Portrait de Louise Michel en citations | L’Histoire en citations
Louise Michel en citations
Portraits en citations des Personnages de l’Histoire

 

« Le pouvoir est maudit et c’est pour cela que je suis anarchiste. »

Louise MICHEL (1830-1905), À mes frères (1871), Mémoires (1886-1890), La Commune (1898) et autres sources

Née en 1830 au château de Vroncourt (Haute-Marne), fille naturelle du fils du châtelain et de la servante Marianne Michel, élevée par ses grands-parents et bénéficiant d’une éducation bourgeoise, elle doit quitter le château à 20 ans, après la mort de son père et de ses grands-parents. Louise rêve d’une carrière littéraire et attire l’attention bienveillante de Victor Hugo, mais elle devient institutrice pour vivre… et se prend de passion pour son métier. 

Installée à Paris, elle suit les cours du soir, rencontre Jules Vallès (fondateur du Cri du peuple), se politise à l’extrême gauche au contact des milieux révolutionnaires, écrit pour des journaux d’opposition au Second Empire, milite pour la cause des femmes (ouvrières voulant vivre de leur travail)…. et envoie des poèmes à Hugo en exil.

Septembre 1870, au début de la Troisième République, élue présidente du Comité de vigilance des citoyennes du XVIIIe arrondissement, elle rencontre Clemenceau, jeune maire vendéen et ardent républicain : oubliant sa misogynie, il la protègera jusqu’à la fin de sa vie. 

Soldate en uniforme, Louise Michel s’illustre en « Vierge rouge » sur les barricades,  rejoint la frange révolutionnaire la plus radicale des Communards, anarchiste et activiste se portant volontaire pour aller à Versailles tuer Adolphe Thiers, chef du gouvernement replié hors de la capitale. Au terme de la « Semaine sanglante » de mai 1871, prisonnière, condamnée à la déportation à vie, elle est envoyée en Nouvelle Calédonie. Redevenue institutrice au service des petits Kanaks et refusant la possibilité d’une grâce particulière, elle ne rentre qu’en 1880.

Accueillie par la foule à Paris, elle reprend son activité militante, enchaînant les conférences et les meetings pour l’abolition de la peine de mort, la défense des femmes, des ouvriers et des chômeurs. Elle milite aussi pour la cause animale.

Lassée par les calomnies et les atteintes à sa liberté d’expression, elle part à Londres en 1890, gère une école libertaire, revient en 1895 pour faire équipe avec l’anarchiste Sébastien Faure. De nouveau arrêtée lors de manifestations, emprisonnée, libérée sur l’intervention de Clemenceau, militante jusqu’à l’épuisement de ses forces, elle meurt d’une pneumonie au cours d’une tournée de conférences à 74 ans.

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1. La Vierge rouge de la Commune : héroïne historique de la Semaine sanglante.

Cette page exceptionnelle de sa vie est extraite de l’Histoire en citations. Elle marquera toute son œuvre à venir, le reste de son existence et la mémoire collective.

« Montmartre, Belleville, ô légions vaillantes,
Venez, c’est l’heure d’en finir.
Debout ! La honte est lourde et pesantes les chaînes,
Debout ! Il est beau de mourir. »2326

Louise MICHEL (1830-1905), À ceux qui veulent rester esclaves. La Commune (1898), Louise Michel

La Commune de Paris inspira bien des poèmes, des chants qui sont autant de cris de guerre, de haine ou d’espoir. Louise Michel est l’héroïne la plus populaire de cette page d’histoire : ex-institutrice, militante républicaine et anarchiste, la « Vierge rouge » appelle à l’insurrection les quartiers populaires de la capitale, ceux qui font toujours peur aux bourgeois.

« Faisons la révolution d’abord, on verra ensuite. »2330

Louise MICHEL (1830-1905). L’Épopée de la révolte : le roman vrai d’un siècle d’anarchie (1963), Gilbert Guilleminault, André Mahé

Elle se retrouve sur les barricades dès les premiers jours du soulèvement de Paris : cause perdue d’avance, révolution sans espoir, utopie d’un « Paris libre dans une France libre » ? En tout cas, rien de moins prémédité que ce mouvement qui échappe à ceux qui tentent de le diriger, au nom d’idéaux d’ailleurs plus contradictoires que complémentaires.

« La révolution sera la floraison de l’humanité comme l’amour est la floraison du cœur. »2365

Louise MICHEL (1830-1905), La Commune, Histoire et souvenirs (1898)

Star de la Commune, la Vierge rouge symbolise cette brève révolution et porte bien son surnom ! Un quart de siècle après, elle fera revivre ces souvenirs vibrants et tragiques. Face aux Communards (ou Fédérés) qui tiennent Paris et improvisent au jour le jour, les Versaillais se préparent, troupes commandées par les généraux Mac-Mahon et Vinoy. Thiers, chef du gouvernement réfugié à Versailles, a décidé d’en finir pour rétablir l’ordre dans la capitale, soutenu en cela par la majorité des Français. En plus des 63 500 hommes dont l’État dispose, il y a les 130 000 prisonniers libérés par Bismarck – hostile à tout mouvement populaire de tendance révolutionnaire. Le 30 mars, Paris est pour la seconde fois ville assiégée, bombardée à présent par des Français. Mais la résistance continue et la situation se complique, au sein même des Communards.

« Il s’agit aujourd’hui non plus de couper les têtes, mais d’ouvrir les intelligences. »2371

Henri ROCHEFORT (1831-1913), Le Mot d’ordre, 5 mai 1871. La Tête coupée, ou La Parole coupée (1991), Arnaud Aaron Upinsky

Les divergences politiques éclatent : ainsi à l’occasion du décret instituant le 1er mai un Comité de salut public doté de larges pouvoirs. Les (néo)jacobins et la plupart des blanquistes, majoritaires, sont pour et s’opposent à quelques blanquistes, tous les proudhoniens et certains socialistes proches du marxisme.

Quant au très républicain Rochefort, il refuse une révolution aboutissant logiquement à une nouvelle Terreur, en des termes que ne renierait pas Hugo.

« Nous ne sommes séparés d’une restauration que par l’épaisseur de Paris. »2372

Jules GUESDE (1845-1922), Les droits de l’homme, 13 mai 1871. 500 citations de culture générale (2005), Gilbert Guislain, Pascal Le Pautremat, Jean-Marie Le Tallec

Socialiste marxiste, futur député sous la Troisième République, il rappelle l’essentiel, au-delà des débats entre les gauches de la Commune. L’Assemblée nationale qui gouverne malgré tout la France et qui la représente, est monarchiste. La République est un régime qui fait peur et la Commune qui l’incarne est de plus en plus redoutée ou haïe par la majorité du pays.

« Paris sera soumis à la puissance de l’État comme un hameau de cent habitants. »2373

Adolphe THIERS (1797-1877), Déclaration du 15 mai 1871. La Commune (1904), Paul et Victor Margueritte

Ces mots plusieurs fois répétés annoncent la Semaine sanglante du 22 au 28 mai. Le chef du gouvernement amasse toujours plus de troupes aux portes de Paris. « Anecdotiquement », la colonne Vendôme est abattue, suite à un vote du Comité de salut public.

« On peut vendre Paris, mais […] on ne peut ni le livrer ni le vaincre ! »2374

Charles DELESCLUZE (1809-1871). Les Hommes de la révolution de 1871 : Charles Delescluze (1898), Charles Prolès

Membre de la Commune de Paris, délégué à la Guerre depuis le 10 mai, il rappelle la rançon négociée avec la capitulation de Paris et lance ce défi à Thiers et aux troupes versaillaises qui assaillent Paris, le 21 mai 1871. 70 000 soldats entrent à l’ouest par le bastion mal surveillé du Point du Jour et par la porte de Saint-Cloud.

La Semaine sanglante commence le lendemain. Delescluze se fera tuer sur une barricade du Château d’Eau abandonnée par ses défenseurs, où il reste seul, le 25 mai.

« Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’ait droit qu’à un peu de plomb, j’en réclame ma part, moi ! Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi ! »2375

Louise MICHEL (1830-1905). Histoire de ma vie (2000), Louise Michel, Xavière Gauthier

Semaine sanglante : la Vierge rouge se retrouve sur les barricades, fusil sur l’épaule. Paris est reconquis, rue par rue, et incendié. La dernière barricade des Fédérés, rue Ramponeau, tombe le 28 mai 1871. À 15 heures, toute résistance a cessé.

Elle prononcera ces mots lors de son procès, réclamant la peine de mort qui lui fut épargnée lors du combat et menaçant ses juges : « Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance, et je dénoncerai à la vengeance de mes frères les assassins de la commission des grâces ».

« Le bon Dieu est trop Versaillais. »2378

Louise MICHEL (1830-1905), La Commune, Histoire et souvenirs (1898)

La Vierge rouge témoigne de l’inévitable victoire des Versaillais, vu l’inégalité des forces et de l’organisation. Bilan de la Semaine sanglante du 22 au 28 mai 1871 : au moins 20 000 morts chez les insurgés, 35 000 selon Rochefort. De son côté, l’armée bien organisée des Versaillais a perdu moins de 900 hommes, depuis avril.

Rappelons que la Commune est l’un des plus grands massacres de notre histoire, tragédie qui se joue en quelques jours, Français contre Français, avec la bénédiction des occupants allemands, Bismarck ayant poussé à écraser l’insurrection. Il y aura 100 000 morts au total d’après certaines sources, compte tenu de la répression également sanglante, « terreur tricolore » qui suit la semaine historique. En comparaison, sous la Révolution, la Grande Terreur fit à Paris 1 300 victimes, du 10 juin au 27 juillet 1794.

« On ne peut pas tuer l’idée à coups de canon ni lui mettre les poucettes [menottes]. »2381

Louise MICHEL (1830-1905), La Commune, Histoire et souvenirs (1898)

« Le cadavre est à terre, mais l’idée est debout » dit aussi Hugo à propos de la Commune. La force des idées est l’une des leçons de l’histoire et la Commune en est l’illustration, malgré la confusion des courants qui l’animent. Un chant y est né, porteur d’une idée qui fera le tour du monde et en changera bientôt le cours : L’Internationale.

« On aura besoin du socialisme pour faire un monde nouveau. »2434

Louise MICHEL (1830-1905), Lettre à la Commission des grâces, mai 1873. Je vous écris de ma nuit : correspondance générale de Louise Michel, 1850-1904 (1999), Louise Michel, Xavière Gauthier

La Vierge rouge de la Commune, des barricades et des quartiers populaires, est condamnée à la déportation en Nouvelle-Calédonie. Elle se mettra au service des indigènes avant de revenir en France (amnistie de 1880),  soutenue par Clemenceau qui estime cette femme à l’égal d’un homme.

Elle va continuer de se battre au côté des « damnés de la terre » et militer par la plume et la parole, prêchant l’anarchie, l’union libre, les droits des femmes et des animaux, avec un mélange d’idéalisme et de militantisme clairement exprimés dans ses œuvres toujours passionnées.

2. Une œuvre multiforme : témoignages, poèmes, chansons et fiction.

Combattante sous la Commune, entrée dans l’Histoire à 40 ans, engagée au péril de sa vie, plus tard jusqu’à la limite de ses forces et sur tous les fronts jusqu’à 74 ans, elle  fut d’abord une intellectuelle – enfant naturelle élevée dans un milieu bourgeois, institutrice (passionnée), collaboratrice à des journaux d’opposition sous le Second Empire. Devenue romancière et poétesse trop didactique, Louise Michel nous laisse des milliers de pages en forme de témoignages vibrants : une page d’Histoire qui nous dit presque tout d’elle - trop discrète pour en faire état, elle fut aussi franc-maçonne et bisexuelle.

Résumons en quelques dizaines de citations l’essentiel de son œuvre.

À MES FRÈRES, prison de Versailles (1871)

« Le pouvoir est maudit et c’est pour cela que je suis anarchiste. »

Louise MICHEL (1830-1905)

Citation qui lui est chère, souvent reprise jusque dans son œuvre majeure, La Commune (1898). Cette vérité lui tient à cœur depuis son engagement politique des années 1860 : elle se lie à Paris avec des révolutionnaires adeptes de Blanqui - donc bien avant la Commune et sa déportation !

Notons pourtant l’erreur tenace, récurrente chez les historiens et résumée en une phrase : « Déportée en Nouvelle-Calédonie, elle s’éveille à la pensée anarchiste grâce à l’influence de Nathalie Le Mel, militante libertaire, codétenue avec elle. » (Wikipédia)

L’essentiel de ce texte écrit « à chaud » quelques mois après « sa » Commune, témoigne surtout d’une détermination intacte et d’une personnalité combattante.

« Prenons donc pour mot d’ordre et pour point de ralliement la haine du capital, le mépris du pouvoir. »

« S’il y a des miséreux dans la société, des gens sans asile, sans vêtements et sans pain, c’est que la société dans laquelle nous vivons est mal organisée. On ne peut pas admettre qu’il y ait encore des gens qui crèvent la faim quand d’autres ont des millions à dépenser en turpitudes. C’est cette pensée qui me révolte ! »

Et s’adressant à ses « frères », aux hommes craignant que les femmes veuillent prendre le pouvoir :

« Soyez tranquilles ! Nous ne sommes pas assez sottes pour cela ! Ce serait faire durer l’autorité ; gardez-la afin qu’elle finisse plus vite ! »

Saluant enfin ses compagnons de route dans la forme poétique qui lui est chère (très inspirée de son ami Hugo) :

« Frères, dans la lutte géante,
J’aimais votre courage ardent,
La mitraille rouge et tonnante,
Les bannières flottant au vent.
Sur les flots, par la grande houle,
Il est beau de tenter le sort ;
Le but, c’est de sauver la foule,
La récompense, c’est la mort. »

 

LA MISÈRE (1882)

« Il vaudrait mieux que j’allasse prévenir la justice. Dans ce cas-là, dit avec amertume le jeune vagabond, vous trouverez des magistrats, mais vous ne trouverez pas la justice. »

Louise MICHEL (1830-1905)

Deux mois après son retour du bagne de Nouvelle-Calédonie, elle se lance passionnément dans cette première fiction. Elle qui a tant à dire, son imagination s’accommode au genre populaire du roman feuilleton, un moyen de toucher un vaste public.

Roman-fleuve de quelque 1 200 pages en deux parties,  co-écrit non sans problème avec Marguerite Tinayre (alias Jean Guêtré), La Misère (rappelant Les Misérables d’Hugo) remporte un grand succès : 40 000 abonnés. Le nom de Louise Michel est bien connu, attaché au souvenir de la Commune dont elle fut l’héroïne – entre autres femmes relativement très présentes.

Le texte serait aujourd’hui illisible, avec son style hyperréaliste ou mélodramatique pour décrire une société capitaliste moribonde. Il est pratiquement introuvable (sous forme papier ou numérique), hormis quelques extraits évocateurs :

« Un jour on nous a mis dans la rue, maman et moi. Elle disait : c’est les créanciers. Moi, je ne savais pas ce que c’était, je croyais que c’étaient des bêtes. Aujourd’hui je le sais. »

« Elle a, en ce moment, quelque chose de bouleversé qui ne l’embellit pas. Elle est d’une pâleur cadavéreuse. »

« C’était un petit crevé, d’assez jolie mais fort insignifiante binette. »

« Nos filles vendent leur honneur au dernier courtaud de boutique. »

« Qui est-ce qui veut faire une tête dans la plume avec moi cette nuit ? Je vous préviens, faut abouler avant. »

 

L’ÈRE NOUVELLE, pensée dernière, Souvenirs de Nouvelle Calédonie (1887)

« Il faut bien qu’il meure ce vieux monde, puisque nul n’y est plus en sûreté, puisque l’instinct de conservation de la race s’éveille, et que chacun, pris d’inquiétude et ne respirant plus dans la ruine pestilentielle, jette un regard désespéré vers l’horizon. »

Louise MICHEL (1830-1905)

Incarcérée d’abord en France après « sa » Commune combattante, condamnée au bagne en 1873, elle restera sept ans en Nouvelle Calédonie (avec 17 autres femmes). Bientôt libre de ses mouvements, elle se lie aux autochtones, apprend leur langue, redevient institutrice, botanise minutieusement… et écrit ardemment.

Par ordre chronologique, nous passons de l’apocalypse du monde ancien à l’espoir du monde nouveau. Notons le panoramique historique et le maniement de la métaphore qui fait image. Fond et forme, c’est une voix politique qui ne va plus cesser de s’exprimer par tous les moyens écrits et parlés.

« On a brûlé les étapes ; hier encore, beaucoup croyaient tout cela solide ; aujourd’hui, personne autre que des dupes ou des fripons ne nie l’évidence des faits. La Révolution s’impose. L’intérêt de tous exige la fin du parasitisme. »

« Les Romains, quand ils n’étaient pas assez riches pour envoyer le trop-plein de leurs esclaves à Carthage, les enfouissaient vivants ; une hécatombe eût fait trop de bruit ; le linceul du sable est muet. Est-ce ainsi que procédera la séquelle capitaliste ? »

« Emplira-t-on les prisons avec tous les crève-de-faim ? Elles regorgeraient bientôt jusqu’à la gueule. »

« La société humaine n’en a plus pour longtemps de ces guerres qui ne servent qu’à ses ennemis, ses maîtres : nul ne peut empêcher le soleil de demain de succéder à notre nuit. »

« Aujourd’hui nul homme ne peut vivre autrement que comme l’oiseau sur la branche, c’est-à-dire guetté par le chat ou le chasseur. Les États eux-mêmes ont l’épée de Damoclès suspendue sur leur tête : la dette les ronge et l’emprunt qui les fait vivre s’use comme le reste. »

« Les crève-de-faim, les dents longues, sortent des bois ; ils courent les plaines, ils entrent dans les villes : la ruche, lasse d’être pillée, bourdonne en montrant l’aiguillon. Eux qui ont tout créé, ils manquent de tout. »

« Il n’y a de travail que pour ceux qui s’accommodent d’un salaire dérisoire ou qui s’abrutissent dans une tâche quotidienne de huit à dix heures. »

« Alors la colère monte : les exploités se sentent, eux aussi, un cœur, un estomac, un cerveau.
Tout cela est affamé, tout cela ne veut pas mourir ; et ils se lèvent ! Les Jacques allument la torche aux lampes des mineurs : nul prolétaire ne rentrera dans son trou : mieux vaut crever dans la révolte. »

« Il faudra bien que le droit triomphe, à moins qu’on n’abatte les travailleurs, qu’on les assomme, qu’on les fusille comme des bandes de loups qui hurlent la faim. »

« Et ceux qui produisent tout, et qui n’ont ni pain, ni abri, commencent à sentir que chaque que chaque être doit avoir sa place au banquet du trop-plein. »

Pour finir par Le Chant des captifs (dans le style de l’Internationale) :

« Voici la lutte universelle :
Dans l’air plane la Liberté !
A la bataille nous appelle
La clameur du déshérité !…
L’aurore a chassé l’ombre épaisse,
Et le Monde nouveau se dresse
A l’horizon ensanglanté ! »

 

MÉMOIRES DE LOUISE MICHEL ÉCRITS PAR ELLE-MEME (1886-1890)

« Souvent, on m’a demandé d’écrire mes Mémoires ; mais toujours j’éprouvais à parler de moi une répugnance pareille à celle qu’on éprouverait à se déshabiller en public. Aujourd’hui, malgré ce sentiment puéril et bizarre, je me résigne à rassembler quelques souvenirs. Je tâcherai qu’ils ne soient pas trop imprégnés de tristesse. »

Louise MICHEL (1830-1905)

Dans son œuvre principale, elle se livre corps et âme, tête et cœur, infiniment touchante jusque dans l’excès et l’utopie… et jusqu’à l’infinie tristesse.

(Enfant) « J’écoutais à la fois ma tante catholique exaltée et les grands-parents voltairiens. Je cherchais, émue par des rêves étranges ; ainsi l’aiguille cherche le nord, affolée, dans les cyclones. Le nord, c’était la Révolution. »

« Ce n’est pas une miette de pain, c’est la moisson du monde entier qu’il faut à la race humaine, sans exploiteur et sans exploité. » (Note annexe à l’audience du 23 juin 1883, lors de son nouvel emprisonnement).

« J’ignore où se livrera le combat entre le vieux monde et le nouveau, mais peu importe : j’y serai. Que ce soit à Rome, à Berlin, à Moscou, je n’en sais rien, j’irai et sans doute bien d’autres aussi. Et quelque part que ce soit, l’étincelle gagnera le monde ; les foules seront debout, prêtes à secouer les vermines de leurs crinières de lions. »

« Tout est bagne sur la terre, tout est prison. La mine, la caserne, l’atelier sont des bagnes pires, quelquefois, que ceux dans lesquels sont envoyés ceux que d’autres hommes se permettent de déclarer coupables. »

« Par-delà notre temps maudit viendra le jour où l’homme, conscient et libre, ne torturera plus ni l’homme ni la bête. Cette espérance-là vaut bien qu’on s’en aille à travers l’horreur de la vie. »

« Il n’y a pas d’héroïsme puisqu’on est empoigné par la grandeur de l’œuvre à accomplir et qu’on reste au-dessous. »

Malgré elle, malgré tout s’exprime la tristesse têtue - confession personnelle et forme d’hypersensibilité (artistique ou féminine)…

« Vous cherchez le bonheur, pauvres fous ? Passez votre chemin : le bonheur n’est nulle part. »

« Elle aurait voulu vivre près de moi, dans un coin paisible, quelque école de village perdue au milieu des bois. Pauvre mère ! Maintenant, tout est fini ; mais, après toi  (si ce n’est la Révolution), après toi plus ne m’est rien, si ce n’est d’aller près de toi là-bas où tu dors. »

« Je n’ai pas le mal du pays, j’ai le mal des morts. »

 

LA COMMUNE, Histoire et souvenirs (1898)

« Écrire ce livre, c’est revivre les jours terribles où la liberté nous frôlant de son aile s’envola de l’abattoir ; c’est rouvrir la fosse sanglante où, sous le dôme tragique de l’incendie s’endormit la Commune belle pour ses noces avec la mort, les noces rouges du martyre. »

Louise MICHEL (1830-1905)

Dernière œuvre majeure, en relation avec le mois terrible (mai 1871) et la Semaine sanglante où s’est joué son destin, sinon celui du monde.

« Les hommes auraient palabré jusqu’à la fin du monde, les femmes ne se demandaient pas si une chose était possible mais si elle était utile, alors on réussissait à l’accomplir. »

« Simple, forte, aimant l’art et l’idéal, brave et libre aussi, la femme de demain ne voudra ni dominer, ni être dominée. »

Nous reviendrons sur le féminisme de Louise Michel, mais n’oublions pas le rôle essentiel des femmes dans cette révolution, participant activement aux soins des blessés, au ravitaillement, créant des crèches populaires et n’hésitant pas à venir aux barricades avec leurs enfants.

La poésie est une forme récurrente - Louise Michel est marquée sinon inspirée par son ami Hugo, et pas seulement dans ses vers :

« Quand la foule aujourd’hui muette,
Comme l’Océan grondera,
Qu’à mourir elle sera prête,
La Commune se lèvera. »

Suivent des définitions qui s’ajoutent à toutes celles des commentateurs, témoins ou historiens de l’événement. Ici, c’est l’actrice principale qui en parle…

« La Commune, c’est la forme militante de la Révolution sociale. C’est la Révolution debout, maîtresse de ses ennemis. La Commune, c’est la période révolutionnaire d’où sortira la société nouvelle. »

« La Commune, ne l’oublions pas non plus, nous qui avons reçu charge de la mémoire et de la vengeance des assassinés, c’est aussi la revanche. »

« Combien eût été plus beau le bûcher qui, vivants nous eût ensevelis, que cet immense charnier ! Combien les cendres semées aux quatre vents pour la liberté eussent moins terrifié les populations, que ces boucheries humaines ! »

« Tout quartier pris par Versailles était changé en abattoir. »

« Si un pouvoir quelconque pouvait faire quelque chose, c’était bien la Commune composée d’hommes d’intelligence, de courage, d’une incroyable honnêteté et qui avaient donné d’incontestables preuves de dévouement et d’énergie. Le pouvoir les annihila, ne leur laissant plus d’implacable volonté que pour le sacrifice ; ils surent mourir héroïquement. C’est que le pouvoir est maudit et c’est pour cela que je suis anarchiste. »

Citation récurrente et obsessionnelle. S’il fallait n’en retenir qu’une seule… Mais ce serait dommage pour toutes les autres.

3. Les mots d’une combattante engagée : anarchiste, féministe, animaliste, utopiste.

Nous faisons ici le pari de résumer (et d’ordonner) l’essentiel de son action et de sa pensée en quelques dizaines de citations empruntées à son œuvre. Cette relecture originale enrichit le personnage et précise son (auto)portrait.

ANARCHISTE

Leitmotiv personnel en forme de profession de foi, c’est son premier combat politique et tous les autres en découleront plus ou moins logiquement pendant un demi-siècle d’activisme. Son anarchisme révolutionnaire l’apparente à Blanqui et sa devise  (« Ni Dieu, ni maître) bien plus qu’à Proudhon.

« C’est que le pouvoir est maudit, et c’est pour cela que je suis anarchiste. »

Louise MICHEL (1830-1905), À mes frères (1871), Mémoires (1886-1890), La Commune (1898) et autres sources

« Les anarchistes se proposent d’apprendre au peuple à se passer de gouvernement comme il commence déjà à se passer de Dieu. » (Mémoires)

« Plus de drapeau rouge mouillé du sang de nos soldats. J’arborerai le drapeau noir, portant le deuil de nos morts et de nos illusions. » (Mémoires)

« L’instruction nous a rendus sceptiques ; c’est fini, nous ne croyons plus à Dieu, la Révolution de 71 est athée, notre République a un bouquet d’immortelles au corsage… » (La Commune)

« Et ne me parlez pas de Dieu, le croquemitaine ne nous effraie plus, il y a trop longtemps qu’il n’est plus que prétexte à pillage et à assassinat. » (La Commune)

« Les religions se dissipent au souffle du vent et nous sommes désormais les seuls maîtres de nos destinées. » (Mémoires)

« Nous rêvons au bonheur universel, nous voulons l’humanité libre et fière, sans entrave, sans castes, sans frontières, sans religions, sans gouvernements, sans institutions. » (À mes frères)

« Prenons donc pour mot d’ordre et pour point de ralliement la haine du capital, le mépris du pouvoir. » (À mes frères)

« Toujours ceux qui s’attaquèrent aux dieux et aux rois furent brisés dans la lutte ; pourtant les dieux sont tombés, les rois tombent, et bientôt se vérifieront les paroles de Blanqui : « Ni Dieu ni maître ! » (L’Ère nouvelle)

Blanqui, son premier maître virtuel nommément cité, à qui elle rendra hommage en compagnie de son disciple Eudes, lors de son inhumation au Père-Lachaise (1881).

« La tâche des instituteurs, ces obscurs soldats de la civilisation, est de donner au peuple les moyens intellectuels de se révolter. » (Mémoires)

Rappelons que Louise Michel fut institutrice (passionnée) dans des écoles libres sous le Second Empire – défiant alors le régime haï par elle. Sous la Troisième République (critiquée pour diverses raisons), elle assista à la création de l’instruction gratuite, obligatoire et laïque (lois Ferry de 1881-1882) avec les « hussards noirs de la République », ces instituteurs chers au cœur de Charles Péguy. Quant à la mission anarchiste que leur attribue Louise Michel, elle ressort de sa pensée anarchiste toujours militante, voire activiste.

FÉMINISTE

Au siècle le plus misogyne de l’Histoire et qui s’assume comme tel, cette femme est sans liaison masculine connue - hormis une passion platonique (?) pour Théophile Ferré, communard fusillé en 1871. Elle vit entourée d’amies-compagnes fidèles et s’inscrit parmi les plus ardentes féministes des femmes combattantes.

« La question des femmes est, surtout à l’heure actuelle, inséparable de la question de l’humanité. »

Louise MICHEL (1830-1905), Mémoires (1886-1890)

« Jamais je n’ai compris qu’il y eût un sexe pour lequel on cherchât à atrophier l’intelligence comme s’il y en avait trop dans la race. » (Mémoires)

« Il y a une chose qui vous étonne, qui vous épouvante, c’est une femme qui ose se défendre. On n’est pas habitué à voir une femme qui ose penser ; on veut selon l’expression de Proudhon, voir dans la femme une ménagère ou une courtisane ! » (Mémoires)

« L’homme, quel qu’il soit, est le maître ; nous sommes l’être intermédiaire entre lui et la bête… » « Quand nous avons du courage, c’est un cas pathologique ; quand nous nous assimilons facilement certaines connaissances, c’est un cas pathologique. » (Mémoires)

« La femme, cette prétendue faible de cœur, sait plus que l’homme dire : Il le faut ! Elle se sent déchirée jusqu’aux entrailles, mais elle reste impassible. Sans haine, sans colère, sans pitié pour elle-même ni pour les autres, il le faut, que le cœur saigne ou non. » (Mémoires)

« Et dire qu’il y a de pauvres enfants qu’on eût forcées d’épouser un de ces vieux crocodiles ! Si on eût fait ainsi pour moi, je sentais que, lui ou moi, il aurait fallu passer par la fenêtre. » (Mémoires)

« Les femmes sont le bétail humain qu’on écrase et qu’on vend. »

« Notre place dans l’humanité ne doit pas être mendiée, mais prise. » (Mémoires)

« Nous ne valons pas mieux que les hommes, mais le pouvoir ne nous a pas encore corrompues. » (Mémoires)

« S’il faudra du courage à vos frères pour les choses qu’ils verront, il vous en faudra cent fois davantage. Il faut aujourd’hui, qu’où les hommes pleureraient, les femmes aient les yeux secs. » (Mémoires)

« Si l’égalité entre les deux sexes était reconnue, ce serait une fameuse brèche dans la bêtise humaine. En attendant, la femme est toujours, comme le disait le vieux Molière, le potage de l’homme. » (Mémoires)

« Le sexe fort descend jusqu’à flatter l’autre en le qualifiant de beau sexe. Il y a fichtre longtemps que nous avons fait justice de cette force-là, et nous sommes pas mal de révoltées. »
(Mémoires)

« Est-ce qu’il n’y a pas des marchés où l’on vend, dans la rue, aux étalages des trottoirs, les belles filles du peuple, tandis que les filles des riches sont vendues pour leur dot ? L’une, la prend qui veut ; l’autre, on la donne à qui on veut. La prostitution est la même. » (Mémoires)

« Esclave est le prolétaire, esclave entre tous est la femme du prolétaire. » (Mémoires)

« Si le diable existait, il saurait que si l’homme règne, menant grand tapage, c’est la femme qui gouverne à petit bruit. » (Mémoires)

« Les êtres, les races et, dans les races, ces deux parties de l’humanité : l’homme et la femme, qui devraient marcher la main dans la main et dont l’antagonisme durera tant que la plus forte commandera ou croira commander à l’autre réduite aux ruses, à la domination occulte qui sont les armes des esclaves. » (Mémoires)

 

ANIMALISTE

« Au fond de ma révolte contre les forts, je trouve du plus loin qu’il me souvienne l’horreur des tortures infligées aux bêtes. » 10

Louise MICHEL (1830-1905), Mémoires (1886-1890)

La cause des animaux est liée à la cause des femmes, d’où son importance dans la logique toujours militante de Louise Michel. Cela remonte aux impressions de son enfance provinciale (en Haute-Marne). La Parisienne ne les oubliera jamais.

« J’aurais voulu que l’animal se vengeât, que le chien mordît celui qui l’assommait de coups, que le cheval saignant sous le fouet renversât son bourreau ; mais toujours la bête muette subit son sort avec la résignation des races domptées. — Quelle pitié que la bête ! » (Mémoires)

« Depuis la grenouille que les paysans coupent en deux, laissant se traîner au soleil la moitié supérieure, les yeux horriblement sortis, les bras tremblants, cherchant à s’enfouir sous la terre, jusqu’à l’oie dont on cloue les pattes, jusqu’au cheval qu’on fait épuiser par les sangsues ou fouiller par les cornes des taureaux, la bête subit, lamentable, le supplice infligé par l’homme. » (Mémoires)

« Et plus l’homme est féroce envers la bête, plus il est rampant devant les hommes qui le dominent. » (Mémoires)

« On m’a souvent accusée de plus de sollicitude pour les bêtes que pour les gens : pourquoi s’attendrir sur les brutes quand les êtres raisonnables sont malheureux ? C’est que tout va ensemble, depuis l’oiseau dont on écrase la couvée jusqu’aux nids humains décimés par la guerre. La bête crève de faim dans son trou, l’homme en meurt au loin des bornes. » (Mémoires)

« Des cruautés que l’on voit dans les campagnes commettre sur les animaux, de l’aspect horrible de leur condition, date avec ma pitié pour eux la compréhension des crimes de la force. » (Mémoires)

« C’est ainsi que ceux qui tiennent les peuples agissent envers eux ! Cette réflexion ne pouvait manquer de me venir. Pardonnez-moi, mes chers amis des provinces, si je m’appesantis sur les souffrances endurées chez vous par les animaux. » (Mémoires)

« Les paysans ont la triste coutume de donner de petits animaux pour jouets à leurs enfants. On voit sur le seuil des portes, au printemps, au milieu des foins ou des blés coupés en été, de pauvres petits oiseaux ouvrant le bec à des mioches de deux ou trois ans qui y fourrent innocemment de la terre ; ils suspendent l’oiselet par une patte pour le faire voler, regardent s’agiter ses petites ailes sans plumes. »

« D’autres fois ce sont de jeunes chiens, de jeunes chats que l’enfant traîne comme des voitures, sur les cailloux ou dans les ruisseaux. Quand la bête mord, le père l’écrase sous son sabot. »

 

UTOPISTE

« Nous rêvons au bonheur universel, nous voulons l’humanité libre et fière, sans entrave, sans castes, sans frontières, sans religions, sans gouvernements, sans institutions. »

Louise MICHEL (1830-1905), À mes frères (1871)

Le XIXe est le siècle des utopies (socialistes), à commencer par le saint-simonisme (comte de Saint-Simon) et le fouriérisme (Charles Fourier). Le capitalisme florissant aggrave le fossé entre les riches (bourgeois) et les pauvres (ouvriers de plus en plus nombreux, privés de toute protection sociale).

Louise Michel est sans doute la seule femme utopiste : trait de caractère présent dans toutes ses œuvres et inhérent aux multitudes d’actions entreprises par le personnage combattant sur tous les fronts.

« Les anarchistes sont généralement traités d’utopistes. Nous ne sommes pas des utopistes. N’oubliez pas que l’utopie est la réalité de demain. » (À mes frères)

« Ce n’est pas une miette de pain, c’est la moisson du monde entier qu’il faut à la race humaine tout entière, sans exploiteurs et sans exploités. » (La Commune)

« Grand nombre d’entre nous songent au temps ardemment désiré où dans la grande paix de l’humanité la terre sera connue, la science familière à tous, où des flottes traverseront l’air et glisseront sous les flots, parmi les coraux, les forêts sous-marines qui recouvrent tant d’épaves, où les éléments seront domptés, l’âpre nature adoucie pour l’être conscient et libre qui nous succédera. » (La Commune)

« Chacun cherche sa route ; nous cherchons la nôtre et nous pensons que le jour où le règne de la liberté et de l’égalité sera arrivé, le genre humain sera heureux. » (Mémoires)

« Sans l’autorité d’un seul, il y aurait la lumière, il y aurait la vérité, il y aurait la justice. L’autorité d’un seul, c’est un crime. Ce que nous voulons, c’est l’autorité de tous. » (Plaidoirie, audience du 22 juin 1883)

« Simple, forte, aimant l’art et l’idéal, brave et libre aussi, la femme de demain ne voudra ni dominer, ni être dominée. » (La Commune)

 

4. Morale de l’Histoire en faveur de Louise Michel : deux cautions majeures de son vivant (Hugo, Clemenceau) et la postérité unique en son genre d’une Jeanne d’Arc contemporaine.

« Si je ne vous écrivais pas, je ne pourrais supporter la vie. »20

Louise MICHEL (1830-1905), Première lettre à Victor Hugo, 1850.  Je vous écris de ma nuit : correspondance générale de Louise Michel, 1850-1904 (1999), Louise Michel, Xavière Gauthier

Elle a 20 ans. Provinciale, encore pieuse et déjà tourmentée, elle rêve d’être poète. Après une enfance qui semble douce malgré sa situation d’enfant illégitime, sa vie bascule. La mort de sa grand-mère l’oblige à quitter le château où elle vivait avec sa mère aimée.

Elle s’adresse au plus célèbre romantique de l’époque : lettre fleuve exaltée. Le Maître va lui répondre. Un miracle pour elle… et un piège pour lui.

Louise entretient une correspondance assidue avec le maître et lui adresse ses poèmes, bientôt signés sous le pseudonyme d’Enjolras - nom du chef révolutionnaire des Misérables (1862), comme si elle s’identifiait à ce célèbre activiste. Passionnée d’écriture jusqu’à la fin de sa vie, elle a pourtant abandonné ses ambitions littéraires afin de se donner tout entière à la politique… et à l’anarchie. Tout ce qu’Hugo déteste, même si son cœur bat désormais à gauche.

« Haine vigoureuse de l’anarchie, tendre et profond amour du peuple. »2178

Victor HUGO (1802-1885), devise de L’Événement, juillet 1848-septembre 1851

Formule empruntée à l’un de ses discours électoraux de mai 1848. Le poète a renoncé au théâtre (après l’échec des Burgraves) et entre sur la scène politique. Élu par la bourgeoisie sous la Deuxième République, favorable à la fermeture des Ateliers nationaux (une absurdité économique) et partisan résolu de la répression des journées insurrectionnelles qui s’ensuivent, Hugo demeure pourtant libéral. Tout en refusant le socialisme, il s’oppose au gouvernement Cavaignac qui, avec le parti de l’Ordre, menace la liberté de la presse et multiplie les mesures répressives.

Dix ans plus tard, Louise Michel, institutrice militante, préside le Comité de vigilance des femmes du XVIIIe arrondissement. Ses lettres de Montmartre (1862 à 1870) exposent à Hugo (alors exilé à Guernesey) ses idées révolutionnaires : divergences politiques évidentes entre ces deux passionnés.

Elle vient voir Hugo au milieu d’une immense foule le jour de son retour à Paris, le 5 septembre 1870, après la chute de l’Empire et ses dix-neuf ans d’exil.

Arrêtée en mai 1871, la « pasionaria » de la Commune continue de lui écrire depuis les prisons de Versailles et d’Auberive. Elle plaide surtout auprès du poète la cause de Théophile Ferré (dont elle s’est passionnément éprise), substitut du procureur de la Commune ayant donné son accord pour l’exécution des otages, notamment celui de l’archevêque de Paris, Georges Darboy. Hugo reste sourd à ses requêtes et Ferré sera fusillé. Mais il rend un vibrant hommage au courage de la Vierge rouge sur les barricades, Enjolras plus vraie que nature dans son costume de soldate…

« Ayant vu le massacre immense, le combat,
Le peuple sur sa croix, Paris sur son grabat,
La pitié formidable était dans tes paroles ;
Tu faisais ce que font les grandes âmes folles,
Et lasse de lutter, de rêver, de souffrir,
Tu disais : J’ai tué ! car tu voulais mourir. »

Victor HUGO (1802-1885), « Viro Major », Toute la lyre, décembre 1871. Site BNF

Le grand homme qui intervient personnellement pour elle la dépeint telle « Judith la sombre Juive » et « Aria la Romaine », deux femmes aux destins tragiques. Le manuscrit autographe sur papier vergé visible sur le site de la BNF montre le premier titre barré, Louise Michel. Viro Major signifie « plus grande qu’un homme ».

Ce poème qui lui est dédié rappelle ce qui les unit depuis deux décennies et fit beaucoup pour la légende vivante de l’héroïne.

« Ceux qui savent tes vers mystérieux et doux,
Tes jours, tes nuits, tes soins, tes pleurs, donnés à tous,
Ton oubli de toi-même à secourir les autres,
Ta parole semblable aux flammes des apôtres (…) »

Victor HUGO (1802-1885), « Viro Major », Toute la lyre, décembre 1871. Site BNF

« … Ta bonté, ta fierté de femme populaire,
L’âpre attendrissement qui dort sous ta colère,
Ton long regard de haine à tous les inhumains,
Et les pieds des enfants réchauffés dans tes mains (…)
Tu fus belle et semblas étrange en ces débats ;
Car, chétifs comme sont les vivants d’ici-bas,
Rien ne les trouble plus que deux âmes mêlées,
Que le divin chaos des choses étoilées. »

Signé du grand homme revenu d’exil à la chute de l’Empire pour souffrir avec les Français en guerre, Paris assiégé, affamé, la République déchirée, le peuple épuisé… cet hommage lyrique et typiquement hugolien sauve peut-être Louise Michel de la mort qu’elle demandait à ses juges pour partager le sort de ses camarades fusillés : « Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’ait droit qu’à un peu de plomb, j’en réclame ma part, moi ! Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi ! »

Elle est quand même envoyée au bagne, exilée à partir de 1873 en Nouvelle-Calédonie. Hugo continue de la défendre et essaie d’adoucir les conditions de son séjour, même si elle refuse par principe tout traitement de faveur. De son côté, elle continue de lui écrire jusqu’en 1879, des lettres plus apaisées, ayant trouvé un but à sa vie : prendre soin des Kanaks dont elle a appris la langue et qu’elle défendra véhémentement avec leur chef Altaï, lors de leur Grande révolte, en 1878.

Mais Clemenceau, autre (futur) grand homme, a pris le relais et la politique les unit plus évidemment.

« Cette République qui porte un masque d’honnêteté sur son visage de prostituée, me fait horreur. »

Louise MICHEL (1830-1905), Lettre à Clemenceau.  Je vous écris de ma nuit : correspondance générale de Louise Michel, 1850-1904 (1999), Louise Michel, Xavière Gauthier

L’ardent républicain (radical, opposé aux opportunistes et à Gambetta) fut l’ami de deux féministes, la révolutionnaire Louise Michel et la modérée, Marguerite Durand (fondatrice du journal La Fronde). Il s’intéressa aux droits des femmes, restant malgré tout misogyne (terriblement injuste avec son épouse) et adversaire du suffrage féminin (qui aboutirait selon lui à la mainmise de l’Église sur la politique).

Il a rencontré Louise Michel en octobre 1870. Maire de Montmartre, il adresse aux instituteurs du XVIIIe arrondissement une circulaire visant à supprimer tout enseignement religieux de leurs écoles. Institutrice adjointe, Louise Michel est la seule à lui répondre. Il permet aussi à Blanqui de devenir commandant du 169e bataillon de la garde nationale, le siège de Paris par les Prussiens ayant commencé le 19 septembre 1870.

Une relation amicale s’établit dès cette première rencontre et dura jusqu’à la mort de Louise.

Pour l’heure, déportée en Nouvelle-Calédonie, elle lui demande de s’occuper des enfants des déportés morts au bagne. Elle réclame de l’argent et des livres pour sa classe – étant redevenue institutrice pour les petits kanaks devenus sa nouvelle raison de vivre. Ses lettres sont volontiers politiques, pour attaquer le gouvernement Grévy.

« Je regarde la France avec ma vieille expérience de sept ans de Calédonie comme une nation pourrie. »

Louise MICHEL (1830-1905), Lettre à Clemenceau.  Je vous écris de ma nuit : correspondance générale de Louise Michel, 1850-1904 (1999), Louise Michel, Xavière Gauthier

Le Tigre a lui aussi la dent dure, brocardant la plupart des politiciens de cette « République des camarades » en proie à une série de crises et luttant sans relâche pour l’amnistie des Communards. Mais Louise Michel, alias Enjolras, « jeune homme charmant, capable d’être terrible » (Les Misérables), refuse d’être en cela mieux traitée que ses compagnons.

L’amnistie pleine et entière enfin votée, elle rentre du bagne le 9 novembre 1880 : ses amis Georges Clemenceau, Jules Vallès, Henri Rochefort, Nathalie Le Mel sont venus l’accueillir sur les quais de la gare Saint-Lazare, avec une foule de 10 000 fans pour l’acclamer.

Elle redevient militante à plein temps, multiplie les conférences, intervient dans les réunions politiques.

Le 9 mars 1883, elle mène aux Invalides une manifestation au nom des « sans-travail » qui dégénère en pillages de trois boulangeries et en affrontement avec les forces de l’ordre. Elle se rend quelques semaines plus tard, condamnée le 21 juin à six ans de prison assortis de dix années de surveillance de haute police, pour « excitation au pillage ».

« On tue les vipères et on ne laisse point les panthères en liberté. »

Le Figaro, 22 juin 1883, cité par Les Amies et Amis de la Commune de Paris, association en ligne

Louise Michel est naturellement aussi adorée que détestée.

Clemenceau intervient de nouveau en sa faveur auprès du président de la République Jules Grévy. Elle n’accepte la libération provisoire (contraire à sa déontologie) que pour une seule raison : aller rendre visite à sa mère mourante, Marianne Michel.

Dès le mois d’août, elle se retrouve en prison pour quatre mois à cause d’un discours prononcé en faveur des mineurs de Decazeville, aux côtés de Jules Guesde (socialiste révolutionnaire, futur créateur de la SFIO contre Jaurès). Refusant de faire appel, elle est finalement relâchée en novembre à la suite d’une remise de peine.

Après Hugo, un autre poète plaide la cause de Louise Michel dans un autre style – et pas au meilleur de sa forme, même si le cœur y est…

« Citoyenne ! votre évangile
On meurt pour ! c’est l’Honneur ! et bien
Loin des Taxil et des Bazile,
Louise Michel est très bien. »

Paul VERLAINE (1844-1896), Ballade en l’honneur de Louise Michel , extrait du recueil Amour, 1888 (posthume, 1905)

Il fait référence à Léo Taxil, célèbre écrivain à sensation et politiquement douteux, passé de l’anticléricalisme à l’antimaçonnisme après une soi-disant conversion au catholicisme, propagateur d’une mystification consistant à prétendre que la franc-maçonnerie rendait un culte secret à Satan !
Quant à Bazile, c’est un personnage du Barbier de Séville de Beaumarchais, caricature du dévot hypocrite et vénal.

Dans cette ballade, Verlaine rapproche Louise Michel des héroïnes révolutionnaires : Charlotte Corday (qui assassina Marat), Lucile Desmoulins (épouse de Camille Desmoulins, guillotinée comme son mari), Théroigne de Méricourt (agressée par des Jacobins), Pauline Roland (héroïne féministe et martyre sous la révolution de 1848).

La fin de la vie de Louise Michel se partage entre l’écriture (poèmes et Mémoires), l’instruction dans des écoles libertaires, l’organisation de manifestations et d’actions pour les sans-travail et les sans-pain, des conférences et meetings.

Elle prend la parole pour défendre des mineurs aux côtés des socialistes « rouges » marxistes, Jules Guesde et Paul Lafargue. Elle reste proche de ses amis socialistes désormais dits « réformistes » : le journaliste Henri Rochefort rencontré au bagne et bien sûr Clemenceau. Dès qu’il s’agit de défendre une cause qui lui semble juste - les faibles contre les forts, les démunis contre les privilégiés, les colonisés contre les impérialistes - Louise Michel s’engage de toute son énergie.

Elle meurt à Marseille le 9 janvier 1905, à l’âge de 74 ans, d’une pneumonie contractée lors d’une tournée de conférences dans le sud de la France.

« Salut au réveil du peuple et à ceux qui en tombant ont ouvert si grandes les portes de l’avenir. »

Épitaphe de Louise Michel

Sur l’austère caveau de marbre gris veiné de blanc, surmonté de son buste en bronze, ses amis firent graver ces mots. Citation extraite de ses Mémoires et d’ailleurs incomplète : « Salut au réveil du peuple et à ceux qui en tombant ont ouvert si grandes les portes de l’avenir… que toute la Révolution y passe ! »

Son enterrement est l’occasion d’une immense cérémonie populaire. Corbillard de septième classe, dit « des pauvres », recouvert d’un drap rouge et bordé de noir. Une foule de 120 000 personnes l’accompagne jusqu’au cimetière de Levallois.

Les différents courants socialistes qui se déchirent sur le monde idéal et la manière d’y parvenir enterrent leurs différences : brève « union sacrée » pour commémorer la vie d’une femme qui savait dépasser les querelles entre révolutionnaires pour concentrer toutes les forces vers un seul objectif : dresser et défendre la barricade entre les oppresseurs et les opprimés.

« Les gauches » ne cesseront de se diviser et se détester jusqu’à nos jours, mais la popularité de la « Vierge rouge » reste immense. Étonnamment comparable à la « Pucelle d’Orléans ».

« Louise Michel est une unique anomalie dans la construction du récit historique dominant antérieur au XXème siècle. Anomalie puisque c’est une femme, et qu’elle n’est pas tombée dans l’oubli le plus profond. Avec Jeanne d’Arc et quelques reines, c’est une des seules femmes à avoir une place importante dans l’imaginaire collectif avant les grandes figures du XXème siècle. »

Insoumission. Portrait – Louise Michel, figure de l’insoumission. L’Insoumission.fr, 12 février 2023

Jeanne est sans conteste une légende unique en son genre et indissociable du Moyen Âge. De même que Louise Michel parfaitement ancrée dans son siècle : « Unique, puisque c’est la seule figure féminine célébrissime qui n’ait pas défendu la monarchie, c’est le moins que l’on puisse dire : républicaine, révolutionnaire, communarde, anarchiste, en même temps que poétesse, écrivaine, institutrice, soldate, amie de Hugo, Clemenceau, Vallès et Guesde…

Peut-être cette femme était-elle tout simplement trop immense, trop altruiste, trop courageuse pour être atteinte par les basses critiques des exploiteurs. Les innombrables attaques de la bourgeoisie n’ont fait que glisser sur sa mémoire. Elle est ressortie toujours plus grande de ses multiples condamnations, emprisonnements, polémiques. »

La figure de Louise Michel acquiert très tôt une dimension de mythe universel, objet d’une série de réappropriations mémorielles du Parti communiste en URSS dès 1921, de mouvements féministes à partir des années 1970, avant d’être reconnue pour son patriotisme républicain à partir des années 1990, revendiquée par le mouvement queer aux Etats-Unis.

Jusqu’en 1916, une manifestation a lieu chaque année sur sa tombe au cimetière de Levallois-Perret. En 1946, ses restes sont déplacés au rond-point des Victimes du devoir, dans le même cimetière et sa tombe est toujours fleurie à chaque anniversaire.

En 2015, c’est le 26e personnage le plus célébré au fronton des 67 000 établissements publics français : 190 écoles, collèges et lycées lui ont donné son nom, derrière Saint Joseph (880), Jules Ferry (642), Notre-Dame (546), Jacques Prévert (472), Jean Moulin (434).  Le réseau des bibliothèques de la Ville de Paris en 2011 une bibliothèque à son nom dans le populaire XXe   arrondissement de Paris.

En 2013, sa panthéonisation est suggérée. La promotion 2014 des conservateurs du patrimoine de l’Institut national du patrimoine porte son nom.

Louise Michel reste une figure emblématique du mouvement anarchiste et du mouvement ouvrier en général. Un vocabulaire relevant de celui réservé aux saintes lui est parfois appliqué : la « Vierge rouge » est aussi la « Bonne Louise ».

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