant les aventures, redressant les torts, réparant les injustices. »

Miguel de CERVANTES (1547-1616) Don Quichotte de la Mancha (1605-1615)

À la fois roman médiéval (un roman de chevalerie) et roman de l’époque moderne alors naissante, ce livre en deux parties offre une parodie des mœurs médiévales et de l’idéal chevaleresque, associée à la critique d’une société espagnole aux structures rigides jusqu’à l’absurde.
Don Quichotte marque l’histoire littéraire et l’on n’en finit pas d’interpréter l’œuvre : pur comique, satire sociale, analyse politique. Monument de la littérature mondiale, c’est aussi le premier roman moderne.

« Dans un village de la Manche dont je ne veux pas me rappeler le nom, il n’y a pas longtemps que vivait un de ces hidalgos qui ont lance au râtelier, vieille rondache, maigre haridelle et limier de chasse. » Alonso Quichano est à l’origine de l’archétype du Don Quichotte, personnage généreux et idéaliste qui se pose en redresseur de torts, entre sublime et ridicule : « Les chevaliers errants et ceux qui peuplent la cour courtisent les femmes libres et épousent les honnêtes (…)  Ne sont pas chevaliers accomplis tous ceux qui en prennent le titre ; il y en a en or fin, d’autres en alliage ; c’est la pierre de touche qui distingue ceux qui le sont de ceux qui n’en ont que l’apparence. »

« Incertain et dépravé, je ne me retiens pas assez du plaisir comme chrétien, je m’y laisse aller comme homme, mais je ne m’y laisse pas tromper comme bête. »594

Théophile DE VIAU (1590-1626), Au lecteur (1641)

Jolie définition du libertin par lui-même.

Élevé dans la religion protestante, converti au catholicisme pour la forme (et pour sa tranquillité), le poète se retrouve naturaliste épicurien. Autrement dit libertin d’esprit et de mœurs, le plus hardi d’un groupe (Boisrobert, Mainard, Saint-Amant), banni dès 1619, rentré en grâce, célèbre par sa tragédie Pyrame et Thisbé en 1621, puis de nouveau poursuivi et condamné par contumace à être brûlé vif en 1623 ! Ses ennuis continueront jusqu’à sa mort prochaine et prématurée en 1626, à 36 ans.

Le libertinage, véritable fait de société, va souvent de pair avec l’incroyance et la débauche et passe ainsi pour un crime. Théophile de Viau en sera le symbole, lui qui écrit : « Notre destin est assez doux / Et, pour n’être pas immortelle, / Notre nature est assez belle / Si nous savons jouir de nous. / Le sot glisse sur les plaisirs, / Mais le sage y demeure ferme / En attendant que ses désirs / Ou ses jours finissent leur terme. »

« Ô Paris qui n’est plus Paris, mais une spélonque [antre] de bêtes farouches, une citadelle d’Espagnols, Wallons et Napolitains, un asile et sûre retraite de voleurs, meurtriers et assassinateurs, ne veux-tu jamais te ressentir de ta dignité et te souvenir qui tu as été, au prix de ce que tu es ! »613

Pierre PITHOU (1539-1596), Harangue de M. d’Aubray. La Satire Ménippée (1594)

Passage le plus célèbre de ce pamphlet écrit pour soutenir Henri IV contre les extrémistes catholiques. Le roi hérite d’une capitale aux mains des ligueurs qui font plus que jamais régner la terreur et des Habsbourg qui ont des ambitions dynastiques sur la France.

« Bons chiens reviennent toujours à leur maître ! »618

HENRI IV (1553-1610), 19 mars 1590. La Chronique de Mantes (1883), Alphonse Durand, Victor Eugène Grave

Dans une France toujours divisée par les guerres de Religion, la ville de Mantes (devenue Mantes-la-Jolie) se rallie au bon roi qui se réjouit en ces termes toujours imagés : « Messieurs de Mantes, je n’avais aucune inquiétude de vous, car bons chiens… »  Beaucoup de chiens dans l’Histoire, mais plus de mauvais que de bons, la métaphore canine étant souvent injurieuse pour l’homme.

« Un peuple, c’est une bête qui se laisse mener par le nez, principalement les Parisiens. »631

HENRI IV (1553-1610), septembre 1594. Histoire du roi Henri le Grand (1664), Hardouin de Péréfixe

Archevêque de Paris sous Louis XIV, Péréfixe fut considéré comme le meilleur historien d’Henri IV. Richelieu l’a chargé en 1644 de faire l’éducation du jeune prince (âgé de 7 ans) et il prend ce roi pour modèle.

Henri IV fut de fait un grand roi pour la France et le plus populaire de tous, après sa mort. C’est aussi un meneur d’hommes. Il n’empêche que la « bête » ne sera jamais complétement domestiquée par son maître.

Au siècle de Louis XIV, la Fronde parisienne est une autre guerre contre l’État et, par la suite, Paris ne cesse de s’opposer, d’étonner le monde et d’effrayer le pouvoir, entre révolte et révolution, manifestation et résistance : « Paris qui n’est Paris qu’arrachant ses pavés. » (Louis Aragon).

« Je veux qu’il n’y ait si pauvre paysan en mon royaume qu’il n’ait tous les dimanches sa poule au pot. »650

HENRI IV (1553-1610). Histoire du Roy Henry le Grand (1681), Hardouin de Péréfixe

La « poule au pot » fait partie de la légende du roi proche des paysans, au même titre que son panache blanc quand il chevauche en tête de ses troupes et le « bon roi Henri » lui doit une grande part de sa popularité dans l’histoire. Le vœu du souverain resté si proche de son peuple est sincère. Mais dans cette France agricole à 90 %, la misère ne permettait pas ce festin dominical.

« Il faut dormir comme le lion, sans fermer les yeux. »687

RICHELIEU (1585-1642), Testament politique

Tel est le devoir de l’homme d’État et Richelieu, Premier ministre de Louis XIII, fut l’un des plus grands, reconnus par tous les historiens et par de Gaulle.

Quant au lion, c’est le roi des animaux, par une tradition qui remonte au bestiaire antique (grec et latin), vulgarisée au XVIIe siècle par notre plus grand fabuliste national, La Fontaine. La monarchie le remet logiquement à la mode.

« Prends ta foudre, Louis, et va comme un lion
Donner le dernier coup à la dernière tête / De la Rébellion. »698

MALHERBE (1555-1628), Poésies, Ode pour le roi (1628)

La lutte entre pouvoir royal et puissance protestante, cet « État dans l’État » toujours rebelle, se joue au siège de La Rochelle. Il faut prendre la cité qui joue une prolongation des guerres de Religion. C’est dans la logique d’une monarchie qui se veut absolue, même si Louis XIII n’est pas aussi « lion » que Louis XIV.

Assisté de Richelieu, chanté par le poète officiel du règne, le roi viendra à bout de cette ultime résistance - 15 mois de siège, trois quarts des habitants ont péri (22 500 morts !) et l’on n’ose pas fêter cette amère victoire des Français contre des Français. Fortifications rasées, franchises municipales supprimées : la ville ne s’en remettra pas de sitôt.

« N’éveillez pas cette grosse bête. »711

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642). Mazarin (1972), Paul Guth

Il s’agit encore de Paris (ou de son Parlement, selon une autre source). Le cardinal sait la ville frondeuse par nature, et par accès. Son successeur le cardinal de Mazarin, moins habile ou moins chanceux, subira le réveil de la « grosse bête », véritablement dramatique durant la Fronde.

« Quand les Français prendront Arras,
Les souris mangeront les chats. »727

Message en deux octosyllabes, affiché par les Espagnols sur une des portes de la ville d’Arras, printemps 1640

Siège d’Arras par les Français, épisode de la guerre de Trente Ans qui déchire l’Allemagne (1618-1648).

Richelieu intervient dans ce conflit, entrant en « guerre ouverte » contre l’Espagne (alliée de l’Allemagne) en 1635. Il faut éviter l’encerclement du pays par les possessions des Habsbourg. Les premières batailles sont des défaites. D’où le message ironique des Espagnols ! Mais avec l’armée réorganisée, la flotte reconstituée, les Français regagnent du terrain.

« Quand les Français rendront Arras
Les souris mangeront les chats. »728

Écrit sur une des portes de la ville d’Arras que les Français ont prise, le 9 août 1640

On a juste ôté le « p », ce qui change tout. Cette victoire et quelques autres mènent à un renversement des forces en Europe, au bénéfice de la France et au détriment de l’Espagne et de l’Empire d’Allemagne, donc de la puissante maison d’Autriche (les Habsbourg).

L’humour est présent, même dans la guerre. Quant aux souris et aux chats, ils se font rares dans cette histoire, hormis au siège d’Arras et dans certaines œuvres littéraires.

« Les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m’en étonne pas, car cela même sert à prouver qu’elles agissent naturellement et par ressorts, ainsi qu’une horloge, laquelle montre bien mieux l’heure qu’il est, que notre jugement ne nous l’enseigne. »

René DESCARTES (1596-1650), Lettre au marquis de Newcastle, 23 novembre 1646

Il développe sa théorie de l’animal-machine, aussi méthodique que dans son fameux Discours : « Et sans doute que, lorsque les hirondelles viennent au printemps, elles agissent en cela comme des horloges. Tout ce que font les mouches à miel est de même nature, et l’ordre que tiennent les grues en volant et celui qu’observent les singes en se battant, s’il est vrai qu’ils en observent quelqu’un, et enfin l’instinct d’ensevelir leurs morts, n’est pas plus étrange que celui des chiens et des chats, qui grattent la terre pour ensevelir leurs excréments, bien qu’ils ne les ensevelissent presque jamais: ce qui montre qu’ils ne le font que par instinct et sans y penser. »

Ce genre de prose passe mal, de nos jours. Selon certains écologistes, la théorie de l’animal-machine trouve son application dans l’industrie alimentaire et l’élevage intensif (industriel), type ferme-usine des Mille Vaches (et plus), poules en méga-batteries, abattoirs totalement irrespectueux de la souffrance animale.

« Savez-vous bien la différence / Qu’il y a entre son Éminence
Et feu Monsieur le Cardinal ?  / La réponse en est toute prête :
L’un conduisait son animal,  / Et l’autre monte sur sa bête. »765

César BLOT (1610-1655), mazarinade. Mazarin (1972), Paul Guth

Un des 6 500 pamphlets contre Mazarin, exceptionnellement signé.

L’Éminence (Mazarin) succède en mai 1643 au Cardinal (Richelieu). L’« animal » est Louis XIII et la « bête », Anne d’Autriche, par ailleurs qualifiée de « pute de reine ».

En termes peu galants, cela signifie que la pratique du ministériat est reconduite sous la régence, avec l’ancien collaborateur de Richelieu comme principal ministre : Mazarin déjà impopulaire et menacé. En attendant la Fronde.

« Tu trembles, Carcasse, mais tu tremblerais bien davantage si tu savais où je vais te mener ! »868

TURENNE (1611-1675), parlant à son cheval Carcasse, avant ses dernières batailles en 1674-1675. Nouvelles considérations sur les rapports du physique et du moral (1834), Pierre Maine de Biran

Siècle de Louis XIV. Henri de La Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne, s’apprête à reprendre du service, vingt ans après sa brillante guerre de Trente Ans. Les Provinces-Unies faisant obstacle à la politique extérieure du roi, il résolut de les briser. Ainsi commença la Guerre de Hollande, en 1672.
Vainqueur à Turckheim en janvier 1675 après une rude campagne d’hiver dans les Vosges, en Alsace et en Lorraine, la foule accueille Turenne à Paris en libérateur du royaume. Comblé d’honneurs et toujours modeste, il souhaite se retirer à l’Oratoire, mais Louis XIV lui donne le commandement de la nouvelle campagne de 1675.

À 64 ans, le maréchal de France retrouve son vieil adversaire Montecuccoli, généralissime des troupes de l’empereur germanique, âgé de 66 ans et toujours combattant. Deux mois durant, ils déploient leurs armées en grands tacticiens. Turenne semble avoir l’avantage et va passer à l’offensive, quand il est mortellement blessé par un boulet de canon, au cours d’une opération de reconnaissance. L’adversaire lui rend hommage : « Il est mort aujourd’hui un homme qui faisait honneur à l’homme. » Il sera enseveli à la basilique de Saint-Denis – et transféré en 1800 aux Invalides par Bonaparte admiratif.

Autre version du mot de Turenne : il se parle à lui-même en 1667, à la veille d’une nouvelle campagne. De toute manière, c’est le mot d’un grand soldat sous Louis XIII et Louis XIV, promu maréchal de France à 32 ans.

« Le petit chat est mort. »

MOLIÈRE (1622-1673), L’École des femmes (1661)

Réplique célèbre. Toutes les ingénues ont rêvé de dire ces simples mots, mis en situation par le génie de l’auteur.

C’est la réponse d’Agnès à son tuteur Arnolphe, s’inquiétant de ce qui a pu se passer en son absence et craignant la concurrence du jeune Horace. Selon ses préjugés, une femme ne peut être sage et vertueuse que si elle est ignorante et niaise. Voulant une épouse à sa guise, il fait élever sa jeune pupille, Agnès, sous la garde d’un valet et d’une servante nigauds à souhait. Variations nouvelles sur le thème du conflit entre les barbons et les jeunes gens. Créatrice du rôle, Mlle Molière - Armande Béjart, femme de Molière qui a l’âge d’être son père et fut accusé de l’être par une méchante cabale. L’œuvre fit scandale pour diverses raisons. Elle fut reprise à la Comédie Française en 1973 par Isabelle Adjani qui avait l’âge et l’âme du rôle. You Tube en garde la mémoire.

« Quo non ascendet ? » « Jusqu’où ne montera-t-il pas ? »858

Nicolas FOUQUET (1615-1680), devise figurant dans ses armes, sous un écureuil

Il monta si haut… que le roi ne put le tolérer. Fils d’un conseiller au Parlement, vicomte de Vaux, enrichi par le commerce avec le Canada, Nicolas Fouquet achète la charge de procureur général au Parlement de Paris, devient ami de Mazarin, surintendant des Finances, s’enrichit encore, se paie le marquisat de Belle-Isle, y établit une force militaire personnelle et même des fortifications. Au château de Vaux qu’il fait construire, il sera le mécène des plus prestigieux artistes du temps : La Fontaine, Molière, Poussin, Le Vau, Le Brun.

Colbert, qui brigue sa place, apporte la preuve qu’une telle fortune fut acquise au prix de graves malversations. Invité à une fête somptueuse à Vaux, 5 septembre 1661, Louis XIV fait arrêter son surintendant.

« Je définis la cour un pays où les gens,
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,
Sont ce qu’il plaît au prince, ou, s’ils ne peuvent l’être
Tâchent au moins de le paraître :
Peuple caméléon, peuple singe du maître. »824

Jean de LA FONTAINE (1621-1695), Fables. Les Obsèques de la lionne (1678)

Né bourgeois, auteur à qui sa charge de « maître des Eaux et Forêts » laisse bien des loisirs pour fréquenter les salons, lire les Modernes, leur préférer d’ailleurs les Anciens, écrire enfin. Fouquet est son premier mécène et après chute du surintendant (1661), La Fontaine trouve d’autres riches protecteurs et surtout protectrices, duchesse d’Orléans, Mme de la Sablière, Marie-Anne Mancini, etc.

Courtisan à la cour, il est cependant épris de liberté et fort habile à la gérer, tout en ménageant son confort. Il reste pour ses Contes (érotiques) et surtout ses Fables où il se révèle simplement génial.

« Je me sers d’animaux pour instruire les hommes. »

Jean de LA FONTAINE (1621-1695), Fables. Préface, à Monseigneur le Dauphin

Pour instruire les hommes, mais aussi pour faire une satire de son époque, comme Molière et La Bruyère.

Son bestiaire de fabuliste, très inspiré d’Ésope, comporte plus de 75 « personnages » typés de manière originale, poétique ou réaliste : Agneau, Aigle, Alouette, Âne, Animal, Araignée, Belette, Bœuf, Bouc, Brebis, Canard, Cerf, Chameau, Chapon, Chat, Chat-Huant, Chauve-Souris, Cheval, Chèvre, Chien, Cigale, Cigogne, Cochon, Colombe, Coq, Corbeau, Cormoran, Cygne, Dauphin, Dragon, Écrevisse, Écureuil, Éléphant, Faucon, Fourmi, Frelon, Gazelle, Geai, Génisse, Grenouille, Héron, Hirondelle, Hérisson, Hibou, Huitre, Laie, Lapin, Lièvre, Lion, Loup, Milan, Moineau, Mouche, Mouton, Mulet, Oiseau, Ours, Paon, Perdrix, Perroquet, Pie, Pigeon, Poisson, Poule, Puce, Rat, Renard, Rossignol, Scarabée, Serpent, Singe, Souris, Taureau, Tortue, Vautour.

« Le lendemain au point du jour, / On vit paraître Luxembourg,
Avec toute sa cavalerie / Qui marchait par escadrons,
Et sa noble infanterie / Qui marchait par bataillons. »878

Complainte de Guillaume d’Orange, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

François Henry de Montmorency-Boutteville, duc de Luxembourg, a suivi Condé depuis la Fronde. Il est encore avec lui et Turenne en juin 1672. Ils envahissent la Hollande et s’avancent jusqu’au cœur du pays : « Grand Dieu ! Quelle boucherie ! / Qui se fit parmi nos gens / La terre en était couverte / L’on n’y voyait que du sang. »

Des villes capitulent, font des offres de paix. Mais Louis XIV, mal conseillé par Louvois, secrétaire d’État à la Guerre qui flatte son désir de gloire, répond par un ultimatum et provoque un sursaut de patriotisme aux Pays-Bas. Les Hollandais rompent les digues, une révolution éclate à la Haye. Le stathoudérat (haut commandement) est confié au jeune chef du parti populaire, Guillaume d’Orange, le plus grand ennemi des Français. Il parvient à coaliser les Provinces-Unies, l’Espagne, l’Autriche, le Danemark, le duché de Lorraine, quelques princes allemands. L’Angleterre rejoindra bientôt ce camp.

Lire la suite : les animaux dans notre histoire, du Siècle des Lumières à nos jours

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