Portrait de Proudhon en citations | L’Histoire en citations
Proudhon citations
Portraits en citations des Personnages de l’Histoire

 

    « La propriété, c’est le vol. »

Pierre Joseph PROUDHON (1809-1865), Qu’est-ce que la propriété ? (1840)

Pierre-Joseph Proudhon naît en 1809 à Besançon, d’un père garçon brasseur et d’une mère cuisinière. Autodidacte, indépendant d’esprit et avide de savoir, le jeune provincial poursuit ses études grâce à une bourse et gagne sa vie comme ouvrier typographe, entre autres métiers.

Philosophe, sociologue et théoricien acquis aux idées socialistes et révolutionnaires, il s’engage en politique, lancé en 1840 par son premier livre : Qu’est-ce que la propriété ? Texte majeur daté de 1846, Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère théorise le socialisme et ses contradictions interne. Karl Marx le ridiculise (Misère de la philosophie) : ce duo-duel contribuera à leur notoriété.

Installé à Paris, devenu journaliste politique, Proudhon participe à la révolution de 1848, élu député socialiste de la Constituante. Il écrit dans des journaux d’opposition, tous condamnés et supprimés. Critiquant la Deuxième République, pleurant les morts de la répression et redoutant une nouvelle Terreur sanguinaire, il tente en vain une réforme du crédit avec sa « Banque du peuple », incarcéré de 1849 à 1852 pour délit de presse (offense au président de la République, futur Napoléon III).

Sous le second Empire, il doit s’exiler en Belgique après publication de ses Nouveaux Principes de philosophie pratique (1858). Amnistié en 1860, il rentre en France.

Face aux contradictions de l’économie (le machinisme allège le travail de l’ouvrier, mais accroît le chômage), il conclut que la révolution est vaine et propose une autre voie : l’anarchisme. Il défend la liberté individuelle contre les forces dominantes : Église, État et toute forme de dictature, l’individu ne devant jamais être sacrifié à l’intérêt général, ni à la justice sociale.

Opposé au collectivisme autoritaire de Marx, rejetant le socialisme utopique comme le capitalisme mais plus que jamais socialiste, Proudhon l’utopiste propose une anarchie positive ou un fédéralisme autogestionnaire.

« Je ne suis pas un agent de discorde, un boutefeu de séditieux ! » Inspiré par une soif de justice en toute circonstance, révolté doué d’une sensibilité maladive à l’injustice et au mal, il meurt à la tâche - comme Marx, Louise Michel et nombre d’activistes politiques totalement engagés au XIXe siècle.

Bien qu’isolé, Proudhon a fortement influencé les milieux ouvriers et intellectuels.

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1. Proudhon par la parole et dans l’action

« Il ne s’agit pas de tuer la liberté individuelle, mais de la socialiser. »2046

Pierre Joseph PROUDHON (1809-1865), Système des contradictions économiques (1846)

Proudhon est le socialiste français numéro un de cette époque, et pas seulement pour sa fameuse question-réponse qui fit si peur aux bourgeois : « Qu’est-ce que la propriété ? C’est le vol. »

Individualiste farouche, affirmant que « le gouvernement de l’homme par l’homme, sous quelque nom qu’il se déguise, est oppression », Proudhon est à la fois le père de l’anarchisme, le fondateur du système mutualiste et l’ancêtre du syndicalisme – les syndicats ne seront autorisés par la loi qu’en 1884.

« La propriété, c’est le vol. »2102

Pierre Joseph PROUDHON (1809-1865), Qu’est-ce que la propriété ? (1840)

Cette formule retentissante schématise la pensée de l’auteur, qui en est cependant très fier : « Cette proposition fera le tour du monde et causera plus d’émoi que la cocarde de La Fayette. »

L’homme est attachant, ne serait-ce que par cet aveu : « Je sais ce que c’est que la misère. J’y ai vécu. Tout ce que je sais, je le dois au désespoir. » Ce fils d’une cuisinière et d’un tonnelier est d’ailleurs le seul théoricien révolutionnaire issu d’un milieu populaire, au XIXe siècle.

« Périsse l’humanité plutôt que le principe ! C’est la devise des utopistes comme des fanatiques de tous les siècles. Le socialisme, interprété de la sorte, est devenu une religion […] qui au XIXe siècle est ce qu’il y a de moins révolutionnaire. »2137

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Idée générale de la Révolution au XIXe siècle (1851)

Représentant du socialisme à la française, épouvantail pour la bourgeoisie de la Monarchie de Juillet longtemps traumatisée par le fameux « Qu’est-ce que la propriété ? C’est le vol ! », Proudhon critiquait le communisme de Marx dans La Philosophie de la misère (1846) et Marx lui a répondu dans La Misère de la philosophie (1847), le traitant de « petit-bourgeois constamment ballotté entre le Travail et le Capital, entre l’économie politique et le communisme ».

Proudhon, député en 1848, impatient d’être « la voix du peuple » dont il est issu, se retrouvera en prison pour crime d’opposition à Louis-Napoléon Bonaparte.

« Il faut avoir vécu dans cet isoloir qu’on appelle Assemblée nationale, pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus complètement l’état d’un pays sont presque toujours ceux qui le représentent. »2164

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Les Confessions d’un révolutionnaire (1849)

Nul mieux que cet homme du peuple ne mérite ce titre de « représentant du peuple ». Pourtant, le plus célèbre socialiste de France, très critique contre ses confrères, à commencer par les socialistes, est lui-même très critiqué, sur le fond, et plus encore sur la forme de ses premiers discours, lus à la tribune, difficiles à comprendre.

Le portrait qu’en fait Hugo, dans Choses vues, est assez cruel, mais ce sera pire avec le futur Napoléon III. Paradoxalement, Louis-Napoléon Bonaparte va éprouver les mêmes difficultés que Proudhon, en entrant dans cette arène politique. Mais il s’en sortira bien différemment ! Quant à Hugo, c’est à l’évidence le plus éloquent des orateurs.

Ces trois hommes, élus députés aux élections complémentaires du 4 juin 1848, entrent ainsi le même jour à l’Assemblée constituante !

« La Révolution, après avoir été tour à tour religieuse, philosophique, politique, est devenue économique […] La Révolution de février a posé le droit au travail, c’est-à-dire la prépondérance du travail sur le capital. »2184

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Toast à la révolution du 17 octobre 1848. La Pensée de Proudhon (1947), Georges Guy-Grand

Le droit au travail, proclamé dès février 1848, va être reconnu dans la nouvelle Constitution de novembre. La question sociale est définitivement à l’ordre du jour.

« Nous ne comprenons pas plus une femme législatrice qu’un homme nourrice. »2197

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Le Peuple, mai 1849. Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement (1998), Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière

Il écrit aussi, en janvier 1849, dans L’Opinion des femmes : « La femme ne peut être que ménagère ou courtisane. » Bien que socialiste, Proudhon s’inscrit dans la logique de son temps et de cette Deuxième République : « Nous ne savons si, en fait d’aberrations étranges, le siècle où nous sommes est appelé à voir se réaliser à quelque degré celle-ci : l’émancipation des femmes. Nous croyons que non. » (La Liberté, 15 avril 1848).

« Si la démocratie ouvrière, satisfaite de faire l’agitation dans ses ateliers, de harceler le bourgeois et de se signaler dans des élections inutiles, reste indifférente sur les principes de l’économie politique qui sont ceux de la révolution, il faut qu’elle le sache, elle ment à ses devoirs et elle sera flétrie un jour devant la postérité. »2239

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), De la capacité politique des classes ouvrières (posthume)

Proudhon parle en socialiste dépassé par les événements : le mouvement ouvrier est à présent plus sensible au marxisme qui prêche collectivisme et lutte de classes. La révolution politique devient une étape de la révolution sociale, et l’Empire qui soutient le capitalisme est l’ennemi à abattre. Ce sera une des raisons de la chute brutale d’un régime qui se croyait si fort.

« L’Empire a fait un demi-tour à gauche. »2281

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), constatant le tournant libéral du régime. Histoire de la France : les temps nouveaux, de 1852 à nos jours (1972), Georges Duby

Napoléon III se heurte à une opposition intérieure sur deux fronts, deux forces qui lui étaient auparavant acquises. Les catholiques s’inquiètent de la marche vers l’unité italienne qu’il soutient, mais qui menace à présent les États de l’Église et le pape. Tandis qu’une part de la bourgeoisie d’affaires déplore (d’ailleurs à tort) le traité de commerce franco-anglais (signé le 23 janvier 1860), qui crée le libre-échange et expose les industriels à la concurrence britannique.

L’empereur cherche donc à se rallier les notables libéraux et la petite bourgeoisie démocrate, multipliant les concessions aux idées libérales et démocratiques : restauration des libertés, ouverture du Parlement à l’opposition républicaine, décret du 24 novembre 1860 donnant au Corps législatif le droit d’adopter une adresse en réponse au discours du trône, et autorisant la publication des débats parlementaires.

Satisfaire les classes populaires lui permettrait d’échapper aux castes de droite et de s’appuyer sur les masses : ce serait conforme aux idées sociales de l’empereur, mais il faudrait faire plus qu’un demi-tour à gauche.

« L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. »2289

Devise de l’Association internationale des travailleurs, 1864. Histoire de la France : les temps nouveaux, de 1852 à nos jours (1972), Georges Duby

L’Association internationale des travailleurs (AIT) est la première Internationale, créée le 28 septembre 1864 par des militants français et anglais : « une grande âme dans un petit corps ». Elle tiendra congrès chaque année, de plus en plus hostile aux états bourgeois.

Après le Manifeste des soixante et l’AIT, un autre socialisme se réveille, plus évidemment révolutionnaire : le blanquisme. Plus personne ne croit à l’extinction du paupérisme par l’empereur, ni même au syndicalisme ouvrier selon Proudhon qui meurt en janvier 1865 à 56 ans, usé par les épreuves et le travail, relativement dépassé par une évolution politique et sociale qui lui échappe.

« Désormais, ces messieurs sauront qu’ils ont toujours une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête, ils voteront peut-être des lois plus justes. »2510

Auguste VAILLANT (1861-1894), Déclaration à la police qui l’interroge, après l’attentat qu’il a perpétré, le 9 décembre 1893. L’Épopée de la révolte (1963), André Mahé

Au procès, il affirme avoir lancé cette bombe pour venger son idole Ravachol, et non pour tuer. Vaillant, 33 ans, est exécuté le 5 février 1894. Cela n’empêche pas, une semaine plus tard, l’explosion d’une autre bombe.

La flambée anarchiste qui frappe la France, inspirée de Proudhon et Bakounine en rupture de socialisme, va parcourir l’Europe, tuer l’impératrice Élisabeth d’Autriche (célèbre Sissi), le roi d’Italie Humbert Ier, et franchir l’Atlantique, pour atteindre le 25e président des États-Unis d’Amérique, William McKinley. Le terrorisme est une force de frappe récurrente, et le monde occidental devra affronter le terrorisme rouge dans les années 1970, le terrorisme islamique au début du XXIe siècle.

Vaillant, ni penseur ni même militant, est un marginal qui a survécu en multipliant les petits métiers, se lançant dans la lutte politique pour faire entendre « le cri de toute une classe qui revendique ses droits ». L’inexistence d’un vrai programme social demeure l’une des faiblesses de la Troisième République – jusqu’en 1936 et l’avènement du Front populaire.

2. Bibliographique sélective : l’essentiel de la pensée politique de Proudhon.

Œuvre considérable en quantité et qualité, plus d’une centaine de titres, sans compter les nombreux articles de journaux et une riche Correspondance. Cinq titres à retenir, les deux premiers faisant toujours référence.

Qu’est-ce que la propriété ? ou Recherche sur le principe du Droit et du Gouvernement (1840)

Ce texte fait la célébrité de Proudhon pour une citation : « La propriété, c’est le vol. » Le mot nécessite un commentaire et l’auteur s’en acquitte.

Le capitalisme du siècle est l’apothéose d’une extorsion invisible : le rassemblement productif des travailleurs dégage une force collective supérieure à la somme des forces de ces travailleurs pris isolément. Mais la propriété privée des moyens de production autorise le capitaliste à rémunérer le travailleur sur la seule base individuelle de ce qu’il aurait produit s’il avait été placé hors de la force collective de production. Le propriétaire du capital empoche la différence : ce surplus est le profit capitaliste, qualifié d’« aubaine ». Toute la question économique de la justice est de répartir cette plus-value sans accaparement ni spoliation.

« La propriété, c’est le vol. »15

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865)

« Cette proposition fera le tour du monde et causera plus d’émoi que la cocarde de La Fayette » affirme l’auteur devenu journaliste dans L’Illustration (1848).

C’est bien trouvé, mais un peu court… et surtout mal interprété : Proudhon dénonce la propriété capitalistique (issue de l’exploitation), mais pas le principe même de la propriété, car le travail légitime la propriété et « la propriété c’est la liberté ». Pas de contradiction fatale, mais un antagonisme salutaire : la propriété absolue, le droit d’aubaine, l’abus des possédants, la situation de monopole sont tout ce qu’il condamne dans l’appropriation, mais il voit dans la saine propriété, la petite, la laborieuse, le moyen pour la famille de cheminer sereinement vers la justice. Et l’anarchisme, contrairement au communisme, réhabilite le principe de la propriété privée.

« Je prétends que ni le travail, ni l’occupation, ni la loi ne peuvent créer la propriété : qu’elle est un effet sans cause. »

« Le gouvernement de l’homme par l’homme, sous quelque nom qu’il se déguise, est oppression.
C’est une règle de jurisprudence que le fait ne produit pas le droit : or, la propriété ne peut se soustraire à cette règle ; donc, la reconnaissance universelle du droit de propriété ne légitime pas le droit de propriété. »

« La propriété et la royauté sont en démolition dès le commencement du monde ; comme l’homme cherche la justice dans l’égalité, la société cherche l’ordre dans l’anarchie. »

« L’homme n’est homme que par la société, laquelle, de son côté, ne se soutient que par l’équilibre des forces qui la composent. »

« La plus haute perfection de la société se trouve dans l’union de l’ordre et de l’anarchie. »

« L’anarchie… une forme de gouvernement sans maître ni souverain. »

« Je ne suis pas un agent de discorde, un boutefeu de séditieux ! »

 

Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère (1846)

Introduction de l’auteur (qui vaut déjà catalogue de citations sur le thème de Dieu et illustration de la logique proudhonienne).

« Avant que j’entre dans la matière qui fait l’objet de ces nouveaux mémoires, j’ai besoin de rendre compte d’une hypothèse qui paraîtra sans doute étrange, mais sans laquelle il m’est impossible d’aller en avant et d’être compris : je veux parler de l’hypothèse d’un dieu. Supposer Dieu, dira-t-on, c’est le nier. Pourquoi ne l’affirmez-vous pas ? Est-ce ma faute si la foi à la divinité est devenue une opinion suspecte ? Si le simple soupçon d’un être suprême est déjà noté comme la marque d’un esprit faible, et si, de toutes les utopies philosophiques, c’est la seule que le monde ne souffre plus ? Est-ce ma faute si l’hypocrisie et l’imbécillité se cachent partout sous cette sainte étiquette ? Qu’un docteur suppose dans l’univers une force inconnue entraînant les soleils et les atomes, et faisant mouvoir toute la machine, chez lui cette supposition, tout à fait gratuite, n’a rien que de naturel ; elle est accueillie, encouragée : témoin l’attraction, hypothèse qu’on ne vérifiera jamais, et qui cependant fait la gloire de l’inventeur. Mais lorsque, pour expliquer le cours des affaires humaines, je suppose, avec toute la réserve imaginable, l’intervention d’un dieu, je suis sûr de révolter la gravité scientifique et d’offenser les oreilles sévères : tant notre piété a merveilleusement discrédité la providence, tant le charlatanisme de toute robe opère de jongleries au moyen de ce dogme ou de cette fiction. J’ai vu les théistes de mon temps, et le blasphème a erré sur mes lèvres ; j’ai considéré la foi du peuple, de ce peuple que Brydaine appelait le meilleur ami de Dieu, et j’ai frémi de la négation qui allait m’échapper. Tourmenté de sentiments contraires, j’ai fait appel à la raison ; et c’est cette raison qui, parmi tant d’oppositions dogmatiques, me commande aujourd’hui l’hypothèse. Le dogmatisme « à priori », s’appliquant à Dieu, est demeuré stérile : qui sait où l’hypothèse à son tour nous conduira ?… Je dirai donc comment, étudiant dans le silence de mon cœur et loin de toute considération humaine, le mystère des révolutions sociales, Dieu, le grand inconnu, est devenu pour moi une hypothèse, je veux dire un instrument dialectique nécessaire. »

« L’homme peut aimer son semblable jusqu’à mourir ; il ne l’aime pas jusqu’à travailler pour lui. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865)

« Combien le socialisme, avec ses utopies de dévouement, de fraternité, de communauté, de travail attrayant, est encore au-dessous de l’antagonisme propriétaire, qu’il se flatte de détruire, et que cependant il ne cesse de copier ! »

« Le socialisme, à le bien prendre, est la communauté du mal, l’imputation faite à la société des fautes individuelles, la solidarité entre tous les délits du chacun. La propriété, au contraire, par sa tendance, est la distribution commutative du bien et l’insolidarité du mal, en tant que le mal provient de l’individu. »

« Le problème consiste donc, pour les classes travailleuses, non à conquérir, mais à vaincre à la fois le pouvoir et le monopole. »

« Nous avons affaire à une société qui ne veut plus être pauvre, qui se moque de tout ce qui lui fut autrefois cher et sacré, la liberté, la religion et la gloire, tant qu’elle n’a pas la richesse ; qui, pour l’obtenir, subit tous les affronts, se rend complice de toutes les lâchetés : et cette soif ardente de plaisir, cette volonté irrésistible d’arriver au luxe, symptôme d’une nouvelle période dans la civilisation, est le commandement suprême en vertu duquel nous devons travailler à l’expulsion de la misère ! »

« J’ai désespéré des républicains, et je ne connais plus ni religion ni prêtres. »

« S’il est un être qui, avant nous et plus que nous, ait mérité l’enfer, il faut bien que je le nomme : c’est Dieu. »

 

Manuel du spéculateur à la Bourse (1857)

Travail alimentaire au départ, descriptif et consciencieux, repris par son auteur et devenu traité philosophique, documenté et argumenté, avec une critique au vitriol de la Bourse en plein son essor avec le capitalisme triomphant.

« Toute chose a son mauvais côté, toute institution ses abus, tout avantage traîne après soi ses inconvénients… La Spéculation ne pouvait échapper à la commune loi : et comme les pires abus sont ceux qui s’attachent aux meilleures choses, corruptio optimi pessima, c’est sous le nom de Spéculation que le parasitisme, l’intrigue, l’escroquerie, la concussion dévorent la richesse publique et entretiennent la misère chronique du genre humain. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865)

« Comment les opérations aléatoires , indifférentes de leur nature, conduisent fatalement dans l’état actuel des choses à l’escroquerie et au vol - complicité de la science et de la loi - inégalité des positions du joueur. »

« Le vrai représentant du travail est le travailleur ; le spéculateur, le capitaliste, le propriétaire, le commerçant, l’entrepreneur, n’en est le plus souvent que le ténia. Un changement de régime est nécessaire. »

 

De la justice dans la Révolution et dans l’Église (1858)

Avec le scepticisme philosophique, le problème de la certitude philosophique se trouve ramené au problème des droits et des devoirs, ou problème moral, la solution de celui-ci donnant la clé de celui-là. Mais le problème moral ne peut être résolu que par la Révolution ou par l’Église : la première, organe de la pensée juridique ; la seconde, organe de la pensée religieuse. Toute éthique rentre fatalement dans l’un ou dans l’autre système. Grâce à l’opinion qui rattache à une considération surhumaine le principe de la Justice, la question de droit n’a jamais été franchement dégagée de la question de foi. Toujours un peu de religion s’est mêlé à la cause de la liberté, toujours un peu de liberté s’est introduit dans le système religieux, alors que la Révolution n’a pu enlever l’Église, ni l’Église triompher de la Révolution.

« Le peuple n’a jamais fait autre chose que prier et payer : nous croyons que le moment est venu de le faire philosopher. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865)

« Dieu, c’est le mal. »

« La justice est humaine, tout humaine, rien qu’humaine ; c’est lui faire tort que de la rapporter, de près ou de loin, directement ou indirectement, à un principe supérieur ou antérieur à l’humanité. »

« Religion pour religion, l’urne populaire est encore au-dessous de la sainte-ampoule mérovingienne. Tout ce qu’elle a produit a été de changer la science en dégoût, et le scepticisme en haine. »

« L’homme et la femme peuvent être équivalents devant l’Absolu : ils ne sont point égaux, ils ne peuvent pas l’être, ni dans la famille, ni dans la cité. »1

 

La Guerre et la Paix (1861)

Titre « copié » par Tolstoï, l’auteur de Guerre et Paix, fervent admirateur de Proudhon – entre autres Russes contemporains.

Dans sa recherche de l’équilibre entre le communisme et le libéralisme, Proudhon nous aide à comprendre la société contemporaine. De chapitre en chapitre, il explique la « phénoménalité de la guerre » et relève le défi : contre la critique rousseauiste du droit du plus fort, réhabiliter l’idée d’une unité innée du droit et de la force.

S’opposant à la tradition des penseurs du droit naturel des XVIIe et XVIIIe siècles comme aux opinions de son temps, il s’efforce au risque de choquer de refonder nos théories politique et cosmopolitique du droit, à partir d’une reconnaissance assumée du primat de la force et de la guerre. Toujours en quête de justice et de paix, il nous conduit à penser méthodiquement l’instabilité originaire du fondement juridico-politique de notre société.

« Supprimez, par hypothèse, l’idée de la guerre, il ne reste rien du passé ni du présent du genre humain. On ne conçoit pas ce que sans elle aurait pu être la société ; on ne devine pas ce qu’elle peut devenir. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865)

« Au siècle le plus civilisé qui fut jamais, les nations vivent entre elles sans garanties, sans principes, sans foi, sans droits. Et parce que nous n’avons de certitude sur rien, de foi en rien, il en résulte que, en politique comme en affaires, la confiance, pour laquelle on a tant combattu depuis 1848, est devenue une utopie. »

« La paix démontre et confirme la guerre ; la guerre à son tour est une revendication de la paix »

« Le Coran n’enseigne nulle part l’intolérance ; il reconnaît la mission de Moïse, celle de Jésus-Christ ; il dit que Dieu a donné à chaque peuple la loi qui lui convient, mais qu’il a envoyé Mahomet aux Arabes. Quoi de plus conciliant ? »

« Salut à la guerre ! C’est par elle que l’homme, à peine sorti de la boue qui lui sert de matrice, se pose dans sa majesté et sa vaillance. C’est sur le corps d’un ennemi battu qu’il fait son premier rêve de gloire et d’immortalité. »

« Nous avons exagéré le superflu, nous n’avons plus le nécessaire. »

 

3. Les mots clés de la thématique proudhonienne.

L’ÉCONOMIE

« La propriété, c’est le vol. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Qu’est-ce que la propriété ? (1840)

« Concurrence et profit : l’un est la guerre, l’autre le butin. »

Souvent cité, jamais sourcé

« L’économie politique, en tant qu’elle consacre et prétend éterniser les anomalies de la valeur et les prérogatives de l’égoïsme, est véritablement la théorie du malheur et l’organisation de la misère. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère (1846)

 

LA POLITIQUE

« La politique est la science de la liberté. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Qu’est-ce que la propriété ? (1840)

« Il serait, à mon avis, d’une mauvaise politique pour nous, de parler en exterminateurs ; les moyens de rigueur viendront assez : le peuple n’a besoin pour cela d’aucune exhortation ! »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Lettre à Karl Marx, 1846

« La République est une anarchie positive […] C’est la liberté délivrée de toutes ses entraves, la superstition, le préjugé, le sophisme, l’agiotage, l’autorité ; c’est la liberté réciproque, et non pas la liberté qui se limite ; la liberté non pas fille de l’ordre, mais MÈRE de l’ordre. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Solution du problème social (1848)

« Il faut avoir vécu dans cet isoloir qu’on appelle l’Assemblée Nationale, pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus complètement l’état d’un pays sont presque toujours ceux qui le représentent. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Les Confessions d’un révolutionnaire (1849)

« Être Gouverné, c’est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, prêché, contrôlé, estimé, apprécié, censuré, commandé, par des êtres qui n’ont ni le titre, ni la science, ni la vertu… »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Idée générale de la Révolution au dix-neuvième siècle (1851)

« Direct ou indirect, simple ou composé, le gouvernement du peuple sera toujours l’escamotage du peuple. C’est toujours l’homme qui commande à l’homme ; la fiction qui fait violence à la liberté ; la force brutale qui tranche les questions, à la place de la justice qui seule peut les résoudre ; l’ambition perverse qui se fait un marchepied du dévouement et de la crédulité. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Idée générale de la Révolution au XIXe siècle (1851)

« Périsse l’humanité plutôt que le principe ! C’est la devise des utopistes comme des fanatiques de tous les siècles. Le socialisme, interprété de la sorte, est devenu une religion […] qui au XIXe siècle est ce qu’il y a de moins révolutionnaire. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Idée générale de la Révolution au XIXe siècle (1851)

« Le peuple n’a jamais fait autre chose que prier et payer : nous croyons que le moment est venu de le faire philosopher. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), De la justice dans la Révolution et dans l’Église (1858)

« Le peuple voudrait en finir ; or il n’y a pas de fin. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Correspondance, 3 mai 1860

 

L’ANARCHIE

« L’anarchie, c’est l’ordre sans le pouvoir. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Confessions d’un révolutionnaire (1849)

« L’anarchie… une forme de gouvernement sans maître ni souverain. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Qu’est-ce que la propriété ? (1840)

« Quoique très ami de l’ordre, je suis anarchiste. »

Le Fédéralisme de P. J. Proudhon (1973)

« Ni monarchie, ni aristocratie, ni même démocratie, en tant que ce troisième terme impliquerait un gouvernement quelconque, agissant au nom du peuple, et se disant peuple. Point d’autorité, point de gouvernement, même populaire : la Révolution est là. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Idée générale de la Révolution au XIXe siècle (1851)

 

LA SOCIÉTÉ

« La plus haute perfection de la société se trouve dans l’union de l’ordre et de l’anarchie. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Qu’est-ce que la propriété ? (1840)

« La propriété et la royauté sont en démolition dès le commencement du monde ; comme l’homme cherche la justice dans l’égalité, la société cherche l’ordre dans l’anarchie. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Qu’est-ce que la propriété ? (1840)

« L’homme n’est homme que par la société, laquelle, de son côté, ne se soutient que par l’équilibre des forces qui la composent. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Qu’est-ce que la propriété ? (1840)

« Il ne s’agit pas de tuer la liberté individuelle mais de la socialiser. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Système des contradictions économiques (1846)

« Le principe de mutualité dans l’ordre politique aussi bien que dans l’ordre économique est bien certainement le lien le plus fort et le plus subtil qui puisse se former entre les hommes. Ni système de gouvernement, ni communauté ou association, ni religion, ni serment, ne peuvent à la fois, en unissant aussi intimement les hommes, leur assurer une pareille liberté. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), La Capacité politique des classes ouvrières (1865)

« C’est une preuve de médiocrité philosophique que de chercher aujourd’hui une philosophie. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), La Révolution sociale démontrée par le coup d’État (1852)

« Je définis l’art une représentation idéaliste de la nature et de nous-mêmes, en vue du perfectionnement physique et moral de notre espèce. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Du principe de l’art et de sa destination sociale (posthume, 1875)

« L’homme a beau étendre le cercle de ses idées, sa lumière n’est toujours qu’une étincelle promenée dans la nuit immense qui l’enveloppe. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Mélanges (posthume)

 

LES FEMMES

« Nous ne comprenons pas plus une femme législatrice qu’un homme nourrice. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Le Peuple, mai 1849

« La femme ne peut être que ménagère ou courtisane. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), L’Opinion des femmes, janvier 1849

« Nous ne savons si, en fait d’aberrations étranges, le siècle où nous sommes est appelé à voir se réaliser à quelque degré celle-ci : l’émancipation des femmes. Nous croyons que non. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), La Liberté, 15 avril 1848

« L’homme et la femme peuvent être équivalents devant l’Absolu : ils ne sont point égaux, ils ne peuvent pas l’être, ni dans la famille, ni dans la cité. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), De la justice dans la révolution et dans l’Église (1858)

 

ET DIEU

« Dieu, c’est le mal. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), De la justice dans la Révolution et dans l’Église (1858)

« S’il est un être qui, avant nous et plus que nous, ait mérité l’enfer, il faut bien que je le nomme: c’est Dieu. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère (1846)

« L’homme devient athée lorsqu’il se sent meilleur que son Dieu. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Carnets (1847-1851)

« Dieu est l’ombre de la conscience projetée sur le champ de l’imagination. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), De la justice dans la Révolution et dans l’Église (1858)

« Si je suis, à travers ses transformations successives, l’idée de Dieu, je trouve que cette idée est avant tout sociale ; elle est bien plus un acte de foi de la pensée collective qu’une conception individuelle. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Système des contradictions économiques ou Misère de la philosophie (1846)

« Dieu, le grand Inconnu, est devenu pour moi une hypothèse, je veux dire un instrument dialectique nécessaire. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Système des contradictions économiques ou Misère de la philosophie (1846)

 

4. Repères biographiques : débats sur l’homme et l’œuvre qui n’ont pas fini de séduire.

 « Né de père et mère paysans, ouvriers, élevé dans les habitudes, les mœurs, les pensées du prolétariat ; n’étant jamais sorti de ce milieu, m’y étant pour ainsi dire fixé d’une manière irrévocable par mon mariage… »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Carnets, mars 1855

Le concept de prolétariat recouvre une double appartenance d’origine et désigne ceux qui, dans le monde agricole ou industriel, ne sauraient vivre ou survivre que de leur travail. Tel fut le cas de ce philosophe, seul théoricien révolutionnaire issu d’un milieu populaire au XIXe siècle.

Quant à son mariage… il épousa le 31 décembre 1849 une ouvrière passementière, Euphrasie Piégard. Prisonnier politique à Sainte-Pélagie, il bénéficie d’un droit de sortie pour se rendre à la mairie du Ve arrondissement. Mariage purement civil, au grand dam de sa femme croyante et de son beau-père royaliste. Ses quatre filles ne seront jamais baptisées. C’est la seule « vie privée » connue à cet infatigable travailleur, lisant et écrivant toujours.

L’une des grandes chances de sa vie fut l’attribution d’une bourse de trois ans, en 1838.

« Né et élevé au sein de la classe ouvrière, lui appartenant encore par le cœur et les affections, et surtout par la communauté des souffrances et des vœux, la plus grande joie du candidat, s’il réunissait vos suffrages, serait, n’en doutez pas, Messieurs, de pouvoir travailler sans relâche, par la philosophie et par la science, avec toute l’énergie de sa volonté et la puissance de son esprit, à l’amélioration intellectuelle et morale de ceux qu’il se plaît à nommer ses frères et ses compagnons ; de pouvoir répandre parmi eux les semences d’une doctrine que je regarde comme la loi du monde moral ; et en attendant le succès de ses efforts de se trouver déjà, en quelque sorte, comme leur représentant parmi vous. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Correspondance de P.-J. Proudhon (posthume, 1875)

Proudhon exprime la conscience du risque couru, s’il est lauréat du concours : cesser d’appartenir à sa classe d’origine, au risque de devenir un bourgeois. Il fut effectivement ouvrier (notamment ouvrier imprimeur, élite intellectuelle). Grâce à la pension Suard dont il va bénéficier (1 500 francs pendant trois ans), il deviendra un « publiciste » (journaliste) vivant de sa plume.

Cette lettre vaut serment : ne jamais oublier son origine et demeurer au service de sa classe.  Conformément à cette profession de foi de 1838, Proudhon se voudra toujours le « moniteur de la plèbe » (guide des gens du peuple). Voir Pierre-Joseph Proudhon, Mémoires sur ma vie (1983).
Il ne fait jamais rien pour plaire, il fait toujours tout pour convaincre, avec des arguments souvent extrêmes et parfois contradictoires.

Son plus grand adversaire est son ex-confrère (sinon ami) et quasi-sosie au physique, Karl Marx : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c’est de le transformer. » C’est sur ce point capital (sans jeu de mots…) que les deux socialistes vont s’opposer.

« En France, il [Pierre-Joseph Proudhon] a le droit d’être mauvais économiste, parce qu’il passe pour un bon philosophe. En Allemagne, il a le droit d’être mauvais philosophe, parce qu’il passe pour être un économiste des plus forts. Nous, en notre qualité d’Allemand et d’économiste, nous avons voulu protester contre cette double erreur. »

Karl MARX (1815-1883), Misère de la philosophie, Avant-propos (1847)

Proudhon et Marx défendent le matérialisme : la structure économique de la société détermine l’organisation politique. Mais Proudhon refuse la lutte des classes et prône un anarchisme positif, fondé sur l’autogestion, alors que Marx prêche la lutte des classes pour aboutir à la « dictature du prolétariat » dans le Manifeste du parti communiste (publié en 1848).

Marx voit en Proudhon un socialiste « petit-bourgeois constamment ballotté entre le Travail et le Capital, entre l’économie politique et le communisme », voire un bourgeois défendant un système utopique censé combiner les avantages du socialisme et du capitalisme sans leurs inconvénients : « Les socialistes bourgeois veulent tous les avantages des conditions sociales modernes sans les luttes et les dangers qui en découlent nécessairement. » Il dénonce ses conceptions économiques sur la valeur, son soutien à la concurrence, son opposition aux grèves ouvrières.

Et Marx fait une critique assassine de La Philosophie de la misère. Rien que le titre annonce la couleur : Misère de la philosophie. L’avant-propos souligne le caractère polémique et ironique du philosophe allemand.

La riposte de Proudhon, politiquement hyper-sensible et profondément blessé, est immédiate et cinglante.

« Marx est le ténia du socialisme. » 10

Pierre Joseph PROUDHON (1809-1865), Carnets, 24 septembre 1847

C’est de bonne guerre…

Bref rappel anatomique : pour survivre dans l’intestin, les ténias se nourrissent d’une partie de la nourriture ingérée par l’hôte et se développent en produisant des anneaux expulsés dans les selles.

Et Proudhon argumente : Contradictions économiques. - Tous ceux qui en ont parlé jusqu’ici l’ont fait avec une suprême mauvaise foi, envie ou bêtise ». Carnets, 20 novembre 1847.

Il lira (en partie) le livre de Marx et notera en marge, au fil des pages : « Calomnie », « Absurde », « Faux ». Mais encore : « Mensonge : C’est précisément ce que je dis »… « Quelle bêtise après ce que j’ai écrit ! » …  « Plagiat de mon chapitre premier ». « En vérité Marx est jaloux » … Pour conclure…

« Allons mon cher Marx, vous êtes de mauvaise foi, et tout à la fois vous ne savez rien » …
« Le véritable sens de l’ouvrage de Marx, c’est qu’il a le regret que partout j’ai pensé comme lui, et que je l’aie dit avant lui. Il ne tient qu’au lecteur de croire que c’est Marx qui, après m’avoir lu, a le regret de penser comme moi ! Quel homme ! »

Pierre Joseph PROUDHON (1809-1865), version annotée de Misère de la philosophie, publiée par la Fédération anarchiste (1983), Gallica, archives

Les duos-duels entre philosophes ponctuent l’Histoire : Bossuet contre Fénelon au XVIIe, Voltaire contre Rousseau au XVIIIe, Proudhon contre Marx au XIXe, Sartre contre Camus en XXe… Souhaitons au XXIe siècle des débats de fond ayant cette qualité intellectuelle.

« La nation française est une nation de comédiens. »

Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865), Carnets, après l’échec de la révolution de 1848

Révolution politique au contenu social encore hésitant et confus où Proudhon se trouva déchiré plus que jamais : anarchiste, apolitique, la force des choses fit de lui un journaliste doublé d’un parlementaire, élu député à la Constituante. Il dut bon gré mal gré jour le jeu et s’y insérer – la

Commune de Paris lui sera épargné. Le dilemme eut été terrible
L’avènement de la République l’« abasourdit » et à l’avance, il porte « le deuil de la République et le fardeau des calomnies qui allaient frapper le socialisme. »

Très vite, il se ressaisit, accepte la Révolution, note dans ses Carnets : « La victoire d’aujourd’hui est la victoire de l’Anarchie contre l’Autorité » pour aussitôt laisser reparaître son inquiétude : « … ou bien c’est une mystification ». Mais « L’événement accompli est désormais irrévocable, c’est sottise de regarder en arrière… »

Finalement, c’est l’échec du droit au travail et des Ateliers nationaux mal conçus pour les chômeurs, les massacres de juin 1848 par suite de leur fermeture, l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte en président de la République, la prison pour lui, le retour à un (Second) Empire… Quel gâchis de temps, de forces, d’hommes et d‘espoir…

Mais il se remet au travail, alimentaire et philosophique. Rien ne peut l’arrêter durablement et il donne tout son cœur, son talent, son génie parfois.

« Proudhon était le plus grand prosateur de son temps. »

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), P.-J. Proudhon, Sa vie et sa correspondance 1838-1848

Parole du plus grand critique de son temps – en tout cas le plus redouté des auteurs et le plus apprécié du public.

Proudhon est, avec Chateaubriand (premier romantique du siècle et styliste inégalé), celui des contemporains sur lequel Sainte-Beuve a livré l’étude la plus développée.
Rencontre improbable d’un sénateur bedonnant et vieillissant du Second Empire, ayant une sainte horreur des troubles sociaux, se penchant longuement sur la vie et l’œuvre d’un apôtre de l’anarchie, auteur de la formule incendiaire « La propriété, c’est le vol » ou pis encore « Dieu, c’est le mal. »

Bien loin de désavouer Proudhon, l’homme et l’œuvre, Sainte-Beuve balaie les caricatures, les railleries et les approximations qui entravaient l’accès aux œuvres du penseur socialiste. À travers son abondante Correspondance, il compose « un Proudhon raconté, jugé et commenté par lui-même » et donne à voir un homme « de pensée, de labeur, de moralité pratique et de haute doctrine sociale », réellement porté à faire le Bien, témoignant pour le socialisme par sa personne et son comportement quotidien, tout autant sinon plus encore que par ses ouvrages publics.

« Proudhon… le plus grand philosophe du XIXe siècle. »

Georges SOREL (1847-1922) en 1914. Cité par Patrice Rolland, La référence proudhonienne chez Georges Sorel, article, numéro thématique sur « Les congrès, lieux de l’échange intellectuel », 1850-1914 (1989)

Sorel rencontre la philosophie du père de l’anarchisme à la française avant la Grande Guerre, dans un moment de « retour à Proudhon ». Des écrivains tels Proust, Péguy ou Bernanos font son éloge. Jean Jaurès s’y réfère dans plusieurs discours.

Georges Sorel le découvre en lisant La Guerre et la paix (1861). Il publie dans la Revue philosophique son premier article consacré à celui qu’il estime être un des plus importants auteurs du socialisme. Leur trajet est comparable : pauvreté devenu choix éthique, refus de toute inféodation à un parti ou une idéologie, même « drame intérieur » avec une « pensée en perpétuel mouvement et une volonté d’intransigeance qui les déchirent ».

Proudhon est le philosophe que Sorel cite le plus souvent dans ses écrits – avant Marx. « Un esprit puissant qui s’est isolé volontairement »,  Sorel étant persuadé qu’ « il n’y a rien de plus essentiel pour l’avenir du prolétariat que de l’initier aux enseignements de Proudhon. »

Au-delà du politique, c’est le moraliste (et sa morale ascétique) qu’il préfère et auquel il s’identifie, avec une connotation plus pessimiste. Il voit en Proudhon « un type achevé du paysan, de l’artisan français, un héros de notre peuple. » Sorel retrouve en lui toutes les vertus d’une France dont il a la nostalgie : l’attention à la famille, le rejet de l’oisiveté, l’éloge de la pauvreté, l’exaltation de la dignité, du courage, qui s’exprime dans une guerre non hargneuse mais héroïque, le refus de l’arbitraire étatique. Il fait sienne la principale contradiction proudhonienne qui dévoile son attitude libertaire originale : porter un esprit de révolte tout en se fiant aux traditions historiques.

Seul, il pouvait faire éclore « une véritable moralité républicaine ». Mais cette éthique est aussi une des raisons de l’échec : Proudhon moins populaire que Marx dont la lutte des classes fait davantage rêver… et agir les masses populaires.

Le « Cercle Proudhon » initié par Sorel en 1911, devenu antenne de l’Action française et désavoué explicitement par lui, brouillera malheureusement le propos, le socialisme proudhonien étant récupéré par le nationalisme. Une dérive dont Proudhon n’est pas plus responsable… que Jeanne d’Arc, récupérée par la droite (extrême) comme par la gauche.

« Le proudhonisme est un pragmatisme, autrement dit, le contraire d’un idéalisme. D’où ses propositions concrètes et détaillées : la fédération, la mutualisation, la coopération comme autant de leviers pour réaliser la révolution ici et maintenant, sans qu’une seule goutte de sang soit versée… »

Michel ONFRAY (né en 1959), dans Onfray, le temps de Proudhon, paru dans Le Point, 3 mai 2011

Philosophe rebelle, admirateur de Nietzsche, athée et proche du courant libertaire, professeur de la contre-histoire, il prône une révolte contre le conformisme et le dogmatisme qui génèrent le conservatisme social. Et tout dans Proudhon l’anarchiste le séduit…

« … la banque du peuple et le crédit organisé pour les classes nécessiteuses par ces mêmes classes dans une logique qu’on dirait aujourd’hui de microcrédit ; une théorie de l’impôt capable de réaliser la justice sociale ici et maintenant ; une défense de la propriété anarchiste, comme assurance de la liberté individuelle menacée par le régime communiste ; la construction d’un État libertaire qui garantisse la mécanique anarchiste ; une théorie critique de la presse qui est une machine à promouvoir l’idéal des banquiers qui la financent ; une pensée du droit d’auteur ; une analyse de la fonction sociale et politique de l’art qui s’oppose à l’art pour l’art et aux jeux d’esthètes ; un investissement dans ce qu’il nomme la « démopédie » et qui suppose qu’on augmente plus sûrement le progrès de la révolution par l’instruction libre que par l’insurrection paramilitaire - et mille autres instruments d’une boîte à outils dans laquelle le socialisme n’a pas encore puisé. »

« La pensée du tribun est une constante marche en avant, d’apparence pataude comme celle du canard, se dandinant sans cesse d’un pied sur l’autre. Ce n’est pas qu’elle hésite, c’est qu’elle combat sans cesse les idées abstraites, les mouvements catastrophiques du cœur mal éclairé. »

Falk van GAVER (né en 1979), journaliste, essayiste, France Archives, Portail national des Archives

Portrait empathique et documenté du penseur, de l’écorché vif luttant toute sa vie pour triompher de tous les obstacles, à commencer par la pauvreté intellectuelle de son milieu, pour avancer sur le chemin de sa vérité philosophique et imposer coûte que coûte une pensée en devenir au fil de ses recherches et des événements d’un siècle philosophique et révolutionnaire.

Cette démarche passionnément réaliste lui permet d’affirmer une vérité et son contraire, dans sa recherche permanente d’équilibre entre le communisme et le libéralisme.
Deux exemples célèbres.

Vis-à-vis de la propriété, il peut écrire simultanément : « La propriété c’est le vol » et « La propriété,  c’est la liberté », sans trouver de contradiction fatale dans le développement de sa politique, mais plutôt les matériaux d’un antagonisme salutaire. La propriété absolue, le droit d’aubaine, l’abus des possédants, la situation de monopole sont tout ce qu’il condamne dans l’appropriation. Il voit au contraire dans la saine propriété, la petite, la laborieuse, le moyen pour la famille de cheminer sereinement vers la justice.

Dans le même esprit, l’auteur de l’incroyable formule « Dieu, c’est le mal » révèle l’éternelle contradiction interne qui le travaillera toute sa vie, concédant par ailleurs que l’humanité a besoin, ou du moins a eu besoin d’une religion pour s’avancer vers le progrès qui est l’émancipation. Sans auteurs sacrés, sans prêtres, sans prophètes, nulle libération. Le premier grand saut de l’humanité que Proudhon considère dans l’histoire, avant la Renaissance et la Révolution, c’est l’invention du christianisme !

Laissons le mot de la fin à Proudhon qui nous livre ici l’une des clés de sa vie et de son œuvre, autant dire sa vérité.

« Ma démarche est celle d’un éclaireur et d’un aventurier. »

Pierre Joseph PROUDHON (1809-1865), cité par Falk van Gaver, journaliste, essayiste, France Archives, Portail national des Archives

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