« Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Discours à la Jeunesse, Albi, le 30 juillet 1903
Fils de la petite bourgeoisie provinciale, Jaurès se révèlera plus attaché à son Sud-Ouest natal qu’à sa classe sociale. Né à Castres (Tarn), reçu premier à l’École normale supérieure en philosophie (devant Bergson), jeune professeur à Albi et à Toulouse, il se lance dans la carrière politique en 1885, comme député à Castres.
Républicain modéré mais historien passionné par la Révolution, il découvre le vrai visage de la République aux mains des capitalistes après la grande grève des mineurs de Carmaux (1892)… et devient socialiste. Rappelons que le socialisme, né utopique avec Saint-Simon et Fourier pour devenir marxiste avec Marx et anarchiste avec Proudhon, reste la grande idée du siècle.
Élu et réélu député jusqu’à sa mort (sauf entre 1898 et 1902), brillant orateur à la tribune, capable de tenir tête à Clemenceau comme de s’imposer à la foule sur tous les terrains de la contestation, Jaurès devient le défenseur des ouvriers en lutte et se bat inlassablement pour l’unité des forces politiques et syndicales de gauche.
Convaincu de l’innocence de Dreyfus, il s’engage avec les socialistes (et Clemenceau) dans l’Affaire. Il crée le journal l’Humanité en 1904. Leader du socialisme français, il participe en 1905 à la fondation de la SFIO qui rassemble non sans mal les différents courants socialistes français. Il milite désormais pour une révolution démocratique et non violente : « Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. »
Après 1905, son pacifisme le rend très impopulaire chez les nationalistes qui l’accusent de trahison. Le 31 juillet 1914, son assassinat par le nationaliste Raoul Villain est suivi le 3 août par la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France. Plus d’un siècle après sa mort, nombre de politiciens se réfèrent à Jaurès.
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1. Jean Jaurès, un grand homme politique engagé sur tous les fronts jusqu’à sa mort brutale (54 ans)
« Il n’y a que trois choses qui dégradent le courage d’un peuple : c’est le mensonge, la paresse et le défaut d’idéal. »1
Jean JAURÈS (1859-1914), cité par Max Gallo, Le Grand Jaurès (1984)
Telle est son intime conviction, l’une de ces vérités témoignant de la pensée de Jaurès, de sa clairvoyance et de la modernité de sa pensée.
Passionné par la politique indispensable pour faire évoluer la société, il ne connaît que trop la « République des camarades » dénoncée sous la Troisième : « J’éprouve la nausée de tous les mensonges, de toutes les combinaisons égoïstes, de toutes les brutalités plates par lesquelles les hommes d’argent servis par les hommes de pouvoir essaient de prolonger leur domination. » Mais rien ne le découragera de la tâche à accomplir.
« Ce n’est pas ma faute si la République a été accaparée et détournée de son esprit et de son œuvre par une classe égoïste… »2
Jean JAURÈS (1859-1914), Discours de juillet 1905, Discours et conférences
Sans la nommer, il vise la bourgeoisie, grande gagnante économique et politique au XIXe siècle, cible des auteurs de théâtre comique et des mouvements sociaux qui aboutiront fatalement au pire, à la révolution ou à la guerre… « Mais qu’il me soit permis de le dire à ceux-là qui s’inquiètent aujourd’hui de toutes les colères populaires amassées contre certains hommes, c’est là une inévitable et dangereuse rançon ! »
« Je porte en mon cœur un rêve de fraternité et de justice, et je veux travailler jusqu’au bout à le réaliser. »
Jean JAURÈS (1859-1914), cité par Max Gallo, Le Grand Jaurès (1984)
Il parle en historien de la Révolution, sa période préférée, en même temps qu’en socialiste de cœur et de raison. « Je n’aime pas les querelles de race, et je me tiens à l’idée de la Révolution française, si démodée et si prudhommesque qu’elle semble aujourd’hui, c’est qu’au fond il n’y a qu’une race : l’humanité. »
Impossible de ne pas le comparer à cet autre grand républicain barbu que Jaurès admire à divers titres : « Les hommes qui ont le sens de l’éternel comme Hugo sont les seuls qui aient vraiment le sens de leur temps. »
« C’est en poussant à bout le mouvement économique que le prolétariat s’affranchira et deviendra l’humanité. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste de la France contemporaine (1789-1900) sous la direction de J. Jaurès
L’histoire socialiste dirigée par Jaurès n’est pas une lecture politiquement orientée, mais une interprétation économique des évènements qui se sont déroulés en France de 1789 à la fin du XIXe siècle. La Révolution a préparé indirectement l’avènement du prolétariat et réalisé les deux conditions du socialisme : la démocratie et le capitalisme, avec l’avènement politique de la classe bourgeoise.
Selon le socialisme (doctrine née utopiste au début du XIXe), l’homme doit travailler pour vivre et transformer la nature. De cette exploitation nait une société où les rapports sont dictés par la coexistence de plusieurs classes sociales : les forces productives. Ce système ne peut s’épanouir qu’en renversant les structures politiques qui l’en empêchent. La Révolution est ainsi née des contradictions entre l’évolution des forces productives de la nouvelle bourgeoisie nourrie des Lumières et des structures politiques héritées de la noblesse féodale.
Cette Histoire socialiste comprend 12 tomes (les quatre premiers signés Jaurès).
1. Introduction, La Constituante (1789-1791) – 2. La Législative (1791-1792) – 3. La Convention I (1792) - 4. La Convention II (1793-1794 – 5. Thermidor et Directoire (1794) – 6. Consulat et Empire (1799-1815) - 7. La Restauration (1815-1830) – 8. Le règne de Louis Philippe (1830-1848) – 9. La République de 1848 (1848-1852) – 10. Le Second Empire (1852-1870) – 11. La Guerre franco-allemande (1870-1871) et La Commune (1871) – 12. Conclusion : le bilan social du XIXe siècle.
« Il y avait dans la France révolutionnaire une telle force de passion, un orgueil si véhément de liberté que, même si elle avait pu mesurer exactement l’étendue de la lutte où elle entrait, elle n’aurait pas reculé. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste de la Révolution française, 1901-1908
La Révolution française (en quatre tomes) est la partie la plus originale, éditée à part, revue et annotée, souvent rééditée, toujours citée, chef-d’œuvre d’écriture et de lyrisme, évoquant au plus près les acteurs et les drames de cette période majeure.
L’analyse de Jaurès, historien et philosophe, se situe sous le triple patronage du lyrisme de Michelet, des portraits de Plutarque et du matérialisme historique de Marx. Elle a profondément marqué l’historiographie de la Révolution française, contribuant à développer « l’histoire d’en bas », celle des mouvements populaires pendant le processus révolutionnaire.
Trois citations donnent une idée – forme et fond – de Jaurès auteur et annoncent l’acteur politique majeur sous la Troisième République jusqu’à la Grande Guerre.
« Le premier des droits de l’homme c’est la liberté individuelle, la liberté de la propriété, la liberté de la pensée, la liberté du travail. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste de la Révolution française, 1901-1908
« C’est en poussant à bout le mouvement économique que le prolétariat s’affranchira et deviendra l’humanité. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste de la Révolution française, 1901-1908
« Si les hommes qui tuaient à l’Abbaye, à la Force, à la Conciergerie avaient conservé quelque lucidité d’esprit, quelque équilibre de raison, ils se seraient demandé, en un éclair de rapide conscience : Ces meurtres ajoutent-ils à la force de la Révolution ? Et ils auraient pressenti le long frisson de dégoût de l’humanité. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste de la Révolution française, 1901-1908
« Il ne peut y avoir de révolution que là où il y a conscience. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Études socialistes, recueil d’articles publiés dans les Cahiers de la Quinzaine de Charles Péguy en 1901
Telle est son intime conviction, parallèle à son Histoire socialiste de la Révolution française et à l’observation des faits qui l’ont précédée et suivie. Il fallait le Siècle des lumières et l’opinion publique éclairée de la classe bourgeoise pour réaliser cet acte fondateur dans l’Histoire. De même qu’il faudra l’éducation (gratuite et obligatoire) pour sensibiliser et pousser à l’action les classes populaires majoritaires (paysans et ouvriers).
« N’ayant pas la force d’agir, ils dissertent. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste de la France contemporaine (1789-1900) sous la direction de J. Jaurès
Cette vérité vaut bien au-delà du contexte rappelé par Jaurès historien, évoquant la Deuxième République et la Commune de Paris :
« En 1848, la participation du prolétariat au pouvoir est presque fictive : Louis Blanc et l’ouvrier Albert sont paralysés au gouvernement provisoire ; et une bourgeoisie perfide organise contre eux la tricherie des ateliers nationaux. Les socialistes discutent platoniquement au Luxembourg, ils abdiquent et se résignent à n’être qu’une impuissante Académie. N’ayant pas la force d’agir, ils dissertent. Puis, quand la classe ouvrière trompée se soulève en juin, elle est écrasée avant d’avoir pu une minute toucher au pouvoir. En 1871 les fils des combattants de Juin ont tenu le pouvoir ; ils l’ont exercé ; ils n’ont pas été l’émeute, ils ont été la Révolution. » Mais la Commune a fini dans le sang et Thiers a initié la (Troisième) République plus réactionnaire que nature, sous la présidence de Mac-Mahon. Tant bien que mal, c’est une réussite économique, au mépris des classes populaires sans lois sociales.
« Je trouve douloureux que nous reprochions aux siècles passés les famines qui venaient de la pauvreté, de la misère, quand dans l’abondance et dans la puissance des moyens de production d’aujourd’hui, nous ne pouvons pas toujours, nous ne savons pas, ou nous ne voulons pas épargner aux hommes ces dures épreuves ! »
Jean JAURÈS (1859-1914), Discours de janvier 1910, Discours et conférences (posthume, 2014)
… « Famines de l’Inde, d’Irlande, chômages meurtriers dans nos civilisations industrielles ! Oh ! messieurs, glorifions le présent, mais avec mesure, avec sobriété, avec modestie ! »
C’est l’historien qui parle et nourrit les nombreux discours de l’orateur socialiste dont la première qualité (rare en politique) est la franchise.
« L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir. L ‹histoire humaine n’est qu’un effort incessant d’invention, et la perpétuelle évolution est une perpétuelle création. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Discours à la jeunesse, Albi, le 30 juillet 1903
Discours célèbre et souvent cité d’un homme politique qui fut d’abord professeur agrégé et maître de conférence, toujours soucieux de l’enseignement – un des points forts de la Troisième République souvent décriée à juste titre, mais à qui nous devons l’éducation publique, gratuite et obligatoire avec les lois Ferry de 1881-1882.
Notons aussi le rôle majeur assigné par Jaurès à l’Histoire – souvent dénigrée par les philosophes ou (mal) instrumentalisée par les politiques : école de patience et d’espoir, exemple de progrès et de création.
Autre vecteur de sa pensée et de son action, le journalisme. Fidèle au quotidien régional la Dépêche (du Midi), né à Toulouse en 1870, Jaurès va créer son propre titre dont le nom s’impose à lui : l’Humanité.
« Le nom même de ce journal, en son ampleur, marque exactement ce que notre parti se propose. C’est, en effet, à la réalisation de l’humanité que travaillent tous les socialistes… »22
Jean JAURÈS (1859-1914), L’Humanité, « Notre but », éditorial du premier numéro, lundi 18 avril 1904. Cité dans L’Humanité, 17 avril 2023
« L’humanité n’existe point encore ou elle existe à peine. À l’intérieur de chaque nation, elle est compromise et comme brisée par l’antagonisme des classes, par l’inévitable lutte de l’oligarchie capitaliste et du prolétariat. Seul le socialisme, en absorbant toutes les classes dans la propriété commune des moyens de travail, résoudra cet antagonisme et fera de chaque nation, enfin réconciliée avec elle-même, une parcelle d’humanité. »
Le journal de quatre pages (bientôt six), vendu cinq centimes, tiré à 130 000 exemplaires et sous-titré « Journal socialiste quotidien » promeut l’unification du mouvement socialiste français – devenant plus tard l’un des leviers de la lutte révolutionnaire contre le capitalisme.
Dans son premier édito, Jaurès fixe deux règles de fonctionnement à son journal : l’indépendance financière et la recherche d’information pour donner « à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde ». Au sein de sa rédaction,
Aristide Briand, Léon Blum, René Viviani, Octave Mirbeau, Henry de Jouvenel… En 1905, l’unification des socialistes français au sein de la SFIO ouvre le journal à l’ensemble du mouvement socialiste français (guesdistes compris). Il défend des positions pacifistes et antimilitaristes en accord avec l’internationalisme du mouvement ouvrier. Il s’engage pour la laïcité, la défense de la classe ouvrière.
Été 1914, la vie du journal est bouleversée par l’assassinat de Jaurès, suivi trois jours après par la guerre. L’Humanité deviendra l’organe officiel du Parti communiste français, ouvrant ses pages à d’autres composantes de la gauche en 1994.
« Qu’est-ce que l’art ? Qu’est-ce que l’idéal ? C’est l’épanouissement de l’âme humaine. Qu’est-ce que l’âme humaine ? C’est la plus haute fleur de la nature. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Discours de la distribution des prix, Albi, 31 juillet 1888
Jaurès se place ici dans une démarche idéaliste, aux antipodes du matérialisme socialiste, doctrine philosophique qui affirme le primat de la matière sur l’esprit. Même source, preuve que l’éducation lui tient particulièrement à cœur :
« L’œuvre d’art, quand elle est vraiment belle, est quelque chose de complet, d’achevé. »
« Il est bien vrai que la beauté de la science et de l’art est consolatrice. »
Jaurès n’était pas seulement l’homme de l’union des gauches, le créateur du journal l’Humanité, il fut aussi un philosophe et un poète, mêlant une grande culture et une réflexion profonde sur la vie à un sens aigu du réel et de ses possibles. Ces qualités sont très rarement partagées, dans le personnel politique.
« Dirige celui qui risque ce que les dirigés ne veulent pas risquer. »
Jean JAURÈS (1859-1914), 28 mai 1890, dans La Dépêche du Midi de Toulouse
Telle est sa définition du chef (en politique). Il en a une haute idée que n’aurait pas désavouée de Gaulle et dont tous les responsables politiques devraient s’inspirer, au lieu de se référer aux sondages de popularité et à l’acceptabilité de telle ou telle mesure. Là encore, l’Histoire nourrit la pensée et l’action de Jaurès :
« Il n’y a de classe dirigeante que courageuse. À toute époque, les classes dirigeantes se sont constituées par le courage, par l’acceptation consciente du risque. Dirige celui qui risque ce que les dirigés ne veulent pas risquer. Est respecté celui qui, volontairement, accomplit pour les autres les actes difficiles ou dangereux. Est un chef celui qui procure aux autres la sécurité, en prenant sur soi les dangers. »
Il en sera très conscient, jusqu’au jour-même de son assassinat.
« C’est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Discours du citoyen Jean Jaurès – Prononcé les 10 et 24 janvier 1910 à la Chambre des Députés
Cette métaphore poético-politique devient littéralement héroïque quand on connaît la fin de son parcours. Et le message d’espoir écrit dans sa jeunesse n’en a que plus de prix.
« Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l’avenir. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Œuvres, tome 1 : Les années de jeunesse 1859-1889 (2009)
Pour conclure cet autoportrait, voici quelques jugements sur le personnage qui se révèlera surtout dans l’action au fil de l’histoire.
« Une voix qui va jusqu’aux dernières oreilles, agréable, claire, très étendue, un peu aigüe, une voix non de tonnerre, mais de feux de salve. »
Jules RENARD (1864-1910), Journal, 22 décembre 1902 (posthume)
Enfant mal aimé rendu célèbre par son Poil de carotte (1894), ce diariste aussi talentueux que les Goncourt nous laisse le témoignage lucide de son époque, malheureusement censuré par sa veuve. Son humour féroce cache une infinie tendresse, cependant que sa misanthropie se double de misogynie.
Militant républicain, il admire le personnage de Jaurès : « Une gueule, mais le coup de gueule reste distingué. Le seul don qui soit enviable. Sans fatigue, il se sert de tous les mots lourds qui sont comme les moellons de sa phrase, et qui écorcheraient, tombant d’une plume, les doigts et le papier de l’écrivain. »
« Ce qui est remarquable, c’est qu’il rend hommage à tous les camps. Ce n’est pas un sectaire. »
Michel WINOCK (né en 1937), Le Socialisme de Jaurès, conférence du 4 février 2014, organisée par l’Institut national du patrimoine, les Archives nationales et la Fondation Jean-Jaurès
« Par exemple, à propos des droits de l’homme et du citoyen, les marxistes disent que ce sont des droits formels, un masque qui rejette dans l’ombre les vraies motivations, c’est-à-dire la défense des intérêts de la bourgeoisie. Ce n’est pas du tout l’avis de Jaurès ».
Cet œcuménisme philosophique, cette tolérance en paroles et en action se manifesteront tout au long de sa vie trop courte, mais si riche. Elle s’explique aussi par une évolution qui frappe tout observateur et peut s’expliquer en quelques mots à la fin de ce portrait.
« En rupture latente avec l’opportunisme, mal content du radicalisme (mais) n’ayant pas encore opté pour le socialisme. »
Madeleine REBÉRIOUX (1920-2005), « JAURÈS Jean [JAURÈS Auguste, Marie, Joseph, Jean] [archive] », sur maitron.fr
Femme politique très engagée (à gauche), enseignante et historienne, spécialiste du socialisme français de la fin du XIXe siècle et de l’œuvre de Jaurès, elle préside la Société d’études jaurésienne de 1982 à sa mort et dirige de nombreuses publications concernant Jaurès et la période 1870-1914.
Elle décrit le cheminement intellectuel et politique de Jaurès venu lentement au socialisme auquel il est définitivement acquis en 1892-1893. Grand intellectuel, historien et philosophe, militant ardent, député de Carmaux, tribun surdoué capable de tenir tête à Clemenceau, il a donné son nom au courant dit « jauressiste » et laisse en héritage une œuvre considérable qui se prête aisément aux citations.
C’est le plus grand et le plus original des leaders du socialisme français, passionnément attaché à l’Internationale et représentant la France auprès de ses instances, de mai 1901 à sa mort.
2. Attitude exemplaire dans l’Affaire Dreyfus, représentative du personnage et de l’époque.
« C’est qu’au fond, il n’y a qu’une seule race : l’humanité. »3
Jean JAURÈS (1859-1914), article sur « la question juive » à la une la Dépêche du Midi, 4 juin 1892
L’antisémitisme manifesté à l’encontre des Juifs remonte en France au Moyen Âge et perdure au XXIe siècle. Mais il va s’exprimer avec une violence particulière dans les années 1890. De toutes les crises qui marqueront la Troisième République, l’Affaire est la plus grave.
« Le capitaine Dreyfus, convaincu de trahison par un jugement unanime, n’a pas été condamné à mort, et le pays voit qu’on fusille sans pitié de simples soldats coupables d’une minute d’égarement, de violences. »
Jean JAURÈS (1859-1914), discours à l’Assemblée, 24 décembre 1894, Assemblée national, site
C’est un discours contre la peine de mort signé d’un des plus fervents abolitionnistes – après Victor Hugo qui a relancé le débat dans un roman de jeunesse, le Dernier jour d’un condamné (1829).
Pour l’heure, Jaurès député ne remet absolument pas en cause la condamnation au bagne de Dreyfus, assurément coupable puisque la justice en a décidé ainsi. Il s’étonne même du bruit fait autour de cette (petite) affaire.
« On a surpris un prodigieux déploiement de la puissance juive pour sauver l’un des siens. »
Jean JAURÈS (1859-1914), La Dépêche du Midi, 26 décembre 1894
À l’énoncé du (premier) verdict, le grand socialiste français écrit en première page : « La vérité, c’est que si on ne l’a pas condamné à mort, c’est que l’immense effort juif n’a pas été tout à fait stérile. »
Il en tire argument pour réclamer une plus grande clémence de la justice militaire envers les soldats du rang, passibles de la peine de mort, selon lui, pour une simple insubordination passagère. Mais l’affaire va rebondir quelques années plus tard et Jaurès va réviser son jugement personnel, à la suite de Zola, Anatole France et quelques autres auteurs engagés.
« La vérité est en marche ; rien ne peut plus l’arrêter. »2515
Émile ZOLA (1840-1902), Le Figaro, 25 novembre 1897
Zola commente ici la demande en révision du procès du capitaine Dreyfus.
L’histoire, complexe et longue, a commencé fin septembre 1894, quand une femme de ménage française de l’ambassade allemande, travaillant pour le Service de renseignements, découvre un bordereau prouvant la trahison d’un officier de l’état-major français. Le 10 octobre, le général Mercier, ministre de la Guerre, met en cause Alfred Dreyfus. On lui fait faire une dictée, il y a similitude entre son écriture et celle du bordereau en cause. Dreyfus est condamné à la déportation en Guyane par le Conseil de guerre de Paris, le 22 décembre 1894. Ni lui ni son avocat n’ont eu accès à des pièces d’un « dossier secret ».
Diverses irrégularités sont ensuite mises en évidence. Sa qualité de juif joue contre lui à une époque où l’antisémitisme a ses hérauts, ses journaux, ses réseaux.
« Il n’y a pas d’affaire Dreyfus. »2516
Jules MÉLINE (1838-1925), président du Conseil, au vice-président du Sénat venu lui demander la révision du procès, séance du 4 décembre 1897. Affaire Dreyfus (1898), Edmond de Haime
Mot malheureux, quand éclate au grand jour l’affaire Dreyfus, l’« Affaire » qui va ébranler le régime de la Troisième République. Méline refuse la demande en révision du procès. Les dreyfusards (minoritaires) vont mobiliser l’opinion publique par une campagne de presse.
« J’accuse. »2517
Émile ZOLA (1840-1902), titre de son article en page un de L’Aurore, 13 janvier 1898
L’Aurore est le journal de Clemenceau et le titre est de lui, ardent dreyfusard de la première heure. Mais l’article en forme de lettre ouverte au président de la République Félix Faure est bien l’œuvre de Zola : il accuse deux ministres de la Guerre, les principaux officiers de l’état-major et les experts en écriture d’avoir « mené dans la presse une campagne abominable pour égarer l’opinion », et le Conseil de guerre qui a condamné Dreyfus, d’« avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète ». Le ministre de la Guerre, général Billot, intente alors au célèbre écrivain un procès en diffamation.
L’ engagement de Jaurès en faveur de Dreyfus débute en cette mi-janvier 1898. Il signe quand même un Manifeste où il refuse de choisir entre les « cléricaux » qui voudraient utiliser l’Affaire contre les Juifs, les protestants et les libres penseurs, et « les capitalistes juifs » discrédités par de nombreux « scandales » et cherchant à se réhabiliter.
« La race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n’est pas par la fièvre du prophétisme… manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corruption et d’extorsion… »
Jean JAURÈS (1859-1914), 7 juin 1898, Discours au Tivoli. Cité par Michel Dreyfus, L’antisémitisme à gauche: Histoire d’un paradoxe de 1830 à nos jours (2010)
Jaurès conclut pourtant : « Ce n’est pas la race qu’il faut briser ; c’est le mécanisme dont elle se sert, et dont se servent comme elle les exploiteurs chrétiens. »
Il va définitivement changer d’avis et le faire savoir le 29 septembre dans un manifeste moins médiatisé que J’accuse, mais plus argumenté.
« Si Dreyfus a été illégalement condamné et si, en effet, comme je le démontrerai bientôt, il est innocent, il n’est plus ni un officier ni un bourgeois : il est dépouillé, par l’excès même du malheur, de tout caractère de classe ; il n’est plus que l’humanité elle-même, au plus haut degré de misère et de désespoir qu’on puisse imaginer. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Les Preuves (1898)
Démonstration implacable de l’innocence du capitaine Dreyfus et de la culpabilité des plus hautes autorités militaires et politiques de la France, c’est aussi une analyse critique de la République rappelée à son devoir de démocratie et un acte d’engagement d’un intellectuel choisissant la justice pour un seul homme contre la logique des idéologies
« Nous pouvons, sans contredire nos principes et sans manquer à la lutte des classes, écouter le cri de notre pitié ; nous pouvons dans le combat révolutionnaire garder des entrailles humaines ; nous ne sommes pas tenus, pour rester dans le socialisme, de nous enfuir hors de l’humanité. »
Réponse à Jules Guesde, socialiste et marxiste persuadé que « le prolétariat n’a pas à défendre un bourgeois ! » Et Jaurès continue de s’indigner pour cette juste cause.
« Ou bien le Parti nationaliste a cru à la réalité de ces pièces accusant Dreyfus et à la vérité de la légende, et jamais un parti ne descendit plus bas dans l’ordre de l’intelligence… Ou bien il n’y a pas cru, et jamais parti politique n’est descendu plus bas dans l’ordre de la probité. »
Jean JAURÈS (1859-1914), cité par Max Gallo, Le Grand Jaurès (1984)
« Dreyfus est seulement un exemplaire de l’humaine souffrance en ce qu’elle a de plus poignant. Il est le témoin vivant du mensonge militaire, de la lâcheté politique, des crimes de l’autorité. » Et de conclure simplement…
« En vérité, qu’un homme ait pu être livré ainsi à des hommes dont l’esprit est si évidemment au-dessous du niveau humain, cela fait trembler. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Les Preuves (1898)
Ultime leçon de l’Affaire… on en revient paradoxalement à l’article du 4 juin 1892 dans La Dépêche du Midi et à cette vérité philosophiquement et politiquement essentielle :
« C’est qu’au fond, il n’y a qu’une seule race : l’humanité. »
Et Jaurès donnera ce Nom majuscule au journal qu’il créera en 1904 et animera jusqu’au jour de sa mort.
3. Duo-duel de Jaurès et Clemenceau, républicains majeurs de la Troisième (après Thiers et Gambetta).
« Pas ça ou pas vous ! »2547
Jean JAURÈS (1859-1914) à Aristide Briand, Chambre des députés, 10 mai 1907. La Démocratie et le travail (1910), Gabriel Hanotaux
Le gouvernement de Clemenceau, dont Briand fera partie à divers postes ministériels, est confronté à une dramatique agitation sociale dès 1906 : mineurs, ouvriers électriciens à Paris, dockers à Nantes, etc. Clemenceau doit prendre des mesures énergiques pour rétablir l’ordre. En avril 1907, le gouvernement décide la révocation de fonctionnaires qui se sont élevés contre sa politique. La CGT déclenche la grève que Jaurès défend en chef de l’opposition socialiste, invectivant Briand, devenu ministre, mais ancien propagandiste de la grève générale. Jaurès ajoute que son « jeu de duplicité souille et décompose successivement tous les partis », alors que Maurice Barrès le qualifiera de « monstre de souplesse ». Mais Jaurès prendra souvent à partie Clemenceau en personne, personnage bien différent de Briand !
Jaurès et Clemenceau furent compagnons de route dans l’Affaire Dreyfus. Mais à part la foi en la République, tout sépare les deux hommes : tempérament et conceptions. Ils se retrouvent désormais adversaires et le site de l’Assemblée nationale nous les présente dans un dialogue très conforme au style de l’Histoire en citations.
« Vous apportez des phrases enveloppées, des solutions incomplètes, une politique hésitante. Vous êtes au-dessous du suffrage universel. »
Jean JAURÈS (1859-1914) à Clemenceau. 1906 : Clemenceau versus Jaurès. Cahiers de Psychologie Politique N°10 / Europe et identité, Janvier 2007, Samuel Tomei
« On reconnaît un discours de M. Jaurès à ce que tous les verbes sont au futur…
Je voudrais faire comprendre aux déshérités de tout ordre qu’il n’y a pas d’émancipation véritable pour eux en dehors de celle qui viendra de leurs propres efforts, dans un milieu que l’œuvre des hommes politiques sera de leur rendre de plus en plus favorable. »Georges CLEMENCEAU (1841-1929)
« Je constate, monsieur Clemenceau, que vous avez groupé contre nous l’unanimité enthousiaste de la Chambre, chaque fois qu’avec votre admirable vigueur de polémiste vous avez pris à partie le socialisme… »
Jean JAURÈS (1859-1914)
« Mais vous n’êtes pas le socialisme à vous tout seul, vous n’êtes pas le bon Dieu ! »5
Georges CLEMENCEAU (1841-1929)
« Et vous, vous n’êtes même pas le diable ! »
Jean JAURÈS (1859-1914)
« Qu’en savez-vous ?… M. Jaurès parle de très haut, absorbé dans son fastueux mirage ; mais moi, dans la plaine, je laboure un sol ingrat qui me refuse la moisson… Sans doute me dominez-vous de vos conceptions socialistes. Vous avez le pouvoir magique d’évoquer, de votre baguette, des palais de féerie. Je suis l’artisan modeste des cathédrales, qui apporte obscurément sa pierre à l’édifice auguste qu’il ne verra jamais. »
Georges CLEMENCEAU (1841-1929)
« Messieurs, je monte à cette tribune tout hérissé des flèches qu’une main habile et toujours jeune m’a décochées… Je n’essayerai pas de les arracher de moi et de les retourner à mon redoutable contradicteur. À l’heure où je parle cependant, il me semble que la cathédrale ministérielle manque un peu de flèche. »
Jean JAURÈS (1859-1914)
« C’est une grande erreur que de confondre la grève et le droit à la matraque. Je dis que ceux qui agissent contre la classe ouvrière sont ceux qui l’encouragent à croire qu’elle ne peut jamais avoir tort. »
Georges CLEMENCEAU (1841-1929)
« Toute grande réforme, toute grande œuvre, suppose, en même temps que la foi dans l’individu, la transformation du milieu où il doit agir. Votre doctrine de l’individualisme absolu, votre doctrine qui prétend que la réforme sociale est contenue tout entière dans la réforme morale des individus, c’est la négation de tous les vastes mouvements de progrès qui ont déterminé l’histoire, c’est la négation de la Révolution française elle-même. »
Jean JAURÈS (1859-1914)
« Je suis pour le développement intégral de l’individu. Quant à me prononcer sur l’appropriation collective du sol, du sous-sol, je réponds catégoriquement non ! non ! Je suis pour la liberté intégrale, et je ne consentirai jamais à entrer dans les couvents et dans les casernes que vous entendez nous préparer. »
Georges CLEMENCEAU (1841-1929)
« Républicains aussi passionnément que socialistes, réformateurs et réalistes aussi profondément par notre méthode que nous sommes révolutionnaires par notre objet, qui est la transformation totale de la société, nous nous associerons pleinement à tout effort de réforme. »
Jean JAURÈS (1859-1914)
« Eh bien ! puisqu’il faut vous le dire, ces discussions qui vous étonnent, c’est notre honneur à tous. Elles prouvent surtout notre ardeur à défendre les idées que nous croyons justes et fécondes. Ces discussions ont leurs inconvénients, le silence en a davantage.
Oui, gloire aux pays où l’on parle, honte aux pays où l’on se tait ! »Georges CLEMENCEAU (1841-1929)
Laissons le mot de la fin à Clemenceau qui en fait lui-même le commentaire. Jaurès aurait pu le signer.
4. Le socialisme en devenir de Jaurès, nourri par l’Histoire et confronté à l’Actualité.
« Rien n’est au-dessus de l’individu… C’est l’individu humain qui est la mesure de toute chose… Voilà le socialisme. »
Jean JAURÈS (1859-1914), cité par Max Gallo, Le Grand Jaurès (1984)
Définition idéalisée ? Mais rappelons que « le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel » et Jaurès devenu idéalement socialiste va lutter de toutes ses forces pour mettre en pratique un socialisme réellement et raisonnablement humain, au risque de se faire détester ou pire, marginaliser.
« Ce qu’il y a de plus puissant dans le socialisme, c’est la vertu du mot qui fait luire aux yeux des déshérités l’espérance de la réparation justement attendue. Cela permet de les grouper, de les émouvoir en masse… Mais un homme n’a pas besoin d’être groupé pour être un homme. »
Georges CLEMENCEAU (1841-1929)
Clemenceau, aussi passionnément républicain que Jaurès, ne sera jamais homme de parti. Cela coûtera au Tigre la présidence de la République « des camarades » qu’il ne cessera de fustiger et qui se refuseront toujours à l’élire, même devenu le Père la Victoire au lendemain de la Grande Guerre. L’Histoire n’est pas juste ni morale.
« Ce qu’il faut exclure du Parti socialiste, c’est l’esprit d’exclusion ! »
Jean JAURÈS (1859-1914), cité par Max Gallo, Le Grand Jaurès (1984)
Jaurès tiendra parole et regroupera des socialistes dont il ne partage pas les idées, persuadé aussi idéaliste qu’il soit que l’union fait la force en politique. Éternel dilemme auquel la gauche sera toujours confrontée jusqu’à nos jours.
Rappelons aussi la profession de foi qui définit bien le personnage : « Je porte en mon cœur un rêve de fraternité et de justice, et je veux travailler jusqu’au bout à le réaliser. »
« Ce n’est pas seulement par la force des choses que s’accomplira la Révolution sociale. C’est par la force des hommes. »2548
Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste de la France contemporaine (1789-1900) sous la direction de J. Jaurès. tome 1, La Constituante
Jaurès l’historien philosophe s’est incliné devant la loi du parti socialiste : pas de participation au gouvernement radical de Clemenceau en 1906 – des hommes comme lui manqueront à cette République radicale !
C’est donc en député d’opposition qu’il mène les grands combats pour les lois ouvrières. Sans écarter le recours à la force insurrectionnelle (ce que veut la CGT), il croit que la révolution sociale peut et doit passer par une évolution de la démocratie républicaine en démocratie socialiste. Le renforcement de la classe ouvrière en est la condition.
« Un peu d’internationalisme écarte de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène. »2539
Jean JAURÈS (1859-1914), L’Armée nouvelle (1911)
Ce livre commencé en 1908 s’insérait dans un vaste projet d’organisation socialiste de la France. Jaurès y prolonge la tradition née sous la Révolution française d’une armée de milice. Depuis Robespierre, la gauche était restée méfiante vis-à-vis de l’armée de métier, préférant l’idée du peuple en armes.
L’ouvrage devait s’appeler : La Défense Nationale et la Paix Internationale. Vaste programme… Par ses relations familiales, professionnelles et amicales, Jaurès côtoyait nombre de militaires de carrière. Né et élevé à Castres, ville de garnison, il est marqué par la brillante carrière de son cousin
Benjamin Jaurès, amiral et ministre de la Marine en 1889. Intéressé par la chose militaire, il choisit la commission permanente du Parlement, « Défense nationale ».
Pour lui, le socialisme ne s’oppose pas au patriotisme et peut être considéré comme un enrichissement de l’internationalisme. Il diffère en cela de Marx pour qui « les ouvriers n’ont pas de patrie ».
Député socialiste de Carmaux en 1893, il adhère au parti ouvrier français de Jules Guesde, avant de devenir l’un des chefs de la Section française de l’Internationale ouvrière, ou SFIO. On l’appelle aussi le Parti socialiste unifié, pour rappeler à la fois le socialisme et l’unification de tous les courants jadis dispersés.
« Le capitalisme n’est pas éternel, et en suscitant un prolétariat toujours plus vaste et plus groupé, il prépare lui-même la force qui le remplacera. »2557
Jean JAURÈS (1859-1914), L’Armée nouvelle (1911)
Idée-force dans la pensée de Jaurès, très sensible à la société en train de se faire sous ses yeux.
Il parle aussi en historien visionnaire : « L’ouvrier n’est plus l’ouvrier d’un village ou d’un bourg […] Il est une force de travail sur le vaste marché, associé à des forces mécaniques colossales et exigeantes […] Par sa mobilité ardente et brutale, par sa fougue révolutionnaire du profit, le capitalisme a fait entrer jusque dans les fibres, jusque dans la chair de la classe ouvrière, la loi de la grande production moderne, le rythme ample, rapide du travail toujours transformé. »
L’œuvre fait scandale. L’auteur suscite des haines au sein de la droite nationaliste. Il en mourra, assassiné trois ans plus tard.
« La Révolution française a préparé indirectement l’avènement du prolétariat. Elle a réalisé les deux conditions essentielles du socialisme, la démocratie et le capitalisme. Mais elle a été, en son fond, l’avènement politique de la classe bourgeoise. »1634
Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste de la France contemporaine (1789-1900) sous la direction de J. Jaurès. tome 1, La Constituante (1908)
Avec le même profil de carrière (homme politique et historien), mais socialiste militant et un demi-siècle plus tard, Jaurès rejoint Tocqueville. La Révolution française est la conséquence d’un processus séculaire, la prise de pouvoir politique d’une classe qui avait déjà le pouvoir économique. « Une nouvelle distribution de la richesse entraîne une nouvelle distribution du pouvoir », voilà une des leçons de l’histoire qui vaut bien au-delà de la Révolution, et même de la France.
« [La Commune] fut dans son essence, elle fut dans son fond la première grande bataille rangée du Travail contre le Capital. Et c’est même parce qu’elle fut cela avant tout […] qu’elle fut vaincue et que, vaincue, elle fut égorgée. »2384
Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste de la France contemporaine (1789-1900) sous la direction de J. Jaurès, tome XI, La Commune, Louis Dubreuilh (1908)
Jaurès qui dirige ce travail en 13 volumes raisonne à la fois en historien et en socialiste. Homme politique, il sera toujours du côté du Travail et des travailleurs. N’excluant pas le recours à la force insurrectionnelle, il aurait été Communard, malgré son pacifisme qui sera la raison de son assassinat.
« À mesure que l’égalité politique devenait un fait plus certain, c’est l’inégalité sociale qui heurtait le plus les esprits. »2405
Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste de la France contemporaine (1789-1900) sous la direction de J. Jaurès, tome 4, La Convention (1908)
Député de Carmaux très actif au sein du Parti socialiste unifié, créé en 1905 (SFIO), il mène toutes les grandes batailles socialistes du temps. Sans exclure le recours à la force insurrectionnelle, il préfère naturellement, au nom d’un socialisme libéral et démocratique, la solution d’un prolétariat assez fort pour transformer la démocratie républicaine en une démocratie socialiste, alors que « la propriété foncière est mère d’inégalité et de brutalité. »
Rappelons que dans cette Histoire socialiste qu’il a entreprise et dirigée, Jaurès s’est réservé le meilleur de l’Histoire et ce qui l’intéresse le plus sans l’actualité : toute la partie correspondant à la Révolution française (les 4 premiers tomes), mais aussi le bilan social du XIXe siècle (fin du tome 12), ainsi que le début du tome 11 consacré à la Guerre franco-allemande de 1870-1871.
« La République c’est le droit de tout homme, quelle que soit sa croyance religieuse, à avoir sa part de la souveraineté. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Action socialiste (1899), recueil de textes publiés par Charles Péguy
Jaurès toujours soucieux de se faire entendre et comprendre écrit un court avant-propos à ces textes :
« Dès que j’ai commencé à écrire dans les journaux et à parler à la Chambre, dès 1886, le socialisme me possédait tout entier, et j’en faisais profession. Je ne dis point cela pour combattre la légende qui fait de moi un centre-gauche converti, mais simplement parce que c’est la vérité.
Mais il est vrai aussi que j’ai adhéré à l’idée socialiste et collectiviste avant d’adhérer au parti socialiste. Je m’imaginais que tous les républicains, en poussant à bout l’idée de République, devaient venir au socialisme. Et il me paraissait plus sage de ne pas créer un groupement socialiste distinct.
C’était une illusion enfantine, et ce que la vie m’a révélé, ce n’est point l’idée socialiste, c’est la nécessité du combat. Si les pages qui suivent pouvaient aider les hommes de pensée à devenir des hommes de combat et à comprendre que la vérité, pour être toute la vérité, doit s’armer en bataille, les jeunes gens désintéressés et dévoués qui ont pris l’initiative de cette publication seraient bien payés de leur peine. »
« Vos interlocuteurs capitalistes affirment qu’un ordre social nouveau est impossible parce qu’il faudrait changer la nature humaine. ‘Il y aura toujours des pauvres et des riches’ disent-ils, comme on disait il y a quelques siècles ‘Il y aura toujours des nobles et des roturiers’, comme Aristote disait il y a plus de deux mille ans ‘Il est dans la nature humaine qu’il y ait des esclaves’. Et l’on confond ainsi de siècle en siècle, de société en société, de privilège en privilège, la nature humaine avec les formes sociales transitoires qui la déterminent un moment sans la captiver à jamais. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Préface à l’ « Enquête sur la question sociale en Europe » de Jules Huret
C’est encore l’historien philosophe et l’inlassable pédagogue qui s’exprime, en marge de l’action et du discours politique. Jaurès est le plus grand « communiquant » de son temps. Député réélu en 1893, il use de la tribune en socialiste convaincu et républicain de toujours.
« Nous avons conquis le suffrage universel. Il nous reste à conquérir la souveraineté populaire. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Discours à la Chambre des députés, 21 novembre 1893, site de l’Assemblée nationale
« Oui, par le suffrage universel, par la souveraineté nationale qui trouve son expression définitive et logique dans la République, vous avez fait de tous les citoyens, y compris les salariés, une assemblée de rois. C’est d’eux, c’est de leur volonté souveraine qu’émanent les lois et le gouvernement ; ils révoquent, ils changent leurs mandataires, les législateurs et les ministres, mais, au moment même où le salarié est souverain dans l’ordre politique, il est dans l’ordre économique réduit à une sorte de servage. Oui ! au moment où il peut chasser les ministres du pouvoir, il est, lui, sans garantie aucune et sans lendemain, chassé de l’atelier. Son travail n’est plus qu’une marchandise que les détenteurs du capital acceptent ou refusent à leur gré »
Dans le même esprit, à la même tribune, il défend sa conception du socialisme en lançant un défi à ses adversaires.
« Le socialisme est à ce point un mouvement profond et nécessaire, qu’il sort si évidemment, si puissamment de toutes les institutions républicaines, laïques, démocratiques, que, pour combattre le socialisme, vous allez être condamnés dans tous les ordres, dans l’ordre politique, dans l’ordre fiscal et dans l’ordre syndical, à une œuvre de réaction… »
Jean JAURÈS (1859-1914), Discours à la Chambre des députés, 21 novembre 1893, site de l’Assemblée nationale
« Eh bien ! faites-la, essayez-la ! et pendant que vous userez ce qui peut vous rester de force et de prestige à lutter contre le peuple en marche, dans les intervalles que nous laisseront vos persécutions impuissantes, nous apporterons les projets de réforme que vous n’avez pas apportés ; et, puisque vous désertez la politique républicaine, c’est nous, socialistes, qui la ferons ici. »
Dans son Histoire socialiste de la France contemporaine, il exprime autrement la même idée fixe : « C’est en poussant à bout le mouvement économique que le prolétariat s’affranchira et deviendra l’humanité. » L’Humanité, mot-clé, idée fixe de la pensée jauressienne et titre du journal qu’il va créer en 1904 à son image.
« On n’enseigne pas ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir : on n’enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est. »
Jean JAURÈS (1859-1914), L’Esprit du socialisme : six études et discours, posthume (1964).
Le journaliste militant reste fidèle à lui-même et à sa promotion du socialisme (ouvrier), comme l’avocat ne peut plaider que contre la (grande) bourgeoisie.
« Et vous vous étonnez de la véhémence de nos paroles, de la force de nos accusations ! Mais songez donc que nous parlons au nom d’un siècle de silence ! »
Jean JAURÈS (1859-1914), plaidoirie au procès qui a opposé en 1894 le journaliste Gérault-Richard au président de la République Jean Casimir-Perier. Cité par Pascal Melka, Jean Jaurès, un combat pour l’Humanité : Étude de sa pensée politique (2010)
Novembre 1894. Jean Jaurès est autorisé par le président de la cour d’assises de la Seine à défendre le journaliste Gérault-Richard (du journal Le Chambard socialiste), accusé d’outrages à Jean Casimir-Perier, président de la République.
« Songez donc qu’il y a cent ans il y avait dans ces ateliers et dans ces mines des hommes qui souffraient, qui mouraient sans avoir le droit d’ouvrir la bouche… »
Plaidoirie importante : au-delà du cas de la famille Perier, elle permet de mieux comprendre à quel type de personnes et de situations pense Jaurès, quand il dénonce et lutte contre le pouvoir de cette oligarchie bourgeoise qui, depuis la Révolution et à travers tout le XIXe siècle, prend peu à peu possession de la République, mêlant les affaires, la banque, la presse et la politique.
« Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots. »7
Jean JAURÈS (1859-1914), 23-27 septembre 1900 au Congrès socialiste international (Paris)
« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde » écrira Camus en 1944. Mais ni Camus ni Jaurès n’auront recours à ce subterfuge…
Et ce n’est pas un hasard si après la mort de Samuel Paty assassiné le 16 octobre 2020 près du collège du Bois-d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine (dans les Yvelines), Matthieu Chedid (le chanteur M) reprend la « Lettre à Monsieur Germain » d’Albert Camus et la « Lettre aux instituteurs » de Jean Jaurès.
« Oui, à mesure que grandit le pouvoir du Parti socialiste, grandit sa responsabilité. »
Jean JAURÈS (1859-1914), 26 novembre 1900. Guesde et Jaurès s’affrontent devant 8 000 militants, Le Monde, 16 mai 2003
Cinq ans avant l’unification du congrès du Globe, une assemblée de socialistes des différents partis alors existants en France assistent, à l’hippodrome de Lille, à une réunion contradictoire entre Jaurès et Guesde. Les deux dirigeants s’expliquent sur leur attitude pendant l’Affaire Dreyfus, donnent leur point de vue sur la participation à des « gouvernements bourgeois », sur le socialisme municipal. On retiendra surtout la controverse doctrinale : réforme ou révolution ? Et les mots de Jaurès : « De cette responsabilité, nous n’avons pas peur, le Parti socialiste n’en a pas peur ; il a confiance dans la classe ouvrière, à une condition, c’est qu’elle soit organisée, c’est qu’elle soit unifiée ; c’est qu’en face de tous les autres partis anarchiques et discordants, elle ne forme qu’un parti, comme elle ne forme qu’une classe. »
Reste la conjoncture internationale et la mise en garde de Clemenceau, l’autre grand républicain – radical et adversaire de la pensée jauressienne.
« Quand viendra le moment de choisir, l’instinct ou le réflexe de la conservation, sans lequel Jaurès lui-même ne pourrait pas vivre pendant une minute, l’emportera sur tout le reste, et lorsque les socialistes français verront les socialistes allemands franchir la frontière en armes, ils délibéreront fort peu sur le danger de ruiner une force de libération ouvrière. »
Georges CLEMENCEAU (1841-1929), cité par Max Gallo, « Clemenceau, Jaurès : le duel », Le Figaro, 9 août 2008
En 1900, l’un est radical, l’autre socialiste. En 1906, l’un défend l’ordre, l’autre, la grève. En 1914, l’un est patriote, l’autre, pacifiste. Clemenceau et Jaurès : deux idées de la République.
Clemenceau ne croit pas à l’union de tous les prolétaires, dans une grève générale empêchant la guerre. Clemenceau ne se trompait pas. A 76 ans, en 1917, devant la crise de la nation en guerre, Clemenceau est rappelé au pouvoir. Il rend confiance au pays et devint « le Père de la victoire ». Jaurès avait été assassiné le 31 juillet 1914.
5. Le combat contre la Grande Guerre qui s’annonce, impensable et inévitable.
« On ne fait pas la guerre pour se débarrasser de la guerre. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Œuvres de Jean Jaurès : les alliances européennes (1887-1903), édition posthume (1931)
Jaurès a pris le relais d’Hugo mort en 1885, le grand homme du siècle qui vécut l’Année terrible (publiée en 1872), avec la guerre franco-prussienne de 1870-1872 : « Ne nous lassons pas, nous les philosophes, de déclarer au monde la paix. »
L’ordre chronologique des citations s’impose ici plus que jamais, compte à rebours d’autant plus tragique quand on connaît l’aboutissement : la mort de Jaurès et le début de la Première Guerre mondiale.
« Le moyen le plus sûr de faire échec à l’autocratie prussienne et de préparer la revanche de notre pays en Europe, c’est de donner à l’Europe et à l’Allemagne en particulier un ébranlement de démocratie par le développement hardi de la démocratie française. »
Jean JAURÈS (1859-1914), « Nos camarades les socialistes allemands », La Dépêche du Midi, 20 février 1890
Selon ses propres termes, il « exprime pour la première fois d’une façon définitive sa solidarité avec le socialisme français et international ». Et dans la logique de sa pensée politique, il tend une main fraternelle aux socialistes allemands.
« Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. »2411
Jean JAURÈS (1859-1914), Discours à la Chambre des députés, 7 mars 1895, publié par Péguy en 1899 dans le recueil de textes de Jaurès intitulé Action socialiste
Mot très connu et souvent cité, résumé d’une citation plus longue. « Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre, comme la nuée dormante porte l’orage. » La suite est tout aussi importante.
« Messieurs, il n’y a qu’un moyen d’abolir enfin la guerre entre les peuples, c’est d’abolir la guerre entre les individus, c’est d’abolir la guerre économique, le désordre de la société présente, c’est de substituer à la lutte universelle pour la vie, qui aboutit à la lutte universelle sur les champs de bataille, un régime de concorde sociale et d’unité. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Discours à la Chambre des députés, 7 mars 1895, publié par Péguy en 1899 dans le recueil de textes de Jaurès intitulé Action socialiste
Pour Jaurès, le capitalisme est source de guerre à deux niveaux : il organise une hiérarchie entre les classes sociales et pousse les opprimés à la révolte, mais il crée en même temps une compétition entre les puissances économiques à l’international et entre les détenteurs de capitaux, ce qui vient briser la solidarité ouvrière - l’Internationale socialiste promue par Jaurès.
« C’est de la division profonde des classes et des intérêts dans chaque pays que sortent les conflits entre les nations. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Discours à la Chambre des députés du 7 mars 1895, publié par Péguy en 1899 dans le recueil de textes de Jaurès intitulé Action socialiste
L’orateur socialiste s’exprime sur trois grands thèmes : la démocratisation de l’armée inspirée de la Révolution ; l’inanité d’une guerre de revanche contre l’Allemagne s’opposant à la « Revanche reine de France » obsession de la droite ; les liens entre capitalisme et guerre, et entre socialisme et paix. Sur ce dernier point, son argumentation est d’une logique implacable.
« Tant que, dans chaque nation, une classe restreinte d’hommes possédera les grands moyens de production et d’échange, tant qu’elle possédera ainsi et gouvernera les autres hommes, tant que cette classe pourra imposer aux sociétés qu’elle domine sa propre loi, qui est la concurrence illimitée, la lutte incessante pour la vie, le combat quotidien pour la fortune et pour le pouvoir ; tant que cette classe privilégiée, pour se préserver contre tous les sursauts possibles de la masse, s’appuiera ou sur les grandes dynasties militaires ou sur certaines armées de métier des républiques oligarchiques ; tant que le césarisme pourra profiter de cette rivalité profonde des classes pour les duper et les dominer l’une par l’autre, écrasant au moyen du peuple aigri les libertés parlementaires de la bourgeoisie, écrasant ensuite, au moyen de la bourgeoisie gorgée d’affaires, le réveil républicain du peuple ; tant que cela sera, toujours cette guerre politique, économique et sociale des classes entre elles, des individus entre eux, dans chaque nation, suscitera les guerres armées entre les peuples. C’est de la division profonde des classes et des intérêts dans chaque pays que sortent les conflits entre les nations. »
« L’humanité est maudite, si pour faire preuve de courage elle est condamnée à tuer éternellement. Le courage, aujourd’hui, ce n’est pas de maintenir sur le monde la nuée de la Guerre, nuée terrible, mais dormante dont on peut toujours se flatter qu’elle éclatera sur d’autres. Le courage, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre ; car le courage est l’exaltation de l’homme, et ceci en est l’abdication… »
Jean JAURÈS (1859-1914), Maudite soit la guerre ! Discours à la jeunesse et autres paroles publiques. Discours à la Jeunesse, Albi, 30 juillet 1903
Longue anaphore sur le courage, l’une des qualités chères à Jaurès ! « Le courage, c’est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces (…) Le courage, c’est d’être tout ensemble et quel que soit le métier, un praticien et un philosophe. Le courage, c’est de comprendre sa propre vie, de la préciser, de l’approfondir, de l’établir et de la coordonner cependant à la vie générale. (…) Le courage, c’est de dominer ses propres fautes, d’en souffrir, mais de n’en pas être accablé et de continuer son chemin. Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ; c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense. Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. »
« Messieurs, il n’y a qu’un moyen d’abolir enfin la guerre entre les peuples, c’est d’abolir la guerre entre les individus, c’est d’abolir la guerre économique, le désordre de la société présente, c’est de substituer à la lutte universelle pour la vie — qui aboutit à la lutte universelle sur les champs de bataille — un régime de concorde sociale et d’unité. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Maudite soit la guerre ! Discours à la jeunesse et autres paroles publiques. Albi, le 30 juillet 1903
Le discours se conclut sur une utopie jauressienne. Mais le socialisme lui-même est né utopique au début du XIXe, pour devenir la grande idée du siècle.
« Dans la paix, s’il est possible, à travers la guerre s’il le faut, nous suivrons le grand peuple de la Bastille devenu le grand peuple de Valmy. Mais que dans la coupe de la Révolution les générations boivent l’héroïsme pur de la liberté, non le résidu fermenté des passions guerrières. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Histoire socialiste de la Révolution française, 1901-1908
L’historien inspire toujours le philosophe et structure la pensée de l’homme politique. C’est l’une des qualités majeures de Jaurès.
« L’armée française a une admirable tradition intellectuelle. »
Jean JAURÈS (1859-1914), L’Armée nouvelle (1911)
Jaurès est indissociablement lié à l’idée du pacifisme et à la résistance contre l’engrenage ayant conduit au déclenchement de la Grande Guerre. Mais son pacifisme ne résultait pas d’un refus radical de la guerre. Rappelons que ce livre s’insère dans un vaste projet d’organisation socialiste de la France, prolongeant une tradition, née sous la Révolution française, préférant l’idée du peuple en armes plutôt que l’armée de métier. Jaurès en 1913 se prononcera en faveur d’un service court et universel.
L’armée nouvelle, même dans sa composante professionnelle, ne devait pas constituer un corps séparé dans la nation, mais incarner la nation elle-même. Elle devait surtout mettre la France à l’abri de toute agression.
Le pacifisme de Jaurès, marqué par ses origines familiales comme par la lecture de Marx et Lénine relevait ainsi du « Si vis pacem, para bellum. »
« Vous êtes, Monsieur, d’une ignorance encyclopédique. »11
Jean JAURÈS (1859-1914) à Justin de Selves, ministre des Affaires étrangères (1911-1912)
Si incompétent qu’il fut surnommé « le ministre étranger aux Affaires », de Selves reste quand même à ce poste stratégique 6 mois et 18 jours, remplacé par Poincaré. Il fera une petite carrière et présidera trois ans le Sénat.
Jaurès à la culture encyclopédique et aux nombreux diplômes devait s’affliger de l’incompétence notoire du personnel politique. Clemenceau manifestera souvent son humour et sa cruauté de Tigre à ce sujet.
« Ce sera le plus terrible holocauste depuis la guerre de Trente Ans ! »
Jean JAURÈS (1859-1914), L’Humanité du 21 mai 1912, cité par Max Gallo, Le Grand Jaurès (1984)
Dans son journal créé en 1904, il dénonce le risque de voir son pays et l’Europe entière entraînés dans un conflit dans les Balkans, prélude à une guerre générale.
« J’appelle les vivants pour qu’ils se défendent contre le monstre qui apparaît à l’horizon. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Discours au congrès de Bâle, 24 novembre 1912, cité par Max Gallo, Le Grand Jaurès (1984)
Face à la menace de guerre mondiale que vient de réveiller la guerre dans les Balkans, plus de 500 délégués socialistes venus de 23 pays se réunissent à Bâle pour exprimer leur volonté d’éviter la guerre. Le dimanche, dans les rues, dix mille manifestants. Et dans la cathédrale de Bâle, plusieurs grands responsables socialistes s’expriment, Jaurès étant l’un des plus remarqués.
« Tous les gouvernements de l’Europe répètent : cette guerre serait un crime et une folie. Et les mêmes gouvernements diront peut-être dans quelques semaines à des millions d’hommes : c’est votre devoir d’entrer dans ce crime et cette folie. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Discours au congrès de Bâle, 24 novembre 1912, cité par Max Gallo, Le Grand Jaurès (1984)
Il reprendra les idées de ce discours dès le 25 novembre, dans son article de La Dépêche du Midi titré sans équivoque « L’odeur de ce charnier ».
« Le combat pour la paix est aujourd’hui le plus grand et le plus urgent des combats. »
Jean JAURÈS (1859-1914), À la jeunesse poussée vers la guerre, janvier 1914, publié en février 1914 dans le Bulletin de la Ligue des Droits de l’Homme
Discours prononcé à l’occasion des obsèques de son ami Francis de Pressensé, président de la Ligue des droits de l’Homme, haï de l’extrême droite pour son dreyfusisme, son socialisme et son pacifisme…
C’est l’occasion pour Jaurès de mettre en garde la jeunesse alors bombardée par Maurras, Barrès et leurs semblables d’appels à l’héroïsme militaire et de glorification de la guerre. Abel Bonnard (chantre de la collaboration lors de la Seconde Guerre mondiale) écrit déjà dans le Figaro : « C’est dans la guerre que tout se refait. Il faut savoir l’embrasser dans toute sa sauvage poésie de sang. »
« Il y a dans notre France, sur les problèmes vitaux, une inertie de la pensée, une somnolence de l’esprit qui nous exposent à toutes les surprises, jusqu’au jour où se produisent ces lumineux réveils qui viennent heureusement, quoique à de trop longs intervalles, sauver notre pays. »
Jean JAURÈS (1859-1914), La Dépêche du Midi, 12 février 1914. Cité par Bruno Fuligni, Le Monde selon Jaurès, Polémiques, réflexions, discours et prophéties (2014)
Mais ce « lumineux réveil » des consciences n’est plus d’actualité…
« Dites-moi, à la veille d’une guerre, le général qui commanderait […] de coller au mur le citoyen Jaurès et de lui mettre à bout portant le plomb qui lui manque dans la cervelle, pensez-vous que ce général n’aurait pas fait son plus élémentaire devoir ? »
Maurice de WALEFFE (1874-1906), L’Écho de Paris, 17 juillet 1914
Belge naturalisé français, écrivain et journaliste, il a dirigé le quotidien national Paris-Midi de 1911 à 1944 et fondé en 1920 « La plus belle Femme de France », premier nom du concours de Miss France.
L’homme a un avis sur tout et ne manque pas de le faire savoir. « Le journalisme est un métier où, par définition, on doit avoir une idée par jour. En quarante ans de journalisme, il m’a bien fallu en avoir quelques-unes », se gargarise-t-il dans La Revue des deux mondes. Quitte à aller trop loin.
Hostile à l’Allemagne, il désapprouve le pacifisme jusqu’au-boutiste d’un Jean Jaurès qu’il appelle carrément à fusiller. Quelques jours après, le leader socialiste tombera sous les balles de Raoul Villain, un étudiant nationaliste déséquilibré.
« Quoi qu’il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n’y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et de sauvagerie, qu’une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c’est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous demandions à ces milliers d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l’horrible cauchemar. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Dernier discours à Lyon-Vaise, 25 juillet 1914, Cité par la Fondation Jean Jaurès
Il part soutenir à Lyon le candidat socialiste Marius Moutet, en campagne pour une élection législative partielle. Il y prononce son dernier discours en France, six jours avant son assassinat. Mais quelques semaines avant le déclenchement de la guerre, il continue à chercher jusqu’au dernier moment les voix de la paix.
« Tout faire encore pour empêcher cette tuerie ! Ce sera une chose affreuse… D’ailleurs on nous tuera d’abord, on le regrettera peut-être après… »
Jean JAURÈS (1859-1914) à Paul Boncour, 28 juillet 1914, cité dans l’Humanité, 22 juillet 2016
L’Autriche-Hongrie est entrée en guerre. Pessimiste avant sa mort qu’il pressent, il s’adresse au directeur de cabinet de René Viviani, président du Conseil pacifiste qu’il soutient avec le groupe socialiste.
« Le plus grand danger à l’heure actuelle n’est pas, si je puis dire, dans les événements eux-mêmes. […] Il est dans l’énervement qui gagne, dans l’inquiétude qui se propage, dans les impulsions subites qui naissent de la peur, de l’incertitude aiguë, de l’anxiété prolongée. »
Jean JAURÈS (1859-1914), extrait de son dernier article dans L’Humanité du 31 juillet 1914
Article publié le jour de son assassinat. « […] Ce qui importe avant tout, c’est la continuité de l’action, c’est le perpétuel éveil de la pensée et de la conscience ouvrière. Là est la vraie sauvegarde. Là est la garantie de l’avenir. »
« Cette guerre va réveiller toutes les passions bestiales qui dorment au cœur de l’humanité : il faut nous attendre à être assassinés au coin des rues. Qu’importe après tout… »
Jean JAURÈS (1859-1914), ses derniers mots, publiés par l’Humanité le 1er août, au lendemain de son assassinat
« L’essentiel est que nous agissions selon notre idéal, que nous donnions notre force d’un jour à ce que nous croyons la justice et que nous fassions œuvre d’homme en attendant d’âtre couchés à jamais dans le silence et dans la nuit. »
6. L’assassinat de Jaurès et la postérité jauressienne.
« Jaurès est tué ! Ils ont tué Jaurès. »2569
Mme POISSON (fin XIXe-début XXe siècle.), Café-restaurant du Croissant, 31 juillet 1914 à 21 h 40. Arrêté du 18 novembre 1999 relatif à la frappe et à la mise en circulation de pièces commémoratives de 500 francs
Le texte : « Jean Jaurès est représenté de trois quarts, portant la barbe. À l’arrière-plan, des étendards flottant au vent et un assemblage de poulies évoquent les débuts de l’ère industrielle et le destin du militant politique tout à la fois attaché à la République et porteur d’idées sociales novatrices et généreuses. En légende, la phrase prononcée par un des témoins ayant assisté à l’assassinat : Jaurès est tué ! Ils ont tué Jaurès ! »
Les faits : Jaurès dînait rue Montmartre, près de son journal, L’Humanité. Raoul Villain, étudiant de 24 ans, a tiré au revolver sur le dirigeant socialiste. Exalté par les campagnes nationalistes qui, en pleine crise antiallemande, appelaient au meurtre contre l’homme incarnant le pacifisme, il explique : « J’ai voulu faire justice à cet antipatriote. »
Le monde ouvrier reprend le mot : « Ils ont tué Jaurès ! C’est la guerre. » L’Allemagne va déclarer la guerre à la France, le conflit va devenir mondial et le pays, si divisé dans la paix, se retrouvera uni dans l’épreuve comme Jaurès le rêvait.
« Ce héros tué en avant des armées… ce dormeur grave en qui s’engloutissait la paix. »
Anna de NOAILLES (1876-1933), La Mort de Jaurès (1920)
Poétesse, princesse et comtesse d’origine grecque et roumaine, nationalisée française, amie de Clemenceau et tenant le plus célèbre salon littéraire de l’époque, elle rend hommage à Jaurès.
« Par les sombres détours de l’humble corridor, / Tout ce qui fut l’esprit de cet homme qui dort, / Le tonnerre des sons, le feu du cœur, les gestes, / Se glissait doucement et rejoignait plus haut / L’éther universel où l’Hymne à son tombeau. /
Et tandis qu’on restait à regarder cet être / Comme on voit une ville en flamme disparaître. / Tandis que l’air sensible où se taisait l’écho / Baisait le pur visage aux paupières fermées, / L’Histoire s’emparait, éplorée, alarmée, / De ce héros tué en avant des armées… »
Les proches du leader assassiné et les militants socialistes à Paris comme à Carmaux furent bouleversés : « Ils ont tué Jaurès ! » Si certains extrémistes de droite se réjouirent bruyamment, toutes les recherches historiques montrent que la population eut une réaction de tristesse face à un évènement qui venait symboliser le basculement dans l’incertitude, la peur des horreurs de la guerre désormais inéluctable.
Le gouvernement qui se réunit dans la nuit craint d’abord des réactions violentes dans les grandes villes et retient dans la capitale deux régiments de cuirassiers en instance de départ pour la frontière. Mais les rapports parvenus au ministre de l’Intérieur Louis Malvy lui font estimer que les organisations de gauche ne vont pas déclencher de troubles. Dans le même temps, la direction du Parti socialiste fait savoir qu’elle n’appellera pas à des manifestations.
« L’assassinat de M. Jaurès n’a causé dans les esprits qu’une émotion relative. Les ouvriers, les commerçants et les bourgeois sont surpris douloureusement, mais s’entretiennent beaucoup plus de l’état actuel de l’Europe. Ils semblent considérer la mort de Jaurès comme liée aux événements actuels beaucoup plus dramatiques. »
Xavier GUICHARD (1870-1947), directeur de la police municipale de Paris, rapport au ministère de l’Intérieur, 1er août 1914
Il dirigea les arrestations des membres anarchistes de la Bande à Bonnot, avant de devenir directeur de la Police Judiciaire (1930-1934). Georges Simenon en fait dans ses romans le supérieur et le protecteur du Commissaire Maigret.
Quant à la mort de Jaurès, difficile de la comparer aux « événements » contemporains. Le président Poincaré décrète la mobilisation, dans un Appel au pays du 1er août. Le 3, l’Allemagne déclare la guerre à la France.
« Y a-t-il encore des adversaires ? Non, il n’y a plus que des Français. […] Du cercueil de l’homme qui a péri martyr, de ses idées sort une pensée d’union ! De ses lèvres glacées sort un cri d’espérance. Maintenir cette union, réaliser cette espérance, pour la patrie, pour la justice, pour la conscience humaine, n’est-ce pas le plus digne hommage que nous puissions lui rendre ? »
Paul DESCHANEL (1855-1922) Président de la Chambre des députés, éloge funèbre. 4 août 1914
Socialiste à la fois internationaliste et pacifiste, Jaurès a vécu dramatiquement l’approche de la guerre, cherchant appui auprès du mouvement ouvrier pour l’éviter, avant d’être assassiné le 31 juillet 1914 par un nationaliste. Ce que n’a pas su faire la République, cahotant de crises en « affaires » et d’« affaires » en scandales, la guerre l’accomplit alors : l’union sacrée des Français, l’unité nationale retrouvée.
« Jaurès, athlète de l’idée, tomba sur l’arène en combattant le plus terrible fléau de l’humanité et du genre humain : la guerre. »
Léon TROTSKY (1879-1940), éloge de Jean Jaurès en 1917, première version de ce texte paru dans la Kievskaïa Mysl, dont Trotsky était le correspondant parisien en 1915. Il sera réédité plusieurs fois
« Et il restera dans la mémoire de la postérité comme le précurseur, le prototype de l’homme supérieur qui doit naître des souffrances et des chutes, des espoirs et de la lutte…
Trois années ont passé depuis la mort du plus grand homme de la Troisième République. Le torrent furieux des événements qui ont suivi immédiatement cette mort n’a pas pu submerger la mémoire de Jaurès et n’a réussi que partiellement à détourner de lui l’attention. Il y a maintenant dans la vie politique française un grand vide. Les nouveaux chefs du prolétariat, répondant au caractère de la nouvelle période révolutionnaire, ne sont pas encore apparus. Les anciens ne font que rappeler plus vivement que Jaurès n’est plus… »
Trotsky sera lui aussi assassiné le 21 août 1940. Orateur, théoricien, historien, mémorialiste et homme d’action, il demeure l’inspirateur dont se réclament toujours les divers groupes trotskistes à travers le monde.
« Si l’adversaire de la guerre, Jaurès, s’était imposé, la France n’aurait pas pu gagner la guerre. »17
Un des jurés au procès de Villain, fin mars 1919
Raoul Villain a été emprisonné en attente de son procès pendant toute la Première Guerre mondiale et n’a donc pas été mobilisé. Bien que sa culpabilité ne fasse aucun doute, lui-même ayant avoué son acte, il sera acquitté le 29 mars 1919 dans un contexte de ferveur nationaliste, par onze voix sur douze, un juré ayant même estimé qu’il avait rendu service à sa patrie. Cependant que la veuve de Jaurès est condamnée aux dépens (paiement des frais du procès).
« Travailleurs, Jaurès a vécu pour vous, il est mort pour vous. Un verdict monstrueux proclame que son assassinat n’est pas un crime. Ce verdict vous met hors la loi, vous et tous ceux qui défendent votre cause. Travailleurs, veillez ! »
Anatole FRANCE (1844-1924), réaction indignée à la fin du procès de Raoul Villain, lettre publiée le 4 juillet 1919 dans l’Humanité
Épilogue de l’Histoire… Après une vie chaotique et une tentative de suicide, Villain s’installe à Ibiza en Espagne.
Au début de la guerre d’Espagne en juillet 1936, l’île tombe aux mains des franquistes, puis est reconquise par les républicains qui la quittent rapidement. Reprise par des groupes anarchistes, l’île est bombardée par l’aviation franquiste et dans le chaos, le 13 septembre 1936, les anarchistes exécutent Villain pour espionnage au profit de l’armée franquiste, sans que l’on sache s’ils savaient vraiment qui il était.
Entre temps, Jaurès est entré au Panthéon en 1924. Le 23 novembre 1924, la dépouille fut conduite au Panthéon lors d’une cérémonie grandiose. Tous les mouvements politiques de gauche participent, sauf le Parti communiste français qui organise sa propre manifestation et proteste contre la « récupération » de Jaurès.
« Demandez-vous belle jeunesse… Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? »
Jacques BREL (1929-1978), Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? (1977)
Une chanson à réécouter sur Youtube.
« La peine de mort est contraire à ce que l’humanité depuis deux mille ans a pensé de plus haut et rêvé de plus noble. Elle est contraire à la fois à l’esprit du christianisme et à l’esprit de la Révolution. »3217
Robert BADINTER (1928-2024), garde des Sceaux, citant mot pour mot Jean JAURÈS (1859-1914) et plaidant pour l’abolition, Assemblée nationale, 17 septembre 1981
La peine de mort n’était pratiquement plus appliquée en France, mais le symbole est très fort. Allant à l’encontre de l’opinion publique, l’abolition est la 17e des « 110 propositions pour la France » du candidat Mitterrand, et Badinter, l’avocat des grandes causes.
« Je regarde la marche de la France. La France est grande, non seulement par sa puissance, mais au-delà de sa puissance, par l’éclat des idées, des causes, de la générosité qui l’ont emporté aux moments privilégiés de son histoire […] La France a été parmi les premiers pays du monde à abolir l’esclavage, ce crime qui déshonore encore l’humanité. Il se trouve que la France aura été, en dépit de tant d’efforts courageux, l’un des derniers pays, presque le dernier en Europe occidentale dont elle a été si souvent le foyer et le pôle, à abolir la peine de mort. Pourquoi ce retard ? »
L’Assemblée vote massivement l’abolition le 18 septembre : 363 pour, 127 contre, certains députés de l’opposition se joignant à la majorité. Au Sénat : 160 pour, 126 contre. Le 9 octobre 1981, la peine de mort est abolie par la loi. Et Jacques Chirac, président, donnera en 2007 valeur constitutionnelle à l’abolition de la peine de mort.
« Il faudrait être bien inattentif pour croire que l’action de Pierre Mendès France fut limitée aux quelque sept mois et dix-sept jours passés de juin 1954 à février 1955 à la tête du gouvernement de la République. Un été, un automne, quelques jours. L’Histoire ne fait pas ces comptes-là. Léon Blum pour un an, Gambetta et Jaurès, pour si peu, pour jamais, pour toujours. »2897
François MITTERRAND (1916-1996), Cour d’honneur de l’Assemblée nationale, Discours du 27 octobre 1982. Le Pouvoir et la rigueur : Pierre Mendès France, François Mitterrand (1994), Raymond Krakovitch
Tel sera l’hommage solennel de François Mitterrand, devenu président de la République, à la mort de Pierre Mendès France, autre socialiste de référence pour le Parti.
« Quel que soit l’être de chair et de sang qui vient à la vie, s’il a figure d’homme, il porte en lui le droit humain. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Cité par Le Nouvel Obs, 1er août 2014, pour le centenaire de son assassinat
« Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. »
Jean JAURÈS (1859-1914), Lettre de Jean Jaurès aux instituteurs (1888)
Lors de l’hommage national rendu à Samuel Paty, professeur assassiné le 16 octobre 2020, des extraits de la lettre de Jean Jaurès ont été lus.
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