Portrait de Marie-Antoinette en citations | L’Histoire en citations
Portrait de Marie-Antoinette en citations
Portraits en citations des Personnages de l’Histoire

 

Dernière reine sous l’Ancien Régime, c’est la Révolution qui fera de Marie-Antoinette un personnage historique au destin tragique.

Née à Vienne, elle épouse à 14 ans le futur Louis XVI pour raison d’État : l’union doit renforcer les liens entre la France et l’Autriche. La charmante dauphine est sitôt adoptée et adorée au-delà de ses rêves. La réalité sera d’autant plus dure pour cette femme enfant jusqu’alors gâtée par la vie. Sa rivalité avec la du Barry, dernière grande favorite de l’Histoire, fera le régal de la cour… et des historiens.

Devenue reine à la mort de Louis XV (1774), ses relations se détériorent avec la cour et le peuple. Jeune et légère, joueuse et dépensière, elle organise de somptueuses fêtes au Petit Trianon de Versailles, donnant prise à toutes les rumeurs. Injustement accusée dans l’Affaire du collier de la reine (1784-1786), elle est la principale victime des « basses Lumières » anonymes, avatar de nos réseaux sociaux. 

Naturellement hostile à la Révolution, Marie-Antoinette exerce une influence plus ou moins forte sur le roi dont elle déplore la faiblesse. « L’Autrichienne » désormais haïe du peuple devient  « Madame Veto » (quand la Constitution de 1791 instaure un veto royal).

Elle vit douloureusement les premières grandes journées révolutionnaires, tentant l’impossible pour sauver sa famille et la Couronne avec la complicité des émigrés français et de son amant, le comte de Fersen. La fuite à Varennes sera le dernier acte - mal joué. La prise du Palais des Tuileries (10 août 1792) marque la fin de la royauté.

13 octobre 1793. Reine déchue et mère calomniée, la « Veuve Capet » finit guillotinée neuf mois après Louis XVI, sur la place de la Révolution (la Concorde) à Paris.

Nombre de biographies retracent ce destin, notamment celle du grand écrivain autrichien Stefan Zweig publiée en 1932 (version française en 1933), le premier à pouvoir consulter intégralement les archives de l’Empire autrichien et la correspondance du comte Axel de Fersen.
Au final, voici le portrait d’une jeune femme qu’il ne faut ni encenser, ni condamner, mais comprendre et replacer dans un contexte historique littéralement hors norme.

1. Dauphine adorée à son arrivée en France (1770-1774)
2. Reine bientôt détestée à la fin de l’Ancien régime (1774-1789)
3. Femme et mère outragée sous la Révolution (1789-1793)
Épilogue inattendu (signé Napoléon, 1810)

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1. Dauphine adorée à son arrivée en France (1770-1774)

« Ne parlez point allemand, Monsieur ; à dater de ce jour, je n’entends plus d’autre langue que le français. »1186

MARIE-ANTOINETTE d’Autriche (1755-1793), à M. d’Antigny, chef de la Cité (Strasbourg), 7 mai 1770. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Il lui adressait la bienvenue en allemand. Mais on parle couramment le français dans toutes les cours d’Europe. C’est aussi la langue de la diplomatie. À 14 ans, Marie-Antoinette est pourtant l’une des princesses les moins couramment francophones, vue son éducation quelque peu fantaisiste à son image.

La jeune « princesse accomplie » est la 15e et avant-dernière enfant du couple impérial, Marie-Thérèse d’Autriche et François Ier, éduquée selon les règles, mais pas toujours soumise à ce qui contrarie sa nature - un trait de caractère qui ne se démentira jamais et lui portera souvent préjudice.

Elle va à la rencontre de son fiancé le dauphin Louis (futur Louis XVI) et de toute la cour qui l’attend à Compiègne. Elle a déjà dû, selon l’étiquette de la cour, se dépouiller de tout ce qui pouvait la rattacher à son ancienne patrie, pour s’habiller à la mode française et commencer sa nouvelle vie.

Le mariage fut négocié par le ministre Choiseul (longtemps chef du gouvernement de Louis XV) et la mère de la mariée, tous deux soucieux de réconcilier les Bourbons et les Habsbourg. L’alliance autrichienne renforcerait la position de la France en Europe, en cas de guerre avec l’Angleterre ou la Prusse.

« La plus sotte et impertinente créature qui soit imaginable. »10

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793) à propos de la comtesse du Barry, Lettre à sa mère, 9 juillet 1770

À son arrivée en France, la dauphine Marie-Antoinette passe beaucoup de temps avec « Mesdames » : les trois filles (non mariées) de Louis XV communiquent à leur nièce par alliance leur animosité envers la seconde grande favorite du roi après Madame de Pompadour (déjà discréditée comme « maman putain »), morte en 1764. Il a installé la jeune femme à Versailles en 1768, malgré les manigances du duc de Choiseul, secrétaire d’État et allié de la précédente maîtresse. Charmante et cultivée, la nouvelle favorite s’impose à la cour jusqu’à la mort de Louis XV très attachée à sa jeunesse et son heureux caractère. Amatrice d’art, elle protège peintres et artisans et cultive le style néo-classique à Versailles.

Mais la dauphine Marie-Antoinette n’éprouve que mépris pour cette roturière née Jeanne Bécu. Elle ne comprend même pas que le roi très chrétien affiche ainsi sa maîtresse, une roturière, une femme de mauvaise vie - dans son pays, sa mère très pieuse n’hésite pas à faire fouetter en place publique celles qui font commerce de leurs charmes.

Les filles du roi font tout pour envenimer la relation des deux femmes les plus en vue de la cour. Ces « querelles de dames » irritent Louis XV et inquiètent Marie-Thérèse, la mère de Marie-Antoinette qui craint pour l’avenir des relations entre l’Autriche et la France. Choiseul se retrouve exilé loin de Versailles par lettre de cachet et Marie-Antoinette se braque, murée dans le silence et l’indifférence à la du Barry, feignant de ne plus même la voir. Toute la cour s’en amuse ! Le problème, c’est l’étiquette qui prévaut à Versailles. En public, nul ne peut adresser la parole à un interlocuteur de rang supérieur, si ce dernier ne lui parle pas d’abord. La dauphine joue ostensiblement de cette arme et Madame du Barry, très sincèrement affectée, s’en plaint à Louis XV qui finit par exiger que la dauphine cesse d’humilier sa favorite et lui dise au moins un mot, sous peine d’être disgraciée… Marie-Antoinette va enfin céder.

« II y a bien du monde, aujourd’hui à Versailles. »20

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793) à la comtesse du Barry, séance des vœux, 1 janvier 1772

Jamais phase si banale n’aura fait tant de bruit. C’est l’épilogue d’une guérilla de cour entre les deux femmes les plus en vue, la Dauphine de France et la favorite en titre.

Faisant le tour des personnes présentes à la cérémonie, Marie-Antoinette s’arrête devant Madame du Barry et prononce ses neuf mots qui seront vite connus de tout Versailles et de toute l’Europe : « Il y a bien du monde, aujourd’hui à Versailles ! »

« Madame, vous avez là deux cent mille amoureux. »1192

Duc de BRISSAC (1734-1792), gouverneur de Paris, à Marie-Antoinette, 8 juin 1773. Mémoires de Mme la comtesse du Barri (posthume, 1829), Jeanne Bécu du Barry

Le vieux courtisan lui montre la foule immense venue l’acclamer pour son entrée solennelle à Paris – cérémonie de rigueur tout au long de l’Ancien régime. Le mot rappelle la phrase d’un autre vieux courtisan, Villeroi s’adressant à Louis XV, l’enfant-roi de 10 ans sous la Régence : « Sire, tout ce peuple est à vous. »

La Dauphine de France découvre ainsi le peuple se pressant dans les jardins de Versailles pour l’entrevoir. Fait remarquable, cet excès de popularité a retardé de trois ans son entrée dans la capitale ! Elle s’est en effet mariée avec le Dauphin le 16 mai 1770, à Versailles.

« Je ne puis vous dire, ma chère maman, les transports de joie, d’affection, qu’on nous a témoignés. Avant de nous retirer, nous avons salué avec la main le peuple, ce qui a fait grand plaisir. Qu’on est heureux dans notre état de gagner l’amitié d’un peuple à si bon marché ! Il n’y a pourtant rien de si précieux. Je l’ai senti et je ne l’oublierai jamais. »

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), Correspondance

Elle écrira régulièrement à l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche surnommée par ses sujets « la Grande », une forte femme qui aura une grande influence sur sa fille et craindra bientôt le pire pour elle. De fait, plus dure sera la chute – on ne peut lire ces mots sans se rappeler la fin de l’histoire, sous la Révolution. Mais sa « chère maman » mourra bien avant à Vienne – 29 novembre 1780.

« Ici, je ne suis plus la reine, je suis moi. »50

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), à propos de sa vie dans son domaine de Trianon. La Reine scélérate. Marie-Antoinette dans les pamphlets (2003), Chantal Thomas

La jeune princesse joue à la bergère, écolo avant l’heure. Elle joue aussi la comédie, suivant la théâtromanie du siècle des Lumières littéralement fou de spectacles. Marie-Antoinette jouera même en 1783 le rôle de la Comtesse dans le Mariage de Figaro (pièce de Beaumarchais interdite par la censure) en présence du comte d’Artois (futur Charles X), son beau-frère reprenant lui-même le rôle de Figaro au château de Versailles. Pendant ce temps, elle ne se prépare pas à son futur métier de reine – et moins encore à la Révolution qu’elle ne pouvait prévoir.

« Mais là où Marie-Antoinette ne veut pas comprendre, il ne sert à rien de faire appel à sa raison. Que d’histoires parce qu’elle demeure à quelques pas de Versailles ! Mais en réalité, ces quelques pas l’éloignent à jamais et du peuple et de la cour. Si Marie-Antoinette était restée à Versailles, au milieu de la noblesse française et des coutumes traditionnelles, elle aurait eu à ses côtés, à l’heure du danger, les princes, les gentilshommes, l’armée des aristocrates. Si d’autre part, comme son frère Joseph, elle avait essayé de se rapprocher du peuple, des centaines de milliers de Parisiens, des millions de Français l’eussent adorée. Mais Marie-Antoinette, individualiste absolue, ne veut plaire ni aux aristocrates ni au peuple, elle ne pense qu’à elle-même, et le Trianon, ce caprice parmi ses caprices, la rend aussi impopulaire auprès du tiers état que du clergé et de la noblesse ; parce qu’elle a voulu être trop seule dans son bonheur, elle sera solitaire dans son malheur et devra payer ce jouet frivole de sa couronne et de sa vie. » Marie-Antoinette (1933), Stefan Zweig.

2. Reine bientôt détestée à la fin de l’Ancien régime (1774-1789)

« Mon Dieu, guidez-nous, protégez-nous, nous régnons trop jeunes ! »1205

LOUIS XVI (1754-1793) et MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), Versailles, 10 mai 1774. Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, reine de France et de Navarre ; suivis de souvenirs et anecdotes historiques sur les règnes de Louis XIV, de Louis XV et de Louis XVI (1823), Jeanne-Louis-Henriette Genet Campan

Louis XV est mort, les courtisans se ruent vers le nouveau couple royal – la du Barry étant sitôt exilée à l’abbaye du Pont-aux-Dames (diocèse de Meaux).

Louis XVI, petit-fils du défunt roi et âgé de 20 ans, est effrayé par le poids des responsabilités plus qu’enivré par son nouveau pouvoir. Marie-Antoinette, d’un an sa cadette, sait bien les insuffisances de son époux.

Premier acte politique : le roi, non sans regret (déjà !), renvoie le triumvirat de combat au gouvernement  (Maupeou – Terray - d’Aiguillon) qui tentait les indispensables réformes, ce qui l’a rendu terriblement impopulaire à la fin du règne de Louis XV.

« Tout propos soutenu l’accable, toute réflexion le déroute. »1200

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793). L’Autrichienne : mémoires inédits de Mlle de Mirecourt sur la reine Marie-Antoinette et les prodromes de la Révolution (1966), Claude Émile-Laurent

La reine parle aussi du roi comme d’un homme aveugle à la nécessité, toujours incertain, peu aimable et pourtant désireux qu’on l’aimât. Il consulte tout le monde, suspecte les avis et ne cède qu’à la lassitude. Honteux alors de sa faiblesse, il revient en arrière, se renfrogne, boude, se dérobe, vole à la chasse ou bien se renferme dans son cabinet.

Le comte de Provence (futur Louis XVIII) ne sera pas plus indulgent pour son frère dans les premiers mois de la période révolutionnaire, faisant allusion à un jeu à la mode : « Pour vous faire une idée de son caractère, imaginez des boules d’ivoire huilées que vous vous efforceriez vainement de faire tenir ensemble. » Louis XVI est à coup sûr le roi le moins armé pour affronter la tourmente à venir.

Et pourtant… tout commence bien pour le roi et pour la reine.

« Or, écoutez, petits et grands,
L’histoire d’un roi de vingt ans
Qui va nous ramener en France
Les bonnes mœurs et l’abondance. »1206

Charles COLLÉ (1709-1783), Or, écoutez, petits et grands, chanson (mai 1774). La Révolution française en chansons, anthologie, Le Chant du Monde

Le peuple célèbre la montée sur le trône de Louis XVI, surnommé Louis le Désiré. C’est dire les espoirs mis en lui, résumés par la chanson patriotique du nouvel auteur dramatique à la mode. Censurée, mais déjà jouée en privé et très connue, La Partie de chasse de Henri IV peut enfin être donnée en public : elle célèbre le roi le plus populaire de l’histoire et Louis XV souffrait trop de la comparaison. Avec Louis XVI, on peut encore rêver. Comme avec la charmante Marie-Antoinette.

« Belle, l’œil doit l’admirer,
Reine, l’Europe la révère,
Mais le Français doit l’adorer,
Elle est sa reine, elle est sa mère. »1207

Romance en l’honneur de Marie-Antoinette, chanson (1774). Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

La jeune et jolie reine jouit d’une immense popularité depuis son arrivée en France il y a quatre ans, et Versailles la salue en ce style précieux. C’est l’état de grâce, comme jamais avant et jamais après.

Certes, il y a des jalousies et déjà quelques soupçons contre l’« Autrichienne » à la cour. On aura plus tard la preuve qu’elle est manipulée par sa famille autrichienne, restant très attachée à sa mère, Marie-Thérèse dite « la Grande » (comme Catherine de Russie), impératrice d’Autriche durant trente ans et forte personnalité.

Délaissée par son royal époux, peu soucieuse de l’étiquette à la cour et moins encore des finances de l’État, dépensière et futile, Marie-Antoinette va accumuler les erreurs : « Ma fille court à grands pas vers sa ruine » confie sa mère à l’ambassadeur de France à Vienne, en 1775. Pour l’heure, et pour trois ans encore, le peuple adore sa reine.

« Je suis dans le bonheur le plus essentiel pour toute ma vie, il y a déjà plus de huit jours que mon mariage est consommé. »

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793) à sa mère Marie-Thérèse, Correspondance, 30 août 1777

Sept ans après, Louis peut enfin honorer sa femme comme il se doit et préparer la descendance… Sur ce point anatomique, visiblement, quelque chose bloquait, on parlera d’un phimosis (rétrécissement de l’extrémité du prépuce qui empêche de décalotter complètement et facilement le gland et provoque de fortes douleurs lors du passage à l’action) l’obligeant à freiner ses potentielles ardeurs. Aujourd’hui, on traite facilement ou on opère au besoin.

Mais à l’époque, l’interminable dépucelage de Marie-Antoinette fit beaucoup parler à Versailles (et au-delà). Et il restera toujours un doute sur l’identité du père du Dauphin… En tout cas, elle vécut une passion partagée avec le comte de Fersen, certes tenue secrète. Mais les lettres échangées ne laissent aucun doute et les conséquences politiques seront immenses, sous la Révolution.

« Ah ! c’est une ancienne connaissance. » 30

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), 25 août 1778, parlant de Fersen à l’ambassadeur de Suède à Paris. Journal et Correspondance du comte Axel de Fersen

L’ambassadeur, le comte de Creutz, présente à la reine Axel de Fersen, rencontré le 30 janvier 1774 au bal de l’Opéra de Paris. Ce sera le grand amour de sa vie.

Il ne la reconnaît pas tout de suite – c’était un bal masqué. Il écrira dans son journal la fameuse phrase de la reine : « Ah ! c’est une ancienne connaissance. Le reste de la famille ne me dit pas un mot. » En 1779, il intègre le cercle intime de la reine qui lui accordera beaucoup d’attentions. Des jalousies en naîtront. Surnommé par la presse « le chevalier servant » de la reine de France son rôle allait bien au-delà. Chevalier servant ou Prince charmant ? Ami ou déjà Amant ?

Quoiqu’il en soit, Axel de Fersen rejoint à sa demande le corps expéditionnaire français de 1780 à 1783, participant à la guerre d’indépendance américaine. Il semble qu’il ait aussi pratiqué la « guerre en dentelle ». Au retour, il paraît vieilli et cela touche la reine. Grâce à son appui, il obtient le commandement d’un régiment français. Comme son père souhaite qu’il se marie, à 28 ans, il fait la cour à la fille du ministre des Finances, Germaine Necker (future Madame de Staël). Mais il est désormais très épris de Marie-Antoinette à qui il rend des visites plus ou moins secrètes. Il confie par lettre à sa sœur Sophie : « Je ne puis être à a seule personne à qui je voudrais être, à la seule qui m’aime véritablement, ainsi je ne veux être à personne. »

Il s’installe autant qu’il le peut à Versailles et même au plus près des appartements de Marie-Antoinette. Il la rejoint aussi au Petit Trianon. Cela fait jaser… Il devient alors le favori du couple royal. Louis XVI est un mari pour le moins complaisant. Inséparables, Axel et Marie-Antoinette se comprennent. Pour lui, elle incarne la femme parfaite : douce et aimante. Sous la Révolution, cette liaison devenue passion se concrétisera de bien d’autres manières.

« Si j’ai eu anciennement des torts, c’était, enfant, cette légèreté, mais à cette heure ma tête est bien plus posée. »

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793) à sa mère Marie-Thérèse 16 août 1779. Correspondance

Elle prend conscience de cette évidente légèreté d’être qui peut être charmante aux yeux d’un amant, mais qui est assurément un défaut pour une reine dont on attend encore beaucoup. Sa mère en était consciente et s’en inquiétait toujours. Un an après, elle perdra cette amie et correspondante précieuse.

« S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche. »1217

Mot attribué à tort à MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), et incontestablement emprunté à Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778). La Grande Peur de 1789 (1932), Georges Lefebvre

Le mot se trouve dans les Confessions (rédigées de 1765 à 1770, édition posthume). Scène plaisante, par son souci du détail autobiographique : le narrateur a envie de boire un petit vin blanc d’Artois, mais il n’a jamais pu boire sans manger, il songe à un morceau de pain, mais il n’ose pas en demander au maître de maison, ni aller en acheter lui-même, cela ne se fait pas, quand on est un Monsieur trop bien habillé… « Enfin, je me rappelais le pis-aller d’une grande princesse à qui l’on disait que les paysans n’avaient pas de pain et qui répondit : « Qu’ils mangent de la brioche ! » J’achetai de la brioche » (livre VI des Confessions).

Le mot reflète une réalité sociologique : l’ignorance (ou l’insouciance) des privilégiés face à la misère du peuple. Le temps n’est plus aux famines, mais les disettes sont périodiques en cas de mauvaise récolte, surtout aux périodes de soudure. En mai 1775 à Paris, la hausse du prix du pain, denrée vitale, entraîne une vague d’émeutes. C’est la « guerre des Farines », prémices de la Révolution. C’est aussi une révolte contre la libéralisation du commerce des grains par édit de Turgot (13 septembre 1774). La concurrence devait faire baisser les prix, en vertu du « Laissez faire, laissez passer » cher aux physiocrates. C’est compter sans la spéculation. D’autres édits vont rendre le contrôleur général des finances Turgot plus populaire aux pauvres. Mais l’impopularité de la reine aggrave la situation désormais prérévolutionnaire.

« Madame, si c’est possible, c’est fait ; impossible, cela se fera. »1233

CALONNE (1734-1802), ministre des Finances répondant à une demande de Marie-Antoinette, 1784. L’Ancien Régime et la Révolution (1856), Alexis de Tocqueville

Nouveau protégé de Vergennes (ministre très compétent aux Affaires étrangères), Calonne reste connu pour son laxisme. Ex-intendant de Flandre et d’Artois, il arrive au gouvernement en novembre 1783 : intrigant et intelligent, séducteur et cynique, il cherche non pas à faire des économies pour diminuer la dette, mais à rétablir le crédit de l’État en inspirant confiance. On parlerait aujourd’hui d’une politique de relance quasi keynésienne, avec lancement de grands travaux publics. À coup d’emprunts et d’expédients divers, il semble réussir : on le surnomme l’Enchanteur.

Marie-Antoinette, parlant plus tard de l’époque Calonne, dit : « Comment aurais-je pu me douter que les finances étaient en si mauvais état ? Quand je demandais cinquante mille livres, on m’en apportait cent mille ! » La reine est quand même consciente de certaines réalités… et tout à fait innocente dans la nouvelle Affaire.

« Nous avons plus grand besoin d’un vaisseau que d’un collier. »1238

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), aux joailliers de la couronne, Boehmer et Bassenge. Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette (1823), Madame Campan

C’est en ces termes que la reine, quoique toujours coquette et fort dépensière, a refusé une somptueuse parure de 540 diamants d’une valeur de 1 600 000 livres – c’est même le prix de deux vaisseaux de guerre. Étonnante réaction de l’« étrangère » accusée de ruiner la France ! « Ce qui a mis à sec les finances de la France, c’est la guerre d’Indépendance américaine, et pas les chaussures de Marie-Antoinette » écrit Chantal Thomas, biographe de Marie-Antoinette.

Quoiqu’il en soit, Boehmer a acheté le collier, certain qu’elle changera d’avis. Ruiné, il menace de se précipiter dans la rivière. Mais elle réitère son refus : « Ne m’en parlez donc jamais. Tâchez de le diviser et de le vendre, et ne vous noyez pas ! »

L’intrigante comtesse de La Motte et l’aventurier italien Cagliostro vont alors persuader le cardinal de Rohan de l’acheter, pour s’attirer les faveurs de Marie-Antoinette qui ne peut faire publiquement une telle dépense et le remboursera ensuite secrètement. Ils se chargent de remettre eux-mêmes le bijou à la reine. C’est le début d’une escroquerie dont Dumas tirera un roman et qui va devenir, dès l’année suivante, l’historique « affaire du Collier de la reine ».

« Grande et heureuse affaire ! Que de fange sur la crosse et sur le sceptre ! Quel triomphe pour les idées de la liberté. »1243

Emmanuel Marie FRÉTEAU de SAINT-JUST (1745-1794), conseiller au Parlement. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Mirabeau dira plus tard : « Le procès du Collier a été le prélude de la Révolution. » La royauté déjà malade sort encore affaiblie de cette affaire. Et Marie-Antoinette le paiera cher, lors de son procès.

« Plus scélérate qu’Agrippine
Dont les crimes sont inouïs,
Plus lubrique que Messaline,
Plus barbare que Médicis. »1242

Pamphlet contre la reine. Vers 1785. Dictionnaire critique de la Révolution française (1992), François Furet, Mona Ozouf

Dauphine jadis adorée, la reine est devenue terriblement impopulaire en dix ans, pour sa légèreté de mœurs, mais aussi pour ses intrigues et son ascendant sur un roi faible jusqu’à la soumission. L’affaire du Collier va renforcer ce sentiment.

La Révolution héritera certes de l’œuvre de Voltaire et de Rousseau, mais aussi des « basses Lumières », masse de libelles et de pamphlets à scandale où le mauvais goût rivalise avec la violence verbale, inondant le marché clandestin du livre et sapant les fondements du régime. Après le Régent, les maîtresses de Louis XV et le clergé, Marie-Antoinette devient la cible privilégiée : quelque 3 000 pamphlets la visant relèvent, selon la plupart des historiens, de l’assassinat politique. On en arrivera au mythe de la reine scélérate, de l’« architigresse d’Autriche », créé par les courants misogynes et xénophobes transformant une jeune princesse en une prostituée, une nymphomane, un monstre.

« Tremblez, tyrans, votre règne va finir. »1256

Écriteau placé au Théâtre des Italiens, sur la loge de la reine, mai 1788. La Reine Marie-Antoinette (1889), Pierre de Nolhac

Le roi essaie de faire passer les édits par lit de justice. Les Parlements organisent la résistance, font la grève de la justice, et demandent la réunion des États généraux. Les remontrances succèdent aux remontrances, les émeutes aux émeutes. Le roi doit fixer la date de la convocation tant redoutée : au 1er mai 1789.

Le 16 août 1788, c’est la banqueroute : l’État suspend ses paiements. Brienne démissionne, Paris illumine et brûle son mannequin.

3. Femme et mère outragée sous la Révolution (1789-1793)

« Madame, j’avais confié mes enfants à l’amitié. Je les confie maintenant à la vertu. »

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793) à Madame de Tourzel, nouvelle gouvernante des enfants royaux, 26 juillet 1789. Mémoires de Madame la duchesse de Tourzel (posthume 2005), préface de Jean Chalon

La Révolution va naturellement bouleverser le destin de tous les personnages de notre Histoire.

La duchesse de Polignac, gouvernante des enfants du roi et amie intime de la reine, fut contrainte à l’exil deux jours après la prise de la Bastille. Mme de Tourzel prend sa place auprès des enfants royaux, au château d’Abondant, près de Dreux. Le Dauphin la surnomma « Madame Sévère ».

Désormais intime de la famille royale, elle sera aux premières loges des événements qui devaient changer le cours de l’histoire de France. Mais Marie-Antoinette n’oubliera pas son amie la duchesse de Polignac et lui écrira : « Je vous porte à tous malheur et vos peines sont pour et par moi. » 29 décembre 1789. Cette idée deviendra une obsession chez la dernière reine de France : « Je porte malheur à tous ceux que j’aime… »

« La Reine a été trompée, elle promet qu’elle ne le sera plus […] elle promet d’être attachée au peuple comme Jésus-Christ à son Église. »1353

LA FAYETTE (1757-1834), à la foule qui a forcé les grilles, envahi le château, massacré deux gardes du corps, Versailles, 6 octobre 1789. Procédure criminelle instruite au Châtelet de Paris : sur la dénonciation des faits arrivés à Versailles dans la journée du 6 octobre 1789 (1790), Assemblée nationale constituante

Après la prise de la Bastille du 14 juillet, les nouvelles journées révolutionnaires des 5 et 6 octobre ont pour cause le chômage, la misère, tout ce qui exaspère le peuple de Paris. Aux raisons économiques s’ajoute l’attitude de Louis XVI qui n’a sanctionné ni l’abolition de la féodalité, ni la Déclaration des droits ; puis la rumeur de la cocarde tricolore foulée aux pieds lors d’un banquet devant la famille royale.

C’en est trop : une foule de femmes et de chômeurs marche sur Versailles, armée de piques et de fourches. Une délégation est reçue le soir du 5 octobre par le roi. Il promet d’assurer le ravitaillement de Paris où le pain demeure le premier besoin alimentaire du peuple. La manifestation, d’abord pacifique, va dégénérer après une nuit de liesse bien arrosée, alors que La Fayette, présent à Versailles avec ses gardes nationaux, n’a rien vu venir et dort !

Faute d’avoir pu empêcher l’émeute, le commandant de la garde nationale va du moins calmer le jeu, apparaissant au balcon avec le roi, la reine (en larmes) et le dauphin dans ses bras : signe de réconciliation symbolique entre Louis XVI et son peuple. Auréolé de son aventure américaine, La Fayette se rêve le Washington d’une démocratie royale et sauve sans doute la vie à la famille du roi, ce matin du 6 octobre.

« Je sais bien que M. de Lafayette nous protège, mais qui nous protégera de M. de La Fayette ? »

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793)

Mirabeau qui ne l’apprécie guère le surnommera « Général Morphée ». Mais la fille aînée de Louis XVI et de Marie-Antoinette, seule survivante des enfants royaux, libérée en 1795 à 17 ans et surnommée « Madame Royale »,  Marie-Thérèse de France, devenue duchesse d’Angoulême (1778-1851), reconnaîtra le rôle joué par le héros le plus populaire de la Révolution en ses débuts : « Si l’on avait fait davantage confiance à Monsieur de La Fayette, mes parents seraient encore en vie. »

Le personnage brouillon et bouillonnant a été très discuté par les contemporains comme par les historiens. En tout cas, impossible de croire que La Fayette a mené double jeu et trahi le roi dans cette histoire ! La reine finira pourtant par le prendre en haine, après la malheureuse fuite à Varennes en juin 1791.

« Mes amis, j’irai à Paris avec ma femme et mes enfants : c’est à l’amour de mes bons et fidèles sujets que je confie ce que j’ai de plus précieux. »1355

LOUIS XVI (1754-1793), au matin du 6 octobre 1789 à Versailles. La Révolution française (1965), François Furet, Denis Richet

Le roi fut forcé de céder à la foule – des milliers de Parisiens et Parisiennes amassés dans la cour du château de Versailles, criant : « À Paris ! À Paris ! » Il se rend à nouveau populaire, du moins il l’espère, d’autant plus que la foule fraternise avec les gardes. Il va quitter définitivement Versailles avec sa famille, pour regagner le palais des Tuileries, sa résidence parisienne.

L’Assemblée se réunit à 11 heures, sous la présidence de Mounier, bouleversé. Sur proposition de Mirabeau et Barnave, elle s’affirme inséparable du roi et décide de le suivre à Paris. Un immense cortège s’ébranle à 13 heures : plus de 30 000 personnes. Des gardes nationaux portant chacun un pain piqué au bout de la baïonnette, puis les femmes escortant des chariots de blé et des canons, puis les gardes du corps et les gardes suisses désarmés, précédant le carrosse de la famille royale escorté par La Fayette, suivi de voitures emmenant quelques députés, puis la majeure partie des gardes nationaux et le reste des manifestants.

« Nous ne manquerons plus de pain ! Nous ramenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron. »1356

Cri et chant de victoire des femmes du peuple ramenant le roi, la reine et le dauphin, sur le chemin de Versailles à Paris, 6 octobre 1789. Histoire de la Révolution française (1847), Louis Blanc

Épilogue des deux journées révolutionnaires, 5 et 6 octobre. 6 000 à 7 000 femmes venues la veille de Paris crient aujourd’hui victoire : le roi a promis le pain aux Parisiens. « Père du peuple », il doit assurer la subsistance et le pain tient une grande part dans le budget des petites gens, d’où l’expression : boulanger, boulangère, petit mitron.

« Tant que les femmes ne s’en mêlent pas, il n’y a pas de véritable révolution », écrit Choderlos de Laclos en 1783, dans L’Éducation des femmes. Cela dit, la très symbolique marche des femmes fut encadrée au départ par des meneurs qui ont participé à la prise de la Bastille, trois mois plus tôt. On a vu des hommes armés de piques et de fourches, certains travestis en femmes, trahis par leur voix.

Le soir, à 20 heures, le maire de Paris accueille le carrosse royal sous les vivats et les bravos du peuple. Quand Louis XVI peut enfin s’installer aux Tuileries, il n’imagine pas qu’il est désormais prisonnier du peuple parisien. Mais d’autres sont plus lucides.

« Je ne serai jamais la dénonciatrice de mes sujets : j’ai tout vu, tout su, tout oublié ! »1359

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793). Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Telle est l’attitude, très digne, de la reine, alors qu’on tente de faire la lumière sur les désordres au cours des deux journées d’octobre 1789. Une procédure est instruite contre les fauteurs de l’insurrection par le Châtelet (tribunal de justice servant également de prison). Elle inculpe le duc d’Orléans (cousin du roi, premier prince du sang aux ambitions royales, futur Philippe Égalité) et son secrétaire Choderlos de Laclos (qui a envoyé sa maîtresse dans le cortège des femmes marchant sur Versailles). Les deux hommes s’enfuient à Londres et ne reviendront en France que lors de la Fédération, en juillet 1790. Mirabeau, très lié avec la « faction Orléans », a certainement joué un rôle dans ces événements.

« Le roi n’a qu’un homme, c’est sa femme. »1367

MIRABEAU (1749-1791). Marie-Antoinette, Correspondance, 1770-1793 (2005), Évelyne Lever

Ou encore, selon d’autres sources : « Le roi n’a qu’un seul homme, c’est la reine. »

Vérité connue de tous, éprouvée par Mirabeau devenu le conseiller secret de la couronne : il essaie donc de convaincre la reine avant le roi dont la faiblesse, les hésitations, les retournements découragent les plus fervents défenseurs.

« Madame, la monarchie est sauvée. »1368

MIRABEAU (1749-1791), à la reine, Château de Saint-Cloud, 3 juillet 1790. Mémoires sur Mirabeau et son époque, sa vie littéraire et privée, sa conduite politique à l’Assemblée nationale, et ses relations avec les principaux personnages de son temps (posthume, 1824)

Introduit à la cour par son ami le prince d’Arenberg, il a enfin réussi à persuader Marie-Antoinette par son éloquence.

Une question se pose, sans réponse des historiens : Mirabeau croit-il vraiment que la monarchie peut être sauvée ? Cet homme si bien informé de tout s’illusionne-t-il encore sur les chances d’un régime condamné, mais qui peut du moins le sauver de ses créanciers ? Quant à Marie-Antoinette, il semble qu’elle ait déjà compris le sens de l’Histoire qu’elle vit malgré elle.

« Pour nos personnes, le bonheur est fini pour jamais. Je sais que c’est le devoir d’un roi de souffrir pour les autres, mais aussi le remplissons-nous bien. Puissent-ils un jour le reconnaître ! »

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), en 1790. Marie-Antoinette (1933), biographie de Stefan Zweig

Rappelons que l’Autrichien Stefan Zweig, surtout connu pour sa biographie de Joseph Fouché, est l’un des biographes de la reine les plus attentifs à rétablir la vérité sur ce personnage toujours trop adoré ou détesté : « Dans sa trente-cinquième année, elle comprend enfin le sens du rôle exceptionnel que la destinée lui a réservé : non pas disputer à d’autres jolies femmes, coquettes et d’esprit ordinaire, les triomphes éphémères de la mode, mais faire ses preuves de façon durable, devant le regard inflexible de la postérité, en tant que reine et fille de Marie-Thérèse. Sa fierté, qui jusque-là n’était souvent qu’un misérable et puéril amour-propre de jeune fille gâtée, se transforme absolument en sentiment du devoir, le devoir de se montrer devant le monde digne des temps héroïques qu’elle traverse. Ce ne sont plus des choses personnelles, la puissance ou son bonheur qui la préoccupent. Pour nos personnes, le bonheur est fini pour jamais. Je sais que c’est le devoir d’un roi de souffrir pour les autres, mais aussi le remplissons-nous bien. Puissent-ils un jour le reconnaître ! »

« Il faut périr ou partir. »

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), Lettre à Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche en France, avril 1791, Correspondance

Florimond-Claude, comte de Mercy-Argenteau, né à Liège (principauté de Liège, dans le Saint-Empire) en 1727, fut ambassadeur d’Autriche en France de 1766 à 1790. Grand admirateur de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, il a négocié comme elle le désirait tant le mariage du dauphin Louis avec l’archiduchesse Marie-Antoinette. Il a sans nul doute exercé une grande influence sur la jeune femme, modérant sa frénésie de dépenses et la conseillant sur l’attitude à tenir face à trop grande faiblesse de Louis XVI. C’est aussi la mère de Marie-Antoinette qui parle par sa bouche, et à sa mort en novembre 1780, il ne lui restait plus que Mercy-d’Argenteau comme principal interlocuteur et conseiller.

Mais dix ans après, le comte de Fersen faisait partie de sa vie, la passion et la confiance entre les deux amants étant parfaitement réciproques.

« J’existe mon bien aimé et c’est pour vous adorer (…) Adieu le plus aimé des hommes. »

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793) à Axel de Fersen le 29 juin 1791, Correspondance

« Adieu ma tendre amie, je vous aime et vous aimerai toute ma vie à la folie. »100

AXEL DE FERSEN, à Marie-Antoinette le 29 octobre 1791, Correspondance

En marge de cette intimité passionnelle, de 1789 à 1793, le comte de Fersen entretient une correspondance diplomatique avec la reine et le roi de France afin de les guider sur ce qui est dit à l’étranger et sur ce qu’ils devraient faire. Il écrit les lettres qui devront être envoyées aux différentes cours d’Europe comme l’Autriche (pays natal de la reine), l’Espagne, la Suède, le Royaume Uni ou la Russie. Les lettres qu’il rédige, dédiés principalement à la reine, sont relues par les deux monarques.

Mais à la mort de son fils aîné, Louis-Joseph de France le 4 juin 1789 (7 ans et demi), Louis XVI est dévasté, profondément dépressif, vu comme étant un lâche aux yeux des cours d’Europe. Marie-Antoinette, bien que très affectée elle aussi, va prendre les devants et décider à sa  place, assumant ses responsabilités de reine et les conséquences qui les accompagnent. « Il faut périr ou partir. » C’est la fuite à Varennes de la famille royale, organisée par Fersen selon un plan minutieux… En sortant de Paris, le roi fait soudain preuve d’autorité, interdisant à Fersen de les accompagner plus loin dans leur fuite. Décision catastrophique, mais Fersen obéit en militaire. Il s’en voudra toute sa vie de ne pas avoir désobéi. Le plan va être totalement désorganisé.

« Ce sont les femmes qui ont ramené le roi à Paris, et ce sont les hommes qui l’ont laissé échapper ! »1387

Cri de protestation des femmes de Paris, 21 juin 1791. Les 50 mots clefs de la Révolution française (1983), Michel Péronnet

Allusion aux journées révolutionnaires des 5 et 6 octobre 1789. Le 21 juin au matin, on constate la disparition de la famille royale au palais des Tuileries. L’alerte est donnée, La Fayette, toujours commandant de la garde nationale, envoie des courriers tous azimuts pour faire arrêter les fuyards. Paris est en émoi.

Le 20 juin, à minuit, la famille royale a donc fui, avec la complicité du comte suédois Axel de Fersen, amant passionné de la reine. Leur but : rejoindre à Metz la garnison royaliste du marquis de Bouillé, pour se placer sous sa protection. Mais la berline royale est trop imposante, l’opération désorganisée. Le roi, déguisé en valet, est reconnu le 21 à Sainte-Ménehould (en Champagne) par Jean-Baptiste Drouet, le fils du maître des postes – qui précède le roi à Varennes, et donne l’alerte. Bayon, aide de camp de La Fayette, arrive à Varennes au matin du 22 juin. La berline royale est reconduite à Paris sous escorte, rejointe par trois députés : Pétion, Barnave et Latour-Maubourg, envoyés par l’Assemblée.

Paris crie à la trahison. Le plan de Louis XVI n’est que trop clair. Il voulait marcher sur Paris avec les troupes royalistes, renverser l’Assemblée, mettre fin à la Révolution et restaurer la monarchie absolue. Il faut éviter l’émeute, on colle un peu partout des affiches avec ce mot d’ordre : « Celui qui applaudira le Roi sera bâtonné, celui qui l’insultera sera pendu. » Toute manifestation est donc interdite, pour ou contre le roi et sa famille, qu’on ramène de Varennes.

« Maman, est-ce qu’hier n’est pas fini ? »1388

Le dauphin LOUIS, futur « LOUIS XVII » (1785-1795), à Marie-Antoinette, fin juin 1791. Bibliographie moderne ou Galerie historique, civile, militaire, politique, littéraire et judiciaire (1816), Étienne Psaume

Un joli mot de l’enfant qui mourra quatre ans plus tard, à la prison du Temple – même si la rumeur s’est parfois obstinée à en faire un survivant, c’est assurément une fausse rumeur comme il y en a tant, dans notre Histoire.

L’épreuve de la fuite à Varennes blanchit (dit-on) les cheveux de la reine : de blond cendré, ils devinrent « comme ceux d’une vieille femme de soixante-dix ans ». 

Ce détail étonnant rappelle la fin de Damiens. Sur l’échafaud dressé, l’homme condamné pour tentative de régicide sur Louis XV sera « tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, sa main droite tenant en icelle le couteau dont il a commis le dit parricide, brûlée au feu de soufre, et sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu, de l’huile bouillante, de la poix résine brûlante, de la cire et souffre fondus et ensuite son corps tiré et démembré à quatre chevaux et ses membres et corps consumés au feu, réduits en cendres et ses cendres jetées au vent ». Sentence exécutée le jour même, 28 mars 1757, par le bourreau Sanson (Charles-Henri, père du futur exécuteur de Louis XVI) et rien moins que seize assistants. Le supplice dure plus de deux heures et l’on remarque tout particulièrement la résistance des femmes à ce spectacle. Damiens est jeté mourant sur le bûcher.

On a dit que les cheveux du supplicié, de châtain, sont devenus d’un blanc immaculé, signe d’une terreur extrême. L’atrocité et la durée du supplice contribueront à l’abolition de cet acte barbare, sous la Révolution : la guillotine sera, de fait, un progrès, en attendant l’abolition de la peine de mort que certains demandent déjà.

« Couple perfide, réservez vos larmes
Pour arroser le prix de vos forfaits […]
Un peuple libre reconnaît les charmes
De n’être plus au rang de vos sujets. »1389

Poursuite et retour de la famille ci-devant royale (juin 1791), chanson anonyme. Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier

Le peuple chante encore, mais il a perdu confiance en Louis XVI. Comme l’écrit Denis Richet dans le Dictionnaire critique de la Révolution française : « Un roi avait en fuyant abandonné sa souveraineté. Un autre roi, le peuple, assistait gravement au spectacle. »

C’est une foule terriblement silencieuse qui accueille le cortège à son retour, le 25 juin. La Constituante a suspendu Louis XVI de ses fonctions, dès le 21. Ces cinq jours de vacance du trône prouvent que la France peut vivre sans roi… et la République devient un régime possible. Pour l’historienne Mona Ozouf, le 21 juin, c’est « la mort de la royauté ».

« Je porte malheur à tous ceux que j’aime. »

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793). Citée par Chantal Thomas (née en 1945), biographe de Marie-Antoinette

Elle avait une part de responsabilité dans ce projet d’évasion voulu par elle, mal préparé, désorganisé au dernier moment par le roi jaloux de l’amant de sa femme.

On a parlé d’une malédiction liée à sa personne. Elle est née à Vienne le 2 novembre 1755 - le jour des morts -, tandis que la veille à Lisbonne un tremblement de terre historique a fait des milliers de morts. Nombre de ses biographes y verront de mauvais présages. Et Fersen mourra assassiné le 20 juin 1810, anniversaire de la fuite à Varennes.

Cette malédiction se retrouve chez le personnage très romantique d’Hernani, créé par Hugo le 25 février 1830, au cœur de la plus célèbre bataille du théâtre français :  « Oh ! je porte malheur à tout ce qui m’entoure ! »

« Toute femme qui se mêle volontairement d’affaires au-dessus de ses connaissances et hors des bornes de son devoir est une intrigante. »

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), Correspondance, Gallica, BNF

Autre constatation, plus évidente en ce siècle où la place des femmes fut strictement limitée aux salons littéraires… et au foyer familial. La Révolution fut encore plus misogyne - avant l’Empire qui ne le fut pas moins, sous l’influence de Napoléon. De là à faire de Marie-Antoinette une féministe… Ce mot est quand même cité dans un livre récent, Le Féminisme français (2023), Charles Marie Joseph Turgeon.

« Depuis longtemps, les factieux ne prennent plus la peine de cacher le projet d’anéantir la famille royale […] Si l’on n’arrive pas, il n’y a que la providence qui puisse sauver le roi et sa famille. »1421

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), Lettre à Fersen, 1er août 1792. Histoire de Marie-Antoinette (1892), Maxime de la Rocheterie

La reine appelle une fois encore au secours le plus fidèle, le plus sûr, le plus passionné de ses alliés. Axel de Fersen s’est impliqué, personnellement et financièrement, dans l’épisode de la fuite à Varennes. Il a été bouleversé par son échec. Depuis, il tente de convaincre toutes les cours européennes de sauver le couple royal. En vain.

Les deux amants s’écrivent et s’épanchent à profusion. Ils se sont revus en tête-à-tête le 13 février 1792. Le lendemain, Fersen a vu Louis XVI pour le convaincre de fuir, suivant le plan du roi Gustave III de Suède, mais l’indécis Louis XVI ne peut s’y résoudre. Fersen prend congé pour la dernière fois du couple royal. Gustave III meurt dans un attentat en mars, ce qui bouleversera Fersen le Suédois et le privera de son meilleur soutien.

Le manifeste de Brunswick n’a fait que dramatiser la situation. La reine en est douloureusement consciente. Fait sous la pression des émigrés, et sans doute de Marie-Antoinette, connu à Paris le 1er août, « le manifeste du général prussien Brunswick […] était, avec ses menaces insolentes de détruire Paris, conçu dans les termes les plus propres à blesser la fierté des Français » (Jacques Bainville, Histoire de France). Que de maladresses avérées ! Mais dans le contexte historique, la monarchie était condamnée, à commencer par la famille royale.

« Le peuple français est invité à former une Convention nationale […] Le chef du pouvoir exécutif est provisoirement suspendu de ses fonctions. »1424

Législative, 10 août 1792. Collection générale des lois : décrets, arrêtés, sénatus-consultes, avis du Conseil d’État et règlements d’administration publiés depuis 1789 jusqu’au 1er avril 1814, Assemblée législative : mai- septembre 1792, volume III, n° 2 (1818)

Ces deux mesures sont prises par l’Assemblée qui ne fait que se survivre jusqu’à la prochaine Convention. Juridiquement, ce n’est qu’une suspension de plus ; politiquement, la Législative se saborde et le roi est déchu.

Le pouvoir est à la Commune de Paris, c’est la « Première Terreur », elle va durer six semaines : un tournant dans la Révolution, jusque-là modérée et libérale. Elle préfigure la dictature de la gauche jacobine et montagnarde.

Trois jours après la journée révolutionnaire du 10 août, la famille royale est transférée à la prison du Temple : le roi déchu, son épouse Marie-Antoinette, sa sœur Madame Élisabeth, son fils le Dauphin et sa fille dite « Madame Royale » (seule survivante à la Révolution).

« Madam’ Veto avait promis
De faire égorger tout Paris.
Mais son coup a manqué
Grâce à nos canonniers.
Refrain Dansons la carmagnole
Vive le son vive le son
Dansons la carmagnole
Vive le son du canon ! »1425

La Carmagnole (fin août 1792), chanson. Chansons populaires de France (1865), Librairie du Petit Journal éd

De parolier inconnu, cette Carmagnole est chantée sous les fenêtres du Temple où la famille royale est prisonnière. Monsieur Veto est aussi violemment apostrophé que sa femme. Adoptée par tous les patriotes, la Carmagnole aura de nombreuses parodies, comme la plupart des chants très populaires.

« Nous avons fait un beau rêve, voilà tout (…) mais je ne pourrais jouir de rien sans mes enfants, et cette idée ne me laisse pas même de regret. »

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), au chevalier de Jarjayes, après un nième projet d’évasion ratée en mars 1793. Histoire de Marie-Antoinette (1879), Edmond et Jules de Goncourt

« Nous avons fait un beau rêve, voilà tout ; mais nous y avons beaucoup gagné, en trouvant encore dans cette occasion une nouvelle preuve de votre entier dévouement pour moi. Ma confiance en vous est sans bornes ; vous trouverez, dans toutes les occasions, en moi du caractère et du courage ; mais l’intérêt de mon fils est le seul qui me guide, et quelque bonheur que j’eusse éprouvé à être hors d’ici, je ne peux pas consentir à me séparer de lui. Au reste, je reconnais bien votre attachement dans tout ce que vous m’avez dit hier. Comptez que je sens la bonté de vos raisons pour mon propre intérêt, mais je ne pourrais jouir de rien en laissant mes enfants, et cette idée ne me laisse pas même de regret. »

C’est vraiment la voix d’une mère transfigurée par les épreuves et ne pensant plus qu’à sauver ce qui lui reste de famille.

« Une femme, la honte de l’humanité et de son sexe, la veuve Capet, doit enfin expier ses forfaits sur l’échafaud. »1538

Jean-Nicolas BILLAUD-VARENNE (1756-1819), Convention, 3 octobre 1793. L’Agonie de Marie-Antoinette (1907), Gustave Gautherot

Un parmi d’autres conventionnels à réclamer la mise en jugement de la « Panthère autrichienne ». Marie-Antoinette, en prison depuis près d’un an, attendait son sort au Temple, avant son transfert à la Conciergerie, le 1er août 1793.

Le 3 octobre, au moment où la Convention vient de décréter que les Girondins seront traduits devant le Tribunal révolutionnaire, Billaud-Varenne parle en ces termes : « Il reste encore un décret à rendre : une femme, la honte de l’humanité et de son sexe, la veuve Capet, doit enfin expier ses forfaits sur l’échafaud. On publie qu’elle a été jugée secrètement et blanchie par le Tribunal révolutionnaire, comme si une femme qui a fait couler le sang de plusieurs milliers de Français pouvait être absoute par un jury français. Je demande que le Tribunal révolutionnaire prononce cette semaine sur son sort. » La Convention adopte cette proposition.

« Ils peuvent être mes bourreaux, mais ils ne seront jamais mes juges. »1539

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), apprenant qu’elle va être jugée par le Tribunal révolutionnaire, début octobre 1793. Les Grands Procès de l’histoire (1924), Me Henri-Robert

Elle est à présent sans illusion, prisonnière à la Conciergerie, dite l’antichambre de la mort.

Deux chefs d’accusation sont retenus contre elle : manœuvres en faveur des ennemis extérieurs de la République et complot pour allumer la guerre civile. Mais le dossier est vide et le tribunal veut respecter au moins les apparences. D’où l’idée d’interroger son fils, 8 ans, pour lui faire reconnaître des relations incestueuses avec sa mère. Pache (maire de Paris), Chaumette (procureur) et Hébert (substitut de la Commune) s’en chargent.

Le mot de Marie-Antoinette prendra tout son sens, quand elle subira une vraie torture morale, durant les deux jours de son procès public (14 et 15 octobre).

« Le peuple a été trompé ; il l’a été cruellement, mais ce n’est ni par mon mari ni par moi . »

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), lors de son procès, octobre 1793. Histoire de Marie-Antoinette (1879), Edmond de Goncourt et Jules de Goncourt

Herman (président du tribunal criminel extraordinaire) et Fouquier-Tinville (le plus célèbre accusateur public de la Révolution) accusaient Marie-Antoinette « d’avoir appris à Louis Capet cet art de profonde dissimulation avec laquelle il a trompé trop longtemps le bon peuple français. »
Ils l’accusaient aussi « d’avoir voulu remonter au trône sur les cadavres des patriotes ». À quoi Marie-Antoinette répondait « qu’elle n’avait jamais désiré que le bonheur de la France, » ajoutant : « Qu’elle soit heureuse ! mais qu’elle le soit ! je serai contente. »

Il fallait pourtant que ce premier interrogatoire apportât à l’interrogatoire public, à l’accusation, à la condamnation, un fait, une preuve, ou au moins une parole. Herman et Fouquier vont essayer de rendre cette femme coupable non d’actes, mais d’intentions ; non de conspiration, mais de regret, mais de sentiment, mais de pensée ; et puisqu’il faut ici l’énergie d’une langue plus forte que la nôtre, disons, avec l’orateur grec, qu’ils tordirent sa conscience pour en tirer des crimes.

Herman et Fouquier demandèrent à cette reine : « Pensez-vous que les rois soient nécessaires au bonheur du peuple ? » Mais la Reine répondit « qu’un individu ne peut absolument décider telle chose. » Ils demandèrent ensuite à cette mère de roi : « Vous regrettez sans doute que votre fils ait perdu un trône ? » Mais la Reine répondit « qu’elle ne regrettera rien pour son fils, tant que son pays sera heureux. » Il y a un côté Jeanne d’Arc devant ses juges, têtue et infiniment touchante.

« Il est impossible que les lois révolutionnaires soient exécutées, si le gouvernement lui-même n’est constitué révolutionnairement. »1540

SAINT-JUST (1767-1794), Convention, 10 octobre 1793. Œuvres de Saint-Just, représentant du peuple à la Convention nationale (posthume, 1834), Saint-Just

L’ami, le frère en Révolution de Robespierre fait décréter le même jour : « Le gouvernement provisoire de la France est révolutionnaire jusqu’à la paix. » En vertu de quoi la Constitution de 1793 (dite de l’an I) est suspendue. La notion de loi a perdu son sens, remplacée par la nécessité d’une violence arbitraire contre les ennemis de la liberté et de la nation.

Saint-Just se retrouve au Comité de salut public avec Couthon et Robespierre : le « triumvirat », chargé de la politique générale, devient en fait le gouvernement la France. Et le procès de Marie-Antoinette va mobiliser quelques jours les esprits. L’issue fatale ne fait aucun doute, mais un retournement imprévu va quand même étonner, au sens étymologique (frapper de la foudre).

« Immorale sous tous les rapports et nouvelle Agrippine, elle est si perverse et si familière avec tous les crimes qu’oubliant sa qualité de mère, la veuve Capet n’a pas craint de se livrer à des indécences dont l’idée et le nom seul font frémir d’horreur. »1541

FOUQUIER-TINVILLE (1746-1795), Acte d’accusation de Marie-Antoinette, Tribunal révolutionnaire, 14 octobre 1793. Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris (1862), Émile Campardon

« Marie-Antoinette de Lorraine d’Autriche, âgée de 37 ans, veuve du roi de France », ayant ainsi décliné son identité, a répondu le 12 octobre à un interrogatoire (secret) portant sur des questions politiques et sur le rôle qu’elle a joué auprès du roi au cours de divers événements, avant et après 1789. Elle nie pratiquement toute responsabilité.

Au procès, cette fois devant la foule, elle répond à nouveau et sa dignité impressionne. L’émotion est à son comble, quand Fouquier-Tinville aborde ce sujet intime des relations avec son fils. L’accusateur public ne fait d’ailleurs que reprendre les rumeurs qui ont moralement et politiquement assassiné la reine en quelque 3 000 pamphlets à la fin de l’Ancien Régime. Avec la masse des pamphlets et libelles polémiques et parfois orduriers dont l’époque se fit l’écho, on a pu parler de ces « basses Lumières » qui sapent les bases du régime presque aussi sûrement que les pensées philosophiques.

L’inceste (avec un enfant âgé alors de moins de quatre ans) fut l’une des plus monstrueuses.

« Si je n’ai pas répondu, c’est que la nature se refuse à répondre à pareille inculpation faite à une mère : j’en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici. »1542

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), réplique à un juré s’étonnant de son silence au sujet de l’accusation d’inceste, Tribunal révolutionnaire, 14 octobre 1793. La Femme française dans les temps modernes (1883), Clarisse Bader

La reine déchue n’est plus qu’une femme et une mère humiliée à qui l’on a enlevé son enfant devenu témoin à charge, évidemment manipulé.

L’accusée retourne le peuple en sa faveur. Le président menace de faire évacuer la salle. La suite du procès est un simulacre de justice et l’issue ne fait aucun doute.

« Je vous embrasse de tout mon cœur, ainsi que ces pauvres et chers enfants. Mon Dieu ! qu’il est déchirant de les quitter pour toujours. Je suis calme comme on l’est quand la conscience ne reproche rien. »

MARIE-ANTOINETTE (1755-1793), Dernière lettre de la reine à Madame Élisabeth. Histoire de Marie-Antoinette (1879), Edmond de Goncourt et Jules de Goncourt

Élisabeth Philippe Marie Hélène de France, dite « Madame Élisabeth », née le 3 mai 1764 à Versailles, est le huitième et dernier enfant du dauphin Louis et de Marie-Josèphe de Saxe. Sœur du roi Louis XVI, elle lui apporta un soutien indéfectible durant la Révolution française. Elle mourra guillotinée le 10 mai 1794.

À l’annonce de sa condamnation à mort, Marie-Antoinette toujours très pieuse écrit encore : « Mon Dieu ayez pitié de moi ! Mes yeux n’ont plus de larmes pour pleurer pour vous mes pauvres enfants. Adieu, adieu ! »

Au pied de la guillotine, ses dernières paroles sont pour le bourreau Sanson qu’elle a heurté, dans un geste de recul : « Excusez-moi, Monsieur, je ne l’ai pas fait exprès. » Un mot de la fin sans doute authentique, mais trop anodin pour devenir citation.

« La plus grande joie du Père Duchesne après avoir vu de ses propres yeux la tête du Veto femelle séparée de son col de grue et sa grande colère contre les deux avocats du diable qui ont osé plaider la cause de cette guenon. »1543

Jacques HÉBERT (1757-1794), Le Père Duchesne, n° 299, titre du journal au lendemain du 16 octobre 1793. Les Derniers Jours de Marie-Antoinette (1933), Frantz Funck-Brentano

Voici l’oraison funèbre consacrée par le pamphlétaire jacobin à la reine sacrifiée. Le titre est un peu long. La chronique qui suit, ce n’est pas du Bossuet, mais la littérature révolutionnaire déploie volontiers cette démagogie populaire : « J’aurais désiré, f…! que tous les brigands couronnés eussent vu à travers la chatière l’interrogatoire et le jugement de la tigresse d’Autriche. Quelle leçon pour eux, f…! Comme ils auraient frémi en contemplant deux ou trois cent mille sans-culottes environnant le Palais et attendant en silence le moment où l’arrêt fatal allait être prononcé ! Comme ils auraient été petits ces prétendus souverains devant la majesté du peuple ! Non, f…! jamais on ne vit un spectacle pareil. Tendres mères dont les enfants sont morts pour la République ; vous, épouses chéries des braves bougres qui combattent en ce moment sur les frontières, vous avez un moment étouffé vos soupirs et suspendu vos larmes, quand vous avez vu paraître devant ses juges la garce infâme qui a causé tous vos chagrins ; et vous, vieillards, qui avez langui sous le despotisme, vous avez rajeuni de vingt ans en assistant à cette terrible scène : « Nous avons assez vécu, vous disiez-vous, puisque nous avons vu le dernier jour de nos tyrans. » »

Épilogue inattendu

« Je me donne des ancêtres. »1844

NAPOLÉON Ier (1769-1821), château de Compiègne, 27 mars 1810. Metternich (1965), Henry Vallotton

15 décembre 1809, il a répudié Joséphine qui n’a pu lui assurer de postérité. Il va « épouser un ventre » et s’est décidé en février, dans une hâte qui a fort embarrassé l’ambassadeur d’Autriche à Paris : même pas le temps de prévenir l’empereur d’Autriche, avant que Napoléon annonce sa décision aux Français ! Mais personne ne peut rien refuser à Napoléon, même pas sa fille.

« Ivre d’impatience, ivre de félicité », il apprend la valse (viennoise) et attend sa future femme, Marie-Louise : archiduchesse d’Autriche, descendante de l’empereur Charles Quint… et petite-nièce de Marie-Antoinette. Napoléon, de petite noblesse corse (d’origine génoise), évoque volontiers « mon pauvre oncle Louis XVI » et « ma malheureuse tante Marie-Antoinette ». Cette union flatte son orgueil. Mais il reconnaîtra bientôt l’évidence : « Mon mariage m’a perdu, l’Autriche était devenue ma famille, j’ai posé le pied sur un abîme recouvert de fleurs. »

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