Nos Premiers ministres (d’Édith Cresson à Jean Castex) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

Seconde partie : d’Édith Cresson (Mitterrand président) à Jean Castex (Macron président).

12. Édith Cresson (1991-1992). Le handicap d’être femme en politique et cible du sexisme publiquement assumé.

« On nous donne la Pompadour ! »

François d’AUBERT (né en 1943), député UDF de la Mayenne, mai 1991. Propos rapporté par Alexandra De Rocha dans « Salopes ! » Insultes et autres perfidies sur les femmes politiques (2007)

La Pompadour, maîtresse en titre et fort impopulaire de Louis XV dit le Bien-Aimé qui mourut haï du peuple : fine allusion aux relations supposées d’Édith Cresson avec Mitterrand, président indiscutablement homme à femmes. L’intéressée réplique le 16 mai à la télévision : « M. d’Aubert, deux cents ans après la Révolution, vit toujours dans un boudoir… Je suis peut-être une favorite, mais la favorite de mes électeurs. » Le Canard enchaîné, 24 juillet 1991.

« Ciboulette », autre surnom donné à Édith Cresson par des proches de Rocard, « parce qu’elle fait six boulettes par jour ». Référence à Ciboulette, rôle-titre d’une opérette de Reynaldo Hahn créée en 1923 au théâtre des Variétés.

« La Bourse, j’en ai rien à cirer. »3294

Édith CRESSON (née en 1934), Premier ministre, Journal du Dimanche, 19 mai 1991

Socialiste et mitterrandienne depuis toujours, plusieurs fois ministre depuis dix ans, opposée en tout au gouvernement Rocard dont elle a d’ailleurs démissionné comme ministre des Affaires européennes, elle le remplace à Matignon le 15 mai 1991… et les cours de la Bourse chutent.
Au soir de ce mot malheureux, elle corrige le tir à la télévision, invitée de Sept sur Sept : « C’est une boutade. La Bourse est un des paramètres de l’économie. Ce n’est pas le seul. » La phrase devient célèbre au point d’inspirer le titre d’une émission culte sur France Inter : « Rien à cirer ». Elle multiplie les propos maladroits : les Anglais « des homosexuels », les Japonais « des fourmis ». L’état de grâce est court. Les médias ne la ménagent pas, les « éléphants du PS » lui savonnent la planche, on discute sa légitimité, sa nomination ne serait que « le fait du Prince ». Sexisme, oui, mais l’impréparation est totale à la tête du gouvernement. La première nomination d’une femme au poste de Premier ministre se termine vite et mal. Elle doit démissionner au bout de 10 mois et 17 jours, remplacée par Bérégovoy le technicien. Reste le souvenir de quelques bons mots.

« Édith est un marteau-piqueur hors norme, avec tout ce que cela suppose d’efficacité et de nuisances auditives. Le problème, c’est qu’il faut trouver quelqu’un pour lui dire où creuser. Et pour l’instant, on n’a pas trouvé. »

Un collaborateur de Lionel Jospin, cité dans Le Canard enchaîné, 31 juillet 1991

Collaborateur anonyme. Bien connus du public en revanche, les auteurs du Bébête Show sur TF1 se sont déchaînés contre la femme (panthère « Amabotte »… de cresson) et contre le président. Les réseaux sociaux n’ont rien inventé, hormis l’impunité donnée par l’anonymat.

« Quand j’ai nommé Édith Cresson, je lui ai dit qu’elle avait le devoir d’être impopulaire. Je ne pensais pas  qu’elle réussirait aussi bien. »

François MITTERRAND (1916-1996), Libération, 28 janvier 1992

Six mois après sa nomination, elle ne rassemblait plus que 30 % des Français… Mais l’impopularité de certains Premiers ministres à venir sera pire.

« À force de descendre dans les sondages, elle va finir par trouver du pétrole. »

André SANTINI (né en 1940), député des Hauts-de-Seine et maire d’Issy-les-Moulineaux

Adepte de l’humour vachard et primé par le « Press Club humour et politique » chargé de noter les meilleurs blagueurs, il a ressorti cette vanne en diverses circonstances, visant notamment Juppé, bientôt Premier ministre.

13. Pierre Bérégovoy (1992-1993). Fait divers politique, drame national, tragédie personnelle d’un homme de bonne volonté.

« On ne construit pas le progrès social à coup de déficits. »,

Pierre BEREGOVOY (1925-1993), ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale au gouvernement Mauroy, 30 avril 1984

Fils d’un immigré russe qui a fui la Révolution bolchevique, bon élève à l’école, il obtient son brevet élémentaire et son CAP d’ajusteur. Modeste employé à la SNCF en 1942, il acquiert une conscience politique, s’engage dans la Résistance et participe à la libération d’Elbeuf, près de Rouen. Il gravit les échelons professionnels et politiques, participe à la fondation du futur PSU, collaborateur de Mendès France en 1960, chargé des questions sociales. Ce sera désormais sa raison d’être, tandis qu’il se convertit à l’économie de marché, s’attache à stabiliser le franc pour contrer l’inflation, libéraliser les marchés financiers et moderniser la Bourse. Il dédramatise le terme de rigueur si mal vu à gauche : ses compétences lui valent la reconnaissance des milieux d’affaires, le respect de l’opposition, en même temps que les surnoms de « Père la rigueur » ou « Monsieur Franc fort ».

En avril 1992, à 66 ans, il parvient au sommet de sa carrière : Mitterrand le nomme Premier ministre après l’échec des élections régionales et moins d’un an avant les législatives. Suite aux controverses autour d’Édith Cresson, c’est un choix qui rassure : homme de la synthèse aux origines modestes, technicien prônant le franc fort et la rigueur budgétaire.

« Nous avons onze mois d’action gouvernementale pour traduire en actes un projet de société (…) Bien sûr, il ne faut pas confondre rigueur économique et rigueur sociale. C’est pour cette raison que la justice sociale est au centre de nos préoccupations. Mais la rigueur en économie n’est pas une parenthèse. C’est une exigence de bonne gestion. Ceux qui disent autre chose se trompent ou abusent les Français. »

Pierre BEREGOVOY (1925-1993), Discours de politique générale à l’Assemblée nationale, 8 avril 1992

Il présente son gouvernement, moins d’un an avant le renouvellement des députés. Son objectif : restaurer la confiance et renouer avec l’espérance par l’action. L’équipe travaillera « pour la France et les Français ». Dans un contexte difficile, il fait encore et toujours le choix de la rigueur : pas de remèdes miracles, mais « la lucidité, le calme et la persévérance ». Face à la crise, le gouvernement agit pour réconcilier l’économique et le social.

Autre innovation, l’entrée du mot « corruption » dans le dictionnaire parlementaire et par la bouche d’un Premier ministre en exercice. Sans fioritures ni précautions, il nomme l’évidence et manifeste sa volonté.

« J’entends vider l’abcès de la corruption (…) Dans tous les cas, la justice doit passer. (…) Je souhaite que cet assainissement soit conduit par la justice avec célérité et sévérité (…) S’il est des dossiers qui traînent, croyez-moi, ils ne traîneront plus. »

Pierre BEREGOVOY (1925-1993), Discours de politique générale à l’Assemblée nationale, 8 avril 1992

Rupture radicale avec l’attitude des socialistes toujours sur la défensive et empêtrés dans de douteuses solidarités. « Jusqu’ici, un seul d’entre eux avait osé l’autocritique publique : Lionel Jospin qui, par une cruelle ironie, semble enfin entendu d’un gouvernement dont il est le premier exclu » note Le Monde du 10 avril 1992.

Une série de mesures doit créer la transparence sur les dons des entreprises aux partis politiques. Mais des maladresses de communication et l’enchaînement d’affaires nuisent à cet effort. En février 1993, l’affaire du prêt sans intérêt d’un million de francs que Bérégovoy a perçu de l’homme d’affaires Roger-Patrice Pelat le blesse : il a déclaré au fisc ce prêt (relativement modeste, pour financer l’achat d’un appartement dans le 6e arrondissement de Paris), mais il se défend mal, débordé par la polémique qui nuit à son image, Pelat se trouvant lui-même impliqué dans une affaire de corruption.

Un an plus tard, il est considérablement affaibli par cette affaire mineure suivie de diverses « révélations », par le dérapage budgétaire et la défaite de la gauche aux législatives - quoique lui-même élu député de la Nièvre le 2 avril. Le 1er mai, jour de la classe ouvrière dont il est issu et à laquelle il consacra sa vie, il se suicide au bord d’un canal à Nevers.

« Toutes les explications du monde ne justifieront pas qu’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme et, finalement, sa vie. »3306

François MITTERRAND (1916-1996), Discours aux funérailles de Pierre Bérégovoy, 4 mai 1993

Le président défend la mémoire de son ex-Premier ministre et ami qui s’est tiré une balle dans la tête, suite à l’injuste acharnement médiatique - Canard enchaîné en tête. L’ancien militant, fidèle à ses convictions, mais attaqué, puis lâché par les siens et notoirement déprimé, se reprochait surtout l’échec de la gauche aux législatives de mars.

La véhémence de Mitterrand a une autre raison : les attaques sur son passé d’ex-vichyste, devenu résistant. La politique est un métier dur, qui peut devenir cruel. Moins d’un an plus tard, le suicide de François de Grosrouvre dans son bureau à l’Élysée affectera son vieil ami Mitterrand et suscitera d’autres rumeurs.

14. Édouard Balladur (1993-1995). L’autosatisfaction lui va si bien, mais sa « cohabitation de velours » ne lui réussit pas.

« Les responsables politiques auront le choix entre deux attitudes : ou bien rechercher l’affrontement, la majorité nouvelle tentant de paralyser le président, le président refusant de tenir compte dans la composition du gouvernement de l’existence d’une majorité nouvelle ; ou bien tenter la cohabitation, ce qui suppose que chacun accepte d’être quelque peu empêché dans la liberté de ses mouvements et de ses choix. ».

Édouard BALLADUR (né en 1929), tribune du Monde en 1983

Deux ans après l’élection de Mitterrand, le gouvernement connaissait une forte désaffection populaire présageant une victoire de la droite aux législatives de 1986. L’idée, le mot de cohabitation sont apparus et Balladur en établit le mode d’emploi. Il a ensuite encouragé son ami Chirac à devenir Premier ministre de Mitterrand.

« Contrairement à ce qui se passe dans les westerns, c’est le premier qui dégaine qui est mort. »3267

Édouard BALLADUR (né en 1929), parlant de la cohabitation Mitterrand-Chirac en 1986. Manager en toutes lettres (2011), François Aélion. Et Le Nouvel Observateur, 7 janvier 1999, lors d’une cohabitation inverse, Chirac (président) et Jospin (Premier ministre)

Autrement dit, attaquer serait une stratégie suicidaire et le Premier ministre gouvernant est le plus exposé aux critiques et aux sondages. Mais les Français apprécient la cohabitation, rêvant même (par sondages) d’un gouvernement idéal dirigé par Michel Rocard et composé pour moitié de leaders PS et de RPR-UDF. C’est de la pure politique fiction.

Dans la cohabitation Mitterrand-Chirac, vu les tempéraments et les âges respectifs, le « supplice » valait surtout pour Chirac. Rien de tel entre Mitterrand et Balladur : « cohabitation de velours »… mais Balladur ratera la présidence.

« C’est toute notre société qui s’interroge ou, trop souvent, doute : l’aggravation de l’insécurité, comme celle du chômage, jettent le trouble dans l’esprit des Français et l’impuissance des gouvernements pour limiter l’une et l’autre a accru leurs inquiétudes ; la crise des banlieues et des villes est sérieuse, les incertitudes des jeunes face à leur avenir sont profondes. Tout ceci conduit à une crise morale. »

Édouard BALLADUR (né en 1929), Discours de politique générale à l’Assemblée nationale, le 8 avril 1993

Le diagnostic est sombre, mais tout Premier ministre tend à noircir le tableau pour pouvoir ensuite se féliciter des progrès. « La France doit faire face à une situation économique et sociale plus grave qu’aucune de celles qu’elle a connues depuis une quarantaine d’années, lorsqu’elle eût surmonté les conséquences de la guerre… Aux erreurs graves du début des années 80 et dont nous supportons encore les conséquences, erreurs marquées par la volonté d’assurer le progrès social sans chercher à lui donner une base économique réelle, s’est ajoutée une autre erreur dans les années 88-90. Une chance historique de réformer la société française dans une période de croissance a été manquée. En outre, notre pays connaît une crise de l’État. Celui-ci ne joue plus son rôle de garant de l’ordre social et de la solidarité. Il a du mal à assumer ses responsabilités régaliennes essentielles dans les domaines de la justice et de la sécurité. »

S’attardant sur l’aggravation du chômage et de l’insécurité, Balladur entend aussi agir sur la dégradation des finances publiques. Notons que tous ces problèmes sont récurrents.

« Inspirons-nous de la maxime de Marc-Aurèle : « l’obstacle est matière à action ». C’est cela le choix du nouveau gouvernement et son appel à la nouvelle majorité : le choix du courage. »

Édouard BALLADUR (né en 1929), Discours de politique générale à l’Assemblée nationale, le 8 avril 1993

Ayant fait l’état des lieux, il indique les quatre principes de l’action gouvernementale : « affermir l’État républicain et reconstruire une démocratie équilibrée » – « assainir notre économie, au service de l’emploi » – « garantir les solidarités essentielles de notre société » – « mieux assurer la place de la France en Europe et dans le monde. » Tout candidat au pouvoir pourrait copier-coller ce plan de gouvernement. C’est un cas d’école. Il faut ensuite passer à l’action. « Une page de la longue histoire de notre pays est tournée. Une autre est ouverte, elle est encore blanche, c’est à nous d’y écrire les premiers mots. N’ayons pas peur du risque. Ensemble, nous allons bâtir le nouvel exemple français. »

« Je ne fais pas de promesses, mais je les tiens. »

Édouard BALLADUR (né en 1929), cité dans Perles, gaffes et vacheries (2004), Jérôme Duhamel

En mai 1995, il dressera le bilan positif de son action, chiffres à l’appui : emploi, sécurité, retraite, santé, logement, justice. C’est son dernier acte public… et c’est encore un cas d’école. Dans ce compte rendu de bon élève passé au crible d’une presse bien informée et toujours plus ou moins partisane, tout peut être remis en question et discuté. Ce que fait  Libération, 11 mai 1995.

« Réfléchir, ça ne consiste pas à tout arrêter pour se mettre à penser. Je réfléchis tout le temps. »

Édouard BALLADUR (né en 1929) cité par Franz-Olivier Giesbert dans La Tragédie du Président (2007)

Retraçant la trajectoire de Chirac et sa cote qui remonte dans les sondages avant les présidentielles, le biographe trace le portrait de Balladur, incrédule face à ce retour d’ailleurs incroyable : « Il est toujours tel qu’en lui-même la fatuité le fige et il respire par tous les pores le bonheur de gouverner. Il reçoit beaucoup à sa table de Matignon et enfile les perles devant des parterres ébahis… On l’avait comparé à Louis  XIV à cause de son goitre bourbonien. Mais c’est un avatar de Louis XVI. Il a la même inaptitude à saisir la réalité des choses. Surtout quand elle ne lui convient pas. »

« Je vous demande de vous arrêter. »

Édouard BALLADUR (né en 1929), 23 avril 1995 à son QG de campagne, s’adressant à ses partisans devant les caméras de télévision

Après vingt mois passés à Matignon dans un contexte de crise économique et bénéficiant d’une cote de confiance de 58 % au baromètre Sofres, il avait annoncé sa candidature à la présidentielle le 18 janvier. Lors de son discours prononcé au soir des résultats du premier tour, sifflements et huées couvrent sa voix et l’empêchent d’appeler à voter comme il se doit pour la droite représentée par Chirac arrivé en tête. D’où son ordre aux troupes, sur un ton d’agacement peu coutumier au personnage : « Je vous demande de vous arrêter ! »

Il présente la démission de son gouvernement au président Mitterrand qui l’accepte et lui demande de gérer les affaires courantes en attendant la nomination de son successeur par Jacques Chirac, nouveau président élu. Le 18 mai, Balladur quitte Matignon et transmet ses pouvoirs à Juppé, jusqu’alors ministre des Affaires étrangères.

15. Alain Juppé (1995-1997). Martyre à Matignon incarné avec talent et fierté, amertume en fin de carrière politique.

« Je voudrais exprimer le sentiment que nous éprouvons tous à l’égard de celui qui est probablement le meilleur d’entre nous, notre secrétaire général Alain Juppé. »

Jacques CHIRAC (1932-2019), 1993 à Strasbourg, Cité dans Alain Juppé sans masque (2016), Dominique Lormier

Collaborateur de Chirac à partir de 1976 et devenu son plus fidèle compagnon de route, ce brillant énarque fut d’abord son adjoint à la mairie de Paris durant douze ans. Les relations entre les deux hommes parfaitement complémentaires sont déjà établies. Chirac admire l’intelligence incandescente de son protégé, son exceptionnelle faculté de synthèse dans les dossiers les plus complexes, mais il doute de ses capacités politiques. Juppé est fasciné par l’abattage, le sens politique, le cynisme tranquille de son mentor, mais exaspéré par son inconstance, sa propension à donner raison au dernier qui parle.

Juppé se présentera ensuite à Bordeaux dont il devient maire à partir de 1995 – cumul naturel à l’époque avec les fonctions de Premier ministre. Au final, Bordeaux lui apportera plus de joies et de reconnaissance que Paris. Si l’on compte les années où il fut aussi président de Bordeaux Métropole, cela fait plus de trente-six ans de sa vie – à comparer aux quarante-huit ans de son illustre prédécesseur (également Premier ministre), Chaban-Delmas.

« C’est sur notre capacité à provoquer en France un profond et durable mouvement de création d’emplois que nous demanderons, le moment venu, à être jugés. »

Alain JUPPÉ (né en 1945), Discours de politique générale à l’Assemblée nationale, 23 mai 1995

Nommé Premier ministre par le président Chirac le jour même de son investiture, il axe son discours sur la « bataille pour l’emploi ». Il obtient dans la foulée la confiance de 447 députés sur 538 votants (très majoritairement RPR et UDF). Mais un mois après, il doit répondre sur le loyer de son appartement parisien, trop bas pour être honnête, et la baisse de loyer demandée pour l’appartement de son fils Laurent. La presse s’empare de l’« affaire ».

« Je suis droit dans mes bottes et je crois en la France. »3336

Alain JUPPÉ (né en 1945), Premier ministre, TF1, 6 juillet 1995

Affaire dérisoire, mais symbolique. Sa « cote d’avenir » passera de 63 % en juin à 37 % en novembre (baromètre TNS Sofres pour Le Figaro Magazine). Sa défense paraît rigide, illustrée par l’expression qui le poursuivra (empruntée à la cavalerie militaire qui inspire aussi son ami Chirac sur d’autres thèmes)  : « Je suis droit dans mes bottes. » Autrement dit, je ne plie pas, j’ai ma conscience pour moi. En désaccord avec le ministre de l’Économie et des Finances Alain Madelin, il doit faire face à sa démission le 26 août. Autres motifs d’impopularité, le projet de réforme des retraites (oui, déjà !), le gel des salaires des fonctionnaires, la déroute des Jupettes (huit femmes débarquées du gouvernement après quelques mois d’exercice) et cette raideur maladroite ou mal prise.

« Alain Juppé voulait un gouvernement ramassé, il n’est pas loin de l’avoir. »

André SANTINI (né en 1940), député des Hauts-de-Seine et maire d’Issy-les-Moulineaux

Homme de droite et grand faiseur de petites phrases, Santini reçoit le prix d’excellence décerné par le très sérieux « Press Club de l’humour politique » pour cette déclaration. Devant la chute de sa cote de popularité, il reprend sa blague préférée qui a servi pour Édith Cresson au même poste : « Il finira par trouver du pétrole. »

« Mes chers compatriotes, après consultation du Premier ministre, du président du Sénat et du président de l’Assemblée nationale, j’ai décidé de dissoudre l’Assemblée nationale. »3341

Jacques CHIRAC (1932-2019), Allocution télévisée en direct de l’Élysée, 21 avril 1997

Nul ne peut expliquer cette erreur tactique ou stratégique. Villepin (secrétaire général de l’Élysée) a conseillé, Chirac a décidé, avec des accents gaulliens : « J’ai acquis la conviction qu’il faut redonner la parole à notre peuple, afin qu’il se prononce clairement sur l’ampleur et le rythme des changements à conduire pendant les cinq prochaines années. » C’est jouer à quitte ou double. La manœuvre échoue.

Les législatives anticipées donnent le pouvoir à l’opposition, le 1er juin. Les socialistes se sont alliés à la Gauche plurielle (Parti communiste, Verts, Parti radical de gauche, Mouvement citoyen). Cette nouvelle union de la gauche va donner au pays le spectacle toujours apprécié d’une troisième cohabitation. Juppé laisse place à Jospin, nommé le 2 juin par Chirac.

« Un Premier ministre, on le lèche, on le lâche, on le lynche ! »3383

Alain JUPPÉ (né en 1945), cité dans La Malédiction Matignon (2006), Bruno Dive, Françoise Fressoz

Il a vécu un court état de grâce, devenu en 1995 Premier ministre et maire de Bordeaux. Vient ensuite l’impopularité pour des mesures assumées toujours « doit dans ses bottes ». Mais le pire est à venir.

En 1998, il est mis en examen pour « abus de confiance, recel d’abus de biens sociaux et prise illégale d’intérêt » : pour des faits commis en tant que secrétaire général du RPR et maire adjoint de Paris aux finances, de 1983 à 1995. 30 janvier 2004, le tribunal correctionnel de Nanterre le condamne lourdement : dix-huit mois de prison avec sursis dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris et dix ans d’inéligibilité ! L’appel interjeté suspend l’application de la peine jusqu’à l’arrêt de la Cour d’appel. Le 1er décembre 2004, condamnation réduite à quatorze mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité. Juppé vit une traversée du désert qui passe par le Canada – c’est son île d’Elbe. Nombre de commentateurs estiment alors qu’il paie pour Chirac reconnu comme responsable moralement.

« Ce sont plutôt les sentiments bas et les pulsions primaires qui occupent les feux de la rampe, hélas. »

Alain JUPPÉ (né en 1945), Entre nous (1996)

Dans ce livre confidence, Juppé déplore aussi que « le système médiatique fonctionne sur l’émotion, il réagit dans l’instant avec le carburant de la violence. » On ne peut s’empêcher de penser aux réseaux sociaux mis aujourd’hui en accusation.

« La politique est telle qu’elle m’écœure. »

Alain JUPPÉ (né en 1945), 19 mai 1988, La Tentation de Venise (1993)

Ce texte est d’abord un « Journal » écrit au fil des humeurs, des combats, des espérances d’un homme dont la vocation première et dernière est politique. Il consigne ses convictions, des portraits, des choses vues, des souvenirs et des regrets. C’est aussi une confession avec ses interrogations : la politique vaut-elle qu’on lui consacre sa vie ? N’est-elle pas moins importante que l’art, l’amour, la beauté ? D’où le titre : la Tentation de Venise – ville où Juppé se retire pour réapprendre à respirer et s’apaiser. Mieux qu’ailleurs, ce « militant » mesure les limites et les insuffisances de sa propre existence.

« Pourquoi être seulement désagréable lorsqu’on peut être parfaitement odieux ? »

Alain JUPPÉ (né en 1945), 3 mai 2012 devant des journalistes, entre-deux tours des présidentielles, avant la duel Sarkozy-Hollande. Perles de politiques (2015), Stéphane Garnier

Cette citation reste une énigme. Provocation ? Confession ? Autoflagellation ? Après la défaite de la droite et de Sarkozy qu’il déteste et le retour au pouvoir des socialistes qu’il n’aime guère, Juppé est « pressenti » pour des fonctions politiciennes - autant d’échecs (mineurs). Candidat à la primaire ouverte de l’UMP en vue des présidentielles de 2017, il bat Sarkozy, mais Fillon le devance. Quand Fillon sera lui-même empêtré et empêché par les « affaires », Juppé à nouveau pressenti refuse d’être un recours. « La politique m’écœure. » Il est nommé au Conseil constitutionnel en 2019 – après démission de sa mairie de Bordeaux. Au final, une brillante carrière, à défaut d’un destin national.

16. Lionel Jospin (1997-2002). Une troisième cohabitation longue et plutôt heureuse, mais qui finit mal.

« La nation est non seulement la réalité vivante à laquelle nous sommes tous attachés, mais surtout le lieu où bat le cœur de la démocratie, l’ensemble où se nouent les solidarités les plus profondes. La France, ce n’est pas seulement le bonheur des paysages, une langue enrichie des œuvres de l’esprit ; c’est d’abord une histoire. »3343

Lionel JOSPIN (né en 1937), Premier ministre, Déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale, 19 juin 1997

Cette cohabitation va durer cinq ans – record sous la Cinquième République. Le pouvoir du chef de l’État s’en trouve limité, Jospin parlera d’un « président vieilli et usé » - ce mot maladroit lui coûtera peut-être son élection à la présidence. Chirac n’est plus le battant qu’il a été, mais reste un animal politique et un personnage populaire.

Pour commencer à écrire la suite de l’histoire de France, Jospin a formé un gouvernement d’union centré sur quelques proches : Martine Aubry, Claude Allègre, Dominique Strauss-Kahn. Principale promesse de campagne : les 35 heures (payées 39), pour favoriser le partage du travail. Ce sera la mesure la plus populaire, la plus contestée aussi.

« La réduction négociée du temps de travail c’est, en tout premier lieu, un démenti clair et déterminé à toutes les théories de l’impuissance de l’action publique face au chômage. »

Martine AUBRY (née en 1950), ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Déclaration relative au projet de loi sur la réduction du temps de travail, 15 décembre 1999

Sur le fond, c’est bien la fille de son père Jacques Delors, économiste et socialiste. « Nous avons regardé le chômage pendant des années, comme un mal fatal avec lequel il fallait composer. Je n’aime guère l’idée qu’il faille s’accommoder de l’injustice et réduire l’action politique à panser les plaies de ceux qui en sont victimes. Le chômage est un mal trop grave pour laisser le marché seul décider selon ses propres cycles et ses propres règles, s’il doit augmenter ou baisser. Et la politique consiste à faire des choix. Elle consiste, en s’appuyant sur des valeurs à trouver une cohérence entre les besoins individuels et les aspirations collectives. »

Même si Strauss-Kahn fut le premier à préconiser la réduction du temps de travail (RTT), Martine Aubry reste la « Dame des 35 heures » en deux lois, 13 juin 1998 et 19 janvier 2000. Pour les entreprises de moins de 20 salariés non concernées, il n’y aura jamais de troisième loi. Mais Martine Aubry triomphe. Reste la controverse.

Combien d’emplois créés par les 35 heures ? 300 000 à 350 000, d’où la baisse du chômage, mais le phénomène est le même dans les pays voisins. Le Medef (syndicat patronal) dénie toute influence aux lois Aubry. La droite qui parle de destruction d’emplois voudra les vider de leur substance. « On ne dira jamais assez le mal que les 35 heures ont fait à notre pays. Comment peut-on avoir cette idée folle de croire que c’est en travaillant moins que l’on va produire plus de richesses et créer des emplois ! » dira Sarkozy. En janvier 2008, il annonce « la mort » des 35 heures, mais se borne à poursuivre le détricotage. La durée légale hebdomadaire reste à 35 heures, sauf dans les PME de moins de 20 salariés.

« L’école est le berceau de la République. »

Lionel JOSPIN (né en 1937), Déclaration de politique générale, 19 juin 1997

Ex diplomate devenu professeur d’économie à l’IUT de Sceaux de l’Université de Paris, Jospin tient à cette réforme toujours risquée en France. Son ami Allègre s’attelle à la tâche.

« Il faut dégraisser le mammouth. »3344

Claude ALLÈGRE (né en 1937), ministre de l’Éducation nationale, 24 juin 1997

C’est un chercheur reconnu, médaillé et primé par ses confrères, malgré ses prises de position écologiques sur le climat « politiquement incorrectes ». Il prévoit une réforme des lycées pour « l’égalité dans la diversité » des filières. Il veut changer les horaires, développer des « activités culturelles et citoyennes ». Projets mal reçus, mais c’est surtout son langage qui choque le milieu enseignant. L’image fait mouche et le mammouth devient l’emblème de la contestation.

On réfute ses chiffres (sur l’absentéisme des professeurs, la durée de leurs congés) et ses jugements tranchés sur diverses matières (les maths dévaluées par les machines à calculer, l’anglais qui ne doit plus être une langue étrangère pour les Français). Le mammouth est quand même la plus grosse erreur de langage. Le ministre revient sur sa petite phrase : elle visait l’administration centrale et non les professeurs. Il va d’ailleurs ajouter 70 000 emplois au million existant. Mais en mars 2000, Jospin devra sacrifier son ami Allègre et rappeler à l’Éducation nationale le très populaire Jack Lang.

« Laurent Fabius a été rappelé pour rassurer les classes moyennes, et Lang pour s’occuper des classes surchargées. »3359

Laurent RUQUIER (né en 1963), Vu à la radio (2001)

Chroniqueur, animateur et humoriste tout média, Ruquier résume le grand remaniement ministériel du 28 mars 2000. Le Figaro titre : « Au secours, Mitterrand revient ! » et Le Courrier de l’Ouest : « Les éléphants du PS sont de retour ».

Jospin doit se séparer du noyau dur de son premier gouvernement constitué de ses proches : Claude Allègre, contesté par les syndicats enseignants et Dominique Strauss-Kahn, impliqué dans l’affaire de la MNEF - Mutuelle nationale des étudiants de France. Poursuivi pour « faux et usage de faux », mis en en examen, il choisit de démissionner - il sera relaxé, en novembre 2001 (avant l’affaire du Sofitel de New York qui lui coûtera plus cher en 2012 – la présidence.

Le Premier ministre fait donc entrer le très consensuel Jack Lang à l’Éducation nationale et Laurent Fabius, son rival historique au sein du PS, le « poulain » de Mitterrand quitte le perchoir de l’Assemblée pour Bercy, le ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Jusqu’en 2001, le gouvernement socialiste bénéficie d’une embellie économique, liée à une forte croissance mondiale dopée par l’envol des nouvelles technologies. L’introduction réussie de l’euro sera son autre chance, au 1er janvier 2002. Et pourtant… le drame.

« J’assume pleinement la responsabilité de cet échec et j’en tire les conclusions, en me retirant de la vie politique. »3373

Lionel JOSPIN (né en 1937), Déclaration du 21 avril 2002, au soir du premier tour des élections

La gauche est hors-jeu et KO, la présidentielle va se jouer à droite toute. Le Premier ministre se présente à la télévision et devant ses troupes, visage défait, voix blanche : « Le résultat du premier tour de l’élection présidentielle vient de tomber comme un coup de tonnerre. Voir l’extrême droite représenter 20 % des voix dans notre pays et son principal candidat affronter celui de la droite au second tour est un signe très inquiétant pour la France et pour notre démocratie. Ce résultat, après cinq années de travail gouvernemental entièrement voué au service de notre pays, est profondément décevant pour moi et ceux qui m’ont accompagné dans cette action. Je reste fier du travail accompli. Au-delà de la démagogie de la droite et de la dispersion de la gauche qui ont rendu possible cette situation, j’assume pleinement la responsabilité de cet échec et j’en tire les conséquences en me retirant de la vie politique après la fin de l’élection présidentielle. »

Ce 21 avril est l’une des dates chocs des années 1990-2010, avec le NON à venir au référendum sur l’Europe et le ressenti émotionnel des attentats du 11 septembre aux USA.

« Ma mission à moi était de conduire la gauche à la victoire présidentielle. Et là, on pourrait dire que l’équipage de la gauche a abandonné son capitaine. »3375

Lionel JOSPIN (né en 1937), à propos du 21 avril 2002. Lionel raconte Jospin (2010), Lionel Jospin

Le bilan du parti socialiste était honorable, mais son programme désespérément vide : aucune proposition propre à faire rêver les classes populaires déboussolées ou les jeunes en quête d’idéal. La campagne, mal conduite, devint une foire d’empoigne entre les 16 candidats, huit à gauche, huit à droite, chacun s’efforçant d’engranger un maximum de voix en prévision des législatives de juin. Le 21 avril fut parfois analysé comme une nouvelle poussée d’extrême-droite et surtout ressenti tel quel par la jeunesse qui manifestait en masse, vent debout. C’est davantage une démobilisation de la droite traditionnelle et plus encore de la gauche socialiste. Reste le vote massif pour Chirac réélu président.

17. Jean-Pierre Raffarin (2002-2005). Invité surprise à Matignon et record absolu des raffarinades.

« La route est droite, mais la pente est forte. »3376

Jean-Pierre RAFFARIN (né en 1948), nouveau Premier ministre à l’Assemblée, 3 juillet 2002. La Route est droite, mais la pente est forte : un an déjà (2003), Marie-Noëlle Lienemann (future sénatrice PS)

Au lendemain des législatives gagnées dans la foulée de la présidentielle, on se demande quel Premier ministre va prendre Chirac, président réélu par défaut face à Le Pen. Le choix surprend. C’est un giscardien, l’un des rares « chiraco-compatibles ». Cela peut se résumer ainsi : « La politique, ce n´est pas un sport, ce n´est pas une équipe contre une autre : on est tous l´équipe de France. » Malgré tout, Raffarin a le cœur à droite : « La France n’est encore, dans son chemin du paradis, qu’au purgatoire puisqu’il reste des socialistes. »

L’homme affiche sa modestie : « Les têtes qui gonflent sont celles qui éclatent. » Il se décrit lui-même : « J´ai mes rondeurs, mais j´ai mon énergie. » Il a un physique et une mentalité de sénateur – il est d’ailleurs sénateur de la Vienne, élu et réélu, et il retournera au Sénat après trois années passées à Matignon, trois fois renouvelé pour trois gouvernements successifs : « Je suis le pilote de l´Airbus gouvernemental. »

Populaire au début dans « la France d’en bas » comme dans « la France d’en haut », réformateur – « Il faut mettre en place la République du bon sens » –, il se montre ferme face aux grèves et aux manifestants – retraite, décentralisation, assurance-maladie. Face aux éternels chantiers, aux problèmes récurrents : « La route est droite, mais la pente est forte », autrement dit, on voit bien ce qu’il faut faire, mais ce ne sera pas facile. Sarkozy, ministre de l’Intérieur en 2002, va lui faire de l’ombre et le gêner plus encore aux Finances, en 2004.

En trois ans, Raffarin s’est donc fait remarquer par toutes les formules dont il émaille ses discours. Citons quelques truismes : « Les jeunes sont destinés à devenir des adultes » ; « Les veuves vivent plus longtemps que leur conjoint » ; « La France est forte, quand c´est une force qui va et qui sait où elle va » ; « Savoir se vaincre dans la victoire, c’est être deux fois vainqueur » ; « À force de penser au pluriel la politique, certains ont oublié le singulier de la France » ; « L´Europe à laquelle nous devons penser demain, ce n´est pas l´Europe d´hier. » Dès 2003, le Premier ministre obtient le prix spécial du (nouveau) Press Club de France, humour et politique, pour un an de raffarinades.

« Mon oui est plus qu´un non au non. »

Jean-Pierre RAFFARIN (né en 1948), appelant à voter oui au référendum français sur le Traité constitutionnel européen

L’Europe est de retour sur la scène politique. Les chefs d’État et de gouvernement des 25 pays membres ont adopté le « Traité établissant une Constitution pour l’Europe » signé à Rome le 29 octobre 2004. Reste à obtenir la ratification, par voie parlementaire ou par référendum. Le sacre populaire donne plus de poids au texte, si tout se passe bien. 10 pays font ce pari, dont la France : décision du président, après consultation des partis.

La campagne du référendum passionne moins qu’en 1992. Les enjeux du traité de Rome ne sont pas comparables à ceux du traité de Maastricht. Les leaders politiques pensent surtout aux prochaines élections. Philippe Séguin, retiré de la vie politique, siège à la Cour des comptes. Il n’y a donc pas de grand leader du non. Et pourtant…

« NON. »3386

Réponse au référendum français sur le Traité constitutionnel européen, 29 mai 2005

Il l’emporte avec près de 55 % des suffrages exprimés (plus de 30 % d’abstention). C’est un séisme politique dont les ondes sismiques se font encore sentir. Si les Français rejettent l’Europe, il faut analyser cette « fracture européenne ». Les partis, divisés sur la question, mais majoritairement européens, tenteront de mieux « vendre » l’Europe trop vite prise en bouc émissaire, symbolisant le bureaucratisme, l’interventionnisme, le libéralisme, la mondialisation.

Mais le référendum exprime aussi un « malaise français » : pessimisme viscéral, inquiétude sociale, crise perpétuellement ressentie, l’Europe n’étant qu’un prétexte à exprimer son mécontentement et sa perte de foi en la politique. Le non au référendum sera le coup de grâce pour Raffarin, ex député européen (de 1989 à 1995) qui démissionne le surlendemain. Voici Villepin Premier ministre… et Sarkozy de retour au gouvernement. Deux tempéraments, deux adversaires.

18. Dominique de Villepin (2005-2007). Tout pour réussir au risque de déplaire jusqu’à la haine.

« Et c’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie… »3378

Dominique de VILLEPIN (né en 1953), Discours au Conseil de Sécurité à l’ONU, 14 février 2003

Il restera dans l’Histoire pour ce discours et Chirac ne peut oublier le grand moment de son quinquennat vécu avec son ministre des Affaires étrangères, ovationné par une majorité des pays membres de l’ONU formant un « front commun » contre l’invasion de l’Irak voulue par les USA, d’où une notoriété internationale et la satisfaction de l’opinion publique française. Deux ans après, Villepin se retrouve sous le feu des projecteurs d’une actualité plus nationale. Il assume aussitôt son rôle de Premier Ministre, très à l’aise dans sa mission : remettre la France en marche.

« Dans une démocratie moderne, le débat n’est pas entre le libéral et le social, il est en vérité entre l’immobilisme et l’action. Je choisis résolument le parti de l’action. »

Dominique de VILLEPIN (né en 1953), Déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale, 8 juin 2005

« Je consacrerai mon énergie et ma volonté à cette tâche immense que m’a confiée le Président de la République. Alors que le monde connaît des changements sans précédent, l’Europe se divise et la France tarde à s’adapter. La vérité, c’est que le chômage atteint un niveau inacceptable : plus de 10 % de chômeurs, voilà le véritable mal français. »

Villepin va prendre de nombreuses mesures concrètes pour le combattre, mais il échouera en mars 2006 à faire passer le CPE (Contrat première embauche) sans concertation avec les partenaires : trois mois de contestation sociale avec les jeunes en fer de lance, trois mois de crise politique. Ce mouvement de convergence entre la jeunesse et les syndicats est accompagné de violences qui font basculer l’opinion publique. Échec cinglant pour le Premier ministre, à un an des présidentielles. Reste à savoir le rôle de Sarkozy, ministre de l’Intérieur, dans la journée du 23 mars.

« Nous avions pris la décision de laisser les bandes de blacks et de beurs agresser les jeunes blancs aux Invalides, tout en informant les photographes de Paris Match. L’émotion fut en effet à son comble, après la publication de photos dont l’opinion ne retiendrait qu’une chose : des hordes sauvages étaient entrées dans Paris. »

Patrick BUISSON (né en 1949), La Cause du peuple (2016)

Dans ses souvenirs de la place Beauvau, le conseiller de Sarkozy surnommé son « hémisphère droit » cite le ministre de l’Intérieur : « On laissera (les casseurs) faire leurs courses à Darty et à Go Sport ». Ce 23 mars 2006, la manifestation des opposants à la réforme dégénère sur la rive gauche parisienne, Esplanade des Invalides, les images choquent l’opinion au JT de 20h : étudiants frappés par des « casseurs » extérieurs à la mobilisation, vitrines brisées, boutiques pillées, CRS harcelés mais immobiles. Sarkozy aurait sciemment laissé les casseurs perturber le cortège, s’en prendre aux manifestants et aux forces de l’ordre, dans le but de nuire à l’image du chef du gouvernement, Dominique de Villepin.

Un commissaire de police (ex CRS) confirme sur le site de France-Inter (28 septembre 2016) et juge « plausibles » les accusations de Buisson : » J’étais présent, en mesure d’interpeller des casseurs, je les avais identifiés, et on ne m’a jamais donné l’ordre, avec ma section, d’intervenir. C’est ça que j’ai vécu. » L’ordre aurait naturellement dû arriver de la Préfecture de Police de Paris, placée sous l’autorité de Sarkozy, ministère de l’Intérieur.

« Je voterais Dominique de Villepin, même s’il ne se présentait pas. »3397

Azouz BEGAG (né en 1957), fin octobre 2006 sur Canal Plus, à propos de l’élection présidentielle à venir

Le premier cas public d’« antisarkozysme primaire » se trouve à droite. Ministre chargé de la Promotion de l’égalité des chances, il est entré en conflit ouvert avec Sarkozy, candidat déclaré. Le conflit se durcit avec l’emploi répété du mot « racaille » par le ministre de l’Intérieur qui se moque de « Vidéo-Begag » en raison de ses gaffes. « Il n’a pas les codes de la vie politique » estime un de ses collègues. C’est vrai, mais l’« Arabe de service » a un soutien de poids : « Azouz est très apprécié dans les banlieues. Médiatiquement, il a bien percé, maintenant tout le monde parle d’égalité des chances. Ses participations à des émissions font monter les audiences. » C’est un argument… signé du chef du gouvernement, l’ennemi intime de Sarkozy, et vice-versa. Dans cette guérilla, Villepin sera le grand perdant.

« Un jour, je finirai par retrouver le salopard qui a monté cette affaire et il finira sur un croc de boucher. »3398

Nicolas SARKOZY (né en 1955), ministre de l’Intérieur, citation authentifiée après coup par « le salopard » visé, Dominique de Villepin. La Tragédie du Président (2006), Franz-Olivier Giesbert

Dans la série « duels fratricides », l’affaire Clearstream est une obscure histoire de corbeaux et de manipulations, un feuilleton financier, politique et judiciaire qui commence en 2004 et trouvera son épilogue juridique en 2010. En mai 2006, Villepin est mis en cause, mais Chirac refuse de remanier le gouvernement et réitère sa confiance au Premier ministre, vu comme un candidat potentiel à la présidentielle de 2007, d’où la rivalité frontale avec Sarkozy. Matignon lui donne une position favorable, mais le CPE et l’affaire Clearstream (très médiatisée) le firent renoncer. Il démissionne le 15 mai 2007, la veille de la passation de pouvoir entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy.

Villepin sera mis en examen le 27 juillet 2007 pour « complicité de dénonciation calomnieuse, recel de vol et d’abus de confiance, complicité d’usage de faux ». 23 septembre 2009, le président Sarkozy qualifie de « coupables » les prévenus au procès Clearstream. Un mois plus tard, le procureur requiert dix-huit mois de prison avec sursis contre l’ex-Premier ministre rendu complice de dénonciation calomnieuse : « Nicolas Sarkozy avait promis de me pendre à un croc de boucher, je vois que la promesse a été tenue. » Mais le 28 janvier 2010, Villepin est relaxé. Jean-Louis Gergorin le « cerveau » de l’affaire et Imad Lahoud, auteur des lettres anonymes étant condamnés à 15 et 18 mois de prison ferme.

19. François Fillon (2007-2012). L’homme qui cachait (trop) bien son je(u).

« Quand j’ai appris que Xavier Bertrand appartenait à la franc-maçonnerie, je ne me suis pas étonné de le découvrir maçon ; mais franc, ça m’en bouche un coin. »

François FILLON (né en 1954), cité dans Un État dans l’État : Le Contre-pouvoir maçonnique (2009), Sophie Coignard

Tout homme (politique) a sa part d’ombre, mais la médiatisation de la vie publique expose aux rumeurs, révélations, infos ou intox qui existent d’ailleurs depuis la nuit des temps historiques. Deux sujets (non criminels !) restent plus ou moins tabous : la maçonnerie et l’homosexualité. La fortune personnelle et les relations d’influence sont également cachées.

Pour s’en tenir au « cas Fillon », ce personnage très discret, voire secret, apparaît comme particulièrement complexe – plus que Chirac ou Sarkozy qui ont également multiplié les « affaires », mais se sont volontiers exposés avec cynisme. On pourrait le comparer à Mitterrand ou Talleyrand, pareillement qualifiés de Sphinx.

« Il y a ceux qui se font mousser devant les caméras tous les soirs, et puis il y a ceux qui font les réformes dont on parlera encore dans vingt ans. »

François FILLON (né en 1954), Les Échos, 18 mai 2007

Sitôt nommé, il annonce la couleur : discrétion (pour mieux agir). Saluons sa longévité primo-ministérielle qui le place en n° 2 (après Pompidou et avant Jospin), mais aussi son mérite tout au long du quinquennat. Il fait couple avec l’hyper président qui le traite publiquement de « collaborateur ». Pas d’état de grâce pour Sarkozy et en huit mois, sa chute de popularité paraît d’autant plus inquiétante que le Premier ministre se maintient à un bon niveau : 52 % d’opinions favorables pour Fillon, face à 39 % pour Sarkozy (baromètre Ipsos-Le Point du 14 février 2008).

« Ce sera un gouvernement libre, mais qui mettra en œuvre scrupuleusement le projet. » assurait-il le 18 mai au JT de 20 h sur TF1. Et Fillon maintient le cap, contre vents et marées.

« François Fillon a tellement de qualités qu’il mériterait d’être Premier ministre. »

François GOULARD (né en 1953), député-maire UMP (villepiniste) de Vannes, citation concourant en 2010 au prix « Press club, humour et politique »

Jusqu’ici, tout va bien. Il pourrait même devenir président, il doit y penser puisqu’il sera candidat, mais le fidèle « collaborateur » ne laisse rien paraître, face à l’omniprésident.

« L’Europe a fait preuve depuis plusieurs années d’une extraordinaire capacité d’adaptation face à une succession de crises. À chaque fois, nous avons démontré, avec les États membres, avec le Parlement européen, avec la Commission que nous étions plus forts ensemble. »3451

François FILLON (né en 1954), Bruxelles, 14 avril 2011

Déni de réalité, langue de bois, prudence d’opportuniste ? Avant de critiquer, pensons que la crise internationale, sans l’Europe de Bruxelles, pourrait être pire. Rappelons la crise de 1929 qui a marqué l’entre-deux-guerres, provoqué inflation, dépression, ruines en série, vagues de suicides, et mené au second conflit mondial. Cela nous est épargné.

Face à la crise, deux solutions, l’une libérale, l’autre socialiste : on attend la régulation par le marché, ou l’État intervient par une politique de rigueur ou de relance. Troisième hypothèse, le communisme n’a réussi nulle part. Corriger le capitalisme par tous les leviers possibles est donc plus réaliste. Quant à Fillon, sa position a changé face à l’Europe. Gaulliste de gauche, proche de Séguin, il a voté non au traité de Maastricht, pour évoluer ensuite vers le libéralisme. Mais face à Sarkozy, il ne change pas. Il le complète. Il tient bon, il travaille, il restera populaire auprès des Français jusqu’à la fin du quinquennat. Mention bien. Personnage à suivre…

« On ne dissipe pas le brouillard avec un éventail. »

François FILLON (né en 1954), TF1 le 15 janvier 2014, Journal de 20h00

Mot cruel compte tenu de l’imbroglio politico-judiciaire dans lequel Fillon sera pris en tant que candidat à la prochaine élection présidentielle, revendiquant son intégrité contre vents et marées, sortant de l’ombre et prenant pour slogan « Le courage de la vérité » en 2016, avant le naufrage juridico-médiatique en 2017.

20. Jean-Marc Ayrault (2012-2014). Anormalement plus normal que le président normal.

« J’essaie de montrer une force tranquille. Les Français ont besoin que leurs dirigeants ne soient pas fébriles. »3490

Jean-Marc AYRAULT (né en 1950), Paris Match, 21 novembre 2012

Le Premier ministre emprunte l’expression « force tranquille » à la campagne présidentielle gagnante de Mitterrand en 1981 et se montre à l’image du nouveau président socialiste François Hollande qui se veut « normal ». Dans une vie politique médiatisée à l’extrême et réactive quasiment dans l’instant, la forme compte plus que le fond et la communication doit être maîtrisée autant que possible. L’interview dans cet hebdomadaire populaire est faite pour rectifier l’image trop floue du chef de gouvernement. D’où le dialogue plus convenu que nature.

« Sous vos airs bonhommes, n’êtes-vous pas une main de fer dans un gant de velours ? _ Je ne suis pas quelqu’un de faible. Je ne serais pas arrivé là, si je n’avais pas fait preuve de fermeté. Mais, en même temps, j’ai de la bienveillance pour les gens. Je ne confonds pas l’autorité et la brutalité ou le caporalisme. J’estime que tout le monde a droit à une deuxième chance. _ Vous cachez bien votre jeu ! _ J’essaie de montrer une force tranquille. Les Français ont besoin que leurs dirigeants ne soient pas fébriles. Je ne le suis pas. Le président non plus. Il est, nous sommes attentifs à tous les détails. Rien ne nous échappe. » Dont acte.

« Je trouve ça assez minable de se mettre de l’autre côté de la frontière juste pour payer moins d’impôts. »

Jean-Marc AYRAULT (né en 1950), Télématin sur France 2, décembre 2012

Cette fois, le Premier ministre ne mâche pas ses mots pour qualifier le départ de l’acteur vedette, Gérard Depardieu. Connu pour son franc-parler, il réplique aussitôt.

« Nous n’avons plus la même patrie, je suis un vrai Européen, un citoyen du monde. »3499

Gérard DEPARDIEU (né en 1948), Lettre ouverte au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, JDD, 16 décembre 2012

En annonçant qu’il rend son passeport français (chose impossible), il a suscité de vives critiques. L’acteur aux 170 films et aux deux Césars se défend : « Je n’ai jamais tué personne, je ne pense pas avoir démérité, j’ai payé 145 millions d’euros d’impôts en quarante-cinq ans, je fais travailler 80 personnes dans des entreprises qui ont été créées pour eux et qui sont gérées par eux (sic). Je ne suis ni à plaindre ni à vanter, mais je refuse le mot ‘minable’. Qui êtes-vous pour me juger ainsi, je vous le demande Mr. Ayrault, Premier ministre de Mr. Hollande, je vous le demande, qui êtes-vous ?… »

Michel Sapin, ministre du Travail, dénonce « une forme de déchéance personnelle, attitude pas à la hauteur de l’acteur ». Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, se dit scandalisée : « La citoyenneté française, c’est un honneur, ce sont des droits et des devoirs aussi, parmi lesquels le fait de pouvoir payer l’impôt. » Confrères et consœurs de l’acteur s’en mêlent, soit pour condamner, soit pour défendre. L’opinion est majoritairement critique.

« Ma part d’ombre, c’est mon combi Volkswagen. »

Jean-Marc AYRAULT (né en 1950), France Inter, 17 avril 2013

Confession à la mesure du personnage – aux antipodes d’un Depardieu ! Il a inscrit son combi sur sa déclaration de patrimoine. Acheté en 1988 et estimé 1 000 euros, ce combi a « une valeur symbolique et surtout sentimentale… Je le garde, car quand je pourrai, je l’utiliserai ». Le combi, symboles des années 1960-1970 avec la période hippie, synonyme d’aventures, de routards, de marginalité et plus généralement de liberté ou de cool attitude. Ça fait toujours rêver…

Le mot du Premier ministre est aussi une allusion à l’affaire Cahuzac : il reprend les termes du ministre délégué chargé du Budget, impliqué dans un scandale politico-financier depuis décembre 2012 et avouant sa part d’ombre dans son mea culpa télévisé. Il sera finalement condamné en mai 2018 : 300 000 € d’amende, cinq ans d’inéligibilité et deux ans de prison ferme… transformé un an après en port de bracelet électronique dans sa résidence de Corse.

« Les citoyens sont prêts à passer à d’autres modèles urbains. »

Jean-Marc AYRAULT (né en 1950), clôture du sommet mondial des villes durables, Écocity à Nantes. 27 septembre 2013

Mais sans volonté politique, « il ne se passera rien » a-t-il affirmé dans un discours prônant la « ville durable ». C’est à Nantes, ville dont il a été maire de 1989 à 2012 et désignée « capitale verte de l’Europe pour 2013 » que le Premier ministre définit sa vision. Ce thème « a guidé mon engagement politique et structure une part importante de l’action du gouvernement » a-t-il rappelé en clôture du sommet Écocity.

Devant des militants écologiques, des professionnels de l’urbanisme et des élus venus de 70 pays, le Premier ministre a rappelé que « l’enjeu est bien d’inventer, dans l’urgence, un nouveau projet et une nouvelle vision pour la société mondiale ». Il faut « accélérer le changement », le rapport des experts du GIEC remis le matin même prévoyant une augmentation de la température de 3 à 4 degrés d’ici la fin du siècle si rien n’est fait. Chantier d’avenir plus que jamais en débat. Mais le temps long s’oppose toujours au temps court de la politique.

Après la défaite de la gauche aux municipales, Ayrault démissionne le 31 mars 2014, remplacé par son ministre de l’Intérieur, Manuel Valls. On le retrouvera ministre en 2016 et à la tête d’une Fondation créée par Macron en 2018. Il a renoncé à tout mandat électif, préférant poursuivre son engagement politique dans la vie civile.

21. Manuel Valls (2014-2016). Mais qu’allait-il faire dans cette galère ?

« Gouverner de nouveau, je suis fait pour ça, j’aime ça, j’ai cette passion… Je suis un politique jusqu’au bout des doigts. »

Manuel VALLS (né en 1962), BFMTV, invité pour parler de son nouveau livre, Zemmour, l’anti-républicain, 16 janvier 2022

Le franco-catalan donne la clé de son personnage, aux antipodes de Jean-Marc Ayrault. Rajeuni, combatif, l’ex-socialiste  est prêt pour le come-back ou la résurrection, avec Macron ou Pécresse, qu’importe ! Mais il revient de loin.

« Il faut en finir avec la gauche passéiste, celle qui s’attache à un passé révolu et nostalgique, hantée par le surmoi marxiste et par le souvenir des Trente Glorieuses. »

Manuel VALLS (né en 1962), Interview à L’Observateur, 22 octobre 2014

Maire d’Évry de 2001 à 2012 et député de l’Essonne, membre du PS jusqu’en 2017, candidat malheureux à la primaire citoyenne de 2011, il apporte son soutien à Hollande, devient ministre de l’Intérieur dans les deux gouvernements Ayrault de 2012 à 2014, bénéficiant à ce poste réputé ingrat ou difficile de la meilleure cote de popularité dans l’équipe gouvernementale, avant d’accéder au poste de Premier ministre.

« Soutenir les artistes, soutenir la culture, c’est aimer la France. Car la France, patrie des beaux-arts et des belles lettres, n’est jamais plus belle, jamais si grande, que quand sa culture rayonne, resplendit, attire et rassemble. »

Manuel VALLS (né en 1962), Conférence de presse à Matignon, 19 juin 2014 de Manuel Valls

C’est un Espagnol qui est le seul à parler de la culture française ! « Notre culture, nos artistes, nos créateurs, par leur génie, leur audace, insufflent partout dans le monde ce désir de France. » Discours à la Conférence des ambassadeurs, 28 août 2014. « La culture, c’est un moteur économique pour notre pays, pour son rayonnement - grâce à notre langue, la francophonie - pour son attractivité. » Discours de politique générale à l’Assemblée Nationale, 16 septembre 2014

« Sur la place des femmes nous ne pouvons transiger. Marianne, le symbole de la République, elle a le sein nu parce qu’elle nourrit le peuple, elle n’est pas voilée parce qu’elle est libre ! C’est ça la République ! C’est ça Marianne ! »

Manuel VALLS (né en 1962), Meeting socialiste à Colomiers en Haute-Garonne, 29 août 2016

Durant son passage à Matignon, il se pose en chef de file des « ultra-laïcs ». Au début de l’année, la polémique sur le sens de la laïcité opposait les défenseurs d’une interprétation « fermée » de la loi, attachés à gommer tout signe d’appartenance religieuse dans l’espace public, aux partisans d’une vision « ouverte » se limitant à la stricte neutralité religieuse dans l’espace public. Valls se range du côté des premiers : « Le voile, c’est un asservissement de la femme. » Il affirme aussi que  « Marianne n’a pas de race, elle n’a pas de couleur. » Séance des questions au gouvernement, 30 septembre 2015.

« La force de notre pays, c’est sa diversité, son métissage, son amour pour ses valeurs qui restent profondément universelles. »

Manuel VALLS (né en 1962), Discours à Dakar, 22 septembre 2016

Le Premier ministre parle encore, mais semble de moins en moins audible, de plus en plus mal à l’aise. Il démissionne à la fin de l’année 2016 pour déclarer sa candidature à la primaire de la gauche.

« On nous dit que la gauche n’a aucune chance. Mais rien n’est écrit. Nos vies valent mieux que les pronostics. »

Manuel VALLS (né en 1962), Déclaration lors de sa candidature à la primaire de la gauche, 5 décembre 2016

Il se  présente à la primaire citoyenne de 2017, perdue au second tour face à Benoît Hamon. À l’élection présidentielle de 2017, contrairement à l’engagement pris, il soutient Emmanuel Macron. Réélu député, il quitte le PS pour s’apparenter au groupe La République en marche (LREM). Mais en 2018, il annonce son retrait de la vie politique française, s’étant déclaré candidat aux municipales de 2019 à Barcelone, sa ville natale. Élu conseiller municipal lors de ce scrutin, sa liste arrive en quatrième position. Allers et retours erratiques, l’homme a changé physiquement, moralement, comme s’il s’était perdu dans un jeu pas fait pour lui. Mais il revient en 2022, prêt à renaître.

22. Bernard Cazeneuve (2016-2017). Un petit tour et puis s’en va en fin de quinquennat.

« L’Europe doit défendre ses intérêts dans la mondialisation. Je crois à l’Europe ouverte. Je refuse l’Europe offerte. »

Bernard CAZENEUVE (né en 1963) Déclaration de politique générale, devant l’Assemblée nationale, 13 décembre 2016

L’expression du nouveau Premier ministre  passe bien. Elle sera reprise dans la campagne présidentielle de 2022 qui n’intéresse guère l’opinion. Il demandait que « les accords commerciaux » garantissent « la loyauté des échanges, la réciprocité dans l’accès aux marchés publics, la prise en compte des normes sociales et environnementales ».

« Le bilan du quinquennat est bon ; il est temps d’être fiers de notre action. »

Bernard CAZENEUVE (né en 1963), déclaration du Premier ministre, JDD 31 décembre 2016, en attendant élections de 2017

Le poste est devenu ingrat sous le quinquennat finissant d’un président si peu fier de son action qu’il ne se présentera pas à sa réélection – cas unique. Son troisième Premier ministre bat le record de brièveté à Matignon : 5 mois et 9 jours. Il démissionne suite à l’élection du président Macron et entre dans un cabinet d’avocats. On l’entendra parfois plaider une cause politique, apparaissant même comme le recours de la gauche. Mais il annonce qu’il ne sera pas candidat aux présidentielles de 2022 avec le meilleur des motifs : « La gauche a besoin d’ambition, elle n’a pas besoin d’ambitieux supplémentaires. » Son mot de la fin.

23. Édouard Philippe (2017-2020). Un second sans peur et sans reproche, en marche pour un destin national avec son parti « Horizons » ?

« Vous avez dit que vous étiez un homme de gauche, je n’avais pas de doute là-dessus. Il se trouve que je suis moi-même un homme de droite, ce qui ne vous surprendra pas. »

Édouard PHILIPPE (né en 1970), Premier ministre s’adressant à son prédécesseur sur le perron de l’hôtel de Matignon, 15 mai 2017

Quasi-inconnu du grand public, député LR et ex-lieutenant de Juppé auquel il ressemble à plus d’un titre, son ralliement au président Macron est vu comme un passage à l’ennemi. Il dément tout revirement politique. Il ne reniera jamais son ancrage à droite, refusant jusqu’au bout les appels du pied de La République en marche, le parti présidentiel qui l’aurait bien compté parmi ses encartés. Il créera son propre parti Horizons : « Voir loin pour faire bien ».

« Je voulais sauver des vies, on m’a accusé de vouloir remplir les caisses. »

Édouard PHILIPPE (né en 1970) 8 avril 2019 au Grand Palais. Dépêche AFP

1er juillet 2018, la vitesse maximale autorisée sur les routes à double sens et sans séparateur central passe de 90 à 80km/h. Une mesure portée par le Premier ministre qui la soutient sans faille, contre l’avis d’Emmanuel Macron qui considère que c’est une « connerie ». La cote de confiance du Premier ministre est en baisse, avec les Gilets jaunes qui manifestent dès octobre 2018 et marquent déjà le quinquennat - avant le Corona virus et la guerre de Poutine.

« On n’est jamais candidat ailleurs qu’à l’endroit où l’on est enraciné, où l’on a ses tripes. Mes tripes ont un goût d’eau salée. »

Édouard PHILIPPE (né en 1970) en septembre 2019

Ex maire du Havre, il refuse de se présenter aux municipales 2020 à Paris, le candidat de la majorité présidentielle n’ayant plus guère de chance. « Il m’est arrivé récemment qu’on me dise: ‹Édouard, tu devrais te présenter à tel endroit›. On me l’a dit à Paris. C’est très flatteur mais ça n’a aucun sens. » Il s’exprime ainsi à Bordeaux, ville de son ami Juppé. Il sera donc bien élu dans sa ville le 5 juillet 2020, ayant démissionné deux jours avant de son poste de Premier ministre.

« Le découragement ne fait pas partie de la gamme d’émotions que je m’autorise. »

Édouard PHILIPPE (né en 1970), 28 mars 2020 face à la presse

La France découvre l’épreuve du confinement, le Premier ministre fait un point sur la crise sanitaire du Coronavirus. Interrogé sur le scepticisme des Français parfois tentés par des théories du complot, et sur les efforts de pédagogie à fournir pour les convaincre, il rassure son auditoire.
Quasi-inconnu du grand public, pendant ses trois années passées à Matignon, les Français ont découvert un style singulier, mélange d’austérité et d’éloquence. Critiqué pour sa technocratie par ses détracteurs, mais applaudi pour sa sobriété par ses partisans, il impose trois années de « philippisme », remplacé par un tout autre personnage.

24. Jean Castex (2020-2022). Porte-parole du président jupitérien, avec un accent provincial affiché.

« Trois de mes grands-parents étaient instituteurs. Ma mère était institutrice, et je suis devant vous aujourd’hui. Je le dois à l’école républicaine. L’égalité des chances doit être non seulement un idéal, mais aussi une réalité. »

Jean CASTEX (né en 1965), Discours de politique générale, 15 juillet 2020

Maire de Prades (Pyrénées orientales), cet énarque cache bien son jeu : « On ne vous propose pas souvent, surtout quelqu’un comme moi, le fils d’une institutrice du département du Gers, issu de l’école républicaine… On ne vous propose pas souvent de telles fonctions, donc j’ai ressenti cela avec une forte émotion. Avec beaucoup d’humilité, beaucoup d’humilité » dit-il au 20H de TF1, 3 juillet 2020. Quel que soit son moi profond, c’est d’abord un homme de devoir qui accomplit son parcours obligé de Premier ministre avec un président très présidentiel.

« L’écologie n’est pas l’apanage d’une génération, d’une classe sociale, des quartiers de certaines villes ou d’un parti. L’écologie, c’est notre affaire à tous. Elle doit être créatrice de richesse. Je crois en la croissance écologique, pas à la décroissance verte. »

Jean CASTEX (né en 1965), Discours de politique générale le 15 juillet 2020

S’il le dit, avec cette voix, cet accent, cette allure si éloignée des « bobos » parisiens ! L’écologie est un thème d’avenir, les hommes politiques en parlent, mais tardent à agir face à l’importance du défi.

« Ayez peur du virus, n’ayez surtout pas peur du vaccin. Le vaccin est une planche de salut indispensable. »

Jean CASTEX (né en 1965) en visite dans les Landes, discours du Premier ministre, Jean Castex, le 24 juin 2021

Il hérite de la crise sanitaire due au Coronavirus, chargé du mauvais rôle dans cette histoire, avec des gestes barrière et des détails qui rendent fatalement et injustement impopulaire surtout en périodes de fête : « Les réveillons sont des usines à Covid. Si on a une chose à traiter, c’est ça » assure-t-il lors d’une intervention devant le bureau exécutif de (LaREM).

« Nous faisons face à une situation de guerre mais également à un tournant dans l’histoire de l’Europe et de notre pays. »

Jean CASTEX (né en 1965), Déclaration devant le Parlement et en présence de l’ambassadeur d’Ukraine, 1er mars 2022

De longues minutes durant, le Premier ministre (toujours masqué) est revenu sur le conflit ukrainien en réaffirmant le soutien de la France « au peuple ukrainien qui vit des moments terribles ». Il résume la situation en parfait porte-parole du chef de l’État (et chef des Armées) : « Vladimir Poutine a menti au président de la République, il a menti à la communauté internationale, il a menti à son propre peuple. Il a violé la souveraineté territoriale d’un pays de 44 millions d’habitants […] Non, Volodymyr Zelensky n’est pas à la tête d’un régime néonazi. » Quand l’actu devient l’Histoire en direct… cela impose une nouvelle autorité aux hommes politiques.

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