Les punchlines (Révolution, Directoire, Consulat et Premier Empire) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Parole, c’est historique !

Punchline : anglicisme désignant une phrase portant un message fort ou choc (Wikipédia).

En VO : “The final phrase or sentence of a joke or story, providing the humour or some other crucial element.” (Oxford Languages)

Absent du Larousse de la langue française, le mot figure dans le dictionnaire bilingue français/anglais : il est traduit sous le terme de « fin (d’une plaisanterie) ». Il s’applique à une réplique (en anglais : line) comique et percutante (en anglais : punchy), constituant la « chute » d’une histoire drôle ou d’un dialogue de comédie.

On peut finalement traduire par « mot choc ».

Quoiqu’il en soit, la chose existe bien avant le mot !

En exagérant à peine, disons que l’esprit gaulois a inventé la punchline. Elle s’est diversifiée au Moyen Âge, s’adaptant à maintes circonstances politiques, militaires, sociales, avant de devenir un moyen d’expression très français, sous la Renaissance. Chaque période en a usé, la Révolution est en cela exemplaire, qui rebondit de punchline en punchline héroïques. L’Empire continue sur cette lancée, mais toute l’histoire contemporaine se complaît dans ce genre de joute verbale dont les Républiques usent et abusent.

Au final, une bonne moitié de l’Histoire en (3500) citations se joue en punchline.

Cet édito en huit épisodes vous en donne un échantillon au 1/10eme.

Sur le podium des punchlineurs, on retrouve les trois auteurs-acteurs les plus cités : Napoléon, de Gaulle, Hugo. Clemenceau se présente en outsider surdoué sous la Troisième, avec Gambetta dans un autre style. Invités surprise, Louis XVIII et Napoléon III, pour leur humour en situation. Nos derniers présidents arrivent en bonne place, sous  la Cinquième : humour franchouillard et décomplexé de Chirac, franc-parler popu et brutalité viscérale de Sarkozy.

Enfin, « le peuple » se trouve au rendez-vous  de tous les mouvements de fronde, de révolte ou de contestation, en chansons et slogans le plus souvent anonymes, héros majeur sous la Révolution, acteur talentueux de Mai 68.

Peut-on définir les punchlines à la française, malgré leur extrême diversité ?

Ce sont souvent des mots brefs, empruntés à l’Histoire en (1000) tweets, dans le « Bonus » de notre site. Certains mots « jokers » sont réutilisables à volonté, d’autres étant devenus proverbes.

L’humour, l’ironie sont des atouts majeurs, y compris dans les moments dramatiques. Le ton souvent agressif, menaçant, tueur, cynique, se fait bienveillant, optimiste et philosophique au siècle des Lumières.

Les punchlines relèvent de toutes les formes historiques : discours, appel, proclamation, correspondance, mot de la fin, poème, loi, pamphlet, slogan, chant et chanson, devise, dicton, titre dans la presse à partir du XIXe siècle.

L’improvisation dans le feu de l’action alterne avec la réflexion. Les meilleurs mots sont « en situation » : révolte, révolution, guerre, ou discours à la tribune, chef militaire parlant à ses troupes.

En résumé, c’est l’Histoire plus vivante que jamais qui vous parle de la condition humaine.

Toutes ces punchlines sont tirées de l’Histoire en citations et apparaissent dans le même ordre chronologique, avec leurs commentaires plus ou moins détaillés.

II. Révolution, Directoire, Consulat et Premier Empire.

RÉVOLUTION (1789-1799)

Liberté, Égalité, Fraternité.1266

Antoine François MOMORO (1756-1794), slogan révolutionnaire

Libraire imprimeur à Paris, « premier imprimeur de la liberté », il se prétend inventeur de cette devise. En tout cas, c’est lui qui obtient de Pache, maire de Paris, qu’elle figure sur les façades des édifices publics.

Au fil de la Révolution, la liberté, revendication venue du siècle des Lumières, et l’égalité – celle des droits plus que des conditions – vont inspirer les révolutionnaires, pour le meilleur et parfois pour le pire. La fraternité restera la parente pauvre de cette trinité de concept jusqu’au socialisme du XIXe siècle. Le triple principe ne sera inscrit dans une constitution française qu’en 1848. C’est la punchline star de notre Histoire.

« Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes. »1320

MIRABEAU (1749-1791), au marquis de Dreux-Brézé, salle du Jeu de paume, 23 juin 1789. Histoire de la Révolution française (1823-1827), Adolphe Thiers, Félix Bodin

Réponse au grand maître des cérémonies, envoyé par Louis XVI pour faire évacuer la salle du Jeu de paume, suite au Serment du 20 juin. Les députés aux États généraux occupent les lieux pour donner une Constitution au royaume.

Le comte de Mirabeau, renié par son ordre et élu par le tiers, se révèle dès les premières séances de l’Assemblée : « Mirabeau attirait tous les regards. Tout le monde pressentait en lui la grande voix de la France », écrira Michelet.

« En temps de révolution, prenez garde à la première tête qui tombe. Elle met le peuple en appétit. »1332

Victor HUGO (1802-1885), Le Dernier Jour d’un condamné (1829)

Bilan du 14 juillet 1789 : une centaine de morts et un peu plus de blessés, essentiellement chez les assaillants (au nombre de 800 à 3 000, selon les sources). Mais Hugo a raison : le peuple est parti dans une escalade de la violence, et les meneurs parlent toujours plus fort que les modérateurs.

« Voici une cocarde qui fera le tour du monde. »1336

LA FAYETTE (1757-1834), 17 juillet 1789. Petite histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours (1883), Victor Duruy

Nommé le 15 juillet commandant de la garde nationale, le jeune « Héros des Deux mondes » prend la cocarde bleue et rouge aux couleurs de Paris, y joint le blanc, couleur du roi, et présente cette cocarde tricolore à Louis XVI, venu « faire amende honorable » à l’Hôtel de Ville de Paris. Le roi met la cocarde à son chapeau et, par ce geste, reconnaît symboliquement la Révolution.

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »1344

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, article 1er

L’article énonce la liberté et l’égalité en termes généraux. Définitions complétées par les articles 4 (« La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » et 6 (« La loi […] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. »

La Déclaration énonce d’abord les « droits naturels et imprescriptibles » de l’homme : liberté, égalité devant la loi, propriété. Elle ajoute ceux de la nation : séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ; souveraineté nationale. Mais la Déclaration des droit s’exprime en termes généraux. Tout régime (républicain) devra tenter de passer à la pratique.

« Gardez-vous de demander du temps ; le malheur n’en accorde jamais. »1348

MIRABEAU (1749-1791), Discours à la Constituante, 26 septembre 1789. Mémoires biographiques, littéraires et politiques de Mirabeau (1835)

L’Orateur du peuple improvise comme toujours dans le génie : « Aujourd’hui la banqueroute, la hideuse banqueroute est là ; elle menace de consumer vous, vos propriétés, votre honneur, et vous délibérez ! »

Mirabeau se fait ici l’avocat du projet Necker – ministre très populaire, rappelé aux Finances le 16 juillet et prévoyant une contribution volontaire du quart des revenus.

« Le roi n’a qu’un homme, c’est sa femme. »1367

MIRABEAU (1749-1791). Marie-Antoinette, Correspondance, 1770-1793 (2005), Évelyne Lever

Ou encore, selon d’autres sources : « Le roi n’a qu’un seul homme, c’est la reine. » C’est une vérité connue de tous et éprouvée par Mirabeau, devenu le conseiller secret de la couronne : il essaie donc de convaincre la reine avant le roi dont la faiblesse, les hésitations, les retournements découragent les plus fervents défenseurs…

« Périssent les colonies plutôt qu’un principe. »1385

Pierre Samuel DUPONT de NEMOURS (1739-1817), Constituante, 13 mai 1791. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1888), Assemblée nationale

Réponse (résumée) aux défenseurs des colons pour qui l’application aux colonies de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen signifiait la fin du système colonial. Le Moniteur, journal officiel de l’époque, reproduit le texte exact et intégral : « On nous menace du ressentiment de ces nobles d’outre-mer […] Ils se consoleront comme se sont consolés les nobles français qui avaient un peu de sens. Si toutefois cette scission devait avoir lieu, s’il fallait sacrifier l’intérêt ou la justice, il vaudrait mieux sacrifier les colonies qu’un principe. »

La phrase est aussi attribuée à Barnave par Lamartine dans son Histoire des Girondins et selon d’autres sources, à Robespierre, sous une forme plus concise : « Périssent les colonies ! » Ces trois versions sourcées démontrent la difficulté, en même temps que l’intérêt, d’une histoire par les citations.

Quant au sort des colonies et des Noirs… Le décret sur le statut des Nègres sera bien timoré : seuls les mulâtres nés de père et de mère libres auront des droits politiques. C’est une minorité et les troubles vont continuer – l’esclavage sera aboli par la Convention trois ans plus tard, rétabli par Napoléon et définitivement aboli en 1848 par la Deuxième République.

« Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Les aristocrates à la lanterne,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Les aristocrates on les pendra. »1381

Ah ! ça ira, couplet anonyme, sur une musique de BÉCOURT (XVIIIe siècle), chanson

Le plus célèbre refrain de la Révolution française est né bon enfant : « Pierre et Margot chantent à la guinguette : / Ah ! ça ira, ça ira, ça ira. / Réjouissons-nous le bon temps viendra. » Il se durcit et se radicalise en janvier 1791, quand une main anonyme ajoute ce couplet vengeur. Toujours sur le même air de contredanse populaire du Carillon national.

« La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune. »1397

Olympe de GOUGES (1755-1793), Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, septembre 1791. Le XIXe siècle et la Révolution française (1992), Maurice Agulhon

Le préambule du texte est dédié à la reine. Cette féministe, l’une des premières de l’histoire, mourra guillotinée en 1793, après bien d’autres provocations.

Elle plaide pour l’égalité entre les sexes, ce qui inclut le droit de vote et l’éligibilité (permettant de monter à la tribune en tant que député). Mais c’est impossible aussi longtemps que la femme est considérée comme juridiquement mineure, soumise au père ou à l’époux. Les femmes seront finalement la « minorité » la plus durablement brimée, dans cette histoire. Quelques-unes vont s’illustrer, héroïnes et souvent martyres, dans la suite de la Révolution.

« De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée. »1428

DANTON (1759-1794), Législative, 2 septembre 1792. Discours de Danton, édition critique (1910), André Fribourg

Fin du discours célébrissime, punchline propre à galvaniser le peuple et ses élus : « Danton fut l’action dont Mirabeau avait été la parole », écrit Hugo (Quatre-vingt-treize). Tout le discours (génialement improvisé) mérite d’être cité, de la première à la dernière phrase : « Le tocsin qui sonne n’est point un signal d’alarme, c’est la charge contre les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, Messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée. »

Ce 2 septembre, la patrie est plus que jamais en danger. La Fayette, accusé de trahison, est passé à l’ennemi. Dumouriez, qui a démissionné de son poste de ministre, l’a remplacé à la tête de l’armée du Nord, mais le général ne parvient pas à établir la jonction avec Kellermann à Metz et Verdun vient de capituler, après seulement deux jours de siège : les Prussiens sont accueillis avec des fleurs par la population royaliste. C’est dire l’émotion chez les révolutionnaires à Paris ! La rumeur court d’un complot des prisonniers, prêts à massacrer les patriotes à l’arrivée des Austro-Prussiens qui serait imminente. On arrête 600 suspects qui rejoignent 2 000 détenus en prison. On parlera des « massacres de septembre ».

« De ce jour et de ce lieu date une ère nouvelle de l’histoire du monde et vous pourrez dire : j’y étais. »1435

GOETHE (1749-1832), Aus meinem Lebe : Dichtung und Warheit - De ma vie : Poésie et Vérité (1811-1833), autobiographie

« Von hier und heute geht eine neue Epoche der Weltgeschischte aus, und ihr koennt sagen ihr seid dabei gewesen. » Le plus grand écrivain allemand est présent à la bataille de Valmy (commune de la Marne), côté Prussiens. Il est conscient de vivre un événement majeur.

La retraite des troupes du duc de Brunswick, supérieures en nombre, reste à jamais une énigme. Il aurait dit : « Nous ne combattrons pas ici. »

« Vive la Nation ! »1436

Cri des troupes de Kellermann et Dumouriez à Valmy, 20 septembre 1792. Histoire de la Révolution française (1823-1827), Adolphe Thiers, Félix Bodin

Contre l’armée prussienne, ce cri nouveau est chargé d’un triple symbole : triomphe de l’idée de Nation, déchéance du roi, victoire de la République. Et Valmy arrête l’invasion de la France révolutionnaire. Ce contexte guerrier marque toute la Révolution, pour le pire et le meilleur de cet épisode majeur de l’Histoire.

Autre première historique, les femmes se sont engagées pour défendre la patrie proclamée en danger : ce sont les Vivandières, chantées par Béranger, présent à Paris au début de la Révolution, vrai poète populaire et toujours républicain de cœur : « J’ai pris part à tous vos exploits / En vous versant à boire. / Songez combien j’ai fait de fois / Rafraîchir la victoire. »

« Que la pique du peuple brise le sceptre des rois ! »1447

DANTON (1759-1794), Convention, 4 octobre 1792. Les Grands orateurs de la Révolution (1914), François-Alphonse Aulard

La pique a beaucoup servi sous la Révolution et pas seulement de façon métaphorique. Le peuple y a planté des têtes coupées, dès la prise de la Bastille. Quant à Danton, avocat révolutionnaire, agitateur dans l’âme et meneur d’hommes, il ne recule devant aucune violence, ni physique, ni verbale.

Face aux ennemis du dehors, aux rois étrangers menaçant les frontières, Danton dit dans ce même discours : « Jetons-leur en défi une tête de roi. » La Convention va donc décider de mettre Louis XVI en jugement, après une longue discussion qui oppose les Girondins aux Montagnards. Danton s’est rangé du côté de la Montagne qui l’emportera.

« Fils de Saint Louis, montez au ciel. »1478

Abbé EDGEWORTH de FIRMONT (1745-1807), confesseur de Louis XVI, au roi montant à l’échafaud, 21 janvier 1793. Collection des mémoires relatifs à la Révolution française (1822), Saint-Albin Berville, François Barrière

Le mot est rapporté par les nombreux journaux du temps. La piété de Louis XVI est notoire et en cela, il est fils de Saint Louis. C’est aussi le dernier roi de France appartenant à la dynastie des Capétiens, d’où le nom de Louis Capet sous lequel il fut accusé et jugé. À 38 ans, le voilà soudain royal dans l’épreuve finale.

« Si j’avance, suivez-moi ; si je meurs, vengez-moi ; si je recule, tuez-moi. »1487

Henri de LA ROCHEJAQUELEIN (1772-1794), aux milliers de paysans qui le proclament leur chef, 13 avril 1793. Le Dernier des Chouans : Louis Stanislas Sortant (2007), Bernard Coquet, préface de Jean Tulard

Comte, membre de la garde de Louis XVI, il reçut le baptême du feu en défendant le palais des Tuileries, le 10 août 1792. Ayant perdu son roi (emprisonné), il regagne ses terres de Vendée.

C’est l’un des chefs de l’insurrection vendéenne qui commence le 10 mars 1793. L’origine en est moins politique que religieuse. Le peuple, très catholique, est choqué par la politique révolutionnaire et hostile aux « patriotes » qui veulent imposer la Constitution civile du clergé, la loi du serment des prêtres.

La mort du roi, exécuté le 21 janvier, les décide à prendre les armes et à encadrer militairement leurs paysans et les métayers, révoltés par le décret sur la levée de 300 000 hommes rendu par la Convention le 24 février. Les prêtres réfractaires se joindront à cette contre-révolution armée. Les Anglais vont apporter une aide en argent, puis en hommes, à cette guerre civile contre une Révolution devenue trop conquérante. Blancs (insurgés) contre Bleus (patriotes) : 600 000 morts en 3 ans (la moitié de faim).

« Le peuple français vote la liberté du monde. »1284

SAINT-JUST (1767-1794), Convention, 24 avril 1793. Œuvres de Saint-Just, représentant du peuple à la Convention nationale (posthume, 1834)

Porté par l’Archange de la Révolution toujours exalté à 25 ans, superbe principe inscrit au chapitre « Des relations extérieures » dans la Constitution de 1793. Mais que de guerres s’ensuivront, dont la pureté idéologique est parfois discutable !

« Donnez un verre de sang à ce cannibale : il a soif ! »1496

Pierre Victurnien VERGNIAUD (1753-1793), à Marat vitupérant à la tribune de la Convention, 13 avril 1793

Marat l’Ami du peuple, très populaire auprès des sans-culottes à Paris, est haï de ses confrères et de la postérité : « Les siècles finissent par avoir une poche de fiel. Cette poche crève. C’est Marat. » Victor Hugo, Quatre-vingt-treize.

Depuis l’insurrection du 10 août 1792 et les massacres de septembre qu’il encouragea, Marat ne cesse d’attiser la haine, que ce soit dans son journal ou à l’Assemblée. Élu député, siégeant au sommet de la Montagne, président du club des Jacobins depuis le 5 avril 1793, il devient chaque jour plus redoutable, accusant, calomniant, injuriant, éructant. Nul ne semble pouvoir l’interrompre – notons à quel point le sang, mot et symbole, est présent dans cette histoire.

« Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort. »1516

Devise sur les flammes des drapeaux. Cahier noir (1944), François Mauriac

La nouvelle devise apparaît fin juin 1793, alors que les armées de la République font face à la coalition des armées impériales et royales de l’Europe. Un peu plus tard, elle sera gravée sur les bagues drapeau et remplacera la trilogie passée de mode : « La Nation, le Roi, la Loi ».

Elle apparaît aussi sur les murs de la capitale : le maire de la commune de Paris, Jean-Nicolas Pache, fait peindre cette devise et d’autres villes suivent la capitale, mais l’injonction sera abandonnée progressivement avec la fin de la Révolution : elle évoquait plus la Terreur que la République.

« Soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être. »1490

DANTON (1759-1794), Discours, Convention, 9 mars 1793. Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1901), Assemblée nationale

Parole de Montagnard - et l’orateur ne défend pas un principe. Il demande à l’Assemblée de concrétiser son projet de Tribunal révolutionnaire : « Organisons un tribunal, non pas bien, cela est impossible, mais le moins mal qu’il se pourra, afin que le glaive de la loi pèse sur la tête de ses ennemis. » Selon Danton, cela devrait éviter les massacres populaires. La suite de l’histoire va démontrer le contraire.

En même temps, il tente un rapprochement avec les Girondins. Mais la Gironde s’oppose à la Montagne, incarnée par Robespierre. De surcroît, Danton est devenu suspect aux deux partis : « Il a été permis de craindre que la Révolution, comme Saturne, dévorât successivement tous ses enfants. » Parole (et punchline) de Vergniaud, Girondin guillotiné fin octobre 1793.

« La Terreur est à l’ordre du jour. »1532

Convention, Décret du 5 septembre 1793. Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire en l’An II, 1793-1794 (1973), Albert Soboul

La pression populaire est impressionnante. Une députation du club des Jacobins soutient les sans-culottes à l’Assemblée. Pour éviter d’être débordée, la Convention cède en se plaçant sur le plan du droit. Une Première Terreur (six semaines) avait succédé au 10 août 1792. Cette fois, elle va prendre une autre ampleur et mériter bientôt le nom de Grande Terreur.

« Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort. »1552

Olympe de GOUGES (1755-1793), guillotinée le 3 novembre 1793. Son mot de la fin. Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris, avec le Journal de ses actes (1880), Henri Alexandre Wallon

Féministe pionnière, coupable d’avoir écrit en 1791 une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, d’avoir défendu le roi, puis « politiqué » courageusement contre Robespierre en « brissotine » (synonyme de girondine), elle a été arrêtée en juillet 1793.

Femme de lettres, et femme libre jusqu’à la provocation, elle est comparable à George Sand au siècle suivant, mais ce genre de provocation est encore plus mal vu, en 1793 ! La reconnaissance espérée par la condamnée sera tardive. Elle est toujours candidate à la panthéonisation.

« Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! »1554

Mme ROLAND (1754-1793), montant à l’échafaud et s’inclinant devant la statue de la Liberté (sur la place de la Révolution), 8 novembre 1793. Mot de la fin. Le Nouveau Tableau de Paris (1799), Louis Sébastien Mercier

Son mari, poursuivi comme Girondin et réfugié à Rouen, apprenant la mort de sa femme, se tuera deux jours après.

Manon Roland fit preuve d’une belle énergie et d’une plume infatigable, dans sa prison (l’Abbaye, puis la Conciergerie). Elle écrit pour se défendre devant le Tribunal révolutionnaire, même sans espoir. Elle écrit ses Mémoires, destinées à sa fille Eudora. Elle écrit des lettres, notamment à son ami Buzot qui, contrairement à elle, a fui comme son mari, pour échapper au sort des Girondins. Il se suicidera lui aussi, apprenant quelques mois plus tard la mort de Manon Roland qui rejoignit la charrette des Girondins.

« Est-ce qu’on emporte la patrie à la semelle de ses souliers ? »1579

DANTON (1759-1794), à son ami Legendre qui le prévient du danger et l’exhorte à s’enfuir à l’étranger, mars 1794. Histoire de la Révolution française, 1789-1799 (1883), Alfred Rambaud

Suspect d’indulgence ( !), il va braver Robespierre jusqu’à la fin. Cette phrase condamne aussi l’attitude des émigrés. Le 30 mars, il est arrêté comme ennemi de la République. Seul Legendre essaie timidement, mais en vain, de le défendre à la Convention.

Tout opposait l’Incorruptible et le bourgeois bon vivant : « Qui hait les vices hait les hommes », affirme Danton, notoirement débauché, par ailleurs compromis dans certaines affaires financières. Tous deux avocats, comme beaucoup de députés, ils ont lu les mêmes philosophes des Lumières. Mais Michelet montre la différence entre la rigueur de l’un et la complexité de l’autre, source de tant de paradoxes et d’ambiguïtés : « Si de Rousseau vint Robespierre, de Diderot jaillit Danton. » Danton dénonce par ailleurs la dérive montagnarde : pitoyable procès de Marie-Antoinette, déchristianisation forcée d’une France profondément catholique.

Enfin, l’homme est épuisé par ces derniers combats : « Mieux vaut être guillotiné que guillotineur », dit-il.

« Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut bien la peine. »1584

DANTON (1759-1794), mot de la fin au bourreau, avant de poser sa tête sous le couperet de la guillotine, 5 avril 1794. Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris (1862), Émile Campardon

C’est « une gueule » et il en a bien joué ! Personnage éminemment théâtral, orateur né, il a suscité des haines farouches, mais fasciné le peuple et l’Assemblée nationale. Son sens de la formule est remarquable, littéralement jusqu’à la fin. Son ennemi intime, Robespierre n’aura jamais ce talent de punchliner.

« Les têtes tombaient comme des ardoises. »1595

FOUQUIER-TINVILLE (1746-1795), après la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794). Histoire de la Révolution française (1823-1827), Adolphe Thiers, Félix Bodin

Parole d’accusateur public, cynique notoire et chargé de tous les grands procès sous la Terreur à Paris.

Deux jours après la fête de l’Être suprême voulue par Robespierre, la loi de Prairial énumère tous les ennemis du peuple promis à l’échafaud et justiciables du Tribunal révolutionnaire. Ce n’est plus qu’une parodie de justice : l’instruction est supprimée (article 12), l’accusé privé du secours d’un avocat (article 16), l’audition des témoins n’est plus nécessaire, s’il y a une preuve matérielle ou simplement « morale » (article 13).

Fouquier-Tinville se réjouit du nombre de têtes et ajoute : « Il faut que ça aille mieux encore la décade prochaine, il m’en faut quatre cent cinquante au moins. » Pour cela, on passe commande aux « moutons », chargés d’espionner les suspects dans les prisons. C’est la Grande Terreur : plus de 1 300 exécutions à Paris, du 10 juin au 27 juillet (9 thermidor). Selon une étude de Donald Greer qui fait référence, 16 600 victimes sont exécutées en France après condamnation par une cour de justice révolutionnaire – avec près de 500 000 arrestations, de mars à juillet 1794.

« La Révolution française est un bloc dont on ne peut rien distraire. »1635

Georges CLEMENCEAU (1841-1929), Discours, Chambre des députés, 29 janvier 1891. Grands moments d’éloquences parlementaire [en ligne], Assemblée nationale

Phrase peut-être la plus citée (et tronquée), donc la plus mal comprise, hors de son contexte. Homme de gauche, Clemenceau répond à deux députés de droite (Déroulède et le comte de Bernis) et défend la liberté d’expression, à propos de Thermidor, pièce de Victorien Sardou dénonçant les excès de la Révolution.

« La Révolution n’est pas un bloc. Elle comprend de l’excellent et du détestable. »1636

Édouard HERRIOT (1872-1957), Aux sources de la liberté (1939)

Réponse à Clemenceau. On peut débattre à l’infini. En fait, tout est dans cette Révolution. Ainsi que l’écrit Cioran : « Il faudrait la raconter comme la geste des qualités mais aussi de tous les défauts des Français. »

Quoiqu’il en soit, c’est la période la plus riche en punchlines de toute notre Histoire ! Par le contexte dramatique, le talent de tous ses acteurs, le génie de certains. Et de la Révolution naît Napoléon Bonaparte, aussi doué pour la parole que pour l’action, lui aussi pour le meilleur et pour le pire.

DIRECTOIRE (1795-1799)

« Là où il n’y a point de finances, il n’y a pas besoin de ministre. »1651

Martin Michel Charles GAUDIN (1756-1841), refusant le ministère des Finances. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Financier d’expérience, il refuse ce cadeau empoisonné aux Directeurs qui forment le nouveau gouvernement, le 8 novembre 1795. Le régime sera marqué par une crise à la fois économique, financière et sociale.

Napoléon Bonaparte fera appel à cet « homme tout d’une pièce, une forteresse inattaquable pour la corruption » et Gaudin reviendra aux affaires en 1799 – après le coup d’État de Brumaire qui met fin au régime du Directoire et aboutit au Consulat.

« Peuple ! Réveille-toi à l’Espérance. »1643

Gracchus BABEUF (1760-1797), Le Tribun du Peuple, 30 novembre 1795

Ce révolutionnaire a passé une partie de la Terreur en prison et fonde son journal au lendemain du 9 thermidor an II (27 juillet 1794). Il y expose ses théories communistes, privilégiant la notion de lutte des classes et visant à une société des Égaux. Il se prépare maintenant à passer à l’action, âme de la conspiration des Égaux pour renverser le régime, 11 mai 1796. Il sera condamné à mort et exécuté.

« Nous vous avons donné la liberté ; sachez la conserver. »1666

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Proclamation au peuple cisalpin, Quartier général de Milan, 11 novembre 1797. Œuvres de Napoléon Bonaparte (posthume, 1822), Napoléon Empereur

La (première) campagne d’Italie est achevée. En un an, le jeune général a détruit quatre armées autrichiennes, donné à la France une partie du Piémont, fondé deux républiques en Lombardie, conquis l’Italie.

La République cisalpine est formée en juin 1797 avec Milan pour capitale, et reconnue par l’Autriche au traité de Campoformio (17 octobre) : c’est la fin de l’Ancien Régime dans l’ensemble de la Péninsule qui reçoit des institutions sur le modèle français, c’est aussi la victoire des libéraux italiens : « Vous êtes le premier exemple, dans l’histoire, d’un peuple qui devient libre, sans factions, sans révolutions et sans déchirements […] Vous êtes, après la France, la République la plus riche, la plus populeuse. »

« Soldats, songez que du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent. »1671

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Proclamation supposée, avant la bataille des Pyramides du 21 juillet 1798. Les Français en Égypte (1855), Just-Jean-Étienne Roy

Débarquement à Alexandrie, le 1er juillet : la ville tombe aux mains des Français le 2 juillet et le 23, ils entrent dans la capitale, Le Caire. Cette expédition est un rêve oriental qui se réalise.

Le corps expéditionnaire a échappé par miracle à la flotte britannique commandée par Nelson. Pour en finir au plus vite, Bonaparte prend le chemin le plus court, entre Alexandrie et Le Caire : le désert, trois semaines de chaleur qui pouvaient être fatales aux soldats non préparés. Et près des pyramides de Gizeh, la bataille contre les mamelouks est réglée en deux heures ! Pourtant, le rêve finit mal : Bonaparte fera retraite et rentre à Paris, sans payer cet échec militaire.

« Souvenez-vous que je marche accompagné du dieu de la guerre et du dieu de la fortune. »1679

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Conseil des Anciens, 19 brumaire an VIII (10 novembre 1799). Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Les députés des deux assemblées doivent voter la révision de la Constitution, encore faut-il convaincre le Conseil des Cinq-Cents, majoritairement contre. Lucien Bonaparte, qui préside l’Assemblée, sauve la mise. Napoléon lui en sera toujours reconnaissant. Le « coup d’État du 18 Brumaire » a finalement réussi, le 19.

« Messieurs, nous avons un maître, ce jeune homme fait tout, peut tout et veut tout. »1681

Abbé SIEYÈS (1748-1836), tirant la leçon du coup d’État du 18 Brumaire, après la réunion du 11 novembre 1799. Le Réalisme (1857), Champfleury

L’abbé (homosexuel notoire) est ébloui par Bonaparte qui exerce toujours un irrésistible ascendant sur autrui. Cette fois, il l’a vu dominer tous les sujets : armée, administration, finances, droit, politique. Doué d’une intelligence à la fois synthétique et analytique, l’homme possède aussi une excellente mémoire et une force de travail stupéfiante. Il a tout pour entrer dans l’histoire à 29 ans. Le Consulat sera la plus belle page de son destin.

Sieyès, qui a parfaitement manœuvré jusque-là, va perdre pratiquement tout pouvoir. Non sans regret, il a compris qu’il faut s’effacer. L’empereur ne sera pas totalement ingrat, lui donnant comme lot de consolation un poste de sénateur et le titre de comte. Exilé sous la Restauration comme régicide, il reviendra sous la Monarchie de Juillet et mourra en 1836, bien après l’empereur déchu.

CONSULAT (1799-1804)

« Les hommes de génie sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur siècle. »1766

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Discours de Lyon, 1791

Les premiers mots que l’histoire a retenus du futur empereur. Bonaparte, 22 ans, lieutenant d’artillerie, participe au concours ouvert par l’Académie de Lyon. Le thème : l’éducation à donner aux hommes pour les mettre sur le chemin du bonheur – d’où l’autre nom du « Discours sur le bonheur ». Le talent d’expression et l’ambition évidente offrent cette phrase prémonitoire que n’aurait pas désavouée Hugo ou Chateaubriand.

Du chef de brigade à l’empereur déchu, l’aventure va durer vingt-deux ans. C’est assez pour en faire l’un des personnages les plus célèbres au monde, « le plus grand héros de tous les temps », pour l’Encyclopædia Britannica. Et toujours comparé aux plus grands : « Qu’est-ce donc que cette chose dont parle Alexandre lorsqu’il évoque sa destinée, César sa chance, Napoléon son étoile ? Qu’est-ce donc sinon la confiance qu’ils avaient tous les trois dans leur rôle historique ? » Charles de Gaulle (Mémoires). Le général avait lui aussi le sens du destin.

« Vivant, il a manqué le monde ; mort, il le possède. »1783

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Vie de Napoléon, livres XIX à XXIV des Mémoires d’outre-tombe (posthume)

Styliste sans égal, grand témoin et acteur de l’histoire, pour lui, la plus belle conquête de Napoléon n’est pas l’Europe, mais celle de l’imagination des générations qui ont suivi l’Empire. Il ne cessera d’être fasciné par l’empereur, alors même qu’il le combat, en opposant résolu : « Cet homme, dont j’admire le génie et dont j’abhorre le despotisme. »

« Nous avons fini le roman de la Révolution : il faut en commencer l’histoire… »1683

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), au Conseil d’État, le lendemain du coup d’État du 18 Brumaire (9 novembre 1799). L’Europe et la Révolution française (1885), Albert Sorel

« … et voir ce qu’il y a de réel et de possible dans l’application de ces principes, et non ce qu’il y a de spéculatif et d’hypothétique. Suivre aujourd’hui une autre marche, ce serait philosopher et non gouverner. » Autrement dit, au travail !

Bonaparte va mettre à profit quelques mois de trêve, pour beaucoup et bien travailler avec ses conseillers d’État. Ses collaborateurs assurent qu’il travaille dix-huit heures par jour et Le Publiciste (futur Journal des Débats) confirme : « Jamais chef d’État n’a plus travaillé par lui-même. »

Définir son programme, c’est naturellement se situer face à l’événement majeur qu’il a vécu, en témoin et en acteur. Et les historiens de discuter à l’infini : le Bonaparte du Consulat (avant le Napoléon de l’Empire) est-il le continuateur ou le liquidateur de la Révolution, voire, pour les plus extrêmes, son sauveur ou son fossoyeur ?

« De Clovis jusqu’au Comité de salut public, je me sens solidaire de tout. »1686

Napoléon BONAPARTE (1769-1821). JO de la République française, n° 57 (1988), Maurice Schumann au Sénat, 9 décembre 1988

C’est l’un des principes politiques du nouveau dirigeant de la France, né de la Révolution et qui a vu ses excès, sans pour autant participer à la Terreur et au Comité de salut public comme certains de ses collaborateurs ou ministres - à commencer par Carnot, Barras, et surtout Fouché, incontournable ministre de sa police.

« La Révolution est finie. »1689

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Déclaration consulaire (résumée), 25 décembre 1799

Ce n’est pas la première fois que ces mots furent prononcés, mais on peut considérer que c’est bien la dernière. La vraie citation est un peu plus longue : « La Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée : elle est finie. »

« Rendre la République chère aux citoyens, respectable aux étrangers, formidable aux ennemis, telles sont les obligations que nous avons contractées en acceptant la première magistrature. »1690

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Déclaration consulaire, 25 décembre 1799. Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’empereur Napoléon III (1858)

Après publication de la nouvelle Constitution (13 décembre), le Premier Consul annonce en ces termes aux Français le programme du Consulat qui doit se démarquer en tout du Directoire.

« Venez à moi, mon gouvernement sera celui de la jeunesse et de l’esprit. »1691

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), aux jeunes chefs vendéens, fin décembre 1799. La Contre-révolution sous la Révolution, 1789-1815 (1935), Louis Madelin

Dès son arrivée au pouvoir et profitant de l’état de grâce, il veut avant tout réconcilier les Français dramatiquement déchirés depuis dix ans. De Gaulle aurait dit de manière imagée qu’il a « ramassé la France à la petite cuillère ».

S’il s’adresse d’abord aux jeunes chefs vendéens, c’est qu’il sait leur valeur et combien cette guerre civile a fait de victimes sur le terrain, de dégâts dans les esprits et les cœurs.

« Gouverner par un parti, c’est se mettre tôt ou tard dans sa dépendance. On ne m’y prendra pas. Je suis national. »1692

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), au Conseil d’État, fin 1799. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919, volume III (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

Qu’il l’ait dit à Cambacérès ou à Thibaudeau (selon les sources), peu importe et il l’a répété à diverses occasions, au début de son Consulat : c’est un autre principe de sa politique et un point fort de sa stratégie d’homme d’État.

La logique des partis fut fatale aux révolutionnaires – au sens littéral, si on se rappelle tous ceux guillotinés pour être ou ne pas être de tel ou tel parti, courant, tendance, nuance, club et autre faction ! Le régime des partis se révélera également funeste aux Républiques qui se suivront et (en cela du moins) se ressembleront, pendant deux siècles. De Gaulle lui-même, autre général entré en politique à la faveur d’événements dramatiques, n’aura pas de mot assez fort ou méprisant pour fustiger les partis, leur jeu, et l’instabilité gouvernementale qui s’ensuit.

Cela dit, les partis sont inhérents à la démocratie. De Gaulle la respectera, Bonaparte n’a pas ce genre de problème et Napoléon se comportera bientôt en dictateur, dès l’instant qu’on lui résiste ou qu’on le contredit.

« Une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole. »1703

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Allocution aux curés de Milan, 5 juin 1800

Seconde campagne d’Italie. Après être entré dans la ville en vainqueur, il ajoute cette idée qui lui est chère : « Il n’y a que la religion qui donne à l’État un appui ferme et durable. » Ce n’est donc pas une déclaration de circonstance, pour plaire à son auditoire.

« Ma politique est de gouverner les hommes comme le grand nombre veut l’être […] C’est la manière de reconnaître la souveraineté du peuple. »1711

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Déclaration au Conseil d’État, 1er août 1800. L’Europe et la Révolution française (1907), Albert Sorel

En cette année 1800, il y a entente parfaite entre la volonté du peuple et la politique de l’homme au pouvoir. La plupart des problèmes viendront quand il y aura divorce entre les deux.

« On ne conduit le peuple qu’en lui montrant un avenir : un chef est un marchand d’espérances. »1768

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Maximes et pensées

Précisant cette pensée, il dira aussi : « L’imagination gouverne le monde » (Mémorial). Et en 1800 : « Je ne suis qu’un magistrat de la République qui n’agit que sur les imaginations de la nation ; lorsque ce moyen me manquera, je ne serai plus rien ; un autre me succédera. » Et encore : « On ne peut gouverner l’homme que par l’imagination ; sans l’imagination, c’est une brute ! Ce n’est pas pour cinq sous par jour ou pour une chétive distinction que l’on se fait tuer ; c’est en parlant à l’âme que l’on électrise l’homme. »

C’est un message qui a dû plaire au général de Gaulle, grand admirateur de l’empereur.

« C’est avec des hochets que l’on mène les hommes ! »1725

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Déclaration au Conseil d’État, 8 mai 1802. Histoire de France contemporaine depuis la Révolution jusqu’à la paix de 1919, volume III (1921), Ernest Lavisse, Philippe Sagnac

Il expose ses idées sur la Légion d’honneur et réplique au conseiller d’État Berlier qui réservait aux monarchies les hochets et les rubans, ces distinctions indignes d’une république : « Les Romains avaient des patriciens, des chevaliers, des citoyens et des esclaves. Ils avaient pour chaque chose des costumes divers, des mœurs différentes. Ils décernaient en récompense toutes sortes de distinctions, des noms qui rappelaient des services, des couronnes murales, le triomphe ! Je défie qu’on me montre une république ancienne ou moderne dans laquelle il n’y ait pas eu de distinctions. On appelle cela des hochets ! Eh bien ! c’est avec des hochets que l’on mène les hommes. »

En vertu de quoi l’ordre de la Légion d’honneur est créé le 19 mai 1802 pour récompenser les services militaires et civils. Un décret du 11 juillet 1804 instituera la décoration nationale de la Légion d’honneur. Conseil d’État, Tribunat et Corps législatif n’approuvèrent l’idée du Premier Consul qu’à une faible majorité. Pourtant, l’ordre existe toujours : le président de la République française en est aujourd’hui le grand maître.

« Nous sommes trente millions d’hommes réunis par les Lumières, la propriété et le commerce. »1726

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Conseil d’État, 4 mai 1802. Mémoires sur le Consulat (1827), comte Antoine-Claire Thibaudeau

Voilà une définition de la nation qu’aurait pu signer Necker, Sieyès ou Benjamin Constant. Grâce à la paix extérieure et intérieure momentanément retrouvée, agriculture, industrie et commerce se développent, la France se réforme (administration, monnaie, fiscalité, éducation).

« L’air est plein de poignards. »1741

Joseph FOUCHÉ (1759-1820), mi-janvier 1804. Fouché (1903), Louis Madelin

Bien que n’étant plus au ministère de la Police (supprimé entre 1802 et 1804), il apprend la présence de Pichegru à Paris, général traître, déporté par le Directoire, évadé du bagne. Cadoudal est complice, chef chouan charismatique, déjà impliqué dans l’attentat de la rue Saint-Nicaise, fin 1800, et que Bonaparte a essayé de se rallier. Le général Moreau s’est plus ou moins joint au complot, s’estimant mal payé des services rendus au pouvoir, mais refusant de servir les royalistes. Ces hommes ont le projet d’enlever le Premier Consul.

Bonaparte informé, la capitale est mise aussitôt en état de siège.

« Qu’il est affreux de mourir ainsi de la main des Français ! »1745

Duc d’enghien (1772-1804), quelques instants avant son exécution, 21 mars 1804. Son mot de la fin. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Bonaparte a la preuve que le prince de 32 ans, dernier rejeton de la prestigieuse lignée des Condé, n’est pour rien dans le complot Cadoudal, même s’il est le chef d’un réseau antirépublicain qui a fait le projet de l’assassiner.

De tous les condamnés à mort réellement impliqués, il ne regrettera que Cadoudal, 33 ans. Pichegru s’est suicidé dans sa cellule. Moreau, jugé, condamné à deux ans de prison, sera finalement exilé.

Mais l’histoire retient surtout le drame du duc d’Enghien. Bonaparte l’a laissé condamner après un simulacre de jugement, puis fusiller la nuit même dans les fossés de Vincennes. Sans regret ni remords.

« C’est pire qu’un crime, c’est une faute. »1747

Antoine Claude Joseph BOULAY de la MEURTHE (1761-1840), apprenant l’exécution du duc d’Enghien, le 21 mars 1804. Mot parfois attribué, mais à tort, à FOUCHÉ (1759-1820) ou à TALLEYRAND (1754-1838). Les Citations françaises (1931), Othon Guerlac

L’un des mots les plus célèbres de l’histoire, attaché à un fait divers navrant. Conseiller d’État et pourtant fidèle à Bonaparte du début (coup d’État de brumaire) à la fin (Cent-Jours compris), il a ce jugement sévère. Le mot est parfois attribué à Fouché (par Chateaubriand) ou à Talleyrand (par J.-P. Sartre). Mais les deux hommes ont eux-mêmes poussé Bonaparte au crime et il n’est pas dans leur caractère de s’en repentir.

Cette exécution sommaire indigne l’Europe. Et toutes les têtes couronnées se ligueront contre l’empereur – là est « la faute ». Le drame émeut la France : détails sordides de l’exécution et douleur de la princesse Charlotte de Rohan-Rochefort qui portera toute sa vie le deuil de cet amour. Mais les royalistes se rallieront majoritairement à Napoléon – et en cela, il a politiquement bien joué.

« La saignée entre dans les combinaisons de la médecine politique. »1746

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Le Bonapartisme (1980), Frédéric Bluche

Empereur, il écrira ces mots, en repensant à l’exécution du duc d’Enghien. Et dans son testament à Sainte-Hélène, il revendique la responsabilité de cet acte que la postérité jugera toujours comme un crime.

PREMIER EMPIRE (1804-1814)

« Le cœur d’un homme d’État doit être dans sa tête. »1771

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Mémorial de Sainte-Hélène (1823), Las Cases

Voici l’une des clés du personnage. Priorité donnée à la raison, à l’intelligence : « J’ai toujours aimé l’analyse : « pourquoi » et « comment » sont des questions si utiles qu’on ne saurait trop se les poser. » Mais il fait la part des choses : « Il faut donner les deux tiers à la raison, et l’autre tiers au hasard. Augmentez la seconde fraction, vous serez téméraire ; augmentez la première, vous serez pusillanime. »

Emmanuel Augustin Dieudonné, comte de Las Cases, est nommé chambellan et comte d’Empire en 1810. Après la seconde abdication de Napoléon en 1815, il est son compagnon à Sainte-Hélène durant dix-huit mois et note les propos de l’illustre exilé. Le Mémorial est une contribution à l’histoire, mais aussi à la légende napoléonienne. Les deux se confondent, surtout dans ce cas.

« La haute politique n’est que le bon sens appliqué aux grandes choses. »1772

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Maximes et pensées. Histoire du Consulat et de l’Empire (1937-1953), Louis Madelin

Pragmatisme évident. Mais l’empereur dit aussi : « En politique, une absurdité n’est pas un obstacle. » Et d’ajouter : « Lorsqu’on s’est trompé, il faut persévérer ; cela donne raison » (Maximes et Pensées). Le problème est son entêtement forcené, dans la solitude du pouvoir où l’empereur n’admet plus aucun contradicteur, et son déni de la réalité à la fin de l’histoire.

Il avoue encore : « Bien analysée, la pensée politique est une fable convenue, imaginée par les gouvernants pour endormir les gouvernés. » Précisant que « la bonne politique est de faire croire aux hommes qu’ils sont libres. » Napoléon est un dictateur qui ne cache pas son jeu, avec une franchise qui confine au cynisme.

« On gouverne mieux les hommes par leurs vices que par leurs vertus. »1773

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Maximes et pensées

L’empereur est sans illusion sur la nature humaine. « J’ai fait des courtisans, je n’ai jamais prétendu me faire des amis. » Les vraies fidélités, il les trouvera dans la Grande Armée, chez ses généraux comme chez les soldats.

« Quand j’ai besoin de quelqu’un, je n’y regarde pas de si près, je le baiserais au cul. »1774

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Mémoires du général de Caulaincourt, duc de Vicence, grand écuyer de l’empereur (posthume, 1933)

Caulaincourt connaît l’homme, il fut aide de camp de Bonaparte en 1802, puis ambassadeur en Russie de 1807 à 1811. Étonnante parole, aveu rarement cité.

On pourrait s’amuser à deviner les circonstances où c’est arrivé à Napoléon : avec Talleyrand qu’il pria plusieurs fois de redevenir ministre des Affaires étrangères, avant de l’envoyer en mission diplomatique secrète auprès du tsar (entrevue d’Erfurt en septembre 1808) ; avec Fouché qu’il garde à la Police tout en sachant que l’homme est capable du pire ; avec le roi Georges II d’Angleterre et l’empereur François d’Autriche, ses pires ennemis à qui il donne par lettre du « Monsieur mon frère » en janvier 2005, pour dire son désir de paix si peu crédible ; avec Pie VII qu’il a ménagé au temps du Concordat et du sacre, avant de le traiter en « prêtraille romaine » et en otage ?

« Je n’ai pas succédé à Louis XVI, mais à Charlemagne. »1799

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Pie VII, le jour du sacre en la cathédrale Notre-Dame de Paris, 2 décembre 1804. Napoléon a dit (1996), Lucian Regenbogen, préface de Jean Tulard

À peine couronné empereur des Français par le pape, il dévoile sa véritable ambition, le titre d’empereur d’Occident à la tête du Grand Empire. Oublie-t-il que l’empire de Charlemagne finit mal ? Selon Louis Madelin, « Il ne rêvait certainement pas d’un empire unitaire, mais d’une confédération d’États : il parlera, un jour, des États-Unis d’Europe » (Histoire du Consulat et de l’Empire : vers l’empire d’Occident). D’autres historiens s’interrogent quand même.

Le 7 septembre 1804, résidant à Aix-la-Chapelle, Napoléon qui s’est recueilli devant le tombeau de Charlemagne a ordonné une procession solennelle avec tous les symboles impériaux (couronne, épée, main de justice, globe, éperons d’or). Et le sacre se tient à Paris, non pas à Reims, comme de tradition pour les rois de France.

« Commediante ! Tragediante ! »  
« Comédien ! Tragédien ! »1781

PIE VII (1742-1823). Servitude et grandeur militaires (1835), Alfred de Vigny

Ces deux mots n’ont peut-être pas été prononcés tels qu’ils sont passés à la postérité, mais ils reflètent ce que ce pape de caractère pensait de l’empereur.

Don de la simulation et sens théâtral sont deux qualités reconnues au grand premier rôle que fut Napoléon, sur la scène de l’histoire. Son don de la mise en scène, il en joue en artiste : « Rien n’interrompt aussi bien une scène tragique qu’inviter l’autre à s’asseoir ; lorsqu’il est assis, le tragique devient comique. » Il a pris des cours avec le plus célèbre sociétaire de la Comédie-Française, son ami Talma. Il sait donner une dimension épique aux défaites comme aux victoires, revues et corrigées par les peintres voués à sa propagande. Mais le sommet de l’art reste le sacre dont Pie VII est témoin plus encore qu’acteur condamné au second rôle : Napoléon tint à se couronner lui-même, le pape n’a béni que la couronne !

Après la signature du Concordat et la cérémonie du sacre, les relations vont se gâter entre le pape et l’empereur.  Pie VII refuse de se joindre au Blocus de l’Angleterre, Napoléon annexe les États de l’Église, le pape l’excommunie, l’empereur le fait enlever. C’est l’Otage mis en scène par Paul Claudel.

« Soldats, je suis content de vous. »1809

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Proclamation d’Austerlitz, 2 décembre 1805. Histoire de l’empereur Napoléon (1834), Abel Hugo

Abel Hugo est le frère aîné de Victor et leur père, général d’Empire, a participé à toutes les guerres de Napoléon. Cela explique en partie l’inspiration et la nostalgie impériales dans la famille.

Au soir de cette victoire magistrale, le général sait comme toujours trouver les mots pour ses troupes. Pour l’heure, le plus simple est le plus vrai.

« Il vous suffira de dire : j’étais à la bataille d’Austerlitz, pour qu’on vous réponde : voilà un brave ! »1810

NAPOLÉON Ier (1769-1821), fin de la Proclamation d’Austerlitz, 2 décembre 1805. Faits mémorables de l’histoire de France (1844), Louis Michelant

Cette « bataille des Trois Empereurs » opposa les 65 000 hommes de Napoléon aux 90 000 hommes d’Alexandre Ier (Russie) et de François II (Saint Empire romain germanique). Le dieu de la guerre et de la fortune est avec Napoléon : le brouillard matinal cache ses mouvements à l’ennemi et le soleil d’Austerlitz brille sur une suite de manœuvres tactiques hardies et réussies – un classique, enseigné dans les écoles de guerre. Le bronze des 180 canons ennemis sera fondu pour édifier la colonne Vendôme (inspirée de la colonne de Trajan, à Rome).

La victoire d’Austerlitz met fin à la troisième coalition – l’Angleterre est invaincue, mais reste seule. Le traité de Presbourg est signé le 26 décembre par François II qui abdique la couronne du Saint Empire et reconnaît la Confédération du Rhin : suite de ses humiliations (commencées sous la Révolution) et ce n’est pas fini. Mais le tsar ne signe pas. Après d’autres défaites, il sortira vainqueur du duel avec Napoléon, dans la campagne de Russie.

« Sire, le combat finit faute de combattants. »1819

Joachim MURAT (1767-1815) à Napoléon, Magdebourg, 11 novembre 1806. Napoléon et ses maréchaux (1910), Émile Auguste Zurlinden

Trois semaines après Iéna, paraphrasant Rodrigue dans Le Cid, Murat rend compte à l’empereur de cette nouvelle victoire. La garnison prussienne s’est rendue à Ney. Bilan : 110 000 prisonniers en 36 jours de campagne. L’armée prussienne est anéantie. Napoléon comme Bonaparte menant ses troupes est pour l’heure protégé par le dieu de la guerre et de la fortune.

« Tenez, Monsieur, vous n’êtes que de la merde dans un bas de soie. »1834

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Talleyrand, Conseil des ministres restreint convoqué au château des Tuileries, 28 janvier 1809. Mémoires et Correspondance du prince de Talleyrand (posthume, 1891)

D’Espagne où il tente d’affermir le trône de son frère Joseph, Napoléon a appris que Talleyrand complote avec Fouché pour préparer sa succession – sans nouvelles de lui, on l’imagine victime de la guérilla qui fait rage.

Il rentre aussitôt, épargne momentanément Fouché, son ministre de la Police, mais injurie le prince de Bénévent : « Vous êtes un voleur, un lâche, un homme sans foi. Vous ne croyez pas à Dieu ; vous avez toute votre vie manqué à tous vos devoirs, vous avez trompé, trahi tout le monde […] Tenez, Monsieur, vous n’êtes que de la merde dans un bas de soie. » Talleyrand reste impassible – Napoléon sort en claquant la porte.

« Quel dommage, Messieurs, qu’un si grand homme soit si mal élevé ! »1835

TALLEYRAND (1754-1838). Talleyrand, ou le Sphinx incompris (1970), Jean Orieux

La citation est parfaitement en situation, ce 28 janvier 1809, après l’injure lancée devant témoins par l’empereur furieux. Talleyrand se venge de l’affront public avec une certaine classe diplomatique. Il semble qu’il ait redit ce mot à divers ambassadeurs.

« Il avait l’air de se promener au milieu de sa gloire. »1839

CAMBACÉRÈS (1753-1824), archichancelier de l’Empire et duc de Parme, parlant de Napoléon en 1809. Histoire du Consulat et de l’Empire (1847), Adolphe Thiers

La cinquième coalition qui réunit l’Angleterre et l’Autriche en 1809 s’est vite soldée par la victoire de Napoléon sur l’Autriche. Défaite par la Grande Armée à Wagram (5 et 6 juillet), elle signe la paix de Vienne (14 octobre), perd 300 000 km2 et 3 500 000 habitants.

« Il est le Souverain de l’Europe. »1840

METTERNICH (1773-1859), 1809. Mémoires, documents et écrits divers laissés par le prince de Metternich, chancelier de cour et d’État, volume II (1880)

Parole de connaisseur. Ambassadeur d’Autriche en France depuis 1806, le prince de Metternich est nommé chancelier et ministre des Affaires étrangères, en octobre 1809, signant à ce titre l’humiliant traité (ou paix) de Vienne. Il choisit alors de s’allier à Napoléon – pour mieux l’abattre le moment venu. Et c’est lui qui va négocier son mariage avec Marie-Louise d’Autriche.

Cette domination culmine en 1811 : le Grand Empire comporte 130 départements qui réuniront 45 millions de « Français », plus 40 millions d’habitants des États vassaux (Italie, Espagne, Naples, duché de Varsovie, Confédération du Rhin, Confédération helvétique).

« Je me donne des ancêtres. »1844

NAPOLÉON Ier (1769-1821), château de Compiègne, 27 mars 1810. Metternich (1965), Henry Vallotton

« Ivre d’impatience, ivre de félicité », il apprend la valse (viennoise) et attend sa future femme, Marie-Louise : archiduchesse d’Autriche, descendante de l’empereur Charles Quint et petite-nièce de Marie-Antoinette. Napoléon, de petite noblesse corse (d’origine génoise), évoque volontiers « ma malheureuse tante Marie-Antoinette » et « mon pauvre oncle Louis XVI ». Cette union flatte son orgueil.

Il s’est décidé en février, après négociation avec Metternich qui veut sceller la paix avec la France. La hâte impériale a embarrassé le nouvel ambassadeur d’Autriche à Paris : pas le temps de prévenir l’empereur d’Autriche avant que Napoléon annonce sa décision aux Français ! Mais personne ne peut rien refuser à Napoléon.

« L’Autriche fit au Minotaure le sacrifice d’une belle génisse. »1845

Prince de LIGNE (1735-1814). L’Europe et la Révolution française (1904), Albert Sorel

De Ligne commente le mariage impérial en authentique prince autrichien, avec des références mythologiques familières au monde de son temps. Mais qui pense à l’humiliation du père de la mariée, François Ier d’Autriche, empereur romain germanique ? Le mariage de Marie-Louise et de Napoléon aura lieu le 1er avril 1810.

« C’est un ventre que j’épouse. »1846

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Le Fils de l’empereur (1962), André Castelot

Napoléon confirme la référence à la « belle génisse » sacrifiée par l’Autriche et assume le rôle du Minotaure prédateur, sans y mettre les formes. Il manifeste tant de hâte qu’on parle d’un enlèvement plus que d’un mariage. La cérémonie religieuse a lieu le 2 avril 1810. Marie-Louise a 18 ans, il vit une lune de miel de trois semaines qui le comble et sa seconde femme lui donnera un fils, le 20 mars 1811 : le roi de Rome, l’Aiglon – fils de l’Aigle.

« Pourvu que cela dure. »1848

Madame MÈRE, alias Marie Letizia (ou Laetitia) Ramolino (1750-1836). Mercure de France, volume CXXXI (1919), publié par Alfred Louis Edmond Vallettee

C’est devenu un proverbe. La mère de Napoléon eut treize enfants. Mariée à 14 ans et morte à 97, elle femme vit modestement à l’écart de la cour. Qu’on imagine ce qu’elle pensait, devant l’incroyable ascension du plus célèbre de ses fils qui ne manque pas une occasion de distribuer des titres et des terres à toute sa grande famille, frères, sœurs et conjoints. Non sans problèmes de jalousies, mesquineries, fâcheries que Napoléon règle en chef de clan.

Il semblait que l’Europe dut lui appartenir tout entière ! Mais la précarité d’un tel Empire n’est que trop évidente, alors même qu’il est à l’apogée de son destin et se compare à Charlemagne.

« Voilà le commencement de la fin. »1869

TALLEYRAND (1754-1838), à l’annonce du désastre de la retraite de Russie, décembre 1812. Monsieur de Talleyrand (1870), Charles-Augustin Sainte-Beuve

Notre plus grand diplomate l’a prédit avant tout le monde, sans prévoir pourtant l’ampleur de la débâcle.

Les soldats sont victimes du « Général Hiver », comme prévu par le tsar Alexandre et le maréchal Koutousov. Le froid rend fous les chevaux et colle l’acier des armes aux doigts des soldats. Le passage de la Bérézina (25 au 29 novembre) est un épisode devenu légendaire : par –20 °C le jour, –30 °C la nuit, ce qui reste de la Grande Armée réussit à franchir la rivière, grâce aux pontonniers du général Eblé et aux troupes qui couvrent le passage (Ney et Victor). 8 000 traînards n’ont pas le temps de passer, ils seront tués par les Cosaques.

« Ce n’est pas possible, m’écrivez-vous ; cela n’est pas français. »1876

NAPOLÉON Ier (1769-1821), au général Lemarois, commandant de Magdebourg, 9 juillet 1813. Dictionnaire des expressions nées de l’histoire (1992), Gilles Henry

Le général avait écrit à l’empereur pour lui dire que, face aux coalisés supérieurs en nombre, il ne peut pas tenir plus longtemps la place (ville prise par les Français en 1806, sur la rive gauche de l’Elbe en Westphalie). Durant cette campagne d’Allemagne, plus que jamais, Napoléon paie de sa personne et fait preuve d’un génie militaire que Metternich lui-même salue. L’histoire en témoigne aussi : l’empereur obtint vraiment l’impossible de ses hommes et de leurs chefs. Mais la sixième et dernière coalition sera la plus forte : Angleterre, Prusse, Russie, Autriche.

La postérité a retenu la formule plus lapidaire : « Impossible n’est pas français. » Ajoutons que le général capitulera le 20 mai 1814 – après l’abdication de Napoléon.

« Rendez-moi ma jambe et je vous rendrai Vincennes. »1885

Général DAUMESNIL (1776-1832), aux Alliés assiégeant Vincennes, début avril 1814. Daumesnil : « Rendez-moi ma jambe et je vous rendrai Vincennes » (1970), Henri de Clairval

Volontaire sous la Révolution française, général et baron d’Empire multipliant les actions d’éclat, surnommé Jambe de bois, il a perdu une jambe à Wagram (1809).

Gouverneur du fort de Vincennes depuis 1812, il résiste au siège des troupes coalisées, alors que la capitale est aux mains des Alliés. Sa garnison se compose d’un millier de gardes nationaux et de 300 invalides, qu’il appelle « mon Jeu de quilles ». Un stock de munitions considérable (évalué à 80 millions de francs) fait du donjon une poudrière en puissance. La nuit du 30 au 31 mars, Jambe de bois et son Jeu de quilles ont raflé à Montmartre armes, munitions, chevaux, canons, pour les ramener à l’abri dans Vincennes. Les Alliés lui proposent enfin une forte somme pour sa reddition. D’où la réplique. Il négociera la capitulation avec Louis XVIII, après l’exil de Napoléon.

En 1830, quinquagénaire vaillant, toujours gouverneur de Vincennes et toujours résistant, il répond aux menaces des assaillants par une authentique punchline : « Je me fais sauter avec le château et nous nous rencontrerons en l’air. »

« Dans la position où je suis [en 1814], je ne trouve de noblesse que dans la canaille que j’ai négligée, et de canaille que dans la noblesse que j’ai faite. »1887

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Napoléon (1921), Élie Faure

L’empereur déchu par des sénateurs qui lui devaient honneurs, titres, fortune, hésite encore à abdiquer, au château de Fontainebleau. Un dicton court dans Paris : « Bientôt, il n’y aura en France qu’un Français de moins. » L’expression va resservir. En attendant, Napoléon va se résoudre à signer une abdication sans plus de condition le 6 avril 1814, écrite de sa main sur le célèbre guéridon d’acajou de Fontainebleau.

Lire la suite : les punchlines (Restauration, Monarchie de Juillet, Deuxième République et Second Empire)

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