Qui a dit quoi de Qui ? (1. Gaule et Moyen Âge) | L’Histoire en citations
Édito de la semaine

 

Un personnage parle d’un autre personnage.
Exemple type : « Un fou a dit « Moi, la France » et personne n’a ri parce que c’était vrai. » François Mauriac évoquant de Gaulle en juin 1940.

Le premier « qui » est quelquefois le peuple (acteur anonyme) s’exprimant en chanson, pamphlet, slogan, épitaphe. Le second « qui » peut être un groupe, une assemblée, une armée à qui le discours est destiné.
Si les deux « qui » sont identiques, c’est un autoportrait, une profession de foi politique, parfois une devise.
Les lettres (Correspondance) et Mémoires (sous diverses formes) sont des sources précieuses, les « mots de la fin » livrent une ultime vérité sur l’auteur.

Dans ce défilé de Noms plus ou moins connus ou célèbres, le ton passe de l’humour à la cruauté avec ces citations référentielles ou anecdotiques, mais historiquement toujours significatives.
« Qui a dit quoi de Qui » est une version résumée en 12 éditos de notre Histoire en citations – « quand, comment et pourquoi » donnant l’indispensable contexte.

Ça peut aussi devenir un jeu : « Qui a dit quoi de Qui ». À vous de voir.

1. Gaule et Moyen Âge.

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Gaule (VIe siècle av. J.-C. - 481 apr. J.-C.)

« Prends-les ! Je suis brave, mais tu es plus brave encore, et tu m’as vaincu. »23

VERCINGÉTORIX (vers 82-46 av. J.-C.), jetant ses armes aux pieds de César, fin septembre 52 av. J.-C., à Alésia. Abrégé de l’histoire romaine depuis Romulus jusqu’à Auguste, Florus

Ces mots du vaincu au vainqueur et rapportés par lui dans ses Commentaires de la guerre des Gaules servent d’épilogue à la brève épopée du guerrier gaulois, face au plus illustre des généraux romains. Dans ce premier cas du « Qui a dit quoi de qui », les deux noms sont également célèbres.

Grand stratège en même temps qu’historien souvent cité, César est parvenu à enfermer Vercingétorix et son armée à Alésia (en Bourgogne). L’armée de secours, mal préparée, est mise en pièces par César qui exagère les chiffres : 246 000 morts chez les Gaulois, dont 8 000 cavaliers. Vercingétorix juge la résistance inutile et se rend pour épargner la vie de ses hommes – quelque 50 000, mourant de faim après quarante jours de siège.

La chute d’Alésia marque la fin de la guerre des Gaules et l’achèvement de la conquête romaine. Mais le mythe demeure bien vivant, en France : Vercingétorix, redécouvert par les historiens au XIXe siècle et popularisé jusque dans la bande dessinée, est notre premier héros national.

« Sa courte vie de combattant eut cette élégante beauté qui charmait les Anciens et qui était une faveur des Dieux. »24

Camille JULLIAN (1859-1933), Vercingétorix (1902)

Auteur de la première biographie savante de Vercingétorix alors que la Troisième République élabore notre récit national, il juge ainsi sa carrière de chef de guerre. L’épopée n’a duré que dix mois et finit mal.

Emmené captif à Rome, le vaincu est jeté dans un cachot où il attendra six ans, pour être finalement exhibé comme trophée lors du triomphe de César, puis décapité en 46 av. J.-C. : « Vae Victis ! »

« Je suis chrétienne et chez nous, il n’y a rien de mal. »32

BLANDINE (??-177), à ses juges, Lyon, 177. Histoire ecclésiastique, Eusèbe de Césarée

Évêque, écrivain et grand érudit, Eusèbe cite la lettre d’un témoin des martyrs de Lyon, qui se complaît dans la description des monstrueux supplices subis par 48 chrétiens. Parmi eux Blandine, jeune et frêle esclave, montre une constance incroyable : livrée aux bêtes qui n’en veulent pas, exposée au gril, offerte à un taureau sauvage qui la lance en l’air avec ses cornes, elle est finalement achevée par le glaive. Blandine deviendra sainte patronne de Lyon.

Dans cette plaidoirie face à ses juges, elle parle aussi au nom de cette « secte » qui va donner naissance à la nouvelle religion. Un siècle de persécution commence, ne concernant qu’une minorité : le pays est peu christianisé au IIe siècle, les dieux romains résistent. Les grands apôtres de la Gaule (Denis, Gatien, Martial, Hilaire) apparaîtront à partir du IIIe siècle.

« Tu as vaincu, Galiléen. »37

JULIEN l’Apostat (331-363), mourant en 363. Histoire de France, tome XVIII (1878), Jules Michelet

Mot de la fin du plus redoutable ennemi du christianisme naissant. Un empereur romain connu apostrophe en mourant le personnage le plus célèbre de l’Histoire (du monde) !

Julien a échappé au massacre de sa famille, ordonné par son cousin Constance II, fils et successeur de Constantin Ier. Éloigné de la cour, le jeune prince se passionne pour la philosophie néoplatonicienne, alors qu’une éducation chrétienne trop sévère lui fait prendre cette religion en horreur. Excellent guerrier, il écrase les Alamans (hordes germaniques) à Strasbourg (357) et ses soldats le proclament empereur. La mort de son cousin fait de lui le seul maître de l’Empire (361). Il se rallie les hérétiques et s’efforce de rétablir les anciens cultes païens, d’où son surnom d’Apostat.

En guerre contre les Parthes (maîtres de l’ancien Empire perse) et en pleine débâcle de l’ennemi, Julien est atteint par un javelot. Il se croit frappé par une main invisible : le Galiléen Jésus le châtie pour avoir renié le christianisme. C’est avouer symboliquement son emprise ! Hormis ce règne bref, l’évangélisation des villes, puis des campagnes, se poursuit en Gaule. Toute la période suivante sera profondément chrétienne.

Moyen Âge (481-1483)

« Tu n’auras rien, si ce n’est par la justice du sort. »71

Un de ses soldats à Clovis, vers 486, après la bataille de Soissons. Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours

Le « Père de l’histoire de France » relate ce fait, l’un des plus célèbres de notre histoire. Révélateur des mœurs du temps et du caractère de Clovis, il va se jouer en deux actes relatés dans tous les manuels scolaires et dûment imagés, depuis le XIXe siècle.

Clovis et ses guerriers pillent églises et couvents. Ils vont se partager le butin par tirage au sort, comme il est de coutume après la bataille. Le chef Clovis réclame pour lui un vase sacré – sans doute pour le rendre à l’évêque de Reims. Après avoir brisé (ou bosselé) l’objet précieux d’un coup de sa francisque (hache), le soldat lui lance cette impertinente réplique.

« Souviens-toi du vase de Soissons. »72

CLOVIS (vers 465-511), vers 486. Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours

Clovis n’a pas pardonné l’affront infligé après la bataille, quand il passe ses troupes en revue et reconnaît l’insolent. Lui reprochant la mauvaise tenue de ses armes, il jette au sol sa francisque. Le soldat se baissant pour la ramasser, Clovis lui brise le crâne d’un coup de hache, en prononçant ces paroles. Selon une autre version, il lui aurait crié : « Voilà ce que tu as fait au vase de Soissons. »

Ce geste brutal est diversement interprété : preuve de la barbarie de ce roi païen ou manifestation d’autorité d’un futur chrétien ? Toutes les versions sont possibles, ce personnage célèbre de notre Histoire restant malgré tout un inconnu, faute de sources fiables.

« Il a été baptisé au nom de votre Christ. Il faudra donc qu’il meure, comme meurt tout ce qui est voué à ce malfaisant personnage. »73

CLOVIS (vers 465-511), à Clotilde. Sainte Clotilde (1905), Godefroy Kurth

En 493, Clovis a épousé Clotilde, nièce de Gondebaud le roi des Burgondes. Chrétienne (et future sainte), elle fait baptiser leur fils né l’année suivante. L’enfant meurt bientôt, ce qui attire à la reine cette remarque de son époux, encore farouchement païen. Mais dans l’histoire (et bien avant Henri IV), une victoire vaut bien une messe…

« Dieu de Clotilde, si tu me donnes la victoire, je me ferai chrétien. »74

CLOVIS (vers 465-511), invoquant le Dieu de sa femme chrétienne, bataille de Tolbiac, 496. Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours

Le mot est peut-être légendaire, mais nombre de mots (présumés apocryphes) ont une valeur symbolique et méritent d’être cités. Et quand notre premier roi s’adresse à Dieu…

Clovis s’apprête à repousser les Alamans (futurs Allemands), tribu germanique qui ne cesse de faire des incursions sur la rive gauche du Rhin. L’affrontement des deux armées tourne au massacre et Clovis redoute la défaite. D’où ce mot lancé au Ciel.

Ce premier roi du Moyen Âge semble avoir avec Dieu les mêmes rapports que le dernier, mille ans plus tard : Louis XI, très croyant et fort superstitieux, en constant marchandage avec la Vierge ou saint Michel archange.

« Tout lui réussissait, parce qu’il marchait le cœur droit devant Dieu. »60

GRÉGOIRE de tours (538-594), Histoire des Francs (Historia Francorum)

Il parle en historien, mais juge aussi en évêque. La religion imprègne sa vie, de même qu’elle marque fortement toute cette époque, à commencer par notre premier roi !

Clovis, converti après sa « miraculeuse » victoire de Tolbiac, se montre assez ardent dans sa nouvelle religion pour que l’évêque de Tours rende ainsi hommage à cet ancien barbare. D’autres historiens confirment.

« Il avait reçu une peuplade barbare, il a laissé une grande nation chrétienne. »62

Mathieu Maxime GORCE (1898-1979), Clovis (1935)

La remarque de cet historien français (citant l’historien belge G. Kurth) définit l’apport de Clovis. Héritier d’un modeste royaume entre mer du Nord, Escaut et Cambrésis, il l’agrandit considérablement au terme d’une série de grandes victoires sur les Alamans, les Wisigoths et autres barbares.
S’étant par ailleurs converti, il gagne l’appui de ses sujets gallo-romains et favorise l’expansion de la religion qui procure à la royauté, avec ses grands évêques et ses puissants abbés, un ferment d’unité. Sous son règne – et la tendance se confirmera avec ses successeurs – se produit un double mouvement : la « barbarisation » de la romanité et la « romanisation » des barbares. La France en naîtra.

Autre grand personnage du Moyen Âge et sans doute le plus célèbre, Charlemagne !

« Il respirait dans toute sa personne, soit qu’il fût assis ou debout, un air de grandeur et de dignité. »63

ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)

« Ayant formé le projet d’écrire la vie, l’histoire privée et la plupart des actions du maître qui daigna me nourrir, le roi Charles, le plus excellent et le plus justement fameux des princes, je l’ai exécuté en aussi peu de mots que je l’ai pu faire ; j’ai mis tous mes soins à ne rien omettre des choses parvenues à ma connaissance, et à ne point rebuter par la prolixité les esprits qui rejettent avec dédain tous les écrits nouveaux. »

Ainsi commence la préface de cette biographie en deux parties : les guerres menées par Charlemagne ; le portrait de l’empereur, la vie à la cour, son testament. C’est un très précieux document, contemporain des faits et gestes relatés, comme nombre de chroniques à venir.

Secrétaire et ministre de Charlemagne, Éginhard nous décrit dans sa Vita Caroli magni imperatoris l’illustre Carolingien, « gros, robuste, d’une taille élevée mais bien proportionnée […] les yeux grands et vifs, le nez un peu long, une belle chevelure blanche, une physionomie avenante et agréable ». Mais nulle allusion à la légendaire « barbe fleurie ».

« Il savait résister à l’adversité et éviter, quand la fortune lui souriait, de céder à ses séductions. »64

ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)

Le portrait moral du héros ne le cède en rien au portrait physique. Il paraît avoir méprisé le luxe des vêtements, si l’on en juge par le témoignage du moine de Saint-Gall qui nous a laissé une vie de Charlemagne (De gestis Caroli Magni). À des invités vêtus de soie, trempés par la pluie, il dit : « Insensés, quel est maintenant le plus précieux et le plus utile de nos habits ? Est-ce le mien que je n’ai acheté qu’un sou, ou les vôtres qui vous ont coûté des livres pesant d’argent ? » D’autres « pris sur le vif » nous font revivre l’homme et son œuvre – et corriger en passant une grave erreur.

« Passionné pour la science, il eut toujours en vénération et comblait de toutes sortes d’honneurs ceux qui l’enseignaient. »65

ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)

L’empereur mène une véritable politique culturelle, au point que l’on voit en son siècle une « Renaissance carolingienne ». Autodidacte mais fort savant, ayant appris la rhétorique, la dialectique, le grec, le latin, l’astronomie, il compose même une grammaire de la langue franque.

Se fondant sur une remarque d’Éginhard, mal traduite (du latin) et mal comprise, certains vulgarisateurs ont prétendu qu’il savait à peine écrire. En réalité, cette remarque signifie que même à un âge avancé, l’empereur s’exerçait à la calligraphie, pour atteindre cette perfection propre aux scribes avec lesquels il ne put cependant rivaliser.

« Ne nous laissons pas engourdir dans un repos qui nous mènerait à la paresse. »67

CHARLEMAGNE (742-814). De gestis Caroli Magni, moine de Saint-Gall

L’empereur est avant tout un homme d’action, comme en témoigne le mot que ce biographe anonyme met dans sa bouche. Au sortir de la messe, un dimanche, alors qu’il se trouve à Aquilée en Italie, il invite ainsi ses courtisans parés de beaux atours à le suivre sans plus tarder à la chasse.
Charlemagne fut un guerrier sans cesse en campagne (jusqu’en 800, où ses fils le relaient souvent), un remarquable organisateur militaire et un grand politique. Autant de bonnes raisons pour l’admiration que lui vouera Napoléon péchant plus par anachronisme que par orgueil : un tel empire appartenait au Moyen Âge et même à cette époque, il se révéla bien fragile, après la mort de son fondateur.

Troisième personnage principal du Moyen Âge, Philippe II dit Auguste, septième roi de la dynastie des Capétiens.

« Il fut jaloux et amoureux de la foi chrétienne dès les premiers jours de sa jeunesse ; il prit le signe de la croix […] et le cousit à ses épaules pour délivrer le sépulcre, et puis souffrit peines et travail pour Notre Seigneur. »143

Grandes Chroniques de France, Éloge funèbre de Philippe Auguste (1223)

Allusion à sa participation à la troisième croisade en 1189 et à la prise de Saint-Jean-d’Acre en Terre sainte. Mais les historiens contemporains mettent en avant bien d’autres actions : « L’entreprise de paver Paris doit être comptée parmi les actions les plus louables de Philippe Auguste » selon Simonde de Sismondi dans son Histoire des Français (1821-1844). « Dans aucune autre entreprise peut-être il n’eut plus en vue l’utilité publique, la santé et l’aisance de tous les habitants. » Paris lui doit aussi le Louvre et une nouvelle enceinte (avec la tour de Nesle).

De façon plus générale, l’historien voit en lui « le premier des rois qui semble avoir senti que sa dignité lui imposait quelques devoirs envers son peuple et que l’argent qu’il recueillait ne devait pas être uniquement employé à ses plaisirs ou à ses caprices ».

« On pouvait se demander si le roi aimait son peuple plus que son peuple n’aimait son roi. Il y avait entre eux comme une émulation amoureuse. On ne pouvait savoir lequel des deux était le plus cher à l’autre […] tant était tendre l’affection qui les unissait l’un à l’autre par des liens parfaitement purs. »144

GUILLAUME le Breton (vers 1165-1226), La Philippide

Ainsi s’exprime le chroniqueur quelque peu courtisan, dans cette épopée écrite après la victoire de Bouvines (1214) dont il fut témoin. Philippe Auguste avait confisqué en 1202 les fiefs très étendus que le roi d’Angleterre Jean sans Terre possédait en France – il avait refusé de rendre justice à un vassal du roi de France. La Guerre de Cent Ans (1337-1453) sera l’ultime épisode de ces conflits entre les deux dynasties des Capétiens et des Plantagenêts.

« Il accrût et multiplia merveilleusement le royaume de France ; il soutint et garda merveilleusement la seigneurie et le droit et la noblesse de la couronne de France. »145

Grandes Chroniques de France, Éloge funèbre de Philippe Auguste (1223)

Le long règne de Philippe Auguste (1180-1223) s’est soldé par le quadruplement du domaine royal, l’assainissement de la trésorerie (confiée aux Templiers), la fortification des villes et la lutte contre les féodaux.

Un contemporain impartial, Gilles de Paris, précepteur du fils de Philippe Auguste, confirme : « Personne ne peut nier qu’il ait été un bon prince. Sous sa domination, le royaume s’est fortifié, la puissance royale a fait de grands progrès. » Mais nul n’est parfait…

« S’il avait montré un peu de modération, s’il avait été moins intolérant et emporté, aussi calme qu’il était actif, aussi prudent qu’il était ardent à satisfaire ses désirs, le royaume n’en serait qu’en meilleur état. »146

GILLES de Paris (1162-1220), Le Carolinus. Philippe Auguste et son temps (réédité en 1980), Achille Luchaire. Jugement porté au moment de la mort du roi par le précepteur du futur roi, Louis VIII de France

Philippe dit Auguste reste comme un roi aux manières rudes, peu soigné de sa personne – surnommé le « maupigné », autrement dit le mal peigné. Il n’était guère amateur des trouvères et autres poètes et musiciens, d’habitude entretenus par les princes mécènes. Réaliste, il aura été fort habile à éviter les coalitions ou à démanteler celles qui se nouent. Énergique, décidé, il reste malgré tout dans l’histoire comme un bon et grand roi.

Un quatrième personnage incarne plus encore le Moyen Âge et reste dans la mémoire collective par le témoignage d’un chroniqueur parmi les plus connus, le « Qui a dit quoi de qui » fonctionnant particulièrement bien.

« Jamais ne vis si beau chevalier sous les armes, car il dominait toute sa suite des épaules, son heaume doré sur le chef, son épée en la main. »150

Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis

On n’imagine pas Louis IX, le futur saint Louis, dans ce rôle qui fait partie du métier de roi jusqu’à Louis XIV : ici en guerrier à la bataille de Mansourah (1250). Joinville l’accompagne en Égypte et l’admire déjà, lors de la septième croisade (1248). C’est plus tard, à la demande de la reine Jeanne (femme de Philippe le Bel) qu’il dictera cette histoire de Saint Louis, achevée en 1309.

« Maintes fois il lui arriva, en été, d’aller s’asseoir au bois de Vincennes, après avoir entendu la messe ; il s’adossait à un chêne et nous faisait asseoir auprès de lui ; et tous ceux qui avaient un différend venaient lui parler sans qu’aucun huissier, ni personne y mît obstacle. »151

Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis

Jean, sire de Joinville en Champagne, avait suivi son seigneur Thibaud de Champagne à la cour du roi. Très pieux, il décida de partir avec les chevaliers chrétiens pour la septième croisade en Égypte - c’est alors que Louis IX l’attache à sa personne, comme confident et conseiller.

La partie anecdotique de sa chronique, la plus touffue, se révèle aussi la plus riche et cette page, l’une des plus connues de l’œuvre. Témoin direct des faits rapportés, l’historien campe un roi vivant et vrai, humain et sublime à la fois. Il sera très utile, après la mort du roi, pour l’enquête qui va suivre à la demande du pape Boniface VIII et aboutira au procès en canonisation.

« Chère fille, la mesure par laquelle nous devons Dieu aimer, est aimer le sans mesure. »152

LOUIS IX (1214-1270), Dernière lettre écrite à sa fille, 1270. Histoire de France, tome II (1833), Jules Michelet

Outre le roi guerrier à la tête des croisés et l’administrateur veillant au bon état du royaume, c’est l’image d’une exceptionnelle piété qui reste, maintes fois attestée par Joinville. Lors du procès en canonisation (1297), un témoin résuma le personnage en ces mots : « Il avait exercé à la manière d’un roi le sacerdoce, à la manière d’un prêtre la royauté. »

Mais notre futur saint Louis était aussi un homme fort épris de sa femme et singulièrement gêné par une mère certes adorée, mais abusive.

« Elle ne pouvait souffrir que son fils fût en la compagnie de sa femme, sinon le soir quand il allait coucher avec elle. »210

Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis

Toujours précieux et fidèle chroniqueur du règne de Louis IX, il donne maints exemples de cette fameuse jalousie d’une mère par ailleurs admirable. Blanche de Castille supporte mal Marguerite de Provence, cette épouse qu’elle a pourtant choisie pour son fils adoré : le mariage apporta la Provence à la France, en 1234.

« Hélas ! Vous ne me laisserez donc voir mon seigneur ni morte ni vive ! »211

MARGUERITE de PROVENCE (1221-1295), à Blanche de Castille, 1240. Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume), Jean de Joinville

Cri du cœur de la reine, quand sa belle-mère veut arracher Louis de son chevet ! Elle venait d’accoucher et « était en grand péril de mort ». La reine donnera douze enfants au roi, dont sept vivront.

La régence de Blanche de Castille s’est achevée à la majorité du jeune roi qui la laisse gouverner encore pendant huit ans. Elle sera de nouveau régente, quand son fil part à la croisade en 1248. Marguerite accompagnera son seigneur, sûre de pouvoir ainsi le voir et l’avoir bien à elle – une raison avancée par certains historiens.

« Grand péché firent ceux qui lui conseillèrent la croisade, vu la grande faiblesse de son corps. »223

Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume)

Joinville n’est pas de cette dernière aventure, ayant tenté de dissuader le roi de partir avec ses trois fils, persuadé qu’il est plus utile en France, à ses sujets.

Le roi n’écoute pas son ami et conseiller, il s’embarque le 1er juillet 1270 pour la huitième (et dernière) croisade, dans l’espoir de convertir le sultan de Tunisie. « Jérusalem… » Tel est mot de la fin devant Tunis, 25 août 1270. Le futur Saint Louis meurt à 56 ans.

« À qui se pourront désormais
Les pauvres gens clamer
Quand le bon roi est mort
Qui tant sut les aimer. »225

Complainte  anonyme sur la mort de Louis IX (1270). Histoire générale du IVe siècle à nos jours (1901), Ernest Lavisse, Alfred Rambaud

Les vertus unanimement reconnues de ce roi conduiront à sa rapide canonisation par le pape Boniface VIII.

Mais il faut des rois de transition, entre les grands rois. Le règne du successeur commence mal : « Le fils de Saint Louis, Philippe le Hardi, revenant de cette triste croisade de Tunis, déposa cinq cercueils au caveau de Saint-Denis. Faible et mourant lui-même, il se trouvait héritier de presque toute sa famille. » (Michelet, Histoire de France).

Outre son père Louis IX, le nouveau roi a perdu sa femme, un enfant mort-né, son beau-frère et ami le roi de Navarre et la femme de ce dernier. Ce règne si mal commencé ne continue pas mieux : échec de la candidature de Philippe II le Hardi à l’empire (1273), massacres des Français en Sicile (1282), défaite de la France contre l’Aragon (1285).

Le prochain grand roi sera le petit-fils de Saint Louis, en 1285.

« Nous qui voulons toujours raison garder. »229

PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), Lettre au roi d’Angleterre Édouard Ier, 1er septembre 1286. Histoire de la France (1947), André Maurois

Il écrit ces mots à 18 ans, son destinataire en a 47. L’un des premiers actes du jeune roi est de rendre à son « cousin » une partie des terres lui revenant (entre Quercy, Limousin et Saintonge) au terme d’un précédent traité non appliqué. Le roi d’Angleterre, par ailleurs duc de Guyenne, est vassal du roi de France pour toutes ses possessions dans le pays, d’où des relations complexes – il faut ménager la susceptibilité de l’un ou l’autre souverain ! Cette lettre fait suite à la visite d’Édouard Ier venu à Paris rendre hommage à son nouveau suzerain, après divers remous diplomatiques.

Le même précepte est repris par Philippe le Bel dans ses Enseignements aux dauphins. Richelieu confirmera plus tard : « La raison doit être la règle et conduite d’un État. »

Reste le proverbe, débarrassé du « nous » royal, mais gardant l’inversion quelque peu vieille France : « Il faut toujours raison garder. »

« Ce n’est ni un homme ni une bête, c’est une statue. »230

Bernard SAISSET (vers 1232-vers 1311), parlant de Philippe le Bel. Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache

L’évêque de Pamiers est ami du pape Boniface VIII qui a créé cet évêché pour lui. Le portrait qu’il fait du roi, ennemi déclaré du pape, est fatalement partial.

Mais les adversaires de Philippe le Bel l’appelleront souvent « roi de fer » ou « roi de marbre », il doit donc y avoir une part de vérité dans ce portrait.

« Fervent dans la foi, religieux dans sa vie, bâtissant des basiliques, pratiquant les œuvres de piété, beau de visage et charmant d’aspect, agréable à tous, même à ses ennemis quand ils sont en sa présence, Dieu fait aux malades des miracles évidents par ses mains. »231

Guillaume de NOGARET (vers 1260-1313), à propos de Philippe IV le Bel. Mémoire à propos de l’affaire du pape Boniface, archives de Guillaume de Nogaret

Chancelier de 1302 à 1313, Nogaret trace ce portrait (flatteur) de son maître. En réalité, le personnage demeurera une énigme pour les historiens. Disons qu’il savait bien cacher son jeu.

En fait, ce roi législateur s’inspirant des « bons usages du temps de Saint Louis » a des principes qui ne résistent pas devant les réalités. C’est le lot de la plupart des hommes d’État, surtout quand ils restent longtemps au pouvoir – trente ans, pour Philippe le Bel.

L’histoire retiendra à son passif trois grandes affaires de nature différente : son conflit aigu avec la papauté, le (mauvais) procès fait aux Templiers surtout coupables d’être trop riches et les manipulations monétaires.

« Le roi est un faux-monnayeur et ne pense qu’à accroître son royaume sans se soucier comment. »236

Bernard SAISSET (vers 1232-vers 1311), 12 juillet 1301. Philippe le Bel et le Saint-Siège de 1285 à 1304 (1936), Georges Alfred Laurent Digard

Philippe le Bel a gardé cette réputation de faux-monnayeur et ce n’est ni médisance ni légende. Le faux-monnayage royal consiste, lors de la refonte de pièces de monnaie, à diminuer leur poids en métal précieux, tout en conservant leur valeur légale. Certaines années, entre 1295 et 1306, la moitié des recettes royales vient de ce bénéfice sur le monnayage. Bien plus tard, on recourra à la planche à billets. Ces mesures sont toujours impopulaires et Philippe le Bel n’est pas un roi aimé du peuple. Mais avec l’argent ainsi acquis, le roi peut financer des guerres lui permettant d’agrandir son royaume – critère d’un bon roi au Moyen Âge.

Cela dit, les relations vont se tendre entre le roi et le pape. Saisset, évêque de Pamiers et ami de Boniface VIII, est emprisonné, accusé de complot et propos injurieux contre le roi. Le pape, homme de caractère, va réagir l’année suivante, par la bulle Ausculta fili carissime (Écoute, mon très cher fils…).

La dynastie des Capétiens s’éteint en 1328, celle des Valois commence et le dernier grand roi du Moyen Âge sera Louis XI. Mais entre-temps, la guerre de Cent Ans commence et la France est très menacée par l’ennemi anglais.

« Le jeune roi était né vieux. Il avait de bonne heure beaucoup vu, beaucoup souffert. De sa personne, il était faible et malade. Tel royaume, tel roi. »306

Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1837)

Jean II le Bon meurt le 8 avril 1364 à Londres où il s’est rendu en décembre 1363 pour prendre la place de son fils Louis d’Anjou – otage des Anglais au terme du traité de paix de Brétigny, le roi s’était enfui, violant son serment.

Malgré sa constitution fragile, le futur Charles V fait preuve lors de sa régence d’un grand sens politique face à Étienne Marcel prévôt des marchands de Paris, à Charles le Mauvais roi de Navarre et aux Anglais.

« Je ne regrette en mourant que de n’avoir pas chassé tout à fait les Anglais du royaume comme je l’avais espéré ; Dieu en a réservé la gloire à quelque autre qui en sera plus digne que moi. »314

Bertrand du GUESCLIN (1320-1380), son mot de la fin, le 13 juillet 1380. Histoire de Bertrand du Guesclin (1787), Guyard de Berville

Le connétable (grand officier de la Couronne et commandant suprême des armées royales) assiège la place forte de Châteauneuf-de-Randon (Lozère). Victime d’une congestion brutale, il remet son épée au maréchal de Sancerre, pour qu’il la rende au roi dont il demeure « serviteur et le plus humble de tous ». Restent aux Anglais la Guyenne (Aquitaine), Brest, Cherbourg, Calais.

Le gouverneur anglais de la ville avait dit qu’il ne se rendrait qu’à lui : il déposera les clefs de la cité sur son cercueil. Du Guesclin voulait être enterré en Bretagne, mais Charles V ordonne que sa dépouille rejoigne celle des rois de France, en la basilique de Saint-Denis. Insigne et ultime honneur.

« Vainqueur de gens et conquéreur de terre,
Le plus vaillant qui onques fut en vie,
Chacun pour vous doit noir vêtir et querre [chercher].
Pleurez, pleurez, fleur de la chevalerie. »315

Eustache DESCHAMPS (vers 1346-vers 1406), Ballade sur le trépas de Bertrand Du Guesclin

Capitaine puis connétable, ce guerrier incarna le sentiment patriotique naissant. Aîné d’une fratrie bretonne de dix enfants, surnommé le Dogue noir de Brocéliande pour sa laideur remarquable et sa brutalité qui fit la honte de sa famille, il gagna le respect de la noblesse par son courage, sa force et sa ruse, pour devenir le type du parfait chevalier, héros populaire dont poèmes et chansons célèbrent les hauts faits. Cette ballade à sa gloire est l’œuvre la plus connue d’Eustache Deschamps, poète prolixe et très en vue à la cour et « huissier d’armes » du roi Charles V.

« Rien ne m’est plus, plus ne m’est rien. »320

Valentine VISCONTI (1368-1408), duchesse d’Orléans, janvier 1408. Sa devise. Chroniques (posthume, 1826), Enguerrand de Monstrelet

Elle a vainement demandé justice auprès du roi, suite à l’assassinat de son mari. Elle prend cette triste devise inscrite sur la dalle mortuaire et va sans fin se recueillir devant le gisant du duc. Elle mourra l’année suivante.

Mais auparavant, la veuve et son fils Charles d’Orléans veulent venger cette mort. Charles a épousé la fille du comte d’Armagnac et ils vont pouvoir compter sur les routiers gascons, mercenaires du comte. Ainsi commence la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons qui va ensanglanter durablement la France sous la guerre de Cent Ans.

« Une enfant de douze ans, une toute jeune fille, confondant la voix du cœur et la voix du ciel, conçoit l’idée étrange, improbable, absurde si l’on veut, d’exécuter la chose que les hommes ne peuvent plus faire, de sauver son pays. »334

Jules MICHELET (1798-1874), Jeanne d’Arc (1853)

Devenue notre première héroïne nationale, le personnage inspire ses plus belles pages à l’historien du XIXe siècle : « Née sous les murs mêmes de l’église, bercée du son des cloches et nourrie de légendes, elle fut une légende elle-même, rapide et pure, de la naissance à la mort. »

D’autres historiens font de Jeanne une bâtarde de sang royal, peut-être la fille d’Isabeau de Bavière et de son beau-frère Louis d’Orléans, ce qui ferait d’elle la demi-sœur de Charles VII. Mais princesse ou bergère, c’est un personnage providentiel qui va galvaniser les énergies et rendre l’espoir à tout un peuple – et d’abord à son roi.

« Je vous dis, de la part de Messire, que vous êtes vrai héritier de France et fils du roi. »338

JEANNE d’ARC (1412-1431), 8 mars 1429. Jeanne d’Arc (1870), Frédéric Lock

Tels sont les derniers mots qu’elle prononce lors du premier entretien avec le dauphin, et dont elle fera état plus tard à son confesseur.

Jeanne a rendu doublement confiance à Charles : il est bien le roi légitime de France et le fils également légitime de son père, lui qu’on traite toujours de bâtard.

« Dieu premier servi. »339

JEANNE d’ARC (1412-1431), devise. Jeanne d’Arc : le pouvoir et l’innocence (1988), Pierre Moinot

Ni l’Église, ni le roi, ni la France, ni rien ni personne d’autre ne passe avant Lui, « Messire Dieu », le « roi du Ciel », le « roi des Cieux », obsessionnellement invoqué ou évoqué par Jeanne, aux moments les plus glorieux ou les plus sombres de sa vie. C’est la raison même de sa passion, cette foi forte et fragile, à l’image du personnage.

« Nous sommes perdus, nous avons brûlé une sainte. »348

Secrétaire du roi d’Angleterre, après l’exécution de Jeanne, Rouen, 30 mai 1431. Histoire de France, tome V (1841), Jules Michelet

Le mot est aussi attribué à l’évêque de Beauvais, Pierre Cauchon.

En fin de procès, le 24 mai, dans un moment de faiblesse, Jeanne abjure publiquement ses erreurs et accepte de faire pénitence : elle est condamnée au cachot. Mais elle se ressaisit et, en signe de fidélité envers ses voix et son Dieu, reprend ses habits d’homme le 27 mai. D’où le second procès, vite expédié : condamnée au bûcher comme hérétique et relapse (retombée dans l’hérésie), brûlée vive sur la place du Vieux-Marché à Rouen, ses cendres sont jetées dans la Seine. Il fallait éviter tout culte posthume de la Pucelle, autour des reliques.

Charles VII qui n’a rien tenté pour sauver Jeanne fit procéder à une enquête quand il reconquit Rouen sur les Anglais. Le 7 juillet 1456, on fit le procès du procès, d’où annulation, réhabilitation de sa mémoire. Jeanne ne sera béatifiée qu’en 1909 et canonisée en 1920.

« Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie, chez nous, est née du cœur d’une femme, de sa tendresse, de ses larmes, du sang qu’elle a donné pour nous. »349

Jules MICHELET (1798-1874), Jeanne d’Arc (1853)

Princesse (bâtarde de sang royal) ou simple bergère de Domrémy, petit village de la Lorraine, le mystère nourrit la légende et la fulgurance de cette épopée rend le sujet toujours fascinant, six siècles plus tard. La récupération politique est une forme d’exploitation du personnage, plus ou moins fidèle au modèle.

L’histoire de Jeanne inspirera aussi d’innombrables œuvres littéraires, cinématographiques et artistiques, signées : Bernard Shaw, Anatole France, Charles Péguy, Méliès, Karl Dreyer, Otto Preminger, Roberto Rossellini, Robert Bresson, Luc Besson, Jacques Rivette, Jacques Audiberti, Arthur Honegger, etc. Et L’Alouette de Jean Anouilh : « Quand une fille dit deux mots de bon sens et qu’on l’écoute, c’est que Dieu est là. […] Dieu ne demande rien d’extraordinaire aux hommes. Seulement d’avoir confiance en cette petite part d’eux-mêmes qui est Lui. Seulement de prendre un peu de hauteur. Après Il se charge du reste. »

« C’est mon seigneur, il a tout pouvoir sur mes actions, et moi, aucun sur les siennes. »355

MARIE d’ANJOU (1404-1463), reine de France. Histoire de France depuis les Gaulois jusqu’à la mort de Louis XVI (1822), Louis-Pierre Anquetil

La reine (qui donna 13 enfants en vingt-trois ans à Charles VII) lui pardonne en ces termes sa liaison commencée vers 1444 avec Agnès Sorel, première d’une longue liste de favorites officielles des rois de France. D’autres reines de France exprimeront cette même résignation – notamment Marie Leczinska, femme de Louis XV le Bien Aimé aux très nombreuses maîtresses.

Marie préfère cette « rivale soucieuse du bien de l’État à une femme ambitieuse qui aurait dilapidé les biens du royaume » et les historiens reconnaîtront la bonne influence de la Dame de Beauté.

« Vous êtes deux fois ma Dame de Beauté. »

CHARLES VII (1403-1461), non sourcé

Le roi honore Agnès Sorel (1422-1450), lui accordant de somptueux cadeaux, comme le premier diamant taillé connu à ce jour - à l’époque, les diamants étaient portés par les hommes. Il lui offre aussi le château de Beauté-sur-Marne.

Sûre de ses charmes, la belle met en valeur sa chevelure bond cendré, sa peau claire entretenue par des bains au lait d’ânesse. Suivant la mode, elle épile son front déjà immense, rase ses sourcils (du jamais vu !) et souligne ses lèvres fines de rouge carmin. Couverte de bijoux, elle se pare de vêtements plus beaux que la reine n’en possède. Elle crée d’autres modes : coiffures immenses tenues par des hennins, colliers impressionnants, traînes exagérées, bordures de martre et de zibeline. Elle choque la Cour (sans le vouloir ?) avec ses robes « aux ouvertures de par-devant par lesquelles on voit les tétons » d’après le chancelier Jouvenel des Ursins (archevêques de Reims et membre du Conseil du roi) qui parle aussi de « puterie et ribaudie » et tout autre péché qui ne plut à Dieu. Chastelain écrit : « Cent milles murmures s’élevaient contre elle et non moins contre le roi. »

Charles VII n’en a cure. Le pape Pie II témoigne de cette passion : « Le roi ne peut supporter qu’elle lui manquât un seul instant : à table, au lit, au conseil, il fallait toujours qu’elle fût à ses côtés. »

Son surnom sied à la beauté d’Agnès Sorel, saluée par tous les contemporains et immortalisée par le tableau de la Vierge à l’Enfant de Jean Fouquet, mais vient surtout du château de Beauté-sur-Marne dont le roi lui fit don. Très patriote, elle influence heureusement la politique du roi. Elle redonne aussi confiance à l’homme. Charles VII n’a pas eu de chance avec ses parents, sa mère Isabeau de Bavière l’a déshérité comme dauphin et traité en bâtard et son père Charles VI est le roi fou. Quant à son premier fils, le futur Louis XI, il ne cessera de comploter contre lui.

« À cœur vaillant, rien d’impossible. »360

Jacques CŒUR (vers 1395-1456), devise. Le Grand Cœur (2012), Jean-Christophe Rufin

Cette devise illustre à merveille l’esprit d’entreprise sans limite de cet homme d’affaires aux multiples activités (banque, change, mines, métaux précieux, épices, sel, blé, draps, laine, pelleterie, orfèvrerie), banquier de Charles VII et qui finança comme telle la reconquête de la Normandie en 1449.

Maître des monnaies en 1436, argentier du roi en 1440, puis conseiller en 1442, chargé de missions diplomatiques à Rome, Gênes, il aide aussi le roi à rétablir une monnaie saine et à redonner vie au commerce français.

Soupçonné de malversations et crimes vrais ou supposés (et même d’avoir empoisonné Agnès Sorel, maîtresse du roi, morte le 9 février 1450), il est arrêté en 1451 et condamné par une commission extraordinaire le 29 mai 1453 : confiscation de ses biens et amende de 400 000 écus. En 1454, il s’évade de prison, se fait innocenter par le Pape Calixte III qui lui confie le commandement d’une flotte pour guerroyer contre les Turcs. Il meurt en croisade à Chio, en 1456.

Son éphémère fortune symbolise la génération des nouveaux riches, issue de la guerre de Cent Ans. Mais cette vie en forme de roman d’aventures, qui a frappé ses contemporains, fait de lui un personnage de la proche Renaissance.

« Il a reçu chez lui un renard qui mangera ses poules. »363

CHARLES VII (1403-1461), apprenant que son fils s’est réfugié chez le duc de Bourgogne, fin août 1456. Histoire de France (1833-1841), tome V (1841), Jules Michelet

Philippe III le Bon, duc de Bourgogne, s’est réconcilié avec Charles VII en signant la paix d’Arras (1435). Maître de la Bourgogne, la Franche-Comté, la Flandre, l’Artois et les provinces belges, ce grand féodal est le plus puissant souverain d’Europe. Il est trop heureux d’accueillir somptueusement chez lui, à Louvain, puis à Bruxelles, le futur roi de France venu conspirer contre son père, et lui fait une pension annuelle de 36 000 livres. Notons au passage que les fils comploteurs sont rares, ce mauvais rôle étant réservé aux frères de roi.

Charles VII ne connaît que trop la perfidie de son fils et le fils de Philippe, Charles le Téméraire, l’apprendra bientôt à ses dépens.

« Le renard crotté a échappé au repaire du loup. »376

Philippe de COMMYNES (1447-1511), Mémoires (1524)

Louis XI le rusé est à peine de retour à Paris, début novembre 1468, qu’il s’empresse de renier tous les engagements pris à Péronne auprès de Charles le Téméraire : plus question de rendre les villes de la Somme, ni de donner en apanage à Monsieur Charles la Champagne et la Brie. Il fait même condamner le Téméraire pour félonie en décembre 1470.

Mieux encore, il va aider à rétablir sur le trône Henri VI roi d’Angleterre, pensant ainsi priver son ennemi de l’alliance anglaise : « J’ai espérance que ce sera la fin des Bourguignons. » Encore quelques années de ruse, de lutte et de patience. Divide ut regnes (Divise afin de régner) est la maxime de Louis XI, dit le Prudent.

« Je suis France. »365

LOUIS XI (1423-1483). L’Âme de la France : une histoire de la nation, des origines à nos jours (2007), Max Gallo

À 38 ans, Louis XI est enfin roi. Et la France existe bel et bien après la guerre de Cent Ans.

Le roi la représente et l’incarne, contre les grands féodaux. Le général de Gaulle fera quasiment la même déclaration, pour exprimer qu’il défend l’intérêt général et n’est d’aucun clan, ni parti.

Étrange retour des choses, Louis XI qui a tant comploté contre son père en s’alliant à ses ennemis féodaux et même anglais, verra se dresser contre lui, entre 1465 et 1472, trois coalitions de grands vassaux, en réaction contre l’affermissement du pouvoir royal.

« Notre roi s’habillait fort court et si mal que pis ne pouvait, et assez mauvais drap portait toujours, et un mauvais chapeau, différent des autres, et une image de plomb dessus. »273

Philippe de COMMYNES (1447-1511), Mémoires (1524)

Tel est le roi âgé de 38 ans, à son avènement en 1461. Historien du XIXe siècle, Michelet lui rendra justice à ce propos : « Avec la faible ressource d’un roi du Moyen Âge, il avait déjà les mille embarras d’un gouvernement moderne : mille dépenses publiques, cachées, glorieuses, honteuses. Peu de dépenses personnelles ; il n’avait pas les moyens de s’acheter un chapeau, et il trouva de l’argent pour acquérir le Roussillon et racheter la Somme. »

Mais le peuple de Paris s’étonne de l’allure si peu royale de son roi, comme le rapporte le chroniqueur flamand Georges Chastellain : « Notre roi qui ne se vêt que d’une pauvre robe grise avec un méchant chapelet, et ne hait rien que joie. »

« Est-il possible de tenir un roi en plus étroite prison qu’il ne se tenait lui-même ? […] Ce roi qui s’enfermait et se faisait garder de la sorte, qui craignait ses enfants et tous ses proches parents, qui changeait et remplaçait chaque jour ses serviteurs et commensaux, lesquels ne tenaient biens et honneurs que de lui, qui n’osait se fier à aucun d’eux et s’enchaînait lui-même en des chaînes et clôtures extraordinaires ? »274

Philippe de COMMYNES (1447-1511), Mémoires (1524)

Peur de la mort, duplicité allant jusqu’à la perfidie, art pour nouer des intrigues ou dénouer des situations parfois compromises par sa propre rouerie, cruauté allant jusqu’à la névrose, tels sont quelques traits du sombre caractère prêté à Louis XI.

« Divide ut regnes. »
« Divise afin de régner. » « Diviser pour régner. »275

Maxime de LOUIS XI (1423-1483). Fleurs latines des dames et des gens du monde ou clef des citations latines (1850), Pierre Larousse

Cette maxime politique, énoncée à la Renaissance par Machiavel, fut déjà celle du Sénat romain et sera reprise par Catherine de Médicis.

Avec cette autre maxime : « Qui nescit dissimulare, nescit regnare » (« Celui qui ne sait pas dissimuler, ne sait pas régner »), on a la clé de toute la politique de ce personnage réaliste et rusé, à la diplomatie retorse, aux manœuvres sans scrupules et qui va briser le pouvoir des grands seigneurs féodaux, pour ouvrir les portes de l’ère moderne.

« Qui s’y frotte, s’y pique. »277

LOUIS XI (1423-1483), devise. Citations historiques expliquées : des origines à nos jours (2011), Jean-Paul Roig

Louis XII prendra la même devise, mais associée au porc-épic. De sorte qu’il y a parfois confusion, dans certaines sources, entre les deux symboles et les deux rois.

Louis XI se fait craindre et se soucie peu de se faire aimer, à l’image du chardon – ou du fagot d’épines. Il passe pour égoïste et parcimonieux, voire avare, indifférent à ses deux femmes, Marguerite d’Écosse qui se ronge de chagrin et Charlotte de Savoie qui ne fut guère plus heureuse.

Il est détesté des grands féodaux avec qui il a comploté contre son père, du temps où il était dauphin et si impatient de régner. Ils ne cessèrent de comploter contre lui et il les combattit sans relâche pour le bien de la Couronne. Accomplissant ainsi son devoir de prince et quels que soient les moyens utilisés, Louis XI, dernier roi du Moyen Âge, est aussi un grand roi pour la France.

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