Les Mots de la fin des Chefs d’État, hommes et femmes politiques, militaires. | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Voici quelque 200 Mots, parfois apocryphes, mais toujours sourcés comme dans l’Histoire en citations.

La présentation chronologique montre qu’on ne mourait pas sous l’Antiquité ni même au XIXe siècle comme aujourd’hui. Autre leçon de l’histoire, on meurt souvent comme on a vécu, roi ou empereur, chef d’État ou militaire, chrétien ou athée, poète ou philosophe, dramaturge ou acteur, artiste ou scientifique, d’où le classement thématique en neuf catégories. Le sexe ou l’âge ne jouent guère et certaines « morts à contremploi » surprennent.

Quelques personnages cumulent deux ou trois mots de la fin : Jésus, Voltaire, Hugo… Une période se révèle particulièrement riche, la Révolution : pendant six ans, la guillotine tue beaucoup plus que la maladie ou la vieillesse et la situation donne du talent, voire du génie (improvisé ou pas).

Quelques mots sont bissés au fil des siècles, le plus fréquent étant le plus émouvant : « Maman. »

Au final, on notera l’étonnante variété de tons et de styles, entre le drame et l’humour, le courage et la peur, le lyrisme ou la pudeur, la simplicité quotidienne ou la pause pour l’éternité. Reste une impression dominante : la sincérité de ces derniers instants. À vous de juger, dans cet édito en quatre semaines.

II. Chefs d’État, hommes et femmes politiques, militaires.

CHEFS d’ÉTAT

« Ingrate patrie, tu n’auras pas mes os ! »

SCIPION l’Africain (v. 236-235 av. J.-C. 183 av. J.-C.). Last Words, Last Words… Out ! (2020) Miguel S.Ruiz.

Sa vie est un roman d’aventure. Issu d’une grande famille romaine, il incarne l’esprit de conquête et le goût du luxe de Rome au temps des guerres puniques (contre Carthage, la grande puissance rivale en Méditerranée).

Son père, consul en Espagne, meurt en luttant contre l’empire carthaginois. Le jeune Scipion part le venger, ouvrant un second front contre le frère d’Hannibal qui ravage l’Italie. Il assiège et prend Carthagène, place forte économique vitale pour le camp punique. Sa droiture le rend populaire auprès des indigènes lassés de l’occupation carthaginoise. Il rallie les Ibères à sa cause et soumet l’Espagne orientale.

De retour à Rome, nommé consul, il utilise la même tactique gagnante contre les Carthaginois, massacrés à la bataille des Grandes Plaines. Hannibal demande la paix à Scipion qui la refuse, ces deux grands chefs de guerre s’opposent à la bataille de Zama. La défaite d’Hannibal marque la fin de la deuxième guerre punique.

Scipion rentre à Rome, salué du titre de l’Africain qui lui est resté dans l’histoire. Objet d’un triomphe exceptionnel, élu et réélu consul en respectant l’intervalle de dix ans qui doit séparer deux consulats. La plèbe l’aurait volontiers nommé consul perpétuel et dictateur, mais ses ennemis s’organisent, attaquent Scipion et son frère accusés de détournement d’un tribut de guerre. Le « procès des Scipions » met fin à leur carrière politique. Scipion l’Africain, malade, choisit de s’exiler de Rome, se retirant dans sa propriété en Campanie où il meurt peu après. Refusant d’être enterré à Rome, il fait apposer ces mots sur sa sépulture : « Ingrate patrie, tu n’auras pas mes os ! »

À son confesseur qui lui demande de pardonner à ses ennemis :
« Je ne m’en connais d’autres [ennemis] que ceux de l’Église et de l’État. »

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642), mourant, 6 décembre 1642. Son mot de la fin. Encyclopédie des mots historiques, Historama (1970).

Cela fait encore beaucoup d’ennemis au cardinal et « principal ministre d’État » qui a dirigé la France et le roi pendant vingt ans, détesté autant que craint et admiré.

Le cardinal parle en homme d’Église qu’il fut avec sérieux dans son évêché de Luçon, mais il s’exprime comme il a vécu en homme politique, l’un de nos plus grands (reconnu par les historiens et admiré en cela par le général de Gaulle). On lui doit la théorisation – sinon l’invention – de la raison d’État qui date de Machiavel. Elle fera la force et la grandeur du règne de Louis XIV, apogée de la monarchie absolue.

« Sire, je vous dois tout, mais je m’acquitte envers Votre Majesté en lui donnant Colbert. »

MAZARIN (1602-1661) à Louis XIV, le 9 mars 1661. C’est son « mot de la fin » politique. Le Plutarque français, vie des hommes et femmes illustres de la France (1837), Édouard Mennechet.

Premier ministre d’Anne d’Autriche, gardé par Louis XIV à sa majorité, se donnant tout entier à son métier de « principal ministre », il a eu la totalité du pouvoir. Il recommande au roi le financier Jean-Baptiste Colbert qui gérait avec succès sa fortune, depuis dix ans. Louis XIV le gardera à son service jusqu’à sa mort, durant plus de vingt ans. Il fera de même avec la plupart des collaborateurs tout dévoués dont l’habile Mazarin a su s’entourer.

Mazarin a parallèlement collectionné les charges et acquis une immense fortune – impossible à estimer, car il est difficile de donner la valeur des tableaux de maître de Vinci, Titien, Raphaël, Caravage, des sculptures, des bijoux et médailles, disséminés dans un grand nombre de palais, et des livres rares de la bibliothèque Mazarine. C’est sans doute la plus grande fortune privée de tout l’Ancien Régime ! Mais Mazarin fut aussi un grand mécène et un amoureux des belles choses : au moment de mourir il pense aux chefs-d’œuvre qu’il ne verra plus.

« Dire qu’il va falloir quitter tout cela. »

MAZARIN (1602-1661), autre mot de la fin plus personnel, en forme de cri du cœur. Histoire de la poésie française, tome I (1982), Robert Sabatier.

Tout cardinal qu’il fût – quoique jamais ordonné prêtre ! - Mazarin était très attaché aux biens de ce monde et notamment aux œuvres d’art accumulées en collectionneur et connaisseur. L’essentiel est légué au roi qui refuse élégamment, de sorte que Mazarin peut encore en disposer, selon ses dernières volontés.

Se sentant mourir, il se fit transporter dans sa galerie de peintures et admira longuement les merveilles qu’il y avait rassemblées : « Dire qu’il va falloir quitter tout cela. »

« Il faut servir la France. C’est un pays difficile à servir, inconstant et imprévoyant, mais qu’il faut bien servir, c’est un grand pays. »

François GUIZOT(1787-1874). Les Mots de la fin (1957), Claude Aveline.

Il entre sur la scène politique sous la Restauration, très représentatif de l’époque. Il quitte le gouvernement quand les libéraux perdent le pouvoir, suspendu de ses cours d’histoire moderne à la Sorbonne, en raison de son opposition au régime monarchiste.

Sous la Monarchie de Juillet, Guizot sera longtemps au pouvoir, plusieurs fois ministre, en particulier des Affaires étrangères de 1840 à 1848 et président du Conseil en 1847, chef du parti de la Résistance (résistance au mouvement révolutionnaire), défendant les intérêts de la grande bourgeoisie d’affaires, contribuant à accroître la misère ouvrière et suscitant une opposition de plus en plus dure. Mais il est souvent mal compris.

Exemple le plus connu, 1er mars 1843 à la tribune de l’Assemblée : « Enrichissez-vous… » Rappelons le contexte. Pratiquement chef du gouvernement, il répond aux attaques de l’opposition : « Fondez votre gouvernement, affermissez vos institutions, éclairez-vous, enrichissez-vous, améliorez la condition morale et matérielle de notre France. » Il reprendra le mot lors d’un banquet, la même année : « Enrichissez-vous par le travail, par l’épargne et la probité, et vous deviendrez électeurs. » (Le droit de vote était conditionné par un seuil d’imposition, le cens.) Louis-Philippe approuve les idées de son ministre : « C’est ma bouche », dit-il.

Guizot joua aussi un rôle important dans l’histoire de l’école en France, ministre de l’Instruction publique demandant la création d’une école primaire par commune et d’une école normale primaire par département - loi de 1833. Le même homme tombera et entraînera dans sa chute la Monarchie de Juillet, pour cause de conservatisme excessif. Il sera aussi l’historien de l’irrésistible ascension bourgeoise.

« À moi les Turcaillots, en avant ! »:

MAC-MAHON (1808-1893) s’imaginant encore dans la bataille. Mac-Mahon (2000), Gabriel de Broglie.

Comme le soulignent la plupart des journaux de l’époque, « la mort de Mac-Mahon est belle comme sa vie. »

À 85 ans, aux premiers jours d’octobre, sa santé commence à s’altérer. Il peine à respirer, veillé par la maréchale, par son fils Patrice et assisté de son médecin, le docteur Rummet. Le 17 au matin, il fait appeler le curé de Montcresson qui est aussi son ami. Il reçoit les derniers sacrements à 8 heures, toujours conscient. Il s’endort, très calme, ayant retrouvé son souffle. Peu avant 10 heures, il rouvre les yeux et lance ses derniers mots. Avant de s’éteindre sans agonie.

Les cloches de Montcresson sonnent le glas. Les habitants du bourg et des villages proches, les parents et les amis, de nombreux militaires défilent, tous frappés par la noblesse et la douceur presque souriante du visage. Une dépêche annonce le décès à Paris, il s’ensuit une avalanche de télégrammes, de messages, de fleurs et de couronnes qui apportent des condoléances de l’Europe entière. Le 19 octobre, un décret décide de son transfert aux Invalides.

Mac-Mahon est  mort en évoquant son passé militaire - conquête de l’Algérie dont il fut aussi gouverneur. Mais il reste dans l’histoire comme le premier de nos Présidents de la République. De 1873 à 1879, il tente d’imposer avec toute son énergie un régime présidentiel – ce que réussira un autre militaire, le général de Gaulle sous la Cinquième République. Il  devra finalement se soumettre et se démettre en républicain, le régime parlementaire l’emportant alors, avec ses faiblesses, ses crises, ses présidents souvent insignifiants.

« Je souffre. Il vaut mieux me laisser. »

Sadi CARNOT (1837-1894) au médecin qui tente l’impossible pour le sauver. Mémoires de l’Académie nationale de chirurgie (2010), Assassinat de Marie-François-Sadi Carnot à Lyon, le 24 juin 1894 : défi chirurgical et gageure politique d’un martyre.

Attentat contre le premier magistrat de France : le 24 juin 1894, Marie-François Sadi Carnot est assassiné à Lyon par un jeune anarchiste italien, Santo Caserio. Il est venu visiter l’exposition universelle internationale et coloniale. Après un banquet en son honneur et se rendant à un gala, il est mortellement blessé dans sa voiture. C’est le premier président de la République français tué dans l’exercice de ses fonctions - Paul Doumer en 1932 connaîtra le même sort.

Le Figaro du 26 juin rapporte que bien des gens à Paris refusaient de croire à la réalité d’un tel crime. Peu après, des boutiques appartenant à des Italiens sont attaquées à Lyon, saccagées, dévalisées. Le 1er juillet, le président défunt, après des funérailles nationales à Notre-Dame, est inhumé au Panthéon, au côté de son grand-père Lazare, « l’organisateur de la victoire » sous la Révolution. C’est le seul président de la République française à y reposer. Son assassin, condamné le 4 août à la peine de mort, est guillotiné.

« Pour mes obsèques, je ne veux que le strict nécessaire, c’est-à-dire moi. »

Georges CLEMENCEAU (1841-1929) à son médecin. Perles de Clemenceau (2018), François Jouffa & Frédéric Pouhier.

Ce mot de la fin est aussi dans son testament, daté du 26 mars 1929.

Il avait dit : « Mon père est mort à 87 ans, ma mère à 83 ans, à mon tour. » On lui doit aussi un mot connu et sans illusion, devenu citation : « Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables qui ont tous été remplacés. »

Vendéen de naissance, de cœur et de fort caractère, le « Tombeur de ministères » qui fut aussi le « Père la Victoire » en 1917-1918 a effrayé et malmené le personnel politique souvent insignifiant d’une Troisième République critiquable pour  sa faiblesse institutionnelle et ses « crises » sans fin. Il n’a jamais pu accéder au poste de président (élu par l’Assemblée nationale) qui lui revenait logiquement et qu’il brigua officiellement en fin de carrière. Dans la droite ligne de son caractère, il refusa donc des funérailles nationales.

« Goebbels, je vous charge de vous assurer que mon corps et celui de ma femme sont bien brûlés. »

Adolf HITLER (1889-1945) à son ministre, avant d’aller se tuer avec Eva Braun. Les Mots de la fin (1957), Claude Aveline.

Il avait dit : « Mon empire vivra mille ans ! » Il a vécu douze ans (1933-1945). Mais au-delà de la propagande nazie et de la prophétie du « Reich de mille ans », le Führer fut le nouveau messie pour un peuple humilié, avide de revanche après la Première guerre mondiale.

Première visée, la France, l’ennemie mortelle et vaincue : elle subit la domination allemande des deux tiers de son territoire dans la zone occupée, avec une zone libre qui le sera de moins en moins, tandis que les trois départements d’Alsace-Lorraine sont annexés et les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais réunis à la Belgique – elle-même envahie par les chars d’assaut lors de la Blitzkrieg (guerre éclair) et passée sous administration allemande, le 15 septembre 1940.

D’autres pays font les frais de cet impérialisme qui redessine la carte de l’Europe. En vertu du pacte tripartite signé le 27 septembre 1940, donnant à l’Allemagne, à l’Italie et au Japon le droit à l’« espace vital » dont chacun a besoin et par le jeu des empires coloniaux, c’est le monde que les trois dictateurs, Hitler, Mussolini et Hiro-Hito, veulent se partager. Cette guerre, fatalement, devait devenir mondiale. En un quart de siècle, incluant l’instauration de régimes communistes et leur cortège de persécutions, « soixante-dix millions d’Européens, hommes, femmes et enfants, ont été déracinés, déportés et tués », écrira Albert Camus.

Au regard de cette tragédie mondiale, le suicide d’Hitler et d’Eva Braun, sa maîtresse épousée la veille, fait figure de fait divers politique à la fois insignifiant et symbolique.

« J’ai faim. »

Philippe PÉTAIN (1856-1951). Les Mots de la fin, 200 adieux historiques (2017), Catherine Guennec.

La nuit du 23 juillet 1951, quelques proches, dont son avocat Me Isorni, veillent le prisonnier. Jugé pour intelligence avec l’ennemi et haute trahison par la Haute Cour de justice en juillet 1945, frappé d’indignité nationale, condamné à la confiscation de ses biens et à la peine de mort, sa peine a été commuée en emprisonnement à perpétuité par le général de Gaulle.

Le maréchal (vainqueur de Verdun sous la Grande Guerre) a 95 ans et sa santé décline, physiquement, mentalement. Ses moments de lucidité deviennent rares. Il sort soudain de sa torpeur, ouvre les yeux, lance ces deux mots qui résonnent comme un ordre. Et meurt à cet instant.

« Je suis prêt à rencontrer mon Créateur. Quant à savoir s’il est préparé à l’épreuve de me voir, c’est une autre histoire. »;

Winston CHURCHILL (1874-1965). TV5 Monde, 30 janvier 2015.

« Vieux lion » au sacré caractère, carrière de militaire, stratège sur le terrain comme en politique, maniant l’humour parfois assassin, on peut le comparer à Clemenceau.

L’homme d’État britannique s’est illustré lui aussi sur plusieurs fronts : le terrain – notamment le front de l’Ouest pendant la Première Guerre mondiale comme commandant du 6e bataillon des Royal Scots Fusiliers -, la politique en tant que Premier ministre du Royaume-Uni de 1940 à 1945 où son action se révéla décisive durant la Seconde Guerre mondiale. Il fut pour le général de Gaulle un partenaire pas toujours facile, mais précieux et surtout fidèle, remarquable dans l’art oratoire et le courage dans l’action. Il meurt à 91 ans. Un régime à base d’alcool, de cigare et surtout « No sport! » le maintint en forme presque jusqu’à la fin.

« À la fin, il n’y a que la mort qui gagne. ».

Charles de GAULLE (1890-1970), citant volontiers ce mot de Staline dans ses Mémoires de guerre

Malraux reprend cette phrase dans ses Antimémoires : le Miroir des limbes. La mort fut certainement omniprésente dans ce dialogue au sommet de l’intelligence qui réunit les deux hommes. Jusqu’à la mort du général de Gaulle.

Cet homme d’État avait au plus haut point le don de la Parole et de l’Action (comme Napoléon qu’il admirait). Après l’échec de son dernier referendum en 1969 et son retrait de la vie politique (« Cas sans précédent de suicide en plein bonheur » selon le gaulliste François Mauriac), il rédigeait le dernier tome de ses Mémoires dans son domaine de la Boisserie à Colombey-les-deux Églises (Haute-Marne). Le 9 novembre 1970, comme à l’accoutumée avant le dîner, le Général entame une partie de patience dans la bibliothèque. Pris d’un malaise (AVC), il meurt avant même l’arrivée de son médecin et du curé de Colombey. A-t-il eu le temps de penser à la citation de Staline ? Le lendemain, le président Pompidou déclare dans une brève allocution radio-télévisée que « la France est veuve ».

De Gaulle avait rédigé son testament en 1952. En résumé :
« Je veux que mes obsèques aient lieu à Colombey-les-Deux-Églises. Si je meurs ailleurs, il faudra transporter mon corps chez moi, sans la moindre cérémonie publique. Ma tombe sera celle où repose déjà ma fille Anne et où, un jour, reposera ma femme. Inscription : Charles de Gaulle (1890-…). Rien d’autre. Je ne veux pas d’obsèques nationales. Ni président, ni ministres, ni bureaux d’assemblées, ni corps constitués. Seules, les Armées françaises pourront participer officiellement, en tant que telles ; mais leur participation devra être de dimension très modeste, sans musiques, ni fanfares, ni sonneries. Aucun discours ne devra être prononcé, ni à l’église ni ailleurs. Pas d’oraison funèbre au Parlement. Je déclare refuser d’avance toute distinction, promotion, dignité, citation, décoration, qu’elle soit française ou étrangère. »

« Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. »

François MITTERRAND (1916-1996) à la télévision, 31 décembre 1994.

Le président adresse pour la dernière fois ses vœux à la nation, au terme de son second septennat. « L’an prochain, ce sera mon successeur qui vous exprimera ses vœux. Là où je serai, je l’écouterai, le cœur plein de reconnaissance pour le peuple français qui m’aura si longtemps confié son destin, et plein d’espoir en vous. Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. »

Sa maladie (cancer), de notoriété publique, dramatise naturellement ce rendez-vous annuel et convenu d’un président avec un peuple.

HOMMES et FEMMES POLITIQUES porteurs d’un ultime message.

« Si j’avais fait pour Dieu ce que j’ai fait pour cet homme, je serais sauvé dix fois. »

COLBERT (1619-1683) sur son lit de mort, parlant de Louis XIV, début septembre 1683. Histoire de la vie et de l’administration de Colbert (1846), Pierre Clément.

Il meurt en ministre, plus qu’en chrétien. Mais la France est une monarchie de droit divin, donc « cautionnée » par Dieu omniprésent.

Ce grand commis de l’État accomplit une tâche surhumaine, cumulant les postes d’intendant des Finances, contrôleur général, surintendant des Bâtiments, Arts et Manufactures, secrétaire à la Maison du roi et à la Marine. En vertu de quoi il dirigea et réglementa l’économie, réorganisa l’administration, géra les « affaires culturelles », encouragea le commerce défini comme « une guerre d’argent » et enrichit le pays au nom d’un mercantilisme qui fait loi – le « colbertisme ». Louis XIV lui doit, autant que la France, une part de cette grandeur dont il est si fier. Le Code noir dont on a beaucoup parlé reflète le colonialisme nécessaire à toute grande puissance, à commencer par l’Angleterre et la France. Seuls quelques philosophes humanistes et visionnaires manifestaient leur opposition à ce crime contre l’humanité.

 « Mon ami, j’emporte avec moi les derniers lambeaux de la monarchie. »

MIRABEAU (1749-1791), à Talleyrand, fin mars 1791. Souvenirs sur Mirabeau et sur les deux premières assemblées législatives (1832), Pierre Étienne Lous Dumont.

C’est l’un des rares personnages politiques mort de maladie et dans son lit sous la Révolution ! Talleyrand est venu visiter le mourant, juste avant son dernier soupir (2 avril). Assistant à la fin de l’Ancien Régime, il a tout fait pour conserver une monarchie constitutionnelle (à l’anglaise). Comme Talleyrand, d’ailleurs. Certains députés, connaissant son double jeu et son double langage entre le roi et l’Assemblée, l’accusent de trahison - le fait sera prouvé en novembre 1792, quand l’armoire de fer où le roi cache ses papiers compromettants révélera ses secrets.

Mirabeau, l’Orateur du peuple, fut le premier personnage marquant de la Révolution. Le peuple prend le deuil de son grand homme qui a droit aux funérailles nationales et au Panthéon. Démasqué après la mort du roi, il sera aussitôt dépanthéonisé.

« J’ai bien le droit d’être curieuse, je n’en avais jamais vu ! »

Charlotte CORDAY (1768-1793) au pied de l’échafaud, 17 juillet 1793. Mémoires apocryphes de Sanson (1830), en réalité dues à la plume du jeune Honoré de Balzac et de Louis-François L’Héritier de l’Ain.

Geste éminemment politique que l’assassinat de Marat, pour preuve son « Adresse aux Français, amis des lois et de la justice » trouvée sur elle : « Les factions éclatent de toutes parts : la Montagne triomphe par le crime et par l’oppression ; quelques monstres abreuvés de notre sang conduisent ces détestables complots […] Si je ne réussis pas dans mon entreprise, Français, je vous ai montré le chemin : vous connaissez vos ennemis. Levez-vous, marchez et frappez. »

Cette jeune normande de 25 ans est montée à Paris pour venger le roi guillotiné le 21 janvier et venger la France, en assassinant l’abominable Marat qui se prétend l’Ami du peuple, multipliant les appels aux meurtres qui vont aboutir à la Terreur.

Le retentissement de ce « fait divers politique » est considérable. En un jour, la jeune fille devient une héroïne de Corneille (un de ses ancêtres normands) et reste l’une des figures de la Révolution. André Chénier le poète la salue par ces mots : « Seule, tu fus un homme », ce qui contribuera à le perdre. Le député de Mayence, Adam Lux, qui la vit dans la charrette l’emmenant à l’échafaud, s’écria : « Plus grande que Brutus », et ce mot lui coûta la vie.

Lamartine la baptise l’Ange de l’assassinat et Michelet retrouve les accents qu’il eut pour Jeanne d’Arc : « Dans le fil d’une vie, elle crut couper celui de nos mauvaises destinées, nettement, simplement, comme elle coupait, fille laborieuse, celui de son fuseau. »

« Eh ! qui suis-je pour me plaindre, quand des milliers de Français meurent aux frontières pour la défense de la patrie ? On tuera mon corps, on ne tuera pas ma mémoire. »

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793), guillotiné le 31 octobre 1793. Histoire socialiste, 1789-1900, volume IV, La Convention (1908), Jean Jaurès.

L’homme si élégant, séducteur au charme romantique, avocat brillant sous l’Ancien Régime, devenu l’un des orateurs les plus doués de la Législative et de la Convention, a perdu toute flamme, usé par cinq mois de prison et résigné au pire. Il aurait pu fuir comme quelques autres, mais non : « Fuir, c’est s’avouer coupable. » Il fait donc partie des 21 Girondins exécutés. Débordé sur sa gauche par les Montagnards, il relativise son martyr, dans une mise en perspective politique.

« Je meurs le jour où le peuple a perdu la raison ; vous mourrez le jour où il l’aura recouvrée. »

Marie David Albin LASOURCE (1762-1793), mot de la fin, 31 octobre 1793. Lasource, député à la Législative et à la Convention (1889), Camille Rabaud.

Ancien pasteur, acquis à la Révolution, défendant toujours ses convictions avec courage, décrété d’accusation, il est jugé avec les Girondins auxquels il s’est rallié, la dernière semaine d’octobre 1793. Les 21 sont condamnés à mort. Cinq charrettes les mènent à l’échafaud le même jour. Dans la dernière, il y a le corps de Valazé qui s’est plongé un stylet dans le cœur, à l’énoncé du verdict. Certains, qui croyaient pouvoir échapper à la mort, se sont défendus, plutôt médiocrement.

« Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort. »

Olympe de GOUGES (1755-1793), guillotinée le 3 novembre 1793. Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris, avec le Journal de ses actes (1880), Henri Alexandre Wallon.

Féministe passionnée, coupable d’avoir écrit en 1791 une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne dédiée à la reine, d’avoir défendu le roi, puis courageusement attaqué Robespierre en « brissotine » (synonyme de girondine), elle est arrêtée en juillet 1793. Elle paraphrase le chant national de la Marseillaise et lance l’un des plus beaux mots de la fin, dans cette Révolution qui dévore ses enfants à la manière de Saturne.

Ridiculisée par les Jacobins, tardivement reconnue pour ses qualités humaines et politiques, Olympe de Gouges rate de peu la dernière fournée de panthéonisation réservée à quatre Résistants et Résistantes, en 2015. Ce sera peut-être pour la prochaine fois, après Joséphine Baker fin 2021, qui a elle aussi bien mérité de la Patrie et de l’Humanité.

« Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! »

Mme ROLAND (1754-1793), montant à l’échafaud et s’inclinant devant la statue de la Liberté (place de la Révolution), 8 novembre 1793. Le Nouveau Tableau de Paris (1799), Louis Sébastien Mercier.

Elle est plus héroïque que son Girondin de mari qui a fui à Rouen et se suicidera deux jours après, en apprenant sa mort. Plus politique aussi, en tout cas plus affirmée dans ses convictions – et beaucoup plus jeune.

Manon Roland fit preuve d’une belle énergie et d’une plume infatigable dans sa prison (l’Abbaye, puis la Conciergerie). Elle écrit pour se défendre devant le Tribunal révolutionnaire, même sans espoir. Elle écrit ses Mémoires, destinées à sa fille Eudora. Elle écrit des lettres, notamment à son ami Buzot qui, contrairement à elle, a fui comme son mari, pour échapper au sort des Girondins. Il se suicidera lui aussi, apprenant, quelques mois plus tard la mort de Manon Roland.

« Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut bien la peine. »

DANTON (1759-1794), au bourreau, avant de poser sa tête sous le couperet de la guillotine, 5 avril 1794. Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris (1862), Émile Campardon.

C’est « une gueule » et il en a bien joué ! Personnage éminemment théâtral, orateur né, il a suscité des haines farouches (dont celle de Madame Roland), mais fasciné le peuple et l’Assemblée nationale. Son sens de la formule est remarquable, littéralement jusqu’à la fin. Son adversaire, Robespierre, n’aura pas cette chance.

Parions pourtant que ce mot de la fin fut préparé par notre redoutable improvisateur de discours, en rappelant la définition de Flaubert : « Échafaud. – S’arranger quand on y monte pour prononcer quelques mots éloquents avant de mourir. »

« Je n’ai rien à me reprocher : je me suis toujours conformé aux lois, je n’ai jamais été la créature de Robespierre ni de Saint-Just ; au contraire, j’ai été sur le point d’être arrêté quatre fois. Je meurs pour ma patrie et sans reproche. Je suis satisfait : plus tard, on reconnaîtra mon innocence ». 

FOUQUIER-TINVILLE (1746-1795), dernières lignes écrites à la Conciergerie la veille de son exécution, 6 mai 1795. Le Tribunal révolutionnaire (1981), Luc Willette.

L’homme est convaincu « de manœuvres et complots tendant à favoriser les projets liberticides des ennemis du peuple […] faisant périr sous la forme déguisée d’un jugement une foule innombrable de Français, de tout âge et de tout sexe ». En dix-sept mois, il obtint la tête de quelque 2 000 condamnés, et parmi eux tous les grands noms de cette histoire. Il se déclare « en but à la calomnie » et se retranche derrière les lois : « Je n’ai été que la hache de la Convention ; punit-on une hache ? »

Surprenant déni de réalité proféré par le plus terrible des accusateurs publics.

L’exécution de Fouquier-Tinville eut lieu le lendemain matin, place de Grèves. Il fut le dernier guillotiné des seize condamnés à mort, exécuté le 6 mai 1795, après 41 jours de procès devant le Tribunal révolutionnaire (réformé). À travers Fouquier-Tinville et 23 coaccusés, on juge aussi cette justice politique d’exception.

« Qu’il est affreux de mourir ainsi de la main des Français ! »

Duc d’enghien (1772-1804), quelques instants avant son exécution, 21 mars 1804. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert.

Napoléon Bonaparte, Premier Consul, sait que le prince de 32 ans, dernier rejeton de la prestigieuse lignée des Condé, n’est pour rien dans le dernier complot (avec Cadoudal), même s’il est le chef d’un réseau antirépublicain qui projette de l’assassiner à la veille de l’Empire.

Il le fait condamner après un simulacre de jugement et fusiller la nuit même dans les fossés de Vincennes. « Pire qu’un crime, c’est une faute » qui lui sera reprochée par l’histoire. Cette exécution sommaire indigne l’Europe et tous les rois se ligueront bientôt contre l’empereur. Mais le drame émeut également la France : détails sordides de l’exécution et douleur de la princesse Charlotte de Rohan-Rochefort qui portera toute sa vie le deuil de cet amour - le mariage était en préparation.

« Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs. »

Alphonse BAUDIN (1811-1851), député, appelant le peuple à la lutte, sur une barricade de la rue Sainte-Marguerite, 3 décembre 1851. Histoire des crimes du 2 décembre (1852), Victor Schœlcher.

(L’indemnité parlementaire est de 25 francs, alors que le salaire ouvrier atteint rarement 5 francs par jour).

Authentique homme de gauche, « médecin des pauvres », Baudin s’efforce de mobiliser la foule, mais les Parisiens se rappellent les journées sanglantes de juin 1848. Quelques barricades se dressent quand même, faubourg Saint-Antoine. Le député appelle un homme à la lutte, qui se dérobe : « Nous ne voulons pas nous faire tuer pour vous garder vos 25 francs par jour ! » D’où la réplique de Baudin. Un coup de feu part, la troupe riposte, Baudin tombe, mortellement blessé, à côté d’un ouvrier. La nouvelle de ces morts suscite d’autres barricades.

La journée du 3 décembre est une réaction contre le coup d’État du 2. Et le 4 décembre, la troupe tire sur la foule, boulevard Poissonnière. Bilan : de 100 à 300 morts (selon les sources), dont beaucoup de femmes et d’enfants.

« Tout est fini. Ma femme et moi allons nous suicider. Vous brûlerez nos corps. Pouvez-vous faire cela ? »

Joseph GOEBBELS (1896-1945), ministre de l’Éducation du peuple et de la Propagande du Reich, à son aide de camp. Les Mots de la fin (1957), Claude Aveline.

L’aide de camp ayant dit oui, il lui donne une photo d’Hitler : « Voici un cadeau pour vous. » . Et il se tue d’un coup de revolver. Selon les traductions : « Tout est fini » ou « tout est perdu ». Mais le sens est clair. Et sa femme confirme par la parole et par le geste…

« Vous voyez, nous avons une fin honorable. »

Magda GOEBBELS à l’aide camp (1899-1945), la femme de Goebbels ayant déjà fait tuer leurs six enfants, elle va s’empoisonner. Les Mots de la fin (1957), Claude Aveline.

Magda Quandt milite au NSDAP où elle trouve bientôt un travail qui la rapproche de Joseph Goebbels. Fascinée par le propagandiste du mouvement et par le dirigeant nazi Adolf Hitler, elle s’éprend du premier qu’elle épouse en 1931, et devient une proche du second. Elle suit son époux au début des années 1930 dans son aventure politique, lorsque le parti nazi accède au pouvoir. En mars 1933, Joseph Goebbels devient ministre de la Propagande. Magda Goebbels joue alors un rôle de « Première dame » du Troisième Reich, participant à des cérémonies officielles, des réceptions, des visites d’État et se posant dans la propagande du régime nazi comme la « plus grande mère du Reich ».

En privé, elle tente de mener une existence libre, s’affranchissant de l’interdiction de se maquiller ou de porter des vêtements de luxe et s’intéressant de près à la politique, mais sans jouer de rôle précis. Fanatique nazie, elle suit son mari dans les derniers jours du Reich, en s’installant dans le bunker du Führer à Berlin. Avant de se suicider avec son époux, elle tue leurs six enfants et écrit à son premier fils, Harald Quandt, combattant dans la Luftwaffe : « Le monde qui va venir après le Führer et le national-socialisme ne vaut plus la peine qu’on y vive ». C’est aussi un mot de la fin.

« Un président du Conseil de France meurt debout. Je rassemblerai ce qui me reste de force pour tenir la seconde qu’il faudra… Vive la France ! »

Pierre LAVAL (1883-1945). Les Grands procès, préface de Jacques Vergès (2015) Daniel Amson, André Damien.

Maire d’Aubervilliers et parlementaire, plusieurs fois ministre et président du Conseil sous la Troisième République, il sera  durant la Seconde Guerre mondiale la personnalité la plus importante du régime de Vichy avec Philippe Pétain, et le principal maître d’œuvre de la politique de collaboration avec l’Allemagne nazie.

D’abord vice-président du Conseil et dauphin désigné du Maréchal jusqu’à son éviction soudaine, le 13 décembre 1940, il revient ensuite au pouvoir comme chef du gouvernement, du 18 avril 1942 au 19 août 1944. Détesté des autres ministres, très impopulaire dans le pays, Laval se croira jusqu’à la fin plus fort ou plus malin qu’Hitler dont il faisait le jeu.

En fuite à la Libération, il est arrêté, condamné à mort pour haute trahison et complot contre la sûreté intérieure de l’État par la Haute Cour de justice. Il tente de se suicider, mais il est finalement ranimé. Habillé et apparemment rétabli, il marche d’un pas ferme jusqu’à la porte de la prison et monte dans le fourgon le conduisant derrière la prison de Fresnes,  devant une butte qui pendant la guerre avait servi aux Allemands de lieu d’exécution. Il refusa l’escabeau qu’on lui proposait pour s’asseoir, se laissa lier au poteau et mourut, fusillé.

« Pour la première fois, j’entends venir quelqu’un. »

Charles MAURRAS (1868-1952), mot de la fin. L’Église, le Sillon et l’Action française (1998), Hugues Petit.

Dans ses Mémoires intérieures, le très croyant François Mauriac note ce petit miracle, ce mot, « le plus beau que l’approche de l’éternité eût jamais inspiré à un homme aux oreilles fermées depuis l’enfance. » Le pape Pie X avait très exactement annoncé ce qui devait se passer : « Il se convertira, mais in extremis, et il ne sera déjà presque plus de ce monde. » De fait, au dernier moment, Maurras avait demandé l’assistance du chanoine Cornier : « Il est temps que vous m’aidiez à accomplir ce qu’il faut que je fasse… Il s’agissait de recevoir l’extrême onction.

Rappelons que l’Action française de Maurras fut mise à l’Index par le pape Pie XI en 1926. Lui-même eut une attitude complexe et changeante face à la religion, avec des élans mystiques qui se traduisent par ses relations avec le Carmel de Lisieux : « Ô Thérèse, Illuminez votre pèlerin et sanctifiez le dans la vérité ! » (cité par Stéphane Giocanti, spécialiste de la pensée maurrassienne)

Mais on peut se poser une autre question plus fondamentale encore à propos de l’homme – écrivain, poète, journaliste, essayiste brillant - qui eut une si grande influence sous la Troisième République, à la fois royaliste, nationaliste et contre-révolutionnaire, maitre à penser du mouvement intellectuel et politique d’extrême droite, doctrinaire prônant une monarchie héréditaire, tout en se revendiquant antisémite, antiprotestante, antimaçonnique et xénophobe. Son aveuglement face à la « montée des périls » partout dénoncée, sa coupure avec la réalité relevant d’une forme d’autisme intellectuel n’est-elle pas liée à son infirmité physique, une surdité qui frappe l’adolescent de 14 ans, lui fait perdre la foi, provoque une tentative de suicide et l’engage dans un parcours métaphysique complexe ? Cela recouperait le mot de Mauriac qui admirait Maurras sans partager ses idées.

MILITAIRES

« Je ne regrette en mourant que de n’avoir pas chassé tout à fait les Anglais du royaume comme je l’avais espéré ; Dieu en a réservé la gloire à quelque autre qui en sera plus digne que moi. »

Du GUESCLIN (1320-1380), le 13 juillet 1380. Histoire de Bertrand du Guesclin (1787), Guyard de Berville.

C’est aussi un chrétien qui parle, mais avant tout un formidable capitaine… Le connétable assiège la place forte de Châteauneuf-de-Randon (Lozère). Victime d’une congestion brutale, il remet son épée au maréchal de Sancerre, pour qu’il la rende au roi dont il demeure « serviteur et le plus humble de tous ». Restent aux Anglais la Guyenne (Aquitaine), Brest, Cherbourg, Calais.

Le gouverneur anglais de la ville avait dit qu’il ne se rendrait qu’à lui : il déposera les clefs de la cité, sur son cercueil. Du Guesclin voulait être enterré dans sa Bretagne natale, mais Charles V ordonne que sa dépouille rejoigne celle des rois de France, en la basilique de Saint-Denis. Insigne et ultime honneur.

« Tu crois qu’un homme qui a su vivre pendant presque quatre-vingts ans avec honneur ne sait pas mourir en un quart d’heure ! »

Duc Anne de MONTMORENCY (1493-1567) à un prêtre venu l’assister (Souvent cité, mais jamais sourcé)

Connétable, duc et pair de France, maréchal puis grand maître de France, ami intime des rois François Ier et Henri II, mécène fastueux et homme extrêmement puissant, il symbolise la Renaissance française.

Il meurt (âgé de 74 ans, mais toujours battant et combattant) à la seconde bataille de Saint-Denis (fin de la Deuxième guerre de Religion), ayant refusé de se rendre et gravement blessé (dans le dos).

« Si c’était un homme du moins ! C’est un goujat ! »

Amiral Gaspard de COLIGNY (1519-1572), dans la nuit du 23 au 24 août 1572, veille de la Saint-Barthélemy. Histoire de France au seizième siècle, Guerres de religion (1856), Jules Michelet.

Coligny toise l’homme qui va le frapper, un sbire des Guise, même pas un seigneur digne de lui ! Cette exclamation de mépris peut être considérée comme son « mot de la fin », avec le regret de n’être même pas mort en soldat !

Ce grand militaire a servi tous les rois de France, depuis François Ier, participé à toutes les guerres, quitté plusieurs fois la cour pour fuir ses intrigues, toujours rappelé pour ses qualités de courage, de diplomatie et même de tolérance, quand il se convertit à la religion réformée. Sa fin à 53 ans est des plus humiliantes : surpris dans son lit, achevé à coups de dague, son corps jeté par la fenêtre, éventré, émasculé, décapité, puis porté au gibet de Montfaucon, exhibé, pendu par les pieds, exposé à d’autres sévices, pour finir à nouveau pendu place de Grève.

« J’ai juré de mourir libre, la liberté est perdue, je meurs. »

PROVANT (??-1791), après le massacre du Champ de Mars, 17 juillet 1791. Histoire de la Révolution française (1847-1853), Jules Michelet.

Garde national du bataillon de Saint-Nicolas, il écrit ces mots et se brûle la cervelle, juste après le drame.

Paris est en ébullition, entre les pétitions à signer pour décider du sort du roi, et l’anniversaire de la Fête de la Fédération à célébrer. Le drapeau rouge de la loi martiale est déployé sur ordre du général La Fayette, commandant de la garde nationale. La confusion devient totale. Un coup de feu part d’on ne sait où, et La Fayette fait tirer sur la foule.

En fait, il y aura 15 morts (50, selon d’autres sources). Ce n’est pas considérable. Et pour éviter le pire, voyant des officiers prêts à employer l’artillerie, La Fayette a poussé son cheval face à la gueule des canons, un geste qu’il faut porter à son crédit.

Malgré tout, le choc est immense : pour la première fois, la milice bourgeoise a fait feu contre le peuple. Du jour au lendemain, La Fayette le héros est détesté. Le drapeau rouge fait son entrée dans l’histoire de France – mais il aura une signification opposée, quand il sera déployé par les révolutionnaires contre l’ordre établi. Et le fossé se creuse entre les députés constitutionnels modérés et les autres, de plus en plus présents.

« Si j’avance, suivez-moi ; si je meurs, vengez-moi ; si je recule, tuez-moi. »

Henri de la ROCHEJAQUELEIN (1772-1794), aux milliers de paysans qui le proclament leur chef, 13 avril 1793. Le Dernier des Chouans : Louis Stanislas Sortant (2007), Bernard Coquet, préface de Jean Tulard.

Peut-on parler d’un mot de la fin prémonitoire ?

Comte, membre de la garde de Louis XVI, il reçut le baptême du feu en défendant le palais des Tuileries, le 10 août 1792. Ayant perdu son roi (emprisonné), il regagne ses terres de Vendée. C’est l’un des chefs de l’insurrection vendéenne qui commence le 10 mars 1793. La mort du roi, exécuté le 21 janvier, le décide à prendre les armes et à encadrer militairement les paysans et les métayers, révoltés par le décret sur la levée de 300 000 hommes rendu par la Convention le 24 février. Les prêtres réfractaires se joindront à cette contre-révolution armée.

La Rochejaquelein semble pressentir la chute des Blancs (royalistes) contre les Bleus (républicains) beaucoup plus nombreux et organisés. Le 4 mars 1794, la garnison de Cholet sort pour incendier le bourg voisin de Nuaillé. La Rochejaquelein s’avance à cheval dans les rangs ennemis, veut les interroger, malgré les mises en garde des officiers de sa suite. L’un des deux grenadiers qui a entendu prononcer le nom du général royaliste l’ajuste et tire à bout portant, avant d’être lui-même tué quasi-instantanément par des officiers. La balle frappe le front de La Rochejaquelein, qui tombe et expire aussitôt, le 28 janvier 1794, à 21 ans.

Au total, la guerre de Vendée et la guerre des Chouans (mêmes causes, mêmes effets, en Bretagne et Normandie) feront quelque 600 000 morts, dont 210 000 civils exécutés, 300 000 morts de faim et de froid (100 000 enfants). Ce génocide (mot employé par certains historiens) est, sans conteste, le plus lourd bilan à porter au passif de la Révolution.

« Allez dire au Premier Consul que je meurs avec le seul regret de n’avoir pas assez fait pour la postérité. »

DESAIX (1768-1800), au jeune Lebrun, son aide de camp, mot de la fin à Marengo, 14 juin 1800. L’Honneur français, ou Tableau des personnages qui, depuis 1789 jusqu’à ce jour, ont contribué à quelque titre que ce soit, à honorer le nom français (1808), Jean-Baptiste-Louis Brayer de Beauregard.

Frappé d’une balle, au commencement de la charge de sa division, le général a juste le temps de dire ces mots… Rallié à la Révolution, il se distingua dans l’armée du Rhin. Il accompagnait Bonaparte en Égypte et fut chargé de l’organisation du Fayoum : son gouvernement lui valut le surnom de Sultan juste.

« Dieu merci, j’ai bien fait mon devoir. »

Amiral NELSON (1758-1805), touché à mort, à bord du Victory, 21 octobre 1805. Bibliographie universelle (1842), Louis Gabriel Michaud.

Napoléon, voulant débarquer en Angleterre, a chargé l’amiral Villeneuve d’attirer la flotte anglaise de Nelson vers les Antilles, avant de revenir en Manche. Ce plan a échoué. Villeneuve se retrouve bloqué à Cadix. Sur ordre de l’empereur, Villeneuve va sortir, mais Nelson fait de même. La Nelson touch, autrement dit le « coup de Trafalgar », manœuvre habile, permettra à l’amiral anglais de triompher, le 21 octobre 1805.

La flotte française est anéantie. Cette victoire navale assure désormais la maîtrise des mers à l’Angleterre. Mais sur terre, Napoléon enchaînera les victoires avec la Grande Armée.

« Soldats, droit au cœur ! »

Maréchal NEY (1769-1815), commandant lui-même son peloton d’exécution, 7 décembre 1815. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Berryer, son avocat, n’a pas pu sauver le « Brave des Braves », coupable de s’être rallié à l’empereur sous les Cent-Jours, alors qu’il s’était engagé à ramener « l’usurpateur dans une cage de fer ». Il est à présent victime désignée de la Terreur blanche, cette réaction ultra qui effraie le roi lui-même.

« Il est mort comme il a vécu : en sous-lieutenant. »

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), apprenant le suicide du général Boulanger sur la tombe de sa maîtresse à Ixelles (Belgique), le 30 septembre 1891. Histoire de la France (1947), André Maurois.

L’épitaphe est cinglante, mais la fin du « Brave Général » qui fit trembler la République est un fait divers pitoyable.

Le gouvernement a réagi après ce qui aurait tourné au coup d’État, si Boulanger avait osé, le 27 janvier 1889  ! La foule des manifestants portaient leur idole en criant : « À l’Élysée ! » et marchaient vers le palais où le président Carnot faisait déjà ses malles ! Le populisme semblait gagnant, mais Boulanger n’osa pas… et choisit la légalité, sûr d’être élu président six mois après, tant sa popularité était grande.

Accusé de complot contre l’État, craignant d’être arrêté, il s’est enfui le 1er avril à Londres, puis à Bruxelles, avec sa maîtresse (de mèche avec la police). Son prestige s’effondre aussitôt. Le 14 août, le Sénat, réuni en Haute Cour de justice, le condamne par contumace à la déportation.

Mme de Bonnemains meurt du mal du siècle (la phtisie), le 16 juillet 1891. Sur sa tombe, toujours fou d’amour, le général Boulanger fait graver ces mots : « Marguerite… à bientôt ». Le 30 septembre, il revient se tirer une balle dans la tête, pour être enterré dans la même tombe où l’on gravera : « Ai-je bien pu vivre deux mois et demi sans toi ? » Ce sont en quelque sorte ses deux mots de la fin.

« Je n’ai pas fait beaucoup de mal dans ma vie, et j’ai beaucoup aimé ma femme. » ,

Joseph JOFFRE (1852-1931) à son confesseur le 3 janvier 1931. Les Mots de la fin (1957), Claude Aveline.

Grand militaire à la fois honoré et contesté, ici, c’est l’homme et surtout le chrétien qui s’exprime.

Après un début de carrière dans les expéditions coloniales (Tonkin, Soudan français et Madagascar), il est nommé en 1911 chef d’État-Major général de l’Armée. En 1914, commandant en chef des armées, il met en œuvre le plan de mobilisation et de concentration (le plan XVII), puis fait appliquer le principe de l›« offensive à outrance » enseigné à l’École de guerre : « Je tordrai les Boches avant deux mois ! » assure-t-il en août. Le plan français (plan XVII) qu’il a élaboré se révèle extrêmement coûteux en vies humaines, notamment lors de la bataille des Frontières qui va se dérouler selon le plan allemand (plan Schlieffen) : gros effectifs et artillerie lourde pour la tactique, et pour la stratégie, invasion de la Belgique. Joffre sera ensuite l’artisan de la victoire alliée lors de la (première) bataille de la Marne.

Confronté à l’impasse de la guerre de position sur le front Ouest, ses offensives de l’hiver 1914-1915 (en Champagne), du printemps 1915 (en Artois), de l’automne 1915 (de nouveau en Artois et en Champagne) et de l’été 1916 (sur la Somme) échouent. On peut quand même parler d’une « dictature de fait » de Joffre sans aucun contrôle de Millerand, ministre de la Guerre et très vivement contestée par Clemenceau : « La guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires. »

Fin 1916, élevé à la dignité de maréchal de France, il est remplacé par le général Nivelle. Malgré tout, il jouira d’une grande popularité nationale et internationale, à l’heure de la victoire finale et jusqu’à la fin de sa vie. Il écrit ses Mémoires, il perd son ami Foch au parcours militaire assez comparable, il inaugure sa propre statue à Chantilly (lieu de son QG pendant la Grande Guerre) – dernière apparition en public (juin 1931), avant qu’une artérite très invalidante n’entraîne l’amputation de la jambe droite. Il meurt à 78 ans, après quelques jours dans le coma. Sa femme chérie meurt à 92 ans.

Lire la suite : les Mots de la fin des auteurs

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