L’Histoire en chantant (de Napoléon à la Monarchie de Juillet) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

Chaque époque donne le ton, d’où l’extrême diversité de ce résumé chantant qui alterne à l’infini comique et tragique, populaire et poétique, avec une dose de fantaisie propre à l’esprit français.

Quelques constantes en font l’originalité.

  • Le peuple est le premier acteur de cette histoire, qu’il s’exprime dans le répertoire des traditionnelles chansons populaires ou dans le registre patriotique des chants de guerre. Mais ballades et chansons de geste furent aussi à la mode, en leur temps.

  • Beaucoup de titres sont anonymes, à commencer par les quelque 6 500 mazarinades chantées sous la Fronde contre Mazarin qui bat tous les records d’impopularité. De manière plus générale, « en France et sous nos rois, la chanson fut longtemps la seule opposition possible ; on définissait le gouvernement d’alors comme une monarchie absolue tempérée par des chansons. » (Eugène Scribe). Cet anonymat perdure bien après la Révolution, aussi longtemps qu’il y aura censure, au XIXe siècle et au-delà. Dernier cas, le Déserteur pendant la guerre d’Indochine (1954), mais le texte est signé (Boris Vian et Serge Reggiani).

  • La chanson sous toutes ses formes reste malgré tout un espace de liberté d’expression et reflète l’opinion publique, bien avant la grande presse créée au XIXe siècle, les sondages nés à la veille de la Seconde Guerre mondiale et les réseaux sociaux, inventions de notre siècle.

  • La Révolution est toujours la « grande époque » de l’Histoire (en chantant, en citations et en général). Deux « tubes » sont nés : la Marseillaise et le Ça ira. Leur petite histoire vous réserve des surprises… Surprise aussi de trouver Il pleut, il pleut bergère, entre quelques dizaines de titres de circonstance à découvrir.

  • La Commune de Paris, autre paroxysme héroïque, nous offre l’Internationale au destin historique mondial… et le Temps des cerises au sens resté mystérieux.

  • Les guerres sont toujours très chantées à divers titres et sur divers tons. Signalons un doublon « bon enfant » avec la Madelon, deux versions, 1914 et 1918, confondues par Clemenceau lui-même,  chargé de décorer l’auteur de la seconde…

L’apparition des chansons et des chanteurs engagés donne un tout autre ton à la Quatrième et la Cinquième Républiques. C’est l’âge d’or de la chanson française et l’embarras du choix grandit avec quelques « standards » incontournables des protest songs venus d’Amérique.

Là encore, quelques surprises. À côté des Ferré, Ferrat, Brel, Brassens et autres artistes engagés à divers propos (peine de mort, racisme, homophobie, émigration, écologie, anarchie, féminisme…), on découvre Johnny Halliday avec un titre tout à son honneur et à celui de son auteur (Philippe Labro).

Plus d’une centaine de vidéos YouTube servent d’illustration sonore à cette Histoire en chantant.

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Consulat et Empire

Chanter pour ou contre Napoléon, à la guerre ou à la ville, et malgré la censure

« Ah ! le voilà ! il ira ! ça ira !
Gloire soit rendue au grand Bonaparte,
Ah ! le voilà ! il ira ! ça ira !
Il est arrivé, tout réussira. »1647

Les Français au général Bonaparte (1799), chanson sur une musique de BÉCOURT (1760-1794). Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Le peuple chante son idole, sur l’air du « Ça ira » (Carillon national) qui a déjà beaucoup servi tout au long de la Révolution. Le ton est résolument optimiste, après les victoires d’Italie, puis d’Égypte.

En Italie, c’est incontestable. En Égypte, ça commençait bien, mais ça s’est mal terminé. L’Angleterre reste maîtresse en Méditerranée après la victoire de Nelson en rade d’Aboukir et Bonaparte laisse le commandement à Kléber face aux Turcs, pour rentrer secrètement à Paris, le 16 octobre 1799. Mais en chemin, le « grand Bonaparte » est spontanément acclamé par la foule.

« J’aime l’oignon frit à l’huile,
J’aime l’oignon quand il est bon […]
Au pas camarade, au pas camarade,
Au pas, au pas, au pas [bis]
Et pas d’oignon aux Autrichiens,
Non ! pas d’oignon à tous ces chiens. »1705

Chanson de l’oignon, 1800, anonyme et très populaire. Chants et chansons militaires de la France (1887), Eugène Hennebert

Écoutez la Chanson de l’oignon sur Youtube.

Selon la légende, la chanson est née juste avant la bataille de Marengo, le 14 juin 1800. Bonaparte aperçoit des grenadiers frottant vigoureusement une croûte de pain. « Que diable frottez-vous donc sur votre pain ?  — De l’oignon, mon général. — Ah ! Très bien, il n’y a rien de meilleur pour marcher d’un bon pas sur le chemin de la gloire. » Elle sera scandée par les grenadiers montant à l’assaut, lors de la bataille.

Masséna ayant finalement capitulé à Gênes, Bonaparte a détourné ses divisions pour attaquer les Autrichiens à Marengo. Bataille indécise qui serait perdue sans l’arrivée en renfort du général Desaix, retournant la situation avant de tomber à la tête de ses hommes. « Pourquoi ne m’est-il pas permis de pleurer ? » dire Bonaparte qui apprécia l’homme et le militaire, dans la campagne d’Égypte.

« Lorsqu’à faire à tous la loi,
Sans cesse je m’applique,
Je puis régner, par ma foi !
Ayant déjà l’air d’un roi
De pique ! »1730

Les Mérites de Bonaparte, chanson anonyme.  Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Les royalistes ont cru un temps que Bonaparte les aiderait à restaurer la monarchie, mais après le plébiscite et le sénatus-consulte de 1802, ils déchantent – comme le comte de Provence, prié poliment de rester hors de France – et ils chantent en ironisant sur les « mérites de Bonaparte ».

« Je suis prince sanguin, mon cousin,
On en a preuve sûre,
Prince du sang d’Enghien, mon cousin ;
Oh ! la bonne aventure […]
On n’est pas à la fin, mon cousin,
De sang, je vous l’assure,
J’en prétends prendre un bain, mon cousin. »1748

Je suis prince sanguin, chanson. L’Écho des salons de Paris depuis la restauration : ou, recueil d’anecdotes sur l’ex-empereur Buonaparte, sa cour et ses agents (1815), Jacques Thomas Verneur

Postérieure à l’exécution du duc d’Enghien, la chanson résonne lugubrement, jouant sur le sang dont le criminel se vante d’être doublement imprégné. Allusion y est faite à une lettre adressée par Napoléon aux évêques de France qu’il appelle individuellement « mon cousin » comme il était de tradition pour le roi, et où il leur demande de faire chanter un Te Deum pour son sacre.

« La saignée entre dans les combinaisons de la médecine politique » dira l’empereur. « C’est pire qu’un crime, c’est une faute. » Mot de Boulay de la Meurthe, parfois attribué à Fouché (par Chateaubriand) ou à Talleyrand (par J.-P. Sartre). Mais les deux hommes ont eux-mêmes poussé Bonaparte au crime et il n’est pas dans leur caractère de s’en repentir.

Cette exécution sommaire indigne l’Europe et toutes les têtes couronnées se ligueront contre l’empereur – là est « la faute ». Le drame émeut la France : détails sordides de l’exécution et douleur de la jeune princesse Charlotte de Rohan-Rochefort qui portera toute sa vie le deuil de cet amour.

Mais les royalistes se rallieront majoritairement à Napoléon – et en cela, il a politiquement bien joué.

« Veillons au salut de l’Empire !
Veillons au maintien de nos droits !
Si le despotisme conspire,
Conspirons la perte des rois. »1754

Adrien-Simon BOY (1768-1795), paroles, et Nicolas-Marie DALAYRAC (1753-1809), musique, Veillons au salut de l’empire (1791). Le Cri des peuples (1817), Alexandre Drevel

Écoutez Veillons au salut de l’empire sur Youtube.

Ce chant patriotique fut écrit par le chirurgien-chef de l’armée du Rhin en 1791, sur fond de guerre et de jacobinisme révolutionnaire. Comme cela se fait souvent, il reprend un air connu, emprunté à l’opéra Renaud d’Ast, créé en 1787 à l’Opéra-Comique. La romance amoureuse, réorchestrée au trombone, connaît un succès populaire comparable à celui de La Marseillaise. Précisons que l’« empire » signifie l’État, le royaume, la patrie.

Napoléon apprécie cet hymne révolutionnaire qui devient hymne impérial, uniquement pour ce premier couplet où l’Empire prend un nouveau sens… et une majuscule. Le chant redevient à la mode et l’on oublie la suite des paroles qui ne sont plus du tout « politiquement correctes » – appel à la Liberté contre les tyrans.

« J’entendons ronfler l’canon,
Y g’na plus à s’en dédire :
On couronn’ Napoléon
Empereur de ce bel Empire.
Ça nous promet pour l’av’nir
Ben du bonheur et du plaisir. »1800

Le Sacre de Napoléon, chanson anonyme. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

On chante à la gloire du grand homme, au front si couvert de lauriers que c’est à peine si on peut trouver « un petit coin pour y placer la couronne » ! Une certaine ironie commence à poindre.

Toutes ces « vieilles chansons françaises », la plupart anonymes, sont encore chantées, diffusées sur Internet, ce qui montre d’une certaine manière leur qualité, leur originalité, mais aussi le goût des Français pour l’histoire.

« Sans reprendre haleine,
Comm’ nous l’espérions,
L’Emp’reur est dans Vienne
Avec ses bataillons ;
Mais qu’il s’en revienne […]
Pour que nous le chantions. »1807

Ronde sur la prise de Vienne (1805), chanson anonyme. Napoléon et la musique (1965), Théo Fleischman

Napoléon entre à Vienne le 13 novembre 1805. Victoire française, épisode de la troisième coalition (1803-1805). On chante, mais la lassitude commence à se faire sentir dans le pays. Toutes les classes de la société souffrent de la reprise de la guerre.

« On va leur percer le flanc
En plain plan, r’lan tan plan […]
Ah ! que nous allons rire !
R’lan tan plan tire lire. »1808

Marche d’Austerlitz, 2 décembre 1805, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Écoutez la Marche d’Austerlitz sur Youtube.

On chante encore, sur l’air de la Prise de la Bastille qui servit déjà à une plaisante bluette sous Louis XV (À mon mari je suis fidèle). Les « timbres » populaires sont repris au fil des événements : seules les paroles changent, créant au fil des ans une histoire de France par la chanson.

Le jour anniversaire du sacre de l’empereur, les grenadiers montent à l’assaut : sur ordre de Napoléon redevenu chef militaire, la musique de chaque bataillon joue la chanson connue de chaque homme.

Selon le capitaine Coignet, soldat de la campagne d’Italie, chevalier de la première promotion de la Légion d’honneur en 1804, grognard à Austerlitz et admis dans la garde : « Les tambours battaient à rompre les caisses, la musique se mêlait aux tambours. C’était à entraîner un paralytique. » Il sera de toutes les guerres de Napoléon, enchaînant 48 batailles sans une blessure et mourra nonagénaire, sous Napoléon III.

« Ils se sont embrassés !
Telles sont les nouvelles,
Dites-m’en de plus belles
Si vous en connaissez :
Ils se sont embrassés […]
Vous, Anglais, pâlissez :
Ils se sont embrassés ! »1828

Pierre-Antoine-Augustin de PIIS (1755-1832), Ils se sont embrassés ou L’Entrevue des deux empereurs à Tilsit (1807),chanson. Œuvres choisies (1810), Pierre-Antoine-Augustin de Piis

Ils se sont embrassés : c’est le titre et le refrain. L’auteur, à force de faire dans les vers de circonstance, se retrouve Premier Secrétaire général de la Police, posté créé en 1800, qu’il conserve jusqu’en 1815, sous trois préfets de police successifs.

L’embrassade entre les deux empereurs devint célèbre. Mais Napoléon et Alexandre étaient-ils sincères ? Rappelons ces paroles du premier, précisément datées de 1807 et rapportées dans ses Mémoires par Talleyrand, ministre des Relations extérieures jusqu’en août : « Je sais, quand il le faut, quitter la peau du lion pour prendre celle du renard. » Quant au tsar Alexandre Ier de Russie, il mènera sa guerre patriotique en 1812 et sera de la prochaine coalition contre la France.

« Je suis un pauvre conscrit
De l’an mille huit cent dix […]
Ils nous font tirer z’au sort
Pour nous conduire à la mort. »1850

Le Départ du conscrit, vers 1810, chanson anonyme à plusieurs versions. L’Armée de Napoléon, 1800-1815 (2000), Alain Pigeard

Écoutez Le Départ du conscrit sur Youtube.

La guerre d’Espagne se révèle désastreuse pour la Grande Armée, avant de devenir très coûteuse à l’économie du pays. Les coalitions qui se succèdent font quelque 200 000 morts par an. Il faut recruter : les conscrits partent sans enthousiasme, le nombre des réfractaires augmente, avec la complicité de la population paysanne.

« L’armée, c’est la nation », dans la doctrine impériale. Mais à partir de 1811, il faut intégrer des contingents étrangers et recourir massivement à la conscription (ou service militaire) : la Révolution française avait commencé, avec la levée en masse des soldats de l’an II. Napoléon enchaîne.

L’historien Jules Michelet constate : « Qu’était la Grande Armée, sinon une France guerrière d’hommes qui, sans famille, ayant de plus perdu la République, cette patrie morale, promenait cette vie errante en Europe ? »

« Bel enfant qui ne fait que naître,
Et pour qui nous formons des vœux,
En croissant, tu deviendras maître
Et régneras sur nos neveux.
Dame, dame, réfléchis bien,
Dame, dame, souviens-toi bien
Qu’alors il ne faudra pas faire
Tout comme a fait, tout comme a fait ton père. »1854

Chanson pour le roi de Rome (1811). Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Parmi toutes les chansons en l’honneur de l’illustre nouveau-né, celle-ci résonne comme un avertissement au père. Comme bien souvent, la chanson donne le pouls d’une opinion publique – c’est rare et précieux, sous l’Empire où la rigueur de la censure étouffa bien des pensées !

« Il était un p’tit homme
Qu’on appelait le grand […]
Courant à perdre haleine,
Croyant prendre Moscou,
Ce grand fou !
Mais ce grand capitaine
N’y a vu, sabergé, que du feu ! »1867

La Campagne de Russie (automne 1812), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

(« Sabergé », mot inconnu des dictionnaires et introuvable sur le Net ! Un professeur d’histoire a peut-être  trouvé la clé du mystère : « Çà, bergers, assemblons-nous », chanson de Noël, l’un des chants pastoraux chrétiens les plus connus. La simplification fréquente dans les jurons est tentante pour devenir exclamation, mot de ralliement.)

Cette chanson se diffuse sous le manteau à Paris, tandis que commence la retraite de Russie d’octobre 1812.

Le tsar Alexandre accusa les Français d’avoir incendié Moscou. Sans doute se sont-ils contentés de piller la ville et d’achever ainsi de la détruire, après l’incendie qui aurait été ordonné par Rostopchine, gouverneur militaire (et père de la future comtesse de Ségur). Il a fait évacuer la ville où ne restent que 800 prisonniers de droit commun, leur promettant la réhabilitation s’ils mettaient le feu. Le fin mot de l’histoire ne sera jamais connu.

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RESTAURATION ET CENT JOURS

La chanson reflète l’opinion face aux changements de régime et malgré la censure.

« Le matin, royaliste,
Je dis : « vive Louis ! »
Le soir, bonapartiste,
Pour l’Empereur j’écris,
Suivant la circonstance,
Toujours changeant d’avis,
Je mets en évidence
L’aigle ou la fleur de lys. »1894

La Girouette (1814), chanson anonyme. Histoire secrète de Paris (1980), Georges Bordonove

Sous-titrée : « Couplet dédié à M. Benjamin Constant, ci-devant royaliste, puis conseiller d’État de Bonaparte, et en dernier résultat redevenu royaliste. »

Benjamin Constant n’est pas le seul à faire preuve d’opportunisme, en cette époque de changements de régime ! Mais le personnage particulièrement intelligent, irrésolu, faible jusqu’à la lâcheté, romancier de sa propre vie, célèbre et brillant orateur, est particulièrement en vue. Sous la Restauration, il peut être rangé dans l’opposition de gauche, comme libéral et monarchiste parlementaire.

« À moi, mes châtelains,
Vassaux, chassez-moi ces vilains !
C’est moi, dit-il, c’est moi
Qui seul ait ramené le Roi ! […]
Chapeau bas !
Gloire au marquis de Carabas. »1896

BÉRANGER (1780-1857), Le Marquis de Carabas, chanson de 1816. Poésies révolutionnaires et contre-révolutionnaires (1821), À la Librairie historique, éd

Béranger, prompt à saisir la rumeur publique comme tout bon chansonnier, dénonce la morgue des émigrés de retour (sur l’air du roi Dagobert, un « tube » de la chanson enfantine qui se recycle facilement). Ainsi ce marquis : « Son coursier décharné / Clopin-clopant l’a ramené. » Et s’il méprise le peuple, il menace aussi le roi : « Mais s’il ne me rend / Les droits de mon sang / Avec moi, morbleu ! / Il aura beau jeu ! »

« Le peuple, c’est ma Muse. »1897

BÉRANGER (1780-1857). Œuvres complètes de Pierre Jean de Béranger (1840)

Toujours à l’écoute de « l’instinct du peuple », l’auteur en fait sa « règle de conduite » et en cette année charnière de 1814, il résiste aux conseils, aux pressions de tous bords.

Après la censure si sévère sous l’Empire, la chanson authentiquement populaire reprend ses droits et redevient reflet de l’opinion publique. Les satires anticléricales et les pamphlets politiques de Béranger vaudront toutefois la prison à leur auteur (en 1815, puis en 1828). Il passe même pour un grand homme et un martyr.

Devenu plus prudent, il continuera de manifester indirectement son hostilité au régime, en célébrant le culte de Napoléon et en contribuant à sa légende (avec Hugo) : « Parlez-nous de lui, grand-mère… »

« Voulez-vous connaître l’histoire
D’un gros roi nommé Cotillon ?
Ton ton, ton ton, tontaine, ton ton.
Boire, manger, manger et boire,
Voilà le plaisir de Bourbon
Ton ton, tontaine, ton ton. »1905

Voulez-vous connaître l’histoire ? (1814), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Rien moins que 15 couplets pour se moquer du retour du roi Louis XVIII et de sa suite. « Il arrive : Paris proclame / Sa bonté, sa gloire et son nom / Et le Français, le noir dans l’âme / A mis du blanc sur son balcon. » Encore n’est-ce que le commencement de la Restauration… et Louis XVIII ne sera pas le plus impopulaire des deux rois ! Son frère Charles X sera finalement chassé par la prochaine révolution.

« Des Bourbons généreux,
Le retour en ces lieux
Comble nos vœux […]
Nos yeux sont éblouis,
Nos maux évanouis ;
Vive Louis. »1914

Pierre-Antoine-Augustin de PIIS (1755-1832), God save the King des Français (mai 1814), chanson. Dictionnaire des Girouettes, ou nos contemporains peints par eux-mêmes (1815), César de Proisy d’Eppe

« M. Piis redevient royaliste » et figure en bonne place avec sa chanson, dans ce Dictionnaire bien nommé. Le chevalier de Piis se refait donc (médiocre) parolier de circonstance pour chanter, sur l’air de l’hymne national anglais, le retour d’Angleterre du nouveau roi de France. Tout se recycle, même les consciences et les talents.

« Aux maîtres des cérémonies,
Plaise ordonner que, dès demain,
Entrent sans laisse, aux Tuileries,
Les chiens du faubourg Saint-Germain !
Puisque le tyran est à bas
Laissez-nous prendre nos ébats. »1917

BÉRANGER (1780-1857), Requête présentée par les chiens de qualité, chanson. Chansons anciennes et posthumes (1866), Pierre Jean de Béranger

Béranger, fidèle à sa conscience de gauche et avec son génie reconnu par Chateaubriand et Sainte-Beuve, s’attaque ici à tous ces nobles que la Révolution et les guerres ont éloignés du pouvoir et des honneurs, et qui se ruent sur les places : leurs maladresses et leur rapacité vont vite les rendre haïssables.

« D’sus l’trône Louis XVIII placé,
Notre Emp’reur que rien n’inquiète,
Lui dit : pour un an j’t’ai laissé,
Ot’-toi d’là que j’m’y mette ! »1925

Ot’-toi d’là que j’m’y mette, chanson de 1815. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Cette chanson sera saisie par la police, après les Cent-Jours. La censure n’est pas si terrible, mais l’humour de Louis XVIII a ses limites et l’humiliation sera grande, durant cent jours d’exil.

La parenthèse des CENT-JOURS

« Enfin, v’la qu’je r’voyons à Paris
Ce fils de la victoire !
L’aigle remplace la fleur de lys,
C’est c’qui faut pour sa gloire.
De l’île d’Elbe en quittant le pays,
Crac ! Il se met en route.
En vingt jours, il arrive à Paris.
C’t’homm’-là n’a pas la goutte. »1929

Ot’-toi d’là que j’m’y mette, chanson de 1815. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Voilà l’un des couplets du chant des partisans, de plus en plus nombreux : la magie impériale agit encore. Cependant qu’à Paris comme à Vienne, la réaction s’organise. Dès que la nouvelle touche la capitale, le 5 mars 1815, le comte d’Artois prend la route de Lyon. Le Journal des Débats stigmatise le traître, les anciens compagnons de l’empereur s’apprêtent à le combattre… avant de se rallier à lui, pour la plupart. Le maréchal Ney sera le plus illustre… et le paiera de sa vie, sous la seconde Restauration.

« Il est donc revenu cheux nous
C’t’homme qu’on croyait si tranquille ?
J’aurions ben parié deux sous
Qu’i n’resterait pas dans son île,
Car c’n’est pas un fait nouveau
Qu’les enragés n’aimions pas l’iau. »1930

Le Retour de Nicolas, chanson de 1815. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Une des chansons royalistes qui surnomment Napoléon « Nicolas » ou « Nicodème », autrement dit un sot, en langage de l’époque. Mais le futur Charles X ne parvient pas à rassembler les régiments espérés. Quant au congrès de Vienne, il ne marche plus, il ne danse plus. Il va lancer la septième et dernière coalition contre Napoléon.

« Tout le camp sommeille,
Le général veille […]
Son œil embrasse
Le vaste espace
Et sa main trace
L’arrêt du Destin. »1942

Eugène de PRADEL (1784- 1857), La Bataille de Waterloo, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Récit chanté de 19 couplets, daté de 1821, sous-titré Souvenirs d’un vieux militaire. Ce 18 juin 1815 va inspirer bien des vers, des pages, des pensées, rendant à jamais célèbre cette petite commune de Belgique : Waterloo.

« Rendez-nous notre père de Gand,
Rendez-nous notre père ! »1952

Notre père de Gand, chanson. Chansonnier royal ou passe-temps des bons Français (1815), Dentu éd

Cette chanson royaliste rappelle de ses vœux Louis XVIII.

Chassé par le retour de Napoléon, il a voulu repartir pour l’Angleterre. Fin mars 1815, il fallut l’autorité d’un Talleyrand et du Congrès de Vienne pour le convaincre de s’arrêter à Gand, en Belgique. « Notre père de Gand » sera souvent surnommé « notre paire de gants » et tourné en dérision par les autres partis. L’humiliation des Cent-Jours pèse lourd, sur ce roi déjà malmené.

« Messieurs de la Sainte-Alliance,
Vous partez donc ? Ah ! quel chagrin ! »1964

Adieu des Français aux troupes alliées (1815), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

La chanson ironise sur le départ des Alliés, salué comme une libération au terme du second traité de Paris, signé le 20 novembre 1815. Après les Cent-Jours, la note à payer par la France s’est pourtant alourdie : rançon de 700 millions de francs, restitution des œuvres d’art prises par Napoléon en Italie, perte de ce que Talleyrand avait  pu sauver au premier traité (Sarre, Landau, Chambéry, Annecy, etc.), et entretien d’une armée d’occupation de 150 000 hommes dans le nord et l’est du pays, pendant trois ans.

« Hommes noirs, d’où sortez-vous ?
Nous sortons de dessous terre,
Moitié renards, moitié loups.
Notre règle est un mystère.
Nous sommes fils de Loyola,
Vous savez pourquoi l’on nous exila.
Nous rentrons ; songez à vous taire !
Et que vos enfants suivent nos leçons.
C’est nous qui fessons, et qui refessons,
Les jolis petits, les jolis garçons. »1967

BÉRANGER (1780-1857), Les Révérends Pères, chanson. Histoire de la littérature française : de la révolution à la belle époque (1981), Paul Guth

Le plus célèbre chansonnier contemporain vise cette fois les jésuites, de retour avec la monarchie. Pie VII a rétabli leur ordre, le 7 août 1814. La Charte, en forme de compromis constitutionnel, reconnaît la liberté du culte, mais fait du catholicisme la religion d’État… et les pères jésuites pensent avoir le quasi-monopole de l’éducation.

Les deux derniers vers aux accents plaisamment polissons dénoncent en fait la pédophilie, pratiquée dans certains collèges catholiques. Au XXIe siècle, l’Église devra reconnaître bien d’autres abus sur sa jeunesse.

« Le Roi, dont la sagesse exquise
Sait mettre le temps à profit,
Passe trois heures à l’église,
Quatre à table et quatorze au lit.
Restent pour le soin de l’Empire,
Trois autres, mais hélas,
Ce temps peut à peine suffire
Pour ôter et mettre ses bas. »1973

Le Roi dont la sagesse exquise, chanson. La Révolution de juillet (1972), Jean-Louis Bory

Malgré les mesures libérales (loi militaire, loi électorale, liberté de la presse), malgré une politique économique bien menée, le régime a toujours de nombreux opposants, à gauche comme à droite. Et Louis XVIII, le roi podagre, est accusé de bien des pêchés : paresse, gourmandise et bigoterie. Les chansonniers s’en donnent à cœur joie, comme les (nouveaux) caricaturistes qui savent si bien joindre l’image à la parole.

« On parlera de sa gloire,
Sous le chaume bien longtemps […]
Bien, dit-on, qu’il nous ait nui,
Le peuple encore le révère, oui, le révère,
Parlez-nous de lui, Grand-mère,
Parlez-nous de lui. »1984

BÉRANGER (1780-1857), Les Souvenirs du peuple (1828), chanson. L’Empereur (1853), Victor Auger

Écoutez Les Souvenirs du peuple sur Youtube.

L’une des plus belles et simples chansons de ce parolier très populaire, dédormais salué par Chateaubriand comme « l’un des plus grands poètes que la France ait jamais produits » et par Sainte-Beuve comme un « poète de pure race, magnifique et inespéré ».

Pierre Jean de Béranger contribue à nourrir la légende napoléonienne avec « la chanson libérale et patriotique qui fut et restera sa grande innovation » (Sainte-Beuve). Le souvenir de l’empereur sera bientôt lié à l’opposition au roi. La dynastie au pouvoir n’est pas si solide et Charles X a l’art de se faire détester.

« Français que Reims a réunis,
Criez : « Montjoie et Saint-Denis ! »
On a refait la sainte Ampoule
Et comme au temps de nos aïeux
Des passereaux, lâchés en foule
Dans l’église volent joyeux […]
Le peuple crie : « Oiseaux, plus que nous soyez sages,
Gardez bien votre liberté ! » »1999

BÉRANGER (1780-1857), Le Sacre de Charles le simple (1825), chanson. Causes célèbres de tous les peuples (1858), Armand Fouquier

Notre meilleur chansonnier chroniqueur a beau jeu d’ironiser, toujours en chanson et à l’unisson du peuple, choqué par tant de pompe et par tout ce que cela annonce.

Ce sacre reprend le cérémonial de l’Ancien Régime, les sept onctions et les serments sur les Évangiles. Il se déroule sur trois jours : 28 mai, cérémonie des vêpres ; 29 mai, cérémonie du sacre ; 30 mai, remise de récompense pour les chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit, pour finir le 31 mai, par le toucher des écrouelles. Le sacre symbolise pour le roi et les élites un retour à la monarchie absolue.

Le peuple ne peut quand même pas oublier la Révolution et l’Empire. Et l’opposition va se manifester contre le dernier « roi de France » jusqu’à la prochaine révolution.

« Que je suis dépité
De ne pas être député,
Moi, marquis et baron…
Qui me préfère-t-on ?
Un plébéien, un avorton,
C’est un homme de rien
Qui lui-même a gagné son bien […]
Quelle horreur ! quelle horreur !
Je ne veux plus être électeur. »2009

Paul-Émile DEBRAUX (1796-1831), L’Électeur désappointé (1827), chanson. Chansons complètes (1836), Paul-Émile Debraux

On surnomme Debraux le Béranger de la canaille, ou Béranger du peuple, pour l’opposer à l’autre, le vrai, dit parfois le Béranger des salons qui rendra bientôt hommage à son jeune confrère, mort de phtisie, le mal du siècle. Debraux, comme tous les chansonniers frondeurs, eut quelques ennuis, avec les autorités.

Dépité, désappointé, Villèle l’est plus encore que tous les électeurs, lui qui comptait retrouver une nouvelle « chambre introuvable » (d’ultra-droite). Mais sur 450 députés élus en novembre dernier, son gouvernement ne compte plus que 201 partisans. C’est un désaveu de sa politique.

« Peuple français, peuple de braves,
La liberté r’ouvre ses bras.
On nous disait : « Soyez esclaves »,
Nous avons dit : « Soyons soldats ».
Soudain Paris dans sa mémoire
A retrouvé son cri de gloire. »2026

Casimir DELAVIGNE (1793-1843), La Parisienne (1830), chanson. Recueil de chants patriotiques et guerriers dédiés aux braves Suisses qui prennent les armes pour défendre la patrie (1838)

Écoutez La Parisienne sur Youtube.

Poète et auteur dramatique en renom, grand rival des romantiques sur la scène, mais libéral convaincu en politique, il écrit cette œuvre de circonstance aux accents révolutionnaires : La Parisienne fait écho à La Marseillaise.

« Le Dey. — Je conviens que Charles Dix
Des guerriers est le phénix,
Il combat les Algériens
En mêm’ temps qu’les Parisiens.
Charles X. — Pour rentrer dans mon Paris
Si nous n’étions pas enn’mis,
J’aurais réclamé d’tes soins
Une patrouill’ de Bédouins.
Refrain
Ça va mal, sort fatal,
Adieu le trône royal,
C’est égal,
Nous vivons, c’est l’principal. »2036

Auguste JOUHAUD (1806-1888), À ton tour Paillasse (1830), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Incluse dans une pièce en trois journées (en vers et en prose), cette chanson réunit en un duo ironique les deux souverains ennemis qui perdent leur trône en même temps, en France et en Algérie.

Le 3 août, Charles X fuit, épouvanté par le bruit que fait courir le maréchal Marmont (commandant l’armée royale, désormais acquis à Louis-Philippe) : 100 000 Parisiens armés seraient à ses trousses. En fait, partis 30 000, ils arrivent moins de 1 000 à Rambouillet où le roi s’est réfugié, mais l’armée royale (près de 13 000 hommes) se replie. Charles X toujours hanté par le souvenir de son frère aîné guillotiné sus la Révolution, reprend le chemin du dernier exil. Les Bourbons ont fini de régner en France.

Le changement de régime est réglé par les Trois Glorieuses journées de juillet 1830 (27, 28, 29), des barricades et des rues dépavées, avec quelque 1 000 morts et 5 000 blessés.

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

MONARCHIE DE JUILLET

Chanter toujours entre humour et patriotisme.

« Gros, gras et bête,
En quatre mots c’est son portrait :
Toisez-le des pieds à la tête,
Aux yeux de tous, il apparaît
Gros, gras et bête.
En pelle s’élargit sa main,
En poire s’allonge sa tête,
En tonneau croit son abdomen,
Gros, gras et bête. »2058

Agénor ALTAROCHE (1811-1884), Gros, gras et bête, chanson. Les Républicaines : chansons populaires des révolutions de 1789, 1792 et 1830 (1848), Pagnerre

Poète et député, journaliste engagé, enthousiaste de cette nouvelle presse républicaine au lendemain de la révolution de 1830.

On chansonne vite le roi sexagénaire dont le physique est déjà une caricature en soi et la presse en profite. La main « en pelle » fait allusion à la rapacité du personnage : rentré en possession, grâce à Louis XVIII, de l’immense fortune de la branche d’Orléans, plus riche que les Bourbons, principal bénéficiaire de la loi sur le milliard des émigrés (1825) avec le marquis de La Fayette de retour pour lui donner une caution républicaine, il gère son patrimoine en bon père de nombreuse famille – huit enfants pour qui il quémandera encore des dotations !

« Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira.
Alors nous tisserons le linceul du vieux monde
Car on entend déjà la révolte qui gronde ! »2070

Aristide BRUANT (1851-1925), La Complainte des canuts, chanson. La Révolte des canuts (1975), Maurice Moissonnier

Écoutez La Complainte des canuts sur Youtube.

Parole et musique, Bruant immortalisera cette révolte des canuts de Lyon en 1831, dans un chant dont la résonance reflète surtout l’esprit d’anarchie propre à l’auteur et à son époque (la Troisième République).

« Pour chanter « Veni Creator » / Il faut une chasuble d’or / Nous en tissons pour vous grands de l’Église / Et nous pauvres Canuts, n’avons pas de chemise / C’est nous les Canuts / Nous sommes tout nus !
Pour gouverner il faut avoir / Manteaux ou rubans en sautoir / Nous en tissons pour vous grands de la terre / Et nous pauvres Canuts sans draps on nous enterre. / C’est nous les Canuts / Nous sommes tout nus !
Mais notre règne arrivera / Quand votre règne finira : Nous tisserons le linceul du vieux monde / Car on entend déjà la tempête qui gronde / C’est nous les Canuts, / Nous n’irons plus nus ! »

Yves Montand et Francesca Solleville ont ressuscité cette complainte dans les années 1950.

« Est-il bien vrai, mes chers amis
Qu’on ait détrôné Charles Dix ?
Dites-moi donc où nous en sommes ?
Dans les emplois les plus marquants,
Je vois toujours les mêmes hommes,
J’ai donc dormi pendant cinq ans ? »2085

Le Béotien de Paris (1835), chanson anonyme. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

La censure rétablie, l’Église toujours aussi puissante et présente, décidément, rien ne change, même pas la fiscalité, éternel sujet de mécontentement du Français sous tous les régimes : « Mes impôts sont toujours les mêmes / Mon journal est toujours timbré. » À quoi bon avoir fait une révolution en 1830, se demandent les mécontents ?

« L’Pèr’ Lapoir’, ce grand citoyen,
Dit qu’il ne veut que notre bien […]
L’Pèr’ Lapoir’ se dit libéral,
C’est une farce de carnaval.
Ah ! ah ! ah ! oui vraiment
L’pèr’ Lapoir est bon enfant. »2087

Le Père Lapoire, chanson anonyme. Les Républicaines : chansons populaires des révolutions de 1789, 1792 et 1830 (1848), Pagnerre

Le titre fait clairement allusion au physique ingrat de Louis-Philippe, déjà dénoncé par Altaroche en 1830 et qui ne s’arrange pas avec l’âge… qui affecte aussi le caractère royal.

L’opposition se traduisant par des attentats, les répressions suivent, souvent brutales, d’où l’impopularité croissante du pouvoir. Après le massacre de la rue Transnonain en avril 1834 et l’attentat Fieschi de juillet 1835, il y aura encore l’attentat de Louis Alibaud, républicain qui tire et rate le roi sortant des Tuileries, le 26 juin 1836 (il sera exécuté) ; puis le premier complot de Louis-Napoléon Bonaparte qui soulève un régiment d’artillerie à Strasbourg, fin octobre (il sera embarqué outre-Atlantique) ; enfin le coup de pistolet de Meunier (gracié par Louis-Philippe).

« Peuple à la lymphatique fibre,
Entends Molé te supplier.
Tu disais : Je veux être libre.
Molé te répond : Sois caissier.
Peuple à jamais digne d’estime,
Payer fut toujours ton régime. »2095

Agénor ALTAROCHE (1811-1884), La Parisienne de 1837, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Le comte Molé est chef du gouvernement de 1836 à 1839. Peuple et petite bourgeoisie paient de plus en plus d’impôts, alors que le suffrage censitaire les écarte du pouvoir. Par ailleurs, l’expansion économique rend les riches plus riches (une minorité) et les pauvres plus pauvres (la masse du pays). Un régime ne peut vivre durablement sous le signe de cette injustice.

« Nous l’avons eu, votre Rhin allemand,
Il a tenu dans notre verre.
Un couplet qu’on s’en va chantant
Efface-t-il la trace altière
Du pied de nos chevaux marqué dans votre sang ? »2110

Alfred de MUSSET (1810-1857), Le Rhin allemand. Réponse à la chanson de Becker, 2 juin 1841. Poème mis plusieurs fois en musique, notamment en 1866, version la plus populaire, composée par Félicien DAVID (1810-1876)

La réponse poétique de Lamartine entré en politique a paru trop pacifique et idéaliste au goût de son vibrant confrère. Musset écrit dans l’élan, dès le lendemain, des couplets qui rappellent l’épopée napoléonienne : « Nous l’avons eu, votre Rhin allemand. / Que faisaient vos vertus germaines, /

Quand notre César tout-puissant / De son ombre couvrait vos plaines ? […]  Nous l’avons eu, votre Rhin allemand. / Si vous oubliez votre histoire, / Vos jeunes filles, sûrement, / Ont mieux gardé notre mémoire ; / Elles nous ont versé votre petit vin blanc. […]  Qu’il coule en paix, votre Rhin allemand ; / Que vos cathédrales gothiques / S’y reflètent modestement ; / Mais craignez que vos airs bachiques / Ne réveillent les morts de leur repos sanglant. »

Ce texte peut étonner sous la plume de l’ « enfant du siècle », mais ces vers sont étonnamment prémonitoires du conflit franco-allemand et des trois guerres à venir, entre 1870 et 1945 !

« Va, pensée, sur tes ailes dorées ;
Va, pose-toi sur les pentes, sur les collines,
Où embaument, tièdes et suaves,
Les douces brises du sol natal !
Salue les rives du Jourdain,
Les tours abattues de Sion …
Oh ma patrie si belle que j’ai perdue !
Ô souvenir si cher et si fatal ! »

Giuseppe VERDI (1813-1901) Va, pensiero (Va, pensée), Chœur des esclaves hébreux, Nabucco (1842)

Écoutez Va, pensiero sur Youtube.

L’opéra est un genre populaire dès sa naissance en Italie au XVIe siècle et Verdi est pour les Italiens ce qu’est Hugo pour les Français. Un génie créateur à la réussite exceptionnelle, avec un tempérament politique, un goût pour l’action, le cœur à gauche et une longue vie d’action. À quoi s’ajoutent des drames familiaux assez comparables.

Très affecté par la mort de ses deux enfants malades et de sa femme Margherita, Verdi à 29 ans sombre au plus profond du désespoir et de la dépression, prêt à abandonner sa carrière. Bartolomeo Merelli (directeur de théâtre) lui commande alors ce Nabucco, inspiré d’un thème biblique : l’exil à Babylone et l’esclavage du peuple hébreu, suite au siège de Jérusalem (587/586 av. J.-C.) par le roi de Babylone Nabuchodonosor II, et la destruction du premier Temple de Salomon. Les Hébreux entonnent alors en chœur cette chanson-prière d’esclaves en exil, souvenir de leur lointaine patrie et de leur liberté perdues :« Va, pensée, sur tes ailes dorées … Que le Seigneur t’inspire une harmonie, Qui nous donne le courage de supporter nos souffrances. »

9 mars 1842, la première représentation à La Scala de Milan est un événement artistique et politique. Le Chœur des Hébreux est une métaphore emblématique de la condition des Italiens soumis à la domination de l’empire d’Autriche (Confédération germanique). Même triomphe à la Fenice de Venise. Il renouvelle son succès avec Les Lombards de la première croisade, créés à la Scala le 11 février 1843 malgré l’opposition de l’archevêque de Milan. Verdi devient un homme politique, ses opéras sont l’occasion de manifestations patriotiques. Son nom devient le sigle de la liberté, V E R D I étant les initiales de « Victor Emmanuel Roi d’Italie ». Avec Cavour et Garibaldi, c’est une figure emblématique du Risorgimento (renaissance associée à l’unification italienne).

Quant à son génie, il rejoint celui d’Hugo, tirant de son théâtre à peine joué en France deux chefs d’œuvre repris sur toutes les scènes lyriques du monde, Ernani (Hernani) et Rigoletto (Le Roi s’amuse).

« Nous dont la lampe, le matin,
Au clairon du coq se rallume,
Nous tous qu’un salaire incertain
Ramène avant l’aube à l’enclume […]
Aimons-nous et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde
Buvons, buvons, buvons
À l’indépendance du monde ! »2117

Pierre DUPONT (1821-1870), parole et musique, Le Chant des ouvriers (1846). Muse populaire : chants et poésies (1858), Pierre Dupont

Écoutez Le Chant des ouvriers sur Youtube.

Ce n’est plus le socialisme idéaliste du début du siècle, cher aux utopistes Saint-Simon et Fourier. Proudhon et Marx se sont rencontrés durant l’hiver 1844-1845 et même s’ils ne se sont pas vraiment entendus, le fait reste historique. Ce chant résonne déjà comme un appel à une conscience de classe.

Pierre Dupont, ex-apprenti canut, est l’un des premiers chansonniers de la classe ouvrière. Hugo l’a remarqué pour son talent, ses convictions républicaines. Il va fréquenter le milieu artistique parisien, avant de retourner à Lyon et de finir tristement à la rue, clochard et alcoolique.

« Je hais celui qui jamais ne travaille
Et s’enrichit dans un honteux repos […]
C’est notr’ sueur qui gagn’ sa boustifaille,
Voilà pourquoi j’aim’ pas les aristos. »2119

Gustave LEROY (1818-1860), Les Aristos (1848), chanson. La Poésie populaire en France au XIXe siècle (2005), Hélène Millot

Auteur, compositeur, interprète, voici l’un des chansonniers les plus populaires à la fin de la Monarchie de Juillet. Il capte l’air du temps, fraternel et chaleureux, adoré du public des guinguettes. On reprend ses refrains dans les ateliers, dans la rue.

Chez les ouvriers, la révolte gronde. Ce n’est pas encore la révolution, mais dans les années 1846-1847, c’est déjà la crise agricole, puis industrielle, commerciale, sociale et le commencement de la fin d’un régime politique qui ne tient que par le progrès économique et la satisfaction matérielle des bourgeois. Faillites et ruines de familles aisées, chômage et troubles sociaux chez les ouvriers, peur sociale qui engendre le cercle infernal répression-insurrection-répression : le ministère Guizot incarne plus que jamais le parti de la Résistance, face au mouvement révolutionnaire devenu irrésistible. La France va de nouveau changer de régime.

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