Les punchlines (Quatrième République) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Parole, c’est historique !

Punchline : anglicisme désignant une phrase portant un message fort ou choc (Wikipédia).

En VO : “The final phrase or sentence of a joke or story, providing the humour or some other crucial element.” (Oxford Languages)

Absent du Larousse de la langue française, le mot figure dans le dictionnaire bilingue français/anglais : il est traduit sous le terme de « fin (d’une plaisanterie) ». Il s’applique à une réplique (en anglais : line) comique et percutante (en anglais : punchy), constituant la « chute » d’une histoire drôle ou d’un dialogue de comédie.

On peut finalement traduire par « mot choc ».

Quoiqu’il en soit, la chose existe bien avant le mot !

En exagérant à peine, disons que l’esprit gaulois a inventé la punchline. Elle s’est diversifiée au Moyen Âge, s’adaptant à maintes circonstances politiques, militaires, sociales, avant de devenir un moyen d’expression très français, sous la Renaissance. Chaque période en a usé, la Révolution est en cela exemplaire, qui rebondit de punchline en punchline héroïques. L’Empire continue sur cette lancée, mais toute l’histoire contemporaine se complaît dans ce genre de joute verbale dont les Républiques usent et abusent.

Au final, une bonne moitié de l’Histoire en (3500) citations se joue en punchline.

Cet édito en huit épisodes vous en donne un échantillon au 1/10eme.

Sur le podium des punchlineurs, on retrouve les trois auteurs-acteurs les plus cités : Napoléon, de Gaulle, Hugo. Clemenceau se présente en outsider surdoué sous la Troisième, avec Gambetta dans un autre style. Invités surprise, Louis XVIII et Napoléon III, pour leur humour en situation. Nos derniers présidents arrivent en bonne place, sous  la Cinquième : humour franchouillard et décomplexé de Chirac, franc-parler popu et brutalité viscérale de Sarkozy.

Enfin, « le peuple » se trouve au rendez-vous  de tous les mouvements de fronde, de révolte ou de contestation, en chansons et slogans le plus souvent anonymes, héros majeur sous la Révolution, acteur talentueux de Mai 68.

Peut-on définir les punchlines à la française, malgré leur extrême diversité ?

Ce sont souvent des mots brefs, empruntés à l’Histoire en (1000) tweets, dans le « Bonus » de notre site. Certains mots « jokers » sont réutilisables à volonté, d’autres étant devenus proverbes.

L’humour, l’ironie sont des atouts majeurs, y compris dans les moments dramatiques. Le ton souvent agressif, menaçant, tueur, cynique, se fait bienveillant, optimiste et philosophique au siècle des Lumières.

Les punchlines relèvent de toutes les formes historiques : discours, appel, proclamation, correspondance, mot de la fin, poème, loi, pamphlet, slogan, chant et chanson, devise, dicton, titre dans la presse à partir du XIXe siècle.

L’improvisation dans le feu de l’action alterne avec la réflexion. Les meilleurs mots sont « en situation » : révolte, révolution, guerre, ou discours à la tribune, chef militaire parlant à ses troupes.

En résumé, c’est l’Histoire plus vivante que jamais qui vous parle de la condition humaine.

Toutes ces punchlines sont tirées de l’Histoire en citations et apparaissent dans le même ordre chronologique, avec leurs commentaires plus ou moins détaillés.

VI. Quatrième République. (1945-1958)

« Il faut refaire des hommes libres. »2831

Georges BERNANOS (1888-1948), La Liberté pour quoi faire ? (1946)

Credo qu’il ne cesse de répéter, au lendemain de la Libération, jetant ses dernières forces dans ce combat d’idées. Visionnaire et prophète, plus soucieux des grandes options qui commandent l’Histoire que des détails institutionnels, ce catholique engagé, qui refusera tous les postes et tous les honneurs pour rester libre, précise : « Je n’entends nullement opposer le capitalisme au marxisme […] deux symptômes d’une même civilisation de la matière […] Le libéralisme capitaliste, comme le collectivisme marxiste, fait de l’homme une espèce d’animal industriel soumis au déterminisme des lois économiques. »

« J’aime tellement l’Allemagne que je suis ravi qu’il y en ait deux. »2856

François MAURIAC (1885-1970). Le Temps d’un regard (1978), Jacques Chancel

Été 1945 : à Berlin, les vainqueurs délimitent quatre zones d’occupation. 1949 : la séparation en deux Allemagnes (RFA et RDA) est consacrée. Résumons la suite de cet événement géopolitique majeur.

12 au 13 août 1961 : dans la nuit, le mur de la honte, symbole de la division du pays, se met en place pour stopper l’exode massif de Berlin-Est (capitale de la RDA) vers Berlin-Ouest (« vitrine du monde occidental »).

22 septembre 1984 : le président Mitterrand et le chancelier Kohl (RFA) se retrouvent sur le site de la bataille de Verdun, pour commémorer le souvenir des soldats français et allemands et sceller l’entente retrouvée.

10 novembre 1989 : le mur de Berlin tombe, la frontière entre les deux Allemagnes s’ouvre. Pour l’opinion publique française et nombre de commentateurs, la réunification, effective en octobre 1990, est l’événement historique le plus important, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

11 novembre 2009 : le président Sarkozy et la chancelière Angela Merkel célèbrent ensemble à Paris l’armistice qui mit fin à la Première Guerre mondiale, devant la tombe du Soldat inconnu, sous l’Arc de Triomphe de l’Étoile. « L’amitié de la France et de l’Allemagne est un trésor. Nous le devons à tous les peuples du monde », dit le président français.

« En 1944, les Français étaient malheureux, maintenant ils sont mécontents. C’est un progrès. »2858

Charles de GAULLE (1890-1970), de nouveau chef du gouvernement provisoire depuis le 21 octobre 1945. De Gaulle, l’exil intérieur (2001), Jacques Baumel

La France est libre, les nationalisations ont commencé, la Sécurité sociale est créée par ordonnance, mais les conditions de vie des Français restent très dures : pain rationné et cartes d’alimentation pour la plupart des produits, charbon rare et production désorganisée.

« Les néophytes de la révolution […] ont exigé des nationalisations immédiates. Les nouveaux dieux ont soif. »2861

Joseph LANIEL (1889-1975), Assemblée nationale constituante, 2 décembre 1945. Annales, Débats (1946), Assemblée nationale

Les nationalisations font toujours débat en politique quand la gauche se retrouve au pouvoir, ce qui est le cas en 1945.

Député du centre-droit, Laniel s’oppose à cette politique : « Personne ne sait où elle conduit. » À l’ordre du jour, la nationalisation du crédit, mais bien d’autres secteurs sont concernés : charbonnages, électricité et gaz, usine Renault et aéronautique, transports maritimes et aériens, assurances.

La vague des nationalisations en 1945-1946, comme hier en 1936 et demain en 1981-1982, revêt une importance mythique autant que pratique. Pour de Gaulle, la raison principale de cette grande réforme de structure est de mettre un instrument décisif « entre les mains de la Nation ». Il y a aussi une volonté de revanche sur les puissances d’argent. De Gaulle ne manque pas de rappeler au patronat désorganisé son absence à Londres et au sein de la Résistance. Dans cette conjoncture économique et politique, la droite minoritaire et pas très fière ne pourra guère s’opposer aux nationalisations voulues par de Gaulle et la gauche.

« Le choix est simple : modernisation ou décadence. »2865

Jean MONNET (1888-1980), Mémoires (1976)

C’est l’un des Pères de l’Europe, mais aussi le promoteur du premier Plan français, dit de modernisation et d’équipement, lancé le 27 novembre 1946.

Après la guerre, les priorités économiques s’imposent : reconstruire le pays, moderniser l’outil de production. Le plan est la solution rationnelle – de Gaulle, revenu au pouvoir, dira que « les objectifs à déterminer par le Plan revêtent pour tous les Français un caractère d’ardente obligation ». Mais la planification à la française n’est pas dirigiste, se voulant surtout incitative, après concertation. Près d’un millier d’acteurs économiques sont consultés pendant un an (patrons, syndicalistes, fonctionnaires), de sorte que le plan est bien accepté, en 1947. Il bénéficie également du plan Marshall, initiative américaine, au niveau européen.

« Je vous avertis loyalement, je ne resterai pas cloîtré dans la maison où vous allez m’emmener. Ayant été en prison, je saurai faire des trous dans le mur. »2866

Vincent AURIOL (1884-1966), président de la République. Déclaration du 16 janvier 1947. La France de Vincent Auriol, 1947-1953 (1968), Gilbert Guilleminault

Il s’exprime ainsi, le jour de son élection. En toute occasion, il revendiquera l’importance de son rôle, « magistrature morale […] pouvoir de conseil, d’avertissement et de conciliation ». Bref : « Je ne serai ni un président soliveau, ni un président personnel. »

« Le RPF, c’est le métro à 6 heures du soir. »2868

André MALRAUX (1901-1976), délégué à la propagande du RPF. Malraux : une vie dans le siècle, 1901-1976 (1976), Jean Lacouture

Le Rassemblement du peuple français est créé officiellement le 14 avril 1947 par de Gaulle. Le général ne veut plus attendre et risquer qu’on l’oublie, cependant que le contexte international fait craindre une troisième guerre mondiale ! Il va donc rassembler autour de son nom des hommes d’origine sociale et de tendance politique très diverses : « anciens des réseaux et de Londres, […] vaste clientèle à ponctionner sur le MRP, le centre et la droite […] des ouvriers et des petites gens déçus […] en passant par les héros et les fidèles, les « compagnons » seront légion », affirme Malraux. Le RPF triomphe aux prochaines élections (municipales d’octobre 1947).

« Le régime des partis, c’est la pagaille. »2848

Charles de GAULLE (1890-1970), entretien télévisé avec Michel Droit, 15 décembre 1965. Discours et messages : pour l’effort, août 1962-décembre 1965 (1970), Charles de Gaulle

Constat souvent répété. La Quatrième République pèche comme la Troisième par ses partis : trop puissants, ou plutôt impuissants, archaïques, aboutissant à un régime d’assemblée tyrannique. Mais il n’y a pas de démocratie digne de ce nom sans pluralité des partis.

La « pagaille » de ce régime vient surtout du fait que le gouvernement, piégé entre les oppositions gaulliste et communiste, tente de s’appuyer sur une « troisième force » centriste (MRP, socialistes SFIO). De Gaulle, rappelé au pouvoir, dressera ce bilan en juin 1958. « Le régime des partis […] se montrait hors d’état d’assurer la conduite des affaires. Non point par incapacité ni par indignité des hommes. Ceux qui ont participé au pouvoir sous la Quatrième République étaient des gens de valeur, d’honnêteté, de patriotisme. »

« La seule arme qui reste aux travailleurs pour défendre le pain de leurs enfants, quand tous les autres moyens ont été utilisés, c’est la grève. »2872

Georges MARRANE (1888-1976), Conseil de la République, 1er décembre 1947. Notes et études documentaires, nos 4871 à 4873 (1988), Documentation française

Ramadier, ancien président du Conseil, a parlé du PCF comme d’un « chef d’orchestre clandestin », organisant des grèves en mi-juin, alors que les communistes (dont Marrane) ont quitté le gouvernement. Reprise des grèves en septembre, le gouvernement ayant refusé d’entériner un accord CGT-CNPF risquant de conduire à une hausse excessive des salaires, et donc des prix.

Les manifestations prennent un caractère insurrectionnel, début novembre : c’est la « Grande peur d’automne ». Les éléments non communistes du monde du travail font bloc contre les consignes de la CGT : le travail recommence le 10 décembre. Le 18, les groupes Force ouvrière qui militaient au sein de la CGT décident de prendre leur autonomie : ainsi naîtra, en avril 1948, la CGT-FO, tandis que pour maintenir son unité, le Fédération de l’Éducation nationale (FEN) devient elle aussi, autonome par rapport à la CGT.

« La politique, ce n’est pas de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent. »2875

Henri QUEUILLE (1884-1970), nouveau président du Conseil, septembre 1948. Évaluation et démocratie participative (2004), Jean-Claude Boval

La formule lui est prêtée, reflétant une tendance très Quatrième République. Venu de la Troisième, ministre près de vingt fois avant 1940, Queuille a pour méthode de contourner les difficultés. « C’est le docteur tant mieux, le président pas de problème », selon Jacques Fauvet, journaliste du Monde. « C’est de l’immobilisme », dit Pleven qui, devenu président du Conseil, agira de même.

Le premier cabinet Queuille (11 septembre 1948-5 octobre 1949) doit faire face à des grèves très dures et procéder à une dévaluation du franc. Après avoir tenu treize mois, presque un record, il tombe, sa majorité étant trop composite. Il reviendra deux fois : « On prend les mêmes et on recommence. » Dicton politique.

Le régime des partis voit s’affronter ceux de gauche (communistes, socialistes SFIO) contre ceux de droite (indépendants et modérés inorganisés, RPF gaulliste) et les centristes (MRP, radicaux, UDSR issue de la Résistance) qui tentent toujours de former une Troisième Force avec divers ralliés, lesquels monnaient leur concours plus ou moins provisoire. De Gaulle qui a quand même créé son propre parti s’exaspère : « Le régime des partis, c’est la pagaille. » Ou l’impuissance. Cela va durer encore dix ans.

« On prend les mêmes et on recommence. »2841

Formule habituelle pour saluer les changements de gouvernement. On prend les mêmes et on recommence ? (1978), Jean-François Kahn

Dans un carrousel politique qui rend l’opinion railleuse, sceptique, puis lassée, on retrouve à peu près les mêmes hommes jonglant avec les portefeuilles, les places, les problèmes. Clemenceau dénonçait déjà la « République des camarades », avec ces gouvernements qui se ressemblaient tous, faisant appel au même personnel politique. Certains hommes, par leur caractère et leur autorité – tels Antoine Pinay, Pierre Mendès France – ne sont pas comme les autres et ne jouent pas ce jeu politicien, mais le système ne les laisse pas longtemps au pouvoir.

Journaliste, créateur de Marianne, Jean-François Kahn en fait un pamphlet : On prend les mêmes et on recommence ? comme si la Cinquième République reproduisait les défauts des deux précédentes.

« L’avantage de l’instabilité pour un gouvernement, c’est qu’elle ne lui laisse pas le temps de se désavouer. »2840

Jean ROSTAND (1894-1977), Inquiétudes d’un biologiste (1967)

Oui. Mais l’inconvénient est qu’elle ne lui laisse pas le temps de construire. En fait d’instabilité, la Quatrième République est bien la fille de la Troisième : 21 gouvernements se succéderont de 1947 à 1958.

Mais sur le plan des idées intellectuelles, philosophiques, politiques, sociologiques, la Quatrième se révèle très riche, jusque dans les polémiques les plus extrêmes.

« Le présent enveloppe le passé et dans le passé toute l’Histoire a été faite par des mâles. »2854

Simone de BEAUVOIR (1908-1986), Le Deuxième Sexe (1949)

Livre événement dans l’histoire du féminisme, mouvement qui ne s’est pas arrêté au vote attribué aux femmes, après la Libération. Une femme est ministre (éphémère) pour la première fois en 1947 : Germaine Poinso-Chapuis (à la Santé publique, dans le gouvernement Schuman). Mais c’est la Cinquième République qui, dans les années 1970, verra aboutir l’essentiel des luttes au féminin, d’où une égalité de droit, sinon de fait.

« À moitié victimes, à moitié complices, comme tout le monde. »2876

Jean-Paul SARTRE (1905-1980), cité en exergue par Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe (1949)

Romancière existentialiste dont toutes les œuvres se veulent « signifiantes », « Notre-Dame de Sartre » fait scandale avec ce livre. Elle démontre que la femme est à l’homme ce que le Nègre est au Blanc, un Autre infériorisé, irresponsable. Mais les femmes, à l’inverse des autres exploités de la terre, colonisés ou prolétaires, sont restées soumises, complices des structures qui les oppriment, tombant dans les pièges du mariage et de la maternité.

Message prémonitoire : la génération suivante remettra en question le mariage traditionnel, cependant que par la contraception et l’IVG, la femme pour la première fois dans l’Histoire aura le droit d’avoir des enfants comme et quand elle le veut.

« La liberté est un bagne aussi longtemps qu’un seul homme est asservi sur la terre. »2832

Albert CAMUS (1913-1960), Les Justes (1949)

Rédacteur en chef de Combat, il est de ces intellectuels qui se mêlent ardemment à l’actualité de leur temps marqué par le totalitarisme, pour crier sa soif de justice, revendiquer dans L’Homme révolté, « la liberté, seule valeur impérissable de l’Histoire » et préférer la révolte à la révolution : « Je me révolte, donc nous sommes. » Se défiant des idéologies, Camus s’oppose aux communistes, repousse les mirages de l’absolu et les violences révolutionnaires, contrairement à Sartre et à la revue des Temps modernes. L’effondrement des régimes communistes dans l’Europe de l’Est à l’automne 1989 l’aurait sans doute comblé, de même que le « Printemps arabe » en 2011.

« La guerre froide avait trouvé un point chaud, même brûlant. »2877

Edgar FAURE (1908-1988), parlant de la guerre de Corée, déclarée le 25 juin 1950. Mémoires (1982), Edgar Faure

La guerre froide est un équilibre de la terreur qui va durer cinquante ans, entre les deux grandes puissances mondiales qui disposent de l’arme atomique, les États-Unis et l’URSS. Churchill le premier dénonce en 1946 le rideau de fer qui est tombé sur le continent européen. L’opinion publique comprend l’évidence en 1948, lors du coup de Prague, quand les communistes prennent le pouvoir en Tchécoslovaquie. L’année suivante, l’OTAN crée une alliance militaire occidentale et Staline riposte avec le Pacte de Varsovie.

La guerre de Corée est la première bataille de la guerre froide, bien vue par Edgar Faure (alors ministre des Finances). « La magistrature de René Pleven débutait dans une période de cyclone international. L’invasion de la Corée créait une situation nouvelle pour le monde et bouleversait les données des problèmes posés à la France. »

Deux questions vont polariser l’activité du nouveau gouvernement : armement (supplémentaire) de la France, réarmement « direct ou indirect » de l’Allemagne ? Pour éviter un réarmement purement allemand et satisfaire les Américains souhaitant que l’Europe participe à la défense du monde libre, on pense créer une armée européenne, avec commandement supranational : d’où la querelle autour de la fameuse CED (Communauté européenne de défense) qui va marquer la vie politique en 1951.

« Rendre la culture au peuple et le peuple à la culture. »2855

Devise de l’association Peuple et Culture. Manifeste de Peuple et Culture (1945)

Grande et généreuse ambition des fondateurs de ce mouvement, héritiers des valeurs du siècle des Lumières et de la République française qui ont presque tous participé au Front populaire de 1936 et à la Résistance. Mais comment promouvoir la « révolution culturelle » rêvée, avec un budget culturel inférieur à 0,10 % des dépenses publiques ? Il faudra attendre le prochain régime pour que l’État commence à avoir les moyens de ses ambitions, avec un ministère créé par de Gaulle pour Malraux, puis l’arrivée des socialistes au pouvoir en 1981 et le « 1 % pour la culture ».

À l’actif de la Quatrième République, rappelons cependant le travail des animateurs culturels au sein de l’association Peuple et Culture, la décentralisation théâtrale animée par Pierre Bourdan et Jeanne Laurent au ministère des Beaux-Arts, la floraison des festivals, dont celui d’Avignon lancé dans l’été 1947 et le Théâtre national populaire (TNP) de Jean Vilar créé en 1951, exemplaire réussite qui marque toute une génération.

« Je suis né deux fois : la première, le 4 décembre 1922, la seconde en juillet 1951, en Avignon, où j’ai eu, grâce à Jean Vilar, la révélation du vrai théâtre. »2878

Gérard PHILIPE (1922-1959), Après la première du Cid, Festival d’Avignon, 18 juillet 1951. La France de Vincent Auriol, 1947-1953 (1968), Gilbert Guilleminault

Comme les critiques unanimes devant ce « prince en Avignon », le public du Palais des Papes et bientôt toute la France, Jean Vilar sous le charme de son acteur dira : « Après ce Cid-là, aucun metteur en scène n’osera en faire un autre avant vingt-cinq ans. »

C’est aussi la naissance d’un fait culturel unique dans l’histoire du théâtre et exemplaire pour le monde : le festival d’Avignon, voulu par Vilar en 1947. Une aventure devenue aujourd’hui une institution (du passé).

« Car, enfin, ce tiers-monde ignoré, exploité, méprisé comme le tiers état, veut, lui aussi, être quelque chose. »2879

Alfred SAUVY (1898-1990). « Trois Mondes, une planète », L’Observateur (14 août 1952)

Derniers mots d’un article où cet économiste, sociologue et démographe (directeur de l’INED) qui parle souvent plus vrai et plus fort que ses confrères, lance l’expression de « tiers-monde » – il en revendique la paternité dans son livre de souvenirs, La Vie en plus (1981). Mais il la désavoue à la fin de sa vie : « Que l’on permette au créateur de l’expression tiers-monde, il y a déjà près de quarante ans, de la répudier, tant elle fait oublier la diversité croissante des cas. Englober dans le même terme les pays d’Afrique noire et « les quatre dragons » [Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong Kong] ne peut mener bien loin. »

Quoi qu’il en soit, l’expression fait partie du domaine public.

Tiers-monde, pays sous-développés, pays en voie de développement, pays les moins avancés (PMA), pays émergents, nouveaux pays industrialisés, quel que soit le mot, le monde des pays riches prend conscience de la réalité : les trois quarts de la population mondiale souffrent de la faim, la soif, la maladie, l’analphabétisme, la subordination économique et l’endettement. C’est d’autant plus révoltant que cela se sait, se dit, se voit, s’expose en maintes conférences internationales. La décolonisation et la mondialisation n’arrangent rien, l’écart entre pauvres et riches augmente, la montée de l’Islam est une solution plus dangereuse que le mal et les risques écologiques aggraveront encore le problème, au XXe siècle.

« Sans moi, que seriez-vous ?
— Sans vous, je serais ministre. »2882

Edmond BARRACHIN (1900-1975), député RPF, au général de Gaulle (1890-1970), juillet 1952. Recueil des textes authentiques des programmes et engagements électoraux des députés proclamés élus à la suite des élections générales (1956), Assemble nationale, Secrétariat général

Le parti du général fait long feu. Le Rassemblement se disperse. De Gaulle reproche à ses troupes de pactiser avec l’ennemi, en l’occurrence le système de la Quatrième République, notamment sous le gouvernement Pinay. L’état-major durcit sa position, les dissidences se multiplient.

« On peut camper sur une position en attendant la soupe, mais on ne peut remporter la victoire sans combattre. Ceux qui ne voulaient pas combattre sont allés à la soupe. »2883

Charles de GAULLE (1890-1970), Déclaration d’octobre 1952. La Vie politique en France de 1940 à 1958 (1984), Jacques Chapsal

Le général fustige en ces termes militaires l’intégration progressive des députés RPF au système. Le 6 mai 1953, au lendemain d’un grave échec aux municipales, de Gaulle dresse un bilan désabusé de son action et signe la fin du Rassemblement agissant en son nom : « Au Parlement, il [le RPF] ne saurait non plus prendre part, en corps et ès qualités, à la série des combinaisons, marchandages, vote de confiance, investitures, qui sont les jeux, les poisons et les délices du système. »

« Gouverner, c’est choisir. »2885

Pierre MENDÈS FRANCE (1907-1982), Discours à l’Assemble nationale, 3 juin 1953. Gouverner, c’est choisir (1958), Pierre Mendès France

« La cause fondamentale des maux qui accablent le pays, c’est la multiplicité et le poids des tâches qu’il entend assumer à la fois : reconstruction, modernisation et équipement, développement des pays d’outre-mer, amélioration du niveau de vie et réformes sociales, exportations, guerre en Indochine, grande et puissante armée en Europe, etc. Or, l’événement a confirmé ce que la réflexion permettait de prévoir : on ne peut pas tout faire à la fois. Gouverner, c’est choisir, si difficiles que soient les choix. »

Cette formule empruntée (involontairement ?) au duc Gaston de Lévis (Maximes politiques, 1808) accompagne désormais l’homme politique qui sera bientôt au pouvoir. Quelques jours plus tôt, dans le premier numéro de L’Express (16 mai 1953), Mendès France écrit : « À prétendre tout faire, nous n’avons réussi qu’à détériorer notre monnaie, sans satisfaire aucun de nos objectifs […] Ce n’est pas sur des conférences diplomatiques, mais sur la vigueur économique que l’on fait une grande nation. »

Quelques mois plus tard, devant la déroute française dans la guerre d’Indochine, il ajoutera : « Nous sommes en 1788 », cependant que Paul Reynaud voit alors en la France « l’homme malade de l’Europe ». Mendès qui soldera la guerre d’Indochine ne va tenir que 7 mois et 17 jours. On peut parler d’un « perdant magnifique ».

« L’Algérie, c’est la France. »2895

François MITTERRAND (1916-1996), ministre de l’Intérieur du gouvernement Mendès France, 5 novembre 1954. Pierre Mendès France (1981), Jean Lacouture

Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, une insurrection éclate en Algérie. Mitterrand s’associe à la position du président du Conseil, Mendès France : « Qu’on n’attende de nous aucun aménagement avec la sédition, aucun compromis avec elle […] Les départements de l’Algérie font partie de la République, ils sont français depuis longtemps […] Entre la population algérienne et la métropole, il n’est pas de sécession concevable […] Jamais la France, jamais aucun Parlement, jamais aucun gouvernement ne cédera sur ce principe fondamental. » Nul n’imagine à cette date la suite du conflit algérien.

« Mes amis, au secours ! [ ]  Chaque nuit dans Paris, ils sont plus de deux mille à geler dans la nuit, sans toit, sans pain. »2887

Abbé PIERRE (1912-2007), Premiers mots de l’appel lancé à la radio dans l’hiver 1954. Emmaüs et l’abbé Pierre (2008), Axelle Brodiez-Dolino

1er février. Ce soir-là, dans un grand élan de colère, l’abbé Pierre fonce à Radio Luxembourg et s’empare du micro. Ce prêtre catholique a été résistant pendant la guerre, et député MRP jusqu’en 1951, avant de renouer avec sa vocation première de prêtre aumônier, dans le cadre du Mouvement Emmaüs, organisation caritative laïque, créée en 1949.

« Mes amis, au secours ! Une femme vient de mourir de froid sur le trottoir du boulevard de Sébastopol. Elle serrait dans ses mains le papier par lequel on l’avait expulsée de son logement. Chaque nuit dans Paris, ils sont plus de deux mille à geler dans la nuit, sans toit, sans pain. »

L’abbé Pierre demande que le soir même, dans tous les quartiers de Paris, s’ouvrent des centres de dépannage, qu’on y apporte couvertures, paille, pour accueillir tous ceux qui souffrent quels qu’ils soient, et qu’ils puissent y dormir, y manger, reprendre espoir, savoir qu’on les aime, et qu’on ne les laissera pas mourir. C’est la misère des laissés-pour-compte de la croissance économique. Trente ans plus tard, Coluche lancera ses « Restos du cœur ». Le quart-monde existe toujours et chaque époque crée ses nouveaux pauvres, en dépit des minima sociaux et des secours publics.

« Les hommes passent, les nécessités nationales demeurent. »2896

Pierre MENDÈS FRANCE (1907-1982), Assemblée Nationale, nuit du 4 au 5 février 1955. Pierre Mendès France (1981), Jean Lacouture

L’Assemblée vient de lui refuser la confiance (319 voix contre 273) : par peur d’une politique d’« aventure » en Afrique du Nord. Contrairement aux usages et sous les protestations, il remonte à la tribune pour justifier son action.

Mendès France reste très populaire dans le pays, mais de nombreux parlementaires déplorent ses positions cassantes, aux antipodes des compromis et compromissions de la Quatrième République. Le « syndicat » des anciens présidents du Conseil et anciens ministres lui reproche de ne pas jouer le jeu politicien et de semer le trouble dans l’hémicycle et ses coulisses. De Gaulle l’avait prédit : « Ils ne vous laisseront pas faire ! » Et Mendès France, pour la dernière fois à la tribune, défie les députés : « Ce qui a été fait pendant ces sept ou huit mois, ce qui a été mis en marche dans ce pays ne s’arrêtera pas… »

« Quand l’opprimé prend les armes au nom de la justice, il fait un pas sur la terre de l’injustice. »2899

Albert CAMUS (1913-1960), « Les raisons de l’adversaire », L’Express, 28 octobre 1955

Né en Algérie, intellectuel épris de justice autant que de liberté, Camus est plus qu’un autre déchiré par les événements : « Telle est, sans doute, la loi de l’histoire. Il n’y a plus d’innocents en Algérie, sauf ceux, d’où qu’ils viennent, qui meurent. »

Le 2 avril 1955, l’état d’urgence est voté pour lutter contre la rébellion, les libertés publiques sont suspendues. Le gouverneur Soustelle tente une politique de réformes, mais l’insurrection dans le Constantinois et les massacres du FLN le 20 août poussent le gouvernement Edgar Faure à appeler les réservistes, le 24. Simples opérations de maintien de l’ordre ? La fiction est vite insoutenable. Il s’agit d’une guerre, une sale guerre.

« Refusez d’obéir
Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre
Refusez de partir… »2900

Boris VIAN (1920-1959), paroles et musique, Serge REGGIANI (1922-2004), co-compositeur de la musique, Le Déserteur (1954), chanson

Écrite à la fin de la guerre d’Indochine, chantée par Mouloudji le jour de la prise de Diên Biên Phû : « Monsieur le Président / Je vous fais une lettre / Que vous lirez peut-être / Si vous avez le temps / Je viens de recevoir / Mes papiers militaires / Pour partir à la guerre / Avant mercredi soir / Monsieur le Président / Je ne veux pas la faire / Je ne suis pas sur terre / Pour tuer des pauvres gens. »

Chanson interdite, reprise en 1955, dans une version un peu édulcorée : « Messieurs, qu’on nomme grands… » Mais c’est le temps de la guerre d’Algérie : la chanson sera censurée dix ans pour « insulte faite aux anciens combattants ». Elle connaît une diffusion limitée et parallèle : sifflée par les soldats du contingent qui s’embarquent à Marseille, avant de devenir un protest song bilingue, puis un succès de la scène et du disque, reprise par Reggiani et d’autres : « Il faut que je vous dise / Ma décision est prise / Je m’en vais déserter ».

Sortez les sortants !2902

Pierre POUJADE (1920-2003), slogan. Les Années Poujade, 1953-1958 (2006), Thierry Bouclier

Edgar Faure, dont le gouvernement a été renversé deux fois, dissout l’Assemblée le 2 décembre 1955 – aucun président du Conseil n’a osé, depuis 1877. Les députés se déchirent sur l’Algérie. Quand Poujade débarque, agitateur rassemblant les mécontents, exploitant un antiparlementarisme toujours latent, ameutant l’opinion contre le fisc, rassurant les petits commerçants et artisans effrayés par le capitalisme, la concurrence étrangère.

Populisme ! Poujadisme ! Les professionnels de la politique s’insurgent et s’inquiètent de cette popularité qui complique encore le jeu des partis. En janvier 1956, Poujade réussira à faire élire 52 députés, dont un pâtissier, un blanchisseur, deux mécaniciens, un charcutier, un maraîcher… et un étudiant en droit, de retour des guerres d’Indochine et d’Algérie, Jean-Marie Le Pen, élu à 27 ans.

« Il ne faut pas désespérer Billancourt. »2907

Jean-Paul SARTRE (1905-1980), « d’après » Nekrassov, créé au Théâtre Antoine, 1955

Mot apocryphe ou, plus exactement, tour de passe-passe. Nekrassov est un malentendu : pièce à message, jugée communiste par les anticommunistes, et anticommuniste par les communistes, c’est un échec théâtral. Le mot est aussi un bel exemple de « récupération », ce que Sartre déteste et nomme « le baiser de la mort ». Mais c’est une manipulation, donc la preuve de l’importance du texte. Il a écrit deux répliques : « Il ne faut pas désespérer les pauvres » et « Désespérons Billancourt ». La contraction des deux donne cette fameuse phrase. Qu’il n’aurait jamais dite, même si le mot lui a été prêté, en mai 1968.

Il le pense peut-être, le 4 novembre 1956, quand 2 500 chars soviétiques interviennent en Hongrie pour écraser la tentative de libéralisation du régime. Le 9, dans une interview à L’Express, il dénonce « la faillite complète du socialisme en tant que marchandise importée d’URSS » et se tourne vers d’autres communismes, voulant préserver l’élan révolutionnaire de la classe ouvrière en France. « Il ne faut pas désespérer Billancourt. »

« Ils n’osent écrire qu’une police qui torture, si blâmable qu’elle soit, c’est une police qui fait son métier, une police sur laquelle on peut compter. »2909

François MAURIAC (1885-1970), Bloc-notes, I, 1952-1957

« Ils ne l’écrivent pas noir sur blanc, mais cela court entre les lignes… »

En 1952, Mauriac, écrivain catholique, reçoit le prix Nobel de littérature pour « la profonde imprégnation spirituelle et l’intensité artistique avec laquelle ses romans ont pénétré le drame de la vie humaine ». Il n’a pas pris position dans la guerre d’Indochine, mais il s’engage désormais en faveur de l’indépendance du Maroc, puis de l’Algérie, et condamne l’usage de la torture par l’armée française. Dans une méditation douloureuse et brûlante intitulée Imitation des bourreaux de Jésus-Christ, il dénonce l’État tortionnaire, et non plus seulement l’État policier, lors de l’allocution de clôture de la Semaine des intellectuels catholiques, à Florence, en novembre 1954. Il s’investit de plus en plus dans le drame algérien, qu’il commentera jusqu’en 1958. Il est alors convaincu que seul de Gaulle peut dénouer la situation.

« Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. »2913

Albert CAMUS (1913-1960), à Stockholm, 5 octobre 1957. Albert Camus ou la mémoire des origines (1998), Maurice Weyembergh

Réponse à un étudiant algérien, partisan du FLN, qui l’interpelle lors de sa remise du prix Nobel. Le mot sera bientôt retourné contre son auteur, non sans injustice.

« La Terre est le berceau de l’humanité, mais personne ne passe toute sa vie au berceau. »2914

Constantin TSIOLKOVSKI (1857-1935). Visions du futur : une histoire des peurs et des espoirs de l’humanité (2000), Annie Caubet, Zeev Gourarier, Jean Hubert Martin

Ce savant et ingénieur russe travaillant sur les fusées au début du siècle est l’un des pères de l’astronautique contemporaine. Le 4 octobre 1957, Spoutnik 1, premier satellite artificiel soviétique, ouvre à l’homme les portes du ciel. Des millions de terriens entendent le bip-bip de ce bébé Lune qui tourne autour de la Terre, pendant trois mois.

Le premier homme de l’espace sera russe, Youri Gagarine, 12 avril 1961. L’Américain Alan Shepard le suit de peu (5 mai). Le premier homme marchant sur la Lune est l’Américain Neil Armstrong, le 21 juillet 1969. Le premier cosmonaute français, Jean-Loup Chrétien, volera le 24 juin 1982 dans un vaisseau spatial soviétique. L’aventure continue au XXIe siècle. On vise la planète Mars, on rêve plus loin encore, la NASA vient de découvrir sept planètes hors du système solaire… et l’on cherche toujours des traces de vie.

« Aujourd’hui, la France n’a plus qu’une seule ambition : celle de son niveau de vie. »2851

Charles de GAULLE (1890-1970). Tout est bien (1989), Roger Stéphane

« Jusqu’à une date récente, elle était constamment tendue vers la réalisation d’ambitions nationales. Elle a eu l’ambition de son unité, l’ambition de ses frontières naturelles, puis l’ambition de conquérir l’Europe, la volonté de se libérer de ses traités de 1815 et après 70, il y a eu l’idée, la grande idée de la revanche, depuis plus rien. »

Il ne faut pourtant pas mépriser la grande amélioration des conditions matérielles de vie : le taux de croissance annuel moyen de 5 % dans les années 1950-1960 étonne dans les années 1980 et plus encore en 2012. C’est à mettre à l’actif de la Quatrième République, situant la France avant les USA et la Grande-Bretagne, mais derrière l’Allemagne et le Japon, pays des miracles économiques succédant à leur défaite.

« Quand les hommes ne choisissent pas, les événements choisissent pour eux. »2845

Raymond ARON (1905-1983), Immuable et changeante. De la IVe à la Ve République (1959)

Passivité des citoyens, isolement de la classe politique, tels sont les vices intimes du régime qui semble tourner en rond et s’autodétruire – « le cadavre bafouille ». On a pu dire qu’en se privant d’un de Gaulle, dès ses premiers mois, la Quatrième République se condamnait à terme plus ou moins rapide. Mais l’on ne réécrit pas l’Histoire qui nous réserve toujours de vraies surprises, bonnes ou mauvaises.

« Il est difficile de garder l’Algérie, il est difficile de la perdre, il est encore plus difficile de la donner. »2916

Félix GAILLARD (1919-1970), président du Conseil, début 1958. Vie politique sous la Cinquième République (1981), Jacques Chapsal

Ce mot traduit à la fois l’indécision du pouvoir et l’incertitude de l’opinion publique métropolitaine dans sa grande majorité.

« Le cadavre bafouille. »2918

Hubert Beuve-MÉRY (1902-1989) citant Maurice Barrès (1862-1923). Le Suicide de la Quatrième République (1958), Hubert Beuve-Méry

La France vit désormais à l’heure algérienne. Le pouvoir, donc le régime, est dans une situation sans issue : aucune majorité stable possible, ni à gauche, ni au centre, ni à droite, face au drame national.

La guerre divise les Français et les consciences – même si on la nomme « lutte contre la rébellion ». À Paris, on parle de « bons offices » anglo-américains en vue de la paix ! Félix Gaillard tombe, Pflimlin arrive, Alger craint d’être lâchée.

« L’Armée au pouvoir ! Tous au GG ! »2920

Cris de la foule, Alger, manifestation du 13 mai 1958. L’Appel au père : de Clemenceau à de Gaulle (1992), Jean-Pierre Guichard

Le GG, c’est le palais du gouverneur général, devenu, depuis 1956, celui du ministre résident. Il est le symbole du pouvoir et, en tant que tel, pris d’assaut, pillé. Un Comité de salut public se constitue, mêlant Français et musulmans, civils et militaires, en une coalition très hétéroclite, présidée par le général Massu : c’est le putsch d’Alger, ou coup d’État du 13 mai.

« Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans je commence une carrière de dictateur ? »2923

Charles de GAULLE (1890-1970), conférence de presse, 19 mai 1958. 1958, le retour de De Gaulle (1998), René Rémond

Le général tient à tranquilliser une opinion émue par sa déclaration du 15 mai : « Naguère, le pays, dans ses profondeurs, m’a fait confiance pour le conduire tout entier jusqu’à son salut. Aujourd’hui, devant les épreuves qui montent de nouveau vers lui, qu’il sache que je me tiens prêt à assumer les pouvoirs de la République. »

Il conclut sa conférence de presse, exercice politique où il excelle : « J’ai dit ce que j’avais à dire. À présent, je vais rentrer dans mon village et m’y tiendrai à la disposition du pays. » Le pays, divisé, bouleversé, est par ailleurs sensible à toutes les rumeurs.

« Il ne faut pas beaucoup de mitraillettes pour disperser cent mille citoyens armés de grands principes. »2924

François MAURIAC (1885-1970), L’Express, 12 juin 1958, Bloc-notes, 1958-1960, II (1961)

Au cours des journées de mai 1958, l’idée s’est répandue d’un dénouement possible de la crise par l’établissement d’une dictature militaire en France. Des parachutistes venus d’Algérie pourraient débarquer, faire jonction avec les réseaux favorables à l’Algérie française en métropole, les putschistes bénéficiant même de complicités dans l’appareil de l’État. Le 28 mai, à Paris, une foule immense et pacifique va défiler de la Nation à la République, conspuant les paras et criant : « Le fascisme ne passera pas ! »

Mauriac qui en rend compte dénonce le danger fasciste dans L’Express, au fil de sa fameuse chronique hebdomadaire. Cette menace va précipiter la solution de Gaulle, recours à l’ultime sauveur. Pour Mauriac, c’est l’homme du destin, l’homme de la grâce, le garant de l’unité du pays. Dès lors, sa vision de la politique se confond avec celle du gaullisme. Ses prises de position passionnées le conduisent à quitter L’Express pour Le Figaro littéraire, trop heureux d’accueillir désormais son Bloc-notes, publié plus tard en quatre recueils.

« Dans le péril de la patrie et de la République, je me suis tourné vers le plus illustre des Français. »2925

René COTY (1882-1962), Message du président au Parlement, 29 mai 1958. Histoire mondiale de l’après-guerre, volume II (1974), Raymond Cartier

Face à la menace de guerre civile, le président de la République fait savoir aux parlementaires qu’il a demandé au général de Gaulle de former un gouvernement. Chahuts et chants de la part des députés qui entonnent La Marseillaise – procédé contraire à tous les usages, et même à la lettre de la Constitution.

« Le général de Gaulle apparaît comme le moindre mal, la moins mauvaise chance. »2926

Hubert BEUVE-MÉRY (alias SIRIUS) (1902-1989), « L’amère vérité », Le Monde, 29 mai 1958

Et Pierre Brisson dans Le Figaro du 30 mai : « Chacun sait maintenant où situer le dernier recours de nos libertés. » Les deux directeurs de conscience de la « presse bourgeoise » ne prennent la plume, chacun dans son journal, que dans les grandes occasions. Depuis quelques jours, ils ne cessent pas et se montrent de plus en plus pour (ou de moins en moins contre) de Gaulle.

« Je vous ai compris ! »2930

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours au balcon du gouvernement général à Alger, 4 juin 1958. Mémoires d’espoir, tome I, Le Renouveau, 1958-1962 (1970), Charles de Gaulle

Que n’a-t-on dit sur ces quatre mots ! Dans ses Mémoires, le Général explique : « Mots apparemment spontanés dans la forme, mais au fond bien calculés, dont je veux qu’elle [la foule] s’enthousiasme, sans qu’ils m’emportent plus loin que je n’ai résolu d’aller. »

Et il poursuit, face à la foule : « Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c’est celle de la rénovation et de la fraternité […] Jamais plus qu’ici et jamais plus que ce soir, je n’ai compris combien c’est beau, combien c’est grand, combien c’est généreux, la France. »

Au journaliste du Monde, André Passeron, le 6 mai 1966, il confiera : « J’ai toujours su et décidé qu’il faudrait donner à l’Algérie son indépendance. Mais imaginez qu’en 1958, quand je suis revenu au pouvoir, je disais sur le Forum d’Alger qu’il fallait que les Algériens prennent eux-mêmes leur gouvernement, il n’y aurait plus eu de De Gaulle immédiatement ! » 

Malgré tout, ce tweet si souvent et diversement commenté, cette punchline ou ce mot-choc demeure l’un des messages les plus énigmatiques de l’histoire contemporaine. La suite du drame algérien va en aligner beaucoup d’autres, avec le général de Gaulle qui s’impose en grand premier rôle politique.

Lire la suite : Les punchlines (Cinquième République sous de Gaulle)

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