Les boussoles de l’Histoire en citations | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

« Les grands esprits discutent des idées ; les esprits moyens discutent des événements ; les petits esprits discutent des gens. »

SOCRATE (470-469 av. J.-C.-399 av. J.-C.) Attribué aussi à Henry Thomas Buckle (historien britannique du XIXe s) et Eleanor Roosevelt (femme du président des USA)

Branche de la science politique, la philosophie politique fournit des repères souvent évidents, parfois étonnants, voire discutables, en tout cas indispensables à notre époque ! La confusion des valeurs est entretenue par la multitude des médias, le mélange des genres, la manipulation des esprits, les fake-news… Que faire ? Que penser ?

Sans remonter à Socrate le père de la philosophie politique, se référer à quelques grands noms permet de se (re)faire une opinion. L’Histoire sert aussi à cela.

Le plus réconfortant, c’est de trouver des concordances entre les époques et les auteurs : chaîne intellectuelle d’influences ou fonds commun de bon sens ? À vous de juger.

« Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. »1

Étienne de La BOETIE (1530-1563), Discours de la servitude volontaire (posthume, 1576)

Philosophe humaniste, juriste conseiller à la cour auprès de Michel de l’Hospital et poète amoureux de l’Antiquité, mort à 32 ans. Montaigne ne se consolera jamais d’avoir perdu cette amitié ainsi définie : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. ».

Ce très court essai (une vingtaine de pages) est l’œuvre d’un surdoué de moins de vingt ans : réquisitoire contre la tyrannie, avec une modernité d’écriture étonnante et une actualité brûlante depuis près de cinq siècles ! La Boétie théorise pour la première fois un mode d’action à distinguer de la rébellion. Sans le soutien du peuple, les tyrans n’auraient aucun pouvoir. La désobéissance passive suffit à briser les chaînes de la domination.

Autre formulation révolutionnaire inspirée de La Boétie : « Les grands ne sont grands que parce que nous sommes à genoux : levons-nous ! » Pierre Victurnien Vergniaud, devise en tête du journal de Louis-Marie Prudhomme, Les Révolutions de Paris ( juillet 1789 à février 1794).

➡ Le principe de la « désobéissance civile » sera repris, d’Henry David Thoreau (philosophe américain du XVIIIe siècle) à Gandhi (homme politique et guide spirituel contribuant à faire de l’Inde un État indépendant en 1947). Ajoutons un parallèle avec Rousseau sur l’apparente énigme de la servitude réelle qui contredit la liberté naturelle.

« Le plus âpre et difficile métier du monde, à mon gré, c’est faire dignement le Roi. »398

Michel de MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580, première édition)

Magistrat, membre du Parlement de Bordeaux, très loin des poètes courtisans ou des écrivains engagés de son temps, il parle en humaniste et philosophe, sage et souvent sceptique, libre et indépendant de pensée : « Nous devons la sujétion et l’obéissance également à tous rois, car elle regarde leur office ; mais l’estimation, non plus que l’affection, nous ne la devons qu’à leur vertu. » Il dit encore : « Sur le plus haut trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul. »

➡ Au siècle des Lumières, Voltaire prisera fort cette pensée de Montaigne qui peut toujours nous aider à juger de nos dirigeants politiques.

« J’ai peur que nous n’ayons les yeux plus grands que le ventre et plus de curiosité que nous n’avons de capacité. Nous embrassons tout, mais nous n’étreignons que le vent. »549

Michel de MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580, première édition)

➡ Avant le mot, c’est déjà l’idée de l’anticolonialisme. Mais cette pensée s’applique à d’autres aveuglements ou mégalomanies, comme l’idée d’habiter Mars, quand notre terre ne sera plus vivable.

Pour des raisons surtout humanitaires, Montaigne s’en prend aux conquistadores de la Renaissance. Les Français veulent concurrencer les Espagnols et les Portugais depuis le beau XVIe siècle, et la bourgeoisie enrichie s’est lancée dans de lointaines expéditions maritimes, patronnées par la royauté. En 1555, Villegaignon a installé des colons protestants dans la baie de Rio de Janeiro. La Floride est colonisée en 1562 par René de Laudonnière et ses compagnons huguenots, mais en 1566, leurs établissements sont détruits et les Français massacrés par les Espagnols. La colonisation du Canada est préparée tout au long du siècle par les expéditions de Cartier, Roberval, de Mons, de la Roche, Chauvin.

« Quelle vérité que ces montagnes bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au-delà ? »550

Michel de MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580, première édition)

➡ Critique philosophique d’une réalité politique, idée reprise par les philosophes des autres siècles, notamment ceux des Lumières. La relativité s’impose quant au caractère « supérieur » de notre civilisation et de nos mœurs.

Même si l’évolution du monde civilisé tend vers l’unification des « vérités », la phrase de Montaigne nous concerne et nous touche toujours, comme toute son œuvre, proche de nos sensibilités modernes par ses pensées sur l’éducation, prônant une « tête bien faite plutôt que bien pleine », par son scepticisme modéré, sa vertu de tolérance, son introspection justifiée par le fait que « chaque homme porte en soi la forme entière de l’humaine condition »… et son célèbre « Que Sais-je ? ».

« Les femmes ont raison de se rebeller contre les lois, parce que nous les avons faites sans elles. »2

Michel de MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (dernière édition, posthume)

➡ Étonnante déclaration féministe à son époque. La sagesse de notre philosophe est véritablement universelle.

Plus connue et particulièrement bienvenue à l’époque des guerres de Religion : « Il n’y a pas une idée qui vaille qu’on tue un homme. » Autre idée digne du siècle des Lumières : « Les lois se maintiennent en crédit non parce qu’elles sont justes, mais parce qu’elles sont lois. » Nul doute que Montesquieu a bien lu Montaigne avant d’écrire l’Esprit des lois et de préciser : « Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi, mais elle doit être loi parce qu’elle est juste. »

La dernière édition des Essais, revue et corrigée de sa main, est posthume. En cette fin de siècle où l’intolérance règne, où la littérature est engagée et partisane, Montaigne fait exception à la règle : loin de tout fanatisme, il prêche la tolérance, fait preuve – dans sa vie comme dans son œuvre à son image – de sagesse, d’indépendance d’esprit, de sens critique y compris envers le roi lui-même, Henri IV dont il est proche.

« Il n’est pas besoin de beaucoup d’ordonnances, mais bien de réelles exécutions. »693

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642), Discours à l’assemblée des notables tenue à Paris, fin 1626. Histoire de la Ville de Paris (1725), Michel Félibien

Les lois et ordonnances relatives aux diverses questions du gouvernement ne font pas défaut, mais on néglige trop souvent de les mettre en pratique. « Faire une loi et ne pas la faire exécuter, c’est autoriser la chose qu’on veut défendre »  dit encore Richelieu dans ses Mémoires. C’est l’un des plus grands ministres de l’Histoire, « le vrai modèle de De Gaulle » selon Éric Roussel, l’un des derniers biographes du président.

➡ L’empilement des lois, décrets et ordonnances reste une manie bien française. On n’arrête pas d’« emmerder les Français » (Pompidou à Jacques Chirac) et le millefeuille administratif est toujours kafkaïen.

« La France a bien fait voir qu’étant unie elle est invincible, et que de son union dépend sa grandeur, comme sa ruine de sa division. »741

LOUIS XIII (1601-1643). Traité de la majorité de nos rois et des régences du royaume (1722), Pierre Dupuy

Jusqu’à la fin de sa vie, le roi poursuivit la politique du ministériat (avec Richelieu) et tira la leçon de l’Histoire. Le cardinal parle encore par sa bouche. D’autres hommes d’État tiendront ce langage et justice sera rendue à ce règne.

➡ De nos jours, la polarisation des opinions risque de diviser les Français et ces paroles de bon sens s’imposent.

« Il faut être toujours prêt à faire la guerre, pour n’être jamais réduit au malheur de la faire. »921

FÉNELON (1651-1715), Les Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse (1699)

➡ La guerre en Ukraine redonne toute son actualité à ce principe de l’Antiquité : « Si vis pacem, para bellum. »

Ce traité d’éducation paraît quand Fénelon a fini son rôle de précepteur auprès de Louis de France, duc de Bourgogne et fils du Grand Dauphin. Mme de Maintenon l’a recommandé au roi, quand il était son conseiller spirituel. Il s’applique à insuffler au petit-fils de Louis XIV, enfant de sept ans, toutes les vertus d’un prince et d’un chrétien. Mission accomplie, Fénelon est nommé archevêque de Cambrai. Mais la disgrâce est proche…

Le Télémaque sera l’un des livres les plus lus par les jeunes jusqu’au XXe siècle. De nombreuses citations de Fénelon annoncent le siècle des Lumières.

« Quand dans un royaume il y a plus d’avantage à faire sa cour qu’à faire son devoir, tout est perdu. »955

MONTESQUIEU (1689-1755), Pensées diverses (posthume)

➡ Ce pourrait être la véritable définition de la « méritocratie » (le pouvoir aux méritants ) : hiérarchie sociale fondée sur le mérite individuel.

Sous la Régence et le règne de Louis XV, faveurs, pensions, dérogations, exceptions, exemptions et autres privilèges sont distribués pour soi-disant désarmer les oppositions. Ils ne servent qu’à paralyser l’administration et à exaspérer les ambitions et les jalousies. Napoléon Ier dira de cette époque, en l’opposant à celles qui suivront : « On ne va pas chercher une épaulette sur un champ de bataille, quand on peut l’avoir dans une antichambre. »

« Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi […], mais elle doit être loi parce qu’elle est juste. »1006

MONTESQUIEU (1689-1755), Cahiers (posthume)

Le premier philosophe des Lumières fait écho à Montaigne qui fait partie de « ses classiques » au même titre que les philosophes de l’Antiquité : « Les lois se maintiennent en crédit non parce qu’elles sont justes, mais parce qu’elles sont lois » (Essais). Il se distingue raisonnablement de Pascal, philosophe du XVIIe : « Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n’y obéit qu’à cause qu’il les croit justes » (Pensées).

Comme tous ses confrères, Montesquieu assure (Préface de L’Esprit des lois) : « Il n’est pas indifférent que le peuple soit éclairé. » Toutes ces idées nouvelles qui circulent dans des cercles de plus en plus larges vont fissurer l’édifice social, devenir l’enjeu de la désobéissance civile et amener l’explosion révolutionnaire que le prudent Montesquieu ne souhaitait pas plus que Voltaire ou Diderot.

➡ La force des idées fait l’Histoire, au-delà des événements et des personnages.

« L’État […] doit à tous les citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable, et un genre de vie qui ne soit pas contraire à sa santé. »1007

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

Dans cette œuvre de science politique, rien de moins abstrait que ces droits du citoyen ! Au nom d’un profond respect de la personne humaine, Montesquieu refuse les lettres de cachet, la torture, l’intolérance, le paupérisme, la guerre. Les révolutionnaires trouveront chez lui bien des sujets de réforme. Marat écrit un Éloge de Montesquieu en 1785 et répétera en 1789 qu’il fut le premier « à exiger les droits de l’homme et à attaquer la tyrannie. »

➡ La République sociale ne prendra forme qu’à la fin du XIXe siècle, quand des lois s’imposeront contre les abus du capitalisme triomphant face à une condition ouvrière indigne et touchant aussi les enfants.

« Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. »1011

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

C’est le fameux principe de la séparation des pouvoirs : « Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps […] exerçait ces trois pouvoirs : celui de faire les lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. »

La constitution anglaise, monarchique en apparence, républicaine en réalité, présente un bon équilibre des trois pouvoirs : elle séduit le philosophe qui l’a vu fonctionner sur place. Le jeune Voltaire, trois ans exilé, en rapportera ses Lettres philosophiques, ou Lettres anglaises (1734). Admirateur du régime anglais qu’il eut tout loisir d’étudier, il expose les leçons que la France peut en tirer en maints domaines (religion, économie, politique). Et en 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (article 16) consacrera cette séparation des pouvoirs.

➡ La tentation d’un pouvoir fort, qu’il soit de gauche, de droite ou même du centre, expose au non-respect de ce principe fondamental dans une démocratie digne de ce nom.

« Le gouvernement est comme toutes les choses du monde ; pour le conserver, il faut l’aimer. »1013

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

Un philosophe est un « ami de la sagesse » et Montesquieu l’est autant que Voltaire, sinon plus encore.

➡ Cette réflexion de simple bon sens honore Montesquieu et son traité, œuvre fondamentale à l’origine d’une science politique nouvelle.

« Écrasons l’infâme. »1020

VOLTAIRE (1694-1778). Dictionnaire de français Larousse, au mot « infâme »

Le grand homme du siècle des Lumières n’est pas un théoricien comme Montesquieu ou Rousseau. Mais il a plus que tous ses confrères l’art du mot et l’esprit philosophique.

Cette formule lui tient à cœur, souvent reprise, notamment dans ses lettres à d’Alembert et autres encyclopédistes. L’infâme, c’est l’intolérance (religieuse) sous toutes ses formes, la superstition, le fanatisme, ce contre quoi il se battra toute sa vie. Flaubert écrira dans sa Correspondance : « J’aime le grand Voltaire autant que je déteste le grand Rousseau […] Son « Écrasons l’infâme » me fait l’effet d’un cri de croisade. Toute son intelligence était une machine de guerre. »

➡ C’est le fanatisme religieux qu’il combat. Trois siècles plus tard et dix siècles après « la folie des croisades », le fanatisme se perpétue dans les attentats terroristes et dans certains pays musulmans.

« Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent. »1023

VOLTAIRE (1694-1778), Zadig ou la destinée (1747)

Ainsi parle Zadig, « celui qui dit la vérité », alias Voltaire. Quand la Révolution va mettre au Panthéon le grand homme (seul à partager cet honneur avec Rousseau), sur son sarcophage qui traverse Paris le 11 juillet 1791, on lira : « Il défendit Calas, Sirven, La Barre, Montbailli. » Plus que le philosophe réformateur ou le théoricien spéculateur, la Révolution honore l’« homme aux Calas », l’infatigable combattant pour que justice soit faite. Dans son Dictionnaire philosophique et en divers essais, il se bat pour une réforme de la justice, dénonce les juges qui achètent leurs charges et n’offrent pas les garanties d’intelligence, de compétence et d’impartialité, se contentant de présomptions et de convictions personnelles. Il réclame que tout jugement soit accompagné de motifs et que toute peine soit proportionnelle au délit.

➡ Ce mot de Voltaire justifie aussi l’abolition de la peine de mort – irréversible pour le condamné, même en cas d’erreur judiciaire.

« Cultivons notre jardin. »1021

VOLTAIRE (1694-1778), Candide (1759)

➡ C’est un credo écologique avant la lettre. « Notre jardin », c’est le monde et si la Providence se désintéresse des hommes, il leur appartient d’agir et de rendre meilleur leur « jardin », de faire prospérer leur terre, d’y travailler pour le progrès. C’est aussi une métaphore : laissons de côté les problèmes métaphysiques (critiqués tout au long de Candide à travers l’image du philosophe Pangloss) et occupons-nous des choses que l’on peut changer, améliorer.

Cette conclusion du conte n’est pas sans rapport avec les soucis du jardinier qui vient d’acheter le château de Ferney. Voltaire aime le confort, les plaisirs de la table et de la conversation qu’il considère, avec le théâtre, comme l’une des formes les plus abouties de la vie en société. Il acquit une fortune considérable dans des opérations spéculatives (surtout la vente d’armes) et dans la publication de ses ouvrages, ce qui lui permet de s’installer en 1759 au château de Ferney et d’y vivre sur un grand pied, tenant table et porte ouvertes.

Le pèlerinage à Ferney fait partie en 1770-1775 du périple de formation des classes supérieures européennes sympathisant avec le parti philosophique. Investissant ses capitaux, Voltaire fait du village misérable de Ferney une petite ville prospère, devenue « Ferney-Voltaire » (commune de l’Ain). Généreux, d’humeur gaie, il est néanmoins chicanier et parfois féroce ou mesquin avec ses adversaires comme Jean-Jacques Rousseau.

« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »1031

VOLTAIRE (1694-1778), citation apocryphe

➡ Le comble de la tolérance qui vaut en matière politique, religieuse, sociétale.

Il semble paradoxal de se référer à une citation non « sourcée ». Cette phrase a pu être dite ou même écrite – sur une Correspondance de quelque 40 000 lettres, il n’en reste « que » 14 000. L’œuvre immense et protéiforme de cet auteur philosophe est si riche en bons et beaux mots !

Elle reflète en tout cas l’homme, sa pensée, sa vie et même son style. D’où la fortune historique et somme toute méritée de cette citation.

« Le fanatisme est une peste qui reproduit de temps en temps des germes capables d’infester la terre. »1057

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, article « Christianisme »

L’Encyclopédie est aussi hardie sur le plan religieux que prudente en politique, sauf quand Diderot prend la plume. Frère de Voltaire par la pensée, il écrit dans l’article Intolérance : « L’intolérant est un méchant homme, un mauvais chrétien, un sujet dangereux, un mauvais politique et un mauvais citoyen. »

Toutes les religions sont malheureusement germe de fanatisme, des neuf croisades, guerres saintes du Moyen Âge où les Chrétiens affrontèrent les Sarrazins pour « délivrer le tombeau du Christ »,  au Djihad » (ou Jihâd) des musulmans. En arabe, ce mot signifie « effort vers un but déterminé », autrement dit une lutte pour accomplir le bien et combattre ses faiblesses. Quand il s’agit d’une lutte armée contre l’adversaire, c’est une guerre de religion – nos huit guerres civiles de Religion au XVIe siècle témoignent des pires sauvageries.

➡ Le problème est que cette peste soit encore capable d’infester la terre et qu’en ce domaine, l’homme n’ait fait aucun progrès.

« Les Français sont inquiets et murmurateurs, les rênes du gouvernement ne sont jamais conduites à leur gré […] On dirait que la plainte et le murmure rentrent dans l’essence de leur caractère. »1190

Dauphin LOUIS, futur Louis XVI (1754-1793), Réflexions sur les entretiens avec le duc de La Vauguyon

➡ Trait de caractère typiquement français, qui afflige les gouvernants sous quelque régime que ce soit, monarchie ou République.

Le dernier dauphin de l’Ancien Régime s’entretient avec son gouverneur, au lendemain du coup d’État royal de 1770. Après la disgrâce de Choiseul (23 décembre 1770), le « triumvirat » Maupeou-Terray-d’Aiguillon est au pouvoir jusqu’à la mort de Louis XV. Le roi soutient ses trois ministres et réaffirme : « Je ne changerai pas. » En quatre années, le chancelier Maupeou et le contrôleur des Finances Terray essaient de réformer la France. La tâche du grand financier est la plus ingrate. Ses projets sont bons, mais dans l’immédiat, il pare au plus pressé : il établit de nouvelles taxes, rétablit le second vingtième sans les exemptions injustifiables, réduit les pensions et traitements, supprime avec courage des offices inutiles. La rumeur publique l’accuse de vouloir spéculer sur les grains, quand il établit le monopole royal (pacte de famine). Les mesures de l’abbé Terray sont si impopulaires qu’elles lui valent le surnom de Vide-Gousset. Toute réforme est impossible, la Révolution s’ensuivra logiquement.

« Quand on se mêle de diriger une révolution, la difficulté n’est pas de la faire aller, mais de la retenir. »1268

MIRABEAU (1749-1791). Encyclopédie Larousse, article « Mirabeau »

Le premier des personnages révélés par la Révolution dit ces mots dès 1789 et il échouera comme bien d’autres dans sa tentative d’y mettre un terme en 1790.

Un monarchiste lui fait écho, le théoricien contre-révolutionnaire Joseph de Maistre, émigré en Suisse où il publiera anonymement ses Considérations sur la France en 1797 : « Ce ne sont point les hommes qui mènent la révolution, c’est la révolution qui emploie les hommes. On dit fort bien, quand on dit qu’elle va toute seule. »

La Révolution aboutira logiquement à la Terreur dont les excès finiront par le coup d’État de Thermidor contre Robespierre et les Montagnards, en juillet 1794. La Commune de Paris finira aussi dans le sang, en mai 1871.

➡ Les meilleures intentions peuvent conduire aux pires déchaînements – même si les situations diffèrent.

« Après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple. »1515

DANTON (1759-1794), Discours sur l’Éducation, 13 août 1793. Discours civiques de Danton

Ces mots s’appliquent parfaitement à l’article 22 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, préface à la Constitution adoptée par la Convention, le 24 juin : « L’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir le progrès de la raison publique et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens. »

➡ L’éducation nationale sera l’œuvre de la Troisième République et des « lois Ferry ». Conforme au vœu de Victor Hugo, en relation avec sa lutte contre la peine de mort : « Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-la, éclairez-la, vous n’aurez pas besoin de la couper. »

« On ne conduit le peuple qu’en lui montrant un avenir : un chef est un marchand d’espérances. »1768

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Maximes et pensées

Précisant cette pensée, il dit aussi : « L’imagination gouverne le monde » (Mémorial). Et en 1800 : « Je ne suis qu’un magistrat de la République qui n’agit que sur les imaginations de la nation ; lorsque ce moyen me manquera, je ne serai plus rien ; un autre me succédera. » Et encore : « On ne peut gouverner l’homme que par l’imagination ; sans l’imagination, c’est une brute ! Ce n’est pas pour cinq sous par jour ou pour une chétive distinction que l’on se fait tuer ; c’est en parlant à l’âme que l’on électrise l’homme. »

➡ Ce message a dû plaire au général de Gaulle, grand admirateur de l’empereur. Il reste toujours valable : « On ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance. » Slogan de mai 68.

« La haute politique n’est que le bon sens appliqué aux grandes choses. »1772

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Maximes et pensées. Histoire du Consulat et de l’Empire (1937-1953), Louis Madelin

➡ Pragmatisme évident. Là encore, nos deux grands hommes se rejoignent et de Gaulle est formel : « Les choses capitales qui ont été dites à l’humanité ont toujours été des choses simples. »

Mais Napoléon avoue, avec une franchise qui confine au cynisme : « Bien analysée, la pensée politique est une fable convenue, imaginée par les gouvernants pour endormir les gouvernés. » Précisant même que « la bonne politique est de faire croire aux hommes qu’ils sont libres. » À la fin de sa vie politique, il avouera pourtant s’être trompé, aveuglé par ce qu’on appellerait aujourd’hui l’hubris, l’ivresse de la démesure qui menace tout dictateur.

« Toute nation a le gouvernement qu’elle mérite. »1857

Joseph de MAISTRE (1753-1821), Lettre à Monsieur le Chevalier de… 15 août 1811. Lettres et opuscules inédits : précédés d’une notice biographique, par son fils, Rodolphe de Maistre, volume I (1851)

Cet écrivain et philosophe fut aussi homme politique : monarchiste émigré sous la Révolution, ministre plénipotentiaire à Saint-Pétersbourg, il dit et écrit à plusieurs reprises son attachement au pouvoir papal.

➡ Ce peut être une réponse aux populistes et aux démagogues qui ne font que critiquer.

« L’homme a jusqu’ici exploité l’homme. Maîtres, esclaves ; patricien, plébéien ; seigneurs, serfs ; propriétaires, fermiers ; oisifs et travailleurs. »1902

Comte de SAINT-SIMON (1760-1825), Doctrine de Saint-Simon : Exposition. Première année (1829)

➡ Le socialisme (dans sa première version utopiste) est né en France sous la Restauration et dans un cercle étroit d’intellectuels. Il va engendrer une grande idée toujours nouvelle.

Le comte de Saint-Simon (lointain parent du duc, mémorialiste de Louis XIV) donne ici un beau résumé de toute l’histoire du monde des origines à nos jours… et du socialisme à la française, aux accents messianiques, vingt ans avant le marxisme.
Après la mort de Saint-Simon, les saint-simoniens constituent une sorte de mouvement socialiste à la veille de la Révolution de 1830 : une infime élite destinée à se diversifier et s’élargir, à Paris comme en province, dans l’atmosphère des lendemains révolutionnaires.

« Aimez le travail, nous dit la morale : c’est un conseil ironique et ridicule. Qu’elle donne du travail à ceux qui en demandent, et qu’elle sache le rendre aimable. »1903

Charles FOURIER (1772-1837), Livret d’annonce du nouveau monde industriel (1829)

Autre représentant du socialisme utopique, ce philosophe et économiste, critique de l’ordre social, ajoute que le travail « est odieux en civilisation par l’insuffisance du salaire, l’inquiétude d’en manquer, l’injustice des maîtres, la tristesse des ateliers, la longue durée et l’uniformité des fonctions. »

Fourier trace les grandes lignes d’une société nouvelle, conforme à ses vœux : le phalanstère en est la cellule, regroupant les travailleurs associés en une sorte de coopérative. Il doit en résulter l’harmonie universelle : c’est moins de l’optimisme qu’une utopie qui fera des adeptes sous la monarchie de Juillet, grande époque du socialisme.

➡ Ce courant de pensée se retrouvera au pouvoir à certains moments de notre Histoire – Front populaire en mai 1936, septennats de Mitterrand. Souvent dans l’opposition, c’est une idée-force féconde et morale.

« Il ne s’agit pas de tuer la liberté individuelle, mais de la socialiser. »2046

Pierre Joseph PROUDHON (1809-1865), Système des contradictions économiques (1846)

➡ Autre version du socialisme.

Proudhon est le socialiste français numéro un de cette époque, et pas seulement pour sa fameuse question-réponse qui fit si peur aux bourgeois : « Qu’est-ce que la propriété ? C’est le vol. »

Individualiste farouche, affirmant que « le gouvernement de l’homme par l’homme, sous quelque nom qu’il se déguise, est oppression », Proudhon est à la fois le père de l’anarchisme, le fondateur du système mutualiste et l’ancêtre du syndicalisme – les syndicats ne seront autorisés par la loi qu’en 1884.

« Vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique s’occupe de vous tout de même. »2140

Comte de MONTALEMBERT (1810-1870), Discours, entretiens et autres sources

D’abord aux côtés de Lamennais, apôtre et précurseur libéral du catholicisme social dont il subit l’ascendant comme Lacordaire, il rompt avec l’insoumis Lamennais. Nommé pair de France en 1835, il poursuit sa lutte pour la défense de l’Église et la conquête des libertés essentielles. Élu à l’Assemblée constituante en avril 1848, il se rallie à la politique du prince-président Louis-Napoléon Bonaparte et fait ensuite partie du Corps législatif jusqu’en 1857.

➡ Quel que soit le régime, cet adage de Montalembert met en garde contre l’abstention, l’une des raisons du déclin de la vie démocratique.

« Gouverner, c’est prévoir. »2331

Adolphe THIERS (1797-1877). Maxime attribuée aussi au journaliste Émile de Girardin (1806-1881). Le Spectacle du monde, nos 358 à 363 (1992)

Une très longue vie politique au service de la République qui peine à s’imposer, au XIXe siècle.

Entré en politique lors des « Trois Glorieuses » dans le camp des révolutionnaires qui renversent Charles X en juillet 1830, Thiers fut plusieurs fois ministre sous la Monarchie de Juillet. Dans l’opposition républicaine sous le Second Empire, il se fait remarquer pour sa défense des libertés, puis son hostilité à la guerre franco-allemande. Son nom reste surtout attaché à la répression de la Commune. 1871 : l’année de tous les pouvoirs pour cet homme de 74 ans, élu député par vingt-six départements à la fois et devenu « chef du pouvoir exécutif de la République », le 17 février. Lourde tâche, dans une France vaincue et déchirée.

➡ « Gouverner, c’est prévoir, choisir, réformer, mécontenter… Définitions à suivre. Il n’y a pas à choisir : en démocratie, c‘est tout cela en même temps. D’où la difficulté d’exercer le pouvoir, sous le regard des citoyens.

« Gloire aux pays où l’on parle, honte aux pays où l’on se tait. »2387

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Chambre des députés, 4 juin 1888. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919 (1920-1922), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

➡ Cette belle citation trop peu connue a un contexte précis, mais une portée très générale.

Président du Conseil et ministre de la Guerre aux accents hugoliens, il s’oppose au général Boulanger (qu’il a d’abord soutenu), voyant poindre en lui un nouveau Bonaparte, accusé de « faire disparaître la politique de parti et le parlementarisme ». Ce sera une crise, une « affaire » parmi toutes celles qui illustrent le régime parlementaire de la Troisième République.

Clemenceau, le « Tombeur de ministères » redouté, dévoile ici un visage moins connu : solidaire de l’histoire du parti républicain et de ses luttes depuis un siècle, il proclame son attachement à un régime de libre discussion : « L’honneur de la République est dans la libre parole avec ses risques et ses inconvénients. »

C’est rendre hommage à ce régime si souvent décrié, à commencer par lui-même. Vingt ans après, redevenu président du Conseil, il se plaindra des débats sans fin à la Chambre : « On perd trop de temps en de trop longs discours. » Mais ce dilemme est inhérent au régime parlementaire : comment assurer la libre expression des forces politiques représentées dans les assemblées sans paralyser le fonctionnement de l’institution parlementaire ? Le Parlement, lieu où l’on vote, est aussi et par définition celui où l’on parle.

« Il n’est pas de gouvernements populaires. Gouverner, c’est mécontenter. »2397

Anatole FRANCE (1844-1924), Histoire contemporaine. Monsieur Bergeret à Paris (1901)

Telle est l’une des leçons tirées de ce quatrième et dernier volume de son Histoire contemporaine : scepticisme philosophique de l’écrivain qui n’hésite cependant pas à s’engager de plus en plus dans les grandes luttes de son temps (pour Dreyfus, le socialisme, le communisme même).

➡ Autrement dit, ne pas attendre la perfection de ceux qui nous gouvernent. C’est une attitude infantile.

« Puisque nous sommes les plus forts, nous devons être modérés. »2447

Léon GAMBETTA (1838-1882), devant le progrès constant des républicains aux élections en 1876.  Discours et plaidoyers politiques de M. Gambetta, volume V (1882)

➡ Morale de l’Histoire : en démocratie, la loi de la majorité doit respecter le droit des minorités. Tocqueville traite en détail du « despotisme de la majorité » et du risque de tyrannie (De la démocratie en Amérique, 1835).

Mélange de passion et de raison, Gambetta accomplit un parcours républicain exemplaire, interrompu à 44 ans dans des circonstances mystérieuses… Il aura droit aux premières obsèques nationales décrétées.

Député républicain très populaire, il vit les premières élections sous le signe de la nouvelle Constitution qui fonde véritablement le régime la Troisième, d’où leur importance, même si c’est la seule Assemblée qui sera dissoute, et très vite.

Dès le 30 janvier 1876, ô surprise, le Sénat manque de peu d’être républicain, malgré un système électoral prudent qui favorise les communes rurales. Et Gambetta fait preuve de sagesse : « Comme disait un ancien, il y a quelque chose de plus difficile à supporter que l’adversité : c’est la bonne fortune. »

Le 20 février, les républicains ont une confortable majorité au premier tour des élections à la Chambre. Gambetta lance des appels à la pondération entre les deux tours : les républicains, s’ils veulent gouverner, ne doivent pas effaroucher l’opinion. Le second tour du 5 mars est un grand succès pour eux : le suffrage universel amène 393 députés républicains de toute tendance et seulement 140 conservateurs orléanistes, légitimistes et bonapartistes (sur 533 sièges). Jules Grévy est élu président de la Chambre des députés (avant de succéder à Mac-Mahon à la présidence de la République).

« La politique est l’art du possible. »2441

Léon GAMBETTA (1838-1882). La Politique en citations : de Babylone à Michel Serres (2006), Sylvère Christophe

Formule fameuse, expression du pragmatisme. Mais qui l’eut crue signée du pur et dur républicain, à la fois idéologue tranchant et démagogue bruyant ?

C’est un autre homme qui se révèle en 1874 et parle à ses contemporains : un tempérament foncièrement modéré, doué d’une saine appréciation des réalités. Il revendique bientôt cette nouvelle attitude : « Vous allez peut-être m’accuser d’opportunisme ! Je sais que le mot est odieux. Pourtant je pousse encore l’audace jusqu’à affirmer que ce barbarisme cache une vraie politique. » Chambre des députés, 21 juin 1880.

Avocat de métier, tribun par nature, il plaide ici pour l’amnistie totale des communards. À cette occasion est lancé le mot qui va faire fortune en politique, les « opportunistes » devenant les disciples de Gambetta après sa mort accidentelle et prochaine, à 44 ans (1882). Cet opportunisme a les honneurs du Larousse : « Politique de prudence et de réalisme prônée par Gambetta, Jules Ferry et les républicains modérés entre 1879 et 1895. » Autre définition péjorative qui prévaut aujourd’hui : « Attitude consistant à régler sa conduite selon les circonstances du moment, que l’on cherche à utiliser toujours au mieux de ses intérêts. » (même source).

➡ Rappelons que l’art de s’adapter entre dans la définition la plus courante de l’intelligence : « Faculté de connaître, de comprendre ; qualité de l’esprit qui comprend et s’adapte facilement. »

« Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-la […], éclairez-la […], vous n’aurez pas besoin de la couper. »2474

Victor HUGO (1802-1885), Claude Gueux (1834)

➡ Bref roman de jeunesse, déjà contre la peine de mort. Leçon d’humanisme omniprésent dans sa vie et son œuvre. De façon plus générale, la morale de l’Histoire est claire : la répression n’est qu’une solution de court terme qui ne peut traiter les problèmes à la racine. Les sources de l’ordre et de la paix sociale se trouvent dans l’éducation.

La même idée inspire la politique scolaire de Jules Ferry : pour régler la question sociale, il faut faire disparaître « la dernière, la plus redoutable des inégalités qui viennent de la naissance, l’inégalité de l’éducation », permettre « la première fusion qui résulte du mélange des riches et des pauvres sur le banc de quelque école ». D’où les « lois Ferry » de 1881-1882 qui rendent l’enseignement primaire gratuit, ce qui permet de le rendre obligatoire de 7 à 13 ans, puis laïque.

On pense aussi à la formation des maîtres, en créant des Écoles normales d’instituteurs (et d’institutrices) dans chaque département. Ce nouveau service public de l’enseignement va donner un minimum d’instruction aux fils de paysans… et créer la fameuse rivalité entre l’instituteur et le curé.

« La science n’a pas de patrie. »2494

Louis PASTEUR (1822-1895), Discours pour l’inauguration de l’Institut Pasteur, 14 novembre 1888. La Vie de Pasteur (1907), René Vallery-Radot. (Première biographie du grand savant, écrite par son gendre.)

La Troisième République ne se résume pas en crises, affaires, scandales. C’est aussi le temps des grands savants pour la France qui se retrouve en bonne place dans le monde, avec Louis Pasteur (microbiologie, vaccins), Marcellin Berthelot (chimie de synthèse, thermochimie), Claude Bernard (physiologie, médecine expérimentale). L’Université n’est plus, comme sous le Second Empire, le lieu de conférences mondaines pour grand public. Les étudiants viennent nombreux, les professeurs font des cours magistraux qui honorent l’enseignement supérieur, la recherche réalise des progrès qui vont changer la vie quotidienne des hommes en une ou deux générations.

Pour les applications directes de ses travaux (dont la pasteurisation appliquée au vin), pour la passion qu’il y a mise et pour l’Institut qui porte son nom, Pasteur est le plus populaire de tous les savants du monde.

➡ Au XXIe siècle, face aux enjeux mondiaux immenses et de tous ordres, cette phrase rappelle l’absurdité d’un repli national, surtout dans le domaine scientifique.

« Toute société qui prétend assurer aux hommes la liberté doit commencer par leur garantir l’existence. »2531

Léon BLUM (1872-1950), Nouvelles Conversations de Goethe avec Eckermann (1901)

➡ Une évidence d’un socialisme bien compris et toujours utopique, malgré le progrès des lois sociales. La première des libertés est de vivre avec des conditions matérielles décentes - osons le mot : dignes !

Dès 1900, ce jeune socialiste s’est fait remarquer en écrivant : « Nul n’ignore, parmi les socialistes réfléchis, que la métaphysique de Marx est médiocre […] que sa doctrine économique rompt une maille chaque jour. » Il s’inscrit au parti socialiste en 1902 et collabore avec Jaurès à L’Humanité, à partir de 1904. On le retrouvera chef du gouvernement du Front populaire en 1936.

« L’erreur des démocrates est de croire que leur vérité en soit une pour tout le monde, et force l’adhésion. »2566

André SUARÈS (1868-1948), Trois hommes, Moi et Démocratie (1913)

Terrible entre-deux-guerres. La tension internationale s’aggrave en Europe. L’Allemagne de l’empereur Guillaume II (comme jadis celle de Bismarck le « chancelier de fer ») est persuadée que le régime démocratique condamne la France à la faiblesse en cas de guerre, alors que l’allié anglais est plutôt porté à la neutralité.

➡ Moralité de l’Histoire ? Ne pas se faire d’illusion sur nos rêves d’universalisme imposé à un monde devenu littéralement multipolaire dans sa diversité.

« Le Parlement est le plus grand organisme qu’on ait inventé pour commettre des erreurs politiques, mais elles ont l’avantage supérieur d’être réparables, et ce, dès que le pays en a la volonté. »2603

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Sénat, 22 juillet 1917. Discours de guerre (1968), Georges Clemenceau, Société des amis de Clemenceau

➡ Une évidence démocratique qui vaut leçon d’histoire républicaine (et vice versa).
Première Guerre mondiale (1914-1918). Toujours dans l’opposition, le « Tombeur de ministères » défend la démocratie, malgré toutes les imperfections qu’il n’a cessé de dénoncer.

Il met ici en cause Malvy, ministre de l’Intérieur depuis trois ans, accusé de « défaitisme », en l’occurrence de trop de mollesse et de négligence pour réprimer tant des affaires de trahison caractérisées que des menées pacifistes. Clemenceau se pose en recours et Poincaré va se résoudre à appeler l’homme de la dernière chance pour une France fatiguée, divisée, à bout de nerfs et de guerre.

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »2618

Paul VALÉRY (1871-1945), La Crise de l’esprit (1919)

L’angoisse de l’intellectuel dépasse largement l’horizon d’un après-guerre et d’un pays. Valéry, l’un des esprits les plus lucides de l’époque, dès la paix revenue, lance ce cri d’alarme qui trouve un grand écho. « Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulés à pic avec tous leurs hommes et leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences […] Mais ces naufrages, après tout, n’étaient pas notre affaire. Élam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues […] Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. »

➡ Un siècle plus tard, le constat de Valéry est encore plus valable : le sentiment de toute-puissance nous égare, face au nouveau problème écologique du réchauffement climatique et à la guerre de retour en Europe.

« L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines. »2660

Paul VALÉRY (1871-1945), Discours de l’histoire (1932)

« Espèce de poète d’État » (dit-il de lui-même), croulant sous les honneurs, il demeure plus que jamais lucide au monde. Cette leçon d’histoire est paradoxalement signée d’un intellectuel qui refuse à l’histoire le nom de vraie science et lui dénie toute vertu d’enseignement, car « elle contient tout, et donne des exemples de tout ».

➡ Conclusion ? Se méfier des prétendues leçons du passé, d’autant que « nous entrons dans l’avenir à reculons ». Se méfier aussi de l’instrumentalisation du passé, un des leviers des stratégies de conditionnement des opinions dans l’exercice du pouvoir.

« Toute classe dirigeante qui ne peut maintenir sa cohésion qu’à la condition de ne pas agir, qui ne peut durer qu’à la condition de ne pas changer […] est condamnée à disparaître de l’histoire. »2622

Léon BLUM (1872-1950), À l’échelle humaine (1945)

Blum parle en socialiste de cœur et de raison, ce qu’il fut toujours avec un remarquable courage.

Son analyse s’applique à la bourgeoisie sur la défensive dans l’entre-deux-guerres, classe gagnante depuis des générations et qui a « cessé d’être heureuse » (Marc Bloch). Se sentant menacée dans ses revenus, ses rentes et dividendes, sa culture, son mode et son niveau de vie, elle manque d’esprit d’entreprise, de dynamisme créateur, elle refuse une éducation secondaire plus ouverte, une législation sociale mieux adaptée. Dès 1930, Georges Bernanos titrait sur La Grande peur des bien-pensants. Les événements de 1936 – le Front populaire et son cortège de grandes grèves – ne feront que durcir cette position à terme intenable.

➡ De nos jours, l’immobilisme prévaut : « disposition à se satisfaire de l’état politique présent, se traduisant par l’opposition à toute modification de la situation ; politique d’attente et de maintien du statu quo. » La théorie des avantages acquis est aussi cause de blocage social. Les (vraies) réformes font peur aux gouvernants comme aux gouvernés.

« Il y a des guerres justes. Il n’y a pas d’armée juste. »2690

André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)

Malraux, après un voyage à Berlin, dénonce le nazisme en 1935, ses atteintes à la dignité humaine et ses prisons dans Le Temps du mépris, puis le fascisme espagnol dans ce nouveau roman. Il y témoigne aussi de son engagement dans le camp des Républicains, organisant et commandant l’aviation étrangère avec une aptitude à l’action remarquable chez un intellectuel.

Bien des années après, l’ancien combattant de la guerre civile d’Espagne dit qu’elle a été la dernière « guerre juste » de notre temps, une des raisons de l’« espoir » étant cet afflux de volontaires de tous pays (estimés à 40 000 hommes), unis pour une juste cause, dans la fraternité confiante des brigades internationales. Comme le dit un anarchiste de L’Espoir, « le courage aussi est une patrie ».

➡ Avec le recul de l’Histoire, l’évidence s’impose : il y a des causes légitimes à certaines guerres, ne serait-ce que la défense du territoire attaqué ou annexé. Mais le combat dégénère toujours en massacres individuels ou collectifs. Cela tient sans doute à la nature de l’homme qui ne change pas fondamentalement… alors que les moyens techniques sont démesurément supérieurs !

« Ayez l’armée de votre politique ou la politique de votre armée. »2707

Paul REYNAUD (1878-1966). La Vie en plus (1981), Alfred Sauvy

Ministre des Finances du gouvernement Daladier en novembre 1938, il s’adresse aux députés à la Chambre. Dès 1935, devant la montée des périls, Reynaud voulait renforcer notre armée, adoptant les idées du lieutenant-colonel de Gaulle sur les blindés – qui font la force de l’Allemagne. Mais il était très isolé, et de Gaulle inconnu.

Autre argument, la France a conclu un pacte d’alliance avec la Pologne et la Tchécoslovaquie. Pour tenir ses engagements, il lui faut une armée offensive, sinon, elle doit avoir la loyauté de renoncer au pacte.

Grâce à sa politique financière et à une conjoncture économique internationale favorable, la France est sortie de la crise, la bourgeoisie est un peu rassurée. Et Paul Reynaud fait adopter une augmentation des impôts, pour accroître les dépenses militaires.

➡ Aujourd’hui et plus que jamais, pour peser sur la scène internationale (notamment face à la Russie de Poutine), il faut un budget de la Défense digne de ce nom. De Gaulle refusant la « docilité atlantique » a doté le pays des « moyens modernes de la dissuasion » dans les années 1960. La France entrait ainsi dans le club encore très fermé des puissances atomiques. C’est aussi la version moderne du « Si vis pacem, para bellum. »

« Il faut se méfier des ingénieurs, ça commence par la machine à coudre, ça finit par la bombe atomique. »2723

Marcel PAGNOL (1895-1974), Critique des critiques (1947)

Le Japon, écrasé par les bombardements, résiste encore, trois mois après la capitulation allemande : la caste militaire refuse une telle issue et l’amiral Onishi, inventeur des « kamikazes », envisage froidement la mort de 20 millions de Japonais. Harry Truman, président des États-Unis, décide le 6 août 1945, de lancer la première bombe atomique. Hiroshima : près de 100 000 morts des suites de l’explosion. Le 9 août, à Nagasaki, deuxième bombe atomique. Hiro-Hito l’empereur impose alors au pays sa volonté : le Japon capitule.

Sans ce recours à l’arme atomique, les plans les plus optimistes prévoyaient un débarquement qui aurait coûté dix-huit mois de préparation et un million de morts… La coopération des savants américains, anglais, canadiens, français, italiens et danois, permit également de devancer les « ingénieurs » allemands, près de trouver l’arme absolue. L’issue de la guerre et la face du monde en auraient été changées.

➡ Sujet de réflexion qui « affole les boussoles » ! La menace de la destruction atomique est à nouveau d’actualité avec Vladimir Poutine et la guerre d’Ukraine. Mais l’Intelligence artificielle (IA) pose à l’humanité des défis technologiques inédits et bien réels. Les hommes sont-ils de taille à s’adapter à des technologies toujours plus puissantes ? Le progrès est-il encore à hauteur d’homme ?

« Hourra pour la France ! Depuis ce matin, elle est plus forte et plus fière. »2991

Charles de GAULLE (1890-1970), Télégramme, 13 février 1960. De Gaulle : le souverain, 1959-1970 (1986), Jean Lacouture

Première explosion de la bombe A française à Reggane (Sahara). C’est une étape dans la politique d’indépendance militaire du général qui se refuse à la « docilité atlantique » et veut doter le pays des « moyens modernes de la dissuasion ». La France entre ainsi dans le club encore très fermé des puissances atomiques. Elle refusera de signer le traité de Moscou du 3 août 1963, sur la non-prolifération nucléaire..

➡ Le général de Gaulle avait raison en cela comme en bien d’autres sujets : « Tout le monde a été, est, ou sera gaulliste. » (André Malraux). La force de dissuasion rassure le pays. En 2024, face à la menace d’un retour de Trump, Paris devrait réviser sa doctrine de dissuasion nucléaire en lui donnant une dimension encore plus européenne (sondage de l’opinion publique).

« Les choses capitales qui ont été dites à l’humanité ont toujours été des choses simples. »2732

Charles de GAULLE (1890-1970). Les Chênes qu’on abat (1979), André Malraux

Grand « communicateur » qui saura utiliser la radio et plus tard la télévision, de Gaulle respecte cette règle de fond et de forme trop souvent oubliée, qui fait de lui une véritable « mine de citations ». Même remarque pour Napoléon affirmant : « La haute politique n’est que le bon sens appliqué aux grandes choses. »

➡ Rien n’est plus difficile que de faire simple et de parler clair. Pour preuve, le flot de messages écrits, parlés, commentés, confus, contradictoires… À prendre avec un certain recul.

« Gouverner, c’est choisir. »2885

Pierre MENDÈS FRANCE (1907-1982), Discours à l’Assemble nationale, 3 juin 1953. Gouverner, c’est choisir (1958), Pierre Mendès France

« La cause fondamentale des maux qui accablent le pays, c’est la multiplicité et le poids des tâches qu’il entend assumer à la fois : reconstruction, modernisation et équipement, développement des pays d’outre-mer, amélioration du niveau de vie et réformes sociales, exportations, guerre en Indochine, grande et puissante armée en Europe, etc. Or, l’événement a confirmé ce que la réflexion permettait de prévoir : on ne peut pas tout faire à la fois. Gouverner, c’est choisir, si difficiles que soient les choix. »

Cette formule empruntée (involontairement ?) au duc Gaston de Lévis (Maximes politiques, 1808) accompagne désormais l’homme politique bientôt au pouvoir. Quelques jours plus tôt, dans le premier numéro de L’Express (16 mai 1953), Mendès France écrit : « À prétendre tout faire, nous n’avons réussi qu’à détériorer notre monnaie, sans satisfaire aucun de nos objectifs […] Ce n’est pas sur des conférences diplomatiques, mais sur la vigueur économique que l’on fait une grande nation. »

➡ Mendès France ne restera pas longtemps au pouvoir, mais son action sera reconnue bien au-delà…

« Il faudrait être bien inattentif pour croire que l’action de Pierre Mendès France fut limitée aux quelque sept mois et dix-sept jours passés de juin 1954 à février 1955 à la tête du gouvernement de la République. Un été, un automne, quelques jours. L’Histoire ne fait pas ces comptes-là. Léon Blum pour un an, Gambetta et Jaurès, pour si peu, pour jamais, pour toujours. »2897

François MITTERRAND (1916-1996), Cour d’honneur de l’Assemblée nationale, Discours du 27 octobre 1982. Le Pouvoir et la rigueur : Pierre Mendès France, François Mitterrand (1994), Raymond Krakovitch

Tel sera l’hommage solennel de François Mitterrand, devenu président de la République, à la mort de Pierre Mendès France.

➡ Les deux autres noms cités font aussi partie des « boussoles » de l’Histoire. Moralité ? Rien ne sert de durer, il faut agir à point nommé ! Alors que certains dirigeants ont pour objectif de rester au pouvoir le plus longtemps possible, la valeur d’un chef d’État se mesure dans la force de son action, pas dans sa longévité.

« La démocratie est le pire système de gouvernement, à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire. »5

Winston CHURCHILL (1874-1965),  Chambre des communes, Londres, 11 novembre 1947

Par définition, la démocratie donne le pouvoir au peuple, que ce soit dans une république comme la France ou une monarchie comme l’Angleterre (où le roi règne sans gouverner). Elle est souvent critiquable et critiquée, toujours « bavarde », le Parlement (Assemblée ou ensemble des chambres qui détiennent le pouvoir législatif) étant aussi et par définition le lieu où l’on parle !

➡ Si imparfaite soit-elle, la démocratie est notre bien le plus précieux, hérité de la Révolution. Toutes les formes de dictatures nous le prouvent.

« Tant qu’il y aura des dictatures, je n’aurai pas le cœur à critiquer une démocratie. »3035

Jean ROSTAND (1894-1977), Inquiétudes d’un biologiste (1967)

Même idée que Churchill !

➡ Au-delà de débats politiques et constitutionnels parfois partisans, un grand savant sait replacer nos querelles franco-françaises à leur niveau.

« Gouverner, c’est réformer. »3165

Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), Conseil des ministres, janvier 1976

Dit la première fois dans une déclaration à la presse, le 19 avril 1974.

Ce fut une obsession de VGE, plus jeune président de la République élu avant Emmanuel Macron. Fond et forme, il voulut vraiment réformer, avec une intime conviction : « La France souhaite être gouvernée au centre. » Idée-force, idée simple, mais paradoxe apparent, dans un pays fortement bipolarisé, gauche contre droite et vice versa.

➡ Au-delà des réformes purement formelles et médiatiques en rupture avec le rituel daté du gaullisme, même les observateurs les plus critiques doivent reconnaître les vraies réformes de société dans les deux premières années du septennat de VGE : dépénalisation de l’avortement et loi sur l’IVG, premier ministère (secrétariat d’État) à la condition féminine (Françoise Giroud), majorité civique à 18 ans, divorce par consentement mutuel, refonte de l’audiovisuel (fin de l’ORTF), collège unique visant à dispenser un enseignement commun.

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