Portrait de Louis XV en citations | L’Histoire en citations
Portraits en citations des Personnages de l’Histoire

 

Entre Louis XIV (son arrière-grand-père) qui régna en monarque absolu avec la passion de son métier et Louis XVI (son petit-fils) qui rata son règne mais réussit sa « belle mort » sous la Révolution, Louis XV est le premier roi qui finira victime de l’opinion publique, ce quatrième pouvoir né au siècle des Lumières et déjà redoutable.

Enfant roi de 5 ans, il fait son apprentissage sous la Régence (Philippe d’Orléans), laissant ensuite gouverner son ex-précepteur le cardinal de Fleury (73 ans) pour le plus grand bien du pays. « Beau comme l’Amour », adoré du peuple, marié à 15 ans, époux sitôt comblé, il règne enfin à 33 ans.
Louis XV déçoit aussitôt : intelligent mais timide, dépourvu d’autorité, retranché au milieu de sa cour, luttant mal contre sa mélancolie naturelle, redoutant la mort au point de devenir la proie de son clergé, menant une politique incertaine face à la révolte parlementaire inspirée des philosophes.

Le divorce grandit entre la royauté et le pays. Le peuple reproche au roi l’influence de ses favorites, hier bien vues, à présent haïes et chansonnées, telle la Pompadour qui impose ses amis - Choiseul le plus connu est un bon ministre. La guerre de Sept Ans aboutit au désastreux traité de Paris (1763).

Les apparences restent brillantes : l’économie prospère, la France éclaire l’Europe de ses Lumières, les philosophes veulent le bonheur du genre humain, l’Encyclopédie répand la fièvre du savoir. Mais l’opinion se fait toujours plus critique contre le pouvoir absolu et les injustices du régime. Louis XV tente enfin avec ses ministres une « révolution royale » pour abolir les privilèges. L’expérience tourne court : après un règne de presque soixante ans, Louis le Bien Aimé finit haï du peuple, enterré sous les huées. Les historiens peinent à retoucher le portrait, et pourtant…

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1. Louis XV dit le Bien Aimé : un roi à contremploi ?

« Il avait tout ce qu’il fallait pour faire le plus grand roi du monde. Il ne lui aurait fallu que la moitié de la gasconnade d’Henri IV et du grand caractère de Louis XIV. »1112

Duc de CROŸ (1718-1784), Journal inédit : Mémoires (posthume)

Maréchal de France et gouverneur de Picardie, très proche du roi et naturellement courtisan, le duc reconnaît cependant des manques essentiels dans la personnalité de Louis XV. Il manquera surtout au roi un Richelieu, vu ses points communs avec Louis XIII : mêmes doutes, scrupules excessifs, volonté secrète, méfiance et timidité. Plus que tout autre roi, il est aussi sous l’influence de ses maîtresses qui lui sont indispensables pour ne pas tomber dans une mélancolie maladive.

« La modestie était une qualité qui fut poussée au vice chez lui. Voyant plus juste que les autres, il croyait toujours avoir tort. »1113

Duc de CROŸ (1718-1784), Journal inédit : Mémoires (posthume)

Il écrit encore à propos de Louis XV : « J’ai dit mille fois dans mes Mémoires, il ne lui manquait que d’oser décider par lui-même et de ne pas, toujours par modestie, tourner à l’avis des autres, tandis qu’il voyait mieux qu’eux. » Il cite le roi : « J’aurais cru cela (et il avait raison), mais on me dit le contraire, donc je me suis trompé. »

Le duc de Luynes, autre proche, confirme : « On voit quelquefois qu’il a envie de parler, la timidité le retient, et les expressions semblent se refuser. » Le roi est sujet à des accès de neurasthénie, durant lesquels il s’enferme dans un mutisme complet. Parfois, on sent qu’il veut dire quelque chose d’obligeant, mais il n’y arrive pas.

« Je n’aime pas défaire ce que mes pères ont fait. »1114

LOUIS XV (1710-1774), Lettre à Mme de Brionne (1770). Louis XV (1980), Pierre Gaxotte

Au nom de cette fidélité, il se soumettra toute sa vie à un cérémonial de cour qui n’est plus de mise et qui lui pèse autant qu’il était du goût de Louis XIV. Ce respect de la tradition vaut en bien d’autres circonstances. Au début de son règne, il écrit à Noailles : « Le feu roi mon bisaïeul, que je veux imiter autant qu’il me sera possible… » Mais Louis XV n’est pas Louis XIV et la France du siècle des Lumières est bien différente de celle du siècle dernier, plus du tout prête à accepter une monarchie aussi absolue. Ce malentendu va peser lourd dans l’histoire.

« Si les rois connaissaient tout ce que Dieu demande d’eux, ils trembleraient tous les jours. »1115

Une des leçons apprises par l’enfant. La Revue universelle (1932), Jacques Bainville

Louis XV retint la leçon, et au-delà du raisonnable. Animé d’une foi très vive, il confond ce que Dieu attend du Roi Très Chrétien et de l’homme : l’homme péchant sans cesse, le roi se tient éloigné des sacrements pour ne pas donner à la cour le spectacle public d’une communion qui pourrait sembler scandaleuse.

Il vit dans la peur perpétuelle de l’enfer : à chaque maladie, il se repent et s’humilie avec excès. Le plus grave est qu’il sera souvent esclave de son clergé : les dévots arrachent ainsi au roi faveurs et mesures politiques, en expiation des péchés de l’homme. Ce « mélange des genres » est politiquement catastrophique – Louis XIV également très pieux et grand pécheur à divers titres s’en est bien gardé ! Pour Louis XIII et Louis XVI, tout aussi pieux, pas de problème d’infidélité conjugale.

« Le Roi l’avait fait venir pour se distraire, les sciences étant, en pareil cas, avec la piété, la seule distraction des belles âmes, mais les futiles courtisans tournaient cela en ridicule. »1117

Duc de CROŸ (1718-1784), Journal inédit : Mémoires (posthume)

Le duc parle de Jean-Dominique Cassini, grand astronome et ingénieur français d’origine italienne, premier directeur de l’Observatoire de Paris en 1667. Ce savant est agréablement surpris de l’intérêt porté par Louis XV aux observations, aux machines nouvelles. Mais il est plus encore bouleversé par la « douleur noire » du roi qui doit faire un immense effort sur lui-même pour ne pas sombrer dans la pire mélancolie. On parlerait aujourd’hui de dépression. Rappelons que le XVIIIe est un siècle où le bonheur est de mise – exception à la règle chez les philosophes, Rousseau maladivement paranoïaque et génialement préromantique.

Louis XV aime et protège les artistes et les savants, s’intéressant à l’économie politique avec Quesnay, aux expériences d’électricité avec Buffon, Nollet, à la médecine et à la chirurgie, à la botanique. En cela, il est bien homme de son temps. Il se méfiera pourtant des gens de lettres et des philosophes, trop prompts à critiquer, faire ou défaire une réputation.

« On se sentait forcé de l’aimer dans l’instant. »1118

CASANOVA (1725-1798), de passage en France, 1750, Histoire de ma vie (posthume)

L’aventurier et mémorialiste italien (d’expression française) confirme cette impression de prestance et de grâce que Louis XV donne à quiconque l’approche : « J’ai vu le roi aller à la messe. La tête de Louis XV était belle à ravir et plantée sur son cou l’on ne pouvait pas mieux. Jamais peintre très habile ne put dessiner le coup de tête de ce monarque lorsqu’il se retournait pour regarder quelqu’un. »

Les portraits du roi sont beaucoup plus flatteurs à nos yeux que ceux de Louis XIV et de Louis XVI. Même s’il n’est visiblement pas à l’aise pour poser, certaine ressemblance avec le chat Angora blanc n’est pas un hasard – nous dirons sa passion pour cette race qu’il introduit à la cour.

2. Les prémices du règne : une chronique de 28 années, entre espoirs et handicaps à venir.

« Mon enfant, vous allez être un grand roi. Ne m’imitez pas dans le goût que j’ai eu pour les bâtiments ni dans celui que j’ai eu pour la guerre. Tâchez de soulager vos peuples, ce que je suis malheureux pour n’avoir pu faire. »943

LOUIS XIV (1638-1715), au futur Louis XV, 26 août 1715. Mémoires (posthume), Saint-Simon

Le roi agonisant reçoit dans sa chambre le petit Dauphin de 5 ans. Il lui donne une ultime leçon. Le marquis de Dangeau, mémorialiste, nous a laissé un Journal de la cour de Louis XIV qui retrace avec minutie les derniers jours. Roi Très Chrétien, Louis XIV fait preuve d’autant de dignité que d’humilité. La guerre, entreprise et soutenue par souci de grandeur mais aussi par vanité, cause de la ruine des peuples, semble être son grand remords.

« La plus éclatante victoire coûte trop cher, quand il faut la payer du sang de ses sujets. »941

LOUIS XIV (1638-1715), Lettre à l’intention du Dauphin, août 1715. Louis XIV (1923), Louis Bertrand

Lettre écrite peu de jours avant sa mort, confiée au maréchal de Villeroi son ami de toujours pour être remise à Louis XV à ses 17 ans. Cet arrière-petit-fils est son seul héritier survivant après l’hécatombe familiale, l’une des malédictions de cette fin de règne. Après le XVIIe, siècle guerrier et fier de l’être, le XVIIIe trouvera plaisir à se moquer d’une armée plutôt lamentable (le maréchal de Saxe faisant exception).

« Mon neveu, je vous fais Régent du royaume. Vous allez voir un roi dans le tombeau et un autre dans le berceau. Souvenez-vous toujours de la mémoire de l’un et des intérêts de l’autre. »945

LOUIS XIV (1638-1715), à Philippe d’Orléans, Testament, 1715. Histoire de la Régence pendant la minorité de Louis XV, volume I (1922), Henri Leclercq

Le texte sera lu au lendemain de sa mort. Le roi a institué un Conseil de régence dont le Régent en titre est président, la réalité du pouvoir allant au duc du Maine (fils légitimé de Mme de Maintenon). Son neveu, dont il se méfie non sans raison, ne s’en satisfera pas et le roi mourant a peu d’illusion sur l’avenir de ses dernières volontés royales.

Pendant cinq ans, la Régence se pose en réaction contre le règne de Louis XIV : elle libère les idées et les mœurs, révolutionne le système de gouvernement et les finances, prend le contre-pied de la politique religieuse de Louis XIV et renverse les alliances politiques. Les trois années suivantes marquent un retour à la politique du siècle dernier.

« Sire, je viens rendre mes devoirs à Votre Majesté, comme le premier de ses sujets. Voilà la principale noblesse de votre royaume, qui vient vous assurer de sa fidélité. »1068

Philippe d’ORLÉANS (1674-1723), au petit Louis XV de 5 ans, 1er septembre 1715. Louis XV (1989), Michel Antoine

Sa Majesté de 5 ans pleure à chaudes larmes le jour de la mort de son arrière-grand-père, devant la foule des princes, princesses, ducs et pairs, maréchaux et grands officiers, évêques et autres courtisans qui se pressent pour saluer le nouveau roi - et le futur Régent, Philippe d’Orléans.

Dès le 2 septembre, le Régent obtient tous les pouvoirs du Parlement et, en échange, lui redonne le droit de remontrance. Du même coup, il en devient l’otage. Jusqu’à la Révolution, pouvoir royal et magistrature ne vont plus cesser de s’affronter, Louis XV et Louis XVI se révélant incapables d’imposer leur pouvoir, fut-ce par lit de justice : séance solennelle du parlement, effectuée en présence du roi et lui permettant de forcer l’enregistrement de lois par un parlement récalcitrant. Procédure comparable au fameux article 49 de la Constitution sous la Cinquième République, quand le gouvernement veut faire passer en force une loi à l’Assemblée nationale.

« Sire, tout ce peuple est à vous. »1085

Maréchal de VILLEROY (1644-1730), au petit roi âgé de 10 ans, 25 août 1720. Analyse raisonnée de l’histoire de France (1845), François René de Chateaubriand

Ami d’enfance de Louis XIV, militaire fameux pour ses défaites plus que ses victoires, moqué à la cour et chansonné dans la rue, il n’en est pas moins gouverneur de Louis XV enfant. Il lui désigne, d’un balcon des Tuileries, la foule venue le voir et l’acclamer, le jour de la Saint Louis (anniversaire de la mort du roi Louis IX).

Le vieux courtisan se distingue surtout comme professeur de maintien, accablant l’enfant-roi de parades, audiences, revues, défilés, autant de corvées fastueuses qui vont donner au futur roi, et pour la vie, l’horreur de la foule, des ovations et des grands mouvements de peuple ! Autre conséquence de cette éducation, soulignée par Chateaubriand l’opposant à « Henri IV [qui] courait pieds nus et tête nue avec les petits paysans sur les montagnes du Béarn ». Ici, l’enfant du trône est complètement séparé des enfants de la patrie, ce qui le rend étranger à l’esprit du siècle et aux peuples sur lesquels il va régner. Et de conclure superbement : « Cela explique les temps, les hommes et les destinées. »

« Je supplie Votre Majesté de ne pas être effrayée de ce qu’elle n’entendra pas d’abord […] Chaque chose se développera l’une après l’autre d’elle-même, et sans qu’Elle s’en aperçoive, les affaires où Elle croira n’entendre rien lui deviendront insensiblement familières. »1089

Philippe d’ORLÉANS (1674-1723). Louis XV (1980), Pierre Gaxotte

Le jeune Louis XV atteint l’âge de la majorité légale (13 ans) et son oncle le Régent commence à l’initier véritablement à son métier de roi : très précisément le 22 août 1722, à dix heures et demie du matin.

Le cardinal Dubois, Premier ministre très influent à l’instar de Richelieu et Mazarin, dirige la rédaction des leçons royales confiées à d’éminents spécialistes dont la sagesse est grande. Exemple : « Le Roi ne peut être riche qu’autant que ses sujets le sont. » Les philosophes ne sauraient mieux dire.

« On se souviendra longtemps qu’il ressemblait à l’Amour. »1090

Marquis d’ARGENSON (1694-1757), lors du sacre, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, 25 octobre 1722. Journal et Mémoires du marquis d’Argenson (posthume, 1859)

C’est le fils d’Argenson, René Louis qui témoigne dans ses Mémoires et parle, littéralement sous le charme du jeune roi. Louis XV restera « le Bien-Aimé » pour l’histoire, même s’il finit détesté par son peuple. Les contemporains de son adolescence, unanimes, évoquent sa séduction et sa prestance, la grâce qu’il met à danser, monter à cheval, passer les troupes en revue. Le règne s’annonce idéalement bien… Jusque dans la vie privée et fatalement publique du roi.

« Où trouver une fille charmante / Pour donner au roi Louis ?
Où trouver une ligue puissante / Contre tous ses ennemis ? »1093

Où trouver une fille charmante ? (1725), chanson. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Le peuple qui adore son petit roi chante, tandis que la cour cherche… l’alliance la plus profitable. C’est un vrai feuilleton.

Trois ans pour aligner rien moins que 17 princesses ! Encore furent-elles choisies parmi 99 possibilités. On évitera (dit la chanson) « la Salpêtrière » – la fille du roi du Portugal, « d’une famille dont l’esprit est dérangé » selon le rapport. On renverra sa cousine germaine, l’infante d’Espagne, vraiment trop jeune – fiancée à 3 ans, elle en a 7, Louis est de santé fragile, sa mort sans descendance donnerait la couronne au duc d’Orléans, fils du Régent, ennemi des Condé, mais l’affront fait à l’Espagne est près de provoquer une guerre. Et on la trouvera (dit la chanson) « dans une chaumière » : autrement dit, on se rabat sur la plus pauvre, fille d’un roi (de Pologne) sans royaume, Marie Leczinska. Au grand dam des autres cours d’Europe.

« Le roi déclara hier son mariage et je vous assure que l’on ne peut être plus gai ni désirer plus vivement l’arrivée de la princesse ; il nous a promis que dix mois après son mariage, il serait père. »1094

Maréchal de VILLARS (1653-1734), 28 mai 1725. Mémoires du maréchal de Villars (posthume, 1904)

L’adolescent, très pieux, se réserve pour sa femme, mais son sang Bourbon bouillonne face à toutes les jeunes beautés de la cour, impatientes de lui plaire. En attendant le mariage, la chasse est l’exutoire de sa vitalité et restera plus tard, avec l’amour, son passe-temps favori.

Des bruits courent cependant dans cette cour qui se fait l’écho de tous les ragots bien avant les fake news d’aujourd’hui : Marie est, dit-on, affreuse, avec des pieds palmés, des crises d’épilepsie et des sueurs froides. Plus sérieusement, on assure que le mariage a été arrangé par la jolie Mme de Prie, maîtresse de M. le Duc de Bourbon (Premier ministre plus ou moins soumis à la dame) et qu’elle a voulu la future reine sotte et laide, afin de mieux la dominer.

« La princesse de Pologne avait près de vingt-deux ans, bien faite et aimable de sa personne, ayant d’ailleurs toute la vertu, tout l’esprit, toute la raison qu’on pouvait désirer dans la femme d’un roi qui avait quinze ans et demi. »1095

Maréchal de VILLARS (1653-1734), 28 mai 1725. Mémoires du maréchal de Villars (posthume, 1904)

La vertu est indiscutable et le demeura. Peut-être le bonheur la fit-elle jolie un temps. Mais son propre père, le roi de Pologne, assurait n’avoir jamais connu de reines plus ennuyeuses que sa femme et sa fille ! Or Louis XV, de nature mélancolique, a surtout besoin de légèreté, de gaieté, d’esprit. On ne peut donc imaginer couple plus mal assorti.

Néanmoins, après le mariage (4 septembre 1725) et toujours selon le témoignage de Villars, fringant septuagénaire, « la nuit du 5 au 6 a été pour notre jeune roi une des plus glorieuses […] la nuit du 6 au 7 a été à peu près égale. Le roi, comme vous croyez bien, est fort content de lui et de la reine, laquelle, en vérité, est avec raison bien reine de toutes les façons. » Le duc de Bourbon confirme par lettre au père de la mariée que le roi donna à la reine « sept preuves de tendresse » la première nuit qui avait duré treize heures.

C’est le début de la carrière amoureuse de Louis XV et la preuve que les rois n’ont pas de vie privée. Celle de ce roi va lui nuire infiniment plus que dans les cas sexuellement comparables d’Henri IV et de Louis XIV.

« J’ai jugé nécessaire de supprimer et d’éteindre le titre et les fonctions de Premier ministre. »1097

LOUIS XV (1710-1774), Déclaration au Conseil, 11 juin 1726. La France sous Louis XV (1864), Alphonse Jobez

Véritable révolution de palais : la disgrâce du duc de Bourbon et de sa maîtresse Mme de Prie envoie en exil le couple et leurs partisans, dont les frères Pâris, financiers jadis hostiles à Law et son fameux Système (bancaire).

Joie populaire – le lieutenant de police peine à empêcher les illuminations dans Paris. Joie plus grande encore du fait que le bien-aimé roi, âgé de 16 ans, dit vouloir gouverner seul. On se croit revenu en 1661, à la prise du pouvoir par Louis XIV décidé à régner seul après la mort de Mazarin. Mais en réalité, l’abbé (de) Fleury son ancien précepteur âgé de 73 ans va tenir lieu de Premier ministre. Cela retarde encore l’épreuve de vérité pour Louis XV face à son peuple.

« Je vous prie, Madame, et s’il le faut, je vous l’ordonne, de faire tout ce que l’évêque de Fréjus [Fleury] vous dira de ma part, comme si c’était moi-même. Signé, Louis. »1098

LOUIS XV (1710-1774), lettre à sa femme, la reine. Histoire de la régence et de la minorité de Louis XV, jusqu’au ministère du cardinal de Fleury (1832), Pierre Édouard Lemontey

Marie Leczinska est seule à regretter l’ex-Premier ministre et sa maîtresse à qui elle doit son mariage inespéré.

Pendant dix-sept ans, Louis XV va donc laisser son ex-précepteur gouverner la France, Premier ministre sans en avoir jamais le titre. Quand il reçoit la barrette de cardinal en août 1726, une épigramme circule sur la pauvre France malade, traitée depuis cent ans par trois médecins de rouge vêtus : le premier (Richelieu) l’a saignée ; le second (Mazarin) l’a purgée ; le troisième (Fleury) l’a mise à la diète.

En fait, la France sera globalement heureuse et fort bien gouvernée par le cardinal Fleury.

« Prenez parole avec Peira pour un garçon. »1099

LOUIS XV (1710-1774), à la reine, 28 juillet 1728. Les Rois qui ont fait la France, Louis XV le Bien-Aimé (1982), Georges Bordonove

Marie Leczinska vient d’accoucher d’une fille, après les jumelles de l’année précédente. Elle pleure de n’avoir toujours pas donné le Dauphin espéré à la France… et au roi tant aimé. Il ne se permet pas d’autre reproche et s’en remet à Peira, l’accoucheur. Le fils ardemment désiré naît le 4 septembre 1729 et met fin à la rivalité dynastique avec l’Espagne de Philippe V (Fils de France et Bourbon).

Dans une monarchie héréditaire, la naissance d’un héritier (mâle) est une obsession nationale. La mortalité infantile élevée, une espérance de vie relativement brève rendent la situation plus dramatique encore. Quant aux amours royales, on peut s’étonner que ce bel homme de 28 ans n’ait pas encore de maîtresse. Le sang des Bourbon bouillonne toujours en lui, mais sa piété l’emporte. Louis XV, moins précoce que Louis XIV ou Henri IV, se rattrapera plus tard.

En attendant, le couple royal est un couple amoureux – fait rarissime dans l’Histoire. Elle est folle de lui et après un coup de foudre authentique, une nuit de noces glorieuse (commentée par le maréchal de Villars à l’égal d’une bataille victorieuse), le roi aimera tendrement cette reine douce et soumise, qu’il trouve de surcroît « la plus belle ». Le fait n’est pas certain, même d’après des témoins indulgents : cela confirme que le roi a bien les yeux de l’amour pour la reine.

« Il fallait tenir le pot de chambre aux ministres tant qu’ils étaient en puissance, et le leur renverser sur la tête sitôt qu’on s’apercevait que le pied commençait à leur glisser. »953

Maréchal de VILLEROI (1644-1730). Mémoires de Saint-Simon (posthume, 1879)

« Grand routier de cour », ami d’enfance de Louis XIV, médiocre militaire sous son règne quoique maréchal de France et gouverneur fort critiqué de Louis XV enfant, le maréchal fut exilé en ses terres (près de Lyon) en 1722 par le Régent irrité de sa présence constante auprès du roi. De retour à Paris en 1724, il meurt à 86 ans.

Sa description de la cour, à la fois juste et cruelle, pourrait être signée de Voltaire ! Les ministres se succèdent au rythme de réformes abandonnées presque aussitôt qu’entreprises et de disgrâces succédant aux faveurs royales.

« Nous parlons et on nous défend la parole, nous délibérons et on nous menace. Quelle paix après cela le Conseil du roi veut-il nous laisser entrevoir, sinon celle qu’on n’ose nommer ? »1100

René PUCELLE, dit l’« Abbé Pucelle » (1655-1745), conseiller au Parlement de Paris. Bibliothèque des mémoires relatifs à l’histoire de France pendant le XVIIIe siècle (1854), François Barrière

La guerre entre Parlement et pouvoir royal recommence et ne va plus cesser jusqu’à la Révolution, aboutissement logique. Raison présente, sinon prétexte : la bulle Unigenitus de Clément XI condamnant 101 propositions jansénistes en 1713 est érigée en loi française par la Déclaration du 24 mars 1730, signée par le roi.

Le Parlement, majoritairement janséniste, conteste la validité de la Déclaration. Louis XV en impose l’enregistrement par lit de justice. Le Parlement s’incline, puis revient sur sa décision. Les rapports s’enveniment avec le roi qui refuse de recevoir une délégation du Parlement, d’où l’indignation exprimée par Pucelle, toujours prêt à ferrailler sur les questions ecclésiastiques.

« Le roi connaît toute l’étendue des droits de sa suprême puissance, et il n’a pas besoin d’être excité à maintenir les maximes du royaume. »1101

Chancelier d’AGUESSEAU (1668-1751), au Parlement, parlant au nom du roi, 10 janvier 1732. Le Chancelier d’Aguesseau (1860), Francis Monnier

Suite de l’affaire Unigenitus : remontrances, arrêts, protestations, lits de justice, députations, selon un scénario qui se renouvellera à tout propos durant le règne, pour finir par ébranler le régime. Après un arrêt du Parlement précisant qu’en temps opportun, il serait fait des remontrances sur l’obligation de respecter les « maximes » (lois fondamentales) du royaume, la fermeté du chancelier apaise un temps le conflit et les esprits.

« Le roi ne songe pas assez à la sûreté de Paris, qui est souvent de grande conséquence pour son autorité. On a vu des barricades, c’est une invention qui a fait fortune depuis le duc de Guise, dont on s’est servi depuis, et que les Parisiens se rappellent à présent. Ils s’en serviront à la première occasion. »1102

Marquis d’ARGENSON (1694-1757), lieutenant général de police, texte écrit vers 1731. Journal et Mémoires (posthumes, 1859)

L’agitation parlementaire est relayée par l’agitation populaire. De prétendus miracles se produisent depuis 1730 sur la tombe du diacre Pâris, saint homme vivant pour les pauvres, mort en 1727 et enterré dans le cimetière Saint-Médard, au bas de la rue Mouffetard. Tumultes et manifestations d’hystérie collective alternent. Les convulsionnaires attirent les badauds parisiens. Ce pourrait n’être qu’un fait divers. C’est aussi une question religieuse. Le diacre était janséniste, farouche opposant aux jésuites, au pape et à la bulle Unigenitus. Le Parlement de Paris a une minorité janséniste remuante et le mouvement n’en finit pas de rebondir. Le désordre est tel que la police ferme le cimetière, le 29 janvier 1732. Une nouvelle épreuve de force commence entre les magistrats et le pouvoir royal.

« De par le Roi, défense à Dieu
De faire miracle en ce lieu. »1103

Épigramme (anonyme) à la porte du cimetière Saint-Médard, fin janvier 1732. Dictionnaire philosophique (1764), Voltaire

L’affaire des convulsionnaires du cimetière Saint-Médard, cas spectaculaire de transe collective, défraie la chronique durant cinq années, créant un trouble à l’ordre public du plus mauvais effet, même si l’épigramme se veut plaisante. Finalement, le Parlement approuvera l’ordonnance royale qui a ordonné la fermeture du cimetière. Le jansénisme est discrédité. Le vieux cardinal Fleury espère enfin pouvoir gouverner en paix et rétablir les finances de la France.

« Toujours coucher, toujours grosse, toujours accoucher. »1106

Marie LECZINSKA (1703-1768), en 1737. Les Rois qui ont fait la France, Louis XV le Bien-Aimé (1982), Georges Bordonove

Le mot, souvent cité, est sans doute apocryphe – femme très réservée, princesse bien éduquée, elle n’a pu dire cela. Mais elle a dû le penser. En dix ans de mariage, elle donne dix enfants au roi (dont sept filles). La dernière grossesse est difficile, sa santé s’en ressent, elle doit se refuser à son époux sans lui dire la raison, il s’en offusque et s’éloigne d’elle.

Elle perd toute séduction, se couvre de fichus, châles et mantelets pour lutter contre sa frilosité. Toujours amoureuse, elle sera malheureuse et l’une des reines les plus ouvertement trompées. Louis XV a commencé sa carrière amoureuse extra-conjugale avec Mme de Mailly, favorite discrète. La chose est fort bien vue par la rue…

« Notre monarque, enfin, / Se distingue à Cythère.
De son galant destin / On ne fait plus mystère.
Mailly, dont on babille, / La première éprouva
La royale béquille / Du père Barnabas. »1107

Notre monarque enfin, chanson. Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV (posthume, 1866), Edmond Jean-François Barbier

Le peuple respire gaillardement : son roi n’est plus sans divertissement. La liaison date de cinq ans quand elle devient publique, vers 1740. Les quatre sœurs de Nesle seront successivement ses maîtresses, avant l’arrivée de la Pompadour. Le Bien-Aimé sera l’un des rois les plus riches en favorites dont l’influence politique, non négligeable, ne sera sans doute pas aussi excessive (ni exécrable) qu’on l’a dit.

Humiliée par les nouvelles maîtresses en titre, la reine se console avec Dieu et la gourmandise : on lui doit l’invention des bouchées à la reine. On lui doit aussi la Lorraine. Au terme de la guerre de Succession de Pologne (1733-1738) et du traité de Vienne, son père Stanislas Leczinski n’obtient pas la Pologne, mais la Lorraine en viager : la province deviendra française à sa mort. Cette bonne affaire, due à l’habileté du cardinal de Fleury, est l’un des meilleurs acquis du règne.

« M. le cardinal de Fleury mourut enfin hier à midi. On n’avait jamais vu d’agonie si comique, par toutes les chansons, épigrammes et démonstrations. »1111

Marquis d’ARGENSON (1694-1757), 30 janvier 1743. Journal et Mémoires du marquis d’Argenson (posthume, 1859)

Le vieux cardinal, mort à 90 ans, ne fut jamais populaire. Sa politique prudente passait pour sans grandeur et la guerre de Succession d’Autriche voulue par le pays fut déclarée en 1740 contre son avis. Mais le roi rend justement hommage à son précepteur. Il lui a laissé tout pouvoir depuis 1726 et lui est resté tendrement attaché : « Ayant eu le malheur de perdre mes père et mère avant que j’eusse connaissance, je l’ai toujours regardé comme tel, ce qui rend sa perte plus douloureuse » (Lettre à son oncle Philippe V d’Espagne). Louis XV va désormais gouverner seul. Mal préparé à cette tâche, son indolence naturelle est un autre handicap.

3. Politique contestée, amours dénigrées : cibles royales pour l’opinion publique éclairée ou déchaînée.

« Ne vous laissez pas gouverner, soyez le maître. N’ayez jamais de favori, ni de Premier ministre. Écoutez, consultez votre Conseil, mais décidez. Dieu qui vous a fait roi vous donnera toutes les lumières qui vous sont nécessaires, tant que vous aurez de bonnes intentions. »1119

LOUIS XIV (1710-1774), Lettre écrite en 1714 à l’intention de Louis XV. Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, Mémoires du duc de Noailles (1828)

Janvier 1743. Après la mort de Fleury, Louis XV reçoit cette lettre confiée par le feu roi à Adrien Maurice de Noailles, grand militaire, homme politique à la longue carrière – il quittera le Conseil du roi en 1756 à 76 ans et mourra à 88 ans. Le duc appuie naturellement les propos du feu roi.
Louis XV annonce qu’il gouvernera lui-même – à 33 ans, il est plus que temps. Il va s’y essayer, présidant en personne le Conseil. Mais la tâche est lourde et le métier de roi d’une complexité croissante dans cette monarchie centralisée à l’extrême. À cela s’ajoutent les turbulences intérieures du règne, les incohérences des conflits européens… et le divorce entre le roi et son peuple qui survient un an après.

« Puisqu’il a repris sa catin, il ne trouvera plus un Pater sur le pavé de Paris. »1120

Les poissardes parlant de Louis XV, novembre 1744. Dictionnaire contenant les anecdotes historiques de l’amour, depuis le commencement du monde jusqu’à ce jour (1811), Mouchet

Bien-Aimé, certes, mais déjà contesté. Elles ont tant prié pour la guérison du roi malade, ex enfant de santé fragile ! Mais il vient de reprendre sa maîtresse Mme de Châteauroux, troisième des sœurs de Nesle, présentées au roi par le duc de Richelieu, petit-neveu du cardinal (embastillé à 15 ans pour débauche et remarié pour la troisième fois à 84 ans). La nouvelle fait scandale. La cour se tait, mais la rue a son franc-parler.

Rappelons ici l’origine du Panthéon de Paris. En 1744, Louis XV (parti avec sa favorite Mme  de Châteauroux) est à la tête de son armée en guerre contre les Autrichiens, à Metz. Tombé gravement malade, il fait vœu de remplacer la vieille abbatiale de Sainte-Geneviève (patronne de la capitale) par une nouvelle église pour abriter la châsse de la sainte, s’il guérit. Une fois rétabli, il fait appel à l’architecte Jacques-Germain Soufflot pour exaucer son vœu. Après un demi-siècle de travaux et de procédures, l’église est achevée au début de la Révolution : l’Assemblée nationale constituante décide de transformer l’église abbatiale en temple laïque, consacrant ses cryptes aux Français illustres par leurs talents et les services rendus à la patrie. Au fronton, on place l’inscription « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante. » Le temple redeviendra église sous la Restauration, puis assumera sa double vocation au fil des changements de régime, jusqu’à la Troisième République et la mort d’Hugo, l’un des plus grands hommes de notre Histoire portés au Panthéon.

« Les rois sont avec leurs ministres comme les cocus avec leurs femmes : ils ne savent jamais ce qui se passe. »952

VOLTAIRE (1694-1778), Le Sottisier (posthume, 1880)

Louis XV s’intéressa sans doute à son métier de roi, quoique tardivement – les historiens sont partagés sur ce point. Louis XVI, très consciencieux, sera vite dépassé par la situation et la complexité des problèmes. Mais faute de bonnes enquêtes et statistiques pour éclairer leur politique, les ministres eux-mêmes sont peu au courant de l’état du royaume.

« Voyez tout le sang que coûte un triomphe. Le sang de nos ennemis est toujours le sang des hommes. La vraie gloire est de l’épargner. »1123

LOUIS XV (1710-1774), à son fils le Dauphin, au soir de la victoire de Fontenoy, 11 mai 1745. Les Pensées des rois de France (1949), Gabriel Boissy

Le roi parcourt le champ de bataille, jonché de 11 000 morts et blessés. Il a pris la tête de l’armée pour redonner confiance aux troupes et apporter plus de coordination aux opérations mal menées. Il s’est surtout adjoint les services de Maurice de Saxe, bâtard du roi de Pologne, stratège exceptionnel, fait maréchal de France l’année d’avant.

Les Anglo-Hollandais sont écrasés. Mais à quel prix ? Le roi parle ici comme son arrière-grand-père Louis XIV à la fin de sa vie… et comme tous les philosophes de ce siècle éclairé : « Jamais les triomphes les plus éclatants ne peuvent dédommager une nation de la perte d’une multitude de ses membres que la guerre sacrifie » écrira bientôt Diderot dans L’Encyclopédie. De toute manière, la France en guerre connaît alors plus de défaites que de victoires.

« Bête comme la paix. »1124

Le mot qui court à Paris, après le traité d’Aix-la-Chapelle du 28 octobre 1748. Louis XV et Madame de Pompadour, d’après des documents inédits (1926), Pierre de Nolhac

Aux Halles, les harengères se querellent en disant : « Tu es bête comme la paix ! » - une façon de parler  politique. Le traité met fin à la guerre de Succession d’Autriche et l’on aurait pu dire : bête comme cette guerre engagée à contretemps, ponctuée de défections et menée pour n’aboutir à rien.

Le maréchal de Saxe a pourtant écrit une lettre à lire au Conseil du roi : « Les ennemis, en quelque nombre qu’ils viennent, ne peuvent plus pénétrer en ce pays-ci [Pays-Bas autrichiens] et il me fâche de le rendre, car c’est, en vérité, un bon morceau, et nous nous en repentirons dès que nous aurons oublié notre mal présent. » Mais Louis XV entend « faire la paix en roi, et non en marchand ». Le traité revient donc au statu quo d’avant-guerre et la France abandonne les conquêtes du maréchal de Saxe.

« Puisqu’il en faut une, mieux vaut que ce soit celle-là. »1126

Marie LECZINSKA (1703-1768), parlant de la Pompadour. Apogée et chute de la royauté : Louis le Bien-Aimé (1973), Pierre Gaxotte

Toujours éprise de son mari, mais digne et résignée, la reine ne se plaint jamais de ses liaisons et trouve même certains avantages à la maîtresse en titre depuis 1745, la marquise de Pompadour : cette jeune et jolie femme de 23 ans la traite avec plus d’égards que les précédentes passantes, et durant près de vingt ans, leurs relations seront cordiales.

La vie de favorite royale est un métier ingrat : toujours en représentation, souriante, séduisante, esclave. L’amour avec le roi fait place à l’amitié après 1750 et la marquise lui fournit de très jeunes personnes, logées dans un quartier de Versailles : le Parc-aux-Cerfs. On a fantasmé sur ce lieu de débauche, le siècle des Lumières étant friand de rumeurs.

L’impopularité, la haine de la cour, les cabales incessantes épuisent la Pompadour : « Excepté le bonheur d’être avec le roi qui assurément me console de tout, le reste n’est qu’un tissu de méchancetés, de platitudes, enfin de toutes les misères dont les pauvres humains sont capables. » Lettre à son frère, datée de 1750.

« Sans esprit, sans caractère / L’âme vile et mercenaire,
Le propos d’une commère / Tout est bas chez la Poisson – son – son. »1127

Poissonnade ou pompadourade, brocardant la marquise de Pompadour née Jeanne Antoinette Poisson. Madame de Pompadour et la cour de Louis XV (1867), Émile Campardon

Le propos est injuste : le peuple déteste cette fille de financier, femme d’un fermier général, bourgeoise dans l’âme et dépensière, habituée des salons littéraires à la mode, influente en politique, distribuant les faveurs, plaçant ses amis, le plus souvent de qualité comme de Bernis, Choiseul – mais Soubise, maréchal de France, se révélera peu glorieux.

Louis XV lui doit une part de son impopularité. Le peuple a loué le roi pour ses premiers exploits extraconjugaux auprès des sœurs Mailly-de-Nesle, il va bientôt le haïr, pour sa longue liaison avec la Pompadour. Les chansons dirigées contre elle autour de 1760, particulièrement virulentes, n’épargnent pas Louis XV : « Son âme vide, insatiable, / Obtient tout d’un roi fainéant. / Cette impitoyable furie, / Du poison de la flatterie / Enivre son trop faible amant. »

« Ils finiront par perdre l’État. C’est une assemblée de républicains ! »1134

LOUIS XV (1710-1774), à Mme de Pompadour et au duc de Gontaut (son frère), janvier 1753. Précis du siècle de Louis XV (1763), Voltaire

« Républicains », c’est un grand mot, presque un gros mot, en tout cas un mot qui fait peur au roi. Il parle ici du Parlement de Paris et de son opposition qui s’exerce à toute occasion, avec une violence qui grandira jusqu’à la Révolution. Rétablis dans leur pouvoir sous la régence, les Parlements de province comme de Paris usent et abusent de leur droit de remontrance. Les hauts magistrats, soutenus par le mouvement des philosophes et de l’Encyclopédie, font figure de défenseurs des libertés face au despotisme. En réalité, ils défendent les privilèges contre les réformes royales (notamment en matière fiscale).

Le roi très pieux a plus d’égard pour le clergé qui agit exactement de la même manière. Machault d’Arnouville aux Finances ne peut obtenir l’impôt dit du vingtième frappant tous les biens, alors que l’État a tant besoin d’argent.

« Les Anglais ont été de tout temps les ennemis constants et implacables de notre sang et de notre maison ; nous n’en avons jamais eu de plus dangereux. »1135

LOUIS XV (1710-1774), Lettre à Ferdinand VI d’Espagne, 1754. Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles (1865)

Il écrit au roi d’Espagne, comme lui arrière-petit-fils de Louis XIV et qui pour autant ne fera pas alliance avec la France (d’où le prochain renversement des alliances). De 1688 à 1815, soit en cent vingt-sept ans, la France soutient contre l’Angleterre sept grandes guerres qui durent en tout soixante ans : on parlera de la « seconde guerre de Cent Ans ».

« Sire, je suis bien fâché d’avoir eu le malheur de vous approcher ; mais si vous ne prenez pas le parti de votre peuple, avant qu’il soit quelques années d’ici, vous et Monsieur le Dauphin et quelques autres périront. »1143

Robert François DAMIENS (1715-1757), premiers mots de sa lettre au roi écrite dans son cachot, après l’attentat du 5 janvier 1757. Siècles de Louis XIV et de Louis XV (posthume, 1820), Voltaire

Louis XV ne fut que légèrement blessé par le couteau (simple canif). Mais il est profondément choqué par l’attentat : outre sa terreur de l’enfer, il comprend soudain qu’il n’est plus le bien-aimé de ses sujets. Cet attentat manqué accrut la mélancolie et la méfiance du roi, l’isolant davantage encore de son entourage et de son peuple.

« Le monstre est un chien qui aura entendu aboyer quelques chiens […] et qui aura pris la rage. »1144

VOLTAIRE (1694-1778), Lettre à Mme de Lutzelbourg, 20 janvier 1757, Correspondance (posthume)

Damiens a servi comme domestique chez plusieurs magistrats du Parlement de Paris, dont certains très virulents contre le roi. Il se vanta d’ailleurs d’avoir voulu donner une leçon au roi, pour que désormais il obtempérât aux remontrances.

Louis XV voulut d’abord pardonner et le fit savoir : « Les sentiments de religion dont nous sommes pénétrés et les mouvements de notre cœur nous portaient à la clémence. » Il tente ensuite de minimiser la publicité faite à ce geste – un acte isolé, à n’en pas douter. Mais chaque conseiller donne un avis différent et finalement, Damiens sera jugé pour crime de lèse-majesté, devant la grande chambre du Parlement. Plus fou que régicide, vraisemblablement épileptique et simple d’esprit, il est condamné pour « parricide » à la série des supplices jadis infligés à Ravaillac. L’exécution se fera devant la foule, en place de Grève. Toutes les fenêtres sont louées à prix d’or et le supplice de cet homme particulièrement robuste reste dans l’histoire comme l’un des plus atroces.

« C’est mon ouvrage. Je le crois bon. »1146

LOUIS XV (1710-1774), Lettre au comte de Broglie, 22 janvier 1757. Les Guerres sous Louis XV (1881), comte Pajol

Il s’agit du renversement des alliances, c’est-à-dire du rapprochement de la France et de l’Autriche (sanctionné par le traité de Versailles). Le parti anti-autrichien ne peut plus avoir raison contre les réalités : neutralité malveillante de l’Espagne, nouvelle trahison du roi de Prusse signant avec l’Angleterre le traité de Westminster de 1756 (sans même avertir son alliée la France), alors qu’il nous faut un allié continental dans la guerre (de Sept Ans) contre l’Angleterre.

« J’entends toujours demander si les chiens et les chevaux sont las et jamais les hommes. »1116

LANSMATE (XVIIIe siècle), premier piqueur du roi. Mémoires sur les règnes de Louis XV et Louis XVI et sur la Révolution (1886), comte Jean-Nicolas Dufort de Cheverny, Robert Saint John de Crèvecœur

À l’occasion d’une chasse ayant épuisé bêtes et gens, Lansmate déplore l’insolente santé de Louis XV, jointe à un certain égoïsme. L’enfant chétif et plusieurs fois mourant est devenu un sportif infatigable, grand et bon chasseur par tous les temps. Les voyages, les cérémonies, les amours, la guerre même où il se montre fier soldat, rien ne semble le fatiguer. Luynes évoque « cet extrême besoin d’exercices violents et de dissipation, et des moments de noire tristesse ». Le roi n’a jamais assez de divertissements et son métier de roi, exercé par intermittence, ne lui suffit pas.

Cette citation de Lansmate est surtout portée au discrédit d’un roi indifférent aux hommes. Mais son intérêt extrême et sa sensibilité aux animaux peuvent aussi être portés à son crédit. Nous y reviendrons à la fin de ce portrait.

« Après nous, le déluge. »1151

Marquise de POMPADOUR (1721-1764), à Louis XV, fin 1757. Dictionnaire des citations françaises et étrangères, Larousse

La marquise tente de réconforter le roi, de nature toujours mélancolique, de surcroît fort affecté par la défaite de son favori et de son armée à Rossbach, le 5 novembre. « Il ne faut point vous affliger : vous tomberiez malade. Après nous, le déluge. » Le mot fut attribué à la favorite pour illustrer l’indifférence et l’égoïsme qu’on lui prêtait.

Le mot est aussi attribué au roi, pour les mêmes raisons, mais dans un autre contexte. Il parle du Dauphin, et signifie un peu légèrement qu’il se moque bien ce qu’il adviendra de la France, quand lui-même sera mort. Voltaire le cite, pour stigmatiser « cet égoïste de droit divin » qui n’aime rien et que tout ennuie (Édouard de Pompery, Le Vrai Voltaire, 1867).

« Les grands seigneurs s’avilissent, / Les financiers s’enrichissent,
Tous les Poissons s’agrandissent. / C’est le règne des vauriens. »1162

Poissonnade, attribuée à Pont-de-Veyle (1697-1774). Journal historique : depuis 1748 jusqu’en 1772 inclusivement (1807), Charles Collé

Les poissonnades fleurissent, comme jadis les mazarinades. Le peuple supporte de plus en plus mal le luxe qui s’étale à la cour où règne encore la Pompadour, s’affichant aussi dans des milieux prospères et âpres au gain, du côté des aristocrates comme des bourgeois. La favorite fait aménager ses nombreuses résidences (hôtel d’Évreux, futur Élysée, La Celle, Bellevue, Champs). Elle place son frère Abel Poisson, nommé marquis de Marigny, à la direction générale des Bâtiments où il se montre d’ailleurs bon administrateur.

Mais le peuple ne fait pas le détail et s’exaspère : « On épuise la finance / En bâtiment, en dépenses, / L’État tombe en décadence / Le roi ne met ordre à rien / Une petite bourgeoise / Élevée à la grivoise / Mesurant tout à la toise / Fait de l’amour un taudis. » Les poissonnades se multiplient, comme plus tard les pamphlets visant Marie-Antoinette, femme d’un roi faible et cible de choix. Les historiens parleront de ces « basses Lumières » qui ébranlent la monarchie presque aussi sûrement que les Lumières des philosophes du siècle.

« Autrefois de Versailles / Nous venait le bon goût,
Aujourd’hui la canaille / Règne et tient le haut bout.
Si la cour se ravale, / De quoi s’étonne-t-on ?
N’est-ce pas de la halle / Que nous vient le poisson ? »1163

Poissonnade de 1749. Chansonnier historique du XVIIIe siècle (1879), Émile Raunié

Même si le peuple reproche son origine non noble à la dame, c’est de la cour que part le plus souvent ce genre de pamphlets (anonymes). La personne du roi est également attaquée. Les cabales se multiplient. Le lieutenant de police avoue son impuissance à traquer les auteurs et ceux qui leur tiennent la main : « Je connais Paris autant qu’on peut le connaître. Mais je ne connais pas Versailles. »

« La marquise n’aura pas beau temps pour son voyage. »1173

LOUIS XV (1710-1774), voyant le cortège funèbre de sa favorite quitter Versailles sous la pluie battante, 17 avril 1764. Louis XV (1890), Arsène Houssaye

Mot souvent cité, toujours mis en situation, jusque dans les dictionnaires historiques anglo-saxons. Preuve de la notoriété des deux personnages. Mais l’histoire est injuste envers ce roi, en citant ces mots « à charge ».

Son valet de chambre, Champlost, évoque la scène et témoigne d’une peine réelle. Louis XV se mit sur le balcon malgré l’orage, nue tête, pleura et murmura ainsi découvert : « Voilà les seuls devoirs que j’ai pu lui rendre. Une amie de vingt ans. » Mme de Pompadour est morte d’épuisement, à 42 ans (le 15 avril). Elle savait qu’elle ne vivrait pas vieille. Cardiaque, d’une maigreur mal dissimulée sous la toilette, elle continuait sa vie trépidante. Les courants d’air de Versailles ont aussi leur part dans sa congestion pulmonaire. Dernière faveur du roi, il lui a permis de mourir au château – privilège réservé aux rois et princes du sang. Sitôt après, le cortège devait quitter les lieux.

Selon d’autres témoins, le roi fut seulement indifférent et la reine elle-même en fut choquée, car elle aimait bien la marquise qui avait pour elle plus d’égards que les autres maîtresses.

« Je reçois le corps de très haute et très puissante dame, Madame la marquise de Pompadour, dame du palais de la Reine. Elle était à l’école de toutes les vertus, car la Reine est un modèle de bonté, de piété, de modestie et d’indulgence… »1174

Frère RÉMI de Reims (seconde moitié du XVIIIe siècle), Oraison funèbre de Mme de Pompadour, 17 avril 1764. Madame de Pompadour et la cour de Louis XV (1867), Émile Campardon

Tous les participants ont remarqué l’habileté du prédicateur capucin, chargé de ce dernier hommage à la maîtresse du roi et qui s’en tire en faisant l’éloge de sa femme légitime, Marie Leczinska, durant un quart d’heure.

C’est la famille qui a demandé une oraison funèbre, avant l’inhumation du corps. Certes, Mme de Pompadour est morte avec une piété remarquée, mais le fait reste exceptionnel.

« Oh ! la belle statue ! oh ! le beau piédestal !
Les Vertus sont à pied et le Vice à cheval. »1177

Vers anonymes écrits sur le socle de la statue équestre de Louis XV. Le Vandalisme de la Révolution (1993), François Souchal

La statue de Bouchardon, inaugurée à Paris le 2 juin 1765 sur la place Louis-XV (aujourd’hui place de la Concorde) est entourée de quatre figures symbolisant les vertus.

Louis XV a perdu la Pompadour et pas encore trouvé la du Barry : entre deux favorites officielles, les dames ne manquent pas, surtout de très jeunes demoiselles, discrètement abritées dans le Parc-aux-Cerfs à Versailles, fournies par des parents consentants, ignorant elles-mêmes l’identité de leur royal amant et mariées à des courtisans sitôt qu’engrossées. Dit-on. La Pompadour, maquerelle vigilante, veillait à ce que le roi ne s’attache durablement à aucune. Disait-on aussi. Le règne est celui de toutes les rumeurs et la vie amoureuse de ce roi très sensuel et à présent haï est un sujet de choix.

« Une fermeté inébranlable est le seul moyen de conserver et vos jours et votre autorité : il est triste d’être forcé de se faire craindre, mais il l’est encore plus d’avoir à craindre. »1178

Dauphin LOUIS (1729-1765), Mémoire au roi (1765)

Le fils aîné de Louis XV meurt le 20 décembre 1765 (à 36 ans). Peu de temps avant sa mort, ce spécialiste de droit public a remis ce mémoire au roi dont il connaît la faiblesse. Il veut le mettre en garde contre le danger des prétentions parlementaires manifestées dans les arrêts et remontrances. Le roi est trop intelligent pour rester inconscient…

« C’est en ma personne seule que réside l’autorité souveraine ; c’est de moi seul que mes Cours tiennent leur justice et leur autorité ; la plénitude de cette autorité qu’elles n’exercent qu’en mon nom demeure toujours en moi et l’usage n’en peut jamais être tourné contre moi. »1179

LOUIS XV (1710-1774), Déclaration solennelle au Parlement de Paris, 3 mars 1766. Histoire des Français (1821-1844), Simonde de Sismondi

Stupeur à l’arrivée impromptue du roi… et plus encore à l’audition du discours. Face à la fronde quasi féodale des magistrats soutenant l’un des leurs, La Chalotais, procureur général de Rennes, contre d’Aiguillon, gouverneur de Bretagne, Louis XV réaffirme son autorité de monarque absolu.

Il fustige si vivement les agissements du Parlement que ce lit de justice en forme de psychodrame reste dans l’histoire sous un nom évocateur : « Séance de la Flagellation ». Deux citations valent mieux qu’une, car on croirait entendre Louis XIV qui a bien dit le 13 avril 1655 « L’État c’est moi » - il avait 16 ans et tout son règne en fut la preuve.

« L’ordre public tout entier émane de moi et les droits et les intérêts de la nation […] sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu’entre mes mains. »951

LOUIS XV (1710-1774), Déclaration solennelle au Parlement de Paris, 3 mars 1766. Histoire des Français (1821-1844), Simonde de Sismondi

Séance de la Flagellation (suite). C’est encore le temps de la monarchie absolue et de droit divin. Louis XV se montre très jaloux de son autorité, mais par saccades, face à la révolte parlementaire chronique sous son règne. La « guerre parlementaire » est rouverte, elle va provoquer à terme la fin de l’Ancien Régime.

Louis XVI à son tour réaffirmera son pouvoir face au jeune duc d’Orléans osant qualifier d’illégal l’enregistrement d’un édit royal : « C’est légal parce que je le veux ! » L’un de ses ministres, le perspicace Turgot, écrira : « Un des plus grands malheurs pour les princes est de conserver des prétentions anciennes qu’ils ne peuvent plus faire valoir. » Cela vaut également pour Louis XV. Tel père, tel (petit-)fils.

« J’ai fait de grandes pertes ; mon fils le Dauphin, sa femme, la reine, mes filles aînées ; je vieillis et par mon âge, je serais le père de la moitié de mes sujets ; par mon affection, je le suis de tous. »1181

LOUIS XV (1710-1774), au roi de Danemark en visite à Paris. Souvenirs du marquis de Valfons (posthume, 1860)

Confidence du roi de France, âgé de 57 ans - la moyenne de vie passe en France de 21 ans en 1680 à 32 ans en 1774. Notons que la mortalité infantile reste élevée, ce qui infléchit lourdement cette statistique. À l’autre bout de la vie, on trouve nombre de grands vieillards fringants, le plus célèbre étant Voltaire, le plus étonnant l’académicien centenaire Fontenelle (1657-1757).

« Nous avons la propriété de notre honneur, de notre vie et de notre liberté, comme vous avez la propriété de votre couronne. Nous verserions notre sang pour conserver vos droits, mais conservez-nous les nôtres. »1184

Plaidoyer des États de Bretagne, 1769. Vie privée de Louis XV, ou principaux événements, particularités et anecdotes de son règne (1781), Mouffle d’Angerville

En 1768, les États de Bretagne ont demandé le rappel du Parlement de Rennes pour rétablir le cours de la justice. Les magistrats ont repris leurs fonctions en juillet 1769 – sauf La Chalotais et ses complices maintenus en exil. Ils réclament une procédure d’instruction contre le duc d’Aiguillon qui a proposé un nouveau règlement de ces États et le retour des derniers exilés, concluant par : « Sire, la province à vos genoux réclame votre justice. » Mémoire renvoyé sans suite.

Cette épreuve de force entre Parlement et pouvoir royal est si grave que la Révolution aurait pu être datée de 1769.

« Eh ! la France, ton café fout le camp. »1185

Comtesse DU BARRY (1743-1793), s’adressant à Louis XV. Anecdotes sur la comtesse du Barry (1775), Pidansat de Mairobert

Nouvelle favorite depuis 1768, elle a trente-trois ans de moins que le roi vieillissant, toujours séducteur et encore séduisant, aussitôt charmé par sa joie de vivre et ses 25 ans.

Jeanne Bécu a beaucoup « vécu », avant de se retrouver au centre des intrigues de la cour. Son éducation chez les sœurs ne l’a pas débarrassée d’un parler peu protocolaire et les courtisans collectionnent ses perles pour se moquer de cette fausse noble. Ainsi, elle traite le roi comme un valet de comédie, l’appelant « la France » et le tutoyant. Occupée à se poser des mouches devant sa psyché quand l’infusion en bouillant tomba sur le feu, elle aurait crié le mot souvent cité. Autre destinataire possible, un valet de pied au service de la favorite de 1770 à 1772, qui s’appelait La France.

« Nous ne tenons notre couronne que de Dieu. Le droit de faire les lois nous appartient à nous seul, sans dépendance et sans partage. »1187

René Nicolas de MAUPEOU (1714-1792), Préambule d’un édit en date du 27 novembre 1770. Chronique (1753-1789) du libraire Siméon Prosper Hardy

Réaffirmation de la monarchie absolue, face au Parlement et au nom du roi. Le Parlement répond au chancelier Maupeou par les remontrances habituelles. Louis XV recourt au lit de justice pour faire enregistrer l’édit. Protestations. Députations auprès du roi. Scénario classique. Mais cette fois, Louis XV a décidé d’être le plus fort.

20 janvier 1771, les magistrats rebelles du Parlement de Paris sont exilés, leur charge confisquée : un tiers du royaume est privé de tribunal, cependant que l’opposition aristocratique s’organise, certains magistrats parlant même du devoir de désobéissance au roi. Maupeou n’hésite plus : c’est la « révolution royale ».

« Toutes les têtes se tournèrent et l’on entendit jusque dans les rues crier à l’injustice, à la tyrannie. Les femmes se distinguèrent surtout. Selon elles, la monarchie allait s’écrouler, elles ne parlaient des Parlements que comme des victimes qu’on égorgeait sur l’autel du despotisme. »1188

Baron de BESENVAL (1721-1791), Mémoires de Besenval (posthume, 1805)

L’édit du 23 février 1771, lu le 25 au Conseil d’État par le chancelier Maupeou, fait l’effet d’une bombe. C’en est une : abolition de la vénalité des charges, établissement de la gratuité de la justice, transformation des juges en fonctionnaires appointés, nommés par le roi et révocables en cas de fautes graves ou d’insuffisances. Le « coup d’État Maupeou » est une réforme en profondeur de l’Ancien Régime et les philosophes approuvent. Toutes les cours (des Aides, Comptes, Monnaies, Amirautés) sont supprimées.

« Je ne changerai jamais. »

LOUIS XV (1710-1774), 13 avril 1771. Pierre Sipriot, Les Soixante derniers jours de Marie-Antoinette (1993)

Le roi tient un lit de justice pour forcer le Parlement à enregistrer ses décisions, il laisse le chancelier Maupeou parler, se contentant de prendre la parole à l’issue de la cérémonie, en quatre mots si peu dans sa nature, fond et forme !

« J’avais fait gagner au roi un procès qui durait depuis trois siècles. S’il veut le perdre encore, il est bien le maître. »1189

René Nicolas de MAUPEOU (1714-1792). La Fin de l’Ancien régime (1974), Henri Métivier

Son coup d’État a réussi : la nouvelle justice fonctionne, plus efficace et plus rapide ! Le chancelier de France prépare un code unique et la simplification des procédures. Cette réforme bat en brèche les privilèges de la noblesse de robe et ouvre l’accès de la magistrature à tous. La démarche est en même temps politique : en supprimant les Parlements, Maupeou débarrasse le pouvoir central d’une opposition systématique, frondeuse et paralysante. C’est la condition indispensable pour réformer les autres secteurs de l’État.

Mais Louis XV va mourir… et Louis XVI rappellera les anciens Parlements, dès son arrivée au pouvoir en 1774.

« Quelque maladie qu’aient les princes, jamais ce qui les entoure, ni les médecins, ne conviennent qu’ils soient mal que lorsqu’ils sont morts. La flatterie et la politique les conduisent jusqu’au tombeau. »1194

Baron de BESENVAL (1721-1791), Mémoires de Besenval (posthume, 1805)

Tout s’est passé comme à la mort de Louis XIV. On cache au roi la gravité de son mal – la petite vérole (variole). Il est d’autant plus crédule qu’il croit l’avoir déjà eue et sa peur du diable lui fait écarter l’idée même de la mort. Après une semaine d’atroces souffrances supportées avec courage, la bougie allumée sur le rebord du balcon royal à Versailles est soufflée par son valet : le roi est mort, le 10 mai 1774.

« En sortant de la chambre de Louis XV, le duc de Villequier, premier gentilhomme de la chambre d’année, enjoignit à M. Andouillé, premier chirurgien du roi, d’ouvrir le corps et de l’embaumer. Le premier chirurgien devait nécessairement en mourir. ‘Je suis prêt, répliqua Andouillé ; mais, pendant que j’opérerai, vous tiendrez la tête : votre charge vous l’ordonne.’ »

Jeanne Louise Henriette CAMPAN (1752-1822), Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, reine de France et de Navarre (1822)

Mme Campan vécut à la cour de France en tant que « première femme de chambre », autrement dit éducatrice et amie de Marie-Antoinette, dauphine puis reine. Ce genre de témoignage est un apport précieux à la petite histoire – autrement dit ses coulisses. La peur de la contagion explique la scène : « Le duc s’en alla sans mot dire, et le corps ne fut ni ouvert ni embaumé. Quelques serviteurs subalternes et de pauvres ouvriers restèrent près de ces restes pestiférés ; ils rendirent les derniers devoirs à leur maître ; les chirurgiens prescrivirent de verser de l’esprit-de-vin dans le cercueil. » En vertu de quoi Louis XV sera le seul roi de France non embaumé. Une autre manière de « rater sa sortie ».

« Ami des propos libertins, / Buveur fameux, et roi célèbre
Par la chasse et par les catins : / Voilà ton oraison funèbre. »1195

Chanson à la mort de Louis XV (1774). Vie privée de Louis XV, ou principaux événements, particularités et anecdotes de son règne (1781), Mouffle d’Angerville

« On l’enterra promptement et sans la moindre escorte ; son corps passa vers minuit par le bois de Boulogne pour aller à Saint-Denis. À son passage, des cris de dérision ont été entendus : on répétait « taïaut ! taïaut ! » comme lorsqu’on voit un cerf et sur le ton ridicule dont il avait coutume de le prononcer » (Lettre de la comtesse de Boufflers).

« Le silence des peuples est la leçon des rois. »1196

Abbé de BEAUVAIS (1731-1790), évêque de Senez, Oraison funèbre de Louis XV, 27 juillet 1774, basilique de Saint-Denis

Au terme d’un règne de soixante-quatre ans, Louis le Bien-Aimé est mort et enterré dans l’indifférence générale, selon la version officielle – la plus clémente. Quarante jours plus tôt, au sermon du Jeudi saint, l’abbé avait osé ces mots qui ont fort ému le roi : « Sire, mon devoir de ministre du Dieu de vérité m’ordonne de vous dire que vos peuples sont malheureux, que vous en êtes la cause et qu’on vous le laisse ignorer. »

Cette fois, le discours funèbre est jugé irrespectueux et le prédicateur doit se retirer dans son évêché – l’un des plus modestes de France. Élu député du clergé en 1789, il pourra entendre le 15 juillet, repris par le grand orateur Mirabeau, lors de la visite de Louis XVI à la Constituante muette, ce mot très dur : « Le silence des peuples est la leçon des rois. »

4. Jugements de l’Histoire : témoignages toujours partagés sur un personnage énigmatique.

« Louis XV se travaille du matin au soir pour se dissimuler. »

Marquis d’ARGENSON (1694-1757), Journal et Mémoires du marquis d’Argenson (posthume, 1859)

Secrétaire d’État des Affaires étrangères de 1744 à 1747, connu pour ses travaux littéraires et historiques. Le personnage du roi ne cesse de l’interroger. Ce masque d’impassibilité peut venir d’une timidité maintes fois décrite et avérée. François Bluche, historien du XXe siècle, y voit surtout un « égocentrisme, royal mais peu édifiant. » Louis XV n’a pas laissé de mémoires, son abondant courrier a largement disparu et les historiens peinent à percer le mystère.

Deux interprétations possibles se complètent plus qu’elles ne s’opposent. La plus brève semble indiscutable.

« Un perpétuel adolescent appelé à faire un travail d’homme. »

Jerome BLUM (1913-1993), “A perpetual adolescent called to do a man’s job;” The European World : A History, Little, Brown, 1970

On parlerait aujourd’hui d’adulescence. Définition à décharge pour un simple citoyen, mais regrettable pour un roi et tragique à la veille de la Révolution.

« Le roi, uniquement occupé de ses plaisirs, devient de plus en plus incapable d’affaires sérieuses. Il ne peut pas en entendre parler. Il renvoie tout à ses ministres. »

DUREY de MEINIERES (??-1787), président du Parlement de Paris. « Un monarque qui veut « régner par les lois » : le Parlement de Paris et le roi dans la France de Louis XV, Julian Swann, Revue d’histoire politique, 2011

Autre fait regrettable, mais Louis XV bénéficie d’une circonstance atténuante et indiscutable : le métier de roi absolu (et de droit divin) devient de plus en plus difficile, voire impossible à exercer personnellement à son époque.

« Les historiens ont classé ce gouvernant comme le plus faible des Bourbons, un homme qui ne fait rien, qui laisse les affaires de l’État aux ministres tandis qu’il se livre à ses passe-temps, la chasse et les femmes »

Robert D. HARRIS (né en 1957), Louis the Beloved : The Life of Louis XV by Oliver Bernier, The American Historical Review, avril 1987

Une variante de la condamnation du roi, avec d’autres attendus dans ce procès toujours à charge. La chasse et les femmes sont une constante, d’ailleurs héritée de Louis XIV.

« Le Roi aime les femmes et cependant n’a nulle galanterie dans l’esprit. »

Duc de LUYNES (1695-1758), Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV

Les amours royales ont défrayé la chronique avec plus ou moins de bonheur, mais d’après ce mémorialiste contemporain,  hors ses maîtresses officielles, le roi traite les femmes moins bien que les domestiques de sa Maison. Notons que la seconde femme de Luynes, Marie Brûlart (de très bonne famille), devint dame d’honneur de la reine Marie Leszczyńska qui souffrit du peu d’égard de toutes ces femmes passantes dans le lit du roi.

« Le plus nul, le plus vil, le plus lâche cœur de roi qui, durant son long règne énervé, a accumulé comme à plaisir, pour les léguer à sa race, tous les malheurs. »

SAINTE-BEUVE (1804-1869). Désirée Royale, Louis XV : Le Bien-Aimé (2016)

Critique littéraire respecté et redouté de son temps, c’est aussi un historien qui ne s’intéresse pas seulement à la littérature, coutumier de ce genre de jugement à l’emporte-pièce – autant dire, une exécution capitale. Mais ce n’est pas le rôle d’un historien. Plus grave est le jugement qui suit, signé Lavisse.

« Il a été le plus mauvais roi de toute notre histoire. Ce n’est pas assez de détester sa mémoire, il faut l’exécrer. »

Ernest LAVISSE (1842-1922), l’Historien de sa génération

Fondateur de l’histoire positiviste, auteur des « manuels Lavisse », chantre du « roman national » au service de son enseignement, il répand des images et une mythologie gravées dans la mémoire de générations d’écoliers. Promu « instituteur national », il forme aussi des générations de professeurs et d’instituteurs (les « hussards noirs » de la République). Ainsi naît une culture historique populaire en France. Mais Lavisse se révèle moins soucieux de la vérité historique que d’une reconstruction de l’Ancien Régime en fonction de l’avènement de la (Troisième) République. Louis XV se retrouve donc victime de cet enseignement riche en clichés et préjugés.

« Le matou le réveillait tous les matins et jouait, semble-t-il, sur la table du Conseil d’État pendant les réunions. »

Dorica LUCACI (née en 1967), Ces chats héros de l’histoire (2019)

Le goût de Louis XV pour les chats dépasse largement l’anecdote plaisante. Il ordonna l’arrêt des bûchers de chats à la Saint-Jean, tradition barbare et primitive, durable au-delà de toute raison jusque sous Louis XIV qui détestait les chats !

Il lança la mode de l’Angora blanc, ce chat à la fourrure mi-longue, si différent des Européens à poil court, importé en Occident au siècle précédent par le poète et aventurier italien Pietro Della Valle et devenu le chat roi à la cour.

Parfois concurrencé par le Général, Persan blanc, l’Angora royal a pour nom Brillant et ressemble étonnamment à son maître, prisé de tous les nobles et furieusement à la mode dans la bonne société des Lumières. Louis XV s’ennuyant à pratiquer ce métier de roi si peu fait pour sa nature inventa la ronronthérapie et tout son entourage apprécie le Chat : la reine Marie Leczinska qui adore son roi ; sa belle-fille la duchesse du Maine, insomniaque et mal mariée ; le comte de Clermont, académicien qui pistonne Moncrif, premier auteur d’une Histoire des chats, bientôt mécéné par Louis XV.

De nos jours, les 8 millions d’amoureux des chats au foyer devraient avoir une pensée reconnaissante pour Louis XV le mal aimé de l’Histoire.

 

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