Patrimoine historique - Trésor national et passion française (de la Révolution à nos jours) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

« Le patrimoine est l’héritage du passé dont nous profitons aujourd’hui et que nous transmettons aux générations à venir. Nos patrimoines culturel et naturel sont deux sources irremplaçables de vie et d’inspiration. »

UNESCO, Convention de 1972

On ne saurait mieux dire… mais il reste à définir et préciser. Mission difficile, surtout depuis 1978 où le patrimoine de l’humanité inclut aussi les biens immatériels. Ainsi, en 2010, la gastronomie française dans son intégralité est entrée au patrimoine de l’UNESCO : elle « renforce l’identité collective du pays et contribue à la diversité culturelle du monde ». Pour les amateurs, voir notre édito en ligne : l’Histoire à table.

Plus anecdotique, au printemps 2021, Roselyne Bachelot ministre de la Culture décide de présenter la candidature de la baguette de pain - préférée aux toits de zinc de Paris et à une fête vinicole en Arbois. L’UNESCO se prononcera en automne 2022. Sans commentaire.

Journées européennes du Patrimoine

Chaque année depuis 1984, la France y participe le troisième week-end de septembre : animations, circuits à thème et visites guidées, représentations théâtrales, concerts, etc. La création artistique est à l’honneur, comme l’architecture et l’archéologie, l’urbanisme et les monuments historiques - vaste ensemble plus ou moins flou.

Nous allons recenser en deux semaines des exemples tirés de l’Histoire en citations, sauf exceptions - les grottes de Lascaux qui remontent à la préhistoire et l’incendie de Notre-Dame en 2019.

Certains thèmes se retrouvent au fil des chroniques.

1/ L’architecture et l’urbanisme : des aqueducs gaulois au Centre Beaubourg, en passant par les cathédrales du Moyen Âge, les châteaux de la Loire sous la Renaissance, le site de Versailles (château et jardins) au siècle de Louis XIV, l’Arc de Triomphe napoléonien, l’Opéra Garnier et le Paris d’Haussmann sous le Second Empire, le Sacré-Cœur controversé, le Panthéon qui changea de vocation à chaque régime et la Tour Eiffel sous la Troisième République, Avignon et son Palais des Papes où se joue le plus grand festival théâtral du monde.

2/ La langue française, naturellement associée à notre civilisation : objet (immatériel) d’un feuilleton bien réel, depuis sa création « officielle » sous François Ier, avec l’Académie née pour veiller sur elle, son apogée à l’époque classique, jusqu’à la francophonie de nos jours.

3/ Les œuvres littéraires, théâtrales (Le Cid, le Mariage de Figaro), philosophiques (l’Encyclopédie) et les Beaux-Arts voisinent avec les chansons populaires (anonymes) bravant la censure et deux chants qui font le tour de monde, la Marseillaise révolutionnaire et l’Internationale née sous la Commune. Mention particulière à la poésie et la littérature de guerre qui laissent des chefs d’œuvre depuis les guerres de Religion jusqu’à la dernière guerre mondiale et les Mémoires du général de Gaulle ou les poèmes signés Aragon, Éluard…

4/ Quelques suggestions originales. Deux textes juridiques pourraient trouver place au patrimoine mondial pour leur vocation universelle : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) et le Code civil (1804). Candidature plus osée : la bataille d’Austerlitz (1805), cas d’école… mais aussi le Tour de France, sur le podium des événements sportifs les plus populaires au monde et le « Village préféré des Français », autre vitrine médiatique.

Au final, la richesse et la diversité du patrimoine français expliquent le rayonnement de notre civilisation dans l’Histoire et l’attrait de la France, aujourd’hui première destination touristique mondiale.

II. DE LA RÉVOLUTION À NOS JOURS.

RÉVOLUTION

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »1344

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, article 1er

À défaut de chefs d’œuvres artistiques, l’apport de la Révolution française au patrimoine mondial est tout à la fois original et capital, concis et génial. En 786 mots et 19 paragraphes tenant sur une page A4, c’est un petit chef d’œuvre juridique conçu et écrit en moins d’un mois et universellement repris.

L’article 1 énonce la liberté et l’égalité en termes généraux. Les définitions sont complétées par les articles 4 – « La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » – et 6 – « La loi […] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. » La Déclaration énonce d’abord les « droits naturels et imprescriptibles » de l’homme : liberté, égalité devant la loi, propriété. Elle ajoute ceux de la nation : séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ; souveraineté nationale.

« La Déclaration des droits de l’homme apprit au monde entier que la Révolution française était faite pour lui. »1347

Jules SIMON (1814-1896), La Liberté (1859)

Par son exigence de rationalité et d’universalité, la Déclaration française dépasse les précédentes déclarations anglaise et américaine, même si elle s’inspire de la Déclaration d’Indépendance de 1776. Elle porte la marque d’une bourgeoisie libérale nourrie de la philosophie des Lumières. Deux autres Déclarations suivront, en 1793 et 1795.

Au XXIe siècle, le monde a perdu beaucoup de ses repères et de ses utopies, les Français sont souvent critiques et critiqués, mais la France reste dans la mémoire collective « la patrie des droits de l’homme » et cette Déclaration pourrait figurer au patrimoine immatériel de l’humanité au titre de chef d’œuvre juridique. Une question qui mériterait débat !


DIRECTOIRE, CONSULAT ET EMPIRE

« Soldats ! Vous allez entreprendre une conquête dont les effets sur la civilisation et le commerce du monde sont incalculables. »1670

Napoléon BONAPARTE (1769-1821), Proclamation à ses troupes le 22 juin 1798, en mer, avant le débarquement du 28 juin en Égypte. Monuments d’éloquence militaire ou Collection raisonnée des proclamations de Napoléon Bonaparte (1821), Constant Taillard.

Le Directoire ayant décrété le blocus de l’Angleterre, la campagne d’Égypte est une expédition aventureuse, destinée à combattre l’ennemi en Méditerranée pour lui barrer la route des Indes. La Proclamation à l’armée est claire : « Vous porterez à l’Angleterre le coup le plus sûr et le plus sensible en attendant que vous puissiez lui donner le coup de mort. »

C’est aussi une manœuvre du Directoire pour éloigner le trop populaire Bonaparte, tout en utilisant son génie militaire. Mais contrairement à la (première) campagne d’Italie, le gouvernement lui donne les moyens : 36 000 vrais soldats, 2 200 officiers d’élite, une flotte de 300 bâtiments, quelques dizaines de savants, ingénieurs, artistes de renom ou jeunes talents. Au total, 54 000 hommes (et quelques femmes). La flotte française, partie de Toulon en mai, a pris Malte au passage, le 10 juin. La suite sera brillante, la fin plutôt catastrophique, mais acclamé au retour, « le grand Bonaparte » saura jouer gagnant avec le coup d’État du 18 brumaire qui renverse le Directoire et débouche sur son Consulat, prélude à l’Empire. 

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »1750

Code civil (21 mars 1804), article 1382

Aux dires de nombreux juristes, cette définition concise et générale de la responsabilité civile est le plus lumineux passage du Code Napoléon. Il est promulgué le jour même de la mort du duc d’Enghien, enlevé et exécuté au mépris de toutes les lois. Impossible de ne pas rapprocher ces deux aspects antinomiques du personnage de Napoléon Bonaparte et de son règne.

« Ma vraie gloire, ce n’est pas d’avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code civil. »1751

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Histoire générale du IVe siècle à nos jours, volume IX (1897), Ernest Lavisse, Alfred Rambaud

En exil, l’empereur déchu imagine-t-il l’avenir de ce monument juridique, voulu par lui et mené à terme grâce à la stabilité politique revenue en fin de Consulat ?

« Ce n’est […] point par une plate flatterie, mais par le plus juste hommage, que le Code civil devait recevoir le nom de « Code Napoléon » sous lequel il a passé à la postérité. »1753

Louis MADELIN (1871-1956), Histoire du Consulat et de l’Empire. Le Consulat (1937-1954)

Le Code s’inspire du travail décidé par la Constituante et commencé sous la Convention par Cambacérès, Portalis venant ensuite en « bon génie » attelé à la rédaction. Il fait suite à l’entreprise de codification préparée par les ordonnances de l’Ancien Régime et unifie le droit pour tout le pays, comparable à une Constitution juridique nationale.

Toujours en vigueur en France, bien que largement modifié, le Code a inspiré les législations de nombreux États d’Europe : Belgique, Luxembourg, Allemagne, Pays-Bas, Italie, Espagne, Pologne ; et au-delà, Amérique du Sud, Moyen-Orient, jusqu’au Japon. À ce titre, le Code pourrait appartenir au patrimoine immatériel de l’humanité – comme la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.

« Ce qui paraît est misérable ! cela dégoûte. »1758

NAPOLÉON Ier (1769-1821). Journal : notes intimes et politiques d’un familier des Tuileries (posthume, 1909), Pierre-Louis Roederer

L’empereur a souvent ce mot, comme déjà le Premier Consul déçu par la production littéraire de son temps. Il veut diriger la pensée des créateurs et des intellectuels. La plupart d’entre eux sont dociles et les « best-sellers » d’une époque où les amateurs de romans et de poèmes abondent semblent aujourd’hui illisibles. Les seuls grands talents seront des opposants au régime : Chateaubriand hostile à Napoléon après l’exécution du duc d’Enghien (1804) et Mme de Staël, coupable d’être la femme la plus intelligente et la plus libre de son temps. Paradoxalement, le personnage de Napoléon Bonaparte inspirera des chefs-d’œuvre de la littérature française et mondiale.

Même pauvreté dans le domaine théâtral. Le genre qui fait fureur sur les boulevards, c’est le mélodrame. Napoléon méprise le « mélo », il n’aime que le genre noble, la tragédie (à la Comédie-Française), mais aucun auteur ne peut rivaliser, même de très loin, avec les dramaturges du siècle de Louis XIV. Il a quand même trouvé son grand acteur, Talma.

Napoléon a plus de chance dans le domaine des beaux-arts : David, peintre officiel d’ailleurs issu de la Révolution, reste magnifiquement inspiré dans le parcours imposé par le nouveau maître de la France : voir Le Sacre, monumental chef-d’œuvre de l’école néoclassique.

« Il vous suffira de dire : j’étais à la bataille d’Austerlitz, pour qu’on vous réponde : voilà un brave ! »1810

NAPOLÉON Ier (1769-1821), fin de la Proclamation d’Austerlitz, 2 décembre 1805. Faits mémorables de l’histoire de France (1844), Louis Michelant

Cette « bataille des Trois Empereurs » opposa les 65 000 hommes de Napoléon aux 90 000 hommes d’Alexandre Ier (Russie) et de François II (Saint Empire romain germanique). Le dieu de la guerre et de la fortune est avec Napoléon : le brouillard matinal cache ses mouvements à l’ennemi, et le soleil d’Austerlitz brille sur une suite de manœuvres tactiques hardies, et réussies – un classique, enseigné dans les écoles de guerre. Le bronze des 180 canons ennemis sera fondu pour édifier la colonne Vendôme (inspirée de la colonne de Trajan, à Rome).

Après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) et le Code civil (1804), cette bataille exemplaire et quasi légendaire dans son genre fait naturellement partie de notre patrimoine historique national.

« Vous ne rentrerez dans vos foyers que sous des arcs de Triomphe ! ».

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Proclamation d’Austerlitz, 2 décembre 1805

Sitôt dit et (presque) sitôt fait. La première pierre de l’édifice érigé en l’honneur de la Grande Armée est posée le 15 août 1806 (anniversaire de l’empereur) au carrefour de l’Étoile – à 8 mètres de profondeur entre deux piliers. L’arc de Triomphe inspiré de l’arc de Titus à Rome est conçu pour dominer du haut de ses 50 mètres la perspective des Champs-Élysées, visible depuis le palais des Tuileries, résidence impériale.

En 1810, Napoléon et Marie-Louise (sa seconde épouse) font leur entrée dans Paris en passant sous une maquette grandeur nature de charpente et de toile peinte érigée sur les fondations.

Le chantier est arrêté à la chute de l’Empire, la construction est reprise en 1824, achevée en 1830, inaugurée le 29 juillet 1836 sous Louis-Philippe pour le sixième anniversaire des Trois Glorieuses, le monument recevant sa consécration officielle le 15 décembre 1840. Thiers, chef du gouvernement, flatte la vanité nationale aussi répandue dans le peuple que dans la bourgeoisie, en décidant le transfert des cendres de Napoléon. Rapportées de Sainte-Hélène par le prince de Joinville (fils du roi) sur le navire de la Belle Poule, elles passent sous la voûte l’Arc de Triomphe avant de rejoindre un autre monument à la gloire de l’armée, l’Hôtel des Invalides.

Construit sous Louis XIV en 1670 pour accueillir les invalides de ses armées, il abrite également la cathédrale Saint-Louis des Invalides – en attendant plusieurs musées et une nécropole militaire. Napoléon ne manquait pas d’honorer les Invalides en maintes occasions, à commencer par la remise solennelle des Légions d’honneur.

Sous Napoléon III, l’Arc de Triomphe sera mis en valeur au centre de la place de l’Étoile, gigantesque rond-point de douze avenues percées sous l’impulsion du baron Haussmann, préfet de Paris. La majorité de ces avenues qui « rayonnent » en étoile rappellent le passé militaire napoléonien (Friedland, Wagram, Iéna, Grande Armée, Carnot, Kléber, Marceau, Hoche).

L’Arc de Triomphe fait partie des monuments nationaux à forte connotation historique. Cette symbolique est renforcée avec la dépouille du Soldat inconnu, victime de la Première Guerre mondiale, inhumé le 28 janvier 1921. André Maginot, ministre de la Guerre, soutient le projet d’une « flamme du souvenir » allumée pour la première fois le 11 novembre 1923. Cette flamme éternelle commémore le souvenir des soldats morts au combat et ne s’éteint jamais, ravivée chaque soir à 18 h 30 par des associations d’anciens combattants ou de victimes de guerre. Le 14 juin 1940, quand  l’armée allemande entrée dans Paris défile sur la place de l’Étoile, les officiers allemands présents ont autorisé la cérémonie.

RESTAURATION ET MONARCHIE DE JUILLET

« L’aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame. »1927

NAPOLÉON Ier (1769-1821), Golfe-Juan, Proclamation du 1er mars 1815

Recueil de pièces authentiques sur le captif de Sainte-Hélène, de mémoires et documents écrits par l’empereur Napoléon (1821-1822).

Les Cent-Jours. Retour de Napoléon, exilé à l’île d’Elbe. L’empereur annonce la couleur dès le premier jour, se pose devant l’armée en soldat de la Révolution et honnit le drapeau blanc de la Charte constitutionnelle : « Arrachez ces couleurs que la nation a proscrites, et qui pendant vingt-cinq ans servirent de ralliement à tous les ennemis de la France ! Arborez cette cocarde tricolore ; vous la portiez dans nos grandes journées […] Reprenez ces aigles que vous aviez à Ulm, à Austerlitz, à Iéna. »

Il n’en faut pas plus, pas moins non plus, pour que Napoléon gagne cet incroyable pari : rallier les troupes envoyées pour l’arrêter, soulever d’enthousiasme les populations, et traverser la France en vingt jours, sous les yeux de l’Europe pétrifiée. Ainsi commence le vol de l’Aigle, sur « la route Napoléon », traversant quatre départements du sud-est, des Alpes-Maritimes à l’Isère. C’est devenu un haut lieu touristique, historique et quasi légendaire dans notre patrimoine et dans la mémoire collective.

« Parler est bien, écrire est mieux ; imprimer est une excellente chose. »1898

Paul-Louis COURIER (1772-1825), Pamphlet des pamphlets (1824)

Quelle que soit la censure qui touche d’ailleurs la presse plus que la littérature, la Restauration est une période de grande activité intellectuelle : des sciences exactes aux courants politiques, en passant par la poésie, la littérature, le théâtre. En 1825, l’édition française publie de 13 à 14 millions de volumes – pour 30 millions de Français, dont les trois quarts sont illettrés. On a recensé 2 278 titres de journaux et périodiques, durables ou éphémères.

« La presse est un élément jadis ignoré, une force autrefois inconnue, introduite maintenant dans le monde ; c’est la parole à l’état de foudre : c’est l’électricité sociale […] Plus vous prétendrez la comprimer, plus l’explosion sera violente. »2043

François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe (posthume)

La liberté de la presse réduite sur ordonnance de Charles X a mis le feu aux poudres de sa monarchie et des journaux comme Le National ont joué un rôle direct dans la Révolution de juillet 1830. La presse, plus libre sous le nouveau régime, se diversifie (des magazines illustrés aux revues savantes) et se démocratise. 1836 est une date importante : création de La Presse, quotidien à bon marché et gros tirages d’Émile de Girardin qui se battra pour la liberté des journaux qu’il crée, gère et modernise en homme d’affaires.

En 1840, La Liberté d’Alexandre Dumas, vendue un sou, sera tirée à plus de 100 000 exemplaires. Avec l’introduction du roman-feuilleton et de la publicité, la création de l’Agence Havas et de la presse rotative, la presse moderne est née. On n’imagine pas les conséquences de ce progrès, sauf quelques esprits véritablement prophétiques.

« Il faudra donner des chemins de fer aux Parisiens comme un jouet, mais jamais on ne transportera ni un voyageur ni un bagage. »2091

Adolphe THIERS (1797-1877), aux frères Pereire demandant une aide financière, 1836. Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux

Ces banquiers juifs ont transformé la France, inventant le capitalisme populaire et lançant le chemin de fer, avec la ligne Paris-Saint-Germain. L’inauguration a lieu le 24 août 1837 avec la première locomotive française (des usines Schneider). Le réseau ne sera vraiment organisé qu’en 1842, 1 930 km seront construits en 1848. Après la frayeur des premières années, c’est l’engouement du public et la modernisation indispensable à l’économie française, très en retard sur l’Angleterre. Le patrimoine ferroviaire appartient à notre histoire industrielle et culturelle (au sens le plus large).

On imagine mal la complexité de l’entreprise, son coût humain et financier. Les trains déraillant dans les virages, il faut tracer des lignes droites, dans une France agricole, aux propriétés morcelées ;  creuser des tunnels sous les montagnes, lancer des ponts sur les rivières. Les compagnies de diligences font tout pour retarder ou saboter les travaux.

SECOND EMPIRE

« Osman, préfet de Bajazet, / Fut pris d’un étrange délire :
Il démolissait pour construire,  / Et pour démolir, construisait.
Est-ce démence ? Je le nie. On n’est pas fou pour être musulman ;
Tel fut Osman,  / Père de l’osmanomanie. »2258

Gustave NADAUD (1820-1893), L’Osmanomanie, chanson. Chansons de Gustave Nadaud (1870)

Texte en forme de conte signé d’un poète chansonnier qui fait la satire du Second Empire, parfois interdite par le régime. Ces formes de contestation sortent de l’anonymat, preuve que les auteurs courent moins de risques que jadis.

Nommé préfet de la Seine le 1er juillet 1853, le baron Haussmann voit grand et beau pour le Paris impérial. Il faut en finir avec le Paris de Balzac aux rues pittoresques, mais sales et mal éclairées, créer une capitale aussi moderne que Londres qui a séduit l’empereur, creuser des égouts, approvisionner en eau les Parisiens, aménager des espaces verts, loger une immigration rurale massive, percer de larges avenues pour faciliter l’action de la police et de l’artillerie contre d’éventuelles barricades. « Ce qu’auraient tenté sans profit / Les rats, les castors, les termites / Le feu, le fer et les jésuites / Il le voulut faire et le fit. / Puis quand son œuvre fut finie / Il s’endormit comme un bon musulman / Tel fut Osman / Père de l’Osmanomanie. »

On accuse le baron de sacrifier des joyaux anciens, d’avoir un goût immodéré pour la ligne droite et bientôt de jongler avec les opérations de crédit.

« Quand Julien fait des boulettes,  / C’est un grand pâtissier,
Quand Haussmann double nos dettes, / C’est un bien grand financier ! […]
Refrain : Ce préfet – Est parfait
Il fait bien tout ce qu’il fait. »2299

Paul AVENEL (1823-1902), Les Comptes fantastiques d’Haussmann, chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

La chanson est d’Avenel, mais le mot qui fait titre est signé Jules Ferry (avocat, député républicain) et va faire mal au préfet visé, déjà malmené par le Corps législatif et l’opinion publique. Les « Comptes fantastiques d’Haussmann » font allusion aux Contes fantastiques d’Hoffmann, classique de la littérature romantique allemande déjà porté au théâtre par Carré et Barbier (avant d’être mis en musique par Offenbach, en 1881).

Les grands travaux d’« Osman » se révèlent ruineux, l’« osmanomanie » rime avec mégalomanie, les combinaisons de crédit sont douteuses. Le préfet Haussmann sera limogé en 1869, mais le Paris impérial de ses rêves et de ses plans est presque achevé : il restera le nôtre, jusque sous la Quatrième République.

« Il y a aussi plusieurs sortes de Liberté. Il y a la Liberté pour le Génie, et il y a une liberté très restreinte pour les polissons. »2272

Charles BAUDELAIRE (1821-1867), Notes et Documents pour mon avocat (1857)

25 juin 1857, Les Fleurs du mal sont publiées. Elles font scandale : immorales, triviales, géniales. Baudelaire paraît devant le tribunal correctionnel. Il écrit aussi pour sa défense : « Il était impossible de faire autrement un livre destiné à représenter l’agitation de l’esprit dans le mal. » Il est condamné à trois mois de prison pour outrage aux mœurs. Il se soumet : dans la seconde édition de 1861, les six poèmes incriminés auront disparu.

La même année 1857, l’immoralité de Madame Bovary mène Flaubert en justice. Mais son avocat obtient l’acquittement. Il plaide qu’une telle lecture est morale : elle doit entraîner l’horreur du vice et l’expiation de l’épouse coupable est si terrible qu’elle pousse à la vertu.

À la même époque, le génie d’Offenbach s’exprime au théâtre – l’humour et la musique aident à faire passer son apologie de l’adultère et ses bacchanales orgiaques. Dans l’Angleterre beaucoup plus puritaine, l’art n’a pas cette relative liberté.

À l’impératrice qui lui demande de quel style peut bien être ce projet d’Opéra pour Paris :
« C’est du Napoléon III, Madame. »2283

Charles GARNIER (1825-1898), 1861. Napoléon III et le Second Empire : l’aube des temps (1975), André Castelot

Un concours public est lancé pour l’édification d’un opéra digne du nouveau Paris haussmannien : 171 concurrents déposent un millier de dessins. L’architecte et restaurateur Viollet-le-Duc, ami du couple impérial, est favori. Un inconnu l’emporte, à l’unanimité du jury. Et l’empereur s’incline, séduit par la maquette.

Les plus grands artistes, peintres, décorateurs, sculpteurs de l’époque œuvrent pour le monument. Mais le chef-d’œuvre est bien signé Garnier, illustrant l’éclectisme en architecture : au lieu de se référer à un style unique, on dresse un répertoire des modèles les plus achevés, pour combiner les éléments issus des différentes époques et civilisations en les adaptant à la réalité contemporaine. Ainsi, Garnier utilise les nouveaux matériaux pour leur aspect fonctionnel, mais à l’inverse des modernistes (tels Eiffel et Baltard), il dissimule le fer de la charpente sous le stuc et la pierre de taille.
« Cathédrale mondaine de la civilisation » selon Théophile Gautier, l’Opéra de Paris va bientôt fasciner le monde et sera « copié » une centaine de fois – comme Versailles aux XVIIe et XVIIIe siècles.

TROISIÈME RÉPUBLIQUE

« La patrouille allemande passe,
Baissez la voix, mes chers petits,
Parler français n’est plus permis
Aux petits enfants de l’Alsace. »2420

Gaston VILLEMER (1840-1892), paroles, et Lucien DELORMEL (1847-1899), musique, Le Maître d’école alsacien, chanson. Les Chansons d’Alsace-Lorraine (1885), Gaston Villemer et Lucien Delormel

Ce sont les deux confrères et compères du chant patriotique, cependant que s’impose dans l’imagerie populaire ce personnage émouvant du maître alsacien donnant sa dernière leçon de français.

Le dessinateur Hansi (1873-1951), né et mort à Colmar, fera carrière en exploitant le même sentiment, mais d’une manière beaucoup plus sincère et avec un vrai talent d’artiste.

« En présence des malheurs qui désolent la France et des malheurs plus grands peut-être qui la menacent encore […]  nous promettons de contribuer à l’érection, à Paris, d’un sanctuaire dédié au Sacré Cœur de Jésus. »;

Alexandre Félix LEGENTIL (1821-1889), Lettre au Père de Boylesve, 8 décembre 1870

Co-initiateur du projet de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre à Paris dans le cadre du « Vœu national », confrérie patriotique et spirituelle dans le but de réaliser la consécration de la France au Sacré-Cœur.

Philanthrope, président de la Société Saint-Vincent de Paul (et homme d’affaires), réfugié à Poitiers sous l’occupation de Paris par les Prussiens en 1870, il lance le projet avec son beau-frère Hubert Rohault de Fleury et le soutien du cardinal Pie, pour édifier la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre. Le Vœu national suit la défaite franco-prussienne et le traumatisme patriotique de la perte de l’Alsace-Lorraine – six mois avant les ravages de la Commune de Paris. Les promoteurs de la construction feront ensuite appel à l’Assemblée nationale afin que l’église soit reconnue d’utilité publique. Après des débats houleux, la loi est votée le 24 juillet 1873.

Contrairement à ce que l’on a pu dire et même écrire, le Sacré-Cœur de Montmartre n’a jamais eu vocation à « expier les crimes de la Commune ». Il a été construit par un gouvernement logiquement opposé aux révolutionnaires, à l’endroit même où, deux ans plus tôt, les Communards furent massacrés durant la Semaine sanglante (21 au 28 mai 1871). La confusion née en 1873 s’explique par la « récupération » des responsables politiques, républicains modérés à l’image du pays et toujours hostiles à cette révolution rouge.

Autre polémique, l’architecture du monument. Aussi blanc et boursoufflé qu’une meringue, le Sacré-Cœur ne peut se comparer aux belles églises parisiennes. Pourfendue en son temps par Zola et d’autres écrivains, elle nourrit la liste des grands débats qui ont émaillé la vie des monuments de Paris : tour Eiffel, Centre Pompidou, Pyramide du Louvre, colonnes de Buren, BNF, etc.

Dix millions de fidèles participeront, pour des sommes souvent modestes, aux financements du chantier : 46 millions de francs collectés en un demi-siècle, dans une République devenue laïque – d’où d’autres débats. La basilique ne sera achevée qu’en 1914 et consacrée après la guerre en 1919. Quant aux jardins, ils ne seront aménagés que dix ans plus tard.

Objectivement, notre Sacré-Cœur mérite quand même de figurer au livre des records pour diverses particularités. La blancheur perpétuelle de la basilique est  due à une pierre auto nettoyante provenant d’une carrière de Seine-et-Marne. La mosaïque de 473 mètres carrés qui décore le plafond de l’abside est la plus grande de France. La cloche bat un record de grosseur, 19 tonnes. Surnommée « la Savoyarde », réalisée à Annecy-le-Vieux, c’est un don des quatre diocèses de Savoie (annexés en 1860). La Savoyarde arriva en grande pompe sur la butte en 1895, tirée par 28 chevaux. Elle fut ensuite hissée au sommet du campanile, autre curiosité. Haut de 84 mètres, détaché de la basilique, ce clocher à la mode vénitienne rappelle les églises San Giorgio maggiore et Santa Maria della salute… En moins réussi ! La comparaison permet de comprendre « ce qui cloche au Sacré-Cœur » : ses proportions peu harmonieuses entre un campanile pataud et un dôme gracile. Dôme réellement remarquable dans lequel on peut grimper à plus de 80 mètres, soit 200 mètres d’altitude avec la hauteur de la colline, d’où une vue à 360° sur Paris et sa banlieue. Au final, quelque 10 millions de touristes visitent chaque année cette monumentale bizarrerie architecturale, en seconde position après Notre-Dame de Paris.

« La France est un éblouissement pour le monde. »2460

Léon GAMBETTA (1838-1882), Inauguration de la troisième Exposition universelle de Paris, 1er mai 1878. Gloires et tragédies de la IIIe République (1956), Maurice Baumont

Comme le Second Empire, la Troisième République est portée par la vague du progrès scientifique et technique et par l’avènement de la civilisation industrielle. Les deux autres Expositions universelles qui se tiendront à Paris avant 1914 (en 1889 et 1900) en témoigneront avec éclat.

Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante.2480

Inscription au fronton du Panthéon

Victor Hugo meurt le 22 mai 1885. Paris lui fait des funérailles nationales, avec un cortège qui va de l’Arc de Triomphe au Panthéon, monument voué au souvenir des grands hommes.

Ce vaste sanctuaire a toute une histoire dans l’Histoire : à l’origine église Sainte-Geneviève édifiée par le grand architecte Soufflot (1713-1780) à la demande de Louis XV pour glorifier la monarchie. Il est transformé en Panthéon (sous le signe de tous les dieux en grec) destiné à recevoir les cendres des grands hommes, sous la Révolution (1791). Mirabeau, Voltaire et Rousseau en sont les premiers locataires. L’Empire rend le Panthéon au culte. Avec la Restauration, l’église reçoit une nouvelle inscription en latin, hommage à sainte Geneviève, Louis XVI et Louis XVIII réunis. Sous la Monarchie de Juillet, le Panthéon redevient Panthéon et l’inscription reparaît, pour disparaître une fois encore à la fin de la Deuxième République, quand le bâtiment redevient église. Le Panthéon devient définitivement Panthéon le 28 mai 1885, juste à temps pour recevoir les cendres du plus célèbre poète français.

Monument symbolique des mouvements idéologiques et politiques de la France comme de la politique artistique de la République, cet édifice public de style néo-classique est tout à la fois un témoin, un hommage, un exemple, un lieu de mémoire et une nécropole. Les femmes y sont très minoritaires (5 sur 80) : Sophie Berthelot, Marie Curie, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Simone Veil.

« Si vous décidez la construction de la tour de M. Eiffel, je me coucherai sur le sol. Il ferait beau voir que les piques des terrassiers frôlent cette poitrine que n’atteignirent jamais les lances des Uhlans [Prussiens]. »2484

Tancrède BONIFACE (XIXe siècle). Guide de Paris mystérieux (1975), François Caradec, Jean-Robert Masson

La célébrissime Tour est l’un des monuments qui fit le plus débat à sa naissance !

Capitaine de cuirassier à la retraite, Tancrède Boniface, riverain du Champ de Mars, mène la première campagne de protestation contre la Tour Eiffel et intente un procès contre « le lampadaire tragique », « l’odieuse colonne de tôle boulonnée. » Le premier coup de pioche des travaux a été donné le 26 janvier 1887. La tour sera le « clou » de l’Exposition universelle, en 1889.

Le monument fait parler de lui à Paris, au fur et à mesure de son édification. « Nous sommes arrivés au maximum de ce que peuvent les humains. Il serait criminel de chercher à aller plus haut », dit Eugène Chevreuil, doyen de l’Institut : il a 101 ans – né sous Louis XVI, chimiste entré à l’Académie des sciences sous le règne de Charles X. Il s’inquiète devant la tour qui va atteindre 26 mètres, c’est-à-dire le premier étage, et donner d’ailleurs quelques soucis à l’ingénieur Gustave Eiffel, avant de continuer son irrésistible ascension.

« La tour Eiffel, témoignage d’imbécillité, de mauvais goût et de niaise arrogance, s’élève exprès pour proclamer cela jusqu’au ciel. C’est le monument-symbole de la France industrialisée ; il a pour mission d’être insolent et bête comme la vie moderne et d’écraser de sa hauteur stupide tout ce qui a été le Paris de nos pères, le Paris de nos souvenirs, les vieilles maisons et les églises, Notre-Dame et l’Arc de Triomphe, la prière et la gloire. »2497

Édouard DRUMONT (1844-1917), La Fin du monde (1889)

Mon vieux Paris (1878), premier livre qui le fait connaître, déborde de nostalgie pour cette capitale où il est né et qui a tant changé, depuis le Second Empire et les travaux d’Haussmann. Écrivain et journaliste, il reste surtout connu comme polémiste d’extrême droite.

« Sa tour ressemble à un tuyau d’usine en construction, à une carcasse qui attend d’être remplie par des pierres de taille ou des briques. On ne peut se figurer que ce grillage infundibuliforme soit achevé, que ce suppositoire solitaire et criblé de trous restera tel. »2498

Joris-Karl HUYSMANS (1848-1907), évoquant Eiffel et sa Tour, Écrits sur l’art - Certains (1894)

Le monument est inauguré le 6 mai 1889 pour la nouvelle Exposition universelle qui coïncide avec le centenaire de la Révolution. Trois cents personnalités ont écrit pour protester contre la construction de la tour Eiffel, plus attaquée en son temps que le Centre Beaubourg de Renzo Piano et Richard Rogers, ou l’Opéra Bastille de Carlos Ott, un siècle plus tard. Des savants prédisent sa chute, mais c’est le triomphe des ingénieurs sur les architectes, le défi réussi de l’acier utilisé à l’extrême de ses possibilités - comme la pierre dans les cathédrales du Moyen Âge, le verre et le béton dans l’Arche de la Défense.

« Les photographies animées sont de petites merveilles […] C’est bien la nature prise sur le fait. »2514

Henri de PARVILLE (1838-1909), Les Annales, 28 avril 1896. Lumière et Méliès (1985), Georges Sadoul

Ce chroniqueur scientifique salue la naissance du cinéma. Le 28 décembre 1895, première représentation publique au Grand Café à Paris. L’Arroseur arrosé et La Sortie de l’usine Lumière restent dans l’histoire comme la naissance du septième art.

« Le cinéma n’a aucun avenir », aurait dit ce jour-là le père des frères Lumière, les deux ingénieurs à l’origine de cette invention. Mais La Poste de Paris écrit, fin décembre 1895 : « Lorsque tous pourront photographier les êtres qui leur sont chers, non plus dans leurs formes immobiles, mais dans leur mouvement, dans leur action, dans leurs gestes familiers, avec leurs paroles au bout des lèvres, la mort cessera d’être absolue. » Bel hommage au pouvoir de cet art qui ne cessera jamais de nous surprendre, la cinématographie française rivalisant longtemps avec l’usine à rêves américaine.

« C’est la lutte finale ;
Groupons-nous et demain
L’Internationale
Sera le genre humain. »2527

Eugène POTTIER (1816-1888), paroles, et Pierre DEGEYTER (1848-1932), musique, L’Internationale (refrain), chanson

Le chant écrit par Pottier durant la Commune, mis en musique en 1888 par un ouvrier tourneur Pierre Degeyter, chanté pour la première fois au Congrès de Lille du Parti ouvrier en 1896, devient l’hymne du mouvement ouvrier français en 1899. C’est un immense succès, dans les classes populaires sensibles à ces mots : « Du passé faisons table rase / Foule esclave, debout ! debout ! / Le monde va changer de base / Nous ne sommes rien, soyons tout ! »

1899, ce n’est pas la révolution souhaitée, mais un progrès pour la gauche : elle arrive au pouvoir avec les radicaux. Elle va y rester, au prix de diverses alliances, jusqu’à la Première Guerre mondiale.

« La guerre […] Je vois des ruines, de la boue, des files d’hommes fourbus, des bistrots où l’on se bat pour des litres de vin, des gendarmes aux aguets, des troncs d’arbres déchiquetés et des croix de bois, des croix, des croix. »2575

Roland DORGELÈS (1885-1973), Les Croix de bois (1919)

Engagé volontaire, il donne ce témoignage simple et vécu de la vie des tranchées : un des plus gros succès d’après-guerre de cette littérature de guerre qui a donné des chefs d’œuvre à notre patrimoine, plus nombreux encore sous la Seconde Guerre mondiale.

14-18 reste dans l’histoire comme une interminable guerre de tranchées où les soldats, en majorité paysans, luttèrent pied à pied dans la terre, pour leur terre.

« Ce ne sont pas des soldats : ce sont des hommes. Ce ne sont pas des aventuriers, des guerriers, faits pour la boucherie humaine […] Ce sont des laboureurs et des ouvriers qu’on reconnaît dans leurs uniformes. Ce sont des civils déracinés. »2576

Henri BARBUSSE (1873-1935), Le Feu, journal d’une escouade (1916)

Impossible de ne pas rapprocher Barbusse de Dorgelès : autre engagé volontaire, autre témoignage sur la vie des tranchées, autre succès – et prix Goncourt en 1917. Barbusse, idéaliste exalté, militant communiste bientôt fasciné par la révolution russe de 1917, se rend plusieurs fois à Moscou où il meurt en 1935. Le roman soulèvera nombre de protestations : en plus du document terrible sur le cauchemar monotone de cette guerre, les aspirations pacifistes transparaissent.

La voie est étroite entre le « bourrage de crânes » et la censure qui « doit supprimer tout ce qui tend à surexciter l’opinion ou à affaiblir le moral de l’armée ou du public », deux phénomènes propres à toute guerre, mais plus accentués dans ce conflit qui s’éternise sur quatre ans. Le journal d’opposition de Clemenceau, L’Homme libre, est devenu L’Homme enchaîné au début de la guerre : façon de dénoncer la censure, d’ailleurs justifiée – en 1870, on a dit que des batailles furent perdues simplement parce que l’ennemi a su lire nos journaux !

ENTRE-DEUX-GUERRES

« Le temps du monde fini commence. »2693

Paul VALÉRY (1871-1945). Regards sur le monde actuel (1931), Paul Valéry

Nommé en 1937 professeur au Collège de France – un honneur entre tant d’autres – ce « poète d’État » est chargé la même année des inscriptions qui ornent le nouveau Palais de Chaillot, ouvert pour l’Exposition internationale « Arts et Techniques dans la vie moderne », et renfermant, outre un théâtre, trois musées (des Monuments français, de la Marine et de l’Homme).

Cette réflexion sur le destin de notre civilisation et le devenir de la science pourrait figurer en bonne place sur le fronton. C’est l’une des plus citées de Valéry : mise en abyme intellectuelle, éternellement d’actualité.

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »2618

Paul VALÉRY (1871-1945), La Crise de l’esprit (1919)

Valéry, l’un des esprits les plus lucides de l’époque, dès la paix revenue, lance ce cri d’alarme qui trouve un grand écho. « Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulés à pic avec tous leurs hommes et leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences […] Mais ces naufrages, après tout, n’étaient pas notre affaire. Élam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues […] Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. »

« On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels. »2641

Anatole FRANCE (1844-1924), L’Humanité, 18 juillet 1922. La Mêlée des pacifistes, 1914-1945 (2000), Jean-Pierre Biondi

À partir des années 1920, les liens entre la politique et l’économie, l’imbrication de la haute administration, du monde des affaires et du personnel politicien deviennent de plus en plus évidents. Et le problème de l’engagement se pose aux intellectuels.
Prix Nobel de littérature en 1921, Anatole France prête son appui au socialisme, puis au communisme naissant. Animé d’une « ardente charité du genre humain », souvent engagé dans des luttes politiques (jadis aux côtés de Zola dans l’Affaire Dreyfus), il se garde cependant de tout dogmatisme et se méfie de toutes les mystiques.

SECONDE GUERRE MONDIALE

« Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. »2710

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

Premiers mots des Mémoires rédigés entre l’échec du RPF (1953) et le retour au pouvoir (mai 1958), parus de 1954 à 1959. L’Appel (1940-1942), L’Unité (1942-1944), Le Salut (1944-1946) : six années d’histoire de France et du monde en trois tomes – suite de récits, portraits, méditations et formules – signés d’un personnage historique qui est aussi un écrivain parmi les grands du siècle. Son entrée dans la prestigieuse collection de la Pléiade (Gallimard, 2002) en fait foi.

Le début est devenu page d’anthologie : « Le côté positif de mon esprit me convainc que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang ; que, seules, de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays, tel qu’il est, parmi les autres, tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans la grandeur. »

La « littérature de guerre » est véritablement un genre en soi, avec ses mémoires, ses romans et sa poésie qui enrichissent notre patrimoine depuis les guerres de Religion au XVIe siècle.

« Sur mes cahiers d’écolier / Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige / J’écris ton nom […]
Et par le pouvoir d’un mot / Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître, / Pour te nommer
Liberté. »2788

Paul ÉLUARD (1895-1952), « Liberté », Poésie et Vérité (1942)

Cet hymne à la liberté, chef-d’œuvre de la poésie née de la Résistance, est répandu sur la France par les avions de la Royal Air Force. Éluard, comme Aragon, a choisi la voie de l’engagement politique et les rangs du Parti communiste dans les années 1930.

Depuis la rupture du pacte germano-soviétique, l’entrée dans la Résistance ne pose plus problème aux intellectuels et militants du PCF. Comme l’écrira Philip Williams en 1971 : « Dès lors que l’URSS est en danger, les « mercenaires de la Cité de Londres » deviennent du jour au lendemain « nos vaillants alliés britanniques », tandis que les gaullistes, de « traîtres », se transforment en « camarades ». »

« Ami, entends-tu / Le vol noir
Des corbeaux / Sur nos plaines ?
Ami, entends-tu / Ces cris sourds
Du pays / Qu’on enchaîne ? »2798

Joseph KESSEL (1898-1979) et Maurice DRUON (1918-2009), neveu de Kessel, paroles, et Anna MARLY (1917-2006), musique, Le Chant des partisans (1943)

Chant de la Résistance, composé à Londres, sifflé par Claude Dauphin à la BBC, largué par la RAF (Royal Air Force, force aérienne royale) sur la France occupée, créé par Germaine Sablon (dans le film Pourquoi nous combattons), et repris par Yves Montand, entre autres interprètes. Marche au rythme lent, lancinant : « Ohé Partisans / Ouvriers / Et paysans / C’est l’alarme / Ce soir l’ennemi / Connaîtra / Le prix du sang / Et des larmes… / Ami si tu tombes / Un ami sort de l’ombre / À ta place. »

La Résistance, devenue un phénomène national, mêle tous les milieux, tous les courants d’opinion, toutes les régions, recréant une union sacrée contre l’ennemi dont la présence se fait de plus en plus insupportable, à mesure que ses « besoins de guerre » le rendent plus exigeant en hommes, en argent, en matières premières.

« Paris qui n’est Paris qu’arrachant ses pavés. »2811

Louis ARAGON (1897-1982), Les Yeux d’Elsa, « Plus belle que les larmes » (1942)

« Le poète a toujours raison » et Aragon semble évoquer la Libération deux ans avant l’événement capital de cette guerre, mais il évoque en même temps l’Histoire de toutes les frondes, émeutes, révoltes et révolutions si souvent nées de Paris.

Paris se soulève, le 18 août 1944 : fusillade au pont des Arts. Le 19, la police parisienne (censée obéir au gouvernement de Vichy, qui n’existe plus depuis le 18) se met en grève, barricadée à la préfecture de police. Le Comité parisien de libération, où les communistes dominent avec un sens de l’organisation qui leur est propre, veut prouver au monde, aux Alliés et aux Allemands, que le peuple de Paris peut se libérer lui-même. Mais les FFI (Forces françaises de l’intérieur, regroupant tous les mouvements de la Résistance armée en France) manquent de moyens, et le commandement allemand, lui, a encore les moyens de détruire la ville, et d’écraser ses défenseurs. Une trêve est signée, rompue par la Résistance (colonel Rol-Tanguy, chef des FTP, Francs-tireurs et partisans), et les combats de rue reprennent.

« Dans les lettres, comme en tout, le talent est un titre de responsabilité. »2821

Charles de GAULLE (1890-1970), refusant la grâce de Robert Brasillach. Mémoires de Guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959), Charles de Gaulle

Sur 2 071 recours présentés, de Gaulle en acceptera 1 303.

Condamné à mort pour intelligence avec les Allemands, Brasillach est fusillé le 6 février 1945. Ses convictions hitlériennes ne font aucun doute et son journal (Je suis partout) en témoigne abondamment. Le procès est bâclé, de nombreux confrères tentent de le sauver. Mais le PC voulait la tête de l’homme responsable de la mort de nombreux camarades, et de Gaulle ne lui pardonnait pas celle de Georges Mandel, résistant exécuté par la Milice, après les appels au meurtre signés, entre autres, par Brasillach.

Par ces mots et par cette décision, de Gaulle reconnaissait quand même le rôle « capital » des écrivains, entre autres intellectuels engagés pour le pire et le meilleur.

QUATRIÈME ET CINQUIÈME RÉPUBLIQUES

« Je suis né deux fois : la première, le 4 décembre 1922, la seconde en juillet 1951, en Avignon, où j’ai eu, grâce à Jean Vilar, la révélation du vrai théâtre. »2878

Gérard PHILIPE (1922-1959), Après la première du Cid, Festival d’Avignon, 18 juillet 1951. La France de Vincent Auriol, 1947-1953 (1968), Gilbert Guilleminault

Comme les critiques unanimes devant ce « prince en Avignon », le public du Palais des Papes et bientôt toute la France, Jean Vilar, sous le charme, dira : « Après ce Cid-là, aucun metteur en scène n’osera en faire un autre avant vingt-cinq ans. »

C’est aussi la naissance d’un fait culturel unique dans l’histoire du théâtre et exemplaire pour le monde : le festival d’Avignon, voulu par Vilar en 1947. Une aventure devenue aujourd’hui une institution, dans un cadre architectural exceptionnel. Dans le domaine lyrique, Aix en Provence et Orange ont aussi leur festival de renommée internationale. Mais le miracle estival se produit dans d’autres villes et parfois villages, le répertoire de la chanson, du jazz et d’autres « variétés » essaimant un peu partout en France.

« Parlez-vous franglais ? »2958

René ÉTIEMBLE (1909-2002), titre d’un essai (1964)

La langue française se retrouve au centre d’un débat historique et sans fin. Ce linguiste promeut le mondialisme littéraire comme traducteur, critique, directeur de collection et universitaire, encourageant les échanges avec les écrivains et intellectuels de tous les pays, et l’accueil des étudiants étrangers.

Mais dans cet essai « best-seller » (n’en déplaise à son auteur), il lutte contre la colonisation langagière qui n’a pas fini de mettre en péril le français dans l’hexagone et la francophonie dans le monde. L’anglais, porte-parole de la civilisation anglo-saxonne, gagne irrésistiblement du terrain.

« Autant qu’à l’école, les masses ont droit au théâtre, au musée. Il faut faire pour la culture ce que Jules Ferry faisait pour l’instruction. »3031

André MALRAUX (1901-1976), Discours à l’Assemblée nationale, 27 octobre 1966. André Malraux, une vie dans le siècle (1973), Jean Lacouture

De Gaulle a créé le ministère de la Culture pour Malraux. Leur dialogue au sommet, que seule la mort interrompra, est l’une des rencontres du siècle, saluée par François Mauriac : « Ce qu’ils ont en commun, c’est ce qu’il faut de folie à l’accomplissement d’un grand destin, et ce qu’il y faut en même temps de soumission au réel. »

Ministre des Affaires culturelles de 1958 à 1968, chaque automne, lors de la discussion du budget, Malraux enchante députés et sénateurs par des interventions communément qualifiées d’éblouissantes sur les crédits de son département – en fait notoirement insuffisants au regard des ambitions proclamées pour une véritable culture de masse. Il faudra attendre l’arrivée de la gauche au pouvoir pour que ce ministère frôle le 1 % du budget de l’État.

Malraux définit ici la mission des maisons de la Culture implantées dans les villes moyennes, lieux de rencontre, de création, de vie, chargées de donner à chacun les « clés du trésor ». Ce rêve de démocratie culturelle est toujours actuel, à la fois vital et irréalisable. La « culture pour tous » va bientôt aboutir à une autre utopie du « Tout est culture ».

« L’avenir de l’art va se jouer autour de cet énorme machin qu’on appelle ‹Pompidoleum›, ‹Raffinerie de pétrole› ou ‹Usine à gaz›, en plein cœur de Paris. Ça va beaucoup conditionner la production artistique. »,

Jean CLAIR (né en 1940), conservateur du Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou, février 1977

31 janvier 1977. Le Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou est inauguré à Paris par Giscard d’Estaing.

Deux semaines après l’inauguration du Centre Pompidou, Jean Clair qui en était le conservateur accorde pour France Culture un entretien à Jean-François Bory. Son discours à propos de Beaubourg est ambivalent, oscillant entre admiration pour l’architecture et dénonciation d’un lieu trop imposant qui phagocyte l’art vivant. Mais le public plébiscitera cette nouvelle forme de musée accueillante à des œuvres nouvelles.

Le bâtiment sera cependant contesté, avec sa triple vocation de musée, bibliothèque et recherche musicale – cette fonction sera assumée par l’IRCAM (Institut de recherche et coordination acoustique/musique), centre français de recherche scientifique, d’innovation technologique et de création musicale, créé et longtemps dirigé par Pierre Boulez, théoricien, compositeur et chef d’orchestre de réputation mondiale.

Tout est dada.
L’art, c’est de la merde.
Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi.3054

Slogans, nuit du 15 mai 1968 à l’Odéon

Dans la nuit, la « créativité » s’en donne à cœur joie. Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, codirectrice, voient leur rideau de fer se couvrir de ces graffitis. Et Jean-Louis déchaîne une ovation qui fait trembler les lustres en déclarant : « Barrault n’est plus le directeur de ce théâtre, mais un comédien comme les autres. Barrault est mort, mais il reste un homme vivant. Alors que faire ? »

Malraux, ministre, lui retirera la direction du théâtre : ni l’Odéon ni Barrault ne s’en remettront. Le monde du spectacle est tout entier gagné par la contestation.

« Je ne cherche pas, je trouve. »3142

Pablo PICASSO (1881-1973). Le Sens ou La Mort : essai sur Le Miroir des limbes d’André Malraux (2010), Claude Pillet

Le 8 avril 1973 meurt à Mougins le plus grand peintre du siècle, âgé de 91 ans et travaillant jusqu’au bout – il fut aussi dessinateur, graveur, sculpteur, céramiste. Un mythe toujours vivant. En 1907, ses Demoiselles d’Avignon, rupture avec l’art figuratif et attentat contre la vraisemblance, provoquèrent stupeur et scandale. Malraux voit dans l’ensemble de son œuvre « la plus grande entreprise de destruction et de création de formes de notre temps. »

Les années 1970 et 1980 marquent l’explosion du marché de l’art, avec une inflation record des prix de vente : Yo Picasso (Moi Picasso, autoportrait) voit son prix décupler de 1981 à 1989 (310 millions de francs). En 2010, Nu au plateau de sculpteur (portrait de sa maîtresse et muse Marie-Thérèse Walter en 1932) bat le record de l’œuvre d’art la plus chère jamais vendue aux enchères : adjugée pour 106,4 millions de dollars chez Christie’s à New York.

La folie des prix continue sur le marché de l’art et Picasso « garde la cote » : au printemps 2021, ses Femmes d’Alger (1955) ont battu un nouveau record aux enchères chez Christie’s à New York : 161,5 millions de dollars.

« Les gens qui viennent à la porte de ce ministère avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov dans l’autre devront choisir. »3143

Maurice DRUON (1918-2009), Déclaration à l’AFP, 3 mai 1973

À sa mort, le 14 avril 2009, toute la presse, de gauche à droite, a repris cette citation – avec quelques lignes du Chant des partisans, dont il est aussi l’auteur (avec Joseph Kessel).

Gaulliste et résistant, il devient écrivain à succès après la guerre : prix Goncourt pour Les Grandes Familles (1948), connu surtout pour la saga des Rois maudits, roman historique en sept tomes (publiés entre 1955 et 1977), adapté à la télévision par Marcel Bluwal.

Nommé ministre des Affaires culturelles le 5 avril 1973, il fait l’inventaire des lieux, explique ce que sera sa politique et menace clairement les directeurs de théâtre « subversifs » du secteur public : « Que l’on ne compte pas sur moi pour subventionner, avec l’argent du contribuable, les expressions dites artistiques qui n’ont d’autre but que de détruire les assises de notre société. » D’où indignation, pétitions, et manifestation monstre du 13 mai, pour marquer l’enterrement de la liberté d’expression. Tout le secteur culturel (très majoritairement de gauche) est solidaire contre le ministre. Les créateurs protestent, parlent d’ordre moral et de remise en question de la liberté de création.

« Tout est culture. »2960

Jack LANG (né en 1939), ministre de la Culture, Assemblée nationale, 17 novembre 1981. Demain comme hier (2009), Jack Lang

Présentant son budget et défendant une notion à la fois sociale et socialiste, opposée à la culture réputée élitiste et bourgeoise. « Culturelle, l’abolition de la peine de mort que vous avez décidée ! Culturelle, la réduction du temps de travail ! Culturel, le respect des pays du tiers-monde !

Culturelle, la reconnaissance des droits des travailleurs ! Culturelle, l’affirmation des droits de la femme ! » À chacun sa définition de la culture, l’une des plus célèbres restant celle de l’écrivain et critique Émile Henriot, collaborateur au Temps (à partir de 1919), puis au Monde : « La culture, c’est ce qui demeure dans l’homme lorsqu’il a tout oublié. »

« Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. »3380

Patrick LE LAY (né en 1942), PDG de TF1, juillet 2004. Philosophie et modernité (2009), Alain Finkielkraut

Déclaration plus que malheureuse du responsable de la première chaîne française, alors qu’il est interviewé pour son livre Les Dirigeants face au changement. Il énonce quelques professions de foi qui vont choquer l’opinion : « Soyons réalistes : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit… » Aux antipodes du « mieux-disant culturel », on se retrouve dans la logique d’une téléréalité chère à TF1 comme à M6.

Le problème, c’est la concurrence entre les chaînes privées et publiques, toutes plus ou moins tributaires de leur budget publicitaire, ce qui brouille la différence. Rappelons que la télévision, sous le signe de Malraux et de ses successeurs au ministère de la Culture, avait pour mission de divertir, d’instruire et d’informer. Nombre d’œuvres télévisuelles (film, série ou documentaire) enrichissent le patrimoine culturel au même titre que le cinéma. Les deux finissent d’ailleurs par se confondre sur les nouvelles plateformes de diffusion, Netflix, LiveStream et autre Stream.

« Je fais mienne cette déclaration du général De Gaulle : ‘ Seule une guerre peut arrêter le Tour de France.’ »

Raymond POULIDOR (1936-2019), Poulidor intime (2007)

Compétition cycliste masculine, le Tour traverse la France avec des incursions occasionnelles dans les pays voisins. Né en 1903, fête annuelle (interrompue lors des deux guerres mondiales), la « Grande Boucle » gagne en importance et en popularité au fil des éditions, malgré le phénomène du dopage devenue « péripétie » médiatique. Près de 40 nationalités concourent aujourd’hui, avec une diffusion télévisée dans 190 pays.

Troisième événement sportif le plus regardé, derrière les Jeux olympiques et la Coupe du monde de football, c’est une « mise en scène »unique en son genre de tous les paysages français sur plus de 3 000 kilomètres, avec passages obligés dans les Alpes et les Pyrénées, fête nationale toujours populaire et suspense en 23 jours (avec 21 actes-étapes et deux jours d’entracte-repos) jusqu’à l’arrivée sur les Champs-Élysées à Paris.

« Je reste étonné, ébahi, esbaudi devant tant de beauté, de joliesse et d’enthousiasme car la vraie richesse de ces villages, ce sont finalement ses habitants qui se mobilisent. »

Stéphane BERN (né en 1963)

Animateur vedette de l’audiovisuel public, créateur de l’émission « Secrets d’histoire » sur France 2, promu « Monsieur Patrimoine », il anime l’émission du « Village préféré des Français ». Il s’enthousiasme pour la ferveur de l’accueil sur le terrain : « À Fresnay-sur-Sarthe, une foule me suivait à chaque déplacement, filmée par des drones ! Dans les villages, on m’attend de pied ferme pour me signaler tel patrimoine en danger. Je dis oui à tout ! C’est dans ma nature et si vous souriez à la vie, la vie vous sourit. Je ne suis que le médiateur, l’intermédiaire donc. Je ne suis pas là pour épater la galerie mais j’ai à cœur de donner une belle image de la France. »

Mission réussie, succès d’audience croissant depuis 2012 et la victoire de Saint-Cirq-Lapopie (Midi-Pyrénées) jusqu’à Sancerre (commune du Cher) en 2021. Chaque commune élue arbore fièrement le label Village Préféré des Français. L’édition d’un timbre pour le gagnant a également été instaurée, depuis 2017. Le tourisme est dopé par ce coup de projecteur, mais toutes les régions en profitent – phénomène comparable au Tour de France, dans un autre style. « Les villageois sont très reconnaissants que le service public s’intéresse aux régions. Ils ont parfois un sentiment d’abandon et l’émission recrée du lien avec nos territoires », conclut l’animateur toujours heureux, bien que naturellement jalousé et contesté. Il agit pour la bonne cause et sa popularité plaide pour lui.

« Sans doute, c’est encore aujourd’hui un majestueux et sublime édifice que l’église de Notre-Dame de Paris. Mais si belle qu’elle se soit conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant les dégradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument. »

Victor HUGO (1802-1885), Notre-Dame de Paris (1831)

Hugo fut souvent prophète en son pays. Mais pouvait-il imaginer l’inimaginable ? L’incendie de Notre-Dame qui va sidérer le monde comme l’effondrement des Tours jumelles de New York, 11 septembre 2001 ? Fascination et horreur du grand spectacle en direct.

Le 15 avril 2019, le feu se déclare en début de soirée à l’intérieur de la charpente et se propage rapidement à tout l’édifice. Les flammes détruisent intégralement la flèche, les toitures de la nef et du transept et bientôt toute la charpente. En s’effondrant, la flèche provoque l’écroulement de la voûte de la croisée du transept, d’une partie du bras nord et d’une travée de la nef.

L’intervention de centaines de pompiers jusqu’au lever du jour permet de sauver la structure globale de l’édifice et d’épargner les deux tours, la façade occidentale et l’essentiel des œuvres d’art de la cathédrale. C’est le plus important sinistre subi par la cathédrale depuis sa construction.
Le président Macron annonce immédiatement vouloir reconstruire la cathédrale dans les cinq ans. Divers architectes sont consultés. Jean Nouvel est favorable à certaine modernité dans la reconstruction, mais souhaite que la flèche de Viollet-le-Duc soit reconstruite « à l’identique », celle-ci faisant « partie des choses intangibles de la cathédrale. » C’est l’occasion de rappeler que cette célébrissime flèche gothique est une recréation du XIXe siècle, à l’époque très contestée par les partisans de la restauration réellement à l’identique.

En France, le patrimoine historique est sujet de débats aussi passionnés que la Politique : mise en scène théâtrale des classiques, traduction nouvelle d’une œuvre étrangère ou adaptation cinématographique. Preuve que la Culture reste vivante.

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