Les Nobel français de l’Histoire (de 1968 à 2008) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

Depuis 1901, six domaines sont récompensés : Prix Nobel de la paix (10 lauréats français), de littérature (15), de physique (17), de chimie (10), de physiologie ou médecine (13), d’économie (4). Au total 69 lauréat(e)s.
Les femmes sont très sous-représentées, mais bien présentes dans la famille Curie qui bat tous les records, au fil d’une saga passionnante (voir nos éditos : Femmes, Panthéon).

Dans cette sélection de 30 noms, L’Histoire en citations apparaît en bonne place avec Romain Rolland, Anatole France, Aristide Briand, Roger Martin du Gard, André Gide, François Mauriac, Albert Camus, cités pour leur rôle politique plus que littéraire.

Trois cas particuliers : Jean-Paul Sartre refuse le prix, la CEE le reçoit en des circonstances chaotiques, MSF (Médecins sans frontières) est associé au nom de son co-fondateur, Bernard Kouchner.

Sont exclus de cet édito des lauréats peu connus et peu médiatiques, avec une majorité de scientifiques dont les travaux restent difficilement accessibles au public.

Dernière catégorie qui nous tient à cœur, les « Nobel de l’Histoire en citations ».
Voici 10 grands noms, absents de la liste officielle, mais candidats légitimes au Nobel de la paix : « hors-jeu » mort avant 1901 et mondialement connu, le scientifique Louis Pasteur, l’incontournable général de Gaulle (présent en 1963 sur la liste des 80 candidats en… Littérature !) et un « outsider » de renommée internationale, l’Abbé Pierre, héros de film en 1989 et 2023.
Restent sept autres noms connus à divers titres : Émile Zola, Jean Jaurès, Charles Péguy, André Malraux, Paul Valéry, Pierre Mendès France, Joséphine Baker.

À vous de juger s’ils méritaient de figurer sur la liste des Nobel… et de suggérer d’autres noms.

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

21. René Cassin (1968)

Prix Nobel de la paix (et prix des droits de l’homme des Nations unies) « pour son travail sur la déclaration des droits de l’homme vingt ans auparavant, pour son engagement dans sa diffusion et dans sa mise en œuvre, et pour son activité de président de la Cour européenne des droits de l’homme. » En 1969, avec l’argent du prix Nobel, il fonde l’Institut international des droits de l’homme (IIDH).

« Notre déclaration se présente comme la plus vigoureuse, la plus nécessaire des protestations de l’humanité contre les atrocités et les oppressions dont tant de millions d’êtres humains ont été victimes à travers les siècles et plus particulièrement pendant et entre les deux dernières guerres mondiales. »1

René CASSIN (1887-1976), rapporteur de la Commission sur le projet de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, discours devant l’Assemblée générale.

René Samuel Cassin naît à Bayonne de parents juifs. Son oncle, le grand-rabbin Honel Meiss, le prépare pour sa bar-mitzvah (rituel de passage à l’âge adulte). Adolescent, il se passionne pour l’affaire Dreyfus suite au  « J’accuse ! » de Zola (1898). Étudiant en droit, docteur en sciences juridiques, économiques et politiques en 1914,  avocat au barreau de Paris, il est mobilisé la même année. Grièvement blessé par une rafale de mitrailleuse, mutilé à 65 %, cité à l’Ordre de l’Armée, Croix de guerre 1914-1918 avec palme et la médaille militaire, il portera toute sa vie une ceinture abdominale.

Réformé, renvoyé à la vie civile, il devient professeur à la Faculté de droit de Paris où il enseignera presque jusqu’à sa mort, sauf pendant la Seconde Guerre mondiale.

Parallèlement à son enseignement, il s’engage dans les organismes nationaux et internationaux en faveur des anciens combattants et des mutilés dès 1916. Il représente la France à la SDN (Société des Nations) de 1924 à 1938. Il y noue des relations avec des juristes internationaux et des personnalités politiques en militant par ailleurs pour un rapprochement entre la France et l’Allemagne.

Dès le mois de juin 1940, Cassin rejoint de Gaulle à Londres : il l’aide dans son appel à la poursuite de la guerre contre l’Allemagne nazie et il rédige les statuts de la France Libre. De ce fait, il est privé de sa nationalité française et condamné à mort par contumace par le régime de Vichy. Il reste comme le grand juriste de la France libre.

« La République française n’a jamais cessé d’exister. »

René CASSIN (1887-1976), ordonnance du 9 août 1944 rétablissement la légalité républicaine sur le territoire continental, promulguée par le GPRF (Gouvernement provisoire de la République française) et publiée à Alger

Participant à la rédaction du texte, la formule est bien écrite de la main de Cassin. Le général de Gaulle fait sienne cette idée dans une formule restée célèbre à la libération de Paris : « Je n’ai pas à proclamer la République. Elle n’a jamais cessé d’exister. » Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, 1942-1944 (1956).

Ce détail de l’Histoire est moins connu que le rôle de Cassin dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme… mais il reste malgré tout un homme de l’ombre, à l’aise dans les dossiers. Le Nobel de 1968 a quand même mis en lumière ce personnage discret.

« La méconnaissance et le mépris des droits de l’Homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité. »

René CASSIN (1887-1976), Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948

C’est assurément l’œuvre de sa vie. Il en est l’un des principaux co-auteurs. Détail capital et symbole très fort, la Déclaration lui doit d’être « universelle » – et pas seulement internationale.

L’adjectif international signifie « qui se fait entre deux ou plusieurs nations », « qui touche plusieurs nations ou des personnes provenant de diverses nations ».  Universel définit ce « qui est commun à l’ensemble des êtres humains » ou « qui se rapporte au monde entier, à l’univers ».

« Il n’y aura pas de paix sur cette planète tant que les droits de l’homme seront violés en quelque partie du monde que ce soit. »

René CASSIN (1887-1976), Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948

Les droits de l’Homme (terme générique incluant naturellement les femmes) continueront malheureusement d’être violés, mais Cassin ne cessera d’agit et de lutter à sa manière. Professeur de droit, il occupe aussi divers postes importants : membre de la Cour européenne des droits de l’homme (de 1959 à sa mort), membre du Conseil constitutionnel (de 1960 à 1971), vice-président du Conseil d’État (de 1944 à 1959), délégué de la France au Conseil de l’Europe - harmonisation des législations européennes dans le domaine de l’extradition de prisonniers, signatures de conventions culturelles pour la protection des langues régionales, des minorités, des brevets, la télévision sans frontière, l’abolition de la torture et de l’esclavage.

Il a également fondé ou dirigé nombre d’institutions : l’Alliance israélite universelle (bien qu’il soit agnostique), l’École nationale d’administration (ENA), l’Institut français des sciences administratives (IFSA), l’Institut libre d’étude des relations internationales (ILERI), l’Institut international des droits de l’homme (2IDHP, créé en 1969, suite à son prix Nobel de la paix en 1968, devenu L’Institut international des droits de l’homme - Fondation René Cassin).

Juriste et diplomate, oui… mais « homme politique » ? En tout cas, bien dans l’ombre du pouvoir.

« Si vous êtes entrés dans la fonction publique pour devenir riches, pour devenir puissants, pour faire ce que vous voulez, pour n’avoir que des avantages et aucune contrainte, pour avoir toutes les grandeurs et aucune servitude, alors vous vous êtes trompés de porte et il faut que vous reveniez en arrière. »

René CASSIN (1887-1976), cité par Jean-Marc Sauvé, colloque « Actualité de René Cassin », 28 octobre 2008

Mise en garde adressée à ses élèves de l’ENA. Ce grand juriste n’a jamais eu les qualités ni les défauts pour « faire carrière » dans la politique. Battu aux élections cantonales d’Antibes de 1928, sa candidature dans la circonscription d’Albertville en 1932 sera refusée par les radicaux locaux. Pas d’autres tentatives.

Ses cendres sont transférées au Panthéon le 5 octobre 1987, en présence de François Mitterrand rendant hommage à l›« intransigeance, la ténacité et la modestie » de ce combattant des droits de l’homme. On l’a surnommé « l’inconnu du Panthéon ».

22. Claude Simon (1985)

Prix Nobel de Littérature pour récompenser celui qui « dans ses romans, combine la créativité du poète et du peintre avec une conscience profonde du temps dans la représentation de la condition humaine. »   

« Si le monde signifie quelque chose, c’est qu’il ne signifie rien — sauf qu’il est. »2

Claude SIMON (1913-2005), Conférence Nobel, 9 décembre 1985

Pour ce représentant du « nouveau roman », l’écriture ne représente pas le monde, elle cherche à en exprimer la présence. Il se consacre d’abord à la peinture et à la photographie. Jeune écrivain, il cherche sa forme : il lui faudra quelques années et quelques livres pour forger l’outil de sa recherche, se débarrasser des influences ­ Faulkner, Joyce, Proust, autres romanciers du temps et de la mémoire ­ qui pèsent sur ses premières œuvres en les intégrant dans sa langue propre. C’est en entrant aux Éditions de Minuit qu’il se trouve enfin. Mais sa quête de lui-même ne sera jamais finie, non plus que le combat avec la ou les critiques : « En décernant le Nobel à Claude Simon, a-t-on voulu confirmer le bruit que le roman était définitivement mort ? »

« Laissons de côté les griefs qui m’ont été faits d’être un auteur « difficile », « ennuyeux », « illisible » ou « confus » en rappelant simplement que les mêmes reproches ont été formulés à l’égard de tout artiste dérangeant un tant soit peu les habitudes acquises et l’ordre établi… »

Claude SIMON (1913-2005), Conférence Nobel, 9 décembre 1985

« … et admirons que les petits-enfants de ceux qui ne voyaient dans les peintures impressionnistes que d’informes (c’est-à-dire d’illisibles) barbouillages stationnent maintenant en interminables files d’attente pour aller admirer (?) dans les expositions ou les musées les œuvres de ces mêmes barbouilleurs. » (Les parenthèses font naturellement partie du discours).

Ce discours permet à l’auteur consacré de s’expliquer publiquement – cette quête de sa vérité n’ayant jamais cessé de l’occuper au fil de son œuvre dont le style évoluera jusqu’à la fin. Ce qu’il exprime clairement ici…

« Rien n’est sûr ni n’offre d’autres garanties que celles dont Flaubert parle après Novalis : une harmonie, une musique. À sa recherche, l’écrivain progresse laborieusement, tâtonne en aveugle, s’engage dans des impasses, s’embourbe, repart — et, si l’on veut à tout prix tirer un enseignement de sa démarche, on dira que nous avançons toujours sur des sables mouvants. »

Claude SIMON (1913-2005), Conférence Nobel, 9 décembre 1985

La « littérature critique » ne cessa d’interroger cette œuvre toujours en devenir – et en retour sur elle-même. Le plus simple ou du moins le plus honnête sera d’aller aux sources, en citant quelques phrases clés de ses principaux romans aux Éditions de Minuit, « maison d’édition prestigieuse qui incarne une vision de grande qualité de la littérature », également connue pour ses publications « hostiles à la littérature bourgeoise et réconfortante » comme en témoigne son soutien au mouvement littéraire du Nouveau Roman dont elle publia tous les auteurs : Samuel Beckett, Michel Butor, Robert Pinget, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute… Et Claude Simon, leur prix Nobel.

« Il n’y a pas de honte tout le monde croit à quelque chose ou fait semblant mais, faire semblant c’est encore une façon de croire d’ailleurs il n’y a pas moyen de faire autrement sans ça on se tue, tu ne le savais pas ? »

Claude SIMON (1913-2005), Le Sacre du Printemps (1954)

Résumé de l’éditeur (Calmann-Lévy) :

Six journées, dont l’ordre chronologique subit une inversion, forment l’ensemble de ce roman qui se passe à Paris quelques années après la Seconde guerre mondiale. L’un des personnages évoque un épisode qui se déroule en 1936 en marge de la guerre civile espagnole. Deux générations prennent contact avec la réalité de la vie d’une façon fort différente et cependant fort semblable.

L’amour, la jalousie, l’ambition et la volonté de puissance constituent les principaux thèmes de cet ouvrage. Un fossé impossible, semble-t-il, à combler, sépare les deux protagonistes, un adolescent et un homme fait, que la fin de l’histoire laissera chacun sur ses positions, irrémédiablement séparés.

« Les peintres ont bien de la chance. Il suffit au passant d’un instant pour prendre conscience des différents éléments d’une toile. »

Claude SIMON (1913-2005), La Route des Flandres (1960), Éditions de Minuit

Claude Simon (qui se voulut peintre dans sa jeunesse) choisit donc pour « cadre », aussi limité que celui d’un tableau, quelques heures d’une nuit après la guerre (qu’il vécut, mobilisé, prisonnier, résistant), au cours de laquelle les époques et les événements se confondent dans la mémoire du cavalier Georges…

« Le désastre de mai 1940, la mort de son capitaine à la tête d’un escadron de dragons, son temps de captivité, le train qui le menait au camp de prisonniers, etc. »

Le fil de cette longue et foisonnante remémoration demeure le décès du capitaine de Reixach : suicide ou mort accidentelle ? Georges devra remonter jusqu’à Corinne, la veuve de ce dernier, pour trouver peut-être une réponse. Mais « C’est pas avec des coups de sonnette que t’empêcheras un cheval de trottiner ça fait que le rendre encore plus dingue … »

« Un soir, il s’assit à sa table devant une feuille de papier blanc. C’était le printemps maintenant. La fenêtre de la chambre était ouverte sur la nuit tiède. L’une des branches du grand acacia qui poussait dans le jardin touchait presque le mur et il pouvait voir les plus proches rameaux éclairés par la lampe, avec leurs feuilles semblables à des plumes palpitant faiblement sur le fond de ténèbres, les folioles ovales teintées d’un vert cru par la lumière électrique remuant par moments comme des aigrettes, comme animées soudain d’un mouvement propre, comme si l’arbre tout entier se réveillait, s’ébrouait, se secouait, après quoi tout s’apaisait et elles reprenaient leur immobilité. »

Claude SIMON (1913-2005), Histoire (1967), Prix Médicis

Le livre mêle, en un collage narratif, la grande Histoire (la guerre d’Espagne, la défaite de 1940 auxquelles Simon participa en acteur ou témoin) et celle du narrateur, sa mère mourante, sa grand-mère « affublée d’un maquillage ridicule dont elle enluminait maladroitement son visage raviné », les cartes postales que le père, en poste dans les colonies, écrivait à la mère durant leurs longues fiançailles, cartes qui sont « comme un défi à la mobilité du temps » et autant d’appels à la mémoire, au souvenir…

Le narrateur, qu’on suppose au tournant de la cinquantaine, se retrouve dans la maison de famille où il a passé son enfance. Il y est revenu seul, en proie à des embarras d’argent qui le forcent à vendre quelque meuble et à hypothéquer quelque terre. C’est l’emploi d’une de ses journées qui va nous être conté.

Trame banale s’il en fut, puisqu’on saisit le héros d’abord dans le demi-sommeil plein de pensées et de rêves qui précède son lever, et qu’on le suit au fil des douze chapitres. Les douze heures de la vie d’un homme sans qu’aucun événement particulièrement romanesque, voire poétique, les marque.

« La femme penchant son mystérieux buste de chair blanche enveloppé de dentelles ce sein qui déjà peut-être me portait dans son ténébreux tabernacle sorte de têtard gélatineux lové sur lui-même avec ses deux énormes yeux sa tête de ver à soie sa bouche sans dents son front cartilagineux d’insecte, moi ?… »

Claude SIMON (1913-2005), Histoire (1967), Prix Médicis

Le premier chapitre qui décrit le moment où, après s’être échappé d’un camp de prisonniers de guerre, le narrateur arrive chez lui et se met à écrire, se termine symboliquement, mais très clairement, avec le début de la vie embryonnaire de l’auteur.

Le romanesque, la poésie sont dans la tête du narrateur qui observe, contemple, se souvient, imagine, et qui, par la seule activité de son esprit, parvient à donner épaisseur, intérêt et sens à l’extrême banalité des instants vécus. Car cet homme a un passé, peut-être lourd, qui surgit sans cesse en sa conscience et dont la reconstitution double ou plutôt multiplie le récit linéaire de sa journée.

Mais on n’a rien dit du livre, de sa beauté, de sa force, de son originalité, en le ramenant à ce squelette d’histoire. C’est la manière dont tout est vu et dit qui soulève comme un ferment cette pâte presque ordinaire et qui la magnifie. Selon Jacqueline Piatier, critique au Monde,  un « livre total » d’une exceptionnelle unité, car tout s’y harmonise : le projet, la vision, la phrase.

« Lorsque l’entêtante odeur d’encens, les clignotements des cierges, la profusion de lumières, de chasubles et de surplis brodés, les chœurs des voix cristallines, le tonnerre des orgues s’interrompaient soudain et que, étirant le cou, et prêtant l’oreille, il parvenait à distinguer sur la gauche de l’autel, le vieil évêque couvert d’or…. en même temps qu’on entendait, à peine perceptible, la voix chevrotante, cassée, si faible, si ténue dans le monumental silence… parvenant pour ainsi dire en trébuchant au bout de la courte phrase modulée plutôt que chantée. »

Claude SIMON (1913-2005), Les Géorgiques (1981)

Présentation du livre par les Éditions de Minuit :

« À des époques différentes et dans des périodes de tumulte et de violence, trois personnages vivent des événements et des expériences qui semblent se répéter, se superposer, de même qu’indifférents à la tragédie, aux déchirements familiaux et politiques, reviennent au long des pages les mêmes travaux des champs, les alternances des saisons, de la pluie, du soleil, des printemps. »

« Une coulée de lumière persistait encore entre les berges obscures du canal lorsqu’il le franchit, scintillante, argentine, teintée de jade, contrastant avec l’inerte lueur des globes électriques qui s’allumaient, égrenés le long des quais, éclaboussant de jaune les troncs écaillés des platanes, stagnant au-dessus de l’étourdissant et agressif carrousel de phares, de feux rouges, l’inerte et impuissant conglomérat de voitures enchevêtrées se suivant sans avancer autour des palmiers décoratifs. »

Claude SIMON (1913-2005), L’Acacia (1989)

« En refermant l’Acacia, le lecteur a la sensation d’avoir personnellement chevauché dans les clairières de l’Est en 1940, les yeux brûlés d’insomnie; d’avoir reçu une balle en 1914 au coin d’un bois, tel un parfait poilu de l’Illustration ; mais aussi d’avoir servi aux Colonies avant 14; d’avoir hanté les villes d’eaux de la Belle Époque ; d’avoir ouvert un télégramme avec des sanglots de veuve dans la gorge ; d’avoir visionné des bribes d› « Actualités » d’avant l’autre guerre, sépia, tressautantes et muettes ; d’avoir remué ces réminiscences dans un claque miteux ; d’avoir senti monter la folie des deux dernières guerres du fond des trains à bestiaux de toute l’Europe ; et de chercher à couler tout cela dans le présent immédiat de l’écriture, devant une branche d’acacia vert cru. » Lu et approuvé par Bertrand Poirot-Delpech, Le Monde.

« Aucun ne fait certain dessein de sa vie, et n’en délibérons qu’à parcelles. Nous sommes tous de lopins et d’une contexture si informe et si diverse, que chaque pièce, chaque moment fait son jeu. »

Claude SIMON (1913-2005), Le Jardin des plantes (1997), épigraphe

La citation de Montaigne ouvre le roman. Et voilà indiqué, non le projet du livre, mais son esquisse : raconter une vie qui n’est jamais une trajectoire rectiligne et uniformément orientée, mais un magma de lopins et de parcelles, sans cesse réorganisé et transformé par la mémoire et auquel l’écriture donne, à défaut d’un sens, une forme. Comme les Essais, avec la même volonté de ne pas réduire le multiple à l’un, Le Jardin des Plantes n’est pas un livre qui se déroule, mais une concrétion de fragments – tableaux, citations, commentaires, descriptions, photographies, archives – qui s’appellent, s’opposent, riment, glissent les uns contre les autres, se transforment de leur proximité et de leurs échos.

« Cette déchirante et mélancolique avidité avec laquelle le condamné regarde autour de lui le monde. »

Claude SIMON (1913-2005), Le Jardin des plantes (1997)

Le Jardin des Plantes de Paris, l’auteur en connaît les allées qu’il parcourt chaque jour. C’est un lieu unique qui réunit, entre le Muséum, le jardin alpin et la ménagerie, des milliers de minéraux, de végétaux et d’animaux dans un spectacle différent pour chaque visiteur et à chaque visite. L’homme s’y est appliqué à domestiquer, asservir la nature, contrariant son exubérance et sa démesure pour la plier à une volonté d’ordre et de domination, de même que les règles du théâtre classique enferment le langage dans une forme elle aussi artificielle, à l’opposé de la façon désordonnée dont s’extériorisent naturellement les passions.

Le Jardin des plantes de l’auteur octogénaire amalgame pareillement les fragments épars d’une vie d’homme au long du siècle et aux quatre coins du monde. Mais ce n’est pas une autobiographie : si chacun des éléments est à base de vécu, l’ensemble est conçu, inventé et construit comme œuvre littéraire.

 

23. Maurice Allais (1988)

Prix Nobel d’économie pour « ses contributions pionnières à la théorie des marchés et à l’utilisation efficiente des ressources » qui font référence à ses travaux réalisés comme amateur dans les années 40.  C’est le deuxième Français à recevoir cette distinction, après son ancien élève Gérard Debreu en 1983.

« Quels qu’aient été ses domaines d’intérêt, ma vie entière a été dominée par la soif de connaître, par la passion de la recherche. Cette passion, je l’ai ressentie dès ma première jeunesse ; elle a constitué le fondement même de toute mon existence, et sans doute l’éprouverai-je jusqu’à ma mort. »3

Maurice ALLAIS (1911-2010), Conférence Nobel, 9 décembre 1988

Né à Paris dans une famille modeste, orphelin de père à quatre ans, élevé par une mère (crémière) très attentive à ses études, ce jeune surdoué passe deux baccalauréats, latin-sciences, mathématiques et philosophie. Après une seule année de classe préparatoire (mathématiques supérieures au lycée Lakanal), admis à l’X (Polytechnique) en 1930, insatisfait de son rang d’entrée, il repasse le concours l’année suivante. Sorti major en 1933, il opte pour le Corps des Mines (ingénieurs).

Marqué par les récits de la grande crise mondiale de 1929, il part comme boursier en voyage d’étude aux États-Unis en 1933.

« Le luxe côtoie partout la misère et des rues de taudis se trouvent à deux pas de quartiers de millionnaires …  Pour ce qui est de la crise, les Américains en souffrent terriblement. »

Maurice ALLAIS (1911-2010), SABIX (Société des amis du musée, de la bibliothèque et de l’histoire des X), Bulletin n°66, Maurice Allais (1911-2010, X1931)

Ce voyage est constitutif du personnage et il cherchera plus tard à en reconstituer les moindres détails. Il fera figurer dans les facteurs principaux de sa vocation d’économiste « le caractère intellectuellement choquant et socialement dramatique de la Grande Dépression ». La Philosophie de ma vie.

Sa vocation d’économiste naît soudain du besoin de comprendre, pour éviter la répétition de tels événements.

Après sa démobilisation en 1940, il reprend ses fonctions dans le service des Mines et se passionne pour l’économie en autodidacte – trait constant de son caractère.

« Comment mieux préparer l’après-guerre que d’essayer de résoudre le problème fondamental de toute économie : promouvoir une efficacité économique aussi grande que possible tout en assurant une répartition des revenus qui soit acceptable ? »

Maurice ALLAIS (1911-2010), dernière interview, 1er juillet 2009, Alternatives économiques

À 98 ans, il rappelle ce que fut le but de toute sa vie : « C’est seulement dans la voie d’un immense effort de synthèse que les sciences sociales peuvent réaliser de grands progrès. » Dans l’élan de sa jeunesse, il achète et dévore tous les ouvrages d’économie alors disponibles, pour écrire 1 000 pages en moins de trois ans : A la recherche d’une discipline économique (1943). C’est son premier livre et il s’étonnera toujours de ce jaillissement théorique.

Ce texte à l’origine de tous ses travaux ultérieurs cherche à établir une théorie générale en accord avec les données de l’observation, avec la volonté d’apporter la rigueur mathématique à la science économique.

Reste que le critère jugé fondamental de l’expérience remet en question les « vérités établies » incompatibles avec les données de l’observation. D’où ses propositions iconoclastes contraires au consensus de l’époque… et souvent mal accueillies. Particulièrement visé, l’économiste britannique le plus coté au monde, John Maynard Keynes.

« La théorie keynésienne n’a cessé de se caractériser par une rare confusion de pensée et une totale incohérence qui seraient vraiment incompréhensibles si nous ne savions pas combien la logique a peu de poids lorsqu’il s’agit de justifier théoriquement certaines positions idéologiques. »

Maurice ALLAIS (1911-2010), Les Fondements comptables de la macroéconomie (1954)

En résumé, Keynes pense que les comptes budgétaires doivent être équilibrés sur le long terme, mais il soutient l’idée d’une intervention conjoncturelle de l’État pour soutenir la demande et surtout pour stimuler l’investissement (ce qui implique une baisse des taux d’intérêt).

Quant à Maurice Allais, ses adversaires comme ses (rares) disciples s’interrogeront à l’infini : est-il libéral ou socialiste, libéral et socialiste ? Rappelons qu’à l’époque, le marxisme était au centre de tous les débats : « [Le marxisme], c’est le climat de nos idées, le milieu où elles s’alimentent, c’est le mouvement vrai de ce que Hegel appelait l’Esprit objectif […] Il est à lui seul la culture. » Jean-Paul Sartre, Les Temps modernes (1956).

« En ce qui nous concerne nous préférons rester seuls, ou presque, dans des convictions que nous considérons comme seules vraies, plutôt que de nous associer à des doctrines toute faites, que nous ne pouvons, d’un côté comme de l’autre, ni accepter, ni rejeter en bloc »

Maurice ALLAIS (1911-2010), Article « Libéralisme et marxisme », SABIX (Société des amis du musée, de la bibliothèque et de l’histoire des X), Bulletin n°66, Maurice Allais (1911-2010, X1931)

C’est sa ligne de conduite et quoiqu’il en coûte, il la maintiendra jusqu’à la fin de sa longue vie (99 ans).

Jusqu’en 1960, il mène en parallèle des travaux en physique et en économie, œuvrant aussi au rapprochement de sciences selon lui trop séparées : économie, sociologie, psychologie. Il crée toute une série de nouveaux concepts : le paradoxe d’Allais, une théorie générale des surplus distribuables, une théorie des choix aléatoires, les principes de la règle d’or, une théorie de la dynamique monétaire… et en physique l’effet Allais, aussi appelé « anomalie d’Allais », pour lequel notre économiste et polytechnicien reçut en 1959, le prix Galabert de la Société Française d’Astronautique. Ce phénomène constituerait une réfutation de la théorie de la relativité restreinte, confirmé par une seconde expérience, mais son interprétation est marginale et ne suscite pas l’adhésion de la communauté physique…

Titulaire de la chaire d’économie à l’École des Mines de Paris pendant quarante ans, comptant parmi les élèves de son séminaire d’économétrie Marcel Boiteux, Gérard Debreu, Edmond Malinvaud, Allais donne aussi des cours universitaires à Genève et aux États-Unis. Parallèlement à l’enseignement, il est directeur de recherche au CNRS pendant trente ans. Un beau CV pour un esprit multiforme et hyperactif.

Mais malgré toutes ses activités professionnelles et pour diverses raisons - humaines aussi bien que méthodologiques et scientifiques -, il s’est progressivement écarté des voies de recherche des économistes français de l’époque.

« Allais s’est marginalisé au sein des économistes au cours des années 1965-1970. Il a continué à travailler en autodidacte, réinventant à lui tout seul à chaque ouvrage la Science Économique, utilisant peu les travaux et les méthodes de ses collègues, de sorte que ceux-ci n’ont plus fait l’effort de le lire. Il n’a pas réussi à constituer autour de lui une équipe d’économistes de valeur sur des questions comme la dynamique monétaire ou la réforme fiscale. »

Henri STERDYNIAK (1951), Maurice Allais, itinéraire d’un économiste français, Revue d’économie politique 2011/2

En 1988, l’attribution du Prix Nobel à Maurice Allais est apparue comme une surprise : il était récompensé pour des travaux datant de 40 ans, alors que ses travaux récents étaient plus que discutables – sur la dynamique monétaire ou le « Facteur X » découvert en 1979, inconnu, mais mesurable et de nature exogène, cause essentielle des fluctuations conjoncturelles, toutes les grandeurs économiques vibrant de façon similaire en raison de son influence…

Nobélisé à 78 ans, Allais en tire une célébrité personnelle, mais son rayonnement scientifique n’en bénéficie guère, tant il était éloigné des économistes connus et en activité. Il s’en explique à chaque occasion et il accuse sans plus d’explication.

« Dans tous les domaines que j’ai travaillés au cours de ce dernier demi-siècle, qu’il s’agisse d’économie ou de physique, je n’ai cessé de me heurter aux « vérités établies », et aux dogmatismes des « establishments » de toutes sortes qui en assurent la domination »

Maurice ALLAIS (1911-2010), Allocution prononcée à l’occasion de la remise de l’épée d’Académicien, 19 octobre 1993, devant l’Académie des Sciences Morales et Politiques

Principale raison donnée à ces blocages par le « jeune » académicien : « La soumission aux données de l’expérience est la règle d’or qui domine toute discipline scientifique. » (citation gravée sur son épée). Là encore, le jugement est trop sommaire pour être audible.

D’où le dialogue de sourds avec ses confrères… qui ne peuvent même pas lire la plupart de ses écrits non disponibles, alors que lui-même se désintéresse de leurs travaux condamnés a priori.

« Il y a plusieurs Maurice Allais : l’économiste théoricien, le libéral réformateur, le monétariste original, l’altermondialiste mais aussi le savant fou. »

Henri STERDYNIAK (1951), Maurice Allais, itinéraire d’un économiste français, Revue d’économie politique 2011/2

Ce très long article (pages 119 à 153), parfaitement documenté, est particulièrement précieux pour tenter de cerner ce scientifique dont l’œuvre abondante n’existe pratiquement pas en version papier ni numérique.

Henri Sterdyniak, élève de Polytechnique, puis de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE), administrateur de l ‹INSEE, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), est co-auteur du « Manifeste d’économistes atterrés » (2010) et comme tel classé à gauche. Mais son jugement sur Maurice Allais n’en est pas altéré pour autant.

« La principale contribution de Maurice Allais à la microéconomie est d’avoir formé au calcul économique toute une génération d’élèves »

Marcel BOITEUX (1922-2023), Un bref survol de l’œuvre de Maurice Allais (2010)

Économiste et mathématicien, haut fonctionnaire et industriel, il fut l’élève de Maurice Allais, faisant preuve de la même longévité (101 ans et 99 ans).

Son témoignage est naturellement juste, mais quelque peu réducteur… et paradoxal, dans la mesure où à la fin de sa vie, Allais trouva très excessif l’importance toujours croissante des maths dans la formation des jeunes économistes et dans le cursus universitaire ou professionnel.

EN FLORILÈGE FINAL, voici une quinzaine de citations à méditer. 

Bousculant volontiers les idées reçues, elles portent la marque d’un esprit économique inclassable, à la fois de gauche et de droite, pragmatique et sectaire, innovant et traditionaliste. Tirées de sources diverses (dont » Maurice Allais, itinéraire d’un économiste français, Revue d’économie politique 2011/2 »), elles appartiennent surtout à ses deux derniers livres : L’Anisotropie de l’espace (1997) et La Crise mondiale d’aujourd’hui (1999).

« Une économie collectiviste mène inéluctablement non seulement à des organisations bureaucratiques inefficaces, génératrices d’innombrables injustices, mais également à la perte des libertés politiques, à des régimes dictatoriaux et à un écrasement des citoyens par ceux qui se sont emparés de l’État »

« Qu’est-ce que le scandale de Panama au regard de l’énorme « racket » permis par l’inflation ? Presque une goutte d’eau dans la mer. »

« Ce que les hommes recherchent, ce sont des théories et des doctrines qui viennent consolider les avantages dont ils bénéficient, affaiblir ceux qu’ils contestent et faciliter la conquête de ceux qu’ils convoitent. »

« Le chômage volontaire qui s’est développé ces dernières années dans certains pays comme la France trouve son origine dans l’avantage économique qui résulte pour un certain nombre de chômeurs du cumul de leurs indemnités de chômage avec les loisirs qu’il permet et les ressources procurées par le travail au noir. »

« De tout temps un fanatisme dogmatique et intolérant n’a cessé de s’opposer aux progrès de la science et à la révision des axiomes sur lesquels reposent les théories admises lorsque de nouveaux faits viennent les invalider. »

« Trop de théoriciens n’ont que trop tendance à ne pas tenir compte des faits qui viennent contredire leurs convictions. »

« Pour être valable toute théorie, quelle qu’elle soit, doit être confirmée, tant dans ses hypothèses que dans ses conséquences, par les données de l’observation. »

« Dans le long conflit des doctrines, il nous faut ne jamais oublier que la science est toujours en perpétuel devenir. En science il n’est jamais de vérité définitive. Ce qui caractérise fondamentalement la démarche scientifique, c’est un constant effort pour comprendre la nature profonde d’un monde qui le plus souvent reste indéchiffrable. »

« Une théorie ne vaut que ce que valent ses prémisses. Si les prémisses sont erronées, la théorie n’a pas de valeur scientifique réelle. Le seul critère scientifique pour juger de la validité scientifique d’une théorie est en effet sa confrontation avec les données de l’expérience. »

« L’économie mondiale tout entière repose aujourd’hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile. Jamais dans le passé une pareille accumulation de promesses de payer ne s’était constatée. Jamais sans doute il n’est devenu plus difficile d’y faire face. »

« Que les bourses soient devenues de véritables casinos, où se jouent de gigantesques parties de poker, ne présenterait guère d’importance après tout, les uns gagnant ce que les autres perdent, si les fluctuations générales des cours n’engendraient pas, par leurs implications, de profondes vagues d’optimisme ou de pessimisme qui influent considérablement sur l’économie réelle. »

« Le système actuel est fondamentalement anti-économique… Il ne peut être avantageux que pour de très petites minorités. »

« En fait, sans aucune exagération, le mécanisme actuel de la création de monnaie par le crédit est certainement le cancer qui ronge irrémédiablement les économies de marchés. »

« Dans son essence, la création monétaire ex nihilo actuelle par le système bancaire est identique (…) à la création de monnaie par des faux-monnayeurs, si justement condamnée par la loi. Concrètement elle aboutit aux mêmes résultats. La seule différence est que ceux qui en profitent sont différents. »

« On doit proclamer qu’un droit fondamental de l’homme c’est d’être protégé efficacement contre un fonctionnement inéquitable, sinon malhonnête, de l’économie de marchés permis actuellement ou même favorisé par une législation inappropriée. »

24. Médecins sans frontières (1999)

Le prix Nobel de la Paix récompense une organisation dont le principe fondateur dicte que « toutes les victimes de désastres d’origine humaine ou naturelle ont droit à une assistance professionnelle fournie aussi rapidement et efficacement que possible. »
MSF, Organisation non gouvernementale (ONG) internationale à but humanitaire est d’origine française, mais son Bureau international siège à Genève (Suisse).

« Messieurs les membres du Comité Nobel, Excellences, Mesdames et Messieurs,
Les populations tchétchènes et les habitants de Grozny sont, en ce moment même et depuis plus de trois mois, victimes des bombardements indiscriminés des forces armées russes. Pour eux, l’aide humanitaire est aujourd’hui quasiment inexistante. Les personnes âgées, les plus faibles, les malades sont prisonniers des bombardements, dans l’incapacité de fuir la capitale tchétchène. »4

Dr James ORBINSKI (né en 1960), Président international de MSF, premiers mots du Discours prononcé à Oslo, le 10 décembre 1999

En décembre 2023, l’actualité prouve à quel point l’Histoire se répète, avec deux guerres qui se disputent la une des médias : Israël-Hamas et Ukraine-Russie. Les mots du président de MSF en donnent un écho d’autant plus tragique :

« Les populations en danger et le respect de leur dignité sont au cœur de la distinction que vous nous remettez aujourd’hui. Par ce geste, vous récompensez notre façon particulière de répondre à leur détresse. Je demande solennellement aujourd’hui à Son Excellence l’Ambassadeur de Russie et, par son intermédiaire, au Président russe Boris Eltsine, de mettre un terme aux bombardements des civils tchétchènes sans défense. Si les conflits et les guerres sont bien l’affaire des États, les violations du droit humanitaire, les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité concernent chacun d’entre nous. »

Et de rappeler cette double évidence : « L’action humanitaire s’inscrit dans le court terme, pour des groupes de personnes et avec des objectifs limités. C’est sa force et, en même temps, sa limite. L’action politique, elle, ne peut que se concevoir dans le long terme… L’action humanitaire est, par définition, universelle, ou elle n’est pas. La responsabilité humanitaire n’a pas de frontière. »

« Je suis très ému. »

Bernard KOUCHNER (né en 1939), sobre déclaration à l’annonce du Nobel de la Paix attribué à MSF et valant reconnaissance de son action

En 1971, notre « French doctor » le plus médiatique fut l’un des fondateurs à Paris de MSF - avec Claude Malhuret et Xavier Emmanuelli, eux aussi médecins et secrétaires d’État des gouvernements (de gauche et de droite) des dix dernières années. 

Cette organisation humanitaire donna corps à la notion du « droit d’ingérence ». Notons que la pratique existe depuis des millénaires ! C’est un droit d’assistance humanitaire, c’est-à-dire de libre accès aux victimes d’un conflit armé pour leur porter secours - à quoi s’ajoutent souvent des raisons économiques et géopolitiques.

L’assistance suppose le consentement et s’oppose à l’ingérence par la force, violant la souveraineté d’un État, ce que rien n’autorise : « Le droit d’ingérence n’existe pas », réponse du président Mitterrand à Kouchner, ministre de la Santé et de l’Action humanitaire en 1993. Mitterrand défendait alors le droit d’assistance à la tribune de l’ONU.

« L’information et l’humanitaire sont le remède contre les douleurs extrêmes. »

Bernard KOUCHNER (né en 1939), Le Malheur des autres (1991)

Enfant, il rêvait de travailler dans le cinéma – il lui en restera un goût très personnel de la médiatisation.

Il suit néanmoins la voie de son père et ses études de médecine l’amènent à se passionner pour les causes humanitaires. Il milite au Parti Communiste puis au Parti Socialiste, très actif durant les manifestations de Mai 68.

Apprenant que la Croix-Rouge française recrute des médecins pour faire face aux problèmes humains consécutifs à la guerre du Biafra, il part aussitôt et prend fait et cause dans la presse pour les rebelles biafrais, rompant le devoir de réserve du CICR.

Scénariste des 60 épisodes de la série télévisée Médecins de nuit sous le pseudonyme de Bernard Gridaine, il exerce aussi son métier de médecin, participé à diverses missions humanitaires et fonde en 1971 l’association « Médecins sans Frontières » qu’il préside durant huit ans. Désavoué par la direction pour ses initiatives aussi personnelles que spectaculaires, il part fonder « Médecins du Monde » en 1980.

Devenu une icône de l’humanitaire, médiatisant ses luttes et défendant le « droit d’ingérence » devenu indéfendable, s’étant naturellement lancé dans la politique, compagnon de route des socialistes, puis à droite, puis à l’ONU, puis… Impossible de suivre cet itinéraire et de lui trouver un sens. Lui-même en convient.

« Cessons de mentir à ceux que nous prétendons rendre plus heureux. N’essayons pas de transformer le monde d’hier, encore moins d’y revenir. Parfois, rester fidèle à des idées reçues, c’est trahir ses idéaux. La gauche ne peut se réduire à une nostalgie. Elle a une nouvelle mission historique : assumer la mondialisation et la transformer en avantage pour les plus pauvres, là-bas comme ici. Je continue de chercher la voie étroite qui mène du terrain des luttes de pouvoirs vers le champ des fraternités. »

Bernard KOUCHNER (né en 1939), Deux ou trois choses que je sais de nous (2006)

En quinze histoires et des dizaines de rencontres, Bernard Kouchner nous raconte le monde de demain à travers les cruautés et les espoirs d’aujourd’hui. La France mérite mieux que ses querelles politiques et les programmes composés entre initiés.

Restent « Médecins sans frontière » et « Médecins du Monde » sans qui le malheur des autres serait encore plus grand : « Reconnaître le malheur des autres, comprendre les processus d’exclusion, ce n’est pas seulement accepter de partager une émotion intime, c’est aussi affirmer que nous sommes tous responsables devant cette humaine barbarie. » Bernard Kouchner, Préface de Rwanda pour un dialogue des mémoires, collectif (2007).

25. Luc Montagnier (2008)

Prix Nobel de physiologie ou médecine 2008 décerné aux Professeurs Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier « pour leur découverte du virus de l’immunodéficience humaine » responsable du SIDA en 1983 à l’Institut Pasteur.

Deux injustices à signaler. Un homme semble avoir été oublié, Jean-Claude Chermann, membre de la même équipe. Et Luc Montagnier fait toujours de l’ombre à sa consœur, alors que sa fin de carrière discrédite le scientifique. Reste l’importance mondiale de la découverte du SIDA.

« Ma première réaction, c’est de penser à tous les malades du sida, à tous ceux qui sont toujours en vie et qui se battent contre la maladie. Je suis toujours à leur côté, les chercheurs doivent continuer à travailler parce que le sida n’est pas guéri. On le voit ici en Afrique, le sida est toujours là et donc le combat continue. »5

Jean-Luc MONTAGNIER (1932-2022), Le Figaro, 7 octobre 2008

Le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est une infection qui attaque le système immunitaire de l’organisme. Le stade le plus avancé de l’infection à VIH est le syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA).

Le VIH cible les globules blancs, affaiblissant le système immunitaire et rendant les personnes touchées plus susceptibles de contracter d’autres maladies comme la tuberculose, les infections et certains cancers.

Dernières statistiques mondiales disponibles (2022) :

  • 85,6 millions de personnes ont été infectées par le VIH et 40,4 millions de personnes sont mortes de maladies liées au SIDA depuis le début de l’épidémie en 1981.
  • 39 millions de malades vivaient avec le VIH en 2022.
  • 1,3 million de personnes ont été infectées au VIH en 2022.
  • 630 000 personnes sont mortes de maladies liées au sida en 2022.
  • 29,8 millions de personnes avaient accès à une thérapie antirétrovirale en 2022.
  • Les décès liés au SIDA ont été réduits de 69 % depuis le pic de 2004 et de 51 % depuis 2010.

« J’ai toujours cherché l’insolite. J’ai du mal à travailler sur un courant déjà établi. »

Jean-Luc MONTAGNIER documentaire diffusé sur France 5 en juillet 2014, consacré à des travaux qu’il qualifiait lui-même de « sulfureux » sur la « mémoire de l’eau »

À la fin des années 2000, il multiplie les prises de position sans rapport avec son domaine de connaissances et dépourvues de tout fondement scientifique. La liste est étonnante comme un inventaire à la Prévert :

  • théorie de la « mémoire de l’eau » de Jacques Benveniste prouvant l’efficacité de l’homéopathie, discrédité en 1993
  • théorie de la téléportation de l’ADN pouvant imprimer une empreinte électromagnétique aux molécules d’eau
  • « piste microbienne » pour expliquer l’autisme
  • papaye fermentée recommandée comme remède à la maladie de Parkinson auprès du pape Jean-Paul II
  • guérison du SIDA par le biais de la diététique…

Globalement plus grave, il prend position contre les vaccins en nourrissant le complotisme ambiant, ce qui lui vaut en novembre 2017 la condamnation cinglante et officielle de 106 membres des Académies des sciences et de médecine.

Durant la pandémie de Covid-19, il affirme que le virus SARS-CoV-2 a été manipulé en laboratoire avec l’ajout de « séquences, notamment, du VIH » … et que les vaccins sont responsables de l’apparition des variants.

Quant au (banal) stress oxydant inhérent à toute activité physique comme à l’absorption de médicaments, il fait l’objet d’un tel délire… que le Net a censuré (sans doute à raison) toutes ses causes et ses conséquences revues par Luc Montagné : Au cœur des maladies chroniques (texte déréférencé).

Circonstance atténuante, voire explication à ce comportement, la « maladie du Nobel ».

« Si quelqu’un remporte le prix Nobel, il est immédiatement bousculé par toutes sortes de personnes qui lui posent toutes sortes de questions sur toutes sortes de sujets dont il ne sait rien. Il est très difficile de résister à la tentation de répondre – de donner n’importe quelle vieille réponse sur des sujets dont on ne sait rien. Nous avons vu des collègues qui ont remporté un prix Nobel dire des bêtises sur telle ou telle question politique, sur laquelle ils n’ont vraiment aucune connaissance. »6

Hubert CURIEN, (1924-2005), Conférence du 25 novembre 1991 au Queen Elizabeth II Centre à Londres

Dans le même esprit, Paul Nurse, co-lauréat du Nobel de physiologie ou de médecine en 2001, a mis en garde les lauréats ultérieurs contre le fait de « se croire expert dans presque tous les domaines et d’être prêt à exprimer des opinions sur la plupart des questions avec une grande confiance, en s’abritant derrière l’autorité que le prix Nobel peut vous conférer. »

Le Figaro décrit la fin de parcours de Montagnier comme un « lent naufrage scientifique ». Il en tombe malade et accuse ceux qui l’accusent.

Le très controversé professeur Didier Raoult, encore à la tête de l’IHU de Marseille, a quand même salué en 2022 la mémoire d’un « homme dont l’originalité, l’indépendance et les découvertes sur l’ARN ont permis la création du laboratoire qui a isolé et identifié le virus du Sida. » Pour conclure, comme en parallèle avec sa propre carrière : « Ceci lui a valu la gloire, le prix Nobel, et l’hostilité inouïe de ses collègues. L’attention portée à ses dernières hypothèses était disproportionnée. »

« Les idées, ce n’est rien : tout le monde en a ; ce qu’il faut, c’est les faire passer dans les faits. »

Luc MONTAGNIER (1932-2022), Les Combats de la vie : mieux que guérir, prévenir (2008)

Ces prises de position l’ont amené à être marginalisé par la communauté scientifique : après un passé prestigieux, une longue dérive. Le personnage de Montagnier repose sur cette dichotomie. Nobel vingt ans avant, Maurice Allais ressort de ce cas, mais les erreurs en économie ne sont pas aussi mortelles qu’en médecine.

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