Portrait en citations de Montesquieu (1689-1755) | L’Histoire en citations
Portrait en citations de Montesquieu
Portraits en citations des Personnages de l’Histoire

 

« Le gouvernement est comme toutes les choses du monde ; pour le conserver, il faut l’aimer. »

MONTESQUIEU, De l’esprit des lois (1748)

Historiquement, Montesquieu devance le grand Voltaire de quelques années.

Pour l’esprit, au sens d’humour ou d’ironie, il fait jeu égal avec lui dans les Lettres Persanes (1721), son premier grand succès.

Au niveau de la théorie, la rigueur De l’esprit des lois (1748) l’emporte sur le Contrat social de Rousseau. Et ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734) révèlent un esprit d’analyse historique annonçant le XIXe siècle.

L’ensemble de l’œuvre fait de l’ombre au personnage : discret, maladivement timide de son propre aveu et moins « romanesque » que ses confrères à la biographie mouvementée.

Voici l’occasion de mieux connaître ce grand seigneur, ex-magistrat, très fortuné (par héritage), homme sans histoire, heureux de vivre comme il l’entend - passionné de voyages et d’expériences scientifiques, de lecture et d’écriture, guère gêné par la censure et universellement reconnu pour son talent.

(Re)découvrir Montesquieu s’impose aujourd’hui où tout prête à confusion, entre l’hystérie des « fake-news » et la recherche d’un consensuel « en même temps ». Ce philosophe nous rappelle la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) indispensable à une république digne de ce nom, aucune forme de démocratie (pouvoir du peuple) n’étant possible avec le tsarisme d’un Poutine ou le populisme d’un Trump. C’est dire l’intérêt du Siècle des Lumières et de son premier représentant.

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PORTRAIT

Autoportrait de Montesquieu

« L’étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts, n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture ne m’ait ôté. »1

Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de MONTESQUIEU (1689-1755), Cahiers (posthume).

Montesquieu est un homme heureux. Paisible magistrat qui écrit d’abord pour se distraire, il se libère de sa charge parlementaire et sans aucun problème d’argent, peut se consacrer à des travaux qui rencontrent aussitôt le succès et le public espérés. Dans ses Cahiers, il nous donne ce portrait de lui-même : « Je m’éveille le matin avec une joie secrète ; je vois la lumière avec une espèce de ravissement. Tout le reste du jour je suis content. »

« Je suis bon citoyen parce que j’aime le gouvernement où je suis né […] parce que j’ai toujours été content de l’état où je suis […] mais dans quelque pays que je fusse né, je l’aurais été tout de même. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Cahiers (posthume).

Sa philosophie sera à l’image de l’homme et du citoyen, toute d’équilibre et de raison, en accord avec ce siècle où le bonheur est de règle, Rousseau l’écorché vif faisant exception parmi les philosophes.

« La timidité a été le fléau de toute ma vie ; elle semblait obscurcir jusqu’à mes organes, lier ma langue, mettre un nuage sur mes pensées, déranger mes expressions. J’étais moins sujet à ces abattements devant des gens d’esprit que devant des sots : c’est que j’espérais qu’ils m’entendraient, cela me donnait de la confiance. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Œuvres complètes de Montesquieu, texte établi par Édouard Laboulaye, 1879 (tome VII).

Un aveu qui peut surprendre, au hasard d’une lettre. Mais à bien regarder ses rares portraits, il est évident que l’homme ne s’offre pas au regard du peintre… Tout le contraire de Voltaire plus détendu et Diderot posant non sans plaisir. Il arrive parfois à Rousseau de poser, mais il s’abandonne rarement – hormis dans ses textes, à commencer par les Confessions.

« Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je le rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l’Europe et au genre humain, je le regarderais comme un crime. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Cahiers (posthume).

C’est le premier de tous les philosophes à se proclamer européen et même citoyen du monde, à l’image d’un siècle à vocation cosmopolite.

« La gravité est le bouclier des sots. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Pensées et fragments inédits (posthume).

Remarque de forme et de fond, en cela plus profonde qu’il n’y paraît. L’humour des Lettres persanes ne nuit en rien au message politique de l’œuvre et le style des œuvres suivantes se gardera de toute pédanterie, malgré l’importance du propos (politique et philosophique).

Montesquieu vu par Sainte-Beuve, entre autres critiques

« Montesquieu écrit, interprète le Droit. Voltaire pleure et crie pour le Droit. Et Rousseau le fonde. »

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de la Révolution française, Introduction, section VI

L’historien préféré des Français (mais pas des autres historiens) énonce en une ligne le juste partage des tâches entre les philosophes des Lumières qui préparent la Révolution sans pourtant la souhaiter. Une véritable filiation le relie aux deux premiers, avec une fraternité historienne pour le travail de synthèse accompli par Montesquieu dans les Considérations et l’Esprit des lois.

Rappelons aussi l’envolée hugolienne dans Les Misérables (1862) : « Pour que la Révolution soit, il ne suffit pas que Montesquieu la présente, que Diderot la prêche, que Beaumarchais l’annonce, que Condorcet la calcule, qu’Arouet la prépare, que Rousseau la prémédite ; il faut que Danton l’ose.

« Ce qu’il y a de beau chez Montesquieu, c’est l’homme derrière le livre. »

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), Causeries du lundi, tome VII. Lumières et salons - Anthologie établie et présentée par Pierre Berès, Charles-Augustin Sainte-Beuve (1992).

Montesquieu est le dernier grand auteur auquel le plus grand critique du XIXe siècle va s’intéresser, de 1852 jusqu’à sa mort. Bonne raison pour inviter Sainte-Beuve à témoigner plusieurs fois dans ce portrait. Autre raison paradoxale : c’est peu dire qu’il désapprouve l’essentiel de sa pensée ! D’où la sincérité du témoignage sur l’homme (comme sur l’œuvre).

Devenu véritablement réactionnaire après la Révolution de 1848 et les massacres de juin, effrayé comme la majorité des Français par les menaces du socialisme, à ses yeux « le libéralisme même de Montesquieu apparaît comme une dangereuse fantaisie. » Sainte-Beuve et le XVIIIe siècle ou comment les révolutions arrivent (1972), Roger Fayolle.

Son point de vue critique sur la qualité intrinsèque du personnage est d’autant plus intéressant.

« Homme d’étude et de pensée, détaché d’assez bonne heure des passions et n’ayant du moins jamais été entraîné par elles, il habita et vécut dans la fermeté de l’intelligence. »2

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), Causeries du lundi, tome VII.

Il ne dit pas le mot-clé de timidité - fléau avoué de toute sa vie - mais il semble sous-jacent.

« Très bon dans le particulier, naturel et simple, il mérita d’être aimé de tout ce qui l’entourait ; mais, même dans ses parties les plus humaines, on retrouverait ce côté ferme, indifférent, une équité bienveillante et supérieure plutôt que la tendresse de l’âme. »

Montesquieu est en cela aussi très différent de Voltaire, Rousseau et Diderot.

Signalons pourtant un détail peu connu qui remonte… à sa naissance : « Ce jour 18 janvier 1689, a été baptisé dans notre église paroissiale, le fils de M. de Secondat, notre seigneur. Il a été tenu sur les fonds par un pauvre mendiant de cette paroisse, nommé Charles, à telle fin que son parrain lui rappelle toute sa vie que les pauvres sont nos frères. Que le bon Dieu nous conserve cet enfant. » Acte paroissial, source Wikipédia.

« Après sa nomination à l’Académie, Montesquieu prit une résolution, bien rare chez un Français du XVIIIe siècle, ce fut de quitter la France pour quelques années afin de visiter les pays étrangers. C’est en voyant les choses et les hommes qu’il voulait achever de s’instruire, avant de mettre la dernière main au grand ouvrage dont la pensée l’occupait depuis sa jeunesse, l’Esprit des lois. »

Édouard LABOULAYE (1811-1883), Préface à la nouvelle édition des Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, Garnier, 1876.


Montesquieu fut élu le 5 janvier 1728 contre Mathieu Marais (juriste et avocat, connu pour ses Mémoires).

C’est la première grande victoire du parti philosophique. « Reçu le 24 janvier 1728 par Roland Mallet, la froideur que lui témoignèrent ses nouveaux confrères, même ceux qui étaient ses amis, l’engagea à voyager à travers l’Europe et il fréquenta peu l’Académie. » Site de l’Académie, Charles de SECONDAT, baron de MONTESQUIEU. Biographie.

Parti le 5 avril 1728 en compagnie de Milord Waldegrave (envoyé du roi d’Angleterre à Vienne), il parcourut l’Autriche et la Hongrie, passa en Italie, revint par la Suisse, les bords du Rhin et la Hollande, pour arriver en Angleterre en octobre 1729. Il reste deux ans dans cette monarchie qui donne le spectacle de la liberté politique. S’il faut en croire d’Alembert (préfacier de l’Encyclopédie) qui a pu prêter son esprit à l’auteur, « l’Allemagne était faite pour y voyager, l’Italie pour y séjourner, l’Angleterre pour y penser et la France pour y vivre. »

« De retour en France, Montesquieu se retira à son château de la Brède, loin des soupers de Paris, pour y recueillir et y ordonner ses pensées ; il y resta deux ans, ne voyant que ses livres et ses arbres. »

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), Causeries du lundi. Tome. VII.

C’est là que Montesquieu écrivit ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, prémices de l’Esprit des lois. Conformément à son caractère, c’est peut-être là aussi qu’il fut le plus heureux, dans cette retraite studieuse qui convenait parfaitement à son caractère.

Il médite aussi sur le pays qui l’a le plus marqué, l’Angleterre cette monarchie parlementaire.

« S’il voit le mal, Montesquieu apprécie très bien les avantages qui le compensent ; ce qu’il exprime ainsi : ‘L’Angleterre est à présent le pays le plus libre qui soit au monde, je n’en excepte aucune république… Quand un homme, en Angleterre, aurait autant d’ennemis qu’il a de cheveux sur la tête, il ne lui en arriverait rien : c’est beaucoup, car la santé de l’âme est aussi nécessaire que celle du corps.’ »

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), Causeries du lundi, tome VII.

L’honnêteté intellectuelle est une vertu rare, chez un philosophe comme chez un critique voulant convaincre ses lecteurs, et Sainte-Beuve apprécie en connaissance de cause Montesquieu !

« On a publié quelques notes de son Journal de voyage qui se rapportent à son séjour de Londres. Il ne se fait point d’illusion en beau sur l’état du pays et des institutions ; il juge au vrai la corruption des mœurs politiques, la vénalité des consciences et des votes, le côté positif et calculateur, cette peur d’être dupe qui mène à la dureté. »

La lucidité de Montesquieu l’emporte sur celle de Voltaire : son voyage en Angleterre – en réalité, son exil de trois ans (1726-1729) – lui laisse avant tout des raisons de croire à ce nouveau régime : une monarchie constitutionnelle née de la révolution anglaise (Grande rébellion de 1642 à 1651).

« Dans les Observations sur l’Histoire naturelle, nous ne trouvons pas seulement des vues théoriques de Montesquieu sur la formation des êtres organisés, mais aussi des observations, des expériences qui témoignent que l’auteur de L’Esprit des Lois savait mettre l’œil au microscope et, au besoin, disséquer une grenouille, voire poser une ligature sur une artère. »

Jean ROSTAND (1894-1977). Montesquieu (1689-1755) et la Biologie. Revue d’histoire des sciences. Année 1955

Biologiste et historien des sciences universellement reconnu, Jean Rostand (père d’Edmond, auteur de L’Aiglon) rend hommage au jeune auteur des Lettres Persanes, curieux de tout et se rattachant à la science moderne par l’esprit positif et expérimental qui l’anime. Montesquieu convient que ce n’est point dans les méditations du cabinet qu’il faut chercher ses preuves, mais dans le sein de la nature même.

Dans ses Observations lues devant l’Académie le 20 novembre 1721, il décrit avec minutie un animalcule rougeâtre qui pourrait être une daphnie (puce d’eau) ; il s’intéresse à des pucerons inclus dans des feuilles d’ormeau ; il expérimente sur la résistance comparée des vertébrés à la submersion, constatant qu’une grenouille mise sous l’eau peut survivre 48 heures, quand un canard périt au bout de sept minutes et une oie au bout de huit.

C’est un trait de caractère peu connu du personnage qui renoncera bientôt aux sciences naturelles, trop occupé par la science politique où il excelle.

« Finis vitæ ejus nobis luctuosus, Patriæ tristis, extraneis etiam ignotisque non sine curâ fuit. »
« La fin de sa vie fut triste pour nous, triste pour le pays, et non sans souci pour les étrangers et les inconnus. »

D’ALEMBERT (1717-1783), « Éloge de Monsieur le Président de Montesquieu » en tête du cinquième volume de L’Encyclopédie

Montesquieu, souffrant de problèmes de vue, ne put terminer le texte proposé à D’Alembert pour l’Encyclopédie :

« Il nous destinait un article sur le Goût, qui a été trouvé imparfait dans ses papiers ; nous le donnerons en cet état au Public, et nous le traiterons avec le même respect que l’antiquité témoigna autrefois pour les dernières paroles de Sénèque. La mort l’a empêché d’étendre plus loin ses bienfaits à notre égard ; et en joignant nos propres regrets à ceux de l’Europe entière, nous pourrions écrire sur son tombeau : « Finis vitæ ejus nobis luctuosus, Patriæ tristis, extraneis etiam ignotisque non sine curâ fuit. »

« Sa plus grande qualité, c’est le calme. Il ne l’empêche pas d’être vif. La façon d’écrire de Montesquieu me rappelle le pas de cavalerie appelé galop lent. Quel noble rythme, et avec un esprit éclatant sans qu’il le brandisse ! »

Charles DANTZIG (né en 1961), Dictionnaire égoïste de la littérature française (2005).

Écrivain et éditeur, il interroge à la fois l’acte d’écrire et l’acte de lire dans ce livre où Montesquieu est invité. Critères du bon écrivain ou du bon livre : le bon écrivain impose ce qu’il montre… On reconnaît le bon écrivain à ce qu’il nous intéresse à ce qui ne nous intéresse pas… Un autre critère du bon écrivain est qu’il donne envie d’écrire. Pas sur lui, autre chose. Il y a une contamination de la création. Celle de Montesquieu fut profondément originale, pouvant se résumer en trois livres qui ont marqué le siècle des Lumières.

TROIS ŒUVRES MARQUANTES

LETTRES PERSANES (1721)

Publiées au printemps 1721 à Amsterdam et dans l’anonymat : Montesquieu qui a écrit en résidence aux Pays-Bas se présente comme simple éditeur. Il peut donc critiquer la société française de l’époque sans risquer la censure.

Ce premier « roman par lettres » de la littérature française lance la mode - bien avant les fameuses Liaisons dangereuses (1782), chef d’œuvre du genre, signé Choderlos Laclos. Mais l’intrigue romanesque n’est qu’un prétexte aux Lettres persanes.

Usbek, personnage principal, a quitté Ispahan pour des raisons politiques. Il dirige son sérail depuis l’Europe, échangeant ses impressions avec Ibben entre autres amis demeurés en Perse, avec Rhédi (neveu d’Ibben) en voyage d’étude à Venise et avec son compagnon de route Rica qui préférera le tumulte de Paris et ses mœurs curieuses au calme de la campagne élue par Usbek.

Sous une feinte bonhomie, c’est une satire féroce ciblant les mœurs, la politique, la religion, la littérature à la fin du règne de Louis XIV et sous la Régence (lettres datées de 1711 à 1720). C’est aussi la peinture des faiblesses et des inclinations naturelles de tout être humain.
Mais Usbeck, si lucide quant aux vices du royaume de France, si critique quant aux traditions européennes, se laisse pourtant duper par ses femmes.

Au final, un petit chef d’œuvre d’écriture, d’esprit et d’humour, grâce au style inimitable et à la richesse imaginative de l’auteur… Les 161 Lettres persanes connurent un succès retentissant, rééditées plusieurs fois dans des versions augmentées par l’heureux auteur. Pas de plan, c’est tout le charme d’un jardin anglais opposé au jardin à la française. D’où la difficulté de présenter cette moisson de citations.

« Ah ! Ah ! Monsieur est Persan ! C’est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ? »3

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

Montesquieu s’est lancé dans l’écriture avec ce petit ouvrage plaisant, publié à Amsterdam, anonyme et « persan » : trois précautions valent mieux qu’une pour déjouer la censure ! Le masque ne trompe personne et le subterfuge rend l’auteur célèbre : sa réputation de bel esprit est faite et sa critique des mœurs contemporaines, fort hardie sous l’apparence badine, séduit le public des salons.

Ainsi la lettre 30 raille la curiosité naïve et indiscrète des Parisiens pour tout ce qui sort de l’ordinaire : « Si quelqu’un, par hasard, apprenait à la compagnie que j’étais Persan, j’entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement : Ah ah ! Monsieur est Persan ? c’est une chose extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ? » Cette curiosité « encyclopédique » sera pourtant l’une des qualités du siècle des Lumières.

Autre thème d’étonnement pour le Persan observateur critique des mœurs politiques…

« Le prince imprime le caractère de son esprit à la cour, la cour à la ville, la ville aux provinces. L’âme du souverain est un moule qui donne sa forme à toutes les autres. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

La soumission à la mode est en réalité une soumission politique et sociale au roi. Mais en s’attaquant à la mode, Montesquieu évite la censure. Il critique la cour, mais sur le ton de l’étonnement : c’est un étranger qui s’étonne des coutumes des Français et particulièrement de leur tenue. À la fin, l’auteur généralise son propos, mais l’exemple de la mode le protègera d’éventuelles attaques futures. On n’est jamais trop prudent.

« Un grand seigneur est un homme qui voit le roi, qui parle aux ministres, qui a des ancêtres, des dettes et des pensions. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

Remarque cruelle et vraie : les Grands, dès la Régence, veulent prendre leur revanche sur le siècle de Louis XIV, ce « règne de vile bourgeoisie » (ciblé par le duc de Saint-Simon) qui les tint écartés des postes de pouvoir.

« La Faveur est la grande divinité des Français. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

Autre sujet d’étonnement d’Usbeck à Rhédi empruntant la métaphore religieuse chère à notre Persan : « Le ministre est le grand-prêtre, qui lui offre bien des victimes. Ceux qui l’entourent ne sont point habillés de blanc : tantôt sacrificateurs et tantôt sacrifiés, ils se dévouent eux-mêmes à leur idole avec tout le Peuple. »

Quant au petit peuple naturellement majoritaire dans les villes et les campagnes, il est sujet de compassion pour le Persan bien né et fortuné (comme Montesquieu, baron de la Brède)…

« Les hommes sont comme les plantes, qui ne croissent jamais heureusement, si elles ne sont bien cultivées. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

Le mal vient d’une surpopulation non maîtrisée, la démographie n’étant pas encore objet d’études ni de science, non plus que la mortalité infantile considérable.  « Mais à quoi sert dans un état ce nombre d’enfants qui languissent dans la misère ? IIs périssent presque tous à mesure qu’ils naissent ; ils ne prospèrent jamais ; faibles et débiles, ils meurent en détail de mille manières, tandis qu’ils sont emportés en gros par les fréquentes maladies populaires que la misère et la mauvaise nourriture produisent toujours ; ceux qui en échappent atteignent l’âge viril sans en avoir la force et languissent tout le reste de leur vie. »

Et pourtant, le XVIIIe siècle se voudra heureux – Montesquieu aussi, mais d’une autre manière que la bonne société dont il fait naturellement partie, de sorte qu’il en parle « en Persan », avec un recul plaisant.

« On dit que l’homme est un animal sociable. Sur ce pied-là, il me paraît que le Français est plus homme qu’un autre, c’est l’homme par excellence ; car il semble fait uniquement pour la société. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

Remarque « persane » et prémonitoire ! La sociabilité sera l’un des traits caractéristiques de ce siècle français, porté à un point extrême et tantôt qualité, tantôt défaut. Il crée la mode des cafés, des clubs et des salons. Il se manifeste dans la « théâtromanie » de tous les amateurs de spectacle, parisiens et provinciaux qui se pressent dans les salles et les célèbres « Foires » - St-Germain et St-Laurent. 

Le moraliste Chamfort confirme, à la veille de la Révolution : « Les gens du monde ne sont pas plutôt attroupés qu’ils se croient en société. »

Autre sujet d’étonnement, la Femme, les femmes françaises…

« Celui qui est à la cour, à Paris, dans les provinces, qui voit agir des ministres, des magistrats, des prélats, s’il ne connaît les femmes qui les gouvernent, est comme un homme qui voit bien une machine qui joue, mais qui n’en connaît point les ressorts. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

Au-delà des apparences futiles et brillantes, les femmes jouent leur rôle dans l’Histoire contemporaine. Et d’abord dans celle des idées. Elles ont soutenu les Modernes contre les Anciens dans les querelles du siècle dernier, on les voit maintenant aux côtés des philosophes. Influentes aussi dans l’économie où des femmes de la bourgeoisie et du peuple se retrouvent chefs d’entreprise ; et dans la politique où les favorites royales jouent un rôle même pas occulte avec Louis XV. Quant à Louis XVI, Mirabeau ne dira-t-il pas de lui : « Le roi n’a qu’un homme, c’est sa femme » ?

« Il n’y a personne qui ait quelque emploi à la Cour, dans Paris ou dans les provinces, qui n’ait une femme par les mains de laquelle passent toutes les grâces et quelquefois les injustices qu’il peut faire. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

Dans ses Lettres persanes, Montesquieu souligne le rôle des femmes et s’étonne « en Persan » : « Ces femmes ont toutes des relations les unes avec les autres et forment une espèce de république dont les membres toujours actifs se secourent et se servent mutuellement. C’est comme une nouvel État dans l’État ; et celui qui est à la Cour, à Paris, dans les provinces, qui voit agir des ministres, des magistrats, des prélats, s’il ne connaît pas les femmes qui gouvernent, est comme un homme qui voit bien une machine qui joue, mais qui n‘en connaît point les ressorts. »

Et pourtant, autre constat et sujet d’étonnement…

« Les Français ne parlent presque jamais de leurs femmes ; c’est qu’ils ont peur d’en parler devant des gens qui les connaissent mieux qu’eux. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

« Il y a parmi eux des hommes très malheureux que personne ne console : ce sont les maris jaloux. Il y en a que tout le monde hait : ce sont les maris jaloux. Il y en a que tous les hommes méprisent : ce sont encore les maris jaloux. » La lettre 55 aborde les rapports entre époux et offre un festival de maximes qui n’est pas sans rappeler La Bruyère ou La Rochefoucauld.

« Rien ne contribue plus à l’attachement mutuel que la faculté du divorce : un mari et une femme sont portés à soutenir patiemment les peines domestiques, sachant qu’ils sont maîtres de les faire finir. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

Étonnamment mis sur le même plan par Usbek s’adressant à Rhédi ou Montesquieu à lui-même… « Ils gardaient souvent ce pouvoir en main toute leur vie sans en user, par cette seule considération qu’ils étaient libres de le faire. Il n’en est pas de même des chrétiens, que leurs peines présentes désespèrent pour l’avenir : ils ne voient dans les désagréments du mariage que leur durée et, pour ainsi dire, leur éternité : de là viennent les dégoûts, les discordes, les mépris ; et c’est autant de perdu pour la postérité. À peine a-t-on trois ans de mariage, qu’on en néglige l’essentiel ; on passe ensemble trente ans de froideur. »

Montesquieu reviendra sur la religion et sur d’autres sujets d’étonnement plaisants.

Mais la 161e et dernière lettre reçue par Usbek réserve une surprise au lecteur : c’est la véritable chute de ce roman.

« Oui je t’ai trompé ; j’ai séduit tes eunuques ; je me suis jouée de ta jalousie et j’ai su de ton affreux sérail faire un lieu de délices et de plaisirs. Je vais mourir ; le poison va couler dans mes veines : car que ferais-je ici, puisque le seul homme qui me retenait à la vie n’est plus ? »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

Seul détail tragique, qui tranche au final sur l’humour satirique des Lettres : le sérail persan des cinq femmes d’Usbek s’était révolté contre la tyrannie du maître… Roxane sa favorite lui écrit la 161e lettre et lui apprend son suicide.

Montesquieu apparaît ici comme le défenseur de la condition féminine. Il donne la parole ET le pouvoir à la femme, lui laisse littéralement le mot de la fin et d’une certaine manière le « beau rôle ».

« On apprête le café de telle manière qu’il donne de l’esprit à ceux qui en prennent. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

La Régence, le Procope, Gradot, Laurent : c’est la grande mode des cafés où le café fait fureur – on en compte 300 à Paris, en 1715. Les clubs, plus fermés, institution typiquement anglaise, séduisent la France anglophile jusqu’à l’anglomanie. Et les salons se multiplient, à Paris et en province, à mesure que la cour de Versailles perd son hégémonie : d’abord littéraires et mondains, puis philosophiques, tous tenus par des femmes (Mme de Lambert, Mme de Tencin, Mme du Deffand, Mme Geoffrin, Mlle de Lespinasse), lieux de rencontre et de conversation où les idées nouvelles circulent et les réputations se font et se défont.

« La fureur de la plupart des Français, c’est d’avoir de l’esprit, et la fureur de ceux qui veulent avoir de l’esprit, c’est de faire des livres. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

Trait typique du siècle des Lumières et qui ne fera que se renforcer, lui donnant son unité par-delà d’extrêmes diversités et complexités, contrastes et co

« Paris est peut-être la ville du monde la plus sensuelle et où l’on raffine le plus sur les plaisirs ; mais c’est peut-être celle où l’on mène une vie plus dure. Pour qu’un homme vive délicieusement, il faut que cent autres travaillent sans relâche. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

Contraste plus que jamais affiché, donc choquant pour l’un des premiers philosophes du siècle, entre la minorité de privilégiés et les autres. Rousseau, le moins parisien et le plus plébéien des philosophes, écrira : « Une vie dure est plus facile à supporter en province que la fortune à poursuivre à Paris. »

« L’intérêt est le plus grand monarque de la terre. Cette ardeur pour le travail, cette passion de s’enrichir, passe de condition en condition, depuis les artisans jusques aux grands. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

Ambivalence de cette civilisation d’un côté raffinée, charmante, luxueuse et philosophante, et de cette société affairiste où la course à l’argent devient la préoccupation permanente d’une noblesse descendue dans l’arène, aussi bien que de la bourgeoisie toujours soucieuse d’ascension sociale : « Vous voyez à Paris un homme qui a de quoi vivre jusqu’au jour du jugement, qui travaille sans cesse et court le risque d’accourcir ses jours, pour amasser, dit-il, de quoi vivre. »

« Dieu ne tire pas plus rapidement les hommes du néant. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

Allusion précise à la faillite du fameux système de Law qui introduit le crédit : Le Système fait des miracles et permet de tout espérer : « Que de valets servis par leurs camarades, et peut-être demain par leurs maîtres ! »

Des fortunes colossales naissent en quelques heures et l’on cite des cas incroyables, mais vrais : des laquais devenus millionnaires paradent en carrosse, un abbé gagne 18 millions de livres, un garçon de cabaret 30, un ramoneur 40, un mendiant 70 et une mercière 100. Ces nouveaux riches achètent des châteaux, donnent des fêtes, épousent des filles nobles… avant que leur fortune s’écroule. Trop de spéculateurs l’ignorent encore, mais c’est une loi de la Bourse que la baisse suit la hausse. Chaque siècle va l’apprendre à ses dépens, preuve que l’on ne tire pas suffisamment profit des leçons de l’histoire. La Régence a vécu une « première » historique, presque un cas d’école en 1720.

« Le pape est le chef des chrétiens. C’est une vieille idole que l’on encense par habitude. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

La France chrétienne est toujours « la fille aînée de l’Église » et Montesquieu annonce le Voltaire du Sottisier (posthume) : « Le pape est une idole à qui on lie les mains et dont on baise les pieds ».

Mais le Persan (anonyme) pousse plus avant la satire : « Il était autrefois redoutable aux princes mêmes, car il les déposait aussi facilement que nos magnifiques sultans déposent les rois d’Irimette et de Géorgie. Mais on ne le craint plus. Il se dit successeur d’un des premiers chrétiens, qu’on appelle saint Pierre : et c’est certainement une riche succession, car il a des trésors immenses et un grand pays sous sa domination. »

Une pierre dans le jardin d’Eden… qui existe aussi dans la religion musulmane, avec un sens différent qui l’assimile au Paradis.

« Ceux qui mettent au jour quelque proposition nouvelle sont d’abord appelés hérétiques. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes

Montesquieu ne sera jamais déiste comme Voltaire ni athée comme Diderot. Mais l’auteur des Lettres persanes raisonne comme eux en philosophe et traite de la religion comme il l’entend. Comme Voltaire, il la trouvera politiquement utile dans l’Esprit des lois – ici, il en plaisante en bon Persan.

« Chaque hérésie a son nom, qui est, pour ceux qui y sont engagés, comme le mot de ralliement. Mais n’est hérétique qui ne veut : il n’y a qu’à partager le différend par la moitié, et donner une distinction à ceux qui accusent d’hérésie ; et, quelle que soit la distinction, intelligible ou non, elle rend un homme blanc comme de la neige, et il peut se faire appeler orthodoxe. »

Du temps de Montesquieu (jeune), on ne plaisante pas avec la religion et les rares critiques des Lettres persanes l’attaqueront logiquement sur ce point.

Critiques

« L’auteur y suit toujours son plan qui est de paraître attaquer la religion de Mahomet, tandis que son principal dessein est de décrier la religion chrétienne. Pour entrer dans les vues de l’auteur, il faut prendre l’inverse de tout ce qu’il dit dans cette lettre  »

Jean-Baptiste GAULTIER, (1685-1755). Les Lettres persanes convaincues d’impiété (1751)

Les critiques « contre » les Lettres persanes sont rares. C’est un abbé qui s’exprime et l’abbé du Siècle des Lumières prêche pour son saint, dans une France qui est toujours la « fille aînée de l’Église ».

De là à voir en Montesquieu un prérévolutionnaire… « Il ne faut pas beaucoup de pénétration pour apercevoir que les prophètes et les apôtres sont le véritable objet que l’auteur a ici en vue. Il feint d’en vouloir à Mahomet, à Hali, et à l’Alcoran. C’est St. Paul, les Prophètes, et les Livres saints qu’il attaque. Il cache si peu son jeu qu’il affecte de rapporter les termes dont saint Paul se sert pour décrire son ravissement au troisième ciel. »

« Au milieu des hardiesses et des irrévérences des Lettres Persanes, un esprit de prudence se laisse entrevoir par la plume d’Usbek. »

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), Les Lumières et les salons, Causeries du lundi, t. VII

Le plus grand (et redouté) critique du XIXe siècle est naturellement plus subtil dans son analyse d’un auteur pour lequel il s’est pris de passion… sans approuver pour autant ses idées.

« En agitant si bien les questions et en les perçant quelquefois à jour, Usbek (et c’est une contradiction peut-être à laquelle n’a pas échappé Montesquieu) veut continuer de rester fidèle aux lois de son pays, de sa religion. Il est vrai, dit-il, que par une bizarrerie qui vient plutôt de la nature que de l’esprit des hommes, il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois ; mais le cas est rare ; et lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante. Cet esprit qui a dicté les Lettres Persanes ne poussera jamais les choses à l’extrémité du côté des réformes et des révolutions populaires.

« Entrer chez les gens pour déconcerter leurs idées, leur faire la surprise d’être surpris de ce qu’ils font, de ce qu’ils pensent, et qu’ils n’ont jamais conçu différent, c’est, au moyen de l’ingénuité feinte ou réelle, donner à ressentir toute la relativité d’une civilisation, d’une confiance habituelle dans l’ordre établi. »

Paul VALÉRY (1871-1945 ), Variétés II, Préface aux Lettres persanes

L’extrême lucidité de l’intellectuel philosophe le plus honoré de son temps ne peut qu’apprécier en fin connaisseur l’esprit de distanciation qui donne toute sa valeur aux Lettres persanes. Laissons-lui le mot de la fin.

Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence (ou Grandeur et décadence de l’empire romain) (1734)

La « grandeur des Romains » (chapitre 1 à 8) commence au IIIe siècle av. JC par la conquête de l’Italie et se prolonge jusqu’au Ier s. av JC avec la conquête de la Gaule. Elle s’explique par trois atouts conjugués : excellence de leurs institutions militaires et de leurs généraux (César) ; habileté et continuité de leur politique extérieure orientée vers la conquête (jusqu’à la Guerre des Gaules) ; constitution républicaine qui, au milieu des luttes entre patriciens et plébéiens, maintient la liberté, autrement dit l’esprit civique et le patriotisme.

Mais « Rome devait périr de sa grandeur même » : grandeur de la ville, grandeur de l’empire (chapitre 9). Les mœurs des Romains se corrompent. La République, défendue par de grandes voix (dont Cicéron), est déchirée par les guerres civiles pour le pouvoir (César contre Pompée, puis Octave contre Marc-Antoine), dans un contexte d’inégalité des droits entre les Romains et les autres Italiens, entre la plèbe et l’aristocratie. La République cède la place à l’Empire, Octave étant titré « Auguste » par le Sénat romain en 27 av. J.-C. (chapitre 10 à 13). 

S’ensuit « la décadence » progressive, la scission entre l’Orient et l’Occident, le despotisme de Néron, Tibère et Caligula, les rois détestés, souvent assassinés, jusqu’à la ruine de l’Empire romain d’Occident, les « grandes invasions » barbares (Attila) et l’abdication de Romulus-Augustule en 476. Le Moyen Âge débute en Europe avec Clovis, premier roi des Francs. L’Empire d’Orient se maintient jusqu’en 1453 : chute de Constantinople aux mains des Turcs ottomans (chapitre 14 à 23).

Partant du destin de Rome, Montesquieu pose les bases de l’histoire philosophique. Il discerne des lois qui régissent le sort des États et annonce le principe fondamental de l’Esprit des lois : « Ce n’est pas la Fortune [le hasard] qui domine le monde… Il y a des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie, l’élèvent, la maintiennent ou la précipitent. » (chapitre 8)

« Voici, en un mot, l’histoire des Romains. Ils vainquirent tous les peuples par leurs maximes, mais lorsqu’ils y furent parvenus, leur république ne put subsister ; il fallut changer de gouvernement : et des maximes contraires aux premières, employées dans ce gouvernement nouveau, firent tomber leur grandeur. »6

MONTESQUIEU (1689-1755), Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence

Familier de l’histoire romaine comme toute l’élite cultivée de son temps, Montesquieu va l’exposer avec autant de clarté que d’élégance. L’œuvre présente un double intérêt, historique et philosophique. Une des constantes de cette somme de travail (documentation et réflexion), c’est son intérêt pour les institutions qui l’emportent sur les personnages, lesquels comptent plus que les faits.

Restent que la chronologie donne logiquement le plan de son « histoire des Romains ».

« Après l’abaissement des Carthaginois, Rome n’eut presque plus que de petites guerres et de grandes victoires, au lieu qu’auparavant elle avait eu de petites victoires et de grandes guerres. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence

« Il faut détruire Carthage » « Delenda Carthago ».

L’obsession du Romain Caton résonne encore à travers les siècles, et avec elle le fracas du plus fameux duel de l’histoire antique : l’affrontement qui opposa Rome à Carthage au cours des trois Guerres puniques, rivalité entre ces deux empires pour le contrôle de la Méditerranée.

Hannibal (ou Annibal) franchit les Alpes avec ses éléphants pour défier Rome : « Tout ce que peut faire un grand homme d’État et un grand capitaine, Annibal le fit pour sauver sa patrie. N’ayant pu porter Scipion à la paix, il donna une bataille où la Fortune sembla prendre plaisir à confondre son habileté, son expérience et son bon sens » juge Montesquieu dans ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence.

Tite-Live l’a écrit dans son Histoire romaine (inachevée, avec 142 livres des origines de Rome jusqu’à la mort de Drusus, frère de Tibère, en 9 avant J.-C. « Cette lutte des deux cités les plus riches du monde tenait en suspens tous les rois et tous les peuples. » À l’échelle européenne, on peut comparer avec la « Guerre de Cent ans » qui opposa la France à l’Angleterre à la fin du Moyen Âge.

Parvenue à son terme, cette grande guerre de l’Antiquité s’acheva par la destruction totale de Carthage.

« Les conquêtes sont aisées à faire, parce qu’on les fait avec toutes ses forces ; elles sont difficiles à conserver, parce qu’on ne les défend qu’avec une partie de ses forces. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence

Montesquieu tire naturellement la leçon de ce choc des Titans antiques.

« Rome fut un prodige de constance… Ce n’est pas ordinairement la perte réelle que l’on fait dans une bataille (c’est-à-dire celle de quelques milliers d’hommes) qui est funeste à un État, mais la perte imaginaire et le découragement, qui le prive des forces mêmes que la fortune lui avait laissées. »

Il rend surtout hommage à la force des institutions (romaines), toujours plus déterminantes que les hommes. Il fait notamment allusion à la pire défaite des Romains à la fin de la Deuxième guerre punique : « Rome fut sauvée par la force de son institution. Après la bataille de Cannes, il ne fut pas permis aux femmes mêmes de verser des larmes ; le Sénat refusa de racheter les prisonniers et envoya les misérables restes de l’armée faire la guerre en Sicile, sans récompense ni aucun honneur militaire, jusqu’à ce qu’Annibal fût chassé d’Italie. »

« Un empire fondé par les armes a besoin de se soutenir par les armes. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence

Autre leçon implacable de l’Histoire – parfaitement illustrée par les Romains de l’Antiquité, peuple guerrier par excellence.

« Les Romains parvinrent à commander à tous les peuples, non seulement par l’art de la guerre, mais aussi par leur prudence, leur sagesse, leur constance, leur amour pour la gloire et pour la patrie. Lorsque, sous les Empereurs, toutes ces vertus s’évanouirent, l’art militaire leur resta, avec lequel, malgré la faiblesse de la tyrannie de leurs princes, ils conservèrent ce qu’ils avaient acquis. Mais, lorsque la corruption se mit dans la milice même, ils devinrent la proie de tous les peuples.

Mais, comme, lorsqu’un État est dans le trouble, on n’imagine pas comment il peut en sortir, de même, lorsqu’il est en paix et qu’on respecte sa puissance, il ne vient point dans l’esprit comment cela peut changer ; il néglige donc la milice, dont il croit n’avoir rien à espérer et tout à craindre, et souvent même il cherche à l’affaiblir. »

« Un gouvernement libre, c’est-à-dire toujours agité, ne saurait se maintenir s’il n’est pas, par ses propres lois, capable de correction. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence

Rappelons que Montesquieu s’intéresse aux individus plus qu’aux faits, mais privilégie plus que tout les institutions.

Il donne en exemple le système anglais qui fascinera les philosophes des Lumières, notamment Voltaire.

Si le « gouvernement d’Angleterre » est « sage », c’est parce qu’il y a « un corps qui l’examine continuellement, et qui s’examine continuellement lui-même, et telles sont ses erreurs qu’elles ne sont jamais longues, et que, par l’esprit d’attention qu’elles donnent à la Nation, elles sont souvent utiles ».

« La tyrannie d’un prince ne met pas un État plus près de sa ruine que l’indifférence pour le bien commun n’y met une république. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence

La logique du philosophe est implacable comme l’Histoire dont il rend compte et sa « moralité » vaut aussi pour le siècle des Lumières comme pour notre actualité : « L’avantage d’un État libre est qu’il n’y a point de favoris. Mais, quand cela n’est pas, et qu’au lieu des amis et des parents du prince il faut faire la fortune des amis et des parents de tous ceux qui ont part au gouvernement, tout est perdu ; les lois sont éludées plus dangereusement qu’elles ne sont violées par un prince, qui, étant toujours le plus grand citoyen de l’État, a le plus d’intérêt à sa conservation. »

« Il vaut mieux courir le risque de faire une guerre malheureuse que de donner de l’argent pour avoir la paix. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence

La question de la guerre (ou de la paix) est une constante de l’Histoire, quelles que soient les institutions et les hommes.

Une fois le principe énoncé, suivent les attendus dans une logique sans faille … « Car on respecte toujours un prince lorsqu’on sait qu’on ne le vaincra qu’après une longue résistance… Quelquefois la lâcheté des Empereurs, souvent la faiblesse de l’Empire, firent que l’on chercha à apaiser par de l’argent les peuples qui menaçaient d’envahir. Mais la paix ne peut point s’acheter, parce que celui qui l’a vendue n’en est que plus en état de la faire acheter encore. »

Le déterminisme socio-économique, politique et socio-culturel joue clairement dans le déclin de l’empire romain, véritable laboratoire de l’Histoire.

« Si César et Pompée avaient pensé comme Caton, d’autres auraient pensé comme firent César et Pompée et la République, destinée à périr, aurait été entraînée au précipice par une autre main. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence

Rappelons que les institutions comptent toujours plus que les hommes pour faire l’Histoire. Cela n’empêche pas Montesquieu de donner son avis sur les grands hommes en question.

Caton le Jeune est l’arrière-petit-fils de Caton l’Ancien, militaire dans la deuxième Guerre punique contre les Carthaginois devenu « Caton le censeur » défendant les traditions romaines en conservateur. Bon sang ne saurait mentir, il incarne la résistance qui s’oppose aux ambitions de César, tout en se défiant de Pompée. Il finira par se suicider pour ne pas « survivre à la liberté ».

Quant au grand homme de l’époque, vainqueur contre les Gaulois et contre tous les opposant à son irrésistible ascension politique : « César pardonna à tout le monde ; mais il me semble que la modération que l’on montre après qu’on a tout usurpé, ne mérite pas de grandes louanges. »

« César employa contre lui (Pompée) les forces qu’il lui avait données, et ses artifices même ; il troubla la ville par ses émissaires et se rendit maître des élections : consuls, prêteurs, tribuns, furent achetés au prix qu’ils mirent eux-mêmes. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence

Dans l’histoire de France, César reste surtout comme le général vainqueur de notre premier héros national, Vercingétorix, vaincu après le siège d’Alésia (septembre 52 av. J.-C.) qui met fin à la guerre des Gaules et de la conquête romaine. César jouit d’une immense popularité : grand général, brillant orateur, fin stratège, historien célèbre (auteur de la Guerre des Gaules), accessoirement séducteur de Cléopâtre, bientôt réformateur des institutions romaines.

« On parle beaucoup de la fortune (chance) de César. Mais cet homme extraordinaire avait tant de grandes qualités, sans pas un défaut, quoiqu’il eût bien des vices, qu’il eût été bien difficile que, quelque armée qu’il eût commandée, il n’eût été vainqueur ; et qu’en quelque république qu’il fût né, il ne l’eût gouvernée. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence

Son ambition politique l’a conduit à sa chute. César a défié les lois de la République romaine en traversant le Rubicon avec son armée pour marcher sur Rome, provoquant une guerre civile. Après avoir vaincu ses rivaux, parmi lesquels Pompée son ex-allié, il est devenu le dictateur de Rome.

Adoré du peuple, consul et proconsul cumulant tous les pouvoirs : « (César) se rendit maître des élections : consuls, prêteurs, tribuns furent achetés au prix qu’ils mirent eux-mêmes » écrit Montesquieu. César se fait finalement nommer « imperator » par le Sénat, bientôt « dictateur perpétuel ».

Mais il ne fut jamais empereur. Contre son pouvoir désormais sans limite, les conjurés s’organisent. Il est assassiné aux ides de mars, en 44 av. J.-C. Après des années de guerres civiles, le titre d’empereur revint à son fils adoptif Octave, jeune patricien nommé Auguste en 31 av. J.-C. Victoire posthume de César ?

« Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence

Montesquieu parle de Tibère qui succède à Auguste (premier empereur romain) et va régner près de 23 ans (de 14 à 37). Il fait souvent figure de monstre dans la tradition littéraire et divise encore les historiens. C’est un personnage complexe et renfermé : sa longue vie fut remplie d’obligations, de « travaux et de peines », avec une enfance passée dans les alarmes, une éprouvante carrière militaire, un héritage à assumer, celui d’Auguste avec toutes ses ambigüités, dans une société romaine accaparée par les intrigues et déjà dominée par la puissance de l’armée.

Montesquieu le condamne pourtant sans circonstances atténuantes : « II y avait une loi de majesté contre ceux qui commettaient quelque attentat contre le peuple romain. Tibère se saisit de cette loi et l’appliqua, non pas aux cas pour lesquels elle avait été faite, mais à tout ce qui put servir sa haine ou ses défiances. Ce n’étaient pas seulement les actions qui tombaient dans le cas de cette loi, mais des paroles, des signes et des pensées même… Et, comme il n’est jamais arrivé qu’un tyran ait manqué d’instruments de sa tyrannie, Tibère trouva toujours des juges prêts à condamner autant de gens qu’il en put soupçonner. (Le Sénat) tomba dans un état de bassesse qui ne peut s’exprimer : les sénateurs allaient au-devant de la servitude, les plus illustres d’entre eux faisaient le métier de délateurs. »

« Rome devait périr par sa grandeur même. »

MONTESQUIEU (1689-1755)

Morale de l’Histoire. Cette réflexion philosophique de Montesquieu sur l’histoire romaine évoque la Rome antique, ses forces politiques, ses abus et les causes de sa chute.

La clarté des arguments, la force de l’œuvre inspireront beaucoup d’autres écrits… dont le chef d’œuvre à venir signé Montesquieu, De l’Esprit des lois.

Le texte est également important du point de vue historiographique. Il contribuera à structurer la chronologie en grandes périodes : Antiquité, Moyen Âge, Renaissance et début des temps modernes.

« Ce n’est pas la Fortune [le hasard] qui domine le monde… Il y a des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie, l’élèvent, la maintiennent ou la précipitent. »

MONTESQUIEU (1689-1755), Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence

Citation capitale qui tire la morale des Considérations et annonce l’Esprit des lois, l’œuvre majeure de l’auteur. Nul besoin de l’expliquer, il suffit comme souvent de la replacer dans son contexte :

« Ce n’est pas la Fortune qui domine le monde. On peut le demander aux Romains, qui eurent une suite continuelle de prospérités quand ils se gouvernèrent sur un certain plan, et une suite non interrompue de revers lorsqu’ils se conduisirent sur un autre. Il y a des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie, l’élèvent, la maintiennent, ou la précipitent ; tous les accidents sont soumis à ces causes, et, si le hasard d’une bataille, c’est-à-dire une cause particulière, a ruiné un État, il y avait une cause générale qui faisait que cet État devait périr par une seule bataille. En un mot, l’allure principale entraîne avec elle tous les accidents particuliers. »

Critiques

« Il trouve les causes de la grandeur des Romains dans l’amour de la liberté, du travail, et de la patrie, qu’on leur inspirait dès l’enfance ; dans la sévérité de la discipline militaire ; dans ces dissensions intestines qui donnaient du ressort aux esprits, et qui cessaient tout à coup à la vue de l’ennemi dans cette constance après le malheur, qui ne désespérait jamais de la république ; dans le principe où ils furent toujours de ne faire jamais la paix qu’après des victoires ; dans l’honneur du triomphe, sujet d’émulation pour les généraux ; dans la protection qu’ils accordaient aux peuples révoltés contre leurs rois ; dans l’excellente politique de laisser aux vaincus leurs dieux et leurs coutumes ; dans celle de n’avoir jamais deux puissants ennemis sur les bras, et de tout souffrir de l’un jusqu’à ce qu’ils eussent anéanti l’autre. »

D’ALEMBERT (1717-1783), « Éloge de Monsieur le Président de Montesquieu » en tête du cinquième volume de L’Encyclopédie

Rappelons le constat de Montesquieu : « Les empires, ainsi que les hommes, doivent croître, dépérir et s’éteindre; mais cette révolution nécessaire a souvent des causes cachées que la nuit des temps nous dérobe et que le mystère ou leur petitesse apparente a même quelquefois voilées aux yeux des contemporains; rien ne ressemble plus sur ce point à l’histoire moderne que l’histoire ancienne. » Et d’Alembert approuve philosophiquement le choix de Montesquieu. « Les causes de la grandeur romaine se trouvent donc dans l’histoire, et c’est au philosophe à les y découvrir. » Mission accomplie par le premier philosophe des Lumières.

« Bien des causes expliquent son succès : le sujet ; c’est l’histoire de ces Romains qui ont marqué le monde entier de leur empreinte ; la forme, qui permet de saisir en raccourci la longue histoire de l’enfance, de l’âge mûr, de la vieillesse et de la mort de ce peuple puissant qui durant tant de siècles occupa l’univers de sa gloire et de ses malheurs ; le style, formé sur les classiques latins ; la vivacité et la profondeur des réflexions qui, en quelques mots, résument des volumes entiers. C’est un de ces chefs-d’œuvre littéraires qui sont l’honneur d’un siècle et d’un pays. » Édouard Laboulaye, contribution à la Préface, éditions Garnier (1876).

« Ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734) sont restées le plus classique et le plus parfait de ses ouvrages, le seul même qui nous paraisse aujourd’hui sorti tout d’un jet comme une statue. »

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), Les Lumières et les salons, Causeries du lundi, t. VII

Le plus grand critique du siècle suivant se plaît à saluer la forme si parfaitement adaptée au fond : « Montesquieu s’avance d’un pied ferme, par une suite de réflexions serrées et vives et dont l’ensemble a l’air grand ; il a le trait prompt, court et qui porte haut. Cette façon de voir et de dire était faite pour s’appliquer merveilleusement aux Romains. Pour la forme, on aurait à rapprocher du discours historique de Montesquieu le discours même de Bossuet. »

L’œuvre est plusieurs fois rééditée, surtout à la fin du XIXe, siècle où naît la science historique.

« Dans ce volume de quelque 200 pages, Montesquieu résume l’histoire politique du plus grand peuple de l’antiquité. Le premier, il nous a montré les Romains arrivant à l’empire de l’univers par l’égalité qui se trouve au berceau de leur histoire ; par l’amour de la patrie et de la liberté ; par la sévérité de la discipline militaire ; par cette force d’âme qui, dans le malheur, ne désespéra jamais de la République ; par le principe de ne jamais faire la paix qu’après des victoires ; par le soin de s’approprier ce qu’ils trouvaient de bon chez les peuples étrangers ; par cette politique habile qui laissait aux vaincus leurs dieux et leurs coutumes, qui évitait d’avoir deux puissants ennemis sur les bras, et qui souffrait tout de l’un jusqu’à ce qu’ils eussent anéanti l’autre.

Les causes de la décadence et de la chute de Rome sont : l’agrandissement même de l’État qui changea en guerres civiles les tumultes populaires ; les guerres éloignées qui, forçant les citoyens à une longue absence, leur faisaient perdre insensiblement l’esprit républicain ; le droit de bourgeoisie accordé à une foule de peuples ; la corruption introduite par le luxe de l’Asie ; les proscriptions de Sylla, qui avilirent l’esprit de la nation et la préparèrent à l’esclavage ; la longue suite de mauvais princes assis sur le trône impérial ; enfin le partage de l’empire, qui périt d’abord en Occident par l’invasion des barbares germains et qui, après avoir langui dix siècles en Orient, se vit réduit aux faubourgs de Constantinople. » Daniel Bonnefon. Les Écrivains célèbres de la France, ou Histoire de la littérature française depuis l’origine de la langue jusqu’au XIXe siècle (7e éd.), 1895.

 « Ce livre est l’œuvre la plus complète du grand écrivain. Chaque page est un modèle de raison et de logique, un monument du grand art de composer et d’écrire. Le style est mâle, nerveux et concis. On peut regretter que l’idée de la Providence soit absente de ces Considérations. »

Daniel BONNEFON (1832-1898), Les Écrivains célèbres de la France, ou Histoire de la littérature française depuis l’origine de la langue jusqu’au XIXe siècle (1895)

Seul défaut mentionné à la fin d’un superbe CR de lecture. Faut-il préciser que cette dernière ligne semble superflue ? La raison est sans doute à chercher dans le CV de son auteur.

Pasteur réformé dans le Gard, docteur en théologie et secrétaire de la « Revue d’histoire littéraire de la France », il fut lui-même auteur d’ouvrages historiographiques.

Laissant le mot de la fin à Sainte-Beuve dont l’évidente partialité allait de pair avec un génie critique incontestable.

« En parlant des Romains, la langue de Montesquieu s’est fait comme latine et elle a un caractère de concision ferme qui la rapproche de la langue de Tacite ou de Salluste. Il excelle à retremper les expressions et à leur redonner toute leur force primitive, ce qui permet à son style d’être court, fort et d’avoir l’air simple. »

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), Les Lumières et les salons, Causeries du lundi, t. VII

La dernière réédition des Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, jointe aux Réflexions sur la monarchie universelle du même auteur dans la collection Folio classique (2008) résume l’apport de notre premier philosophe des Lumières :

« Aux antipodes d’une fresque pittoresque retraçant l’histoire tumultueuse de l’Empire romain sur le thème de la grandeur et de la décadence, ces Considérations et ces Réflexions sont bien plutôt deux textes de réflexion politique : Montesquieu, par une argumentation limpide et lapidaire qui fait fi de l’anecdote, dégage ici des principes d’analyse historique d’une singulière actualité.

En pesant l’influence respective des hommes et des institutions, des mœurs et des techniques, il extrait de l’histoire ce qui est véritablement essentiel, ce qui détermine le cours des événements : sur le monument de l’histoire antique s’élève une des premières manifestations de science politique. »

De l’Esprit des Lois (1748)

« Cet ouvrage a pour objet les lois, les coutumes et les divers usages de tous les peuples de la terre. On peut dire que le sujet en est immense, puisqu’il embrasse toutes les institutions qui sont reçues parmi les hommes ; puisque l’auteur distingue ces institutions ; qu’il examine celles qui conviennent le plus à la société, et à chaque société ; qu’il en cherche l’origine ; qu’il en découvre les causes physiques et morales ; qu’il examine celles qui ont un degré de bonté par elles-mêmes et celles qui n’en ont aucun ; que de deux pratiques pernicieuses, il cherche celle qui l’est plus et celle qui l’est moins ; qu’il y discute celles qui peuvent avoir de bons effets à un certain égard, et de mauvais dans un autre. » Montesquieu.

L’auteur ajoute qu’« il a cru ses recherches utiles, parce que le bon sens consiste beaucoup à connaître les nuances des choses. »

Ce travail fait date dans la science politique - née sous la Renaissance italienne avec Machiavel, approfondie au XVIIe siècle en Angleterre par John Locke et Thomas Hobbes. Son apport principal est le principe de « la séparation des pouvoirs », indispensable au fonctionnement de la démocratie : la fonction législative au Pouvoir législatif, la fonction exécutive au Pouvoir exécutif, la fonction judiciaire au Pouvoir judiciaire.

Le reste est à (re)découvrir avec Montesquieu. Toutes les citations numérotées qui suivent sont tirées de notre Histoire en citations.

« Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi […], mais elle doit être loi parce qu’elle est juste. »1006

MONTESQUIEU (1689-1755), Cahiers (posthume)

Que de chemin parcouru depuis Montaigne ! « Les lois se maintiennent en crédit non parce qu’elles sont justes, mais parce qu’elles sont lois » (Essais) et Pascal au siècle de Louis XIV: « Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n’y obéit qu’à cause qu’il les croit justes » (Pensées).

Comme tous les philosophes des Lumières, Montesquieu assure (Préface de L’Esprit des lois) : « Il n’est pas indifférent que le peuple soit éclairé. » Toutes ces idées nouvelles qui circulent dans des cercles de plus en plus larges vont fissurer l’édifice social et amener l’explosion révolutionnaire que le prudent Montesquieu ne souhaitait pas plus que ses confrères, et assurément moins que Rousseau.

« Les lois […] sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. »1004

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

L’Esprit des Lois est la grande œuvre de sa vie, vers quoi convergent toutes les autres. Le livre paraît en octobre 1748 à Genève : succès considérable, 22 éditions en un an et demi !

Montesquieu crée ici une science des lois : il cherche leur « âme », discerne un ordre, une raison et s’efforce de comprendre. Démarche parfois mal comprise : expliquer l’esclavage, le despotisme, les lois qui les instaurent, ce n’est pas les justifier pour autant. Montesquieu dit seulement ce qui est, avant de dire ce qui devrait être.

« Dans l’état de nature, les hommes naissent bien dans l’égalité ; mais ils n’y sauraient rester. La société la leur fait perdre, et ils ne redeviennent égaux que par les lois. »1005

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

Montesquieu a plus souvent parlé de liberté que d’égalité – opposé en cela à Rousseau. Mais dans cette justification des lois dans la société, il existe un cousinage avec l’idée de base du Contrat social. Tout l’Ancien Régime étant fondé sur les privilèges (fiscaux et autres), donc sur un principe fondamental d’inégalité, seule une réforme littéralement révolutionnaire pouvait amener l’égalité. Des ministres éclairés en proposeront des amorces, sans pouvoir les imposer aux privilégiés qui conduiront inéluctablement « leur » régime à sa perte.

« L’État […] doit à tous les citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable, et un genre de vie qui ne soit pas contraire à sa santé. »1007

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

Dans cette œuvre de science politique, rien de moins abstrait que ces droits du citoyen ! Au nom d’un profond respect de la personne humaine, Montesquieu refuse les lettres de cachet, la torture, l’intolérance, le paupérisme, la guerre. Les révolutionnaires trouveront chez lui bien des sujets de réforme. Marat, qui écrit un Éloge de Montesquieu en 1785, répétera en 1789 qu’il fut le premier « à exiger les droits de l’homme et à attaquer la tyrannie. »

« Le gouvernement républicain est celui où le peuple en corps, ou seulement une partie du peuple, a la souveraine puissance ; le monarchique, celui où un seul gouverne, mais par des lois fixes et établies ; au lieu que dans le despotique, un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout par sa volonté et ses caprices. »1008

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

Cette classification des formes de gouvernements fonde tout l’édifice théorique du philosophe qui prend d’ailleurs parti : toujours et partout contre le despotisme, et selon les temps et les lieux, pour une république avec démocratie à l’antique, pour la constitution anglaise modèle XVIIIe siècle, pour une monarchie française revue, corrigée, modérée.

« Les hommes sont tous égaux dans le gouvernement républicain ; ils sont égaux dans le gouvernement despotique. Dans le premier, c’est parce qu’ils sont tout ; dans le second, c’est parce qu’ils ne sont rien. »1009

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

Montesquieu va largement inspirer l’Encyclopédie dans ses vues politiques, notamment quand elle condamne le despotisme, réserve la république aux petits États, loue la monarchie anglaise.

« Il ne faut pas beaucoup de probité pour qu’un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintienne ou se soutienne […] Mais dans un État [gouvernement] populaire, il faut un ressort de plus, qui est la vertu. »1010

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

Le grand mot est lâché. La vertu est, avec le bonheur, une des idées clés du siècle. Montesquieu précise cette notion complexe, cette valeur rare qui rend si difficile le régime républicain : « Ce que j’appelle la vertu dans la république est l’amour de la patrie, c’est-à-dire de l’égalité […] un renoncement à soi-même qui est toujours une chose très pénible […] demandant une préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre. »

Le destin d’un mot, le sort d’une idée échappent à l’auteur : Robespierre fera de la vertu l’âme de la Terreur dans une République dont il est pour un temps le maître absolu.
« Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. »1011

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

C’est le fameux principe de la séparation des pouvoirs : « Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps […] exerçait ces trois pouvoirs : celui de faire les lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. »

La constitution anglaise, monarchique en apparence, républicaine en réalité, présente un bon équilibre des trois pouvoirs : elle séduit fort le philosophe qui l’a vu fonctionner sur place. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (article 16) consacrera cette séparation des pouvoirs, en 1789.

« Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir. »1012

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

En plus de la séparation des pouvoirs, il souhaite leur équilibre : pouvoirs intermédiaires (noblesse, Parlements) face à l’arbitraire royal. D’où une monarchie tempérée, très loin du régime devenu despotique sous Mazarin, Richelieu, Louis XIV.

Les Monarchiens des premiers mois de la Révolution tenteront de faire triompher cette évolution qui aurait fait l’économie d’une révolution. Mais Condorcet, dès avant la Révolution, réfutait ce système de l’« équilibre » comme absurde : « Un esclave qui aurait deux maîtres, souvent divisés entre eux, cesserait-il d’être esclave ? »

« Le gouvernement est comme toutes les choses du monde ; pour le conserver, il faut l’aimer. »1013

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

Théorie mise à part, cette phrase qui est d’abord de grand bon sens explique tout, y compris le chaos politique du siècle des Lumières et la mort d’un Ancien Régime mal aimé de tous les Français, qu’ils soient du peuple ou des ordres privilégiés.

« C’est de l’esprit sur les lois », a dit Mme du Deffand qui tient le plus célèbre salon du siècle. C’est « le plus grand livre du XVIIIe siècle » écrira au XIXe le philosophe Paul Janet qui le place aussi haut que la Politique d’Aristote. Seule certitude, l’Encyclopédie à venir doit beaucoup à cette dernière œuvre de Montesquieu. Et pendant la Révolution, la vertu (au sens d’amour de la patrie) sera un maître mot.

Aujourd’hui encore, on se réfère à Montesquieu : pour sa classification des trois formes de gouvernement (républicain, monarchique, despotique) et pour son principe de la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire).

« Ce sont les différents besoins dans les différents climats, qui ont formé les différentes manières de vivre ; et ces différentes manières de vivre ont formé les diverses sortes de lois. »

MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)

La « théorie des climats » renvoie à divers auteurs depuis l’Antiquité - Montesquieu fut influencé par La Germanie de Tacite, l’un de ses auteurs favoris. Elle se retrouve en 3e partie de l’Esprit des lois, Livre XIV, chap. X.

Le climat pourrait influencer substantiellement la nature de l’homme et de sa société.  De cette constatation de bon sens, l’auteur tire (à tort) certaines lois :

« Les peuples des pays chauds sont timides comme les vieillards le sont ; ceux des pays froids sont courageux comme le sont les jeunes gens. »
« Ce sont les différents besoins dans les différents climats, qui ont formé les différentes manières de vivre ; et ces différentes manières de vivre ont formé les diverses sortes de lois. »

Montesquieu popularise la théorie d’une « force retentissante » appliquée au seul domaine politique, en faisant une clef de lecture des différences politiques entre sociétés. Certains climats sont supérieurs à d’autres, le climat tempéré de la France étant l’idéal. Les peuples vivant dans les pays chauds ont tendance à s’énerver, alors que les habitants des pays du nord sont rigides…

Montesquieu qui esquissa l’idée dans les Lettres persanes lui donna une place importante dans L’Esprit des lois.

Critiques

« Pour l’utilité de mon empire, j’ai pillé le livre de Montesquieu sans le nommer. J’espère que si, de l’autre monde, il me voit travailler, il me pardonnera ce plagiat, pour le bien de vingt millions d’hommes. Il aimait trop l’humanité pour s’en formaliser. Son livre est mon bréviaire. »13

CATHERINE II de Russie (1729-1796), Correspondance, Lettre à D’Alembert

Elle s’adresse au préfacier de l’Encyclopédie, lui envoyant sa fameuse Instruction pour le nouveau code (le Nakaz), inspiré de l’Esprit des lois dont elle admire plus que tout la raison pure. L’impératrice reprend le principe de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, et condamne le servage à défaut de l’abolir – mais au cours de son règne, les conditions faites aux serfs de Russie furent aggravées.

Même avis partagé avec Mme Geoffrin, salonnière en vue : « Le nom du président de Montesquieu prononcé dans votre lettre m’a arraché un soupir. Son Esprit des lois est le bréviaire des souverains, pour peu qu’ils aient le sens commun. »

Rangée parmi les « despotes éclairés » du siècle des Lumières (avec Frédéric II en Prusse et Joseph II en Autriche), Catherine la Grande correspondit longuement avec Voltaire et aida financièrement Diderot, lui achetant sa bibliothèque en 1765 et la laissant à sa disposition, tout en lui versant une pension substantielle en tant que bibliothécaire. En 1773, il séjournera cinq mois à St-Pétersbourg.

Toutes ses relations avec les philosophes des Lumières ont servi son image. Mais le despotisme éclairé fut une illusion déçue. L’avènement de la raison et de l’État rationnel aboutit à la raison d’État, cynique et autoritaire. Montesquieu l’aurait déploré avant tous ses confrères.

« Avouons avec Mme du Deffand que souvent l’Esprit des lois est de l’esprit sur les lois. »

VOLTAIRE (1694-1778), Commentaire sur l’Esprit des lois (1777)

Ce n’est qu’un mot signé et contresigné de ces deux beaux esprits qui ne résistent jamais à la tentation. Mais c’est faux. La postérité rendra justice à l’œuvre de Montesquieu.

« Né sous un gouvernement doux, vivant dans une société éclairée où le souvenir des factions était lointain et où le despotisme qui les avait réprimées n’était plus présent ou du moins sensible, il accommoda légèrement l’humanité à son désir. »

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), Les Lumières et les salons, Causeries du lundi, t. VII

« Prenons L’Esprit des lois pour ce qu’il est, une œuvre de pensée et de civilisation. » Mais il est trop fin critique pour ne pas contextualiser l’œuvre dans la vie de Montesquieu et déceler le point faible ! 

« Au début de L’Esprit des lois, il va jusqu’à dire que les premiers hommes supposés sauvages et purement naturels sont avant tout timides et ont besoin de la paix : comme si la cupidité physique, le besoin et la faim, ce sentiment aveugle que toute jeunesse a de sa force, et aussi cette rage de domination qui est innée au cœur humain ne devaient pas engendrer dès l’abord les rixes et les guerres. Cette critique est fondamentale et porte sur tout L’Esprit des lois. Montesquieu accorde trop non seulement en-dehors, mais en secret et dans sa propre pensée, au décorum de la nature humaine. »

Reste que l’œuvre est (pré)révolutionnaire, alors même que Montesquieu ne l’était pas plus que Voltaire et beaucoup moins que Rousseau

« Le livre de Montesquieu, avec tous ses défauts, allait déjouer les craintes et surpasser les espérances de ses amis mêmes. Il y a des ouvrages qu’il ne faut pas voir de trop près : ce sont des monuments. »

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804-1869), Les Lumières et les salons, Causeries du lundi, t. VII

Élégante formule pour prévenir le lecteur du danger de cette littérature… Aussi peu révolutionnaire que Sainte-Beuve, le vicomte Louis de Bonald (17541840) affirmait que « Depuis l’Évangile jusqu’au Contrat social, ce sont les livres qui ont fait les révolutions. »

En fait, les philosophes des Lumières n’étaient pas révolutionnaires, mais leur pensée le devint, diffusée par leurs œuvres. En schématisant : à Voltaire le temps de la pré-Révolution ; Montesquieu triomphe sous la Constituante où Diderot aussi a son heure ; puis Législative et Convention s’inscrivent sous le signe de Rousseau qui inspire jusqu’à l’élan des discours jacobins – le Contrat social était le livre de chevet de Robespierre.

« Véritable somme politique, De l’esprit des lois (1748) est le chef-d’œuvre de Montesquieu. L’auteur y engage tout à la fois une réflexion sur les différents gouvernements, une enquête sur les sociétés humaines et une analyse comparée des lois, afin de former tout homme à évaluer l’intervention législatrice. »

Denis de CASABIANCA, présentation de Montesquieu, De l’esprit des lois. Anthologie (2019)

Professeur de philosophie au lycée et en classes préparatoires à Marseille, ses recherches portent sur l’histoire des sciences et des idées politiques au XVIIIe siècle. Dans Apprendre autrement à philosopher (2022), il s’inspire de la pédagogie Freinet dont les techniques se révèlent particulièrement fécondes pour apprendre à « penser par soi-même ». Et Montesquieu se révèle un philosophe indispensable.

« En s’attachant à saisir ‘l’esprit des lois’ – ou rapports que les lois entretiennent avec le climat, la religion, les mœurs, les richesses et le commerce de chaque peuple –, il propose une manière nouvelle d’appréhender la réalité sociale… qui semble aujourd’hui encore novatrice, tant le sujet est considérable. »

Laissons-lui le mot de la fin, le plus court et le plus juste qui soit.

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