Les symboles nationaux | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Semaine du 14 juillet : c’est le moment de rappeler les principaux symboles nationaux à valeur historique pour la République, mais aussi la Monarchie… et l’Empire qui emprunte à l’ancien monde comme au nouveau.

Toutes les citations de cet édito sont à retrouver dans nos Chroniques de l’Histoire en citations : en 10 volumes, l’histoire de France de la Gaule à nos jours vous est contée, en 3 500 citations numérotées, sourcées, contextualisée, signées par près de 1 200 auteurs.

I. La France républicaine.

1. Liberté, égalité, fraternité.

La trilogie républicaine née sous le signe de la Révolution s’est imposée comme devise au XIXe siècle. Elle trouve un lointain écho au Moyen Âge et à la Renaissance : « Un roi, une foi, une loi » (395) et « France, mère des arts, des armes et des lois » (390). Reprise et « recyclée », elle rebondit et change de sens, comme en témoigne notre Histoire en citations.

Liberté, Égalité, Fraternité.1266

Antoine François momoro (1756-1794), slogan révolutionnaire

Libraire à Paris et « premier imprimeur de la liberté », il se prétend inventeur de cette devise. En tout cas, c’est lui qui obtient de Jean-Nicolas Pache, maire de Paris, qu’elle figure sur les façades des édifices publics.

Au fil de la Révolution, la liberté, revendication venue du siècle des Lumières, et l’égalité – des droits plus que des conditions – vont inspirer les révolutionnaires, pour le meilleur et parfois le pire. La fraternité reste la parente pauvre jusqu’au socialisme du XIXe siècle et le triple principe ne sera inscrit qu’en 1848 dans la constitution.

« Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort. »1516

Devise sur les flammes des drapeaux. Cahier noir (1944), François Mauriac

Fin juin 1793, la devise apparaît quand les armées de la République font face à la coalition des armées impériales et royales d’une Europe naturellement hostile à cette Révolution démocratique. Un peu plus tard, la devise gravée sur les bagues remplacera la trilogie passée de mode : « La Nation, le Roi, la Loi ».

Elle apparaît aussi sur les murs de la capitale : le maire de la commune de Paris fait peindre cette devise et en province, d’autres villes suivent la capitale. Mais l’injonction sera abandonnée progressivement avec la fin de la Révolution : elle évoquait plus la Terreur que la République !

« Dieu protège la France. »1735

Devise gravée sur certaines pièces de monnaie française, par décret du 28 mars 1803, 7 germinal an IX

Le napoléon est la nouvelle pièce d’or et cette devise apparaît sur la tranche. Remplacée sous la Restauration par le Domine salvum fac regem (« Seigneur, sauve le roi ») de l’Ancien Régime, rétablie sous Louis-Philippe, abolie par la Commune en 1871, finalement remplacée par « Liberté, Égalité, Fraternité » (loi du 5 janvier 1907).

C’est l’occasion de rappeler que pendant ce siècle, et sans compter le bref épisode des Cent-Jours, la France avide de changement connaîtra sept régimes politiques !

Liberté, Egalité, Fraternité.2135

Devise républicaine

Elle reparaît sur les murs au lendemain de la révolution de février 1848 et s’inscrit dans la Constitution du 12 novembre qui instaure la Deuxième République.

Dans la « sainte devise de nos pères » (formule de Pierre Leroux, socialiste élu député républicain), la petite dernière, parente pauvre, profite du progrès des idées socialistes et la fraternité a enfin ses chances. Mais le reflux contre-révolutionnaire viendra vite, avant même le Second Empire. Il faut attendre la Troisième République pour avoir une vraie législation sociale.

« Attentat contre la dignité humaine, violation flagrante du dogme républicain : Liberté, Égalité, Fraternité. »2160

Victor SCHŒLCHER (1804-1893), Le Moniteur, 2 mai 1848. Victor Schœlcher et l’abolition de l’esclavage (2004), Aimé Césaire

Sous-secrétaire d’État dans le gouvernement provisoire de la Deuxième République, il plaide contre l’esclavage et voit enfin l’aboutissement de sa longue lutte : « Par les décrets du 27 avril 1848, rendus sur l’initiative de Schœlcher, l’esclavage, aboli une première fois par la Convention, a été définitivement supprimé dans nos colonies primitives » (Alfred Rambaud, Histoire de la civilisation contemporaine).

Liberté, Égalité, Fraternité.2545

Slogan républicain

Troisième République. La trilogie républicaine née sous la Révolution et inscrite sur les édifices publics, devise gravée sur les pièces de monnaie française et inscrite par décret du 28 mars 1803, remplacée sous la Restauration par l’inscription de l’Ancien Régime «  Domine salvum fac regem », rétablie sous la Deuxième République, abolie par la Commune, est finalement réapparue au nom de la loi du 5 janvier 1907 !

« C’est sous le triple signe du Travail, de la Famille et de la Patrie que nous devons aller vers l’ordre nouveau. »2763

Pierre LAVAL (1883-1945), « Réunion d’information » des députés, 8 juillet 1940. Soixante jours qui ébranlèrent l’Occident (1956), Jacques Benoist-Méchin

Après un long parcours politique, Laval entre au gouvernement Pétain, installé à Vichy depuis le 3 juillet. Ayant provisoirement le portefeuille de la Justice, il manœuvre habilement pour que Pétain obtienne les pleins pouvoirs.
On travaille à réviser la Constitution. Le slogan trinitaire de 1789, trop républicain, est remplacé par une autre trilogie : Travail, Famille, Patrie. Tout l’esprit de la révolution nationale du régime de Vichy est dans ces mots et la loi constitutionnelle du 10 juillet en prend acte : « Cette Constitution doit garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. »

2. Bleu, blanc, rouge.

Les trois couleurs du drapeau national et de la cocarde républicaine ont une histoire encore plus mouvementée que la trilogie révolutionnaire ! Les sources sont confuses et diverses. Voici simplement quelques repères historiques et quelques surprises.

« Ralliez-vous à mon panache blanc, vous le trouverez au chemin de la victoire et de l’honneur. »616

HENRI IV (1553-1610), à ses compagnons, avant la bataille d’Ivry, 14 mars 1590. Histoire universelle (posthume), Agrippa d’Aubigné

Le blanc (par ailleurs associé à la fleur de lys) symbolise la royauté, sous l’Ancien Régime.

Les soldats semblent hésiter : les troupes de la Ligue (ultra-catholique), commandées par le duc de Mayenne, sont trois fois supérieures en hommes et en armes. Le roi va trouver les gestes et les mots qu’il faut. Il plante sur son casque un panache de plumes blanches (couleur bien visible en même temps que symbole de la monarchie) et harangue ses troupes : « Mes compagnons, Dieu est pour nous, voici ses ennemis et les nôtres ! Voici votre roi ! Gardez bien vos rangs. Et si vous perdez enseignes, cornettes ou guidons, ce panache blanc que vous voyez en mon armet vous en servira, tant que j’aurai goutte de sang. Suivez-le. Si vous le voyez reculer, je vous permets de fuir… » Et le roi charge en tête de ses hommes.

Le « panache blanc » d’Henri IV va entrer dans la légende à la fin du XVIe siècle et la commune de l’Eure (près de Chartres) prendra le nom d’Ivry-la-Bataille.

« Voici une cocarde qui fera le tour du monde. »1336

LA FAYETTE (1757-1834), 17 juillet 1789. Petite histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours (1883), Victor Duruy

Nouveau jour de gloire pour La Fayette, déjà « Héros des deux mondes » à 20 ans dans la guerre d’Indépendance des ex colonies américaines contre l’Angleterre.

Nommé le 15 juillet commandant de la garde nationale, le marquis prend la cocarde bleue et rouge aux couleurs de Paris, y joint le blanc, couleur du roi, et présente cette cocarde tricolore à Louis XVI, venu « faire amende honorable » à l’Hôtel de Ville de Paris. Le roi met la cocarde à son chapeau et, par ce geste, reconnaît symboliquement la Révolution. La rumeur veut qu’il l’ait ensuite piétinée… mais tout était bon aux révolutionnaires purs et durs pour le perdre aux yeux du peuple.

« Ici commence le pays de la Liberté ! »1366

Inscription sur un drapeau français, planté sur le pont de Kehl à Strasbourg, 13 juin 1790. La France de l’Est (1917), Paul Vidal de La Blache

Des représentants d’Alsace, de Lorraine et de Franche-Comté, réunis (presque) spontanément en Fédération à Strasbourg, plantent sur le pont de Kehl un drapeau français, tricolore et symbolique, avec ces mots. Ils manifestent ainsi l’adhésion de l’Alsace (au statut particulier depuis le Moyen Âge) à la communauté nationale française. Par là même, ils soutiennent les acquis de 1789, les lois votées par la Constituante et les frontières nationales. Les conséquences vont être immenses – une suite de guerres étalées sur vingt-trois ans !

« Allons, avec la cocarde,
Aux tyrans, foutre malheur ;
Puis, allons à l’accolade,
Foutons-nous là de bon cœur.
Au diable toutes les frontières
Qui nous tenaient désunis,
Foutre, il n’est point de barrières
Sur la terre des amis. »1454

Jacques HÉBERT (1757-1794), Le Réveil du Père Duchesne, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

C’est un couplet bien dans le ton du Père Duchesne, l’un des journaux les plus populaires de l’époque, distribué aux armées pour éveiller la conscience politique des soldats.

Les trois couleurs révolutionnaires s’affichent à chaque bataille, depuis Valmy (20 septembre 1792, première grande victoire de la République). N’oublions pas que la Révolution vit sous le signe de la guerre face à l’Europe des rois et des empereurs coalisés contre la France républicaine… et ardemment prosélyte.  

« L’aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame. »1927

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Golfe-Juan, Proclamation du 1er mars 1815. Recueil de pièces authentiques sur le captif de Sainte-Hélène, de mémoires et documents écrits par l’empereur Napoléon (1821-1822)

Les Cent-Jours. L’empereur annonce la couleur dès le premier jour de son « come-back » historique. Il se pose devant l’armée en soldat de la Révolution et honnit le drapeau blanc de la Charte constitutionnelle associée à la Restauration de Louis XVIII : « Arrachez ces couleurs que la nation a proscrites et qui pendant vingt-cinq ans servirent de ralliement à tous les ennemis de la France ! Arborez cette cocarde tricolore ; vous la portiez dans nos grandes journées […] Reprenez ces aigles que vous aviez à Ulm, à Austerlitz, à Iéna. »

Il n’en faut pas plus, pas moins non plus, pour que Napoléon gagne cet incroyable pari : rallier les troupes envoyées pour l’arrêter, soulever d’enthousiasme les populations et traverser la France en vingt jours, sous les yeux de l’Europe pétrifiée. Ainsi commence le vol de l’Aigle, sur la route Napoléon.

« Vivre libres en travaillant ou mourir en combattant. »2069

Cri célèbre de l’émeute des canuts, 22 novembre 1831. Histoire du mouvement ouvrier, tome I (1948), Édouard Dolléans

C’est aussi la devise inscrite sur leur drapeau noir, symbole de l’anarchie qui va littéralement exploser à la fin du XIXe siècle sous la Troisième République, multipliant les attentats en France, comme en Europe et aux États-Unis. Mais la révolte des ouvriers de la soie est d’origine économique et non politique.

Les soyeux (fabricants) ne respectent pas le nouveau tarif des salaires, signé par leurs délégués dont ils contestent le mandat. Commencent alors les « trois glorieuses du prolétariat lyonnais » : grève, puis insurrection. Au matin du 22 novembre, les canuts de la Croix-Rousse descendent sur la ville en criant leur révolte. Ils se retrouvent sans le vouloir maîtres de Lyon, vidée de sa garnison qui risquait de pactiser avec les insurgés. L’Hôtel de Ville de Lyon est occupé par les insurgés, mais de nouvelles troupes, commandées par le maréchal Soult et le duc d’Orléans, réoccupent la ville, expulsent 10 000 ouvriers, le 5 décembre 1831. Bilan : 171 morts civils, 170 militaires, 600 arrestations. On destitue le préfet trop bienveillant à l’égard des revendications ouvrières. Le tarif à l’origine de la révolte est proclamé nul et non avenu : échec total de la première grande grève de l’histoire de France. Mais elle fera école.

« Le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ! »2146

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), chef du gouvernement provisoire, derniers mots de son discours du 25 février 1848. Les Orateurs politiques de la France, de 1830 à nos jours (1898), Maurice Pellisson

Deuxième République. Aux grandes heures du siècle romantique, son lyrisme fait merveille, cette citation faisant date et sens dans l’histoire de nos symboles nationaux.

La veille, 24 février, le poète élu député en 1833 et passionnément engagé en politique, a accepté la proclamation de la République comme un fait accompli. Mais ce jour, il refuse l’adoption officielle du drapeau rouge et, seul des onze membres du gouvernement provisoire, il a le courage de se présenter à la foule en armes qui cerne l’Hôtel de Ville ! Lui seul aussi est capable d’apaiser les insurgés du jour et de rallier le lendemain les modérés à la République.

« On se redit, pendant un mois, la phrase de Lamartine sur le drapeau rouge, « qui n’avait fait que le tour du Champ de Mars tandis que le drapeau tricolore », etc. ; et tous se rangèrent sous son ombre, chaque parti ne voyant des trois couleurs que la sienne – et se promettant bien, dès qu’il serait le plus fort, d’arracher les deux autres. » 2147

Gustave FLAUBERT (1821-1880), L’Éducation sentimentale (1869)

Le romancier voit juste, aidé par le recul du temps : la confusion et l’enthousiasme des premiers jours masquent toutes les incompatibilités d’opinion. Le même phénomène se reproduit à chaque changement de régime ou d’alternance politique : grands espoirs et lendemains qui déchantent.

« Le gouvernement provisoire déclare que la nation adopte les trois couleurs disposées comme elles l’étaient pendant la République. Ce drapeau portera ces mots : République française. »2149

Gouvernement provisoire, Décret du 25 février 1848. Histoire de la révolution de 1848 : Gouvernement provisoire (1862), Louis-Antoine Garnier-Pagès

Le gouvernement provisoire pense à tout, et d’abord aux symboles ! Mais dès les premiers jours, il prend une série de mesures : proclamation de la République et abolition des titres de noblesse, réforme démocratique de la garde nationale, dissolution de la Chambre des députés, proclamation du suffrage universel, annonce de l’élection prochaine d’une Assemblée constituante, reconnaissance de toutes les libertés d’expression (presse, théâtre, clubs), abolition de la peine de mort en matière politique, limitation de la journée de travail (dix heures à Paris, onze heures en province), etc. etc.

Deuxième République éphémère, bientôt remplacée par le Second Empire très attachée aux symboles du Premier !

« J’ai reçu le drapeau blanc comme un dépôt sacré, du vieux roi mon aïeul. Il a flotté sur mon berceau, je veux qu’il ombrage ma tombe ! »2417

Comte de CHAMBORD (1820-1883), Manifeste du 5 juillet 1871, à Chambord. La Droite en France, de la première Restauration à la Ve République (1963), René Rémond

Début chaotique de la Troisième République et retour aux symboles… de la monarchie !

Henri de Bourbon, comte de Chambord, se fait appeler Henri V et se voit déjà roi de France. On frappe des monnaies à son effigie, on construit des carrosses pour son entrée à Paris… Les deux partis, légitimistes et bonapartistes, se sont en effet mis d’accord sur son nom et sa légitimité.
Dans ce discours, il renie purement et simplement le drapeau tricolore. Scandalisés, certains de ses partisans en deviennent républicains ! L’« Affaire du drapeau » sert la stratégie politicienne de Thiers, vieux routier de la politique et républicain dès la fin de la Restauration en 1830. Il pavoise devant tant de maladresse et dit avec humour que le prétendant mérite d’être « appelé le Washington français, car il a fondé la république ! »

Son attitude s’explique : le comte de Chambord a vécu quarante ans en exil, dont trente dans un château coupé du monde, entouré d’une petite cour d’émigrés aristocrates plus royalistes que le roi, comme tant de courtisans. Mais au début de la Troisième, le drapeau blanc lui fait perdre la présidence espérée. C’est dire l’importance historique du symbole !   

« Avant d’aller planter le drapeau français là où il n’est jamais allé, il fallait le replanter d’abord là où il flottait jadis, là où nous l’avons tous vu de nos propres yeux. »2476

Paul DÉROULÈDE (1846-1914), Discours du Trocadéro, octobre 1884. Pour en finir avec la colonisation (2006), Bernard Logan

Sous la Troisième, le symbolisme du drapeau républicain se retrouve à chaque crise politique. Il illustre ici l’expression du patriotisme continental (exacerbé par la perte de l’Alsace-Lorraine en 1870-71), opposé à l’aventure coloniale incarnée par Ferry. Ce qui explique l’anticolonialisme de Déroulède - personnage injustement caricaturé.

« Faire passer avant toute chose la grandeur du pays et l’honneur du drapeau. »2477

Jules FERRY (1832-1893), Chambre des députés, 30 mars 1885. Discours et opinions de Jules Ferry (1897), Jules Ferry, Paul Robiquet

La conquête de l’Indochine a commencé sous Napoléon III et Jules Ferry poursuit cette colonisation française en Extrême-Orient. Par le traité de Hué (1883), l’empereur du Vietnam a été contraint de céder le Tonkin devenu un protectorat français, mais la Chine voisine conteste ce traité et envahit le Tonkin : ses troupes, les « Pavillons noirs », se heurtent aux troupes françaises. Sièges et batailles navales se succèdent durant près de deux ans.

Le 29 mars, les journaux ont appris l’attaque des Chinois à Lang-Son, ville du Vietnam sur la frontière chinoise, et le recul ou plus exactement la retraite du corps expéditionnaire français commandé par le lieutenant-colonel Herbinger, avec quelque 200 tués ou blessés. Incident démesurément grossi : on parle du « désastre de Lang-son » comme d’un second Waterloo et d’un nouveau Sedan ! Les radicaux, avec Clemenceau, dénoncent la politique coloniale de Jules Ferry, surnommé « Ferry-Tonkin » et accusé de haute trahison pour avoir engagé des troupes, sans bien informer les députés.

Ferry, président du Conseil, garde son calme et, le 30 mars, invoquant la grandeur du pays et l’honneur du drapeau, demande une augmentation des crédits pour envoyer des renforts au Tonkin. Il déchaîne des clameurs, à la gauche comme à la droite de l’Assemblée.

« Seul, le maréchal peut réaliser l’union de la France, c’est un drapeau, un drapeau un peu taché, un peu souillé, mais c’est un drapeau tout de même. »2765

Général WEYGAND (1867-1965), à Stanislas Mangin venu lui demander de se rallier aux Forces françaises libres (FFL), été 1940. Tout est bien (1989), Roger Stéphane

Seconde Guerre mondiale. Le régime de Vichy qui donne les pleins pouvoirs au maréchal Pétain a aboli la République. Le général Weygand daubait sur « Vichy qui se roule dans la défaite comme un chien dans la merde ». Pourtant, pas question pour l’ex-chef d’état-major français de se rallier à un mouvement né et entretenu à l’étranger avec de Gaulle, en toute illégalité !

La « perfide Albion » est haïe par une France traditionnellement anglophobe, plus encore depuis le torpillage de la flotte française au mouillage dans la baie d’Oran, à Mers el-Kébir, le 3 juillet 1940. Pour éviter que la marine française passe à l’ennemi, plus de 1 300 marins furent tués dans l’attaque de la Royal Navy. Bien des Français passèrent alors à la collaboration.

Par ailleurs, Pétain rassure. Sa dictature teintée de paternalisme tend à refaire une France sur le modèle du passé, paysanne et chrétienne, dans un carcan corporatiste et hiérarchisé, avec appel aux valeurs traditionnelles : Travail, Famille, Patrie. « Maréchal, nous voilà… » chantent les enfants des écoles.

« Nous ne nous arrêterons que quand le drapeau français flottera aussi sur Metz et Strasbourg. »2776

Colonel LECLERC (1902-1947), Serment de Koufra, 2 mars 1941. Leclerc et le serment de Koufra (1965), Raymond Dronne

Philippe Marie de Hautecloque, dit Leclerc, sera élevé à la dignité de maréchal de France à titre posthume, en 1952. Deux fois prisonnier, deux fois évadé en mai-juin 1940 (pendant la guerre éclair), il a rejoint de Gaulle à Londres. Il obtient le ralliement du Cameroun à la France libre, dès la fin août 1940, et en devient le gouverneur.

Devenu commandant militaire de l’Afrique équatoriale française (AEF), parti de Fort-Lamy (Tchad) avec une pauvre colonne des Forces françaises libres, il franchit 1 600 km de désert et prend le fort de Koufra (Libye), tenu par une garnison italienne.
Libérateur de Paris avec sa fameuse 2e DB (division blindée) le 25 août 1944, il sera aussi le libérateur de Strasbourg, le 23 novembre : le serment de Koufra sera tenu.

« Génie de la Bastille qui culmine sur cette place, nous voici de retour, le peuple des révolutions et des rébellions en France. Nous sommes le drapeau rouge ! »3474

Jean-Luc MÉLENCHON (né en 1951), Discours du 18 mars 2012 à Paris

À la Bastille, le tribun fait place comble ce dimanche et défie le temps à la pluie. Plus de 120 000 personnes ont défilé, entre Nation et Bastille, dans la symbolique rue du Faubourg-Saint-Antoine, avant d’écouter le candidat du Front de gauche.

Porté par la vague rouge des drapeaux et l’enthousiasme de la foule, il dynamise une campagne sans thème majeur (sécurité en 2002, travail en 2007), plombée par le non-dit sur la crise et la perte de confiance dans le pouvoir du politique.

Il appelle à prendre le pouvoir et donc à reprendre (symboliquement) la Bastille. Ce jour doit marquer le début de « l’insurrection civique » et populariser sa « VIe République sociale, laïque et écologique », avec le slogan : « Le vote Mélenchon, c’est le vote utile. » Autrement dit, il s’imagine en « dernier président de la Ve » et Marie-George Buffet fait chorus, au nom du PCF moribond.

Mélenchon va renouveler son exploit à Toulouse et à Marseille, le 14 avril, rassemblant 100 000 fans sur la plage du Prado, avec des accents lyriques à la Hugo. Il redonne ce goût de la fête, ce bonheur d’être ensemble, unis par la même cause.
Le dimanche précédant le premier tour, Sarkozy, place de la Concorde, et Hollande, face au Château de Vincennes, rassembleront chacun de son côté un nombre de manifestants non chiffré, mais inférieur.

3. Les dates anniversaires.

On pense immédiatement au 14 juillet. Oui, mais de quelle année ? Autrement dit, quel symbole républicain va-t’on célébrer, prise de la Bastille ou Fête de la Fédération ? On en débat toujours.

Quant au 2 décembre, c’est aussi un jour historique, ô combien ! Quatre fois symbolique en un siècle et deux régimes. Encore une petite leçon d’histoire… et de superstition impériale.

« Nous sommes le premier de tous les Français qui écrivîmes contre la Révolution avant la prise de la Bastille. »1328

RIVAROL (1753-1801), Pensées inédites de Rivarol (posthume, 1836)

Monarchiste et rare humoriste du temps, cet homme d’ordre aurait pu écrire : « Oui à la Constitution, non à la chienlit. »

La première pièce qui met en scène la prise de la Bastille est un vaudeville en un acte et en prose de Pellet-Desbarreaux, Le Champ de Mars ou la Régénération de la France, joué dans la région de Toulouse, en août 1789. Certaines sources situent même la création en mars : ce serait de la politique-fiction !

« La Révolution m’aurait entraîné, si elle n’eût débuté par des crimes : je vis la première tête portée au bout d’une pique et je reculai. »1329

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

La tête « au bout d’une pique » est un classique de l’horreur révolutionnaire. La « première tête » peut être celle du gouverneur de la Bastille, de Launay, massacré par le peuple le 14 juillet, lors de la prise du fort.

Chateaubriand, 21 ans, réformé de l’armée, hésitant sur sa vocation, s’est essayé à la vie politique au début de l’année, en participant aux États de Bretagne (assemblée provinciale). Présent à Paris au début de la Révolution, il est très choqué par cette violence « cannibale ».

Représentatif de sa classe, il écrit aussi : « Jamais le meurtre ne sera à mes yeux un objet d’admiration et un argument de liberté ; je ne connais rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, de plus borné qu’un terroriste. »

« Le bourgeois et le marchand
Marchent à la Bastille
Et ran plan plan […]
Sortez de vos cachots funèbres
Victimes d’un joug détesté
Voyez à travers les ténèbres
Les rayons de la Liberté ! »1330

La Prise de la Bastille (1790), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Chanson vaudeville, genre très en vogue à la fin du XVIIIe siècle. L’événement se joue en deux actes : « Départ pour le siège », puis « Délivrance des captifs ». Le style est typique de l’époque. Les « victimes d’un joug détesté », ce sont les prisonniers libérés. L’inventaire est dérisoire. Ils sont sept : quatre escrocs ayant falsifié une lettre de change, deux malades mentaux et un jeune gentilhomme prodigue, le comte de Solanges, embastillé pour inceste. À quelques jours près, on trouvait le marquis de Sade – transféré peu avant à Charenton.

« 14, rien. »1331

LOUIS XVI (1754-1793), note ces deux mots dans son carnet avant de se coucher, château de Versailles, le soir du 14 juillet 1789. Histoire des Français, volume XVII (1847), Simonde de Sismondi

L’histoire lui a beaucoup reproché cette indifférence à l’événement. Précisons à sa décharge que le fameux carnet consigne surtout ses tableaux de chasse.

Le roi a été prévenu de l’agitation à Paris, par une députation de l’Assemblée. Le 11 juillet, il a malencontreusement renvoyé Necker, ministre des Finances jugé trop libéral, l’homme le plus populaire du royaume, et il le rappellera le 16. En attendant, le mal est fait : manifestations le 12 juillet, municipalité insurrectionnelle à l’Hôtel de Ville, milice et foule armées le 13 (avec 28 000 fusils et 20 canons pris aux Invalides). À la Bastille, on est allé chercher la poudre et les munitions.

La forteresse est avant tout le symbole historique de l’absolutisme royal : la révolution parlementaire est devenue soudain populaire et parisienne, en ce 14 juillet 1789.

Contrairement à ce que l’on croit trop souvent, ce jour n’est pas l’origine de notre fête nationale. Il faut attendre l’année suivante, la Fête de la Fédération.

« En temps de révolution, prenez garde à la première tête qui tombe. Elle met le peuple en appétit. »1332

Victor HUGO (1802-1885), Le Dernier Jour d’un condamné (1829)

Bilan du 14 juillet 1789 : une centaine de morts et un peu plus de blessés, essentiellement chez les assaillants (au nombre de 800 à 3 000, selon les sources). Mais Hugo a raison : le peuple est parti dans une escalade de la violence et les meneurs parlent toujours plus fort que les modérateurs.

« Mais c’est une révolte ?
— Non, Sire, c’est une révolution ! »1333

Réponse du duc de la ROCHEFOUCAULD-LIANCOURT (1747-1827), à Louis XVI (1754-1793), réveillé le soir du 14 juillet, à Versailles. Petite histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours (1883), Victor Duruy

Le grand maître de la garde-robe s’est permis de se manifester dans la nuit, pour informer le roi que la Bastille est prise et le gouverneur assassiné. Mieux que son maître, il a compris l’importance symbolique du fait. Ce bref dialogue résume bien la situation.

« Moi, roi des Français, je jure […] de maintenir la Constitution. »1369

LOUIS XVI (1754-1793), Fête de la Fédération sur le Champ de Mars, 14 juillet 1790. Histoire de France depuis 1789 jusqu’à nos jours (1878), Henri Martin

Premier anniversaire de la prise de la Bastille. Toutes les provinces sont représentées à Paris par les délégations des gardes nationales, venues de la France entière : c’est la Fête de la Fédération. Une messe est célébrée par l’évêque d’Autun, Talleyrand, qui a répété la scène, d’autant plus qu’il ne célèbre pas souvent. Heure solennelle, devant 300 000 personnes, alors qu’il murmure à l’abbé Louis (ou à La Fayette, selon les sources) : « Pitié, ne me faites pas rire ! » Mot apocryphe, selon Chateaubriand.

Quoi qu’il en soit de ces coulisses et des intentions réelles du roi, le pays peut encore rêver à une monarchie constitutionnelle. Sitôt qu’il paraît et qu’il parle, il semble que le pacte millénaire entre les Français et le Capétien se renoue. Tous ces provinciaux qui voient Louis XVI pour la première fois oublient ce qu’on a pu dire du « tyran ». Le peuple est le plus sincère de tous les participants à ce grand spectacle, criant spontanément : « Vive le roi, vive la reine, vive le dauphin ! »

« C’est une conjuration pour l’unité de la France. Ces fédérations de province regardent toutes vers le centre, toutes invoquent l’Assemblée nationale, se rattachent à elle, c’est-à-dire à l’unité. Toutes remercient Paris de son appel fraternel. »1370

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)

L’historien de la Révolution voit en cette fête du 14 juillet 1790 le point culminant de l’époque, son génie même. C’est le jour de tous les espoirs. Et le peuple chante la plus gaie des carmagnoles : « Ah ! ça ira, ça ira, ça ira / Le peuple en ce jour sans cesse répète, / Ah ! ça ira, ça ira, ça ira. / Malgré les mutins tout réussira… »

« Si Louis XVI avait su profiter de la Fédération, nous étions perdus. »1372

Antoine BARNAVE (1761-1793). La Chute de l’Ancienne France, La Fédération (1896), Marius Cyrille Alphonse Sepet

Le pilier du club des Jacobins, patriote d’ailleurs modéré parmi les révolutionnaires, s’oppose alors aux deux députés cherchant toujours à concilier Révolution et royauté : Mirabeau et La Fayette.

Cette Fête de la Fédération du 14 juillet 1790 est aussi le plus grand jour de gloire pour le général La Fayette : on baise ses mains et même la croupe de son cheval, on frappera des médailles à son effigie ! Pourtant, Mirabeau déteste ce « maire du palais », il le traite de « Gilles-César », de « sous-grand-homme », et Marat de « faux ami du peuple ».

« Aristocrate, te voilà donc tondu,
Le Champ de Mars te fout la pelle au cul,
Aristocrate, te voilà confondu.
J’bais’rons vos femmes, et vous serez cocus,
Aristocrates, je vous vois tous cornus. »1373

Le Tombeau des aristocrates (anonyme), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Chanté le 14 juillet 1790 sur le Champ de Mars (avec «  La Pelle au cul », version voisine), le jour même de cette fête de la réconciliation nationale ! C’est un tout autre ton que le « ça ira » – lequel va bientôt connaître nombre de parodies fort dures pour les aristos.

Cela montre la complexité de cette Révolution où tous les courants d’opinion se croisent, mais aussi le parfait reflet de l’opinion publique que sont les chansons. À travers elles, toute l’histoire de France se déroule.

« Partout la joie est générale
Depuis qu’en vertu d’un décret
Notre fête nationale
Doit avoir lieu l’quatorze juillet ! »2463

Aristide BRUANT (1851-1925), J’suis d’l’avis du gouvernement (1879), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Troisième République. Un couplet de la chanson de Bruant célèbre l’événement et chante le consensus du pays : « Quand je vois pour fêter la France / Choisir la date d’un événement / Qui lui rappelle sa délivrance / J’suis d’l’avis du gouvernement. »

La Marseillaise est proclamée hymne national en même temps que le 14 juillet devient fête nationale – mais l’on discute encore pour savoir si l’on célèbre 1789 ou 1790, la prise de la Bastille ou la Fête de la Fédération. La loi est promulguée le 6 juillet 1880.

« Gais et contents
Nous marchions triomphants
En allant à Longchamp
Le cœur à l’aise,
Sans hésiter,
Car nous allions fêter,
Voir et complimenter
L’armée française. »2482

Lucien DELORMEL (1847-1899) et Léon GARNIER (1857-1905), paroles, et Louis-César DÉSORMES (1840-1898), musique, En r’venant d’la r’vue (1886), chanson. Cent ans de chanson française, 1880-1980 (1996), Chantal Brunschwig, Louis-Jean Calvet, Jean-Claude Klein

Le nouveau couple d’auteur-compositeur à la mode écrit pour Paulus cette chanson, créée le 14 juillet 1886 à l’Alcazar, grand music-hall parisien. « Marseillaise des mitrons et des calicots », dit Anatole France, mais surtout « hymne boulangiste » et immense succès cocardier pour le « brave général » acclamé à Longchamp, barbe blonde et fière allure, rendant encore plus terne et vieillot le cortège du président de la République octogénaire, Jules Grévy, usé politiquement.

Paul Déroulède, propagandiste numéro un de Boulanger, lui invente le surnom de « général Revanche » et affirme qu’il est « le seul ministre qui fasse peur à l’Allemagne ». La droite va exploiter Boulanger qui se prétend pourtant général d’« extrême gauche ». Le boulangisme sera la réunion de tous les contraires et le lieu de bien des paradoxes, avant de s’effondrer dans le ridicule d’un suicide vaudevillesque. Petite histoire dans l’Histoire.

« Dans le péril de la patrie et de la République, je me suis tourné vers le plus illustre des Français. »2925

René COTY (1882-1962), Message du président au Parlement, 29 mai 1958. Histoire mondiale de l’après-guerre, volume II (1974), Raymond Cartier

Face à la menace de guerre civile, le président de la République fait savoir aux parlementaires qu’il a demandé au général de Gaulle de former un gouvernement. Chahuts et chants de la part des députés, qui entonnent La Marseillaise – procédé contraire à tous les usages, et même à la lettre de la Constitution ! Encore et toujours la force du Symbole.

Autre date, autre séquence historique : le 2 décembre.

C’est d’abord le jour du sacre de Napoléon… et un an après, celui de sa plus grande victoire, Austerlitz.

« Je n’ai pas succédé à Louis XVI, mais à Charlemagne. »1799

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à Pie VII, le jour du sacre en la cathédrale Notre-Dame de Paris, 2 décembre 1804. Napoléon a dit (1996), Lucian Regenbogen, préface de Jean Tulard

À peine couronné empereur des Français par le pape, il dévoile sa véritable ambition, le titre d’empereur d’Occident à la tête du Grand Empire. Le 7 septembre, résidant à Aix-la-Chapelle, Napoléon s’est recueilli devant le tombeau de Charlemagne, il a ordonné une procession solennelle avec tous les symboles impériaux (couronne, épée, main de justice, globe, éperons d’or). Et le sacre se tient à Paris, non pas à Reims, comme de tradition pour les rois de France. Napoléon, qui maîtrise admirablement la « com », use et abuse de tous les symboles, monarchistes ou républicains.

Mais cet animal politique est trop intelligent pour ignorer les réalités. Le temps n’est plus aux empires d’antan et celui de Charlemagne ne survécut pas longtemps après sa mort. « Il ne rêvait certainement pas d’un empire unitaire, mais d’une confédération d’États : il parlera, un jour, des États-Unis d’Europe » (Louis Madelin, Histoire du Consulat et de l’Empire : vers l’empire d’Occident).

« J’entendons ronfler l’canon,
Y g’na plus à s’en dédire :
On couronn’ Napoléon
Empereur de ce bel Empire.
Ça nous promet pour l’av’nir
Ben du bonheur et du plaisir. »1800

Le Sacre de Napoléon, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Le peuple de Paris chante à la gloire du grand homme, au front si couvert de lauriers que c’est à peine si on peut trouver « un petit coin pour y placer la couronne » ! Une certaine ironie commence à poindre.

Toutes ces « vieilles chansons françaises », la plupart anonymes, sont encore chantées, diffusées sur Internet, ce qui montre, d’une certaine manière, leur qualité, leur originalité, mais aussi le goût des Français pour l’histoire.

« On va leur percer le flanc
En plain plan, r’lan tan plan […]
Ah ! que nous allons rire !
R’lan tan plan tire lire. »1808

Marche d’Austerlitz, 2 décembre 1805, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Un an après le sacre, jour choisi par Napoléon, Corse et superstitieux, sûr d’être « de la poule blanche » (avoir de la chance).

On chante encore, sur l’air de la Prise de la Bastille qui a déjà servi à une plaisante bluette, sous Louis XV (À mon mari je suis fidèle). Les « timbres » populaires sont repris au fil des événements : seules les paroles changent.

Le jour anniversaire du sacre de l’empereur, les grenadiers montent à l’assaut : sur ordre de Napoléon, la musique de chaque bataillon joue la chanson connue de chaque homme.

Selon le capitaine Coignet, soldat de la campagne d’Italie, chevalier de la première promotion de la Légion d’honneur en 1804, grognard à Austerlitz et admis dans la garde : « Les tambours battaient à rompre les caisses, la musique se mêlait aux tambours. C’était à entraîner un paralytique. » Il sera de toutes les guerres de Napoléon, enchaînant 48 batailles sans une blessure, et mourra nonagénaire, sous Napoléon III.

« Soldats, je suis content de vous. »1809

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Proclamation d’Austerlitz, 2 décembre 1805. Histoire de l’empereur Napoléon (1834), Abel Hugo

Abel Hugo est le frère aîné de Victor et leur père, général d’Empire, a participé à toutes les guerres de Napoléon. Cela explique en partie l’inspiration et la nostalgie impériales dans la famille.

Au soir de la victoire, le général sait toujours trouver les mots pour ses troupes. Pour l’heure, le plus simple est le plus vrai.

« Il vous suffira de dire : j’étais à la bataille d’Austerlitz, pour qu’on vous réponde : voilà un brave ! »1810

NAPOLÉON Ier (1769-1821), fin de la Proclamation d’Austerlitz, 2 décembre 1805. Faits mémorables de l’histoire de France (1844), Louis Michelant

Cette « bataille des Trois Empereurs » opposa les 65 000 hommes de Napoléon aux 90 000 hommes d’Alexandre Ier (Russie) et de François II (Saint Empire romain germanique). Le dieu de la guerre et de la fortune est véritablement avec Napoléon : le brouillard matinal cache ses mouvements à l’ennemi et le soleil d’Austerlitz brille sur une suite de manœuvres tactiques aussi hardies que réussies – un classique, enseigné dans les écoles de guerre. Le bronze des 180 canons ennemis sera fondu pour édifier la colonne Vendôme à Paris (inspirée de la colonne de Trajan, à Rome).

La victoire d’Austerlitz met fin à la troisième coalition – l’Angleterre est invaincue, mais reste seule. Le traité de Presbourg est signé le 26 décembre par François II, qui abdique la couronne du Saint Empire et reconnaît la Confédération du Rhin. Mais le tsar ne signe pas. Après d’autres défaites, il sortira vainqueur du duel avec Napoléon, dans la campagne de Russie.

Même date du 2 décembre et nouvelle séquence voulue par le futur Napoléon III : coup d’État pour se maintenir au pouvoir comme président de la République et un an après, proclamation du nouvel empire.

« Le propre de la démocratie est de s’incarner dans un homme. »2215

Louis- Napoléon BONAPARTE (1808-1873), à la veille du coup d’État. Le Second Empire : innovation et réaction (1973), Alice Gérard

2 décembre 1851, le jour est choisi : c’est l’anniversaire d’Austerlitz, la plus grande victoire de Napoléon.

Louis-Napoléon Bonaparte a voulu personnellement et ardemment ce coup d’État, mais il en ressentira plus tard une réelle culpabilité : c’est sa « tunique de Nessus », dira l’impératrice Eugénie.

« Une opération de police un peu rude. »2216

Duc de MORNY (1811-1865), ministre de l’Intérieur (et demi-frère de Louis-Napoléon) qualifiant le coup d’État du 2 décembre 1851. Mot attribué plus tard, selon certaines sources, à l’écrivain Eugène-Melchior de VOGÜÉ (1848-1910). Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Dans la nuit du 1er au 2, il y a bal à l’Élysée. La troupe envahit le palais Bourbon, un « Appel au peuple et aux soldats » s’affiche sur les murs, avec deux décrets : état de siège, dissolution de l’Assemblée et rétablissement du suffrage universel ; appel des Français à un plébiscite pour reconnaître l’autorité de Louis-Napoléon Bonaparte.

Le 2, arrestation de députés, dispersion de manifestants, tandis qu’un Comité de résistance, animé par Hugo, Schœlcher et Jules Favre, tente de soulever le peuple de Paris.

« Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs. »2217

Alphonse BAUDIN (1811-1851), député, appelant le peuple à la lutte, sur une barricade de la rue Sainte-Marguerite, 3 décembre 1851. Histoire des crimes du 2 décembre (1852), Victor Schœlcher

(L’indemnité parlementaire est de 25 francs, alors que le salaire ouvrier atteint rarement 5 francs par jour – et Schœlcher, manifestant présent lors du drame reste dans l’histoire comme le député qui imposa l’abolition de l’esclavage, en 1848).

Authentique homme de gauche, « médecin des pauvres », Baudin s’efforce de mobiliser la foule, mais les Parisiens se rappellent les journées sanglantes de juin 1848. Quelques barricades se dressent quand même, faubourg Saint-Antoine. Le député appelle un homme à la lutte, qui se dérobe : « Nous ne voulons pas nous faire tuer pour vous garder vos 25 francs par jour ! » D’où la réplique de Baudin. Un coup de feu part, la troupe riposte, Baudin tombe, mortellement blessé, à côté d’un ouvrier. La nouvelle de ces morts suscite d’autres barricades.

La journée du 3 décembre est une réaction contre le coup d’État du 2. Le 4 décembre, la troupe tire sur la foule, boulevard Poissonnière. Bilan : de 100 à 300 morts (selon les sources), dont beaucoup de femmes et d’enfants.

« Oui, le 2 décembre, autour d’un prétendant, se sont groupés des hommes que la France ne connaissait pas jusque-là, qui n’avaient ni talent, ni honneur, ni rang, ni situation […] de ces gens dont on peut répéter ce que Cicéron a dit de la tourbe qui entourait Catilina : un tas d’hommes perdus de dettes et de crimes ! »2218

Léon GAMBETTA (1838-1882). Histoire du Second Empire (1916), Pierre de la Gorce

Avocat de Delescluzes, Gambetta plaidera en ces termes le 14 novembre 1868, au procès d’opposants au régime impérial, coupables d’avoir lancé une souscription pour élever un monument au député Baudin, tombé sur une barricade.

Hugo, exilé, rend compte du coup d’État du 2 décembre, dans L’Histoire d’un crime et Napoléon le Petit, pamphlet dénonçant les ambitions dictatoriales du nouveau maître de la France.

« Aidez-moi tous à asseoir sur cette terre, bouleversée par tant de révolutions, un gouvernement stable qui ait pour base la religion, la propriété, la justice, l’amour des classes souffrantes. »2232

Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), Sénat, 1er décembre 1852. Œuvres de Napoléon III, discours, proclamations, messages (1856)

Le lendemain, 2 décembre, l’Empire est proclamé. C’est de nouveau l’anniversaire d’Austerlitz, victoire mémorable de l’oncle prestigieux, souvenir toujours vivant de Napoléon Ier. Respectant l’Aiglon, éphémère Napoléon II, le prince Louis-Napoléon prend le nom de Napoléon III.

« La République à votre vote expire
Devant Machin, votre unanime élu.
Soyez heureux : vous possédez l’Empire,
Soyez-en fiers, car vous l’avez voulu.
De ce succès dont votre âme s’enivre
Peut-être un jour vous vous mordrez les doigts :
Votre empereur, dit-on, aime bien vivre !
Et vous paierez la carte, bons bourgeois ! »2233

Charles GILLE (1820-1856), La Carte à payer, chanson. La République clandestine (1840-1856) : les chansons de Charles Gille (posthume, 2002)

La presse d’opposition n’existe pratiquement plus, depuis le coup d’État du 2 décembre 1851, mais la chanson reste un moyen d’expression et l’humour se fait cinglant. Charles Gille, poète et ouvrier déjà persécuté, écrase de son mépris cette bourgeoisie qui, de nouveau, a trahi la République en plébiscitant l’Empire par référendum, le 4 novembre 1852.

4. Déclaration des droits de l’homme.

Ce texte à vocation universaliste est idéalement symbolique de la Révolution française.

« La Déclaration des droits de l’homme apprit au monde entier que la Révolution française était faite pour lui. »1347

Jules SIMON (1814-1896), La Liberté (1859)

Par son exigence de rationalité et d’universalité, la Déclaration française dépasse les précédentes déclarations anglaise et américaine, même si elle s’inspire de la Déclaration d’Indépendance de 1776. Elle porte surtout la marque d’une bourgeoisie libérale nourrie de la philosophie des Lumières. Deux autres Déclarations suivront, en 1793 et 1795.

Au XXIe siècle, le monde a perdu beaucoup de ses repères et de ses utopies, les Français sont souvent critiques et critiqués, mais la France reste dans la mémoire collective comme « la patrie des droits de l’homme ».

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »1344

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, article 1er

Le premier article énonce la liberté et l’égalité en termes généraux. Les définitions sont complétées par les articles 4 – « La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » – et 6 – « La loi […] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. »

La Déclaration énonce d’abord les « droits naturels et imprescriptibles » de l’homme : liberté, égalité devant la loi, propriété. Elle ajoute ceux de la nation : séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ; souveraineté nationale.

« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. »1345

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, article 3

Formule lapidaire. La souveraineté sera par ailleurs qualifiée de « une, indivisible, inaliénable et imprescriptible » dans la Constitution de 1791 à laquelle la Déclaration sert de base.

« Cette maxime de la souveraineté du peuple avait pourtant si bien exalté les têtes que l’Assemblée […] s’abandonna tout entière au flux et reflux des motions, ainsi qu’à la fougue de ses orateurs, qui entassèrent à l’envi décrets sur décrets, ruines sur ruines, pour satisfaire le peuple. »1346

RIVAROL (1753-1801), Tableau historique et politique des travaux de l’Assemblée constituante, depuis l’ouverture des États généraux, jusqu’après la journée du 6 octobre 1789 (1797)

Il fallut un mois et demi de discussions avant le vote du texte final, mais il est remarquable. Tout le long préambule et les 17 articles seraient à citer.

Selon Alphonse Aulard : « 1 200 députés, incapables d’aboutir à une expression concise et lumineuse, quand ils travaillaient soit isolément, soit par petits groupes, trouvèrent les vraies formules, courtes et nobles, dans le tumulte d’une discussion publique […] À lire cette discussion […], on a l’impression que c’est la nation, devenue souveraine par des actes spontanés, qui dicte la Déclaration à ses représentants » (Histoire politique de la Révolution française : origines et développement de la démocratie et de la République, 1789-1804).

5. Trois chants révolutionnaires au destin historique.

La Marseillaise s’impose en premier, toujours chantée telle qu’elle fut écrite à l’origine, guerrière et sanguinaire - seule l’orchestration change. Mais des parodies existent.

La Carmagnole est moins officielle, mais sa petite histoire donne à voir et entendre les coulisses d’un chant dont le sens évolue au fur et à mesure des événements.

L’Internationale naît à bas bruit sous la Commune et acquiert plus tard une portée mondiale.

« Allons, enfants de la patrie… »1410

ROUGET DE L’ISLE (1760-1836), Chant de guerre pour l’armée du Rhin (1792)

Premier vers de ce qui deviendra l’hymne national français sous le nom de La Marseillaise, paroles et musique de Claude Joseph Rouget de l’Isle, chant composé dans la nuit du 25 avril 1792 à la requête du maire Dietrich, à Strasbourg, joué pour la première fois le 29 avril par la musique de la garde nationale de cette ville.

« Amour sacré de la Patrie
Conduis, soutiens nos bras vengeurs.
Liberté, liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs. »1420

ROUGET DE L’ISLE (1760-1836), Chant de guerre pour l’armée du Rhin (1792), devenu La Marseillaise (dernier couplet)

Les fédérés marseillais, appelés à la suite de la déclaration de guerre, ont traversé la France et défilent dans la capitale, avec ce Chant de guerre pour l’armée du Rhin, le 30 juillet 1792 (le 10 août selon d’autres sources).

La Chronique de Paris note que les Marseillais « chantent avec beaucoup d’ensemble et le moment où ils agitent leurs chapeaux et leurs sabres, en criant tous à la fois « Aux armes, citoyens ! » fait vraiment frissonner. Ils ont fait entendre cet hymne guerrier dans tous les villages qu’ils traversaient et ces nouveaux bardes ont inspiré ainsi dans les campagnes des sentiments civiques et belliqueux ; souvent ils le chantent au Palais-Royal, quelquefois dans les spectacles entre les deux pièces. »

Connu de tout Paris en quelques jours, rebaptisé Marseillaise par les Parisiens, diffusé à 100 000 exemplaires par la Convention fin septembre, ce chant entre dans l’histoire de France. Promu hymne national une première fois en 1795, abandonné en 1804 sous l’Empire, au profit du Chant du départ préféré par Napoléon, il redevient définitivement hymne national en 1879, sous la Troisième République.

« Contre nous de la tyrannie
L’étendard sanglant est levé ! »1575

ROUGET DE L’ISLE (1760-1836), Chant de guerre pour l’armée du Rhin (1792), devenu La Marseillaise

Le chant le plus populaire de l’époque révolutionnaire, repris par toutes les armées de la République, semble faire écho aux mots de Robespierre. Notons le sang, présent sur l’étendard, donnant sa noblesse au drapeau.

Le plus étonnant, c’est que ces mots résonnent toujours, inchangés : un monument national littéralement intouchable.

« Tremblez tyrans portant culotte !
Femmes, notre jour est venu ;
Point de pitié, mettons en vote
Tous les torts du sexe barbu !
Notre patience est à bout,
Debout, Vénusiennes, debout […]
Refrain
Liberté sur nos fronts verse tes chauds rayons,
Tremblez, tremblez, maris jaloux,
Respect aux cotillons ! »2162

Louise de CHAUMONT (XIXe siècle), La Marseillaise des femmes (ou Marseillaise des cotillons), chanson de 1848. L’Illustration, volume XI (1848), J. Dubouchet

Les « Vénusiennes » chantent et défilent, féministes aux jupes retroussées, corsage en bataille, jeunes ouvrières vivant parfois en communauté à la mode saint-simonienne. La Marseillaise, parmi tous les chants de l’histoire de France, est le plus constamment repris, parodié, récupéré, exploité en d’innombrables versions. C’est la rançon du succès, disons même de la gloire.

« Va, passe ton chemin, ma mamelle est française,
N’entre pas sous mon toit, emporte ton enfant,
Mes garçons chanteront plus tard La Marseillaise,
Je ne vends pas mon lait au fils d’un Allemand. »2413

Gaston VILLEMER (1840-1892), paroles, et Lucien DELORMEL (1847-1899), musique, Le Fils de l’Allemand, chanson. Les Chansons d’Alsace-Lorraine (1885), Gaston Villemer et Lucien Delormel

« Vrais frères siamois de la littérature des beuglants », ce couple auteur-compositeur exploite systématiquement la veine patriotique et revancharde – après la mort de son confrère, Delormel fera équipe avec Garnier, dans un autre style : le music-hall et la vedette Paulus.
Les refrains patriotico-sentimentaux se multiplient après la guerre et l’amputation du territoire. Toute une littérature et une imagerie populaires se développent naturellement, sur ce thème douloureux.

La Carmagnole.

« Madam’ Veto avait promis
De faire égorger tout Paris.
Mais son coup a manqué
Grâce à nos canonniers.
Refrain
Dansons la carmagnole
Vive le son vive le son
Dansons la carmagnole
Vive le son du canon ! »1425

La Carmagnole (fin août 1792), chanson. Chansons populaires de France (1865), Librairie du Petit Journal éd

De parolier inconnu, cette première Carmagnole est chantée sous les fenêtres du Temple où la famille royale est prisonnière. Monsieur Veto est aussi violemment apostrophé que sa femme. Immédiatement populaire, adoptée par tous les patriotes et devenue l’hymne des sans-culottes, la Carmagnole aura de nombreuses parodies, comme la plupart des chants très populaires.

« Que demande un Républicain ?
La liberté du genre humain,
Le pic dans les cachots,
La torche dans les châteaux
Et la paix aux chaumières ! »1430

La Carmagnole (automne 1792), chanson anonyme. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Cette nouvelle version de la Carmagnole résume la situation. Le « pic dans les cachots » va entraîner un massacre révolutionnaire plus spectaculaire que les précédents. Ministre de la Justice et responsable des prisons, Danton, qui pouvait tout, ne va rien faire pour l’empêcher.

« Fouquier-Tinville avait promis
De guillotiner tout Paris,
Mais il en a menti,
Car il est raccourci […]
Vive la guillotine
Pour ces bourreaux
Vils fléaux. »1617

La Carmagnole de Fouquier-Tinville, mai 1795, chanson. Chansons nationales et républicaines de 1789 à 1848 (1848), Théophile Marion Dumersan

La chanson révolutionnaire se fait gaiement cruelle : le plus célèbre accusateur public est exécuté le 6 mai 1795, après 41 jours de procès devant le Tribunal révolutionnaire (réformé). À travers Fouquier-Tinville et 23 coaccusés, on juge aussi cette justice d’exception.

« Il y a les magistrats vendus,
Il y a les financiers ventrus,
Il y a les argousins,
Mais pour tous ces coquins,
Il y a d’la dynamite,
Vive le son, vive le son,
Il y a d’la dynamite !
Dansons la ravachole !
Vive le son d’l’explosion. »2504

Sébastien FAURE (1858-1942), La Ravachole, version anarchiste de La Carmagnole (1892), chanson. Ravachol et les anarchistes (1992), Jean Maitron

Sébastien Faure a un long parcours militant : ex-séminariste, ex-marxiste, anarchiste à la fin des années 1880, libertaire avec Louise Michel, dreyfusard au moment de l’Affaire, avant de s’afficher pacifiste et antimilitariste, au siècle suivant.
L’anarchie va occuper la vie publique un quart de siècle : avec ses chansons, sa presse, ses héros et ses criminels, ses attentats, ses victimes – jusqu’au président de la République, Sadi Carnot.

L’Internationale.

« Debout ! Les damnés de la terre !
Debout ! Les forçats de la faim ! »2382

Eugène POTTIER (1816-1888), paroles de L’Internationale, chanson. La Chanson de la Commune : chansons et poèmes inspirés par la Commune de 1871 (1991), Robert Brécy

Eugène Pottier se cache dans Paris livré aux Versaillais. Membre élu de la Commune et maire du IIIe arrondissement, alors que tout espoir semble perdu, il dit, il écrit en ce mois de juin 1871 sa foi inébranlable en la « lutte finale » : « Du passé faisons table rase […] Le monde va changer de base. »

« C’est la lutte finale ;
Groupons-nous et demain
L’Internationale
Sera le genre humain. »2527

Eugène POTTIER (1816-1888), paroles, et Pierre DEGEYTER (1848-1932), musique, L’Internationale (refrain), chanson

Le chant écrit par Pottier durant la Commune, mis en musique en 1888 par un ouvrier tourneur Pierre Degeyter, chanté pour la première fois au Congrès de Lille du Parti ouvrier en 1896, devient l’hymne du mouvement ouvrier français en 1899. C’est un immense succès, dans les classes populaires.

1899, ce n’est pas la révolution souhaitée, mais c’est un progrès pour la gauche : elle arrive au pouvoir avec les radicaux. Elle va y rester, au prix de diverses alliances, jusqu’à la Première Guerre mondiale.

« Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout ! debout !
Le monde va changer de base :
Nous ne sommes rien, soyons tout ! »2558

Eugène POTTIER (1816-1888), paroles, et Pierre DEGEYTER (1848-1932), musique, L’Internationale (refrain), chanson

Né sous la Commune, devenu hymne du mouvement ouvrier français depuis 1899, ce chant est adopté par l’ensemble des partis socialistes au lendemain du congrès de la IIe Internationale à Stuttgart en 1910. Il connaît alors un énorme succès populaire. Hymne national soviétique jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, il demeure le chant des partis socialistes et communistes.

II. La monarchie sous l’Ancien Régime.

6. La langue française.

Symbole politique autant que culturel, c’est un atout majeur pour notre pays, pour son rayonnement et son unité.

« L’histoire de France commence avec la langue française. La langue est le signe principal d’une nationalité. »391

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1840)

L’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée par François Ier en 1539, qui réorganise la justice, impose le français au lieu du latin pour les ordonnances et jugements des tribunaux. Il faudra se battre pour que le français devienne aussi la langue des savants et des artistes.

« Notre langue étant pauvre et nécessiteuse au regard de la latine, ce serait errer en sens commun que d’abandonner l’ancienne pour favoriser cette moderne. »392

TURNÈBE (1512-1565). La Littérature latine de la Renaissance (1966), Paul Van Tieghem

Adrien Tournebous, dit Turnèbe, humaniste, professeur au Collège de France (on disait alors : lecteur au Collège royal) se bat pour le latin et le grec. Au XVIe siècle, quelque 700 poètes du royaume versifient en latin, la poésie néo-latine s’inspirant jusqu’au plagiat de Virgile, Horace, Catulle, Ovide, tandis que d’autres « pindarisent et pétrarquisent » à qui mieux mieux. Querelle des Anciens et des Modernes, identité nationale en jeu : Ronsard réunit une « Brigade » qui devient « Pléiade » et cette nouvelle école charge du Bellay de rédiger la Défense et illustration de la langue française (1549).

« Je prouverai […] que notre langue vulgaire n’est pas si vile, si inepte, si indigente et à mépriser qu’ils l’estiment. »393

François RABELAIS (vers 1494-1553), Le Cinquième Livre, prologue (posthume)

Le plus grand romancier de la Renaissance, père des géants Gargantua et Pantagruel, se bat avec sa langue originale, bien à lui et bien française. Il s’adresse ici aux « rapetasseurs de vieilles ferrailles latines, revendeurs de vieux mots latins, tous moisis et incertains ».

« Supplie très humblement ceux auxquels les Muses ont inspiré leurs faveurs de n’être plus latiniseurs ni grécaniseurs, comme ils sont plus par ostentation que par devoir, et prendre pitié, comme bons enfants, de leur pauvre mère naturelle. »394

Pierre de RONSARD (1524-1585), Préface de La Franciade (1572)

Poète des prince et Prince des poètes sous la Renaissance, catholique engagé au cœur des guerres de Religion et patriote ardent, Ronsard, à la tête de la Pléiade, participe au combat pour le français, langue en pleine évolution contribuant à faire l’unité de la France.

« [Les actes judiciaires seront] prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement. »472

Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539). Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby

François Ier abolit ainsi l’emploi du latin dans les tribunaux et inaugure une politique linguistique. Selon F. Brunot et Ch. Bruneau (Précis de grammaire historique de la langue française), cette ordonnance est « l’acte le plus important du gouvernement dans toute l’histoire de la langue. Elle prescrit l’emploi exclusif du français dans toutes les pièces judiciaires du royaume. Cette mesure, prise pour faciliter le travail de l’administration, fait du français la langue de l’État. »

La bataille du français n’est pas encore gagnée : les lettrés de cette Renaissance fascinée par les Anciens (grecs et latins) et par l’Italie, « pétrarquisent, latinisent et pindarisent » toujours à l’excès

« Ce n’est point chose vicieuse, mais grandement louable, emprunter d’une langue étrangère les sentences et les mots, et les approprier à la sienne. »481

Joachim du BELLAY (1522-1560), Défense et illustration de la langue française (1549)

Poète de la Pléiade, il est chargé de rédiger ce manifeste littéraire à la fois touffu et belliqueux. Le titre est un bon résumé : « défense » de la langue française contre le latin qui reste, sauf exception, la langue des savants et des lettrés, mais en même temps « illustration », c’est-à-dire enrichissement de cette langue. « [Nos ancêtres] nous ont laissé notre langue si pauvre et nue qu’elle a besoin des ornements et, (s’il faut ainsi parler) des plumes d’autrui. »

Le XVIe siècle verra peu à peu triompher un français en pleine évolution, le siècle suivant le fixera et le rendra « classique ».

« Charles Quint, d’ailleurs ennemi mortel de la France, aimait si fort la langue française qu’il s’en servit pour haranguer les États des Pays-Bas le jour qu’il fit son abdication. »485

Antoine FURETIÈRE (1619-1688), Dictionnaire universel, Préface (posthume, 1690)

Le « vieux goutteux » décide d’abdiquer, dit-on, quand les armées impériales doivent lever le siège de Metz annexée par les Français et bien défendue par François de Guise. L’empereur qui abdique en 1556 (à 56 ans) partage son immense empire entre son frère Ferdinand et son fils Philippe II, mais le monarque chrétien le plus puissant du temps n’a pas résolu les deux problèmes majeurs de son règne : il n’a pu triompher de la Réforme et la lutte avec la France n’est pas finie.

Rappelons ses origines de prince bourguignon : le français est sa langue maternelle et l’empereur d’Allemagne ne parla jamais couramment l’allemand. Il se sentait également étranger en son Espagne.

« On l’entend [la langue française] et on la parle dans toutes les cours de l’Europe, et il n’est point rare d’y trouver des gens qui parlent français et qui écrivent en français aussi purement que les Français mêmes. »823

Antoine FURETIÈRE (1619-1688), Dictionnaire universel, Préface (posthume, 1690)

L’auteur du célèbre dictionnaire s’irrite des lenteurs de l’Académie française à sortir le sien, et de ses lacunes en certains domaines scientifiques et artistiques. Il obtient du roi le privilège de publier son propre Dictionnaire, commencé en 1650. Un extrait, publié en 1684, lui vaut d’être exclu de l’Académie. Mais « le Furetière » lui survit, sans cesse réédité durant trois siècles, tout à l’honneur de la langue française.

Le prestige de la France, la profusion des œuvres, l’éclat de sa civilisation contribuent naturellement à cette vaste « francophonie » : déjà bien vivante au siècle précédent (où l’empereur Charles Quint, l’ennemi numéro un de François Ier, parlait le français et le préférait à l’allemand et à l’espagnol), universelle au siècle suivant (avec la philosophie des Lumières) et aujourd’hui si menacée.

« Le goût qu’on a dans l’Europe pour les Français est inséparable de celui qu’on a pour leur langue. »994

RIVAROL (1753-1801), Discours sur l’universalité de la langue française (1784)

Dans la bataille des idées nouvelles, la langue est toujours une arme. Dans le monde, cette langue française arrivée à son point de perfection et parlée par toute la société « éclairée », jusque dans des pays ennemis comme la Prusse, répand naturellement la philosophie des Lumières.

« Sûre, sociale, raisonnable, ce n’est plus la langue française, c’est la langue humaine. »1237

RIVAROL (1753-1801), Discours sur l’universalité de la langue française (1784)

L’Académie de Berlin a mis au concours en 1782 un sujet révélateur : « Qu’est-ce qui fait de la langue française la langue universelle de l’Europe ? Par où mérite-t-elle cette prérogative ? Peut-on présumer qu’elle la conserve ? » Rivarol obtint le premier prix avec son Discours.

Rayonnements de la langue et de la civilisation d’un pays sont inséparables. Sous Louis XV, la France perd sa suprématie militaire, mais sert toujours de modèle à l’Europe par sa littérature, ses Lumières, ses arts, ses modes, son élégance, son esprit. Frédéric II de Prusse, notre ennemi, parle français, correspond avec Voltaire en « despote éclairé », comme Catherine II de Russie avec Diderot. Des châteaux imités de Versailles naissent un peu partout, cependant que le style rocaille, dit rococo, typique de la Régence et du règne de Louis XV, répand ses contournements en Allemagne et en Italie. Le style Louis XVI revient à plus de classicisme.

7. Fleur de lys et sceptre royal.

Symbole de pureté associé à la Vierge, la fleur de lys blanche est présente sur le manteau du sacre et sur les blasons.

« La France fut faite à coups d’épée. La fleur de lys, symbole d’unité nationale, n’est que l’image d’un javelot à trois lances. »126

Charles de GAULLE (1890-1970), La France et son armée (1938)

Formule lapidaire signée d’un militaire, mais vérité historique : les rois, en particulier les Capétiens, ont dû combattre d’abord les puissants vassaux, ensuite les nations frontalières, pour créer la France.

« Qui les aurait ouverts, ainsi qu’un porc lardé,
On aurait en leur cœur la fleur de lys trouvé. »312

Jean CUVELIER (XIVe siècle), Chronique de Bertrand Du Guesclin

Le ménestrel de Charles V parle ici des habitants de Poitiers, lors de l’entrée triomphale du connétable de France dans cette cité reconquise sur les Anglais, le 7 août 1372. Le sentiment national s’exprime de plus en plus dans notre pays occupé pendant la guerre de Cent Ans, mais peu à peu libéré.

« Le matin, royaliste,
Je dis : « vive Louis ! »
Le soir, bonapartiste,
Pour l’Empereur j’écris,
Suivant la circonstance,
Toujours changeant d’avis,
Je mets en évidence
L’aigle ou la fleur de lys. »1894

La Girouette (1814), chanson anonyme. Histoire secrète de Paris (1980), Georges Bordonove

Sous-titrée : « Couplet dédié à M. Benjamin Constant, ci-devant royaliste, puis conseiller d’État de Bonaparte, et en dernier résultat redevenu royaliste. »

Benjamin Constant n’est pas le seul à faire preuve d’opportunisme, en cette époque de changements de régime. Mais le personnage particulièrement intelligent, irrésolu, faible jusqu’à la lâcheté, romancier de sa propre vie, célèbre et brillant orateur, est particulièrement en vue. Sous la Restauration, il peut être rangé dans l’opposition de gauche, comme libéral et monarchiste parlementaire.

Le sceptre, symbole du pouvoir et de la royauté, est un bâton de commandement tenu dans la main droite lors du sacre et des cérémonies.

« Sire, ce n’est pas tout que d’être Roi de France,
Il faut que la vertu honore votre enfance :
Un Roi sans la vertu porte le sceptre en vain,
Qui ne lui sert sinon d’un fardeau dans la main. »505

Pierre de RONSARD (1524-1585), L’Institution pour l’adolescence du Roi Très Chrétien (1562)

Le poète esquisse un plan d’éducation en alexandrins, puis passe à l’art de gouverner et aux devoirs d’un roi à peine âgé de 12 ans, dans une France déchirée par la guerre civile. L’auteur adopte un ton de généreuse gravité et de sollicitude inquiète qui tranche sur les vers galants et l’épicurisme de l’Ode à Cassandre (« Mignonne, allons voir si la rose… ») ou plus tard des Sonnets pour Hélène (« Quand vous serez bien vieille, le soir à la chandelle… »).

Charles IX, tombé sous le charme de Ronsard, lui aménagera un appartement à l’intérieur de son palais. Dans l’histoire, d’autres grands noms des lettres seront préposés à l’éducation des princes ou dauphins et prendront cette tâche fort à cœur - tels Bossuet et Fénelon au XVIIe siècle.

« Grande et heureuse affaire ! Que de fange sur la crosse et sur le sceptre ! Quel triomphe pour les idées de la liberté. »1243

Emmanuel Marie FRÉTEAU de SAINT-JUST (1745-1794), conseiller au Parlement. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

C’est la fameuse affaire du Collier de la Reine - qui n’avait rien demandé, ni accepté, ni payé. Innocente dans cette histoire, déconsidérée avec sa vie privée étalée au grand jour et ses fastueuses dépenses dénoncées, l’« Autrichienne » humiliée devient « Madame Déficit ».
Mirabeau dira plus tard : « Le procès du Collier a été le prélude de la Révolution. » La royauté déjà malade sort encore affaiblie de cette affaire. Et Marie-Antoinette le paiera cher, lors de son procès.

« Vous avez brisé le sceptre du despotisme […] et tous les jours vous souffrez que treize millions d’esclaves portent les fers de treize millions de despotes ! »1325

Requête des dames à l’Assemblée nationale. L’Assemblée constituante, le Philosophisme révolutionnaire en action (1911), Gustave Gautherot

Les grandes oubliées de l’histoire se manifestent et ce n’est qu’un début. Mais la tourmente révolutionnaire va donner d’autres soucis que les droits des femmes aux hommes de la Révolution.

« Lorsque le roi brise son sceptre, ses serviteurs doivent briser leur épée ! »1361

MIRABEAU (1754-1792), 4 février 1790 à l’Assemblée. Les Lundis révolutionnaires : histoire anecdotique de la Révolution française (1889), Jean-Bernard

Frère cadet du célèbre comte et député de la noblesse, le vicomte est furieux : Louis XVI vient d’accepter que les députés prêtent serment de fidélité à la nation, à la loi et – seulement après – au roi. Joignant le geste à la parole, il quitte la séance de la Constituante. Tout est lourd de symboles, dans cette histoire.

« Que la pique du peuple brise le sceptre des rois ! »1447

DANTON (1759-1794), Convention, 4 octobre 1792. Les Grands orateurs de la Révolution (1914), François-Alphonse Aulard

La pique a beaucoup servi, sous la Révolution, et pas seulement de façon métaphorique ! Le peuple y a planté des têtes coupées, dès la prise de la Bastille. Quant à Danton, avocat révolutionnaire et agitateur dans l’âme, il ne recule devant aucune violence, ni physique, ni verbale.

Face aux ennemis du dehors, aux rois étrangers menaçant les frontières, Danton dit dans ce même discours : « Jetons-leur en défi une tête de roi. » La Convention va donc décider de mettre Louis XVI en jugement, après une longue discussion qui oppose les Girondins aux Montagnards. Danton s’est rangé du côté de la Montagne qui l’emportera.

« Le roi a été assassiné, rien ne sera stable en France tant que le sceptre ne retournera pas au sang légitime. »2432

Louis VEUILLOT (1813-1883), L’Univers. La Fièvre hexagonale : les grandes crises politiques de 1871 à 1968 (1987), Michel Winock

Le « roi assassiné » est Louis XVI et le « sang légitime » est celui du comte de Chambord, prétendant légitimiste au trône de France. Veuillot, directeur du journal L’Univers de 1848 à 1874, est le chantre d’un courant de populisme chrétien qui régente les esprits d’une bonne partie des 220 000 religieux et religieuses que compte le clergé, au début de la Troisième République.

8. Le sacre.

Dans la France très chrétienne, fille aînée de l’Église et vivant en monarchie de droit divin, le sacre est la cérémonie la plus importante du couronnement, depuis Pépin le Bref au VIIIe siècle.

« Courbe la tête, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré. »77

RÉMI (vers 437-vers 533), à Clovis, 25 décembre 496. Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours

Mot souvent cité et peut-être apocryphe – Sicambre étant le nom donné à une ethnie des Francs. Il n’en exprime pas moins l’autorité religieuse sur le pouvoir royal et ce rapport de force moral de l’évêque sur le roi. La religion va désormais marquer l’histoire de France en maints épisodes et jusqu’au début du XXe siècle laïc (séparation des Églises et de l’État).

Clovis le païen va donc se faire chrétien comme promis, après la victoire de Tolbiac. 3 000 de ses hommes vont se convertir avec lui. Il est baptisé à Reims, comme tous les rois de France à sa suite. Après qu’il a déposé ses armes et sa cuirasse, Rémi, archevêque de Reims, apôtre des Francs et futur saint, procède à la cérémonie. Le prêtre oignait le prince avec de l’huile sainte, pour lui communiquer la grâce divine.

Ne pas confondre le baptême avec le sacre qui n’apparaît qu’au VIIIe siècle et trouve son origine dans l’Ancien Testament.

« Lequel mérite d’être roi, de celui qui demeure sans inquiétude et sans péril en son logis, ou de celui qui supporte le poids de tout le royaume ? »88

PÉPIN le Bref (vers 715-768), Lettre au pape Zacharie, 751. Nouvelle histoire de France (1922), Albert Malet

Maire du palais de Childéric III, Pépin le premier Carolingien (père du futur Charlemagne) veut s’assurer de l’appui du pape. Ayant déposé le dernier roi mérovingien, il se fait élire roi au « champ de mai » de Soissons.

Il sera sacré en 752 par les évêques et une seconde fois en 754 (avec ses fils Charles et Carloman) à Saint-Denis par Étienne II : ce pape interdit aux Grands de se choisir à l’avenir un roi d’une autre lignée.

En recevant l’onction d’huile sainte (saint chrême) qui fait de lui l’Élu du Seigneur, le Carolingien cesse d’être un laïc et devient à la fois un roi et un prêtre, dont la fonction sera de conduire, par la justice, le peuple de Dieu vers la paix et la concorde.

« À Charles Auguste couronné par Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! »101

Acclamations en l’honneur de Charlemagne, 25 décembre 800. Encyclopædia Universalis, article « Charlemagne »

Cérémonie relatée dans les Annales royales, équivalent sous les Francs de nos Archives nationales.

Au sommet de sa gloire et de sa puissance, voilà Charlemagne béni et couronné empereur auguste par le pape Léon III dans la basilique Saint-Pierre de Rome. C’est la renaissance de l’Empire romain, d’où naîtra la notion de Saint Empire romain germanique.

Alcuin, savant théologien, conseiller et proche collaborateur de Charlemagne, salue en lui « un chef à l’ombre duquel le peuple chrétien repose dans la paix et qui, de toute part, inspire la terreur aux nations païennes, un guide dont la dévotion ne cesse, par sa fermeté évangélique, de fortifier la foi catholique contre les sectateurs de l’hérésie ».

Apothéose personnelle de Charlemagne, cet empire unifié par la langue (le latin), la religion, la justice et l’impôt sera éphémère. En 1814, son fils Louis le Pieux lui succède. Il maintient le prestige et l’unité de l’empire carolingien. Mais à la mort de Louis, ses trois fils vont se partager l’Empire et bientôt se le disputer. D’où guerre, anarchie, misère.

« Dans la personne de Hugues Capet s’opère une révolution importante : la monarchie élective devient héréditaire ; en voici la cause immédiate : le sacre usurpa le droit d’élection. »155

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Analyse raisonnée de l’histoire de France (1845)

Notre premier grand écrivain romantique projetait une Histoire de France qui ne verra jamais le jour, mais il a publié quelques essais et réflexions, sur les deux thèmes qui lui tiennent le plus à cœur : la religion et la monarchie.

C’est l’un des apports capitaux du règne d’Hugues Capet : il fonde une nouvelle dynastie et pour en assurer la pérennité, le jour de Noël suivant (25 décembre 987), il s’empresse de faire élire et sacrer par anticipation son fils Robert dit le Pieux, qu’il associe au trône.

« Je viens de la part du roi des Cieux pour faire lever le siège d’Orléans et pour conduire le roi à Reims pour son couronnement et son sacre. »336

JEANNE d’ARC (1412-1431), Château de Chinon, 7 mars 1429. Jeanne d’Arc (1860), Henri Wallon

Réponse aux conseillers de Charles VII qui lui demandent pourquoi elle est venue : le couronnement et le sacre sont associés, absolument nécessaires pour que le roi soit reconnu comme tel ! Curieusement, sa réponse ne semble pas surprendre les conseillers. Le lendemain, elle est conduite dans la salle du trône, au château de Chinon. Et l’épopée de Jeanne commence bien.

« Gentil roi, or est exécuté le plaisir de Dieu qui voulait que vous vinssiez à Reims recevoir votre saint sacre, en montrant que vous êtes vrai roi et celui auquel le royaume de France doit appartenir. »343

JEANNE d’ARC (1412-1431). Jeanne d’Arc (1860), Henri Wallon

La Pucelle a tenu parole, Charles est sacré à Reims le 17 juillet 1429 par l’évêque Regnault de Chartres. Alors seulement, Charles VII peut porter son titre de roi.

Plusieurs villes font allégeance : c’est « la moisson du sacre ». Les victoires ont permis de reconquérir une part de la « France anglaise », même si la guerre de Cent Ans n’est pas encore finie.

« Ce sera dimanche que je ferai le saut périlleux. »625

HENRI IV (1553-1610), Lettre à Gabrielle d’Estrées, juillet 1593. Mémoires de Gabrielle d’Estrées (1829), Paul Lacroix

Le Vert Galant écrit souvent à sa maîtresse, pour lui parler le plus souvent d’amour, très galamment et gaillardement. Il l’entretient ici de sa proche conversion.

25 juillet 1593 : les Parisiens se pressent à la basilique de Saint-Denis, pour assister à la cérémonie publique de l’abjuration royale. Le sacre se fera à Chartres, le 27 février 1594. Henri IV devient Roi Très Chrétien.

« Je jure de maintenir l’intégrité du territoire de la République […] de respecter et de faire respecter l’égalité des droits, la liberté politique et civile […] de gouverner dans la seule vue de l’intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français. »1797

NAPOLÉON Ier (1769-1821), cathédrale Notre-Dame de Paris, le jour de son sacre par Pie VII, 2 décembre 1804. Le Moniteur, phrase du journal officiel de l’époque, reprise dans toutes les bonnes biographies de l’empereur

L’empereur donne une importance toute particulière à son sacre ! La cérémonie dure cinq heures, entre la marche guerrière et le Te Deum, un premier serment religieux de Napoléon, la messe, l’Alléluia, les oraisons, les cris de « Vive l’empereur ». Et ce nouveau serment, sur les Évangiles.
C’est « l’instant béni » des relations entre le pape et l’empereur. L’histoire a voulu que se croisent ces deux hommes qui ont la même volonté de fer. « Je n’ai pas succédé à Louis XVI, mais à Charlemagne » dit-il au pape à qui, bientôt, il tentera d’imposer sa politique religieuse.

Napoléon a déjà imposé sa volonté durant le sacre, il a pris la couronne présentée, l’a posée lui-même sur sa tête, avant de couronner son épouse Joséphine. Que de symboles dans ce geste inédit !

« Joseph, si notre père nous voyait ! »1798

NAPOLÉON Ier (1769-1821), à son frère le jour du sacre, 2 décembre 1804. Encyclopédie Larousse, article « La jeunesse de Napoléon Bonaparte »

Très pâle, l’empereur se tourne vers son frère aîné, présent à ses côtés, pour murmurer ces mots.

Leur père, Carlo Maria Buonaparte, qui a francisé son nom en Charles-Marie Bonaparte, a tout fait pour que ses quatre fils puissent suivre de bonnes études (si possible dans l’armée), aux frais du roi, étant peu fortuné et dépensier. Il est mort en 1785, d’un cancer à l’estomac – comme son fils, quelques années plus tard.

Leur mère est bien vivante, mais absente : c’est elle qui l’a décidé, au grand dam de son empereur de fils. Elle ne veut pas jouer son rôle dans cette cérémonie, et surtout pas lui baiser la main, comme le veut l’étiquette. On dit aussi qu’elle est fâchée de la brouille entre Napoléon et son frère Lucien.

« Madame mère » figure pourtant sur le tableau de David, Le Sacre, lui-même étant sacré premier peintre de l’empereur en 1805 : fresque (haute de 6,21 mètres, large de 9,79 mètres) à la démesure de l’événement. Toute la famille Bonaparte est réunie. Napoléon sera comblé par cette œuvre, propre à servir sa légende et à confirmer sa dynastie. À la première exposition publique du Sacre, au Salon de 1808, l’empereur n’a qu’un mot : « Je vous salue, David. »

« J’entendons ronfler l’canon,
Y g’na plus à s’en dédire :
On couronn’ Napoléon
Empereur de ce bel Empire.
Ça nous promet pour l’av’nir
Ben du bonheur et du plaisir. »1800

Le Sacre de Napoléon, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

On chante à la gloire du grand homme, au front si couvert de lauriers que c’est à peine si on peut trouver « un petit coin pour y placer la couronne » ! Une certaine ironie commence à poindre.

« Une belle fête costumée à la gothique. »1998

Le mot qui circule dans le pays. Regalia : emblèmes et rites du pouvoir (2012), Bernard Dupaigne, Yves Vadé

Restauration. C’est le sacre de Charles X à Reims, cérémonie du 29 mai 1825, telle que les tableaux en font foi. Seuls les ultras pavoisent. Trop c’est trop, après la Révolution !

« Français que Reims a réunis,
Criez : « Montjoie et Saint-Denis ! »
On a refait la sainte Ampoule
Et comme au temps de nos aïeux
Des passereaux, lâchés en foule
Dans l’église volent joyeux […]
Le peuple crie : « Oiseaux, plus que nous soyez sages,
Gardez bien votre liberté ! » »1999

BÉRANGER (1780-1857), Le Sacre de Charles le simple (1825), chanson. Causes célèbres de tous les peuples (1858), Armand Fouquier

Le chansonnier chroniqueur a beau jeu d’ironiser, à l’unisson du peuple choqué par tant de pompe !

Ce sacre reprend tout le cérémonial de l’Ancien Régime, les sept onctions et les serments sur les Évangiles. Il se déroule sur trois jours : 28 mai, cérémonie des vêpres ; 29 mai, cérémonie du sacre ; 30 mai, remise de récompense pour les chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit, pour finir le 31 mai, par le toucher des écrouelles que le roi est censé guérir.

Le sacre symbolise pour le roi et les élites un retour à la monarchie absolue. Le peuple ne peut quand même pas oublier la Révolution et l’Empire. L’opposition va se manifester contre le dernier « roi de France », jusqu’à la prochaine révolution.

9. Bestiaire de l’histoire de France, des origines à nos jours.

C’est tout un zoo où chaque animal vaut symbole sacré, populaire ou moqueur et parfois vengeur. Dans cet inventaire hétéroclite, la poule au pot côtoie le coq gaulois.

« Au roi de France, le comte d’Anjou. Sachez, Seigneur, qu’un roi illettré est un âne couronné. »118

Comte dANJOU (910-958), Lettre à Louis IV d’Outremer. Le Pouvoir de Foulque II le Bon, comte d’Anjou de 941 à 960 (2010), Denis Piel

Au Moyen Âge, le roi de France n’est pas encore respecté comme il se doit par les Grands du royaume ! Le comte répond ici au roi qui s’est moqué de son habitude de chanter la messe avec les choristes dans sa chapelle, comme s’il était prêtre. Un demi-siècle de luttes incessantes va marquer le règne des derniers Carolingiens.

« Qui s’y frotte, s’y pique. »277

LOUIS XI (1423-1483), devise associée au chardon. Citations historiques expliquées : des origines à nos jours (2011), Jean-Paul Roig

Louis XII prendra la même devise, mais associée au porc-épic. De sorte qu’il y a parfois confusion, dans certaines sources, entre les deux symboles et les deux rois.

«  Nutrisco et exstinguo. »
« Je le nourris et je l’éteins. »436

FRANÇOIS Ier (1494-1547), devise accompagnant la salamandre sur ses armes. Encyclopédie théologique (1863), abbé Jean Jacques Bourasse

Allusion à l’ancienne croyance selon laquelle cet animal est capable de vivre dans le feu et même de l’éteindre.

Depuis un siècle, les rois de France ont des emblèmes personnels souvent associés à un animal : le lion pour Charles VI le Fou, le cerf ailé pour Charles VII et Charles VIII, le porc-épic pour Louis XII. La salamandre se marie bien à cette Renaissance où la frontière est floue entre nature et surnature, chimie et alchimie, astronomie et astrologie.

« Je veux qu’il n’y ait si pauvre paysan en mon royaume qu’il n’ait tous les dimanches sa poule au pot. »465

HENRI IV (1553-1610). Histoire du Roy Henry le Grand (1681), Hardouin de Péréfixe

Cet historien (et homme d’Église) lui attribue le mot. La poule au pot fait partie de la légende du roi, au même titre que son panache blanc.

Vœu pieux, et sûrement sincère, de la part d’un souverain resté proche de son peuple. Mais malgré les efforts de l’équipe au pouvoir, les petits paysans français, écrasés d’impôts, ruinés par d’interminables guerres, exploités par des usuriers, sont souvent dépossédés de leurs parcelles quel que soit le redressement économique du pays. Malgré les mesures de circonstance prises en cas de misère criante par Sully, leur condition ne s’améliore pas vraiment et le temps fait défaut à Henri IV, plus encore que la volonté et les moyens.

« Il faut dormir comme le lion, sans fermer les yeux. »687

Cardinal de RICHELIEU (1585-1642), Testament politique

Tel est le devoir de l’homme d’État : « … les yeux qu’on doit avoir continuellement ouverts pour prévoir les moindres inconvénients qui peuvent arriver ; se souvenir qu’ainsi que la phtisie ne rend pas le pouls ému bien qu’elle soit mortelle, ainsi arrive-t-il souvent dans les États que les maux qui sont imperceptibles de leur origine et dont on a moins de sentiment sont les plus dangereux. » La métaphore médicale est significative : Louis XIII souffre de tuberculose toute sa vie, cependant que Richelieu mourra d’épuisement, rongé par un ulcère.

« Prends ta foudre, Louis, et va comme un lion
Donner le dernier coup à la dernière tête
De la Rébellion. »698

François de MALHERBE (1555-1628), Poésies, Ode pour le roi (1628)

Sous Louis XIII, la lutte entre pouvoir royal et puissance protestante, cet « État dans l’État » toujours rebelle, se joue au siège de La Rochelle. Paradoxe cruel, cette bataille risque d’anéantir le premier port de France, principale place de course et d’armement, atout majeur pour la politique maritime et coloniale du cardinal, et vrai motif de la guerre avec l’Angleterre.

Malgré tout, il faut prendre La Rochelle. C’est dans la logique d’une monarchie qui se veut absolue. La métaphore animale renvoie de nouveau et logiquement au roi des animaux, le lion.

« Parbleu ! voilà un foutu royaume bien gouverné, par un ivrogne, par une putain, par un fripon, et par un maquereau ! »1074

Philippe d’ORLÉANS (1674-1723) répondant à un ministre venu lui demander de signer un décret. L’Amour au temps des libertins (2011), Patrick Wald Lasowski

Le siècle des Lumières commence mal (ou bien ?), en tout cas, le pouvoir est sérieusement malmené !

Le Régent (l’ivrogne) soupe et boit avec une de ses maîtresses préférées, Mme de Parabère (la putain), en compagnie de John Law (le fripon), banquier écossais qui fait la politique financière de la France, et de l’abbé Dubois (le maquereau), vénal et libertin, mais supérieurement intelligent, responsable de la politique extérieure sous la Régence – le « maquereau » deviendra bientôt « rouget », autrement dit cardinal, de manière non orthodoxe.

« Notre saint père est un dindon
Le calotin est un fripon
Notre archevêque un scélérat
Alleluya. »1250

Première chanson anticléricale attaquant le pape (sans titre, et sans auteur). Dictionnaire des chansons de la Révolution (1988), Ginette Marty, Georges Marty

À la veille de la Révolution, le peuple ne respecte plus rien ni personne. Le clergé était une cible habituelle, mais cette fois, Pie VI en personne est mis en cause. Ce n’est que le début des ennuis pour le 248e pape qui verra passer non seulement la Révolution française, mais aussi la campagne d’Italie de Napoléon Bonaparte.

« La plus grande joie du Père Duchesne après avoir vu de ses propres yeux la tête du Veto femelle séparée de son col de grue et sa grande colère contre les deux avocats du diable qui ont osé plaider la cause de cette guenon. »1453

Jacques HÉBERT (1757-1794), Le Père Duchesne, n° 299, titre du journal au lendemain du 16 octobre 1793. Les Derniers Jours de Marie-Antoinette (1933), Frantz Funck-Brentano

Voici l’oraison funèbre consacrée par le pamphlétaire jacobin à la reine sacrifiée. Le titre est un peu long. Et la chronique qui suit, ce n’est pas du Bossuet, mais la littérature révolutionnaire déploie volontiers cette démagogie populaire : « J’aurais désiré, f…! que tous les brigands couronnés eussent vu à travers la chatière l’interrogatoire et le jugement de la tigresse d’Autriche… »

« N’est-ce pas que je suis de la poule blanche ! »1714

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), à sa mère, après l’attentat de la rue Saint-Nicaise, 24 décembre 1800. Histoire de la France (1986), André Bendjebbar

« Être de la poule blanche », expression corse qui signifie avoir de la chance et ce Corse fut toute sa vie très superstitieux. Cela explique le choix de certaines dates (2 décembre, le sacre et la bataille d’Austerlitz) et l’accumulation des symboles, sous le Consulat et l’Empire.

C’est miracle s’il n’est pas mort, ce soir de Noël 1800. Au passage de son carrosse, explosion de la « machine infernale » – tonneau de 200 livres de poudre, rempli de clous. L’attentat fait 22 morts, une cinquantaine de blessés, 46 maisons détruites. Le fracas ébranle tout le quartier Saint-Honoré. Le Premier Consul est indemne. Il dormait, épuisé, toujours prompt à récupérer, avant d’aller voir La Création du monde de Haydn, à l’Opéra (place Louvois). Il se rendra au spectacle, sans se soucier de son épouse, Joséphine (légèrement blessée) dans une autre voiture du cortège avec sa fille Hortense.

Le 10 octobre, dans sa loge à l’Opéra, il échappa de peu au couteau de cinq conjurés – la « conspiration des poignards ». Bonaparte est persuadé que cette série d’attentats est l’œuvre des Jacobins, mais Fouché a d’autres informations.

« Je sais, quand il le faut, quitter la peau du lion pour prendre celle du renard. »1775

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Mémoires du prince de Talleyrand (posthume, 1891)

Talleyrand eut tout loisir d’observer l’homme, du Directoire à la fin de l’Empire, et d’apprécier en connaisseur ses talents.

Napoléon est né sous le signe astral du lion, le 15 août 1769. Pour compléter le bestiaire napoléonien, il a pris pour symboles l’aigle impérial et les abeilles qui renvoient à l’Antiquité romaine. Le nom de Consulat et le titre de Premier Consul rappellent également cette glorieuse civilisation.

« Pas besoin de sabres, les gourdins suffiront pour ces chiens de Français ! »1817

FRÉDÉRIC-GUILLAUME III, roi de Prusse, été 1806

Quatrième coalition contre la France napoléonienne. Le roi de Prusse apprend que les officiers prussiens s’amusent à affûter leur sabre, sur les marches du perron de l’ambassade de France. Mais il a tort de jouer les matamores. À la tête du Grand Empire, Napoléon est encore le « souverain de l’Europe » avec l’aigle impérial.

« L’Autriche fit au Minotaure le sacrifice d’une belle génisse. »1845

Prince de LIGNE (1735-1814). L’Europe et la Révolution française (1904), Albert Sorel

De Ligne commente le mariage impérial, en authentique et vieux prince autrichien, avec des références mythologiques familières au monde de son temps. Mais qui pense à l’humiliation du père de la mariée, François Ier d’Autriche, empereur romain germanique ? Le mariage de Marie-Louise et de Napoléon a lieu le 1er avril 1810.

« L’aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame. »1927

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Golfe-Juan, Proclamation du 1er mars 1815. Recueil de pièces authentiques sur le captif de Sainte-Hélène, de mémoires et documents écrits par l’empereur Napoléon (1821-1822)

Les Cent-Jours. L’empereur annonce la couleur, dès le premier jour, se pose devant l’armée en soldat de la Révolution et honnit le drapeau blanc de la Charte constitutionnelle : « Arrachez ces couleurs que la nation a proscrites, et qui pendant vingt-cinq ans servirent de ralliement à tous les ennemis de la France ! Arborez cette cocarde tricolore ; vous la portiez dans nos grandes journées […] Reprenez ces aigles que vous aviez à Ulm, à Austerlitz, à Iéna. »

Il n’en faut pas plus, pas moins non plus, pour que Napoléon gagne cet incroyable pari : rallier les troupes envoyées pour l’arrêter, soulever d’enthousiasme les populations, et traverser la France en vingt jours, sous les yeux de l’Europe pétrifiée. Ainsi commence le vol de l’Aigle, sur la route Napoléon.

« Enfin, v’la qu’je r’voyons à Paris
Ce fils de la victoire !
L’aigle remplace la fleur de lys,
C’est c’qui faut pour sa gloire.
De l’île d’Elbe en quittant le pays,
Crac ! Il se met en route.
En vingt jours, il arrive à Paris.
C’t’homm’-là n’a pas la goutte. »1929

Ot’-toi d’là que j’m’y mette, chanson de 1815. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

L’un des couplets du chant des partisans, de plus en plus nombreux : la magie impériale agit encore. Cependant qu’à Paris comme à Vienne, la réaction s’organise. Dès que la nouvelle touche la capitale, le 5 mars 1815, le comte d’Artois prend la route de Lyon. Le Journal des Débats stigmatise le traître, les anciens compagnons de l’empereur s’apprêtent à le combattre, avant de se rallier à lui, pour la plupart.

« Il faut tuer Buonaparte comme un chien enragé. »1934

TALLEYRAND (1754-1838), Congrès de Vienne, 12 mars 1815. Le Roi de Rome (1932), Octave Aubry

Napoléon a bouleversé le bon ordre du Congrès et mis le ministre français dans une situation délicate, si habile que soit notre diplomate, à 60 ans.

« Mais au contraire, j’ai plaisir à marcher dessus. »1956

LOUIS XVIII (1755-1824), aux chambellans qui s’excusent, 8 juillet 1815. L’Esprit de tout le monde (1893), Lorédan Larchey

Le roi est revenu si précipitamment pour cette « seconde entrée triomphale » que les chambellans du château des Tuileries n’ont pas eu le temps d’enlever les tapis semés d’abeilles et d’aigles, symboles de l’Empire. Ils s’en excusent. Mais ce jour-là, tout fait bonheur à Louis XVIII.

« L’Angleterre prit l’aigle et l’Autriche l’aiglon. »1961

Victor HUGO (1802-1885), Les Chants du crépuscule (1835)

Les destins tragiques inspirent les poètes, et entre tous, les grands romantiques du XIXe siècle.

Edmond Rostand, considéré comme le dernier de nos auteurs romantiques, est un peu le second père de l’Aiglon, et fit beaucoup pour sa gloire, dans la pièce qui porte son nom. Le rôle-titre est créé en travesti par la star de la scène, Sarah Bernhardt (1900). À plus de 50 ans, elle triomphe en incarnant ce jeune prince mort à 21 ans.

« C’est le premier vol de l’Aigle ! »2224

André Marie Jean Jacques DUPIN (1783-1865), 22 janvier 1852. La Sarabande, ou Choix d’anecdotes, bons mots, chansons, gauloiseries, épigrammes, épitaphes, réflexions et pièces en vers des Français depuis le XVe siècle jusqu’à nos jours (1903), Léon Vallée

Jouant sur le mot « vol », ce magistrat qui présida la Législative en 1849 et sera sénateur sous l’Empire, parle du décret pris par le prince Louis-Napoléon Bonaparte, portant confiscation des biens de la maison d’Orléans, le 22 janvier 1852. Le même jour, il démissionne de ses fonctions à la Cour de cassation.

« Qui arracherait une plume à son aigle risquerait d’avoir dans la main une plume d’oie. »2248

Victor HUGO (1802-1885), Histoire d’un crime (1877)

Le « crime » de l’histoire, c’est le coup d’État du 2 décembre 1851 auquel Hugo tenta en vain de s’opposer par la force des pavés, avant de s’en remettre à la force des mots. On sait que le ridicule blesse, s’il ne tue pas à tout coup. Certes, coup d’État réussi donne une soudaine assurance au personnage, mais Napoléon III souffrira toujours de la comparaison avec Napoléon Ier. « L’histoire est une galerie de tableaux où il y a peu d’originaux et beaucoup de copies. » Ce jugement de Tocqueville, d’ailleurs antérieur au Second Empire, s’applique particulièrement bien à Napoléon III.

À noter qu’il prit le numéro trois, le roi de Rome ayant reçu officiellement le nom de Napoléon II.

« Prussiens ! vous fuirez, battant la retraite,
Devant nos drapeaux
Et nos Chassepots,
Oui, notre aigle altier qui n’a qu’une tête
S’ra victorieux,
Et pourtant le vôtre en a deux !
Refrain
Zim la la, zim la la, les beaux militaires,
Zim la la, zim la la, que ces Prussiens-là ! »2312

Ces beaux Prussiens (1870), chanson. La Commune en chantant (1970), Georges Coulonges

Les chansons font partie de la propagande patriotique, au même titre que la presse. Le chassepot français (du nom de son inventeur) est en effet le fusil à aiguille le plus efficace à l’époque, mais c’est vraiment notre seule supériorité.

450 000 Prussiens très armés et entraînés vont infliger les premières défaites aux 350 000 Français pleins d’ardeur. Les Allemands envahissent l’Alsace et la Lorraine. L’armée de Mac-Mahon est défaite en Alsace – battue à Wissembourg (4 août 1870), Reichshoffen et Froeschwiller (6 août) – et l’armée de Bazaine en Lorraine – à Forbach (6 août).

« Il est assez difficile que Monsieur Mac-Mahon nous dise ce qu’il veut, puisqu’il ne peut même pas nous apprendre ce qu’il est. C’est ce qu’on appelle en photographie un négatif, et en histoire naturelle un mulet. »2440

Henri ROCHEFORT (1831-1913), La Lanterne, 1874

C’est l’humour féroce d’un opposant républicain. Avec le recul de l’histoire, il faut pourtant rendre justice à Mac-Mahon. Maréchal et improbable président de la République, populaire par sa prestance, sa loyauté et sa franchise, il va assister ou participer à la mise en place de beaucoup d’institutions durables : le domaine réservé du chef de l’État, les difficultés de la cohabitation, les risques de la dissolution. Le septennat et la présidence du Conseil des ministres ont longtemps fonctionné… Au total, ce premier président fera autant pour l’établissement de la République que Thiers, Gambetta ou Grévy, ses contemporains et adversaires.

« Laissons au coq gaulois ces sables à gratter. »2526

Marquis de SALISBURY (1830-1903), Premier ministre anglais, 21 mars 1899. Les Forces politiques au Cameroun réunifié (1989), Joseph-Marie Zang-Atangana

Il parle du Sahara, à la fin des négociations franco-anglaises sur la situation respective des deux grandes puissances coloniales en Afrique. C’est la suite de l’« incident de Fachoda » en juillet 1898… et la vieille anglophobie qui remonte à la guerre de Cent Ans.

Quant au symbole du coq, il remonte à la Gaule et aux Gaulois ! C’est donc un jeu de mots tout bête en latin où « gallus » désigne en même temps le coq et le Gaulois. La Renaissance marie parfois le coq et la France, les Valois et les Bourbons se plurent au rapprochement, mais Napoléon rejeta ce vulgaire gallinacé pour promouvoir l’aigle plus impérial que nature. Le coq eut plus de chance par la suite, même s’il prête à la raillerie.

« L’armistice vient d’être signé par Lloyd George qui ressemble à un caniche, par Wilson qui ressemble à un colley et par Clemenceau qui ressemble à un dogue. »2614

Jean GIRAUDOUX (1882-1944), Suzanne et le Pacifique (1921)

Diplomate, romancier et auteur dramatique, il fait une longue carrière aux Affaires étrangères de 1910 à 1940. Signé le 11 novembre 1918 pour 36 jours, l’armistice est reconduit jusqu’à la signature du traité de Versailles, le 28 juin 1919.

« Si vous saviez le plaisir que j’ai pu éprouver à passer pour un blaireau, surtout au milieu de corniauds. »3321

Jacques CHIRAC (1932-2019), Dans la peau de Jacques Chirac (2006), Karl Zéro et Michel Royer

Trait de caractère original et franchise peu diplomatique : aucun président de la République n’a pu tenir ce genre de propos, à l’humour assumé, rigolard et franchouillard.

10. Monuments historiques.

Le Versailles de Louis XIV sert ensuite de capitale quand Paris est occupé en temps de guerre, et de lieu d’accueil pour les hôtes de marque, les chefs d’État, les sommets étrangers.

La Bastille symbolise la Révolution, les Invalides et le Panthéon rappellent la mémoire de nos grands morts, militaires et civils.

« Au défaut des actions éclatantes de la guerre, rien ne marque davantage la grandeur et l’esprit des princes que les bâtiments. »818

Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), Lettres, instructions et mémoires de Colbert (posthume, 1863)

Surintendant des Bâtiments, Arts et Manufactures (en 1664), Colbert exprime naturellement la pensée de Louis XIV.

Les seuls bâtiments royaux coûtent en moyenne 4 % du budget de l’État et Versailles, son château, son parc et ses jardins en ont la plus grande part. Les travaux commencent dès 1661, pour durer plus d’un demi-siècle. Résultat ? La plus grande réussite artistique des temps modernes : Versailles servira de modèle à l’Europe pendant un siècle, imposant la supériorité de l’art français.

« On nous dit que nos rois dépensaient sans compter,
Qu’ils prenaient notre argent sans prendre nos conseils.
Mais quand ils construisaient de semblables merveilles,
Ne nous mettaient-ils pas notre argent de côté ? »890

Sacha GUITRY (1885-1957), Si Versailles m’était conté (film de 1953)

6 mai 1682 : Louis XIV s’installe à Versailles. La ville devient la vraie capitale de la France et le centre du monde civilisé.

Louis XIII fit construire dès 1624 un pavillon de chasse, mais c’est Louis XIV en 1661 qui ordonne les travaux pour faire du château ce « plaisir superbe de la nature » (Saint-Simon). Le roi ne dépense pas sans compter, mais il dépense beaucoup pour les bâtiments en général (4 % du budget de l’État leur est consacré en moyenne) et tout particulièrement pour Versailles. L’équipe qui a si bien réussi Vaux-le-Vicomte pour Fouquet est à nouveau réunie pour réaliser ce chef-d’œuvre de l’art classique à la française : Le Vau (architecte), Le Brun (peintre), Le Nôtre (jardinier), Francine (ingénieur des eaux). Louis XIV fait plus que donner son avis : il l’impose souvent. Et se trompe rarement.

« La convocation des États généraux de 1789 est l’ère véritable de la naissance du peuple. Elle appela le peuple entier à l’exercice de ses droits. »1314

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française (1847-1853)

Convoqués le 5 juillet 1788, les États généraux se réunissent pour la première fois le 5 mai 1789 à Versailles : 1 139 représentants, dont 578 du tiers état, dans la salle des Menus-Plaisirs.

« Mes amis, j’irai à Paris avec ma femme et mes enfants : c’est à l’amour de mes bons et fidèles sujets que je confie ce que j’ai de plus précieux. »1355

LOUIS XVI (1754-1793), au matin du 6 octobre 1789 à Versailles. La Révolution française (1965), François Furet, Denis Richet

Le roi ne peut que céder à la foule – des milliers de Parisiens et Parisiennes amassés dans la cour du château et criant : « À Paris ! À Paris ! » Il se rend à nouveau populaire, du moins il l’espère, d’autant que la foule fraternise avec les gardes. Louis XVI va quitter définitivement Versailles pour regagner le palais des Tuileries, sa résidence parisienne.

L’Assemblée se réunit à 11 heures. Elle s’affirme inséparable du roi et décide de le suivre à Paris.

Un immense cortège s’ébranle à 13 heures : plus de 30 000 personnes. Des gardes nationaux portant chacun un pain piqué au bout de la baïonnette, puis les femmes escortant des chariots de blé et des canons, puis les gardes du corps et les gardes suisses désarmés, précédant le carrosse de la famille royale escorté par La Fayette, jeune commandant en chef de la garde nationale, suivi de voitures emmenant quelques députés, puis le reste des gardes nationaux et des manifestants.

« Nous ne voulons pas recevoir tous les quinze jours des révolutions par le chemin de fer et le télégraphe. »1360

Gabriel Lacoste de BELCASTEL (1820-1890), début mars 1871. Histoire de quinze ans, 1870-1885 (1886), Edmond Benoît-Lévy

Guerre franco-prussienne de 1870-1871. L’Assemblée, le 10 mars, décide son transfert non à Paris, mais à Versailles, ville au passé royal – ce qui est pris comme une provocation par les républicains. Belcastel, député légitimiste, résume l’idée que ses collègues se font de Paris : « le chef-lieu de la révolution organisée, la capitale de l’idée révolutionnaire ».

« Le bon Dieu est trop Versaillais. »2378

Louise MICHEL (1830-1905), La Commune, Histoire et souvenirs (1898)

La Vierge rouge témoigne, entre autres, de l’inévitable victoire des Versaillais, vu l’inégalité des forces et de l’organisation. Bilan de la Semaine sanglante, du 22 au 28 mai 1871 : au moins 20 000 morts chez les insurgés, 35 000 selon Rochefort. De son côté, l’armée bien organisée des Versaillais a perdu moins de 900 hommes, depuis avril.

La Commune est l’un des plus grands massacres de notre histoire, tragédie qui se joue en quelques jours, Français contre Français, avec la bénédiction des occupants allemands, Bismarck ayant poussé à écraser l’insurrection. Il y aura 100 000 morts au total d’après certaines sources, compte tenu de la répression également sanglante, « terreur tricolore » qui suit la semaine historique – en comparaison, sous la Révolution, la Grande Terreur fit à Paris 1 300 victimes, du 10 juin au 27 juillet 1794.

La Bastille, symbole de la monarchie ET de la Révolution.

« 14, rien. »1331

LOUIS XVI (1754-1793), note ces deux mots dans son carnet avant de se coucher, château de Versailles, le soir du 14 juillet 1789. Histoire des Français, volume XVII (1847), Simonde de Sismondi

L’histoire lui a beaucoup reproché cette indifférence à l’événement, mais il faut préciser à sa décharge que le fameux carnet consigne surtout ses tableaux de chasse.

Le roi a été prévenu de l’agitation à Paris, par une députation de l’Assemblée. Le 11 juillet, il a malencontreusement renvoyé Necker, ministre des Finances jugé trop libéral, l’homme le plus populaire du royaume, et il le rappellera le 16. En attendant, le mal est fait : manifestations le 12 juillet, municipalité insurrectionnelle à l’Hôtel de Ville, milice et foule armées le 13 (avec 28 000 fusils et 20 canons pris aux Invalides). À la Bastille, on est allé chercher la poudre et les munitions.

La forteresse est avant tout le symbole historique de l’absolutisme royal : la révolution parlementaire est devenue soudain populaire, et parisienne, en ce 14 juillet 1789.

Contrairement à ce que l’on croit trop souvent, ce jour n’est pas l’origine de notre fête nationale. Il faut attendre l’année suivante, la Fête de la Fédération.

« Nous sommes le premier de tous les Français qui écrivîmes contre la Révolution avant la prise de la Bastille. »1328

RIVAROL (1753-1801), Pensées inédites de Rivarol (posthume, 1836)

Monarchiste et rare humoriste de l’époque, c’est un homme d’ordre, il aurait pu écrire : « Oui à la Constitution, non à la chienlit. » La première pièce qui met en scène la prise de la Bastille est un vaudeville en un acte et en prose de Pellet-Desbarreaux, Le Champ de Mars ou la Régénération de la France, joué dans la région de Toulouse, en août 1789. Certaines sources situent même la création en mars : ce serait de la politique-fiction.

« La Révolution m’aurait entraîné, si elle n’eût débuté par des crimes : je vis la première tête portée au bout d’une pique et je reculai. »1329

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

La tête « au bout d’une pique » est un classique de l’horreur révolutionnaire. La « première tête » peut être celle du gouverneur de la Bastille, de Launay, massacré par le peuple le 14 juillet, lors de la prise du fort. Chateaubriand, 21 ans, réformé de l’armée, hésitant sur sa vocation, s’est essayé à la vie politique au début de l’année, en participant aux États de Bretagne (assemblée provinciale). Présent à Paris au début de la Révolution, il est très choqué par cette violence « cannibale ».

Représentatif de sa classe, il écrit aussi : « Jamais le meurtre ne sera à mes yeux un objet d’admiration et un argument de liberté ; je ne connais rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, de plus borné qu’un terroriste. »

« Le bourgeois et le marchand
Marchent à la Bastille
Et ran plan plan […]
Sortez de vos cachots funèbres
Victimes d’un joug détesté
Voyez à travers les ténèbres
Les rayons de la Liberté ! »1330

La Prise de la Bastille (1790), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

C’est une chanson vaudeville, genre très en vogue à la fin du XVIIIe siècle. L’événement se joue en deux actes : « Départ pour le siège », puis « Délivrance des captifs ». Le style est typique de l’époque. Les « victimes d’un joug détesté », ce sont les prisonniers libérés. L’inventaire est dérisoire. Ils sont sept : quatre escrocs ayant falsifié une lettre de change, deux malades mentaux et un jeune gentilhomme prodigue, le comte de Solanges, embastillé pour inceste. À quelques jours près, on trouvait le marquis de Sade – transféré à Charenton.

L’Hôtel national des Invalides, monument militaire créé par Louis XIV et tombeau de Napoléon.

« Ma bonne Louise, victoire ! J’ai détruit douze régiments russes, fait six mille prisonniers, quarante pièces de canon, deux cents caissons, pris le général en chef et tous les généraux, plusieurs colonels. Je n’ai pas perdu deux cents hommes. Fais tirer le canon des Invalides et publier cette nouvelle à tous les spectacles. »1882

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Lettre à Marie-Louise au soir de la bataille de Champaubert (commune de la Marne), 10 février 1814. La Chute ou l’Empire de la solitude (2008), Dominique de Villepin

C’est une victoire sur les Russes et les Prussiens, cinq fois supérieurs en nombre. Napoléon va encore faire des prouesses à Montmirail, Château-Thierry, Nangis. Et à Montereau où il attaque, toujours en tête des troupes, sur son cheval… Mais l’empereur sait que voilà le commencement de la fin.

« Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé. »1982

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Mémorial de Sainte-Hélène (1823), Las Cases

Ces mots sont dans son testament, daté du 16 avril 1821. Il meurt le 5 mai 1821, après cinq ans de captivité à Sainte-Hélène, cinq ans d’humiliation de la part du gouverneur anglais Hudson Lowe.

« Je ne me prosterne pas devant cette mémoire ; je ne suis pas de cette religion napoléonienne, de ce culte de la force que l’on veut substituer dans l’esprit de la nation à la religion sérieuse de la liberté. »2105

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869), à l’occasion du retour des cendres de Napoléon, Discours à la Chambre, 26 mai 1840. La France parlementaire (1834-1851) : œuvres oratoires et écrits politiques, volume II (1864), Alphonse de Lamartine, Louis Ulbach

Les cendres de Napoléon seront rapportées de Sainte-Hélène par le prince de Joinville, fils de Louis-Philippe, sur la Belle-Poule, et transférées aux Invalides le 15 décembre 1840. Thiers, revenu à la tête du gouvernement le 1er mars 1840, à défaut de programme, flatte la vanité nationale, aussi répandue dans le peuple que dans la bourgeoisie, par cette décision prise au mois de mai. Le député Lamartine y est hostile, prophétisant le Second Empire – poète et politicien, il a souvent une étrange prescience de l’avenir.

Le Panthéon, destiné aux grands hommes et à quelques femmes ayant mérité de la patrie.

« Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent. »1023

VOLTAIRE (1694-1778), Zadig ou la destinée (1747)

Ainsi parle Zadig, « celui qui dit la vérité », alias Voltaire. Quand la Révolution va mettre au Panthéon le grand homme (seul à partager cet honneur avec Rousseau), sur son sarcophage qui traverse Paris le 11 juillet 1791, on lira : « Il défendit Calas, Sirven, La Barre, Montbailli. » Plus que le philosophe réformateur ou le théoricien spéculateur, la Révolution honore l’« homme aux Calas », l’infatigable combattant pour que justice soit faite.

« Avec Voltaire, c’est un monde qui finit. Avec Rousseau, c’est un monde qui commence. »1032

GOETHE (1749-1832). Encyclopædia Universalis, article « Voltaire »

Le siècle de raison va céder le pas au siècle des passions. Voltaire exprime et résume le XVIIIe siècle avec son ardente humanité, sa vocation à l’universel, sa sagesse, sa défense des libertés, des droits formels. Rousseau annonce le XIXe avec l’égalité, la fraternité, la fibre civique, les droits réels.
Brouillés « à mort » dans la vie, Voltaire et Rousseau seront réconciliés devant l’éternité par la même « panthéonisation » d’une Révolution qui rend ainsi hommage à tout le siècle philosophique.

« Si l’on recherche en quoi consiste précisément le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout système de législation, on trouvera qu’il se réduit à deux objets principaux, la liberté et l’égalité. »1046

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Du contrat social (1762)

Rousseau subordonne la liberté à l’égalité politique, voire économique, et à la souveraineté de la nation. Les révolutionnaires le porteront au Panthéon (1794) après une pétition faisant de lui le « premier fondateur de la Constitution française » parce qu’il a « établi en système l’égalité des droits entre les hommes […] et la souveraineté du peuple ».

« Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, en détestant la superstition. »1229

VOLTAIRE (1694-1778), profession de foi manuscrite, 18 février 1778. « Mot de la fin » écrit. Choix de testaments anciens et modernes (1829), Gabriel Peignot

Ses derniers mots, écrits de sa plume, sont pour la tolérance, le combat de sa vie. Il meurt le 30 mai 1778. Ses cendres seront transférées au Panthéon sous la Révolution - seul philosophe à avoir cet honneur avec Rousseau, son intime ennemi.

« Mon ami, j’emporte avec moi les derniers lambeaux de la monarchie. »1384

MIRABEAU (1749-1791), à Talleyrand, fin mars 1791. Son « mot de la fin politique ». Souvenirs sur Mirabeau et sur les deux premières assemblées législatives (1832), Pierre Étienne Lous Dumont

Talleyrand est venu voir le malade, juste avant sa mort (2 avril 1791). Certains députés, connaissant son double jeu et son double langage entre le roi et l’Assemblée, l’accusent de trahison – le fait ne sera prouvé qu’en novembre 1792, quand l’armoire de fer où le roi cache ses papiers compromettants révélera ses secrets.

Mirabeau, l’Orateur du peuple, la Torche de la Provence, fut le premier personnage marquant de la Révolution. Le peuple prend le deuil de son grand homme qui a droit aux funérailles nationales et au Panthéon. Avant d’être dépanthéonisé, quand on découvre son double jeu. Rivarol l’avait déjà dit : « Mirabeau (le comte de). – Ce grand homme a senti de bonne heure que la moindre vertu pouvait l’arrêter sur le chemin de la gloire, et jusqu’à ce jour, il ne s’en est permis aucune. » Dans le même esprit, rappelons cet autre mot : « Mirabeau est capable de tout pour de l’argent, même d’une bonne action » (Petit Dictionnaire des grands hommes de la Révolution, publié en 1790).

« Ma demeure sera bientôt dans le néant ; quant à mon nom, vous le trouverez dans le panthéon de l’Histoire. »1582

DANTON (1759-1794), réponse au Tribunal révolutionnaire, 2 avril 1794. Procès historiques, Le procès de Danton, Histoire et patrimoine [en ligne], ministère de la Justice

Le Tribunal procède à l’interrogatoire habituel, lui demandant son nom et ses qualités.

Il existe plusieurs versions de la réponse, selon les sources : de la plus longue – « Je suis Danton, assez connu dans la Révolution ; ma demeure sera bientôt le néant, mais mon nom vivra dans le Panthéon de l’histoire » – à la plus courte, la plus fréquemment citée : « Ma demeure ? Demain, dans le néant. »

Danton a toujours le sens de l’improvisation – quoique cette réplique ait pu être préparée.

« Paris va terrifier le monde. On va voir comment Paris sait mourir. Le Panthéon se demande comment il fera pour recevoir sous sa voûte tout ce peuple qui va avoir droit à son dôme. »2336

Victor HUGO (1802-1885), le 5 septembre 1870. Actes et Paroles. Depuis l’exil (1876), Victor Hugo

De retour d’exil après 19 ans, la foule qui se presse l’oblige à prononcer quatre discours entre la gare du Nord et son domicile ! Auteur immensément populaire, c’est aussi la conscience et la grande voix de la France. Il aura naturellement droit au Panthéon, après des obsèques nationales. C’est même en son honneur que l’église Sainte-Geneviève, au cœur du 5e arrondissement, retrouve cette vocation et cette inscription : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante. »

Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante.2480

Inscription au fronton du Panthéon

Victor Hugo meurt le 22 mai 1885. Paris lui fait des funérailles nationales : le cortège va de l’Arc de Triomphe au Panthéon, monument voué au souvenir des grands hommes. Ce vaste sanctuaire, à l’origine église Sainte-Geneviève édifiée par Soufflot, est transformé en Panthéon destiné à recevoir les cendres des grands hommes sous la Révolution (1791). Mirabeau, Voltaire et Rousseau en sont les premiers locataires.

L’Empire rend le Panthéon au culte. Avec la Restauration, l’église reçoit une nouvelle inscription en latin, hommage à sainte Geneviève, Louis XVI et Louis XVIII réunis. Sous la Monarchie de Juillet, le Panthéon redevient Panthéon et l’inscription reparaît, pour disparaître de nouveau à la fin de la Deuxième République, quand le bâtiment redevient église.

28 mai 1885. Le Panthéon devient définitivement Panthéon, juste à temps pour recevoir les cendres du poète national.

« Pauvre roi supplicié des ombres, regarde ton peuple d’ombres se lever dans la nuit de juin constellée de tortures. »2797

André MALRAUX (1901-1976), Discours au Panthéon, lors du transfert des cendres de Jean Moulin, 19 décembre 1964. André Malraux et la politique : L’être et l’Histoire (1996), Dominique Villemot

Le corps de Jean Moulin fut renvoyé à Paris en juillet 1943, incinéré au Père-Lachaise. Ses cendres (supposées telles) ont été transférées au Panthéon. Cette « panthéonisation », reconnaissance suprême de la patrie à ses héros, est l’acte final des célébrations du 20e anniversaire de la Libération. Jean Moulin, coordinateur des réseaux de Résistance en métropole, en fut à la fois le chef, le martyr et le symbole.

Épilogue.

Et moi, et moi, et moi ! dit la Tour Eiffel.

L’Histoire en citations en parle naturellement, mais l’édito est déjà long, sa vie historique est plus brève que celle des autres monuments et…

Et moi, et moi, et moi ! dit la Tour Eiffel.

La Dame de fer se lamente sur cette annus horribilis 2020. Privée de ses milliers de visiteurs au printemps pour cause de confinement, sans la foule de fans à ses pieds pour le Concert et le feu d’artifice du 14 juillet, négligée par l’Histoire en citations alors qu’elle symbolise Paris et la France aux yeux du monde, qu’elle bat Versailles et tous les autres tas de pierres en renommée comme en entrées, qu’elle fut inaugurée en 1889 pour le centenaire de la Révolution, etc. etc. etc.

Bref ! Nous avons décidé de conclure cet édito consacré aux symboles nationaux avec la Tour Eiffel - dénigrée avant même d’être née par des réactionnaires patentés, mais monument unique en son genre ad vitam æternam !

« Si vous décidez la construction de la tour de M. Eiffel, je me coucherai sur le sol. Il ferait beau voir que les piques des terrassiers frôlent cette poitrine que n’atteignirent jamais les lances des Uhlans [Prussiens]. »2484

Tancrède BONIFACE (XIXe siècle). Guide de Paris mystérieux (1975), François Caradec, Jean-Robert Masson

Capitaine de cuirassier à la retraite, riverain du Champ de Mars, il mène la campagne de protestation contre la Tour et intente un procès contre « le lampadaire tragique », « l’odieuse colonne de tôle boulonnée. » Le premier coup de pioche des travaux a été donné le 26 janvier 1887. La tour sera le « clou » de l’Exposition universelle, en 1889.

Le monument fait beaucoup parler, au fur et à mesure de son édification. « Nous sommes arrivés au maximum de ce que peuvent les humains. Il serait criminel de chercher à aller plus haut », dit Eugène Chevreuil, doyen de l’Institut : il a 101 ans – né sous Louis XVI, chimiste entré à l’Académie des sciences sous le règne de Charles X. Il s’inquiète devant la tour qui va atteindre 26 mètres, c’est-à-dire le premier étage, et donner d’ailleurs quelques soucis à l’ingénieur Gustave Eiffel, avant de continuer son irrésistible ascension.

« La tour Eiffel, témoignage d’imbécillité, de mauvais goût et de niaise arrogance, s’élève exprès pour proclamer cela jusqu’au ciel. C’est le monument-symbole de la France industrialisée ; il a pour mission d’être insolent et bête comme la vie moderne et d’écraser de sa hauteur stupide tout ce qui a été le Paris de nos pères, le Paris de nos souvenirs, les vieilles maisons et les églises, Notre-Dame et l’Arc de Triomphe, la prière et la gloire. »2497

Édouard DRUMONT (1844-1917), La Fin du monde (1889)

Mon vieux Paris (1878), premier livre qui le fait connaître, déborde de nostalgie pour cette capitale où il est né et qui a tant changé, depuis le Second Empire et les travaux d’Haussmann. Écrivain et journaliste, il reste surtout connu comme polémiste d’extrême droite.

« Sa tour ressemble à un tuyau d’usine en construction, à une carcasse qui attend d’être remplie par des pierres de taille ou des briques. On ne peut se figurer que ce grillage infundibuliforme soit achevé, que ce suppositoire solitaire et criblé de trous restera tel. »2498

Joris-Karl HUYSMANS (1848-1907), évoquant Eiffel et sa Tour, Écrits sur l’art - Certains (1894)

Le monument est inauguré le 6 mai 1889, pour la nouvelle Exposition universelle et le centenaire de la Révolution.

300  personnalités ont écrit pour protester contre la construction de la tour Eiffel, plus attaquée en son temps que le Centre Beaubourg de Renzo Piano et Richard Rogers, ou l’Opéra Bastille de Carlos Ott, un siècle plus tard. Des savants prédisent sa chute, mais c’est le triomphe des ingénieurs sur les architectes, le défi réussi de l’acier utilisé à l’extrême de ses possibilités - comme la pierre dans les cathédrales du Moyen Âge, le verre et le béton dans l’Arche de la Défense.

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