Portrait de Denis Diderot en citations | L’Histoire en citations
Portraits en citations des Personnages de l’Histoire

 

Diderot doit ses deux surnoms - le « Pantophile » et « Frère Tonpla » - à Voltaire. Bien trouvé pour cet amoureux de la vie sous toutes ses formes, faisant profession de philosopher en cultivant les paradoxes à l’inverse de la logique chère à Platon (d’où l’ironie du verlan) !

Voici un personnage aussi attachant qu’original : infatigable travailleur échappant à toute définition et ne cessant  de changer au fil d’une vie bien remplie, plutôt réussie et globalement heureuse, en ce siècle des Lumières où le bonheur s’affiche et l’optimisme fait loi. Rousseau qui fait exception à la règle se fâchera d’ailleurs avec l’ami Diderot.

Penseur pragmatique, il se distingue des philosophes théoriques, à commencer par Montesquieu et son Esprit des lois. Loin de chercher un système cohérent comme le Contrat social de Rousseau, Diderot se plaît à rassembler les idées pour mieux les opposer et « diderote » à l’infini.
Ce parti pris se retrouve dans la forme dialoguée de ses fictions (romans, contes, théâtre) où aucun personnage n’est le porte-parole de l’auteur, cependant que des versions successives peuvent se contredire. Mais l’essentiel de son œuvre est ailleurs.

Son nom reste attaché à l’Encyclopédie. Promoteur et principal rédacteur de ce phénomène éditorial, Diderot invite ses confrères à s’exprimer, signant lui-même plus de 3 000 articles où il peut prendre parti jusqu’au militantisme - contre Dieu et la religion, pour la liberté sous toutes ses formes. Sa modernité va de pair avec son goût pour les idées neuves, sa curiosité pour les sciences, la hardiesse de sa pensée – d’où quelques déboires avec les autorités. Il incarne en cela l’écrivain-philosophe.

Il reste également connu pour ses Salons artistiques au ton très personnel, laissant alors libre cours à son génie d’expression et sa sensibilité. Quant à son abondante Correspondance, elle reflète ses goûts (y compris en matière de femme) et ses engagements.

Pris entre les « lumières de la raison » du XVIIIe et les « transports de la sensibilité » du romantisme à venir, Diderot place la dignité de l’homme dans la quête plutôt que la découverte de la vérité.

Multiple dans ses formes d’expression, tout en paradoxes, digressions, mises en abyme, impossible à résumer comme Montesquieu ou Rousseau ni à cerner comme Voltaire, l’essentiel de sa mission l’apparente quand même à tous les philosophes des Lumières : former des citoyens éclairés.

1. Autoportrait de Diderot, la complexité fait homme.
2. Chronique personnelle résumée en quelques faits et quelques noms marquants.
3. Principal contributeur à l’Encyclopédie (1751-1772), œuvre majeure qui fait sa célébrité.
4. Critique d’art et initiateur inspiré des Salons (rédigés entre 1759 et 1781).
5. Auteur de théâtre, romans, contes et autres dialogues à la pensée littéralement insaisissable.
6. Athée militant entre autres engagements politiques exemplaires du philosophe.
7. Jugements divers sur « Frère Tonpla » dit aussi « le Pantophile » cher à Voltaire.

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1. Autoportrait de Diderot, la complexité fait homme.

Sa complexité assumée

« Dire que l’homme est un composé de force et de faiblesse, de lumière et d’aveuglement, de petitesse et de grandeur, ce n’est pas lui faire son procès, c’est le définir. »1053

DIDEROT (1713-1784), Addition aux pensées philosophiques (1762)

Âgé de 57 ans, il fait ici son autoportrait. Sensible à l’excès, extrême en tout, dans ses sentiments comme dans ses jugements, sensuel, extraverti, comédien et penseur, jouant du paradoxe, péchant par excès de mots et défaut de rigueur.

« J’enrage d’être empêtré d’une diable de philosophie que mon esprit ne peut s’empêcher d’approuver, ni mon cœur de démentir. »

DIDEROT (1713-1784), Correspondance

Il sera toute sa vie tiraillé entre les lumières de la raison et les transports de la passion, à l’image du tournant du siècle, entre Lumières et romantisme. Mais Diderot en souffre moins que Rousseau et surtout moins qu’il ne le dit, car la contradiction est le moteur de sa pensée.

« Notre véritable sentiment n’est pas celui dans lequel nous n’avons jamais vacillé, mais celui auquel nous sommes le plus habituellement revenus. »

DIDEROT (1713-1784), Entretien entre D’Alembert et Diderot, 1769

Il prétend quand même à une certaine logique dans ses Entretiens avec d’Alembert, philosophe et mathématicien qu’il appelle pour co-diriger la grande entreprise de l’Encyclopédie.

« Nous sommes l’univers entier. Vrai ou faux, j’aime ce système qui m’identifie avec tout ce qui m’est cher. »1054

DIDEROT (1713-1784), Lettres, à Falconet. Mémoires, correspondance et ouvrages inédits de Diderot (1831)

Curiosité universelle, culture « encyclopédique », auteur d’une œuvre aussi foisonnante, amoureux de la nature et adorant la société, il est aussi à l’aise avec les petites gens (né de modeste bourgeoisie, début de vie bohème, marié à une lingère) qu’avec les intellectuels des salons et les Grands. En cela, Diderot est bien l’homme de son siècle. Il l’est aussi par son don de bonheur.

Sa relation au bonheur

« Il n› y a qu’un devoir, c’est d’être heureux. »

DIDEROT (1713-1784), Essai sur la vie de Sénèque le philosophe, sur ses écrits et sur les règnes de Claude et de Néron (1778)

Il va répéter cette idée force comme une évidence : « Ma pente naturelle, invincible, inaliénable, est d’être heureux. » Montesquieu l’a dit avant lui, Voltaire le confirmera toute sa vie - seul Rousseau fera exception à cette règle philosophique des Lumières.

Mais le bonheur de Diderot n’a rien d’égoïste et relève d’une forme de morale. Trois citations en témoignent.

« Le chemin du bonheur est le chemin même de la vertu. »

DIDEROT (1713-1784). Introduction aux grands principes ou Réception d’un philosophe, 1763

« Se jeter dans les extrêmes, voilà la règle du poète. Garder en tout un juste milieu, voilà le bonheur. »

DIDEROT (1713-1784), Salon de 1767

« L’homme le plus heureux est celui qui fait le bonheur d’un plus grand nombre d’autres. »

DIDEROT (1713-1784), Dictionnaire des hommes

Cette intime conviction témoigne d’une sociabilité qui caractérise le siècle des cafés et des salons, mais aussi de la « théâtromanie » qui ne concerne pas que la « bonne société » parisienne. Chez Diderot, elle donne un sens à ses œuvres majeures, à commencer par l’Encyclopédie qui a pour mission de répandre le savoir, avec la certitude qu’un lecteur éclairé sera plus heureux. Cette mission de « vulgarisation » des connaissances au meilleur sens du terme vaut également pour ses Salons, dans le domaine artistique.

« Un plaisir qui n’est que pour moi me touche faiblement et dure peu. C’est pour moi et pour mes amis que je lis, que je réfléchis, que j’écris, que je médite, que j’entends, que je regarde, que je sens. »

DIDEROT (1713-1784), Salon de 1767

Il détaille cette évidence et ce goût du partage : « Dans leur absence, ma dévotion rapporte tout à eux. Je songe sans cesse à leur bonheur. Une belle ligne me frappe-t-elle ; ils la sauront. Ai-je rencontré un beau trait, je me promets de leur en faire part. Ai-je sous les yeux quelque spectacle enchanteur, sans m’en apercevoir je médite le récit pour eux. Je leur ai consacré l’usage de tous mes sens et de toutes mes facultés ; et c’est peut-être la raison pour laquelle tout s’exagère, tout s’enrichit un peu dans mon imagination et dans mon discours. Ils m’en font quelquefois un reproche ; les ingrats ! »

« Il y a autant de manières d’être heureux qu’il y a d’individus. »

DIDEROT (1713-1784), Observations sur l’instruction de S.M.I. (Catherine II) aux députés pour la confection des lois (1774)

« Toute l’économie de la société humaine est appuyée sur ce principe général et simple : je veux être heureux ; je vis avec des hommes qui comme moi veulent être heureux également chacun de leur côté. Cherchons le moyen de procurer notre bonheur en procurant le leur, ou du moins sans jamais y nuire. »

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, Article « Société », 1751

« Que les peuples seront heureux quand les rois seront philosophes, ou quand les philosophes seront rois ! »1058

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, article « Philosophe »

Diderot cite ici l’empereur Antonin. Affichant son humanisme, il cite aussi (en latin) : « Je suis homme, et rien d’humain ne me paraît étranger. » Sa morale n’est plus individuelle, mais sociale : c’est la seule qui importe, qui contribue au bonheur de l’espèce, de « la grande famille humaine ».

Un travailleur acharné

« Plutôt s’user que se rouiller. » 

DIDEROT (1713-1784), sa devise, Essai sur la vie de Sénèque le philosophe, sur ses écrits et sur les règnes de Claude et de Néron (1778)

Hyperactif et inventif, il a travaillé jusqu’à la limite de ses forces, toujours prêt à rendre service, à rédiger des « contributions » non signées, y compris des sermons pour un ami abbé à l’époque de sa tonsure, et à se battre pour les gens qu’il aime ou les causes qu’il défend, auteur tout terrain – philosophie, théâtre, roman, conte, essai, traduction, correspondance, critique littéraire et critique d’art (les fameux Salons). Correcteur et lecteur infatigable, l’Encyclopédie l’occupe presque à plein temps durant plus de vingt ans. Il a rédigé personnellement plus de 3 000 articles – soit une moyenne de quatre par jour ! Il s’occupe aussi de la collecte et la réalisation des planches qui illustrent cette œuvre monumentale.

« Le travail, entre autres avantages, a celui de raccourcir les journées et d’étendre la vie. »

DIDEROT (1713-1784), Essai sur la vie de Sénèque le philosophe, sur ses écrits et sur les règnes de Claude et de Néron (1778)

Curiosité universelle, culture « encyclopédique », travailleur infatigable, auteur d’une œuvre aussi foisonnante que désordonnée, amoureux de la nature et adorant la société, il est aussi à l’aise avec les petites gens (né de modeste bourgeoisie, début de vie bohème, marié à une lingère) qu’avec les intellectuels des salons et les Grands. En cela, Diderot est bien l’homme de son siècle. Il mourra à 70 ans, après une vie plutôt heureuse et passionnée, mais quand même épuisante.

« Ne fît-on que des épingles, il faut être enthousiaste de son métier pour y exceller. »

DIDEROT (1713-1784), Observations sur la sculpture et sur Bouchardon (1763)

« On doit exiger de moi que je cherche la vérité, mais non que je la trouve. »

DIDEROT (1713-1784), Pensées philosophiques (1746), sa première œuvre personnelle publiée

« Ce qui caractérise le philosophe et le distingue du vulgaire, c’est qu’il n’admet rien sans preuve, qu’il n’acquiesce point à des notions trompeuses et qu’il pose exactement les limites du certain, du probable et du douteux. »

DIDEROT (1713-1784). Lettre à Sophie Volland, 26 septembre 1762

Regard sur ses portraits : comment il se voit en peinture.

« L’homme est le terme unique d’où il faut partir et auquel il faut tout ramener. »

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, Article « Encyclopédie », 1751

Ce pourrait être la définition-même de l’humanisme.

« Je n’ai jamais été bien fait que par un pauvre diable appelé Garand, qui m’attrapa, comme il arrive à un sot qui dit un bon mot. Celui qui voit mon portrait par Garand, me voit. »

DIDEROT (1713-1784), Salon de 1767

C’est tout le contraire d’une œuvre signée Étienne Maurice Falconet : « Je dirais seulement de ce mauvais buste, qu’on y voyait les traces d’une peine d’âme secrète dont j’étais dévoré quand l’artiste le fit. »

« Moi, j’aime Michel, mais j’aime encore mieux la vérité. Assez ressemblant ; très vivant ; c’est sa douceur, avec sa vivacité ; mais trop jeune, tête trop petite, joli comme une femme, lorgnant, souriant, mignard, faisant le petit bec, la bouche en cœur ; et puis un luxe de vêtement à ruiner le pauvre littérateur, si le receveur de la capitation vient l’imposer sur sa robe de chambre. L’écritoire, les livres, les accessoires aussi bien qu’il est possible… »

DIDEROT (1713-1784), Salon de 1767, à propos de son portait par Louis Michel van Loo

C’est aujourd’hui le tableau le plus célèbre de Diderot. Sa femme apprécie moins : « Mme Diderot prétend qu’on m’a donné l’air d’une vieille coquette qui fait le petit bec et a encore des prétentions. Il y a bien quelque chose de vrai dans cette critique. Quoi qu’il en soit, c’est une marque d’amitié de la part d’un excellent homme, qui doit m’être et me sera toujours précieuse. » Lettre à Sophie Volland, 11 octobre 1767.

Ses intimes convictions qui seront aussi des idées fixes.

« Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire. Si nous voulons que les philosophes marchent en avant, approchons le peuple du point où en sont les philosophes. »1066

DIDEROT (1713-1784), Pensées sur l’interprétation de la nature (1753)

Diderot qui initie un vaste public (sinon déjà le grand public) aux choses de l’art par ses brillants comptes rendus (Salons) est avant tout le maître d’œuvre infatigable de l’Encyclopédie. Il signe plus de 3 000 articles sur les sujets les plus divers : philosophie et littérature, morale et religion, politique et économie, arts appliqués. Le plus grand agitateur d’idées du XVIIIe siècle aura une influence considérable sur ses contemporains, sur le XIXe et jusqu’à nos jours.

« Le premier pas vers la philosophie, c’est l’incrédulité. »

DIDEROT (1713-1784). Les Œuvres romanesques de Diderot (nouvelle édition en 1964)

« Nous avons trois moyens principaux : l’observation de la nature, la réflexion et l’expérience. L’observation recueille les faits ; la réflexion les combine ; l’expérience vérifie le résultat de la combinaison. »

DIDEROT (1713-1784), Pensées sur l’interprétation de la nature, 1754

« Ce qu’on n’a jamais mis en question n’a point été prouvé. »

DIDEROT (1713-1784), Pensées philosophiques (1746)

« Il est certain qu’il y a des circonstances où l’on est forcé de suppléer à l’ongle du lion, qui nous manque, par la queue du renard. »

DIDEROT (1713-1784), Principes de politique des souverains (1774)

« Il y a des hommes dont il est glorieux d’être haï. »

DIDEROT (1713-1784), Essai sur la vie de Sénèque le philosophe, sur ses écrits et sur les règnes de Claude et de Néron (1778)

« Les poètes, prophètes et presbytes sont sujets à voir les mouches comme des éléphants ; les philosophes myopes à réduire les éléphants à des mouches. La poésie et la philosophie sont les deux bouts de la lunette. »

DIDEROT (1713-1784), Salon de 1767 » À propos d’un tableau d’Hubert Robert, « Ruines et Paysages »

« La nature n’a fait ni serviteurs ni maîtres. Je ne veux ni donner, ni recevoir de lois. »

DIDEROT (1713-1784). Les Eleuthéromanes (1772)

« Il ne faut de la morale et de la vertu qu’à ceux qui obéissent. »

DIDEROT (1713-1784), Principes de politique des souverains (1774)

« La vraie gloire ne consiste ni à mourir, ni à vivre, mais à bien faire l’un et l’autre. »

DIDEROT (1713-1784), Essai sur la vie de Sénèque le philosophe, sur ses écrits et sur les règnes de Claude et de Néron (1778)

« Quand on ne veut pas être faible, il faut souvent être ingrat. »

DIDEROT (1713-1784), Principes de politique des souverains (1774)

« Celui qui a besoin d’un protocole n’ira jamais loin ; les génies lisent peu, pratiquent beaucoup et se font d’eux-mêmes. »

DIDEROT (1713-1784), Le Neveu de Rameau

« Il ne suffit pas de faire le bien, il faut encore le bien faire. »

DIDEROT (1713-1784), Les maximes, réflexions et pensées (1784)

« Quand on est indifférent à tout, on n’est rien, ou l’on est une pierre. »

DIDEROT (1713-1784), Les maximes, réflexions et pensées (1784)

« L’amour ôte l’esprit à ceux qui en ont, et en donne à ceux qui n’en ont pas. »

DIDEROT (1713-1784). Paradoxe sur le comédien (1770)

« Les erreurs passent, il n’y a que le vrai qui reste. »

DIDEROT (1713-1784), Pages contre un tyran (posthume)

« Méfiez-vous de celui qui veut mettre de l’ordre. Ordonner, c’est toujours se rendre le maître des autres en les gênant. »

Denis DIDEROT (1713-1784), Supplément au Voyage de Bougainville (1772)

« Mille hommes qui ne craignent pas pour leur vie, sont plus redoutables que dix mille qui craignent pour leur fortune. »

DIDEROT (1713-1784), Essai sur la vie de Sénèque le philosophe, sur ses écrits et sur les règnes de Claude et de Néron (1778)

« Nous savons haïr, mais nous ne savons pas aimer. »

DIDEROT (1713-1784). Lettre à Sophie Volland

« Il est bien rare que le cœur mente ; mais on n’aime pas à l’écouter. »

DIDEROT (1713-1784). Lettres à Sophie Volland

« Rien ne captive plus fortement que l’exemple de la vertu, pas même l’exemple du vice. »

DIDEROT (1713-1784), Discours sur la poésie dramatique

« L’ignorance et l’incuriosité sont deux oreillers fort doux, mais pour les trouver tels, il faut avoir la tête aussi bien faite que Montaigne. »

DIDEROT (1713-1784), Pensées philosophiques (1746)

Ce qui n’est naturellement pas son cas… mais il s’accommode quand même de sa propre philosophie.

« Qu’il est doux d’avoir bien vécu, lorsqu’on est sur le point de mourir ! »

DIDEROT (1713-1784), Discours sur la poésie dramatique

 

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Paradoxes embarrassants (ou pas)

« Qu’est-ce qu’un paradoxe, sinon une vérité opposée aux préjugés du vulgaire. »

DIDEROT (1713-1784), Pensées philosophiques

Et d’ajouter : « Ce qui est aujourd’hui un paradoxe pour nous sera pour la postérité une vérité démontrée. »

« La langue du cœur est mille fois plus variée que celle de l’esprit, et il est impossible de donner les règles de sa dialectique. »

DIDEROT (1713-1784), Lettre à Sophie Volland

Nous verrons que l’amour de sa vie enrichira naturellement sa philosophie.

« L’indifférence fait des sages et l’insensibilité fait des monstres. »

DIDEROT (1713-1784), L’Encyclopédie

« Je crois que nous avons plus d’idées que de mots ; combien de choses senties qui ne sont pas nommées ! »

DIDEROT (1713-1784), Pensées philosophiques (1746)

« Je voudrais être mort : c’est un souhait fréquent qui prouve, du moins quelques fois, qu’il y a des choses plus précieuses que la vie. »

DIDEROT (1713-1784), Souvent cite, jamais sourcé

Post mortem.

« C’est le sort de presque tous les hommes de génie ; ils ne sont pas à portée de leur siècle ; ils écrivent pour la génération suivante. »

DIDEROT (1713-1784). Lettre sur le commerce de la librairie

« Et qu’importe quel nom on imprimera à la tête de ton livre ou l’on gravera sur ta tombe ? Est-ce que tu liras ton épitaphe ? »

DIDEROT (1713-1784). Réfutation suivie de l’ouvrage d’Helvétius

« Malheur à celui dont on parlera trop ! »

DIDEROT (1713-1784), Principes de politique des souverains (1774)

Se sentant méconnu de son vivant, comparé à Montesquieu, Voltaire et Rousseau, il souhaitait pourtant la reconnaissance – elle viendra plus tard.

2. Chronique personnelle résumée en quelques faits et quelques noms marquants.

L’épreuve de la prison en 1749

« Il est très important de ne pas prendre de la ciguë pour du persil, mais nullement de croire ou de ne pas croire en Dieu. »1055

DIDEROT (1713-1784), La Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient (1749)

Né à Langres (Haute-Marne) dans la petite bourgeoisie provinciale, avec un frère prêtre et une sœur religieuse, le petit Denis est destiné après ses études de théologie à prendre la succession de son oncle chanoine et reçoit la tonsure. Déjà épris de liberté, sa vraie religion, il fuit le collège de jésuites où son père l’a « enfermé », monte à Paris, vit de « petits boulots » , épouse en secret une jeune lingère, Antoinette Champion de trois ans sa cadette. Il s’entend mal avec elle, lui fera quatre enfants, seule Angélique survivra. Admirative de son père, mais très pieuse et soucieuse des intérêts financiers de son mari, elle finira par nuire à la diffusion de son œuvre.

Diderot mène une vie de bohème littéraire : surdoué, avide de nouveautés, il suit les cours des professeurs célèbres, lit beaucoup, d’Homère à Voltaire, apprécie la littérature clandestine en copies manuscrites (Meslier, Boulainvilliers,). Il fréquente les théâtres et s’épanouit dans les hauts lieux de la nouvelle intelligentsia, les cafés Procope et la Régence. Il rencontre les personnalités en devenir : d’Alembert, Condillac, La Mettrie.

L’élève des jésuites a « mal tourné », du déisme au scepticisme, de l’athéisme au matérialisme. Sa Lettre sur les aveugles achève de convaincre la censure que l’auteur est un individu dangereux. L’œuvre est condamnée, Diderot arrêté chez lui, rue de l’Estrapade (entre la Sorbonne et le Val de Grâce) et emmené au donjon de Vincennes où il sera incarcéré trois mois (du 24 juillet au 3 novembre 1749). Sa pénible détention le traumatise infiniment plus que les deux séjours de Voltaire à la Bastille (sous la Régence) et l’incite à plus de prudence dans ses publications. Certains de ses textes seront même posthumes. Mais en même temps, il garde le goût de la provocation et va encourager son plus proche ami, Rousseau !

« Vous connaissant, vous prendrez bien le parti original. »

DIDEROT (1713-1784) à son ami Rousseau, venu le visiter à Vincennes. France-Inter, Sur les routes de la musique, août 2022

Par un chaud après-midi d’octobre 1749, Jean-Jacques, bohème de 38 ans, marche de Paris vers Vincennes pour visiter son ami Diderot emprisonné au Château. Il a emporté Le Mercure de France. Il parcourt le journal en marchant et tombe sur le sujet d’un concours de morale lancé par l’Académie de Dijon. Le progrès des sciences et des arts a-t’il contribué à corrompre ou à épurer les mœurs ?

Effet de la chaleur ou la fatigue ? Sa méditation aboutit à la fameuse illumination : « Tout à coup, je me sens l’esprit ébloui de mille lumières. Une violente palpitation m’oppresse. Ne pouvant plus respirer, je me laisse tomber sous un des arbres de l’avenue et j’y passe une demi-heure dans une telle agitation qu’en me relevant, j’aperçu tout le devant de ma veste mouillée, de mes larmes, sans avoir senti que j’en répandais. » Lettre à Malesherbes.

Diderot le voit arriver à Vincennes dans un tel état… qu’il l’encourage à concourir. Prendre « le parti original » à l’époque où le progrès triomphe, c’est penser le contraire, que le progrès est la source principale du malheur de nombre d’hommes. Diderot qui l’a poussé à écrire l’a vraisemblablement aidé à écrire son Discours sur les sciences et les arts - primé en 1750, objet d’une polémique profitable au futur auteur du Contrat social.

Son amour-passion pour Sophie Volland à partir de 1755

« Jamais passion ne fut plus justifiée par la raison que la mienne. N’est-il pas vrai, ma Sophie, que vous êtes bien aimable ? Regardez au-dedans de vous-même. Voyez-vous bien, voyez combien vous êtes digne d’être aimée, et connaissez combien je vous aime. ».

DIDEROT (1713-1784), Lettre à Sophie Volland, Paris, 23 juillet 1759

Il la rencontre vraisemblablement par l’intermédiaire de son ami Rousseau, au printemps 1755. Elle a 39 ans, lui 42. Elle s’appelle Louise-Henriette, mais aussi admiratif qu’amoureux, il voit vite ses dons et la baptise pour l’éternité Sophie – « sagesse » en grec. Elle sera l’amie, l’amante, la confidente, la correspondante privilégiée du philosophe, et une façon de mieux connaître ce personnage complexe et contradictoire, avec son œuvre prolifique et protéiforme.

« Ce qui caractérise le philosophe et le distingue du vulgaire, c’est qu’il n’admet rien sans preuve, qu’il n’acquiesce point à des notions trompeuses et qu’il pose exactement les limites du certain, du probable et du douteux. Cet ouvrage produira sûrement avec le temps une révolution dans les esprits, et j’espère que les tyrans, les oppresseurs, les fanatiques et les intolérants n’y gagneront pas. Nous aurons servi l’humanité. »

DIDEROT (1713-1784), Lettre à Sophie Volland, 26 septembre 1762

Ainsi lui parle-t-il de l’Encyclopédie, le grand œuvre de sa vie qui le mobilise au-delà du raisonnable, tout comme sa folle passion pour Sophie la sage. Ses deux amours se complètent, se comparent et se font concurrence le plus naturellement du monde. Diderot est en cela le plus heureux des hommes – et le plus romantique au siècle de la raison. Il n’est qu’à lire ses lettres…

« On serre toujours contre son sein celui qu’on aime et l’art d’écrire n’est que l’art d’allonger ses bras. »

DIDEROT (1713-1784), Lettre à Sophie Volland

« La langue du cœur est mille fois plus variée que celle de l’esprit, et il est impossible de donner les règles de sa dialectique. »

DIDEROT (1713-1784), Lettre à Sophie Volland

Et encore : « Partout où il n’y aura rien, lisez que je vous aime. » Lettre du 10 juillet 1759.

Il lui écrira 553 lettres, considérées comme une partie importante de son œuvre, toutes numérotées pour vérifier qu’elles ont bien été reçues. Il n’en reste que 187 et aucune lettre de Sophie ne fut retrouvée, même si elle reste connue comme « épistolière ». Et très peu de détails sur sa petite personne de constitution fragile, à la « menotte sèche » et portant des lunettes.

« Que je vive obscur, ignoré, oublié, proche de celle que j’aime, jamais je ne lui causerai la moindre peine, et près d’elle le chagrin n’osera pas approcher de moi. »

DIDEROT (1713-1784), Lettres à Sophie Volland„ 21 juillet 1765

Il ne cessera de lui écrire et de l’admirer. Il ne lui survivra que cinq mois. Angélique, la fille du philosophe, écrit : « Quelque temps avant sa mort, il perdit Mlle Volland, objet de sa tendresse depuis vingt ans. Il lui donna des larmes, mais il se consola par la certitude de ne pas lui survivre longtemps. »

Paradoxalement, la plupart de ses autres propos sur les femmes sont critiques, ironiques, voire misogynes en un siècle qui ne l’était pas. Exemple : « L’ennemi le plus dangereux d’un souverain, c’est sa femme, si elle sait faire autre chose que des enfants. »

Sa rupture avec l’ami Rousseau

« L’homme de bien est dans la société, et il n’y a que le méchant qui soit seul. »

DIDEROT (1713-1784), Le Fils naturel (1757)

Diderot et Rousseau se rencontrent fin 1742. Ils deviendront les « meilleurs ennemis » du monde, avec la rupture définitive en 1770. On a beaucoup écrit sur ce couple paradoxal. Tout les unit au départ : même âge, même condition sociale modeste, mêmes difficultés pour gagner sa vie et faire carrière en philosophie. Quant à leur différence de caractère… elle les rapproche d’abord : ils se complètent. Rousseau introverti et timide, mal à l’aise en société… alors que Diderot donne l’impression de « vivre en dehors de lui-même » et tout entier dans l’échange.

Le malentendu se fait jour : Rousseau n’a pas les mêmes attentes à l’égard de son ami que Diderot qui s’intègre aisément au groupe des philosophes qui veulent changer le monde. Il a l’esprit collectif et le prouve avec l’Encyclopédie, invitant ses confrères à s’exprimer au fil des milliers d’articles, quand Rousseau sent qu’il a une œuvre à écrire, que sa vie même est une œuvre. Il ne peut même pas comprendre ce projet d’un ouvrage collectif.

Les égos grandissent à mesure que les deux hommes font carrière et imposent leur nom, leurs idées. Une réplique du Fils naturel est prise comme une attaque personnelle : « L’homme de bien est dans la société, et il n’y a que le méchant qui soit seul. » C’est faux et la réconciliation aura lieu. Mais pour peu de temps.

« Il faut, mon cher Diderot, que je vous écrive encore une fois en ma vie. Vous ne m’en avez que trop dispensé ; mais le plus grand crime de cet homme que vous noircissez d’une si étrange manière est de ne pouvoir se détacher de vous. »

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Lettre à Diderot, 2 mars 1758

C’est sa dernière lettre à l’ami, elle restera sans réponse. Il souffrira infiniment plus que l’autre de cette rupture dont il est malgré tout responsable. Diderot est entouré d’amis, il admet fort bien qu’on ne pense pas comme lui.

« J’avais un Aristarque sévère et judicieux, je ne l’ai plus, je n’en veux plus ; mais je le regretterai sans cesse, et il manque bien plus encore à mon cœur qu’à mes écrits »

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Lettre sur les spectacles (1758)

Claire allusion à son ami, son frère, son Aristarque (« censeur, critique sévère mais équitable »). La plaie est ouverte, le mal est fait. Plus généralement, cette fameuse Lettre s’en prend au théâtre, alors que le siècle des Lumières se complaît dans une authentique théâtromanie. Mais selon Rousseau, les comédiens en représentation incitent plus aux mensonges qu’à la vertu, cependant que l’immoralité du théâtre est démontrée : le vertueux Alceste (double de Rousseau) tourné en ridicule par Molière, Racine et Corneille représentant à plaisir passion et folie, tandis que Voltaire et Crébillon mettent en scène des criminels qu’on n’arrête pas.

Rousseau ne cessera d’être écorché vif par les prises de position de Diderot et son confrère en Encyclopédie, d’Alembert. Les ex-amis ne correspondent plus et ne se parlent plus, mais continuent de s’opposer par œuvres interposées. Reste la dernière allusion de Diderot, transparente aux yeux des contemporains et des historiens.

« Demandez à un amant trompé la raison de son opiniâtre attachement pour une infidèle, et vous apprendrez le motif de l’opiniâtre attachement d’un homme de lettres pour un homme de lettres d’un talent distingué. »

DIDEROT (1713-1784), Essai sur la vie de Sénèque le philosophe, sur ses écrits et sur les règnes de Claude et de Néron (1778)

 

Relations avec Catherine II : Correspondance, achat de sa bibliothèque, voyage en Russie

« Depuis que Voltaire est mort, il me semble qu’il n’y a plus d’honneur attaché à la belle humeur ; c’était lui qui était la divinité et la gaieté. »

CATHERINE II de Russie (1729-1796), Lettre à Grimm, 21 juin 1778

Catherine s’était sincèrement passionnée pour l’œuvre de Voltaire, au risque d’encourir les foudres de son époux Pierre III de Russie. Elle réussit à faire détrôner l’empereur de 34 ans qui s’est fait détester après six mois de règne - jeté en prison et sans doute étranglé. Devenue impératrice, elle est surnommée Catherine la Grande pour ses qualités souveraines. « L’ignorance du peuple nous garantit de sa soumission » : c’est assurément parler en despote. Mais comme ses contemporains les rois Frédéric II de Prusse, Gustave III de Suède et Maximilien III de Bavière, ils font partie de ces « despotes éclairés » en raison de leur fréquentation assidue des philosophes dit « des Lumières.

Voltaire défendit l’action de Catherine II avec une ouverture d’esprit faisant défaut à Louis XV. Dans sa correspondance, il la surnommait familièrement « Ma Catau » - ce diminutif de Catherine est aussi une variante de « catin »… et ce n’est pas un hasard. L’Impératrice aux 21 favoris (en 35 ans de règne) était connue pour collectionner les amants pas toujours heureux. Prudent, le « voyageur de l’Europe » ne se risquera pas en Russie. Mais il lui reste Diderot. Ils correspondent assidument et depuis longtemps.

« Qu’un peuple est heureux, lorsqu’il n’y a rien de fait chez lui ! Les mauvaises et surtout les vieilles institutions sont un obstacle presque invincible aux bonnes. »1065

DIDEROT (1713-1784), Entretiens avec Catherine II

C’est déjà en germe la philosophie de la table rase. Il est vrai qu’en France, la lourdeur des institutions et l’enracinement des privilèges sont tels que toutes les réformes entreprises durant le siècle se heurtent à des murs et qu’une révolution devient inévitable.

Diderot semble être un partisan du despotisme éclairé, c’est-à-dire d’une monarchie où les élites intellectuelles contribuent à la postérité de l’État. Il pense en avoir trouvé le modèle avec Catherine II de Russie. Mais il n’en écrit pas moins le fond de sa pensée.

« Un despote, fût-il le meilleur des hommes, en gouvernant selon son bon plaisir commet un forfait. C’est un bon pâtre qui réduit ses sujets à la condition des animaux. »1062

DIDEROT (1713-1784), Entretiens avec Catherine II

Il ajoute : « Tout gouvernement arbitraire est mauvais ; je n’en excepte pas le gouvernement arbitraire d’un maître bon, ferme, juste et éclairé. » Il se plaît aussi à certaines confidences : « Il n’y a qu’une seule vertu, la justice ; un seul devoir, de se rendre heureux ; un seul corollaire, mépriser quelquefois la vie. »

« Allez toujours, entre hommes on peut tout dire. »

CATHERINE II de Russie (1729-1796), Lettre à son ami Diderot

En 1765, Diderot s’apprêtait à faire ce que tout bibliophile redoute : vendre sa bibliothèque pour se sortir d’une mauvaise passe financière. L’impératrice apprenant la nouvelle lui fit une proposition généreuse : elle achèterait ses livres, mais lui en laisserait la jouissance jusqu’à sa mort. Elle lui offrirait même une allocation annuelle pour être le bibliothécaire de ses propres ouvrages et lui permettre de doter sa fille Angélique !

Une telle offre ne va pas sans contrepartie. En échange de ses largesses, Diderot finira par honorer son invitation à Saint-Pétersbourg, lui qui déteste les voyages et commence à souffrir des atteintes de l’âge ! Elle l’invite aussi pour venir publier en Russie l’Encyclopédie interdite à Paris. Impossible de refuser !

Il restera cinq mois d’hiver (octobre 1773-mars 1774). Chaque jour, entre 15 et 17 heures, l’impératrice et le philosophe discutent de politique, de droit, de société et de littérature.

Mais il ne put la convaincre d’abolir l’esclavage, ce crime contre nature, elle se lança même dans une politique expansionniste jusqu’à étendre le servage en Ukraine pour mieux asseoir son pouvoir. Quant à déplacer sa capitale de Saint Pétersbourg à Moscou au prétexte que plus au sud, il y faisait moins froid… « entre hommes on peut tout dire », mais c’est quand même la souveraine qui l’emporte sur le philosophe.

Paradoxe signé Diderot : éperdu de reconnaissance envers Catherine II, courtisan de la tsarine, il entonne les louanges de la « Sémiramis du Nord », lui trouvant tour à tour « l’âme de César […] l’âme de Brutus […] avec toutes les séductions de Cléopâtre ». Diderot se voyait déjà bouleversant tout dans l’empire russe. La même illusion aveugla un temps Voltaire, face au roi de Prusse Frédéric II.

3. Principal contributeur à l’Encyclopédie (1751-1772), l’œuvre majeure qui fait sa célébrité.

L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers

« Depuis l’Évangile jusqu’au Contrat social, ce sont les livres qui ont fait les révolutions. »1000

Vicomte Louis de BONALD (1754-1840), Mélanges littéraires, politiques et philosophiques

Penseur et politicien contre-révolutionnaire, autrement dit ultraréactionnaire, il incarne la pensée traditionaliste et conservatrice française. Royaliste et théocrate, nostalgique de l’Ancien Régime, adversaire des Lumières, de la modernité et des orientations libérales, il défendra toujours une société traditionnelle.

Rappelons que les philosophes des Lumières ne sont pas révolutionnaires, mais leur pensée le devint, diffusée par leurs œuvres. En schématisant : à Voltaire le temps de la pré-Révolution ; Montesquieu triomphe sous la Constituante où Diderot aussi a son heure ; puis Législative et Convention s’inscrivent sous le signe de Rousseau qui inspire jusqu’à l’élan des discours jacobins. Et parmi tous leurs écrits, l’Encyclopédie (ouvrage collectif) a une place et un rôle très particuliers.

« L’Encyclopédie fut bien plus qu’un livre. Ce fut une faction. À travers les persécutions, elle alla grossissant. L’Europe entière s’y mit. Belle conspiration générale qui devint celle de tout le monde. Troie entière s’embarqua elle-même dans le cheval de Troie. »1132

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-huitième siècle, Louis XV (1866)

L’affaire de l’Encyclopédie commence : le scepticisme de l’article « Certitude » alerte les jésuites et les jansénistes se mettent pour une fois dans leur camp.
7 février 1752, un arrêt du Conseil d’État interdit la vente et la détention des deux premiers tomes : l’Encyclopédie est accusée « d’élever les fondements de l’irréligion et de l’incrédulité […] d’insérer plusieurs maximes tendant à détruire l’autorité royale, à établir l’esprit d’indépendance et de révolte ».

La favorite royale Mme de Pompadour, par haine des jésuites, s’oppose à la persécution des Encyclopédistes et Malesherbes, directeur de la librairie (chargé de surveiller la publication des livres et donc responsable de la censure) est partisan d’une politique libérale. En mai 1752, le gouvernement prie Diderot et d’Alembert de se remettre à l’ouvrage… Mais la cabale continuera.

« L’homme est le terme unique d’où il faut partir et auquel il faut tout ramener. »

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, Article « Encyclopédie », 1751

Cette déclaration de foi philosophique pourrait être la définition-même de l’humanisme.

« Le but d’une encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre ; d’en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de les transmettre aux hommes qui viendront après nous ; afin que les travaux des siècles passés n’aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succèderont ; que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux, et que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain. »30

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, Article « Encyclopédie », 1751

Avec l’entreprise encyclopédique, Diderot espère qu’il aura « au moins servi l’humanité ». Dans une lettre à Sophie Volland datée du 26 septembre 1762, il peut déjà écrire : « Cet ouvrage produira sûrement avec le temps une révolution dans les esprits, et j’espère que les tyrans, les oppresseurs, les fanatiques et les intolérants n’y gagneront pas. Nous aurons servi l’humanité. »

Investie sur tous les fronts pour les libertés et contre l’intolérance, l’Encyclopédie, diffusée à vingt-cinq mille exemplaires avant 1789, aura été le plus puissant véhicule de la propagande philosophique.

Diderot le philosophe s’est adjoint le concours d’un scientifique réputé, Jean Le Rond d’Alembert, mathématicien et physicien, également philosophe et ami de Voltaire. Quelque deux cents contributeurs participeront à l’entreprise, sans oublier les précieuses illustrations.

En plus du Prospectus et de la supervision générale des articles, Diderot a personnellement rédigé plus de 3 000 articles, dont anatomie, art, autorité politique, beau, capuchon, christianisme, citoyen, encyclopédie, éclectisme, mélancolie, philosophie… À travers l’Encyclopédie, il condamne l’absolutisme, la monarchie de droit divin, dénonce les privilèges, les atteintes à la liberté du travail et la guerre. La nature et la force de son engagement personnel et évident, à la simple lecture des quelques citations suivantes, extraites de deux articles essentiels écrits dès 1751 : Autorité politique et Paix.

« Autorité politique »

« Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. »1059

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, article « Autorité politique »

Il rédige le plus hardi des articles en matière politique : c’est la condamnation de l’absolutisme qui s’inspire de Locke et rejoint le Rousseau du Contrat social. Selon Diderot, la seule autorité établie par la nature est la puissance paternelle, limitée dans le temps. Toute autre autorité ne peut avoir que deux sources : « la force et la violence de celui qui s’en est emparé, ou le consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat ».

« La puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent ; en sorte que si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts […] la même loi qui a fait l’autorité la défait alors : c’est la loi du plus fort. »1060

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, article « Autorité politique »

Dans ce cas, ceux qui secouent le joug ont raison : c’est la justification de l’insurrection sous un roi absolu. Montesquieu (quasiment aveugle et incapable d’écrire à la fin de sa vie) inspire la plupart des vues politiques de l’Encyclopédie qui condamne le despotisme, réserve la république aux petits États, loue la monarchie anglaise.

« Le prince tient de ses sujets mêmes l’autorité qu’il a sur eux ; et cette autorité est bornée par les lois de la nature et de l’État. »1061

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, article « Autorité politique »

C’est la négation formelle de la monarchie de droit divin, fondement de l’Ancien Régime. « Le prince ne peut donc pas disposer de son pouvoir et de ses sujets sans le consentement de la nation et indépendamment du choix marqué dans le contrat de soumission. » Dans l’article « Pouvoir », il reprendra la même idée : « Le consentement des hommes réunis en société est le fondement du pouvoir. »

« Le consentement des hommes réunis en société est le fondement du pouvoir. Celui qui ne s’est établi que par la force ne peut subsister que par la force »

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, Article « Autorité politique »

« Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. »

DIDEROT (1713-1784). Article « Autorité politique »

« Paix »

« La guerre est un fruit de la dépravation des hommes ; c’est une maladie convulsive et violente du corps politique. »1063

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, article « Paix »

Ces mots ne peuvent que nous toucher, avec la guerre en Ukraine de retour en Europe depuis 2022.

Siècle des Lumières, siècle de paix ou presque, mais né du siècle de Louis XIV où l’idéal de grandeur fut indissociable d’une politique guerrière et qui laisse la France épuisée de guerres.

Diderot dresse un réquisitoire enflammé contre ce fléau : « L’histoire ne nous fournit que des exemples de paix violées, de guerres injustes et cruelles, de champs dévastés, de villes réduites en cendres. L’épuisement seul semble forcer les princes à la paix ; ils s’aperçoivent toujours trop tard que le sang du citoyen s’est mêlé à celui de l’ennemi ; ce carnage inutile n’a servi qu’à cimenter l’édifice chimérique de la gloire du conquérant et de ses guerriers turbulents ; le bonheur de ses peuples est la première victime qui est immolée à son caprice ou aux vues intéressées de ses courtisans. »

« Si la raison gouvernait les hommes, si elle avait sur les chefs des nations l’empire qui lui est dû, on ne les verrait point se livrer inconsidérément aux fureurs de la guerre. Ils ne marqueraient point cet acharnement qui caractérise les bêtes féroces. »

DIDEROT (1713-1784). Encyclopédie, Article « Paix »

« L’épuisement seul semble forcer les princes à la paix ; ils s’aperçoivent toujours trop tard que le sang du citoyen s’est mêlé à celui de l’ennemi. »

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, Article « Paix »

« L’histoire ne nous fournit que des exemples de paix violées, de guerres injustes et cruelles, de champs dévastés, de villes réduites en cendres. »

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, Article « Paix »

 

4. Critique d’art, initiateur inspiré des Salons (rédigés entre 1759 et 1781).

« La sotte occupation que celle de nous empêcher sans cesse de prendre du plaisir, ou de nous faire rougir de celui que nous avons pris… celle du critique. »

DIDEROT (1713-1784), Pensées détachées sur la peinture, la sculpture et la poésie

Diderot n’a sans doute pas inventé la critique d’art comme on a pu le dire, mais il a révolutionné le genre avec bonheur – le sien et celui de ses lecteurs. Maître d’œuvre infatigable de l’Encyclopédie, le philosophe initie en même temps un vaste public (sinon déjà le grand public) aux choses de l’art.

Ses Salons sont les comptes rendus des Expositions organisées tous les deux ans par l’Académie royale de peinture et de sculpture dans le Salon Carré du Louvre entre 1759 et 1781. Ils ont été commandés à Diderot et diffusés par Frédéric Melchior Grimm dans son journal, la Correspondance littéraire.

« En vérité́, les critiques sont de sottes gens ! Pardon ! monsieur Vien, pardon ! Vous avez fait dix tableaux charmants ; tous méritent les plus grands éloges par leur précieux dessin et le style délicat dans lequel vous les avez traités. Que ne suis-je possesseur du plus faible de tous ! Je le regarderais souvent, et il serait couvert d’or lorsque vous ne seriez plus. »

DIDEROT (1713-1784), Salon de 1763

Il écrit ces mots, séduit par La Marchande à la toilette. Joseph-Marie Vien, artiste quasi quinquagénaire qui peinait à s’imposer est sitôt lancé comme « le restaurateur de l’école française » tentant d’allier l’imitation de la nature et des maitres anciens. La Du Barry remplace tous ses Fragonard par des œuvres du nouveau peintre à la mode – l’histoire ne dit pas si la jeune favorite de Louis XV regretta ce choix… les cotes des deux peintres ne peuvent se comparer, pas plus que leur talent. Mais Vien va se distinguer comme enseignant. Par son talent pédagogique, il fit évoluer la peinture française de l’époque rococo vers le néo-classicisme. Et c’est le seul artiste peintre qui aura droit au Panthéon – par décision de Napoléon rendant indirectement hommage au plus génial de ses élèves, David.

« Quand on écrit, faut-il tout écrire ? Quand on peint, faut-il tout peindre ? De grâce, laissez quelque chose à suppléer par mon imagination ! »

DIDEROT (1713-1784), Salon de 1763, à propos de La Bergerie de Boucher

Cette fois, il s’attaque au maître du « style rocaille », François Boucher, peintre le plus célèbre de son époque. « Quel abus du talent ! combien de temps de perdu ! Avec la moitié moins de frais, on eût obtenu la moitié plus d’effet. Entre tant de détails, tous également soignés, l’œil ne sait où s’arrêter ; point d’air, point de repos. »

« On s’arrête devant un Chardin, comme d’instinct, comme un voyageur fatigué de sa route va s’asseoir, sans presque s’en apercevoir, dans l’endroit qui lui offre un siège de verdure, du silence, des eaux, de l’ombre et du frais. »

DIDEROT (1713-1784), Salon de 1767. À propos de Ruines et Paysages » de Chardin

Hommage rendu à l’un des plus grands peintres académiques de son époque, reconnu pour ses natures mortes, ses peintures de genre et ses pastels. Diderot s’extasiait déjà au Salon de 1763 sur Le Bocal d’olives, assurant qu’›il fallait commencer par le copier pour apprendre le métier de peintre.

« Sachez qu’une allégorie commune quoique neuve, est mauvaise, et qu’une allégorie sublime, n’est bonne qu’une fois. C’est un bon mot usé, dès qu’il est redit. »

DIDEROT (1713-1784), Salon de 1767, à propos du tableau de Lagrenée, Le Clergé ou la Religion qui converse avec la Vérité

Cette incidente rappelle le Paradoxe sur le Comédien et l’art de converser dans un salon…

« Elle est belle, très belle de visage et de toute sa personne, belles formes, belle peau, belles mains, de la jeunesse, de la fraicheur, de la noblesse ; je ne sais pour moi ce qu’il fallait au fils de Jacob. Je n’en aurais pas demandé davantage, et je me suis quelquefois contenté de moins. Il est vrai que je n’ai pas l’honneur d’être fils de patriarche. »

DIDEROT (1713-1784), Salon de 1767 à propos d’un tableau de Lagrenée Le Chaste Joseph

Digression personnelle d’autant plus amusante qu’elle s’adresse au peintre d’histoire à la carrière aussi officielle que ses tableaux… d’ailleurs très appréciés de Diderot, le plus éclectique des amateurs éclairés.

5 Auteur de théâtre, romans, contes et autres dialogues à la pensée littéralement insaisissable.

Les Bijoux indiscrets (1748)

Premier roman de Diderot et roman libertin, publié anonymement. Édition clandestine, également anonyme, le libraire Laurent Durand assurant la publication.
Cette allégorie dépeint Louis XV le Bien Aimé (très amateur de femmes) sous les traits du sultan Mangogul du Congo. Il reçoit de Cucufa (un génie) l’anneau magique ayant le pouvoir de faire parler les vulves (« bijoux ») des femmes.

Mangogul essaie trente fois la bague censée dévoiler les secrets intimes des femmes de son royaume, en profitant généralement de leur sommeil. Il commente les résultats avec sa favorite, Mirzoza, toujours inquiète d’être la prochaine victime. Toutes les femmes de la cour y passent, chacune avec son caractère (la prude, la coquette, la joueuse, la manipulatrice…), son origine sociale (de la haute noblesse à la petite bourgeoise) et nationale (l’Anglaise, la Française, l’Italienne, la Turque). Les mœurs de la cour étant vues à partir du désir féminin, le roman décrit une société libérée où l’on multiplie les partenaires sexuels, les apparences trompeuses, alors que la vraie tendresse est rare.

Les débats d’idées au sein de la société française de l’époque ont incidemment leur place : éloge de Voltaire, histoire des mathématiques, sort des jansénistes, etc.

« On n’est point toujours une bête pour l’avoir été quelquefois. »

« Un homme de cœur ne doit point entrer chez la plupart des grands, ou doit laisser ses sentiments à la porte. »

« Quoi de plus commun de se croire deux nez au visage, et de se moquer de celui qui se croit deux trous au cul. »

« Il n’est pas nécessaire d’entendre une langue pour la traduire, puisque l’on ne traduit que pour des gens qui ne l’entendent point. »

« Les favorites du règne antérieur ne sont jamais les favorites du règne qui suit. »

 

Le Fils naturel (1757)

Drame en 5 actes, inspirée du Véritable Ami de Goldoni. Aujourd’hui injouable, cette pièce est dans l’air du temps et selon certains, révolutionne le genre. Rappelons aussi La Mère coupable de Beaumarchais.

L’argument est simple : Dorval renonce à son amour pour Rosalie, fiancée à son ami Clairville. Mais Dorval, enfant naturel, est le frère de Rosalie.

La pièce illustre les théories dramatiques de Diderot, exposées dans ses Entretiens sur le Fils naturel. Le drame qui plonge dans le pathétique quotidien met en valeur tous les bons sentiments. Mais le dramaturge veut remplacer la peinture classique des « caractères » par celle des conditions sociales et des relations familiales. Pour faire plus vrai, le dialogue est remplacé par langage du corps et la pantomime, quand le « moi » ne peut plus s’exprimer que par des mots inarticulés. Diderot organise ses scènes en autant de « tableaux réels » jusqu’au happy-end final, Dorval ayant à la fois retrouvé sa sœur et son père qui conclut…

« Puisse le ciel, qui bénit les enfants par les pères, et les pères par les enfants, vous en accorder qui vous ressemblent, et qui vous rendent la tendresse que vous avez pour moi ! »

 

Le Neveu de Rameau (1761-1772)

Dialogue philosophique entre Moi (le narrateur et l’intervenant) et Lui (Jean-François Rameau, neveu du célèbre compositeur Jean-Philippe Rameau). Ce neveu est un artiste original en tout, excentrique et extravagant, amoral et cynique, provocateur plein de contradictions, mélange de hauteur et de bassesse, de bon sens et de déraison, avec une vision matérialiste, hédoniste et cynique de la vie. Il incarne l’Athée dans un monde sans Dieu.

En réalité, c’est Diderot qui se parle à lui-même, la réflexion philosophique se heurtant à la réalité quotidienne. La morale est en jeu. Où est le bien, où est le mal,  que peut l’éducation, quelle place pour l’homme de génie dans la musique et la société ?… Des digressions réalistes interrompent le débat philosophique, avec allusion à des événements et des personnages réels.

Il faut resituer l’œuvre qui répond à une cabale anti philosophique visant particulièrement Diderot en tant que promoteur de l’Encyclopédie, mais aussi tous les philosophes des Lumières qui participent à cette entreprise. Pour ne pas répondre directement et s’engager dans une aventure politique risquée, l’auteur se lance dans cette aventure entre 1761 et 1772, texte sans cesse remanié, publié au XIXe siècle et joué (rarement) au théâtre, quand un grand comédien relève ce défi – ainsi Pierre Fresnay à la Michodière en 1963.

« Mes idées, ce sont mes catins. »

« Qu’avons-nous fait ? Ce que vous, moi et tous les autres font : du bien, du mal et rien. »

« Tous les gueux se réconcilient à la gamelle. »

« Si tout ici-bas était excellent, il n’y aurait rien d’excellent. »

« Il vaut mieux écrire de grandes choses que d’en exécuter de petites. »

« On avale à pleine gorgée le mensonge qui nous flatte, et l’on boit goutte à goutte une vérité qui nous est amère. »

« La voix de la conscience et de l’honneur est bien faible quand les boyaux crient. »

« L’argent des sots est le patrimoine des gens d’esprit. »

« On est dédommagé de la perte de son innocence par celle de ses préjugés. »

« Personne n’a autant d’humeur, pas même une jolie femme qui se lève avec un bouton sur le nez, qu’un auteur menacé de survivre à sa réputation. »

« Si l’on peut être homme d’esprit et grand joueur d’échecs, on peut être aussi un grand joueur d’échecs et un sot. »

« Quoi qu’on fasse, on ne peut se déshonorer quand on est riche. »

« Imaginez l’univers sage et philosophe ; convenez qu’il serait diablement triste ! »

« Je vois une infinité d’honnêtes gens qui ne sont pas heureux; et une infinité de gens qui sont heureux sans être honnêtes. »

« Il n’y a point de meilleur rôle auprès des grands que celui de fou. Longtemps il y a eu le fou du roi en titre; en aucun il n’y a eu en titre le sage du roi. »

« On crache sur un petit filou, mais on ne peut refuser une sorte de considération à un grand criminel: son courage vous étonne, son atrocité vous fait frémir. »

« Si le petit sauvage était abandonné à lui-même, il tordrait le cou à son père et coucherait avec sa mère. »

« L’homme comme l’enfant, aime mieux s’amuser que s’instruire. »

 

Le Rêve de D’Alembert (1769)

C’est un ensemble de trois dialogues philosophiques rédigés en 1769. Ils paraissent dans la Correspondance littéraire en 1782 (mais ne seront publiés qu’en 1830). Ils circulent dans les cercles philosophiques échappant ainsi à la censure. Mais Julie de Lespinasse et d’Alembert refusent d’être associés à ces entretiens. Diderot rédigera donc une version destinée à son amie Catherine de Russie, en changeant le nom des personnages.

1. Le premier dialogue met en présence D’Alembert et Diderot qui développe ses théories matérialistes sur la vie et la nature. La matière n’est pas figée, elle évolue, chaque espèce se transformant pour donner naissance à une nouvelle.

2. Le Rêve de D’Alembert met en scène le docteur Bordeu et Julie de Lespinasse discutant sur les notions de réalité, d’illusion, de mythe et de rêve. D’Alembert n’apparaît que dans les dernières pages, pour insinuer que les abstractions existent au-delà de l’opposition entre le matérialisme et le rêve.

3. La Suite de l’entretien entre D’Alembert et Diderot se place sur le terrain moral. Diderot expose la valeur du métissage, en botanique et dans le règne animal, sans aucune restriction, y compris l’homosexualité. Finalement, tout serait possible.

« Tout ce qui est ne peut être ni contre nature ni hors de nature ; je n’en excepte pas même la chasteté et la continence volontaires qui seraient les premiers crimes contre nature, si l’on pouvait pécher contre nature. »

« Ne convenez-vous pas que tout tient en nature et qu’il est impossible qu’il y ait un vide dans la chaîne ? Que voulez-vous donc dire avec vos individus ? Il n’y en a point, non, il n’y en a point… Il n’y a qu’un seul grand individu, c’est le tout. »

« Qui sait si ce bipède déformé […] qu’on appelle encore dans le voisinage du pôle un homme, et qui ne tarderait pas à perdre ce nom en se déformant un peu davantage, n’est pas l’image d’une espèce qui passe ? Qui sait s’il n’en est pas ainsi de toutes les espèces d’animaux ? Qui sait si tout ne tend pas à se réduire à un grand sédiment inerte et immobile ? »

« L’homme n’est peut-être que le monstre de la femme, ou la femme le monstre de l’homme. »

« Les avantages du mensonge sont d’un moment, et ceux de la vérité sont éternels ; mais les suites fâcheuses de la vérité, quand elle en a, passent vite, et celles du mensonge ne finissent qu’avec lui. »   

 

Paradoxe sur le comédien (1769 à 1777)

C’est d’abord un essai sur le jeu de l’acteur en forme de monologue, tiré d’un compte rendu critique en 1769 et transformé en dialogue entre un Premier et un Second interlocuteur, diffusé dans la Correspondance littéraire et publié à titre posthume en 1830. Le célèbre Constantin Stanislavski (acteur, metteur en scène et professeur d’art dramatique) y verra un document théorique majeur.

La thèse de Diderot est un paradoxe : le meilleur acteur n’est pas le plus sensible, celui qui met le plus de lui-même dans ce qu’il joue avec passion, mais l’acteur de sang froid (de « sens froid » écrit-on alors), gardant la tête froide et toute sa raison. Il ne cherche pas à s’identifier au personnage, il l’étudie, il l’imagine, il forge un « modèle idéal ». Après, il n’aura plus qu’à copier ce modèle qu’il perfectionne à chaque représentation, alors que l’acteur jouant de sa sensibilité donnera tout à la première, se lassant par la suite.

Diderot oppose ainsi deux espaces de représentation : le Salon où l’on cause, chacun mettant en valeur sa sensibilité sans jamais se répéter, et la Scène où la même histoire peut être répétée indéfiniment et de mieux en mieux. Mais cette forme de théâtre passe de mode et il faudrait alors jouer naturellement sur scène comme dans un salon ! C’est ce que Diderot tente de mettre en œuvre dans Le Fils naturel et de théoriser dans les Entretiens publiés avec le texte de la pièce. On se perd dans ce nouveau Paradoxe…. Et Diderot coupe court, nous laissant à nos interrogations.

« C’est l’extrême sensibilité qui fait les médiocres acteurs ; c’est la sensibilité médiocre qui fait la multitude des mauvais acteurs ; et c’est le manque absolu de sensibilité qui prépare les acteurs sublimes. »

« La larme qui s’échappe de l’homme vraiment homme nous touche plus que tous les pleurs d’une femme. »

 

Jacques le fataliste et son maître (1765 à 1784)

Ce « nouveau roman » complexe et déconcertant par son mélange des genres, ses digressions et une parenté avec le célèbre Don Quichotte de Cervantès reste l’œuvre de fiction la plus connue, la plus commentée et la plus souvent adaptée de Diderot. Les premières phrases donnent le ton :

« Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe ? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut. »

DIDEROT (1713-1784), Jacques le Fataliste, incipit

Non roman qui se moque des poncifs du genre, dialogue philosophique et voyage prétexte au récit des amours de Jacques, personnage plus complexe que le simple valet de comédie : « une espèce de philosophe » bavard et quelques peu fataliste qui conte ses aventures amoureuses, interrompu par son maître, par des interventions ou incidents extérieurs, par des « histoires » autonomes venant se substituer au récit initial, et même des discussions entre le narrateur et le lecteur.

Le thème du voyage est le but affiché : Jacques et son maître voyagent pour « affaires ». Mais les amours de Jacques prennent une place centrale, le Maître priant continuellement Jacques de lui narrer ses aventures galantes. Jacques va alors raconter son éducation sexuelle, mais il bouleverse la chronologie et donne beaucoup d’importance à sa première expérience sexuelle qu’à son enfance. Les amours de Jacques s’achèvent différemment selon les trois versions de la fin, cependant que des récits se greffent…

Pour Diderot, tout est prétexte à placer ses thèses sur le relativisme moral, la critique de l’Église, le matérialisme, la sexualité… Mais le « fatalisme » de Jacques n’est pas du tout celui de Diderot. Une action peut modifier la fin qui nous attend. Le « déterminisme » est un terme encore inconnu, sinon Diderot aurait pu en user…

« On ne sait de quoi se réjouir, ni de quoi s’affliger dans la vie. Le bien amène le mal, le mal amène le bien. »

« Tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas est écrit là-haut. »

« Sais-tu qui sont les mauvais pères? Ce sont ceux qui ont oublié les fautes de leur jeunesse. »

« Si vous me savez peu de gré de ce que je vous dis, sachez-m’en beaucoup de ce que je ne vous dis pas. »

« Un historien qui suppose à ses personnages des discours qu’ils n’ont pas tenus, peut aussi leur supposer des actions qu’ils n’ont pas faites. »

« Est-ce qu’on est maître de devenir ou de ne pas devenir amoureux ? Et quand on l’est, est-on maître d’agir comme si on ne l’était pas ? »

« Un fou (…) c’est un homme dangereux ; et par conséquent un homme heureux est sage. »

« Si l’on ne dit presque rien dans ce monde qui soit entendu comme on le dit, il y a bien pis, c’est qu’on n’y fait presque rien qui soit jugé comme on l’a fait. »

« C’est qu’il n’y a du danger que pour ceux qui parlent, et je me tais. »

« Vous êtes quelquefois si profond et si sublime, que je ne vous entends pas. »

« Il n’y a que les femmes qui sachent aimer ; les hommes n’y entendent rien… »

« On passe les trois quarts de sa vie à vouloir, sans faire. »

« Les hommes faibles sont les chiens des hommes fermes. »

« On ne peut s’intéresser qu’à ce qu’on croit vrai. »

« Nous croyons conduire le destin, mais c’est toujours lui qui nous mène. »

« On ne fait jamais tant d’enfants que dans les temps de misère. »

« Il y a longtemps que le rôle de sage est dangereux parmi les fous. »

« Tous les jours on couche avec des femmes qu’on n’aime pas, et l’on ne couche pas avec des femmes qu’on aime. »

 

Supplément au Voyage de Bougainville (1772)

Sous-titré Dialogue entre A et B sur l’inconvénient d’attacher des idées morales à certaines actions physiques qui n’en comportent pas, c’est un conte philosophique écrit en mai 1772 et publié à titre posthume en 1796. Il fait suite au Voyage autour du monde de Louis-Antoine de Bougainville, publié en 1771.

A et B, discutent du Voyage de Bougainville. Un prétendu Supplément remet en question certaines évidences énoncées par Bougainville, premier Français ayant fait le tour du monde.

La forme présente toutes les caractéristiques du style de Diderot et du dialogue philosophique du siècle : dialogue entre deux anonymes (A et B) ; structure complexe (récits enchâssés) ; suite ou complément imaginaire à un texte réel ; mise en abyme.

Le fond part de l’évocation d’une société tahitienne utopique, incarnée par Orou, beau Tahitien de 35 ans, pour interroger les principes régissant l’organisation de la société : le droit naturel, les lois, Dieu, la morale, la nécessité. Pour Diderot, la loi naturelle est la seule loi indiscutable. Il remet en cause les autres lois fondamentales, en parallèle avec ce qui se passe dans la nature.

« Méfiez-vous de celui qui veut mettre de l’ordre. Ordonner, c’est toujours se rendre le maître des autres en les gênant. »

« Nous parlerons contre les lois insensées jusqu’à ce qu’on les réforme et en attendant, nous nous y soumettrons aveuglément. »

« Orou : La vie sauvage est si simple, et nos sociétés sont des machines si compliquées ! L’Otaïtien touche à l’origine du monde et l’Européen touche à sa vieillesse. L’intervalle qui le sépare de nous est plus grand que la distance de l’enfant qui naît à l’homme décrépit. Il n’entend rien à nos usages, à nos lois, ou il n’y voit que des entraves déguisées sous cent formes diverses, entraves qui ne peuvent qu’exciter l’indignation et le mépris d’un être en qui le sentiment de la liberté est le plus profond des sentiments. »

« Orou : Dis-moi si, dans quelque contrée que ce soit, il y a un père qui, sans la honte qui le retient, n’aimât mieux perdre son enfant, un mari qui n’aimât mieux perdre sa femme, que sa fortune et l’aisance de toute sa vie. »

« A. Et la jalousie ?
B. Passion d’un animal indigent et avare qui craint de manquer; sentiment injuste de l’homme; conséquence de nos fausses mœurs, et d’un droit de propriété étendu sur un objet sentant, pensant, voulant et libre. »

 

La Religieuse (1780)

Diderot s’est inspiré de faits réels particulièrement choquants à ses yeux d’athée, pour faire revenir à Paris un ami, le marquis de Croismare, en imaginant les lettres d’une religieuse sollicitant l’aide du marquis pour s’extraire du cloître où elle est retenue malgré elle. Le roman est finalement considéré comme « l’aboutissement romanesque d’une mystification dont l’intrigue a été postérieurement incorporée au récit sous forme de préface-annexe. »

Résumons l’histoire. Ses parents ont forcé Suzanne Simonin à entrer en religion – au prétexte que ses deux sœurs seront ainsi mieux dotées, mais surtout pour éloigner une fille illégitime et permettre à sa mère d’expier une faute de jeunesse.

Suzanne, bien que croyante, se révolte contre la vie conventuelle dans l’abbaye royale des Clarisses de Longchamp. Après la mort de la mère supérieure, une mystique qui s’était prise d’amitié pour elle, Suzanne veut rompre ses vœux et intente un procès à la communauté. La nouvelle supérieure lui fait alors subir un harcèlement moral et physique, avant de l’enfermer comme possédée. Suzanne perd son procès, mais l’avocat qui l’a prise en pitié obtient son transfert dans un autre couvent appartenant à la communauté de Sainte-Eutrope.

Suzanne, toujours croyante, pardonne à ses bourreaux, mais sa nouvelle supérieure entreprend de la séduire par tous les moyens ! Repoussée, consciente de sa perversité, elle se livre aux lacérations et au jeûne avant de sombrer totalement dans la folie et de mourir… Incapable de supporter plus longtemps le calvaire du cloître, Suzanne réussit à s’enfuir. L’infortunée jeune fille vit dans la clandestinité, attendant l’aide du marquis de Croismare tout en craignant d’être reprise.

Diderot qui achève son roman en 1780 le fait diffuser en feuilleton dans la Correspondance littéraire, philosophique et critique. Il sera édité à titre posthume en 1796.

Cette œuvre violemment anticléricale dénonce le monde clos des couvents qui entraîne la dégradation de la nature humaine. Oisiveté, inutilité sociale, promiscuité plongent peu à peu les recluses dans les rêveries morbides ou mystiques, dans la folie et parfois au suicide. A contrario, c’est une ode à la liberté de choisir son destin.

La Religieuse revivra deux fois au cinéma. La version signée Jacques Rivette aura les honneurs de la censure et finira par sortir en 1967, bénéficiant d’une aura scandaleuse. Une seconde version en 2013 ne rencontrera pas le même succès critique et public.

« Je puis tout pardonner aux hommes, excepté l’injustice, l’ingratitude et l’inhumanité. »

« La bonne religieuse est celle qui apporte dans le cloître quelque grande faute à expier. »

« Le même mal vient, ou de Dieu qui nous éprouve, ou du diable qui nous tente. »

« L’acharnement à tourmenter et à perdre se lasse dans le monde ; il ne se lasse point dans les cloîtres. »

« Il faut peut-être plus de force d’âme encore pour résister à la solitude qu’à la misère; la misère avilit, la retraite déprave. »

«  Requiescat in pace. Il faut entendre la langue des couvents pour connaître l’espèce de menace contenue dans ces derniers mots. »

 

6. Athée militant entre autres engagements politiques exemplaires du philosophe.

Un athéisme plus viscéral que philosophique

« Jamais aucune religion ne fut aussi féconde en crimes que le christianisme ; depuis le meurtre d’Abel jusqu’au supplice de Calas, pas une ligne de son histoire qui ne soit ensanglantée. »

DIDEROT (1713-1784), Salon de 1763

Le philosophe est engagé au point qu’il mêle ses convictions politiques à ses propos artistiques ! Allusion faite ici à l’Affaire Calas pour laquelle Voltaire s’est également battu comme l’un de nos premiers « intellectuels engagés », faisant appel à ses amis influents, dont le ministre Choiseul et le duc de Richelieu, afin d’obtenir la révision du procès Calas, négociant protestant, victime d’une des plus graves erreurs judiciaires du siècle. Au terme de trois ans de lutte, c’est une victoire personnelle du philosophe et le triomphe de la justice sur des institutions judiciaires souvent incompétentes, et d’autant plus partiales que l’accusé n’était pas de religion catholique !

« Si la raison est un don du Ciel et que l’on puisse en dire autant de la foi, le Ciel nous a fait deux présents incompatibles et contradictoires. »1056

DIDEROT (1713-1784), Addition aux pensées philosophiques (1762)

Dès 1746, il milite dans les Pensées philosophiques pour la religion naturelle et contre le christianisme. Il est plus violent dans l’Addition. Son matérialisme nie « qu’une intelligence suprême ait fait, ordonné, disposé tout à quelque bien général ou particulier », puisque tout s’explique aussi bien mécaniquement. Autre argument de Diderot : « La pensée qu’il n’y a point de Dieu n’a jamais effrayé personne » – mais elle contrarie fort Voltaire, fervent déiste.

« Le fanatisme est une peste qui reproduit de temps en temps des germes capables d’infester la terre. »1057

DIDEROT (1713-1784), Encyclopédie, article « Christianisme »

L’Encyclopédie est aussi hardie sur le plan religieux que prudente en politique, sauf quand Diderot prend la plume ! Frère de Voltaire par la pensée, il écrit dans l’article Intolérance : « L’intolérant est un méchant homme, un mauvais chrétien, un sujet dangereux, un mauvais politique et un mauvais citoyen. »

« Cette religion étant, à mon sens, la plus absurde et la plus atroce dans ses dogmes; la plus inintelligible, la plus métaphysique, la plus entortillée et par conséquent la plus sujette à divisions, sectes, schismes, hérésies; la plus funeste à la tranquillité publique, la plus dangereuse pour les souverains par son ordre hiérarchique, ses persécutions et sa discipline; la plus plate, la plus maussade, la plus gothique et la plus triste dans ces cérémonies; la plus puérile et la plus insociable dans sa morale considérée, non dans ce qui lui est commun avec la morale universelle, mais dans ce qui lui est propre et ce qui la constitue morale évangélique, apostolique et chrétienne; la plus intolérante de toutes. »

DIDEROT (1713-1784), « Lettre à Viallet » (juillet 1766), dans Correspondance Inédite (posthume, 1931)

C’est dans sa Correspondance (en partie inédite de son vivant) qu’il se lâche avec le plus de violence. Qui peut alors lui donner des leçons en matière d’engagement !? Qui peut se dire plus athée que Diderot !? Et d’autres sources, d’autres citations viennent appuyer cette conviction.

« Lorsque le prêtre favorise une innovation, elle est mauvaise : lorsqu’il s’y oppose, elle est bonne. »

DIDEROT (1713-1784), Principes de politique des souverains (1774)

« On demandait un jour à quelqu’un s’il y avait de vrais athées. Croyez-vous répondit-il qu’il y ait de vrais chrétiens ? »

DIDEROT (1713-1784). Pensées philosophiques (1746)

« L’idée qu’il n’y a pas de Dieu ne fait trembler personne; on tremble plutôt qu’il y en ait un. »

DIDEROT (1713-1784). Addition aux pensées philosophiques

Et de conclure : « Dieu : un père comme celui-là, il vaut mieux ne pas en avoir. »

« Quel est donc ce Dieu ? Un Dieu plein de bonté… Un Dieu plein de bonté trouverait-il du plaisir à se baigner dans les larmes ? »

DIDEROT (1713-1784), Pensées philosophiques (1746)

« Parce qu’un homme a tort de ne pas croire en Dieu, avons-nous raison de l’injurier ? On n’a recours aux invectives que quand on manque de preuves. »

DIDEROT (1713-1784). Pensées philosophiques (1746)

 

Autres engagements sans équivoque

« Une guerre interminable, c’est celle du peuple qui veut être libre, et du roi qui veut commander. »1064

DIDEROT (1713-1784), Principes de politique des souverains (1774)

Vue prophétique. Tous les philosophes du siècle ont d’ailleurs annoncé la Révolution, sans la vouloir et sans le savoir.

« Un État chancelle quand on en ménage les mécontents. Il touche à sa ruine quand on les élève aux premières dignités. »956

DIDEROT (1713-1784), Principes de politique des souverains (1774)

Paradoxe majeur de ce siècle de tous les paradoxes : les privilégiés luttent contre le régime, s’opposant à toute réforme, et c’est sur eux que le pouvoir s’appuie.

« Je vois tant d’illustres fainéants se déshonorer sur les lauriers de leurs ancêtres, que je fais un peu plus de cas du bourgeois ou du roturier ignoré qui ne se gonfle point du mérite d’autrui. »963

DIDEROT (1713-1784), Pages contre un tyran (posthume)

La bourgeoisie du temps est réputée laborieuse, économe et sévère autant que la noblesse est gaspilleuse, jouisseuse et corrompue. Cette nouvelle classe qui s’enrichit se montre aussi avide de confort matériel que de « Lumières » philosophiques. C’est une nouvelle clientèle pour les artistes et les artisans, un nouveau public pour les théâtres et les concerts. Diderot la donne en exemple, Chardin la peint, Marivaux la met en scène.

« Si un Taïtien [Tahitien] débarquait un jour sur vos côtes et s’il gravait sur une de vos pierres ou sur l’écorce d’un de vos arbres : ce pays appartient aux habitants de Taïti [Tahiti], qu’en penserais-tu ? »973

DIDEROT (1713-1784). Encyclopædia Universalis, article « Denis Diderot »

Certains philosophes, comme Diderot, vont plus loin dans l’anticolonialisme que Turgot et mettent en cause le principe même de la colonisation, en particulier le droit de l’occupant. D’autres, tel l’abbé Raynal, affichent carrément leur anticolonialisme, ou tel Montesquieu, réagissent contre le principe même de l’esclavage.

« Il faut lui [le peuple] permettre la satire et la plainte : la haine renfermée est plus dangereuse que la haine ouverte. »

DIDEROT (1713-1784), Principes de politique des souverains (1774)

Avec la masse des pamphlets et libelles polémiques et parfois orduriers dont l’époque se fit l’écho, on a pu parler de ces « basses Lumières » qui sapent les bases du régime presque aussi sûrement que les grandes Lumières.

7. Jugements divers sur « Frère Tonpla » dit aussi « le Pantophile » cher à Voltaire.

« Sans avoir jamais vu M. Diderot […] j’ai toujours respecté ses profondes connaissances. »

VOLTAIRE (1694-1778), dans une lettre à Palissot du 4 juin 1760

Ils ont échangé des lettres, Voltaire collabore à l’Encyclopédie de Diderot pour quelques articles et l’a peut-être rencontré lors de son dernier séjour à Paris, l’année de sa mort. Mais Diderot ne partage pas la vie mondaine du « roi Voltaire » dont la postérité sera sans commune mesure avec la sienne. La reconnaissance tant espérée viendra plus tard.

« Vivez longtemps, monsieur, et puissiez-vous porter des coups mortels au monstre dont je n’ai mordu que les oreilles. Si jamais vous retournez en Russie, daignez donc passer par mon tombeau. »,

VOLTAIRE (1694-1778), dans une lettre à Diderot du 14 août 1776

Et d’ajouter cette triste évidence : « Ce qu’il y a d’affreux, c’est que les philosophes ne sont point unis, et que les persécuteurs le seront toujours. » Mais si différents qu’ils soient, Voltaire et Diderot sont restés amis.

« Pour que la Révolution soit, il ne suffit pas que Montesquieu la présente, que Diderot la prêche, que Beaumarchais l’annonce, que Condorcet la calcule, qu’Arouet la prépare, que Rousseau la prémédite ; il faut que Danton l’ose. »1289

Victor HUGO (1802-1885), Les Misérables (1862)

Distribution des rôles classique où chaque philosophe a sa place. Il est vrai que « Frère Tonpla » appelait de ses vœux un changement de régime complet. Il a quand même inspiré le plus grand révolutionnaire, Danton.

« Si de Rousseau vint Robespierre, « de Diderot jaillit Danton ». »1300

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France au dix-huitième siècle, Louis XV, citant Auguste COMTE (1798-1857)

Il montre l’influence des philosophes du siècle des Lumières sur les révolutionnaires. Elle est évidente, mais chacun a le sien. La richesse, la diversité, la complexité de Diderot, homme de tous les paradoxes, devaient naturellement plaire à Danton – et repousser l’intransigeant Robespierre.

« La plus haute efficacité de l’esprit est d’éveiller l’esprit. »1067

GOETHE (1749-1832) rendant hommage à Diderot. Littérature du XVIIIe siècle (nombreuses éditions à partir des années 1950), Lagarde et Michard

Ce mot du plus grand écrivain allemand sur le philosophe français s’applique surtout à « son » Encyclopédie. Simple entreprise de librairie à l’origine, voulant exploiter la vogue croissante des sciences et présenter au public un répertoire du savoir humain, elle devient l’effort gigantesque de toute une « armée ». Le Prospectus l’annonce comme « un tableau général des efforts de l’esprit humain dans tous les genres et dans tous les siècles ».

L’œuvre développe dans le public le goût de la recherche scientifique et l’esprit de libre examen sur des « points chauds » aussi sensibles que la religion, la morale et la politique. L’Encyclopédie annonce le mouvement d’opinion qui aboutira aux États généraux de 1789, mais la Révolution transforme bientôt le cosmopolitisme en nationalisme conquérant, le pacifisme en militarisme, la tolérance en fanatisme, la liberté en Terreur. Le destin des idées, leur chemin dans l’histoire échappent toujours à leurs auteurs.

« Diderot fut cet homme, moule vaste et bouillonnant où tout se fond, où tout se broie, où tout fermente ; capacité la plus encyclopédique qui fût alors, mais capacité active, dévorante à la fois et vivifiante, animant, embrasant tout ce qui y tombe et le renvoyant au dehors dans des torrents de flamme et aussi de fumée. »

SAINTE-BEUVE (1804-1869), Les Lumières et les salons, anthologie posthume (1992)

Le plus grand critique de son temps est celui qui comprend le mieux la complexité de Diderot et son originalité.

« Entre Voltaire, Buffon, Rousseau et d’Holbach, entre les chimistes et les beaux esprits, entre les géomètres, les mécaniciens et les littérateurs, entre ces derniers et les artistes, sculpteurs ou peintres, entre les défenseurs du goût ancien et les novateurs comme Sedaine, Diderot fut un lien. »

SAINTE-BEUVE (1804-1869), Les Lumières et les salons, anthologie posthume (1992)

« Diderot est un homme consolant à voir et à considérer. Il est le premier grand écrivain en date qui appartienne décidément à la moderne société démocratique. Il nous montre le chemin et l’exemple : être ou n’être pas des académies, mais écrire pour le public, s’adresser à tous, improviser, se hâter sans cesse, aller au réel, au fait, même quand on a le culte de la rêverie ; donner, donner, donner encore, sauf à ne recueillir jamais ; plutôt s’user que se rouiller, c’est sa devise. Voilà ce qu’il a fait jusqu’à la fin, avec énergie, avec dévouement, avec un sentiment parfois douloureux de cette déperdition continuelle. »

SAINTE-BEUVE (1804-1869), Les Lumières et les salons, anthologie posthume (1992)

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