Portrait de Charles de Gaulle en citations | L’Histoire en citations
Charles de Gaulle citations histoire
Portraits en citations des Personnages de l’Histoire

 

« Un fou a dit « Moi, la France » et personne n’a ri parce que c’était vrai. »
Ce mot signé Mauriac s’applique au général en 1940, mais cette identification à la France vaudra aussi pour le président de la République en 1958.

Ce phénomène historique sans doute unique au monde remonte au dernier roi du Moyen Âge qui sut si bien agrandir et unifier le royaume, Louis XI : « Je suis France. »
L’incarnation devient charnelle avec Henri IV au Parlement de Bordeaux : « Je suis votre chef, mon royaume est mon corps, vous avez cet honneur d’être les membres, d’obéir et d’y apporter la chair, le sang, les os et tout ce qui en dépend. »
Louis XIV affirme son autorité à 16 ans, devant le Parlement réuni en lit de justice : « L’État c’est moi. » L’identification sera aussi forte, mais plus institutionnelle sous cette monarchie devenue absolue.
Et Napoléon dit à son tour : « Mon principe est la France avant tout. » Mais ce précepte s’applique d’abord au commerce… et son impérialisme personnel l’emportera sur son patriotisme national.

Le général de Gaulle reste notre dernier personnage historique. Il sort de scène en 1969 et se retire pour achever ses Mémoires. Un an après, « la France est veuve » selon le mot de son successeur, le président Pompidou. L’Histoire en citations perd un auteur et acteur majeur du récit national, présent sur le podium après Napoléon et devant Victor Hugo.

La Cinquième République aura d’autres personnages politiques (avec des idées pour la France) et beaucoup de politiciens (faisant carrière), mais plus de premier grand rôle propre aux époques épiques : dernière Guerre mondiale, puis guerre civile d’Algérie. Ce genre de périodes, dures à vivre pour les contemporains (Révolution, Empire, toutes les guerres), engendre des personnages hors norme.

De Gaulle se révèle à 50 ans : surdoué du Verbe (discours, écrits) et de l’Action. En 1940, il faut sauver la France en péril. Mission plus que difficile, mais « impossible n’est pas français » (Napoléon, un de ses modèles). En 1958, la guerre d’Algérie sera l’occasion d’un come-back historique (plus réussi que les Cent-Jours napoléoniens)

De Gaulle incarne naturellement « l’ancien monde » et ses valeurs, par ses origines et son caractère. Ce n’est pas un homme « moderne ». Même s’il use parfaitement des nouveaux médias de l’époque (radio et télévision), il ne sacrifie jamais à la mode de son temps et la « chienlit » de Mai 68, mal comprise d’un président vieillissant, lui sera fatale l’année suivante. C’est pourtant le seul personnage de l’histoire qui peut nous servir de référence : par sa Résistance, son courage physique et moral, ses vues (souvent) prophétiques, ses ambitions nationales (jamais personnelles), son honnêteté absolue, sa rigueur extrême. Quant à son humour présidentiel toujours en situation, (re)découvrez-le !

Faire son portrait est indispensable. Faire court, « c’est une autre histoire ». Voici donc un raccourci aux allures de « seul en scène » qui ne trahit en rien le personnage dans l’action, mais simplifie l’histoire. Toutes ces données (numérotées) sont empruntées à notre Histoire en citations qui restitue le contexte et donne la parole à tous les autres acteurs ou témoins de l’époque.

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

1. Le personnage défini en quelques mots.

« Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. »2710

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

C’est à la fois une présentation du personnage, sa profession de foi, sa raison d’être … et de rester dans l’Histoire. L’écriture de ses Mémoires y concourt naturellement.

Premiers mots des Mémoires rédigés entre l’échec du RPF (1953) et le retour au pouvoir (mai 1958), parus de 1954 à 1959. L’Appel (1940-1942), L’Unité (1942-1944), Le Salut (1944-1946) : six années d’histoire de France et du monde en trois tomes – suite de récits, portraits, méditations et formules – signés d’un personnage historique qui est aussi un écrivain parmi les grands du siècle. Son entrée dans la prestigieuse Pléiade (Gallimard, 2002) en fait foi.

Le début est devenu page d’anthologie : « Le côté positif de mon esprit me convainc que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang ; que, seules, de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays, tel qu’il est, parmi les autres, tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans la grandeur. »

« Un fou a dit « Moi, la France » et personne n’a ri parce que c’était vrai. »2709

François MAURIAC (1885-1970). Encyclopædia Universalis, article « France »

Simple général de brigade à titre temporaire, Charles de Gaulle en 1940, absolument seul et contre le destin, refuse la défaite entérinée par le gouvernement légal de la France face à l’Allemagne nazie, continue la lutte dans l’Angleterre toujours en guerre, mobilise des résistants, combattants français de plus en plus nombreux à entendre cette autre voix de la France parlant espoir et grandeur, se fait reconnaître non sans peine des Alliés, déchaîne des haines et des passions également inconditionnelles, et permet enfin à la France d’être présente au jour de la victoire finale.

« Vieille France, accablée d’Histoire, meurtrie de guerres et de révolutions, allant et venant sans relâche, mais redressée, de siècle en siècle, par le génie du renouveau ! »2830

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959)

Mot de la fin (provisoire) au vainqueur, grand premier rôle et grand témoin de cette période qui évoque et invoque cette France « Vieille Terre, rongée par les âges, rabotée de pluies et de tempêtes, épuisée de végétation, mais prête, indéfiniment, à produire ce qu’il faut pour que se succèdent les vivants ! » Mais l’Histoire continue…

« Le plus illustre des Français […] celui qui, aux années les plus sombres de notre histoire, fut notre chef pour la reconquête de la liberté et qui, ayant réalisé autour de lui l’unanimité nationale, refusa la dictature pour rétablir la République. »2971

René COTY (1882-1962), Message du président de la République au Parlement, 29 mai 1958. Histoire : l’Europe et le monde depuis 1945 (2006), L. Bernlochner, P. Geiss, G. Le Quintrec

Ainsi définit-il le général de Gaulle, personnage historique. Il fait appel à lui au plus fort de la crise algérienne, alors que plane une menace de guerre civile en France, déchirée par la question algérienne.

Le général endossera alors le costume présidentiel (qu’il s’est fait tailler sur mesure par Michel Debré, entre autres rédacteurs de la Constitution en 1958) pour continuer un autre combat plus politique. Il réalise ainsi l’un des come-back les plus étonnants de l’histoire.

Attaqué par tous les partis d’opposition, il aura beau jeu de riposter en décembre 1965 à la télévision : « Le fait que les partisans de droite et les partisans de gauche déclarent que j’appartiens à l’autre côté prouve que je ne suis pas d’un côté, je ne suis pas de l’autre, je suis pour la France. »

« Il n’y a eu de France que grâce à l’État. La France ne peut se maintenir que par lui. Rien n’est capital que la légitimité, les institutions et le fonctionnement de l’État. »2974

Charles de GAULLE (1890-1970), Conseil d’État, 28 février 1960. Essai sur la pratique de la Ve République : bilan d’un septennat (1968), Jean Gicquel

Parole de crise, certes (au lendemain des barricades d’Alger), mais idée chère à de Gaulle, grand admirateur de Richelieu qui fit de la France un État moderne. La légitimité était déjà un thème récurrent, durant sa Résistance.

L’action et le verbe gaulliens se ramènent à quelques idées forces, régulièrement martelées par de Gaulle s’adressant au peuple ou à ses représentants. Dans Les Chênes qu’on abat, Malraux le cite : « Les choses capitales qui ont été dites à l’humanité ont toujours été des choses simples. »

« Pour soulever le fardeau, quel levier est l’adhésion du peuple ! Cette massive confiance, cette élémentaire amitié, qui me prodiguent leurs témoignages, voilà de quoi m’affermir. »2712

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, 1942-1944 (1956)

De Gaulle, d’abord seul, rassemble autour de sa personne et de l’idée-force de Résistance une « armée des ombres » et des troupes de militaires qui grossiront. La France, pétainiste dans son immense majorité en 1940, se retrouve gaulliste dans les mêmes proportions, en 1945. Divisions, oppositions, contestations au nouveau chef de la France se manifesteront après le « salut ».

« Je quitte, par intervalles, le cortège officiel afin d’aborder la foule et de m’enfoncer dans ses rangs. »2977

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959)

Ce sont les « bains de foule » popularisés par le petit écran des années 60. On voit émerger le président, dominant d’une bonne tête les vagues se pressant autour de lui.

Dans ses Mémoires, il parle ainsi de ses relations de toujours avec le peuple français : « Serrant les mains, écoutant les cris, je tâche que ce contact soit un échange de pensées. Me voilà, tel que Dieu m’a fait ! voudrais-je faire entendre à ceux qui m’entourent. Comme vous voyez, je suis votre frère, chez lui au milieu des siens. »

« Comment voulez-vous que je fasse avec un homme qui se prend à la fois pour Jeanne d’Arc et Napoléon ! »2724

Franklin Delano ROOSEVELT (1882-1945). La Vie politique en France de 1940 à 1958 (1984), Jacques Chapsal

Le président des États-Unis n’éprouve pas la sympathie d’un Churchill pour le chef de la France libre et de Gaulle doit se battre dans les coulisses de la guerre, pour ne pas être systématiquement éliminé des opérations.

Cela dit, la référence à ces deux personnages de l’histoire de France est d’autant plus juste que Napoléon est le grand homme de De Gaulle (avec César et Alexandre), cependant qu’il entretient avec la France un dialogue dont il fait souvent état dans ses Mémoires : « Je suis son fils qui l’appelle […] J’entends la France me répondre. »

« Chez de Gaulle, il n’y a pas de Charles. »2725

André MALRAUX (1901-1976). Tout est bien (1989), Roger Stéphane

Cette chronique originale prend pour titre le mot de la fin d’André Gide.

Roger Stéphane, citant le mot de Malraux, doute personnellement qu’il y ait un André chez Malraux. La vie privée du général reste très privée – et sa famille très discrète. La pudeur de De Gaulle passe souvent pour de l’orgueil. Même très populaire, le personnage en impose à tous.

« On ne fait rien de grand sans de grands hommes, et ceux-ci le sont pour l’avoir voulu. »2726

Charles de GAULLE (1890-1970), Le Fil de l’épée (1932)

La volonté et la croyance en son étoile sont venues très tôt au militaire qui n’était pas encore bien haut dans la hiérarchie militaire ni bien important dans les affaires de son pays. Il se fait d’abord connaître par cet écrit d’histoire politique, où il évoque déjà « le Caractère, vertu des temps difficiles ».

« La gloire se donne seulement à ceux qui l’ont toujours rêvée. »2727

Charles de GAULLE (1890-1970), Vers l’armée de métier (1934)

Le personnage se dévoile à nouveau et l’on croirait entendre Napoléon. Mais comme lui, de Gaulle se fait surtout remarquer par ses idées de stratégie militaire. Il prédit l’importance d’une armée motorisée et blindée dans un prochain conflit, thèse à l’encontre des idées reçues chez les militaires français de l’entre-deux-guerres : la défaite éclair de l’armée française en 1940 lui donnera raison.

« La grandeur est un chemin vers quelque chose qu’on ne connaît pas. »2728

Charles de GAULLE (1890-1970). Les Chênes qu’on abat (1979), André Malraux

Propos recueillis par le plus fidèle de ses historiographes, dans cet essai au titre superbement gaullien. On retrouve souvent, plus ou moins explicites, l’idée de destin et celle de grandeur chez de Gaulle comme chez Malraux. Leur dialogue « au sommet », que seule la mort interrompra, est l’une des rencontres du siècle, saluée par François Mauriac : « Ce qu’ils ont en commun, c’est ce qu’il faut de folie à l’accomplissement d’un grand destin, et ce qu’il y faut en même temps de soumission au réel. »

« On ne fait rien de sérieux si on se soumet aux chimères, mais que faire de grand sans elles ? »2729

Charles de GAULLE (1890-1970). Les Chênes qu’on abat (1979), André Malraux

Malraux a parfait le personnage de Gaulle aussi soigneusement que le sien propre – c’est « son côté Chateaubriand » que décèle si bien Mauriac en Malraux. De Gaulle lui ressemblait en cela aussi, cultivant son personnage et soucieux de laisser à l’histoire ses Mémoires.

« Toujours le chef est seul en face du mauvais destin. »2730

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

C’est la solitude subie, imposée - et une fois encore, le sens du destin. Le 17 juin 1940, à la veille du fameux Appel, de Gaulle est l’homme seul de l’Histoire et l’exprime dans ses Mémoires.

« Délibérer est le fait de plusieurs. Agir est le fait d’un seul. »2731

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, 1942-1944 (1956)

Solitude voulue par l’homme qui a conscience d’être le chef et veut en assumer les responsabilités. C’est une constante au fil de l’action, celle du général en guerre ou du président à la tête de l’État.

Pendant la guerre, de Gaulle veut décider au nom de la France libre, diriger seul et coordonner l’action des diverses résistances intérieures, être le seul chef du Comité français de libération nationale (et il écarte le général Giraud préféré par les Américains), s’imposer comme chef politique incontesté après la libération de Paris, à la tête du gouvernement provisoire de la République française.

Même prééminence affirmée du président sous la Cinquième : « Un des caractères essentiels de la Constitution de la Ve République, c’est qu’elle donne une tête à l’État. » Cette autorité qui a tant manqué à la précédente République est indispensable pour régler « les trois affaires qui dominent notre situation : l’Algérie, l’équilibre financier et économique, la réforme de l’État » dira de Gaulle à la radio, peu de temps après son arrivée au pouvoir en 1958. Ajoutons qu’il y aura quasi-identification entre cette République et cette tête, aussi longtemps que de Gaulle en sera le président.

« Les choses capitales qui ont été dites à l’humanité ont toujours été des choses simples. »2732

Charles de GAULLE (1890-1970). Les Chênes qu’on abat (1979), André Malraux

Grand « communicateur » qui saura utiliser la radio et plus tard la télévision, de Gaulle respecte cette règle de fond et de forme souvent oubliée, qui fait de lui une véritable « mine de citations ». Rien, sans doute, n’est plus difficile que de faire simple. Napoléon l’avait déjà compris.

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2. Le général dans la Seconde Guerre mondiale.

« La vieillesse est un naufrage. Pour que rien ne nous fût épargné, la vieillesse du maréchal Pétain allait s’identifier avec le naufrage de la France. »2708

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

1939-1945. La France vit l’une des pages les plus dramatiques de son histoire : guerre et défaite, occupation de son territoire, pillage de ses ressources, destructions, hécatombes.

En 1940, le recours au maréchal Pétain, héros de la Première Guerre mondiale, vieillard de 84 ans, va se révéler le pire des pièges et le pays se divise dans une autre guerre fratricide. De Gaulle va relever le défi et jouer le rôle d’homme providentiel.

« Elle [la France] n’est pas seule […] Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte […] Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. »2713

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel du 18 juin 1940, Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

Atout majeur de la France dans cette histoire, la Grande-Bretagne qui a aussi trouvé son grand homme : Churchill, partenaire essentiel pour de Gaulle.

Au lendemain de la défaite française de juin 1940, la « bataille d’Angleterre » commence avec la marine qui empêche tout débarquement allemand, l’aviation qui met en échec la Luftwaffe, enfin l’Empire britannique qui permet de tenir tête à Mussolini et même à Hitler, dans la guerre méditerranéenne.

« Cette guerre est une guerre mondiale. Dans l’univers libre, des forces immenses n’ont pas encore donné. Un jour, ces forces écraseront l’ennemi. Il faut que la France, ce jour-là, soit présente à la victoire. Alors elle retrouvera sa liberté et sa grandeur. »2714

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel « A tous les Français » du 23 juin 1940. La Résistance : chronique illustrée 1930-1950 (1973), Alain Guérin

Paroles littéralement prophétiques, alors que l’Angleterre est seule à faire encore front face à Hitler qui semble tout-puissant ! La guerre devient mondiale quand l’Allemagne attaque l’URSS (22 juin 1941) et quand le Japon intervient contre les États-Unis (7 décembre 1941) et le Commonwealth (début 1942). Elle s’étend à tous les continents, toutes les mers du globe, mobilise 92 millions d’hommes et fait (selon les estimations) de 35 à 60 millions de morts (civils et militaires). Il fallait sans doute que cette guerre, si mal commencée, devint mondiale pour finir bien, mais le prix en sera terrible, au-delà même de ces statistiques.

« Je n’ai rien à offrir que du sang, de la sueur et des larmes. »2739

Winston CHURCHILL (1874-1965), Chambre des Communes, 13 mai 1940. Du sang, de la sueur et des larmes (posthume), Discours de Winston Churchill

Premier discours du nouveau Premier ministre anglais : le 10 mai, il a pris la tête d’un vrai gouvernement de coalition (conservateurs, libéraux et travaillistes) et témoigne d’une volonté de fer qui, heureusement pour la France et la suite de l’histoire, ne faiblira jamais !

De Gaulle juge vite et bien l’homme qui sera son allié numéro un : « Winston Churchill m’apparut, d’un bout à l’autre du drame, comme le grand champion d’une grande entreprise et le grand artiste d’une grande Histoire » (Mémoires de guerre, L’Appel).

« Je m’apparaissais à moi-même, seul et démuni de tout, comme un homme au bord d’un océan qu’il prétendrait franchir à la nage. »2749

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

Tel est son état d’esprit, juste avant l’Appel. Sous-secrétaire d’État à la Défense, il part le 16 juin demander à Londres des moyens de transport pour continuer la lutte en Afrique du Nord (française). À son retour, Pétain a remplacé Reynaud à la tête du gouvernement et va demander l’armistice. De Gaulle reprend l’avion pour Londres, sa famille s’embarque à Brest sur un cargo, pour le suivre. Simple général de brigade, il a décidé de rompre avec la discipline militaire.

« Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur. »2750

Maréchal PÉTAIN (1856-1951), Allocution à la radio, 17 juin 1940. De la chute à la libération de Paris (1965), Emmanuel d’Astier

Nommé président du Conseil des ministres par le président de la République Albert Lebrun, le vieil homme rallie à sa personne – et au symbole qu’elle incarne – l’immense majorité du pays. Celui qui a sauvé la France à Verdun n’est-il pas le seul recours pouvant lui éviter à présent le pire ?

La logique de la résistance incarnée par de Gaulle est exactement inverse.

« La guerre commence infiniment mal. Il faut donc qu’elle continue. »2751

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

Idée fixe, idée folle, idée simple : la France ne peut pas être la vaincue de l’Histoire. Le caractère, « vertu des temps difficiles », et la rencontre de ces temps particulièrement difficiles vont permettre à cet homme de 50 ans, inconnu du pays, de se révéler en quelques jours, d’avoir raison seul contre tout et tous, et d’associer pendant quatre ans de lutte son destin à celui du pays.

« C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. »2752

Maréchal PÉTAIN (1856-1951), Allocution à la radio, 17 juin 1940. La Deuxième Guerre mondiale (2010), André Kaspi, Ralph Schor, Nicole Pietri

Le chef du gouvernement de la France s’adresse ici aux troupes, du moins à ce qu’il en reste, et fait transmettre à Hitler une demande d’armistice : Pétain est persuadé que l’Angleterre ne va pas s’obstiner dans un vain combat, que la paix est proche et lui permettra de restaurer l’ordre.

« Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialisés des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi. »2753

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel du 18 juin 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954), Charles de Gaulle

Premier appel radiodiffusé vers 20 heures par la BBC, radio de Londres qui donnera la parole aux Français résistants. Cette voix va devenir célèbre, MAIS ce jour-là, ses mots ne sont entendus de presque personne. AUCUN ENREGISTREMENT N’EXISTE (il y a parfois confusion avec le discours du 22 juin).

L’Appel (du 18 juin) reste l’un des textes les plus célèbres de l’histoire de France, par sa qualité d’écriture et par ses conséquences.

« Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. »2754

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel du 18 juin 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954), Charles de Gaulle

L’Appel du 18 juin et ses arguments simple et forts seront repris. Ils marquent l’acte de naissance de la France libre (et bientôt combattante) qui, à côté de l’autre France envahie et vaincue, incarnée par le Maréchal, va renaître, et d’abord dans les terres lointaines de son empire colonial, en Afrique équatoriale.

« Devant la confusion des âmes françaises, devant la liquéfaction d’un gouvernement tombé sous la servitude ennemie, devant l’impossibilité de faire jouer nos institutions, moi, général de Gaulle, soldat et chef français, j’ai conscience de parler au nom de la France. »2756

Charles de GAULLE (1890-1970), Appel à la BBC, 19 juin 1940. De Gaulle (1964), François Mauriac

La voix reparle à la radio. L’Appel du 18 juin est suivi de bien d’autres qui vont toucher des Français de plus en plus nombreux à se vouloir libres. Mauriac est l’un des premiers gaullistes à se placer dans le camp de la résistance intellectuelle. Cet essai de Mauriac sur le général de Gaulle (et le président de la République à venir) met en scène le « plus illustre des Français », en mêlant passion et raison.

Mais le gouvernement légal ne va pas longtemps tolérer cette « voix de la France » qui lui dispute sa légitimité.

« J’invite tous les militaires français des armées de terre, de mer et de l’air, j’invite les ingénieurs français spécialistes de l’armement […] J’invite les chefs, les soldats, les marins, les aviateurs des forces françaises de terre, de mer, de l’air, où qu’ils trouvent […] J’invite tous les Français qui veulent rester libres à m’écouter et à me suivre. »2758

Charles de GAULLE (1890-1970), Conclusion de l’appel « À tous les Français », Discours radiodiffusé, 22 juin 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954), Charles de Gaulle

(Le manuscrit de l’Appel du 18 juin, l’enregistrement de l’Appel du 22 juin, le manuscrit de l’affiche du 3 août et l’affiche elle-même sont inscrits au registre « Mémoires du monde » de l’UNESCO).

124 Sénans (le quart des habitants de l’île de Sein) ont entendu l’Appel du 18 juin et rallient l’Angleterre par cinq bateaux. Ses troupes sont encore modestes, quand, le 27 juin, de Gaulle prend le titre de Chef des Français libres, réaffirmant que le gouvernement de Pétain n’est qu’une autorité de fait sous la dépendance de l’ennemi. Lequel gouvernement prend des sanctions contre de Gaulle : ramené au grade de colonel et mis à la retraite par mesure disciplinaire le 24 juin, condamné par le tribunal militaire de Toulouse à quatre ans de prison et 1 000 francs d’amende le 4 juillet, condamné à mort et à la confiscation de ses biens par un tribunal de Vichy (nouveau siège du gouvernement), le 2 août.

« Le gouvernement de Sa Majesté reconnaît le général de Gaulle comme chef de tous les Français libres, où qu’ils se trouvent, qui se rallient à lui pour la défense de la cause alliée. »2761

Winston CHURCHILL (1874-1965), Déclaration du 28 juin 1940, communiqué publié dans la presse anglaise le même jour. Histoire politique de la Troisième République : la course vers l’abîme, volume VII (1967), Georges Bonnefous

Seule nation encore en guerre, la Grande-Bretagne est la première à cautionner l’action de ce général - d’ailleurs ramené au grade de colonel et mis à la retraite par mesure disciplinaire le 24 juin - qui dit être la France, alors qu’il est encore bien seul !

Churchill, chef du gouvernement, force le destin avec lui, tandis que René Cassin, juriste qui a rejoint de Gaulle ce 28 juin, va l’aider à rédiger la Charte de la France libre.

« Puisque ceux qui avaient le devoir de manier l’épée de la France l’ont laissé tomber brisée, moi, j’ai ramassé le tronçon du glaive. »2766

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution à la BBC, 13 juillet 1940. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954), Charles de Gaulle

Encore un discours à la radio – puissant moyen de communication, avant la télévision que de Gaulle, président de la République, utilisera avec un art consommé de la médiatisation.

Le chef de la France libre commence à être entendu. Le lendemain, 14 juillet, il n’y a pas de défilé militaire dans Paris occupé, alors que défilent à Londres les premiers « Français libres » (engagés dans les FFL, Forces françaises libres) : manifestation officielle et symbolique, le général passe en revue 800 soldats. Ses effectifs sont de quelque 3 000 hommes.

« La France a perdu une bataille ! Mais la France n’a pas perdu la guerre ! »2767

Charles de GAULLE (1890-1970), Affiche placardée sur les murs de Londres le 3 août 1940. La France n’a pas perdu la guerre : discours et messages (1944), Charles de Gaulle

Cette phrase célèbre ne figure pas, comme on le dit souvent, dans l’Appel du 18 juin. C’est l’attaque d’une proclamation rédigée sans doute le même jour, mais affichée le mois suivant dans la capitale du seul pays continuant la lutte. Signé par le général de Gaulle depuis son quartier général situé 4 Carlton Garden à Londres, ce nouvel appel s’adresse « À tous les Français », militaires et civils, quelles que soient leur profession, leur origine sociale, et où qu’ils se trouvent.

Tirée à 1 000 exemplaires, l’affiche est placardée sur les murs de Londres et des grandes villes anglaises. Le slogan, surmonté de deux petits drapeaux croisés, devient célèbre. Saint-Exupéry, dans ses Écrits de guerre, se permet de rectifier : « Dites la vérité, Général, la France a perdu la guerre. Mais ses alliés la gagneront. »

« Pour chacune des nations d’Europe que submergeaient les armées d’Hitler, l’État avait emporté sur des rivages libres l’indépendance et la souveraineté. »2771

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

À côté du roi de Norvège et de la reine de Hollande, des gouvernants polonais, tchécoslovaques, belges se retrouvent en Grande-Bretagne dans une situation à peu près comparable à celle de la « France libre », tandis que dans leur pays occupé, des résistances s’organisent, parallèlement à des gouvernements collaborationnistes.

« La manifestation des étudiants de Paris se portant en cortège derrière « deux gaules » le 11 novembre [1940] à l’Arc de Triomphe et dispersée par la Wehrmacht à coups de fusil et de mitrailleuse donnait une note émouvante et réconfortante. »2774

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954)

Première manifestation de foule, premier acte de résistance public, ce 11 novembre 1940.

De Gaulle, inconnu il y a cinq mois, devenu le sauveur pour une partie des Français, comment expliquer cela ? « Vous savez, en 1940, j’ai eu de fameux alliés : les Allemands. S’ils s’étaient contentés d’occuper les côtes de la Manche et de l’Atlantique, si ailleurs ils avaient fait de l’occupation invisible […] les Français se seraient installés confortablement dans le désastre et rien ni personne n’aurait pu leur faire prendre part à aucune guerre […] Il y avait aussi la politique ! Pétain a fait de l’anti-démocratie, de l’antisémitisme, de l’anti-liberté, tout ce qu’il fallait pour déranger les Français dans leurs habitudes. Il faut prendre garde quand on dérange les Français » (cité par Roger Stéphane, Tout est bien, 1989).

« Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. »2775

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours du 1er mars 1941 à la Réunion des Français de Grande-Bretagne. Mémoires de guerre, tome I, L’Appel, 1940-1942 (1954), Charles de Gaulle

La grande salle du Kingsway Hall à Londres accueille cette importante manifestation où le général parle à 3 000 Français : « Le vieux peuple que nous sommes a assez vécu pour savoir qu’il est un champion dont les hommes libres ne se passent pas. »

Orateur né, mais travaillant ses discours, doué d’un sens du verbe et du jeu qui feront merveille quelle que soit la tribune, à la radio comme plus tard à la télévision, ou s’adressant en direct aux foules, de Gaulle possède assurément l’art de faire passer ses messages : « Je parle. Il le faut bien. L’action met les ardeurs en œuvre. Mais c’est la parole qui les suscite » (Mémoires de guerre, L’Appel).

Il confiera aussi à Malraux cette règle d’or qu’on ne répètera jamais assez, surtout de nos jours : « Les choses capitales qui ont été dites à l’humanité ont toujours été des choses simples. »

« C’est une révolution, la plus grande de son Histoire, que la France trahie par ses dirigeants et ses privilégiés a commencé d’accomplir. »2790

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours du 1er avril 1942. Les Nationalisations de la Libération : de l’utopie au compromis (1987), Claire Andrieu, Lucette Le Van, Antoine Prost

Le mouvement de Londres prend le contre-pied du gouvernement de Vichy. Vichy est viscéralement de droite, la France libre se pose naturellement à gauche. À la réaction fasciste de la « révolution nationale » répond la rénovation démocratique de la « révolution républicaine ».

De Gaulle précise : « Il se crée une France entièrement nouvelle dont les guides seront des hommes nouveaux. Les gens qui s’étonnent de ne pas trouver parmi nous des politiciens usés, des académiciens somnolents, des hommes d’affaires ménagés par des combinaisons, des généraux épuisés de grades, font penser à ces attardés des petites cours d’Europe qui pendant la dernière Révolution française s’offusquaient de ne pas voir siéger Turgot, Necker et Loménie de Brienne au Comité de salut public. » Ainsi de Gaulle, au cœur de la guerre, prépare la paix et l’avenir de la France nouvelle.

« La France choisit le chemin nouveau […] S’il existe encore des Bastilles, qu’elles s’apprêtent de bon gré à ouvrir leurs portes. »2800

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours d’Alger, 14 juillet 1943. Histoire de la IVe République : la République des illusions, 1945-1951 (1993), Georgette Elgey

Il continue de préparer l’après-guerre et des réformes dans le sens de la gauche. Il élargit les assises politiques de la France libre devenue France combattante, en prenant acte de l’adhésion de la Résistance intérieure. Il met en place des institutions, rédige des textes - tout cela d’Alger qui remplace Londres et se pose, contre Vichy, en capitale (provisoire) de la France. Il annonce « la Quatrième République française [qui] abolira toute coalition d’intérêts ou de privilèges. »

« L’union nationale ne peut se faire et ne peut durer que si l’État sait distinguer les bons serviteurs et punir les criminels. »2801

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours de Casablanca, 8 août 1943. Discours et messages, 1940-1946 (1946), Charles de Gaulle

Toujours cette préoccupation de préparer une France capable de se gouverner et de s’administrer elle-même, pour éviter la tutelle militaire que les Alliés songent à lui imposer.

Le temps venu, l’épuration judiciaire frappera les criminels de la collaboration, sans parler de l’épuration « sauvage » et des exécutions sommaires.

« Un seul combat, pour une seule patrie ! »2806

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, 1942-1944 (1956)

Un seul chef aussi : le 3 juin 1944, le général de Gaulle préside le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). C’est le terme d’une longue bataille de quatre ans pour l’unité du pouvoir et bientôt la fédération des diverses résistances (dont les FTP) en Forces françaises de l’Intérieur (FFI), la création hors métropole d’une armée (qui atteindra 500 000 hommes) pour aider les Alliés à nous aider à nous libérer – armée déjà présente à leurs côtés, au débarquement en Afrique du Nord, en Tunisie, à la libération de la Corse (septembre 1943).

« Bien entendu, c’est la bataille de France et c’est la bataille de la France. »2808

Charles de GAULLE (1890-1970), Déclaration radiodiffusée du 6 juin 1944 à Londres, jour du débarquement allié en Normandie. Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, 1942-1944 (1956), Charles de Gaulle

Il annonce aux Français le début des opérations. « Bien entendu », les résistants de l’intérieur vont y participer, avec les soldats de la France libre venus du monde entier. Le premier jour, 90 000 Américains, Britanniques, Canadiens et 177 Français (commandos, fusiliers marins du capitaine Kieffer) dans les forces d’assaut, seront suivis de 200 000 hommes les jours suivants. Avec 9 000 navires, 3 200 avions.

« Le jour le plus long » a commencé la veille, à 23 heures, par un parachutage dans la région de Sainte-Mère-l ‘Église. La première unité débarque le 6 juin à 6 heures du matin à Sainte-Marie-du-Pont, sur une plage rebaptisée pour l’éternité Utah Beach. Les pertes de cette gigantesque opération Overlord dirigée par le général Eisenhower seront de 30 000 à 40 000 hommes chez les Alliés, 150 000 du côté allemand (et 70 000 prisonniers).

Au total, c’est une armée de 2 millions d’hommes qui débarque pour livrer cette nouvelle bataille de France.

« Je n’ai pas à proclamer la République. Elle n’a jamais cessé d’exister. »2814

Charles de GAULLE (1890-1970), à Georges Bidault, Hôtel de Ville de Paris, 26 août 1944. Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, 1942-1944 (1956), Charles de Gaulle

Bidault est président du CNR (Conseil national de la Résistance) depuis la mort de Jean Moulin, et de Gaulle est venu à Paris pour y installer le GPRF (Gouvernement provisoire de la République française).

La foule en délire l’a acclamé, la veille : « Devant moi, les Champs-Élysées. Ah ! c’est la mer ! », écrira-t-il dans ses Mémoires, évoquant ce qui est sans doute le plus beau jour de sa vie. Et il a dit son émotion, devant Paris : « Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré ! »

Cependant le droit ne perd jamais ses droits, dans l’esprit du général. Il refuse donc de « proclamer la République » : elle ne vient pas de ressusciter, il en a assuré la survie hors métropole, la continuité à Londres, puis à Alger. Une ordonnance du 9 août vient d’affirmer cette permanence de la République, frappant de nullité tous les actes du gouvernement de Vichy. Mais il y a un abîme entre le droit et les faits. D’où les problèmes du GPRF et de son chef, dans les mois à venir.

« Les problèmes innombrables et d’une urgence extrême que comporte la conduite du pays émergeant du fond de l’abîme se posent au pouvoir, à la fois de la manière la plus pressante, et cela dans le temps même où il est aussi malaisé que possible de les résoudre. »2815

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959)

Au lendemain de la libération de Paris, il y a trois séries d’urgences pour le gouvernement : remise en place de l’État, reconstruction de la France et fin de la guerre. Cependant qu’à certains, tout semble possible. Combat, le journal d’Albert Camus, créé et diffusé clandestinement, prend pour devise à la libération : « De la Résistance à la Révolution ».

« Qu’entre la mer du Nord et la Méditerranée, depuis l’Atlantique jusqu’au Rhin, soit libérée de l’ennemi cette nation […] Nous rapportons à la France l’indépendance, l’empire et l’épée. »2816

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, 1942-1944 (1956)

Après le débarquement en Normandie et avant la libération de Paris, un second débarquement a été mené en Provence par les Américains et la Première Armée française (de Lattre de Tassigny), le 15 août 1944. Ces forces remontent par les Alpes et la vallée du Rhône et vont faire la jonction avec celles du nord, le 12 septembre. L’insurrection des villes et l’action des FFI précèdent ou achèvent l’œuvre des forces de libération.

La libération du territoire, commencée aux rives de la Corse (septembre 1943), s’achève dans l’Est, le 23 novembre 1944, à Strasbourg. L’honneur en revient encore à la division Leclerc. De Lattre de Tassigny libérera la Haute-Alsace au début de 1945, avec le colonel Berger (alias Malraux) commandant la brigade Alsace-Lorraine.

« Dans les lettres, comme en tout, le talent est un titre de responsabilité. »2821

Charles de GAULLE (1890-1970), refusant la grâce de Robert Brasillach. Mémoires de Guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959), Charles de Gaulle

Sur 2 071 recours présentés, de Gaulle en acceptera 1 303.

Condamné à mort pour intelligence avec les Allemands, Brasillach est fusillé le 6 février 1945. Ses convictions hitlériennes ne font aucun doute et son journal (Je suis partout) en témoigne abondamment. Le procès est bâclé, de nombreux confrères tentent de le sauver. Mais le PC voulait la tête de l’homme responsable de la mort de nombreux camarades, et de Gaulle ne lui pardonnait pas celle de Georges Mandel, résistant exécuté par la Milice, après les appels au meurtre signés, entre autres, par Brasillach.

« En 1944, les Français étaient malheureux, maintenant ils sont mécontents. C’est un progrès. »2858

Charles de GAULLE (1890-1970), de nouveau chef du gouvernement provisoire depuis le 21 octobre 1945. De Gaulle, l’exil intérieur (2001), Jacques Baumel

La France est libre, les nationalisations ont commencé, la Sécurité sociale est créée par ordonnance, mais les conditions de vie des Français restent très dures : pain rationné et cartes d’alimentation pour la plupart des produits, charbon rare et production désorganisée.

« Je ne croyais pas pouvoir leur [les communistes] confier aucun des trois leviers qui commandent la politique étrangère, savoir : la diplomatie qui l’exprime, l’armée qui la soutient, la police qui la couvre. »2860

Charles de GAULLE (1890-1970). De Gaulle, volume II (1990), Jean Lacouture

De Gaulle a été porté (pour la seconde fois) à la présidence du GPRF par l’unanimité des 565 députés élus le 21 octobre : communistes, MRP et socialistes sont les grands gagnants, radicaux et modérés, les perdants.

Lors de la constitution de son gouvernement, de Gaulle ne donne aux communistes aucun des trois ministères clés qu’ils réclament, mais il leur confie d’importants ministères économiques et sociaux – et la Fonction publique à Maurice Thorez, toujours secrétaire du PCF (de 1930 à 1964).

« Chacun, quelle que fût sa tendance, avait, au fond, le sentiment que le Général emportait avec lui quelque chose de primordial, de permanent, de nécessaire, qu’il incarnait de par l’Histoire, et que le régime des partis ne pouvait pas représenter. »2862

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959)

20 janvier 1946 : le président du GPRF démissionne brutalement, après trois mois au pouvoir. Le motif : son désaccord avec le Parti communiste sur l’élaboration de la Constitution de la Quatrième République. Plus fondamentalement, il incrimine déjà le système des partis.

Commentant son départ, il fait appel à la raison pour prendre un souverain recul face à l’événement.

« Dans le tumulte des hommes et des événements, la solitude était ma tentation. Maintenant, elle est mon amie. De quelle autre se contenter, quand on a rencontré l’Histoire ? »2863

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, 1944-1946 (1959)

C’est « le sentiment qui parle ». 20 janvier 1946. De Gaulle se retire de la scène politique et sera absent de l’histoire pour une longue traversée du désert et une relative solitude. En fait, ce n’est qu’un au revoir au pouvoir et une fausse sortie.

3. Traversée du désert sous la Quatrième République et come-back final à la tête du gouvernement.

« Un tiers des Français s’étaient résignés [à la Constitution], un tiers l’avaient repoussée, un tiers l’avaient ignorée. »2864

Charles de GAULLE (1890-1970). Vie politique sous la Cinquième République (1981), Jacques Chapsal

Il juge avec ironie la Constitution de 1946. Premier projet, rejeté par référendum du 5 mai, second projet accepté par référendum du 13 octobre 1946.

En fait, la Libération a raté sa Constitution : compliquée, instituant des organes nouveaux à qui elle ne donne pas leurs chances, et ne supprimant aucune des institutions du précédent régime, elle permet certes à la France de reprendre une vie parlementaire normale, mais elle prolonge la Troisième République avec tous ses défauts, alors qu’il lui faut affronter des problèmes nouveaux.

L’Assemblée nationale, élue le 10 novembre, donne au PC la place du premier parti de France (plus de 28 % des suffrages exprimés). Viennent ensuite le MRP (26 %), le Parti Socialiste SFIO (en perte de vitesse, moins de 18 %), modérés et radicaux regroupant 25 % des suffrages… et l’Union gaulliste, moins de 3 %.

« Le jour va venir où, rejetant les jeux stériles et réformant le cadre mal bâti où s’égare la nation et se disqualifie l’État, la masse immense des Français se rassemblera sur la France. »2867

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours de Bruneval, 30 mars 1947. Discours et messages : dans l’attente, février 1946-avril 1958 (1970), Charles de Gaulle

À l’occasion d’une cérémonie commémorative de la Résistance, devant une foule de 50 000 personnes et des officiels du régime, la grande voix s’élève à nouveau. Ramadier, premier président du Conseil de la Quatrième République, s’empresse de déclarer : « Il n’y a point de sauveur suprême, ni César ni tribun. »

« Aujourd’hui, la France n’a plus qu’une seule ambition : celle de son niveau de vie. »2851

Charles de GAULLE (1890-1970). Tout est bien (1989), Roger Stéphane

« Jusqu’à une date récente, elle était constamment tendue vers la réalisation d’ambitions nationales. Elle a eu l’ambition de son unité, l’ambition de ses frontières naturelles, puis l’ambition de conquérir l’Europe, la volonté de se libérer de ses traités de 1815 et après 70, il y a eu l’idée, la grande idée de la revanche, depuis plus rien. »

Il ne faut pourtant pas mépriser la grande amélioration des conditions matérielles de vie : le taux de croissance annuel moyen de 5 % dans les années 1950-1960 étonne aujourd’hui encore. C’est à mettre à l’actif de la Quatrième République, situant la France avant les USA et la Grande-Bretagne, mais derrière l’Allemagne et le Japon, pays des miracles économiques succédant à leur défaite.

« Sans moi, que seriez-vous ?
— Sans vous, je serais ministre. »2882

Edmond BARRACHIN (1900-1975), député RPF, au général de Gaulle (1890-1970), juillet 1952. Recueil des textes authentiques des programmes et engagements électoraux des députés proclamés élus à la suite des élections générales (1956), Assemble nationale, Secrétariat général

Le parti du général fait long feu. Le Rassemblement se disperse. De Gaulle reproche à ses troupes de pactiser avec l’ennemi, en l’occurrence le système de la Quatrième République, notamment sous le gouvernement Pinay. L’état-major durcit sa position, les dissidences se multiplient.

« On peut camper sur une position en attendant la soupe, mais on ne peut remporter la victoire sans combattre. Ceux qui ne voulaient pas combattre sont allés à la soupe. »2883

Charles de GAULLE (1890-1970), Déclaration d’octobre 1952. La Vie politique en France de 1940 à 1958 (1984), Jacques Chapsal

Le général fustige en termes militaires l’intégration progressive des députés RPF au système. Le 6 mai 1953, après un grave échec aux municipales, de Gaulle dresse un bilan désabusé de son action et signe la fin du Rassemblement agissant en son nom : « Au Parlement, il [le RPF] ne saurait non plus prendre part, en corps et ès qualités, à la série des combinaisons, marchandages, vote de confiance, investitures, qui sont les jeux, les poisons et les délices du système. »

Mais un autre problème va bouleverser la vie politique de la Quatrième République et la condamner à terme. La guerre d’Algérie (qui ne dit pas encore son nom) sera « la chance » du général de Gaulle.

« L’armée française, d’une façon unanime, sentirait comme un outrage l’abandon de ce patrimoine national [l’Algérie]. On ne saurait préjuger sa réaction de désespoir. »2919

Général SALAN (1899-1984), commandant supérieur en Algérie, Télégramme au général Ély, chef d’état-major général, 9 mai 1958. Le Siècle dernier : 1918-2002 (2003), René Rémond

« L’armée en Algérie est troublée par le sentiment de sa responsabilité à l’égard des hommes qui combattent […] à l’égard de la population française de l’intérieur qui se sent abandonnée. […] Je vous demande de vouloir bien appeler l’attention du président de la République sur notre angoisse, que seul un gouvernement fermement décidé à maintenir notre drapeau en Algérie peut effacer. »

« L’Armée au pouvoir ! Tous au GG ! »2920

Cris de la foule, Alger, manifestation du 13 mai 1958. L’Appel au père : de Clemenceau à de Gaulle (1992), Jean-Pierre Guichard

Le GG, c’est le palais du gouverneur général, devenu, depuis 1956, celui du ministre résident. Il est le symbole du pouvoir et, en tant que tel, pris d’assaut, pillé. Un Comité de salut public se constitue, mêlant Français et musulmans, civils et militaires, en une coalition très hétéroclite, présidée par le général Massu : c’est le putsch d’Alger, ou coup d’État du 13 mai.

« Deux pouvoirs s’instaurent : le pouvoir légal à Paris et le pouvoir militaire à Alger. Un troisième, le pouvoir moral, celui du général de Gaulle, est encore à Colombey. »2921

Jacques FAUVET (1914-2002), La Quatrième République (1959)

De Gaulle, pratiquement retiré de la scène politique peu après la guerre (20 janvier 1946), très hostile au régime des partis de la Quatrième, se tenait en réserve de la République. Il sent son heure enfin revenue : oui, la France a besoin de lui ! On imagine comme il a dû peser chaque mot de son premier communiqué à la presse, en tant que futur chef du gouvernement…

« Naguère, le pays, dans ses profondeurs, m’a fait confiance pour le conduire tout entier jusqu’à son salut. Aujourd’hui, devant les épreuves qui montent de nouveau vers lui, qu’il sache que je me tiens prêt à assumer les pouvoirs de la République. »2922

Charles de GAULLE (1890-1970), Communiqué remis à la presse le 15 mai 1958. 1958, le retour de De Gaulle (1998), René Rémond

Le 15 mai, Salan crie « Vive de Gaulle ! » au Forum d’Alger. Cependant que le général se présente comme sauveur de la Nation, après avoir fait un sombre et juste diagnostic de la situation : « La dégradation de l’État entraîne infailliblement l’éloignement des peuples associés, les troubles de l’armée au combat, la dislocation nationale, la perte de l’indépendance. Depuis douze ans, la France, aux prises avec des problèmes trop rudes pour le régime des partis, est engagée dans ce processus désastreux. » Il pourrait ajouter : « Je vous l’avais bien dit. »

« Pourquoi voulez-vous qu’à soixante-sept ans je commence une carrière de dictateur ? »2923

Charles de GAULLE (1890-1970), conférence de presse, 19 mai 1958. 1958, le retour de De Gaulle (1998), René Rémond

Le général tient à tranquilliser une opinion émue par sa déclaration du 15 mai. Et de conclure : « J’ai dit ce que j’avais à dire. À présent, je vais rentrer dans mon village et m’y tiendrai à la disposition du pays. »

Le pays, divisé, bouleversé, est par ailleurs sensible à toutes les rumeurs.

« Dans le péril de la patrie et de la République, je me suis tourné vers le plus illustre des Français. »2925

René COTY (1882-1962), Message du président de la République au Parlement, 29 mai 1958. Histoire mondiale de l’après-guerre, volume II (1974), Raymond Cartier

… « celui qui, aux années les plus sombres de notre histoire, fut notre chef pour la reconquête de la liberté et qui, ayant réalisé autour de lui l’unanimité nationale, refusa la dictature pour rétablir la République. » Ainsi définit-il le général de Gaulle, personnage historique. Il fait appel à lui au plus fort de la crise algérienne, alors que plane une menace de guerre civile en France, déchirée par la question algérienne.

Face à la menace de guerre civile, le président de la République fait donc savoir aux parlementaires qu’il a demandé au général de Gaulle de former un gouvernement. Chahuts et chants de la part des députés, qui entonnent La Marseillaise – procédé contraire à tous les usages, et même à la lettre de la Constitution.

« Le général de Gaulle apparaît comme le moindre mal, la moins mauvaise chance. »2926

Hubert BEUVE-MÉRY (alias SIRIUS) (1902-1989), « L’amère vérité », Le Monde, 29 mai 1958

Et Pierre Brisson dans Le Figaro du 30 mai : « Chacun sait maintenant où situer le dernier recours de nos libertés. »

Les deux directeurs de conscience de la « presse bourgeoise » ne prennent la plume, chacun dans son journal, que dans les grandes occasions. Depuis quelques jours, ils ne cessent pas et se montrent de plus en plus pour (ou de moins en moins contre) de Gaulle. L’opposition viendra plus tard. Elle est déjà prête à tirer, avec Mitterrand.

« Ses compagnons d’aujourd’hui, qu’il n’a sans doute pas choisis mais qui l’ont suivi jusqu’ici, se nomment le coup de force et la sédition. »2927

François MITTERRAND (1916-1996), Assemblée nationale, 1er juin 1958. Cent mille voix par jour : pour Mitterrand (1966), Claude Manceron

Après une mise à l’écart de douze ans, le plus célèbre des Français revient sur le devant de la scène politique.

La majeure partie du personnel politique se rallie à la solution gaulliste, mais Mitterrand s’oppose à ce « coup de force ». Il ose l’affrontement, prononçant à l’Assemblée nationale ce terrible réquisitoire : « Lorsque, le 10 septembre 1944, le général de Gaulle s’est présenté devant l’Assemblée consultative issue des combats de l’extérieur ou de la Résistance, il avait auprès de lui deux compagnons qui s’appelaient l’honneur et la patrie. Ses compagnons d’aujourd’hui, qu’il n’a sans doute pas choisis mais qui l’ont suivi jusqu’ici, se nomment le coup de force et la sédition. La présence du général de Gaulle signifie, même malgré lui, que désormais les minorités violentes pourront impunément et victorieusement partir à l’assaut de la démocratie. »

Propos contredit par André Siegfried dans la préface à L’Année politique 1958 : « Il [de Gaulle] avait accédé au pouvoir dans le cadre des institutions régulières existantes, même si son intention non dissimulée était de les changer. » Il y a cependant contradiction ou du moins ambiguïté fondamentale : le général de Gaulle arrive à l’investiture légale par l’action illégale de militaires et comploteurs qu’il n’a sans doute pas inspirés, mais pas non plus politiquement désavoués.

« Tout le plaisir et l’honneur que j’ai de me trouver parmi vous… »2928

Charles de GAULLE (1890-1970), premiers mots de sa déclaration, Assemblée nationale, séance de nuit du 1er au 2 juin 1958. Le Crapouillot (1967)

Dans son discours d’investiture du 1er juin, « président du Conseil désigné » par le Président Coty, il a dénoncé « la cause profonde de nos épreuves […] la confusion et, par là même, l’impuissance des pouvoirs » et s’est « proposé pour tenter de conduire une fois de plus le salut du pays, l’État, la République », en réclamant les pleins pouvoirs.

Il est sorti de l’hémicycle. L’investiture est votée par 329 voix contre 224 (communistes, radicaux amis de Mitterrand et de Mendès France). Il a obtenu ce qu’il voulait : les pleins pouvoirs en métropole et des pouvoirs spéciaux en Algérie, la modification de l’article 90 de la Constitution, pour lui permettre d’en préparer une nouvelle.

Dans la nuit du 1er au 2, il revient entouré de ses ministres et les présente aux parlementaires, leur faisant ainsi une faveur inhabituelle, d’autant plus étonnante qu’il n’a cessé de vilipender le régime et son « personnel ».

« Vous verrez, après la musique de chambre, ce sera la musique militaire. »2929

Georges BIDAULT (1899-1983), dans les couloirs du Parlement, après la séance de nuit du 1er au 2 juin 1958. Vie politique sous la Cinquième République (1981), Jacques Chapsal

Humour pour humour, c’est de bonne guerre. Et les communistes résument : « Après l’opération sédition, c’est l’opération séduction. »

« Je vous ai compris ! »2930

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours au balcon du gouvernement général à Alger, 4 juin 1958. Mémoires d’espoir, tome I, Le Renouveau, 1958-1962 (1970), Charles de Gaulle

Que n’a-t-on dit sur ces quatre mots ! Dans ses Mémoires, le Général explique : « Mots apparemment spontanés dans la forme, mais au fond bien calculés, dont je veux qu’elle [la foule] s’enthousiasme, sans qu’ils m’emportent plus loin que je n’ai résolu d’aller. »

Et il poursuit, face à la foule : « Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c’est celle de la rénovation et de la fraternité […] Jamais plus qu’ici et jamais plus que ce soir, je n’ai compris combien c’est beau, combien c’est grand, combien c’est généreux, la France. »

Au journaliste du Monde, André Passeron, le 6 mai 1966, il confiera : « J’ai toujours su et décidé qu’il faudrait donner à l’Algérie son indépendance. Mais imaginez, qu’en 1958, quand je suis revenu au pouvoir, je disais sur le Forum d’Alger qu’il fallait que les Algériens prennent eux-mêmes leur gouvernement, il n’y aurait plus eu de De Gaulle immédiatement ! » On reconnaît le pragmatisme propre à tout homme politique.

« Il n’y a plus ici, je le proclame en son nom [la France] et je vous en donne ma parole, que des Français à part entière, des compatriotes, des concitoyens, des frères qui marcheront désormais dans la vie en se tenant la main […] Vive l’Algérie française. »2931

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours de Mostaganem, 6 juin 1958. De Gaulle, 1958-1969 (1972), André Passeron

À Mostaganem, il confirme le fameux discours d’Alger. De Gaulle fera cinq fois le voyage Paris-Algérie, en 1958. Il joue de son charisme qui est immense. Il veut montrer qu’il prend l’affaire algérienne en main, qu’il y a un pouvoir et qu’il l’incarne. Bref, que c’en est fini des mœurs de la Quatrième République.

Revivez toute l’Histoire en citations dans nos Chroniques, livres électroniques qui racontent l’histoire de France de la Gaule à nos jours, en 3 500 citations numérotées, sourcées, replacées dans leur contexte, et signées par près de 1 200 auteurs.

4. Président omniprésent de la Cinquième République.

La Constitution du 4 Octobre 1958.

« Un des caractères essentiels de la Constitution de la Ve République, c’est qu’elle donne une tête à l’État. »2932

Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence de presse, 20 septembre 1962. Les Grands Textes de la pratique institutionnelle de la Ve République (1992), Documentation française

C’est cette autorité qui a tant manqué à la précédente République et qui est indispensable pour régler « les trois affaires qui dominent notre situation : l’Algérie, l’équilibre financier et économique, la réforme de l’État », dira de Gaulle à la radio, peu de temps après son arrivée au pouvoir en 1958.

Le projet a été rédigé sur mesure par Michel Debré et quelques membres du Conseil d’État, avant d’être discuté devant le comité des ministres d’État présidé par de Gaulle.  Ajoutons qu’il y aura quasi-identification entre cette République et cette tête, aussi longtemps que de Gaulle en sera le président.

« Notre Constitution est à la fois parlementaire et présidentielle, à la mesure de ce que nous commandent à la fois les besoins de notre équilibre et les traits de notre caractère. »2934

Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence de presse, 11 avril 1961. Les Idées constitutionnelles du général de Gaulle (1974), Jean Louis Debré, Charles de Gaulle

Conclusion d’un discours politique qui a pour thème la Constitution, à qui certains reprochent de n’être ni parlementaire – type IIIe ou IVe République – ni présidentielle comme aux États-Unis.

Les « lectures » de la Constitution par les constitutionnalistes changeront avec les événements, les hommes et la pratique constitutionnelle : c’est un texte parfaitement adapté et adaptable aux circonstances.

« Notre système, précisément parce qu’il est bâtard, est peut-être plus souple qu’un système logique. Les « corniauds » sont souvent plus intelligents que les chiens de race. »2935

Georges POMPIDOU (1911-1974), Le Nœud gordien (1974)

Témoignage de président, auparavant Premier ministre de De Gaulle durant six ans, et parole prophétique de la cohabitation, à commencer par celle des années 1986-1988 : il faudra en effet une souplesse certaine pour que coexistent plus ou moins pacifiquement un président de gauche (Mitterrand) et un gouvernement issu d’une Assemblée de droite. Et vice versa. Au total, trois cohabitations : 1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002.

« Tout de même qu’à bord du navire l’antique expérience des marins veut qu’un second ait son rôle à lui à côté du commandant, ainsi dans notre nouvelle République, l’exécutif comporte-t-il après le président voué à ce qui est essentiel et permanent un Premier ministre aux prises avec les contingences. »2936

Charles de GAULLE (1890-1970), Mémoires d’espoir, tome I, Le renouveau, 1958-1962 (1970)

Division du travail, et problème fondamental du fonctionnement de nos institutions que l’existence d’un « domaine réservé » au chef de l’État, cependant que le « second », qui n’est plus président du Conseil, mais seulement le Premier des ministres de son gouvernement, gère le quotidien, rôle moins prestigieux et plus ingrat.

« Il n’y a eu de France que grâce à l’État. La France ne peut se maintenir que par lui. Rien n’est capital que la légitimité, les institutions et le fonctionnement de l’État. »2974

Charles de GAULLE (1890-1970), Conseil d’État, 28 février 1960. Essai sur la pratique de la Ve République : bilan d’un septennat (1968), Jean Gicquel

Parole de crise, certes (au lendemain des barricades d’Alger), mais idée chère à de Gaulle, grand admirateur de Richelieu qui fit de la France un État moderne. La légitimité était déjà un thème récurrent, durant sa Résistance.

L’action et le verbe gaulliens se ramènent à quelques idées forces, régulièrement martelées par de Gaulle s’adressant au peuple ou à ses représentants. Dans Les Chênes qu’on abat, Malraux le cite : « Les choses capitales qui ont été dites à l’humanité ont toujours été des choses simples. »

Chronique des années De Gaulle

« Que vienne la paix des braves et je suis sûr que les haines iront en s’effaçant. »2981

Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence de presse à l’hôtel Matignon, 23 octobre 1958. 1958, le retour de De Gaulle (1998), René Rémond

« Qu’est-ce à dire ? Simplement ceci : que ceux qui ont ouvert le feu le cessent et qu’ils retournent sans humiliation à leur famille et à leur travail ! »

Mais ce n’est pas ce que veut le Front de Libération nationale (FLN) : le 25 septembre, il a affirmé sa volonté de négociations politiques aussi bien que militaires et deux mois plus tard, il crée le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). De Gaulle posera bientôt comme seule condition aux négociations de laisser le « couteau au vestiaire ». Mais la paix des braves, sur le terrain comme dans un traité, est encore loin d’être conclue.

« Guide de la France, et chef de l’État républicain, j’exercerai le pouvoir suprême dans toute l’étendue qu’il comporte désormais. »2982

Charles de GAULLE (1890-1970), Déclaration radiotélévisée, 28 décembre 1958. Les Idées constitutionnelles du général de Gaulle (1974), Jean Louis Debré, Charles de Gaulle

Il vient d’être élu président de la République, le 21 décembre. La nouvelle Constitution, ratifiée par le référendum du 28 septembre avec près de 80 % de oui, et promulguée le 4 octobre, fonde le nouveau régime (présidentiel) de la Cinquième République, confiant au chef de l’État les quatre attributions fondamentales, sans aucune obligation de contreseing ministériel : la nomination du Premier ministre, la dissolution de l’Assemblée nationale, le recours au référendum et la mise en jeu des pouvoirs spéciaux en cas de crise. « Chèque en blanc », titre Le Monde.

« Le vieux franc français, si souvent mutilé à mesure de nos vicissitudes, nous voulons qu’il reprenne une substance conforme au respect qui lui est dû. »2988

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours sur la politique de rigueur, 28 décembre 1958, annonçant la création d’un nouveau franc, le 1er janvier 1960. De Gaulle vous parle (1967), Charles de Gaulle

La création du nouveau franc 1960 (valant 100 francs anciens) a été annoncée un an plus tôt. Si le mot « rigueur » n’apparaît pas dans le discours, il le définit bien.

L’opération « franc lourd » cause un choc psychologique et lie avec habileté l’avenir de la monnaie et le prestige international du pays, dans le cadre d’une nouvelle politique économique et financière rendant la France compétitive en Europe. Antoine Pinay, ministre des Finances et des Affaires économiques jouissant d’un immense prestige auprès du Français moyen, va cependant démissionner en janvier 1960, pour cause de désaccord avec le chef de l’État (notamment sur la CEE, Communauté économique européenne créée en 1957, origine de l’actuelle Union européenne).

Le vieux franc français est né le 5 décembre 1360, en pleine guerre de Cent Ans. Et quarante ans après sa création, le (nouveau) franc s’effacera devant la monnaie européenne, l’euro, nouvel enjeu économique et stratégique, pari globalement réussi.

« L’Algérie de papa est morte. Si on ne le comprend pas, on mourra avec elle. »2984

Charles de GAULLE (1890-1970), Déclaration à Pierre Laffont, directeur de L’Écho d’Oran, 29 avril 1959. Algérie 1962, la guerre est finie (2002), Jean Lacouture

Mais que sera l’Algérie de l’avenir ? Le président est trop pragmatique, l’Algérie trop déchirée par la guerre et les événements trop incertains pour que soit fixée une ligne politique. De Gaulle attend la mi-septembre pour lancer le mot, l’idée d’« autodétermination », d’où trois solutions possibles : sécession pure et simple, francisation complète dans l’égalité des droits, « de Dunkerque à Tamanrasset », ou gouvernement des Algériens par les Algériens en union étroite avec la France. En France, la droite qui veut l’Algérie française commence à se diviser ; en Algérie, le GPRA veut des négociations préalables et l’armée va vivre bien des déchirements.

« Je puis vous assurer que la Loire continuera à couler dans son lit. »2986

Charles de GAULLE (1890-1970), Aux maires du Loiret, à Orléans, mai 1959. De Gaulle parle : des institutions, de l’Algérie, de l’armée, des affaires étrangères, de la Communauté, de l’économie et des questions sociales (1962), André Passeron

Mot qualifié d’« infrahistorique » par son biographe Jean Lacouture. De Gaulle, pour être lui-même, a besoin de circonstances exceptionnelles, et tout président de la République doit prononcer « au quotidien » d’innombrables discours sur tout et sur rien !

Dans le même esprit, à Fécamp : « Je salue Fécamp, port de mer et qui entend le rester » et à Lyon : « Lyon n’a jamais été aussi lyonnaise. » Si humour il y a, il est sans doute involontaire.

« Il faut que la défense de la France soit française […] Un pays comme la France, s’il lui arrive de faire la guerre, il faut que ce soit sa guerre. Il faut que son effort soit son effort. »2938

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours au Centre des hautes études militaires, 3 novembre 1959. Discours et messages : avec le renouveau, mai 1958-juillet 1962 (1970), Charles de Gaulle

C’est aussi un militaire qui parle. Pendant sa guerre de Résistance, il a dû se battre pour être reconnu du grand allié américain. Un peu plus tard, face aux USA, il affirmera : « Il est intolérable à un grand État que son destin soit laissé aux décisions et à l’action d’un autre État quelque amical qu’il puisse être. »

La force de frappe atomique française, clé de voûte du système de défense, combattue du vivant du général de Gaulle, populaire dans l’opinion, sera développée par tous ses successeurs. Au XXIe siècle, hors tout contexte de guerre froide, la force de dissuasion nationale n’est pas vraiment remise en question.

« Oui, c’est l’Europe depuis l’Atlantique jusqu’à l’Oural, c’est l’Europe, toutes ces vieilles terres où naquit, où fleurit la civilisation moderne, c’est toute l’Europe qui décidera du destin du monde. »2987

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours de Strasbourg, 23 novembre 1959. De Gaulle et l’Europe (1963), Roger Massip

Autre problème majeur, mais question toujours posée au XXIe siècle. De quelle Europe s’agit-il ? Un an plus tôt, de Gaulle écrit à Paul Reynaud : « Vous savez qu’à mon sens, on peut voir l’Europe et peut-être la faire de deux façons : l’intégration par le supranational, ou la coopération des États et des nations. C’est à la deuxième que j’adhère. »

Le discours de Strasbourg reste prophétique sur un autre plan. L’Europe a vécu la réunification de l’Allemagne et la réconciliation entre les deux pays jadis ennemis, devenus alliés. Plus globalement, la guerre froide et le communisme dans sa version soviétique appartiennent à un passé révolu. De sorte que l’idée de « maison commune » européenne et de cette Europe « de l’Atlantique à l’Oural » ne relève plus de l’utopie.

« Je m’adresse à la France. Eh bien, mon cher et vieux pays, nous voici donc ensemble encore une fois, face à une nouvelle épreuve. »2989

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 29 janvier 1960. De Gaulle (1964), François Mauriac

Omniprésent sur tous les fronts, le président excelle dans la communication directe avec la France et les Français. Cette fois, le général s’est mis en tenue militaire, pour traiter du drame national.

La semaine des Barricades a commencé à Alger, le 24 janvier. La population de souche métropolitaine refuse l’idée d’autodétermination lancée par de Gaulle, et s’oppose au renvoi du général Massu – qui a affirmé dans un journal allemand que l’armée était pour l’Algérie française.

« En vertu du mandat que le peuple m’a donné et de la légitimité nationale que j’incarne depuis vingt ans, je demande à tous et à toutes de me soutenir quoi qu’il arrive. »2972

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 29 janvier 1960. Discours et messages, volume III (1970), Charles de Gaulle

Vingt ans après – après le fameux Appel du 18 juin 1940 –, lui-même se pose en personnage historique et s’impose à un autre moment crucial de l’histoire de France – les barricades d’Alger.

« L’armée française, que deviendrait-elle, sinon un ramas anarchique et dérisoire de féodalités militaires, s’il arrivait que des éléments mettent des conditions à leur loyalisme ? […] Aucun soldat ne doit, sous peine de faute grave, s’associer à aucun moment, même passivement, à l’insurrection. »2990

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 29 janvier 1960. De Gaulle : le souverain, 1959-1970 (1986), Jean Lacouture

Le général, en tenue de général, en appelle à la discipline des soldats et sauve la situation par ce discours.

Selon Raymond Aron (Preuves, mars 1960) : « Durant ces cinq jours, rien n’existait plus, ni le régime, ni la Constitution, ni moins encore le gouvernement, hésitant et divisé : il ne restait plus rien qu’un homme, et un homme seul. »

La semaine des Barricades aura des suites importantes : gouvernement remanié, affaires algériennes prises encore plus directement en main par l’Élysée. De Gaulle se rend sur place début mars pour reprendre contact avec l’armée – c’est la « tournée des popotes » où les déclarations restent officieuses et contradictoires. Il parlera publiquement de République algérienne le 4 novembre prochain.

« Hourra pour la France ! Depuis ce matin, elle est plus forte et plus fière. »2991

Charles de GAULLE (1890-1970), Télégramme, 13 février 1960. De Gaulle : le souverain, 1959-1970 (1986), Jean Lacouture

Première explosion de la bombe A française à Reggane (Sahara). C’est une étape dans la politique d’indépendance militaire du général qui se refuse à la « docilité atlantique » et veut doter le pays des « moyens modernes de la dissuasion ». La France entre ainsi dans le club encore très fermé des puissances atomiques. Elle refusera de signer le traité de Moscou du 3 août 1963, sur la non-prolifération nucléaire. Le 28 août 1968, c’est l’explosion de la première bombe H dans le Pacifique.

« Il est tout à fait naturel qu’on ressente la nostalgie de ce qui était l’Empire, tout comme on peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais, quoi ? Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. »2992

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 14 juin 1960. L’Année politique, économique, sociale et diplomatique en France (1961)

Après la guerre d’Indochine, l’affaire tunisienne puis l’imbroglio marocain réglés sous la IVe République, outre le drame de l’Algérie, il reste encore en 1958 à achever la décolonisation de l’Afrique noire et de Madagascar, en germe dans la loi Defferre de 1956. L’opinion publique y est moins sensible qu’au problème algérien.

De Gaulle pense d’abord à une Communauté avec défense, politique étrangère et politique économique communes. Sous la pression des événements, il opte pour la décolonisation et accorde en 1960 l’indépendance, qui n’exclut pas le maintien de liens privilégiés entre la métropole et ses ex-colonies africaines.

« Il faut qu’avant d’entrer dans la salle [des négociations] on ait déposé son couteau. »2993

Charles de GAULLE (1890-1970), 6 septembre 1960. De Gaulle (1972), André Passeron

Le « couteau au vestiaire » devient le préalable de toute négociation. Mais l’on continue de se battre en Algérie, tandis qu’en France, intellectuels et syndicalistes manifestent pour la paix en Algérie.

« La République algérienne existera un jour. »2996

Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence télévisée, 4 novembre 1960. La Guerre d’Algérie et les intellectuels français (1991), Jean-Pierre Rioux, Jean-François Sirinelli

Alors que la guerre s’éternise, le président relance la politique algérienne, annonçant un référendum sur l’autodétermination, parlant pour la première fois de « République algérienne », fustigeant les « deux meutes ennemies, celle de l’immobilisme stérile et celle de l’abandon vulgaire ». Il part en Algérie le 12 décembre pour lancer la campagne sur le référendum : émeutes à Alger, Oran. Le Front de l’Algérie française se heurte aux musulmans brandissant le drapeau vert du FLN : 120 morts, et c’en est fini du mythe de la fraternisation entre les communautés.

« Françaises, Français […] j’ai besoin de savoir ce qu’il en est dans les esprits et dans les cœurs, c’est pourquoi je me tourne vers vous par-dessus tous les intermédiaires. En vérité, qui ne le sait, l’affaire est entre chacune de vous, chacun de vous et moi-même. »2997

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 6 janvier 1961. L’Année politique, économique, sociale et diplomatique en France (1962)

Dernière apparition présidentielle, avant le référendum du 8 qui demande au peuple français d’approuver le principe de l’autodétermination du peuple algérien. « Oui » : plus de 75 % des suffrages exprimés. Les électeurs n’ont pas suivi les consignes des partis politiques et, comme de Gaulle, ont négligé ces intermédiaires.

Le choc est dur, chez les Européens d’Algérie (également consultés et qui ont répondu majoritairement « non ») : ils ne se savaient pas à ce point coupés de la métropole, abandonnés. D’où le durcissement de leur position, alors que des négociations sont annoncées entre la France et le FLN à Évian.

« La décolonisation est notre intérêt et par conséquent notre politique. Pourquoi resterions-nous accrochés à des dominations coûteuses, sanglantes et sans issue, alors que notre pays est à renouveler de fond en comble ? »2939

Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence de presse, 11 avril 1961. Paroles de chefs, 1940-1962 (1963), Claude Cy, Charles de Gaulle

Il a reconnu auparavant que la France a réalisé outre-mer une grande œuvre humaine qui, malgré des abus ou des erreurs, lui fait pour toujours honneur. La Quatrième République, qui a commencé la décolonisation (Indochine, Maroc, Tunisie, Afrique noire en cours), a rappelé de Gaulle au pouvoir pour résoudre l’« affaire algérienne ». Ce qu’il va faire en lui donnant l’indépendance inscrite dans le cours de l’histoire.

« Cet État sera ce que les Algériens voudront. Pour ma part, je suis persuadé qu’il sera souverain au-dedans et au-dehors. Et, encore une fois, la France n’y fait aucun obstacle. »2999

Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence de presse, 11 avril 1961. L’Année politique, économique, sociale et diplomatique en France (1962)

De Gaulle annonce qu’il envisage l’indépendance de l’Algérie « avec un cœur parfaitement tranquille ». Onze jours plus tard, c’est le putsch, dans la nuit du 21 au 22 avril.

« Ce qui est grave dans cette affaire, Messieurs, c’est qu’elle n’est pas sérieuse. »3000

Charles de GAULLE (1890-1970), Conseil des ministres extraordinaire, réuni à 17 heures, le 22 avril 1961. La Fronde des généraux (1961), Jacques Fauvet, Jean Planchais

La population d’Alger a été réveillée à 7 heures du matin, par ce message lu à la radio : « L’armée a pris le contrôle de l’Algérie et du Sahara. » Les généraux rebelles font arrêter le délégué général du gouvernement, et un certain nombre d’autorités civiles et militaires. Quelques régiments se rallient aux rebelles. La population européenne, qui se sent abandonnée par la métropole, est avec eux. Mais de Gaulle semble serein, devant ses ministres.

Le directoire militaire a quand même pris le pouvoir à Alger. Les ralliements se multiplient derrière les quatre généraux, Challe, Zeller, Jouhaud et Salan, qui dénoncent la « trahison » du général de Gaulle et font le serment de « garder l’Algérie pour que nos morts ne soient pas morts pour rien ».

Les insurgés tiennent Oran, Constantine le lendemain. Le coup d’État semble réussi. De Gaulle reparaît et va trouver les mots qui tuent.

« Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite. Il a une réalité : un groupe d’officiers, partisans, ambitieux et fanatiques. »3001

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 23 avril 1961. Algérie 1962, la guerre est finie (2002), Jean Lacouture

Revêtu de sa tenue de général, le de Gaulle des grandes heures parle : « Au nom de la France, j’ordonne que tous les moyens soient employés pour barrer partout la route à ces hommes-là, en attendant de les réduire. » Il demande que s’applique l’article 16 de la Constitution (pouvoirs spéciaux) : c’est une « dictature républicaine », justifiée par la situation.

Tous les bidasses entendent cette voix de la France sur leur transistor. Le contingent refuse de suivre le quarteron de généraux ovationnés par les pieds-noirs sur le Forum d’Alger, entre les cris « Algérie française » et « de Gaulle au poteau ! » Mais le vent tourne. Challe se livre le 26, suivi par Zeller. Salan et Jouhaud continuent dans la clandestinité, l’OAS résiste encore : combat d’hommes désespérés, d’autant plus dangereux.

« Il faut que les objectifs à déterminer par le Plan […] revêtent pour tous les Français un caractère d’ardente obligation. »3002

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 8 mai 1961. La Mystique du Plan (1963), Philippe Bauchard

Même en pleine guerre d’Algérie, il faut se préoccuper de l’« intendance ». Le Plan, depuis seize ans, oriente l’économie de la France. De Gaulle en parle ainsi dans ses Mémoires d’espoir : « Il embrasse l’ensemble, fixe les objectifs, établit une hiérarchie des urgences et des importances, introduit parmi les responsables et même dans l’esprit public le sens de ce qui est global, ordonné et continu, compense l’inconvénient de la liberté sans en perdre l’avantage ».

Le premier Plan de la Ve République (IVe Plan depuis la Libération) couvre la période 1961-1964. Il est le plus concerné par cette « ardente obligation ». Il y en aura dix. Le projet du numéro XI est victime de la crise de la planification française. En fait, l’outil, trop rigide, n’est plus adapté à d’autres besoins, d’autres temps.

« Dès lors que l’État et la nation ont choisi leur chemin, le devoir militaire est fixé une fois pour toutes. Hors de ses règles, il ne peut y avoir, il n’y a que des soldats perdus. »3003

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours à Strasbourg, 23 novembre 1961. L’Année politique, économique, sociale et diplomatique en France (1962)

Il s’exprime en ces termes, lors d’une grande manifestation militaire devant les cadres de l’armée.

L’automne et l’hiver sont dramatiques, les passions s’exaspérant de part et d’autre. L’OAS multiplie les attentats, en Algérie comme en métropole : le plastic vise de Gaulle lui-même (9 septembre à Pont-sur-Seine), Malraux et divers intellectuels. Les manifestations pro-FLN, musulmanes, syndicales, entraînent contre-manifestations, charges de police, morts. Ils sont neuf à la station de métro Charonne. 300 000 personnes suivront leur enterrement, le 13 février 1962. L’opinion est mobilisée, mais lasse aussi. Il faut en finir avec cette sale guerre.

« Il va peser lourd le oui que je demande à chacune et à chacun de vous ! »3005

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 26 mars 1962. Les Accords d’Évian, le référendum et la résistance algérienne (1962), Maurice Allais

Le général, comme à son habitude dans les grands moments, en appelle à la population. Il donne les résultats des négociations d’Évian, proclame le cessez-le-feu, et annonce le prochain référendum : « Il faut maintenant que s’expriment très haut l’approbation et la confiance nationale. »

Le 8 avril, plus de 90 % des Français approuveront les accords d’Évian (signés le 18 mars). Le oui des Algériens consultés le 2 est encore plus massif. Le 3, la France reconnaît l’indépendance de l’Algérie et Ben Bella devient président de la République. Juridiquement, la guerre est finie.

La vie politique française sera marquée par les séquelles de cette guerre non déclarée, qui a éclaté le 1er novembre 1954 et mobilisé deux millions de jeunes Français du contingent.

Bilan : 25 000 tués chez les soldats français, 2 000 morts de la Légion étrangère, un millier de disparus et 1 300 soldats morts des suites de leurs blessures. Environ 270 000 musulmans algériens sont morts, sur une population de dix millions d’habitants. Et deux millions de musulmans déportés en camps de regroupement.

« Être, avoir été le premier collaborateur du général de Gaulle est un titre inégalé. »3008

Michel DEBRÉ (1912-1996), Premier ministre, fin de la lettre au général de Gaulle, rendue publique le 15 avril 1962. L’Année politique, économique, sociale et diplomatique en France (1963)

Il faut tourner la page après la conclusion du drame algérien : « Comme il était convenu, et cette étape décisive étant franchie, j’ai l’honneur, Mon Général, de vous présenter la démission du gouvernement. » Ce à quoi le général de Gaulle répond : « En me demandant d’accepter votre retrait du poste de Premier ministre et de nommer un gouvernement, vous vous conformez entièrement et de la manière la plus désintéressée à ce dont nous étions depuis longtemps convenus. »

Georges Pompidou entre alors sur la scène de l’histoire : il forme le nouveau gouvernement le 25 avril, essentiellement UNR (parti gaulliste), avec quelques MRP (Mouvement républicain populaire). Pompidou n’est pas un parlementaire rompu au jeu politique, mais un « agrégé sachant écrire », parachuté à 33 ans dans le cabinet de Gaulle en 1944. Il restera six ans chef de gouvernement – un record, sur ce siècle !

« Il ne peut pas y avoir d’autre Europe que celle des États. »3009

Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence de presse, 15 mai 1962. Discours et messages, volume III (1970), Charles de Gaulle

Et pour preuve : « Dante, Goethe, Chateaubriand appartiennent à toute l’Europe dans la mesure même où ils étaient respectivement et éminemment Italien, Allemand et Français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et s’ils avaient pensé, écrit en quelque esperanto ou volapük intégré ».

Du coup, les membres du gouvernement appartenant au MRP, parti très européen, démissionnent, Pierre Pflimlin en tête, Robert Buron à sa suite. Remplacés par des Indépendants.

« Si votre réponse est « non », comme le voudraient tous les anciens partis afin de rétablir le régime de malheur, ainsi que tous les factieux pour se lancer dans la subversion, de même si la majorité des « oui » est faible, médiocre et aléatoire, il est bien évident que ma tâche sera terminée aussitôt et sans retour. »3013

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours, 18 octobre 1962. De Gaulle (1964), François Mauriac

C’en est fini du consensus existant depuis 1958. Il n’y a plus de guerre d’Algérie pour souder la majorité parlementaire. Le « cartel des Non » à de Gaulle regroupe tous les « vieux partis » et à la fronde parlementaire s’ajoute l’hostilité ouverte des juristes. Résultat ? Le « oui » au référendum pour l’élection du président de la République au suffrage universel représentera 62,25 % des suffrages exprimés.

« Vous avez scellé la condamnation du régime désastreux des partis. »3014

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 7 novembre 1962. La Vie politique sous la Ve République (1981), Jacques Chapsal

Le président prend acte du « oui » et se satisfait d’un taux d’approbation plutôt moyen à son référendum. Sans faire de la politique-fiction, il serait sans doute très supérieur aujourd’hui, tant les Français se sont approprié cette élection de leur président au suffrage universel.
« La nation est maintenant en plein essor, les caisses remplies, le franc plus fort qu’il ne le fut jamais, la décolonisation achevée, le drame algérien terminé, l’armée rentrée tout entière dans la discipline, le prestige français replacé au plus haut dans l’univers, bref tout danger immédiat écarté et la situation de la France bien établie au-dedans et au-dehors. »

Dans l’élan, il annonce les prochaines élections des 18 et 25 novembre. C’est un triomphe : 233 membres sur 482 sièges à l’Assemblée pour l’UNR. Aucun parti en France n’a fait un tel score, depuis la Libération. Entre les deux tours, de Gaulle dit en Conseil des ministres : « J’ai déclaré la guerre aux partis. Je me garde bien de déclarer la guerre aux chefs des partis. Les partis sont irrécupérables. Mais les chefs de partis ne demandent qu’à être récupérés… Il leur suffit de récupérer un portefeuille. »

« Je ne vais pas mal. Mais rassurez-vous, un jour, je ne manquerai pas de mourir. »3021

Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence de presse, 4 février 1965. De Gaulle : le souverain, 1959-1970 (1986), Jean Lacouture

Nul ne sait encore s’il sera candidat à sa propre succession, à la fin de l’année. Cette échéance présidentielle ravive l’intérêt du public pour la politique et l’opposition s’oppose, comme le veut la démocratie… et le jeu des partis.

« Si grand que soit le verre que l’on nous tend du dehors, nous préférons boire dans le nôtre, tout en trinquant aux alentours. »3023

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 27 avril 1965. Le Général de Gaulle et la construction de l’Europe, 1940-1966 (1967), Edmond Jouve

Il fait le bilan de son action sur le thème qui lui est cher, l’indépendance nationale : « Le fait capital de ces sept dernières années, c’est que nous avons résisté aux sirènes de l’abandon et choisi l’indépendance. » En février 1966, la France reste membre du Pacte atlantique, mais se retire du dispositif militaire intégré (OTAN).

« Qui a jamais cru que le général de Gaulle, étant appelé à la barre, devrait se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes ? »3024

Charles de GAULLE (1890-1970), conférence de presse, 9 septembre 1965. De Gaulle ou l’éternel défi : 56 témoignages (1988), Jean Lacouture, Roland Mehl, Jean Labib

Il réfute l’accusation de « pouvoir personnel » : le président de la République a seulement « pris personnellement les décisions qu’il lui incombait de prendre ». Sera-t-il candidat ? Il n’est pas encore entré en campagne, cependant qu’un fait constitutionnel change la vie politique en France : l’élection du président aura lieu pour la première fois au suffrage universel. Et l’inauguration des chrysanthèmes va devenir célèbre.

Le très sérieux Institut national de l’audiovisuel (INA) archive les « petites phrases », de Gaulle figurant en bonne place dans la rubrique, avec ses rendez-vous médiatiques, entre improvisation et préparation.

« Moi ou le chaos. »3026

Charles de GAULLE (1890-1970), résumé lapidaire de la déclaration du 4 novembre 1965. Histoire de la France au XXe siècle : 1958-1974 (1999), Serge Berstein, Pierre Milza

Le président annonce enfin sa candidature, disant qu’en cas d’échec « personne ne peut douter que [la république nouvelle] s’écroulera aussitôt et que la France devra subir, cette fois sans recours possible, une confusion de l’État plus désastreuse encore que celle qu’elle connut autrefois ».

On reprochera au fondateur du régime de croire si peu à sa construction qu’elle tienne à ce point à un homme ! L’Express, contre de Gaulle candidat, titre : « De Gaulle à vie ? »

De Gaulle, sûr de son succès, ne se donne même pas la peine de courtiser la France, dédaignant son temps de parole à la radio et à la télévision, ne croyant pas les deux grands instituts de sondage (IFOP et Sofres) qui assurent que rien n’est gagné pour lui.

Le suspense est à son comble – on doit à de Gaulle ce fait constitutionnel qui a changé la vie politique en France : l’élection du président au suffrage universel.

« Le régime des partis, c’est la pagaille. »2842

Charles de GAULLE (1890-1970), entretien télévisé avec Michel Droit, 15 décembre 1965. Discours et messages : pour l’effort, août 1962-décembre 1965 (1970), Charles de Gaulle

Constat souvent répété. La Quatrième République péchait comme la Troisième par ses partis : trop puissants, ou plutôt impuissants, archaïques, aboutissant à un régime d’assemblée tyrannique. Mais il n’y a pas de démocratie sans pluralité des partis. La « pagaille » venait surtout du fait que le gouvernement, piégé entre les oppositions gaulliste et communiste, tentait de s’appuyer sur une « troisième force » centriste (MRP, socialistes SFIO). De Gaulle, rappelé au pouvoir, dressera ce bilan en juin 1958. « Le régime des partis […] se montrait hors d’état d’assurer la conduite des affaires. Non point par incapacité ni par indignité des hommes. Ceux qui ont participé au pouvoir sous la Quatrième République étaient des gens de valeur, d’honnêteté, de patriotisme. »

« Le fait que les partisans de droite et les partisans de gauche déclarent que j’appartiens à l’autre côté prouve […] que je ne suis pas d’un côté, je ne suis pas de l’autre, je suis pour la France. »2973

Charles de GAULLE (1890-1970), Interview radiotélévisée, 15 décembre 1965. De Gaulle vous parle (1967), Charles de Gaulle

Incarner la France, l’assumer, s’identifier à elle, c’est aussi pour le général de Gaulle une façon de s’opposer aux partis qu’il méprise. Il n’est pas centriste, il n’est pas à côté des partis, il est au-dessus.

« Il n’y a pas de textes constitutionnels […] qui puissent faire qu’en France un chef de l’État en soit véritablement un s’il procède, non point de la confiance profonde de la nation, mais d’un arrangement momentané entre professionnels de l’astuce. »3028

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 17 décembre 1965. De Gaulle parle, 1962-1966 (1966), Charles de Gaulle, André Passeron

Entre les deux tours, de Gaulle se lance : la phrase est doublement assassine, visant à la fois son adversaire François Mitterrand et le régime des partis qu’il incarne. « Où est le choix ? À travers deux hommes, il est entre deux régimes bien connus, c’est-à-dire entre deux expériences que la nation a faites successivement et entre deux avenirs opposés à tous les égards. »

« Notre pays a confirmé en ma personne la République nouvelle et approuvé la politique qui est la mienne. »3029

Charles de GAULLE (1890-1970), Première conférence de presse de son nouveau mandat, 21 février 1966. Discours et messages, volume V (1970), Charles de Gaulle

Victoire électorale, mais faible, eu égard aux précédentes consultations et au personnage : 54,5 % des voix au second tour. Le sauveur est désacralisé, le mythe gaulliste n’éveille plus chez les jeunes l’enthousiasme de leurs aînés, l’État semble stagnant et vieillot. Pourtant, Pompidou reste Premier ministre. Quelques « nouveaux anciens » apparaissent dans son troisième gouvernement : Edgar Faure (Agriculture), Michel Debré (Économie et Finances), Jean-Marcel Jeanneney (Affaires sociales). À signaler le départ de Giscard d’Estaing : écarté des Finances, il a refusé l’Équipement.

« La politique de la France ne se fait pas à la corbeille. »3032

Charles de GAULLE (1890-1970), conférence de presse, 28 octobre 1966. Histoire de la France au XXe siècle : 1958-1974 (1999), Serge Berstein, Pierre Milza

Réponse un peu courte à la question : « Monsieur le président, à quoi attribuez-vous la baisse de la Bourse, alors qu’on dit que l’économie va bien ? — Je dirai un mot de la Bourse, puisque vous m’en parlez. En 1962, elle était exagérément bonne, en 1966, elle est exagérément mauvaise. Monsieur, vous savez, la politique de la France ne se fait pas à la corbeille. »

La France, reconstruite après la guerre et devenue société de consommation, vit en effet et sans complexe le miracle économique des Vingt Glorieuses (expression plus juste que les Trente Glorieuses). Ce qu’on appellera aussi la plus grande épopée pacifique de la France : de 1954 à 1974, très précisément entre la fin de la reconstruction et le début de la crise pétrolière, le pouvoir d’achat des Français est multiplié par 2, la richesse nationale (PIB, produit intérieur brut) par 3.

Dans le même esprit, mais en d’autres circonstances et sur un autre ton, Édith Cresson, première femme Premier ministre (de Mitterrand) dira en 1991 : « La Bourse, j’en ai rien à cirer. »

« “Oui” à la majorité, “mais” avec la ferme volonté de peser sur ses orientations. »3033

Valéry GISCARD D’ESTAING (1926-2020), conférence de presse, 10 janvier 1967. Chronique des années soixante (1990), Michel Winock

Le fameux « Oui, mais… » précise le rôle des républicains indépendants (35 députés) au sein de la majorité, à l’occasion des élections législatives de mars 1967. « Notre mais n’est pas une contradiction, mais une addition […] dans trois directions : celle d’un fonctionnement plus libéral des institutions, celle de la mise en œuvre d’une véritable politique économique et sociale moderne, celle de la construction de l’Europe. »

« On ne gouverne pas avec des « mais ». »3034

Charles de GAULLE (1890-1970), Riposte à Valéry Giscard d’Estaing, Conseil des ministres, 11 janvier 1967. Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, n° 170 (1971)

La majorité sortante sera reconduite à l’Assemblée, mais d’extrême justesse, grâce aux voix d’outre-mer. Pompidou reste Premier ministre. Et le gouvernement va gouverner sans « mais », sans débats parlementaires, par ordonnances en matière économique et sociale (création de l’ANPE, intéressement des travailleurs, réforme de la Sécurité sociale). Les motions de censure déposées n’y peuvent rien, la majorité est soudée, même si Giscard d’Estaing dénonce « l’exercice solitaire du pouvoir » et critique son successeur aux Finances, Michel Debré.

« Vive Montréal ! Vive le Québec ! Vive le Québec libre ! »3036

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours de Montréal, 25 juillet 1967. De Gaulle, volume III (1986), Jean Lacouture

L’orateur enchaîne et termine par : « Vive le Canada français et vive la France ! » Le monde entier est ébahi. Et Pompidou, Premier ministre, dira du discours : « Celui-là, il ne me l’avait pas montré ! »

De Gaulle répondra, pour se justifier : « Il fallait bien que je parle aux Français du Canada. Nos rois les avaient abandonnés » – allusion à cette Nouvelle-France découverte sous François Ier, colonisée depuis Henri IV, avant que Louis XV ne cède les « quelques arpents de neige » du Canada à l’Angleterre (en 1763).

Hasard ? Jacques Cartier prend possession du Canada, au nom du roi de France, un 24 juillet (1534).

Il n’empêche, cette harangue déclenche une crise entre le Canada et la France, qui semble soutenir les indépendantistes québécois.

« Les Juifs […] étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur. »3037

Charles de GAULLE (1890-1970), conférence de presse, 27 novembre 1967. De Gaulle, volume III (1986), Jean Lacouture

La guerre des Six Jours a commencé le 5 juin 1967 : attaque des Israéliens, fulgurante ; défaite des Arabes, humiliante.

L’opinion publique est divisée en France, au-delà des traditionnels clivages gauche-droite. La majorité gaulliste renâcle. Tandis que les intellectuels de gauche sont crucifiés : militants de la cause arabe et de l’anticolonialisme, ils ne peuvent trahir la solidarité sacrée avec le peuple juif victime du génocide et avec le petit État d’Israël.

En préface au numéro spécial des Temps modernes préparé sur le conflit israélo-arabe depuis plus d’un an et qui sort en juillet 1967, Jean-Paul Sartre, qui est encore le maître à penser d’une génération et prend position tranchée sur presque tout, avoue : « Déchirés, nous n’osons rien faire et rien dire. »

« L’année 1968, je la salue avec sérénité. »3038

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 31 décembre 1967. Année politique (1968)

Les vœux de l’Élysée sont de tradition, en fin d’année. Mais l’année 1968 va véritablement ébranler le régime gaulliste, et la société française.

« Le gouvernement a perdu le contrôle de ses facultés. »3042

Le Canard enchaîné, manchette de l’hebdomadaire satirique, 8 mai 1968. Le Canard enchaîné : histoire d’un journal satirique, 1915-2005 (2005), Laurent Martin.

Comme la plupart de leurs confrères, les journalistes du Canard sont surpris par la soudaineté et la violence des émeutes de mai. Le numéro du 8 mai consacre sa une au premier épisode de la révolte étudiante. Pendant un mois, les journaux vont faire assaut de titres chocs, mais le talent va surtout exploser en slogans, scandés dans les manifs ou écrits sur les murs, les affiches, les tracts.

« La récréation est finie. »3056

Charles de GAULLE (1890-1970), Orly, samedi 18 mai 1968. Mai 68 et la question de la révolution (1988), Pierre Hempel

Débarquant d’avion, de retour de Roumanie, avec douze heures d’avance. Il dit aussi : « Ces jeunes gens sont pleins de vitalité. Envoyez-les donc construire des routes. »

« La réforme, oui, la chienlit, non. »3057

Charles de GAULLE (1890-1970), Bureau de l’Élysée, dimanche matin, 19 mai 1968. Le Printemps des enragés (1968), Christian Charrière

Formule rapportée par Georges Gorse, ministre de l’Information, et confirmée par Georges Pompidou, Premier ministre. Le président réunit les responsables de l’ordre qui n’existe plus, demande le nettoyage immédiat de la Sorbonne et de l’Odéon occupés par les révolutionnaires de Mai. Cela risque de déclencher un engrenage de violences et ses interlocuteurs obtiennent un sursis d’exécution. Il faut éviter l’irréparable.

La chienlit, c’est lui.3058

Slogan sous une marionnette en habit de général aux Beaux-Arts, 20 mai 1968

La chienlit ? Ce sont surtout 6 à 10 millions de grévistes. Et tout ce qui s’ensuit : usines occupées, essence rationnée, centres postaux bloqués, banques fermées. Les ménagères stockent. Les cafés sont pleins. La parole se déchaîne jusque dans les églises. La moindre petite ville a son mini-Odéon et sa micro-Sorbonne.

« J’entreprendrai […] de faire changer, partout où il le faut, des structures étroites et périmées, et ouvrir plus largement la route au sang nouveau de la France. »3066

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, vendredi 24 mai 1968. Discours et messages : vers le terme, janvier 1966-avril 1969 (1970), Charles de Gaulle

Le président annonce un référendum sur la participation. Ce jour-là, le message ne passe pas : affirmer des principes vagues pour demander, au bout de dix ans, qu’on continue à lui faire confiance, c’était selon ses propres termes plus tard : « mettre à côté de la plaque » !

Mendès France répond : « Un plébiscite, cela ne se discute pas, cela se combat. » La violence va se déchaîner le soir même.

« Depuis quelque chose comme trente ans que j’ai affaire à l’histoire, il m’est arrivé quelquefois de me demander si je ne devais pas la quitter. »3072

Charles de GAULLE (1890-1970). De Gaulle, 1958-1969 (1972), André Passeron

Folle journée du 29 mai 1968 : le général a disparu. Conseil des ministres de 10 heures décommandé à la dernière minute. De Gaulle a quitté l’Élysée, mais il n’est pas à Colombey : « Oui ! le 29 mai, j’ai eu la tentation de me retirer. Et puis, en même temps, j’ai pensé que, si je partais, la subversion menaçante allait déferler et emporter la République. Alors, une fois de plus, je me suis résolu » (Entretien télévisé avec Michel Droit, 7 juin).

« Une « dépression » ? une « pause » à Baden ? une « manœuvre » difficile à comprendre ? un « chef-d’œuvre tactique » ? Qui, témoin, chroniqueur, analyste, partisan ou adversaire, peut dire le dernier mot sur cet étrange détour vers la Forêt-Noire ? » Jean Lacouture, De Gaulle, volume III. Le souverain (1986).

On l’a su plus tard, le président est allé voir le général Massu en Allemagne. Oui, mais pourquoi ? Dans sa biographie sur de Gaulle, Jean Lacouture confronte les interprétations qui opposent deux écoles : celle du désarroi et celle de la tactique, pour conclure que le mystère demeure.

« Je ne me retirerai pas […] Je ne changerai pas le Premier ministre, dont la valeur, la solidité, la capacité méritent l’hommage de tous. Il me proposera les changements qui lui paraîtront utiles dans la composition du gouvernement. Je dissous aujourd’hui l’Assemblée nationale. »3074

Charles de GAULLE (1890-1970), Discours radiodiffusé, jeudi 30 mai 1968, 16 h 30. Année politique (1969)

Le transistor est toujours le « cordon ombilical qui relie la France à sa révolution » (Danielle Heymann). De Gaulle ajoute que « partout et tout de suite, il faut que s’organise l’action civique ».

« Mitterrand, c’est raté ! Les cocos, chez Mao ! Le Rouquin, à Pékin ! Giscard, avec nous ! De Gaulle n’est pas seul ! » Cris scandés par la foule sur les Champs-Élysées, 30 mai 1968.

Ils sont donc 300 000 ou 400 000 à répondre à l’appel du général, dans une solidarité populaire presque spontanée. En fait, la manifestation était préparée, mais le succès est inespéré : ce ne sont pas seulement les anciens combattants et les bourgeois du XVIe arrondissement qui défilent, on voit aussi beaucoup de jeunes et des gens modestes. En tête du cortège, Malraux, Mauriac, diverses personnalités, et Debré le gaulliste de la première heure peut clamer : « De Gaulle n’est pas seul. »

« Après avoir fait tout ce qu’il a fait au cours de six ans et demi de fonctions […] il était bon qu’il fût, sans aller jusqu’à l’épuisement, placé en réserve de la République. »3081

Charles de GAULLE (1890-1970), Conférence de presse, 9 septembre 1968. L’Année politique, économique et sociale en France (1968)

Ainsi parle-t-il de Georges Pompidou. Tout le monde s’attendait à la reconduction du Premier ministre : ex professeur, l’homme de Matignon s’est finalement bien sorti des événements et des élections. Sa démission acceptée et son remplacement par Maurice Couve de Murville sont la surprise de la mi-juillet 1968.

« Portons donc en terre les diables qui nous ont tourmentés pendant l’année qui s’achève. »3083

Charles de GAULLE (1890-1970), Allocution radiotélévisée, 31 décembre 1968. Les Discours de vœux des présidents de la République : la France au fond des yeux (1992), Françoise Finniss-Boursin.

L’agitation recommence en janvier, étudiants et surtout lycéens manifesteront dans les mois, les années à venir. Mais les diables de Mai 68 appartiennent au passé.

« Dans l’accomplissement de la tâche nationale qui m’incombe, j’ai été, le 19 décembre 1965, réélu président de la République pour sept ans par le peuple français. J’ai le devoir et l’intention de remplir ce mandat jusqu’à son terme. »3085

Charles de GAULLE (1890-1970), Déclaration à l’issue du Conseil des ministres, 22 janvier 1969. Année politique (1970)

C’est dire qu’en apparence, le président n’est pas plus pressé de partir que son ex-Premier ministre d’arriver. Donc, tout est dans l’ordre des choses. Mais de Gaulle en décide soudain autrement. Il en appelle à la France, une fois de plus.

« De la réponse que fera le pays à ce que je lui demande va dépendre évidemment soit la continuation de mon mandat, soit aussitôt mon départ. »3086

Charles de GAULLE (1890-1970), entretien télévisé avec Michel Droit, 10 avril 1969. De Gaulle, volume III (1986), Jean Lacouture

Contre vents et marées, avis et prédictions, alors que l’Assemblée lui assurait une fin de septennat sans histoire, le général a voulu un référendum, annoncé en février : sur la réforme régionale et la réforme du Sénat.

C’est encore une question de confiance entre lui et le pays. Il met tout son poids politique dans la balance, menaçant de partir en cas de non. Tous les partis de gauche font naturellement campagne pour le non, et Valéry Giscard d’Estaing aussi. Pompidou appelle au oui, mais sans vraie conviction. Verdict du 27 avril : 48 % de oui et 52 % de non.

Le lendemain, de Gaulle démissionne.

« Cas sans précédent de suicide en plein bonheur. »3087

François Mauriac (1885-1970), à propos du référendum d’avril 1969. De Gaulle, volume III (1986), Jean Lacouture

De Gaulle part en Irlande, pour ne pas être impliqué dans la campagne présidentielle – il votera par procuration. Il retourne ensuite à Colombey, s’enfermer dans sa propriété de la Boisserie pour un dernier face à face avec l’histoire : la rédaction quelque peu désenchantée, quoique sereine, de ses Mémoires d’espoir.

« Le caractère, c’est d’abord de négliger d’être outragé ou abandonné par les siens. »2979

Charles de GAULLE (1890-1970). Les Chênes qu’on abat (1979), André Malraux

Nul doute que le président a ressenti dramatiquement l’échec de son référendum en 1969.

« Après la décision du général de Gaulle de renoncer à son mandat, et dans l’incertitude que connaît actuellement le pays, j’ai résolu de me présenter aux suffrages des Français. En le faisant, j’ai le sentiment d’obéir à mon devoir, la volonté de maintenir une continuité et une stabilité nécessaire, l’espoir de préparer l’avenir. »3109

Georges POMPIDOU (1911-1974), premier candidat à se déclarer, 29 avril 1969

Raymond Aron écrira (Le Figaro, 6 mai) : « Les événements de Mai [68] ont entamé le prestige du général de Gaulle et forgé la popularité de Georges Pompidou […] À partir de juin 1968, les Français connaissaient désormais une réponse probable à la question : « Après de Gaulle, qui ? » »

« Le général de Gaulle est mort. La France est veuve. »3127

Georges POMPIDOU (1911-1974), Déclaration du président de la République, Allocution radiotélévisée, 10 novembre 1970

Cette mort remonte au soir du 9 novembre, alors que le général, avant le dîner, faisait une patience (jeu de cartes), dans sa résidence personnelle de la Boisserie, à Colombey-les-Deux-Églises. Il est pris d’un malaise, c’est une rupture d’anévrisme. Il meurt 20 minutes après, à 79 ans.

« En 1940, le général de Gaulle a sauvé l’honneur, il nous a conduits à la libération et à la victoire. En 1958, il nous a gagné la guerre civile. Il a donné à la France ses institutions, sa place dans le monde. En cette heure de deuil pour la patrie, inclinons-nous devant la douleur de Mme de Gaulle, de ses enfants et petits-enfants. Mesurons les devoirs que nous impose la reconnaissance. Promettons à la France de n’être pas indignes des leçons qui nous ont été dispensées, et que, dans l’âme nationale, de Gaulle vive éternellement », déclare le président Pompidou.

Le petit village de Colombey-les-Deux-Églises, département de Haute-Marne, va devenir un lieu de pèlerinage national.

« À la fin, il n’y a que la mort qui gagne. »2980

Charles de GAULLE (1890-1970), citant volontiers ce mot de Staline dans ses Mémoires de guerre

Malraux reprend cette phrase dans ses Antimémoires : le Miroir des limbes. La mort fut certainement omniprésente dans ce dialogue au sommet de l’intelligence, qui réunit les deux hommes. Jusqu’à la mort du général de Gaulle.

« Tout le monde a été, est ou sera gaulliste » écrivait Malraux, cependant qu’une très abondante documentation ne cesse d’« interroger le personnage ». À travers ce portrait en citations, nous espérons simplement faire œuvre de concision et de clarté.

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